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L’industrialisation des pays de la Plata

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Frédéric Mauro
, 
Guy Bourdé

L’évolution des structures agraires et industrielles au Parana de 1940 à 1970

Tania Navarro Swain

Texte intégral

1Le Parana est l’un des trois Etats du Sud du Brésil, situé entre Santa Catarina et Sâo Paulo, s’étendant sur environ 200.000 Km2, dont la presque totalité était couverte de forêts, au début du peuplement. Ses frontières touchent l’Etat de Mato Grosso, l’Argentine et le Paraguay. Sa vocation économique initiale d’exportateur l’accompagna tout au long de son histoire : au début de la colonisation, le maté et le bois constituèrent les deux richesses principales ; ensuite vint le café et tout dernièrement le soja. Chacun de ces produits, destinés à l'exportation détermina les diverses formes de mise en valeur de la terre, façonnant une structure foncière qui se modifia au fur et à mesure du peuplement et des changements économiques.

2L’occupation des terres au Parana se déroula d’une manière très spéciale, en établissant un grand nombre de petites et moyennes propriétés ; ainsi, elle favorisa une certaine diversification de la production agricole et permit à l’Etat de devenir le “grenier du Brésil”, grand exportateur d’aliments pour tout le territoire national. On entend souvent parler de la spécificité de la structure agraire des Etats du Sud par rapport au reste du pays, ce qui laisse supposer un partage plus équitable des terres ; en réalité, cette différence de la répartition foncière subit les mêmes distorsions que dans le reste du pays, avec une nette propension à l’émiettement rapide des exploitations de moins de 20 hectares. La caractéristique qui distingue le Parana du reste du pays est le maintien des grandes propriétés, avec une tendance à l’élargissement des latifundia, accompagné d’une réduction relative de leur nombre. Quelles furent les conséquences des modifications de la structure foncière au Parana et dans quelle mesure ces changements affectèrent-ils l’emploi de la main-d’œuvre ? Quelles furent les causes de l’exode rural ? L’industrie a-t-elle pu absorber cette main-d’œuvre déplacée ?

3Le Parana est un Etat essentiellement agricole et son industrie s’est toujours attachée au traitement des produits de l’agriculture. Nous allons voir comment a évolué cette industrie durant la période 1940-1970, notamment l’utilisation des facteurs de production, capital et travail. Les transformations subies par la production industrielle ont-elles modifié le rôle mineur du secteur secondaire au Parana ? Ont-elles contribué à résoudre les problèmes de la disponibilité croissante de la force de travail ?

Le peuplement et la mise en valeur

4Le mouvement de colonisation qui se dirigea vers le Parana avec l’expansion du café, rencontra les terres vierges et fertiles d’un Etat très faiblement peuplé. En 1920, la population atteignait 685.711 habitants, pour une superficie de 199.554 Km2, soit 3,43 habitants par Km2. A cette époque, les activités d’extraction des ressources naturelles constituaient le moteur de l’économie : la cueillette et l’exportation du maté et du bois concentraient les efforts productifs, aux côtés de l’élevage.

  • 1 BALHANA, A. et allii., Historia do Parana, p. 221.

5Vers 1801, le café avait fait son apparition sur le sol du Parana, à une échelle encore très modeste1 : au milieu du XIXe siècle, des grandes fermes du style pauliste s’installèrent dans la région appelée Vieux Nord, à l’Est du fleuve Tibagi ; à partir de ce moment, la culture du café ne cessa de s’accroître. Son importance économique, cependant, ne se fit sentir qu’à partir de 1930, lorsque la politique de protection des prix du café se révéla plus favorable à l’implantation de la culture au Parana. La perspective d’occuper de nouvelles terres, l’attraction exercée par les possibilités du café canalisèrent vers les sols riches du Parana une énorme vague de “colons”, formée de deux courants : l’un, venant du Rio Grande do Sul, avec des agriculteurs chassés par le morcellement de leurs terres, et l’autre, plus puissant, venant du Nord, avec des planteurs de café entraînés par l’expansion au delà de Sâo Paulo.

  • 2 Idem, p. 232/233.

6La vague humaine qui déferla sur le Parana augmenta les effectifs de population de 247,5 % entre 1940 et 1960. Mais le mouvement fut entravé par les conflits pour la possession des terres, qui se multiplièrent pendant plus de vingt ans. Ceux-ci furent à l’origine de véritables guerres entre les paysans qui occupaient librement la terre (posseiros) et les compagnies de colonisation qui obtenaient des concessions d’exploitation2. Cependant, quelques régions, dont la colonisation fut dirigée par le Gouvernement de l’Etat et certaines compagnies de colonisation, eurent leurs terres divisées en lotissements et rendues à de petits et moyens fermiers. Il en résulta une caractéristique originale de la structure agraire du Parana par rapport au Brésil : la place importante de la petite et moyenne propriété.

7En 1940, la population du Parana avait augmenté de 80 % par rapport à 1920, et le territoire était loin d’être entièrement occupé. La densité démographique était alors de 6,19 habitants au Km2. La structure agraire présentait une majorité de petites et moyennes propriétés : les établissements agricoles occupaient 6,2 millions d’hectares et les propriétés de moins de 20 hectares représentaient 36,78 % du total, sur 3,74 % des terres mises en valeur. Si l’on ajoutait à cette catégorie les propriétés de moins de 100 hectares, on obtenait 83,55 % du nombre d’établissements, pour 24,96 % des terres occupées. A l’époque, les grandes propriétés de plus de 100 hectares détenaient 75,01 % des terres, en dépit de leur faible nombre, 16,36 % du total.

  • 3 Idem, p. 216.
  • 4 Idem, p. 221.

8Mais ces chiffres correspondaient à l’ensemble du territoire du Parana. Certaines régions, notamment le Nord caféier, ont eu une répartition de terres plus équitable. En 1943, la compagnie Terras Norte do Parana, qui possédait plus de 1,2 millions d’hectares, avait vendu environ 280.000 hectares, en lotissements de 30 hectares en moyenne3. A l’Ouest de l’Etat, le Gouvernement décida à partir de 1939 d’entreprendre un travail colonisateur, avec le démarquage des terres et la vente de lotissements plus grands, d’environ 48 hectares. Une autre compagnie colonisatrice, la compagnie Maripa, acheta 124.000 alquières (1,42 hectare = 1 alquière), vendus en lotissements urbains et ruraux, ces derniers avec une moyenne de 24 hectares4. Les nouveaux arrivés au Parana dans les années 1940 augmentèrent la population de 71 %. Les deux tiers d’entre eux s’orientèrent vers la vie rurale. Dans le même temps, le nombre de propriétaires d’exploitations agricoles s’était accru de 38 %.

9A la fin de 1939 et au début de 1940, le problème de l’occupation sauvage de la terre se posait à peine : seulement 2,16 % du territoire mis en valeur était détenu par les “posseiros”. Les propriétaires pourvus de titres disposaient de 68,79 % de la superficie totale occupée ; ils étaient 49.432, représentant 76,7 % des responsables de propriétés, disposaient d’une superficie moyenne de 87 hectares. Si l’on y ajoutait les surfaces tenues par des administrateurs, les propriétés couvraient 87,63 % des terres exploitées. Donc la plupart des superficies défrichées étaient dotées d’un titre de propriété légal et appartenaient aux catégories de petites et moyennes entreprises. Pourtant les grandes propriétés de plus de 1000 hectares représentaient à elles seules 35,72 % de la superficie occupée, ce qui faisait tomber la moyenne des terres exploitées directement par leurs propriétaires à 42,4 hectares.

  • 5 BRET, Bernard, L’Agriculture du Brésil, p. 72.

10Si l’on considérait comme petites propriétés celles qui disposaient de moins de 20 hectares, on trouvait au Parana 36,78 % du nombre d’exploitations de cette catégorie pour 3,7 % de la terre. Au Brésil en général, les petites propriétés représentaient 51 % des fermes pour 3,8 % de la surface occupée5. Au fur et à mesure que la superficie moyenne des entreprises augmentait, leur nombre tendait à se réduire. Les propriétés qui possédaient entre 20 et 50 hectares rassemblaient 32,6 % des établissements, avec 10,3 % des terres. Par contre, celles de 50 et 100 hectares, deux fois moins nombreuses que les précédentes, disposaient pratiquement de la même superficie. Finalement, les propriétés agricoles de plus de 100 hectares, 16,62 % du nombre total, possédaient 75,01 % des terres.

11Au Parana, la moyenne propriété, entre 20 et 100 hectares, était dominante formant 46,77 % du total, mais disposant seulement de 21,22 % des terres. Or, pour l’ensemble du Brésil, les exploitations de petite taille étaient majoritaires. Donc la structure foncière paraissait plus égalitaire au Parana qu’au Brésil, tout en étant très mal équilibrée. Il faut rappeler qu’à cette époque, les deux tiers du territoire “paranaense” était encore à défricher et que cette structure agraire, n’étant pas consolidée, pouvait laisser espérer ultérieurement une division plus équitable des terres.

  • 6 BARBOSA OLIVEIRA et allii. – Estudos de Desenvolvimento Regional, p. 28.

12L’action des compagnies colonisatrices a certainement aidé à l’installation de petites et moyennes propriétés, car cette action s’est faite sur les régions qui ont reçu les plus importants contingents d’immigrants. Sur 879.200 nouveaux arrivés au Parana entre 1940 et 1950, 717.800 se dirigèrent vers le Nord et l’Ouest de l’Etat ; en 1950, ces deux régions comptaient 52,74 % de la population totale de l’Etat6. Parmi les migrants nationaux, 55,8 % venaient de Sâo Paulo. Les personnes qui venaient de Sâo Paulo et du Rio Grande do Sul formaient une classe moyenne rurale, issue de l’immigration étrangère. Cette implantation sur le territoire du Parana d’une classe paysanne, dotée d’une tradition agricole et non dépourvue de ressources, favorisa le développement de la petite et moyenne propriété. Les nouveaux arrivants venaient renforcer des colons plus anciens, immigrants étrangers, possédant des exploitations de moins de 100 hectares, qui se consacraient à des activités agricoles et pastorales à l’est de l’Etat. Les plus deshérités des migrants, qui représentaient 8 % du total, arrivaient du Nord-est brésilien, sans aucune ressource, cherchant un “Eldorado” fertile ; or plus de la moitié des terres du Parana étaient encore disponibles.

Une croissance rapide

  • 7 Recensement Général, 1940/1950.
  • 8 IPARDES, 3e vol., AE 3.4. (d).
  • 9 BALHANA, op. cit., p. 216.

13En 1950, le nombre de propriétés agricoles augmente de 38,9 % de l’espace mis en valeur de 28,4 %. La superficie des terres destinée à l’agriculture s’éleva de 317,8 %, passant de 568.700 ha. à 2.376.378 ha.7. La population, par contre, augmenta ses effectifs de 71 % dont 81,5 % dirigés vers le Nord et l’Ouest de l’Etat. La population rurale, qui représentait 75,5 % du total en 1940, maintenait cette proportion en 19508. La compagnie de Terres Norte do Paraná faisait des bonnes affaires : en 1953, 400.000 alquières étaient vendus sur un ensemble de 513.000 transformés en lotissements (de 15 alquières environ)9.

14A cette époque, la moyenne propriété affirma sa prépondérance numérique : 49,3 % contre 46,7 % en 1940. Les terres occupées par ce genre d’exploitations augmentèrent également de 21,2 % à 24,6 % du total. Les établissements de moins de 20 hectares maintinrent leur participation en nombre, avec un léger accroissement de superficie de 3,7 % à 4,25 %. Les grandes propriétés, par contre, virent diminuer leur nombre, ainsi que leur superficie exploitée.

15L’évolution au Parana fut contraire à celle du reste du territoire national. Dans l’ensemble du Brésil, la prépondérance des latifundios s’accentua et le rôle des petites exploitations s’affaiblit. Malgré cette diversité d’évolution, l’inégalité de la distribution de la terre au Parana demeura presque inchangée : les grandes fermes possédaient encore 70,9 % des terres pour 14,5 % du nombre des établissements. Si le rôle des petites et moyennes exploitations était relativement marquant, l’importance de la grande propriété maintenait le cadre classique de la concentration et de l’utilisation extensive de la terre. Cependant, les caractéristiques générales de la structure agraire ne valaient pas pour toutes les régions de l’Etat, étant donné la grande diversité des processus de peuplement.

16Au Nord, la colonisation s’était faite progressivement : d’abord le Vieux Nord, puis le Nord à l’Ouest du fleuve Tibagi, avec des pointes de pénétration entre 1930 et 1950, qui permirent l’occupation effective des terres et la fixation de la population. Cette colonisation s’accompagna d’un bornage des terres et de la construction de voies de communication, grâce à l’action des compagnies privées et des autorités provinciales, ce qui n’empêcha pas les conflits pour la possession du sol. Dans cette région, ce furent les petites et les moyennes propriétés qui dominèrent.

Etablissements Agricoles par Superficie Paraná 1940 à 1970 (%)

Etablissements Agricoles par Superficie Paraná 1940 à 1970 (%)
  • 10 BERNARDES, Lysia, O problema das frentes pioneiras no Estado do Parana, p. 14.
  • 11 BALHANA, op. cit. p. 219.
  • 12 COSTA GUIMARAES, Odah, Planos de Colonizaçao, p. 12.

17A l’Ouest, au contraire, étant donné l’absence d’infrastructures, l’occupation des terres fut faite de manière empirique, parfois incohérente ; des “colons” semi-nomades défrichèrent la forêt, en gaspillant les ressources naturelles, sans mettre en valeur le territoire. Par ailleurs, de vastes concessions, faites par le gouvernement à des particuliers, favorisèrent l’installation des grandes propriétés d’élevage ou d’exploitations du maté ou du bois. Dans la région de Guarapuava, l’élevage était depuis longtemps l’activité principale ; au début du siècle, le gouvernement avait installé des colonies militaires à l’extrême-Ouest, pour protéger le territoire10. Plus tard, des concessions furent octroyées par le gouvernement aux particuliers qui s’engageaient à les coloniser. Cependant, leur action mena à la dévastation d’énormes régions boisées et à l’exploitation des travailleurs sans terres11. Ce ne fut qu’à partir de 1940 que le gouvernement commença une action plus organisée de colonisation. Vers 1950, les plans du gouvernement qui visaient à implanter des petites et moyennes entreprises à l’Ouest de l’Etat, échouèrent, car la division de la terre fut faite par lotissements de 500 hectares “pour répondre à des intérêts politiques ou réaliser des profits immédiats”12.

18On eut, donc, au Nord, une prédominance des petites et moyennes exploitations, et à l’Ouest, la grande propriété. La première région cultivait le café, mais aussi les céréales, tandis que la seconde se dédiait surtout à l’élevage et aux activités de cueillette.

  • 13 BALHANA, op. cit., p. 161/162.

19La colonisation à l’Est, se développa au XIXe siècle, grâce à des immigrants étrangers, sous forme de petites et moyennes propriétés. Au Parana, la main d’œuvre immigrée était attirée non par le travail salarié dans les grandes plantations, mais par une agriculture spécialisée dans les produits de ravitaillement, en vue de “substituer” les importations des denrées alimentaires13.

  • 14 PADIS, Pedro, Formaçao de uma economia periferica, p. 243/221/222.

20Dans la région Sud-Ouest, on trouva, jusqu’en 1930, de petits villages complètement isolés, vivant en économie de subsistance. A partir de 1950, la population s’accrut avec l’ouverture d’une route et la formation de nombreux centres. Le flot de population venait alors du Nord du Paraná et du Rio Grande do Sul. Le Sud-Ouest comptait en 1940 199.076 habitants et 691.806 habitants en 1960 pour une région de 66.500 km2, soit un bond de 247,5 % en vingt ans14. Plus de la moitié de la population du Sud-Ouest descendait d’immigrants étrangers, connaissait des techniques agricoles complexes et possédait des exploitations de taille modeste.

  • 15 IBGE - Censo Geral 1950/Censo Geral 1970/IPARDES, 3e vol. AE 8.2.1. (c).

21Etant donné les grands mouvements de population constatés à cette époque, le nombre des occupants (posseiros) subit une importante augmentation de 377 %. Ceux-ci s’emparèrent de 8,57 % du territoire mis en valeur. Par contre, le nombre de fermiers diminua de plus de 50 %, et la quantité des terres détenues par eux descendit de 68 %. Peut-être les locataires allèrent-ils grossir le flot des occupants, attirés par la possibilité d’acquérir des terres gratuitement. Pourtant, il régnait constamment un climat d’insécurité autour des nouvelles possessions de terres. L’existence d’une frontière agricole a sans doute exercé une influence sur la diminution du nombre de fermiers et l’accroissement de celui des “occupants”. La légère augmentation du nombre des administrateurs et la forte augmentation des superficies dont ils étaient responsables, montrait encore une fois la domination des grands propriétaires. Sans doute s’agissait-il de fermes d’élevage, de plus de 500 hectares, dont les propriétaires étaient souvent absents15. En 1950, donc, la structure agraire du Parana avait peu changé : on constatait seulement une légère augmentation de l’influence de la moyenne propriété par rapport à la grande propriété.

Le début du morcellement

22En 1960, les changements semblaient plus importants. Les propriétés de moins de 20 hectares, désormais représentaient 58,28 % du total des établissements agricoles, pour 12,46 % des terres disponibles. On observait un important morcellement des propriétés, malgré l’ampleur du défrichement des forêts.

  • 16 KRETZEN - As grandes potencias... p. 47.
  • 17 GOVERNO DO PARANA - “Contribuiçao para o Plano Diretor...”, p. 176.

23Pendant la conquête du territoire du Parana, la dévastation des forêts fut impressionnante. Elle fut réalisée non seulement par les exportateurs de bois mais aussi par les colons pionniers, qui défrichaient les forêts en y mettant le feu afin de libérer rapidement des terres nouvelles. En 1940, de la forêt primitive qui occupait 88,6 % du territoire de l’Etat, 87.280 km2 avaient été dévastés, soit 49 % du total. Vers 1973, il ne restait que 5.700 Km2 de forêts naturelles, soit 3,2 %16. Avec le reboisement qui ne respectait pas toujours les espèces originales, l’aire forestière du Parana comptait 17 136 Km217.

24En 1960, le nombre des établissements agricoles s’accrût de 200 % et leur superficie de 41 % au Paraná. Le nombre des exploitations s’accrût de 61 % et la superficie utilisée de 7 % au Brésil. L’extrême inégalité de la division des terres s’accentua sur le plan national : 61,2 % des propriétés se partageaient 5,5 % du territoire exploité. Ce phénomène se reproduisait au Parana à une échelle moindre mais non négligeable, car 58,2 % des propriétés se partageaient 12,46 % des terres mises en valeur.

  • 18 AGUIAR, R. - “Parana”, p. 119.

25En 1960, le nombre (35,5 %) et la superficie (33,3 %) des moyennes propriétés leur donnaient une place importante au sein des établissements agricoles18. Quant aux grandes fermes, leur superficie ainsi que leur nombre diminuèrent de manière significative : alors qu’en 1940 elles représentaient 16 % des propriétés et contrôlaient 75 % des terres ; en 1960, elles ne formaient plus que 6 % des propriétés et ne disposaient plus que de 53 % des terres.

26Entre 1950 et 1960, les litiges pour la possession des terres s’aggravèrent. Les lenteurs administratives rendirent encore plus difficile l’obtention des titres de propriété. Le pouvoir politique octroyait anarchiquement des concessions. Les terres non mises en valeur étaient envahies. Etant donnée l’accroissement du nombre de fermes, il était naturel que le nombre des “posseiros” fit un bond (4-180 %). Les systèmes de métayage et de fermage se renforcèrent également ; en effet, les terres les plus accessibles étaient déjà occupées et la faiblesse du réseau routier rendait malaisée la pénétration des nouveaux arrivants à l’intérieur de l’Etat.

27Sur 269.146 exploitations, seules 61 % d’entre elles étaient administrées par leurs propriétaires. A ce stade, la terre devenait d’abord un facteur de production directe, ensuite un capital rentable. En 1950, le nombre des fermages était insignifiant, la lutte pour la possession des terres absorbait tous les efforts ; en 1960, des propriétaires, dont la prospérité reposait sur le café, pouvaient louer une partie de leurs terres et rejoindre le groupe des propriétaires absentéistes, si nombreux au Brésil.

28Le système de métayage augmenta aussi de manière importante (+ 364 %) entre 1950 et 1960. Il était préférable pour les nouveaux arrivants de s’installer comme métayers plutôt que de s’aventurer à défricher des terres d’accès difficile, dont ils n’étaient pas sûrs d’avoir un jour le titre de propriété.

29A cette époque, commencèrent des investissements massifs dans les infrastructures afin de réaliser l’intégration économique de l’Etat. Le Sud et l’Ouest étaient encore pratiquement isolés de l’Est : seule existait une mauvaise route, sans revêtement, qui reliait la côte du Parana à la frontière de l’Argentine, sur plus de 700 kilomètres. Une autre route reliait le nord au port principal : elle n’était asphaltée que sur quelques kilomètres. En 1960, le réseau routier comptait 5 898 kilomètres, dont 250 étaient goudronnés18.

30En 1965, la route qui partait de la capitale vers le Nord – Rodovia do Café – était terminée et asphaltée jusqu’à Maringa. La route vers l’Ouest avait reçu un revêtement sommaire et celle du Sud-Ouest était encore en terre battue. En 1972, le réseau routier s’étendait sur 11 700 kilomètres, dont 2 600 asphaltés (soit dix fois plus qu’en 1960). Les échanges inter-régionaux étaient ainsi facilités.

La situation agraire en 1970

31La tendance au morcellement des petites propriétés se confirma en 1970. Leur nombre absolu ainsi que leur surface augmentèrent de plus de 200 %. Cependant, elles ne constituaient que 76 % du nombre des propriétés pour seulement 22,7 % des terres. Inversement, la relation surface/nombre de propriétés était extrêmement favorable aux grands établissements : 47 % pour 3,3 %. Donc, le déséquilibre dans la distribution des terres demeurait inchangé au Parana. Mais ce déséquilibre n’était pas aussi frappant que dans le reste du pays, car les surfaces moyennes des petites et moyennes exploitations étaient plus confortables : 9,6 hectares et 50,17 hectares. Au Brésil, pour ces deux types de propriétés, les chiffres étaient de 6 hectares et 44,2 hectares. Ces données masquaient naturellement le problème des minifundios : il y avait alors 398.845 exploitations de moins de 1 hectare sur l’ensemble du territoire national.

32Entre 1940 et 1970, la population au Parana s’accrût de 460 %. La frontière agricole avait rejoint la frontière de l’Etat, mais le flot des nouveaux arrivants continuait. Le nombre de “posseiros” augmenta de 45,7 % mais les terres qu’ils pouvaient encore occuper ne représentaient plus que 9,3 % du total.

33La population rurale du Parana augmenta de 373,8 % entre 1940 et 1970 ; et le nombre des travailleurs employés dans l’agriculture s’accrût de 273 % uniquement entre 1940 et 1960.

34En 1940, les petits établissements de moins de 20 hectares comptaient 25,8 % des travailleurs agricoles, mais c’était les moyennes propriétés qui employaient le plus grand nombre de personnes : 43,9 %. Même les grandes propriétés employaient un personnel plus abondant que celui des petites propriétés (29,4 %) probablement pour la cueillette du maté et pour l’exploitation du bois. Au fur et à mesure de l’occupation de territoire, la distribution de la main d’œuvre se modifia considérablement. Le phénomène de morcellement de la petite et moyenne propriété s'accompagna d’un processus de concentration de la main d’œuvre, exclusivement sur les exploitations de moins de 20 hectares. Cela signifia une utilisation intensive de la terre sur ces propriétés, mais une faible productivité de la force de travail. Sur les grandes fermes, le processus fut inverse : l’occupation de la main-d’œuvre diminua mais sa productivité s’éleva. En 1940, les rapports force de travail/terre étaient de 2,5 hectares par travailleur dans les entreprises de moins de 10 hectares. L’évolution pour les trois décennies suivantes fut de 1 travailleur/2,10 hectares, 1 travailleur/2,0 hectares et 1 travailleur/1,8 hectares. Donc, la quantité de terres par travailleur diminua. On assista à une extrême concentration de la force de travail : sur 10,7 % de la superficie occupée, se trouvait 41,4 % de la main-d’œuvre en 1970, contre 20 % sur 4,6 % en 1960. Près de la moitié de la main-d’œuvre donc, en 1970 se concentrait sur des propriétés de moins de 10 hectares qui représentaient 53 % du nombre des exploitations.

  • 19 F.G.V., - Conjuntura Economica, Vol. 27, No 12, 1973.

35L’achat des terres dans les années 1960 n’était pas aussi facile que dans les années 1940 : leurs prix étaient montés en flèche (+ 264 % entre 1966 et 1972)19. La terre était devenue un bien plus rare, donc, plus cher. Dans l’impossibilité de s’agrandir, les propriétés se morcelaient, par héritage. L’implantation de nouvelles fermes se faisait sur des lopins plus petits, où s’entassaient les familles.

36Vint s’ajouter la diminution des emplois ruraux. Les moyennes exploitations qui absorbaient 39 % de la main-d’œuvre en 1960, en employaient 25 % en 1970. Leurs effectifs, en 1950, représentaient 45,8 % de la main-d’œuvre rurale. Quant aux grandes fermes, l’utilisation de la force de travail décrût de 33 % en 1950 à 8,9 % en 1970. Donc, au fur et à mesure que l’on pouvait se dispenser de la main-d’œuvre dans les moyennes et grandes fermes, celle-ci se retournait vers les lopins familiaux. En 1950, les membres non-rémunérés de la famille représentaient 45 % de la main-d’œuvre rurale et en 1960, 52 %. Pour 1970, en l’absence de données chiffrées, il est permis de supposer que la situation ne s’était pas améliorée.

  • 20 IBGE, Sinopse Estatística do Brasil, 1975, p. 127.

37A partir de 1960, l’élimination des caféiers improductifs commença à “libérer” beaucoup de main-d’œuvre, qui avait participé massivement à l’implantation de cette culture. La mécanisation aggrava la diminution de la main-d œuvre : en 1940, il y avait un tracteur pour 96.192 hectares ; en 1970 ce rapport passait à 1 tracteur pour 856 hectares20, A la même époque, le Rio Grande do Sul avait 1 tracteur pour 621 hectares et Sâo Paulo un tracteur pour 312 hectares : la moyenne du Brésil était de un tracteur pour 1 866 hectares.

Main d’œuvre employée dans les établissements agricoles (par superficie – 1940/1970 –) en pourcentage

Main d’œuvre employée dans les établissements agricoles (par superficie – 1940/1970 –) en pourcentage

Source : IPARDES - Annexe Statistique No AE 82.1(6) - Volume NIII.

La structure de la production

  • 21 F.G.V., Conjuntura Economica, Vol. 27, no 12, 1973.

38La production du Parana était dominée par le café depuis 1940. A cette époque, une récolte caféière atteignit 5,75 % de la production nationale. La véritable expansion de cette culture dans l’Etat commença à la fin de la seconde guerre mondiale, accompagnant la flambée des prix. En 1946, lorsque les prix d’un sac de 60 Kgs était coté à 27,37 dollars US, l’aire plantée au Parana couvrait 130.143 hectares21. Or, en 1950, les prix grimpèrent jusqu’à 63,38 dollars US par sac et la superficie cultivée en café passa à 267.259 hectares.

  • 22 BARBOSA OLIVEIRA, op. cit., p. 87.
  • 23 IBC - Cultura do Café no Brasil, p. 13.
  • 24 BALHANA, op. cit. p. 224.

39En 1947, le café représentait 26 % du total de la valeur de la production agricole. En 1950, celle-ci avait doublé, ainsi que les prix : le café passa à 60 % de la valeur agricole totale. Le nombre de pieds de café augmenta de 125 à 243 millions entre 1948 et 195322. Au Parana, il existait 817 millions de caféiers en 1955 et 1167 millions en 196423. Donc, la plantation du café ne faisait qu’augmenter malgré les années de gelées. La production du Parana, par rapport à celle du Brésil, passa de 5 % vers 1940 à 62 % en 1962. A partir de 1959, les prix redevinrent plus modérés (40 à 53 dollars par sac, jusqu’en 1972) et la participation du café dans la valeur totale de la production agricole baissa jusqu’à 58 %. A la fin des années 1950, les nouvelles productions “paranaenses” et l’entrée du café africain sur le marché mondial aboutirent à des négociations visant au contrôle des prix, par l’Organisation Internationale du Café24.

  • 25 IBC, op. cit., p. 11.

40Du point de vue national, l’augmentation de production du Parana n’était pas intéressante ; en 1962 on mit sur pied un programme d’élimination des vieux caféiers, mal localisés ou de mauvaise qualité. Le règne du café commençait à décliner. A partir de 1966, l’arrachage des nouveaux caféiers fut également indemnisée. Les résultats de cette politique ne se firent pas attendre : entre 1964 et 1973, 263 millions de caféiers furent détruits au Parana, libérant près de 300.000 hectares. Mais, en 1970, le café représentait encore 45 % de la valeur de la production agricole du Parana. Son importance s’amoindrit dans les exportations brésiliennes : en 1963, sa participation était de 53 %, et en 1973 sa part tomba à 21,6 %25.

41La culture du café, cependant, permettait une diversification de la production : le mais, les haricots noirs, le manioc pouvaient être cultivés en association avec le café. Toutefois, le rôle moteur du café entraînait une faiblesse caractéristique des économies exportatrices de matières premières : les oscillations des prix internationaux commandaient l’avenir économique de l’Etat.

42Cependant, l’élimination du café eût des effets secondaires importants : la culture du café nécessitait beaucoup de main-d’œuvre permanente et saisonnière. La réduction de cette culture provoqua le licenciement d’une partie des salariés agricoles. Ceux-ci se replièrent sur les petites propriétés.

43Le café, qui accaparait 38,8 % de la superficie cultivée en 1960, n’en représentait plus que 23 % en 1970. L’espace ainsi libéré fut récupéré par le soja, qui couvrait 0,14 % de la superficie cultivée en 1960 et 6,4 % en 1970 ; également par le blé, qui passa de 2,3 % à 6 % des terres mises en valeur. Le coton gagna en extension : de 4,4 % en 1960, il atteignit 9,4 % en 1970.

Valeur de la production agricole Cr. $ 1.000 = courants

Valeur de la production agricole Cr. $ 1.000 = courants

Sources : IBGE : Annuaire statistique jusqu’en 1960 – Indicadores Ec. Governo do Paranà – F.G.V. Conjuntura Economica - vol.25, N9, 1971.

  • 26 F.G.V., Conjuntura Economica, vol. 30, n6, 1976.
  • 27 Objetivos e Metas do Governo do Parana 75/78 - s/pg.

44Entre 1965 et 1970, la production du soja s’éleva de 0,9 % à 2,3 % de la production du Parana. Désormais cette culture ne cessa d'augmenter. En 1960, la surface cultivée en soja était de 5.059 hectares ; en 1965, de 34 306 hectares ; en 1970 de 257 524 hectares et en 1975 de 1 631 897 hectares. La quantité produite s’accrût de 7.364 tonnes en 1960, à 3,6 millions de tonnes en 1975. Le prix moyen d’une tonne de soja qui, en 1965, était de 97,53 dollars US grimpa jusqu’à 276,66 dollars US en 1973 (+ 183 %)26. Ce fut donc une ruée vers le soja. Les produits moins rentables, pourtant essentiels pour le marché interne, furent délaissés. Même les zones de pâturage furent utilisées pour le soja. A cet égard, 1970 marqua un tournant dans l’économie du Parana. L’aire cultivée en soja augmenta de 533 % entre 1970 et 1975. A la même époque, le café avait perdu 13 % de la surface cultivée, les haricots 29 %, le coton 57 %, l’arachide 31 % et le maïs seulement 7 %. La culture du riz connut une légère augmentation, et le blé, cultivé en rotation avec le soja, augmenta sa production de 283 % et sa superficie cultivée de 183 %27.

45La qualité d’exportateur de l’Etat du Parana demeura inchangée. Mais cette nouvelle monoculture entraîna une dépendance accrue vis-à-vis du commerce extérieur. Cette modification fut néfaste même du point de vue national, car la diversité de production du Parana lui conférait le rôle de “grenier” du Brésil. Le fléchissement de la production “paranaense” en haricots noirs obligea à importer ce produit. En 1967 le Parana exportait déjà 16 % du soja vendu sur le marché international ; en 1970, près de 30 %.

46Ce processus aggrava certainement la concentration de la main-d’œuvre sur les petites propriétés. La force de travail libérée par le café ne put malheureusement se reconvertir vers le soja, culture éminemment mécanisée. Le passage du café au soja entraîna donc non plus une utilisation intensive de la main-d’œuvre mais une utilisation intensive du capital. La sous-utilisation de la main-d’œuvre par suite la diminution de la productivité et du revenu familial, accentuèrent l’exode rural, la quête d’un emploi en milieu urbain.

  • 28 IPARDES, 1 vol., p. 3/62.
  • 29 PDU, Política de Desenvolvimento Urbano..., s/pg.
  • 30 Revista Veja, 5/1/78, p. 41.

47De grands mouvements migratoires se produisirent alors au Parana28. La population urbaine, qui représentait 24,9 % de la population totale, s’éleva à 30,9 % en 1960 et à 36,1 % en 1970. Le nombre des villes de plus de 10.000 habitants passa de 6 en 1950 à 41, vingt ans après. Cependant, le processus d’urbanisation fut moins rapide au Parana que dans le reste du pays : selon les estimations du gouvernement local, la population urbaine atteignait près de 40 % de la population totale au Parana et 60 % au Brésil en 197529. Dans les années 1970, les terres au Parana furent entièrement occupées et la réduction des emplois agricoles accéléra l’urbanisation. La marginalisation de certaines populations s’accentua en 1977, 3 % des habitants de la capitale, Curitiba, logeaient dans des “favelas” et n’avaient aucun revenu fixe30.

L’industrialisation au Parana31

  • 31 Références quantitatives, 3e volume, IPARDES.
  • 32 IPARDES, AE8. 1.a vol. 3.

48Dans un premier temps entre 1940 et 1950, l’industrie paranaense s’établit sur des bases précaires, à prédominance encore artisanale. L’industrie de transformation occupa 6,3 % de la main-d’œuvre totale, alors que le secteur secondaire absorbait 10,8 % de la population active32. A cette époque, le secteur primaire représentait 73,2 % du total.

  • 33 VTI = Valeur de Transformation Industrielle (la valeur prise par l’IPARDES comme celle approchant l (...)

49En 1940, il y avait au Parana 1.780 établissements industriels. Au premier rang venait l’industrie du Bois, avec 28 % des entreprises, notamment des scieries, employant 40 % des ouvriers et produisant 37,5 % de la Valeur de la Transformation Industrielle (VTI)33 (. Ce genre d’activité n’avait besoin ni de technologie complexe ni de main-d’œuvre spécialisée. Le second secteur représentatif était celui des Produits Alimentaires, notamment le traitement de la viande, la fabrication de la farine de blé et de manioc, du sucre, et, plus tard, du café. Cette industrie comptait 32 % des établissements, 15,8 % des ouvriers et 24 % de la Valeur de la Transformation Industrielle (VTI). Les deux branches du Bois et de l’Alimentation regroupaient alors 60 % des établissements, 56 % des emplois industriels et 61 % de la VTI. La productivité de la main-d’œuvre était très faible. Certains secteurs étaient pratiquement inexistants, tels le Matériel électrique, ou la Construction mécanique. La branche des Minerais non métalliques (ciment et chaux) détenait 10 % du nombre des établissements, 9,3 % des ouvriers, 7,3 % de la VTI. L’Industrie Métallurgique, avec la fabrication du “ferro gusa”, comptait 40 établissements, 1.500 ouvriers et disposait de 6 % de la VTI. L’Industrie Chimique et Pharmaceutique n’avait que 10 % de la VTI.

  • 1 En 1969, ces rapports étaient de 44,27 % pour l’agriculture et de 11,32 % pour l’industrie.
  • 34 IPARDES, AE 6.1.1. (b) vol. 3.

50Ainsi, à ses débuts, l’industrie était tournée essentiellement vers le traitement de la production agricole. Cette structure de production garda ses caractéristiques principales pendant plus de vingt ans, jusqu’au milieu des années 1960. Cet immobilisme se répercuta sur la capacité de création d’emplois et l’industrie ne put devenir une source dynamique d’absorption de main-d’œuvre. Le secteur secondaire ne réussit pas non plus à égaler le revenu du secteur primaire : en 1939, l’agriculture détenait 48,51 % du Revenu Interne à l’Etat, tandis que l’industrie représentait 13,99 %134. Quant à la création d’emplois, avec les progrès de la technologie, le besoin global de main-d’œuvre diminua et la demande de personnel qualifié augmenta. Mais au Parana, comme ailleurs au Brésil, la force de travail “libérée” par l’agriculture ne possédait aucune qualification et vint gonfler le secteur tertiaire, faute de place dans le secteur secondaire.

51Les deux principales industries, celle des Produits Alimentaires et celle du Bois, n’entraînèrent pas des réactions en chaîne, en amont et en aval, caractéristique des industries “industrialisantes”. Etant donné l’importance de l’agriculture dans la colonisation du Parana, l’industrie resta attachée aux activités liées au secteur primaire. Cette situation changea peu au cours de la période : selon les calculs effectués par l’Instituto Paranaense de Desenvolvimento Economico e Social (IPARDES), en 1949, la participation de l’agro-industrie dans le total de l’industrie de transformation était de 53 % du nombre d’établissements, 56 % du nombre d’ouvriers et 68 % de la VTI. En 1959, l’industrie liée directement aux activités agricoles comptait 54 % des entreprises, 61 % de la main d’œuvre et 73 % de la VTI. C’était l’époque du grand essor du café au Parana ; l’industrie de Produits Alimentaires (traitement et torréfaction du café) passa de 31 % de la VTI en 1949, à 37 % en 1959. Toutefois, vers 1970, l’agro-industrie voyait diminuer légèrement sa participation dans les résultats de l’industrie au Parana, sans doute à cause de la politique d’élimination des caféiers. Cela réduisit la part de l’industrie de Produits Alimentaires de 37 % à 24 % de la VTI. Il y eût donc, entre 1960 et 1970, une petite modification dans la structure de production de l’industrie qui permit aux secteurs non directement liés à l’agriculture d’acquérir une plus grande importance. Ces transformations n’affectèrent pas la structure de production en profondeur car il s’agissait d’une diminution relative et non absolue des activités agro-industrielles. Cette modification serait plutôt le fruit d’une accélération de la productivité des industries dynamiques que d’une réduction de l’activité des industries traditionnelles.

Structure de la Production Industrielle (1940 à 1970)

Structure de la Production Industrielle (1940 à 1970)

* (Cruzeiros constants 1950)
Sources : IPARDES - Annexe statistique - 3e volume (chiffres absolus) – Comissâo Interestadual Racia Parana - Uruguai 2e vol. (1940)

52Dans l’industrie, l’incorporation de la main-d’œuvre s’effectua à un rythme irrégulier. Entre 1940 et 1950 l’accroissement des emplois fut de 68 %, mais la productivité de la main-d’œuvre augmenta en général. Or, l’augmentation de la productivité supposait une utilisation plus intense du capital ou une rationalisation de la production. Entre 1940 et 1950, il y eût probablement un certain apport technologique, qui augmenta la productivité sans amoindrir la demande de main-d’œuvre. Cette période fut caractérisée par une augmentation globale de l’activité industrielle.

53En 1950, les deux branches principales, Produits Alimentaires et Bois, assuraient 60 % de la VTI et 53 % des emplois dans l’industrie de transformation du Parana. L’industrie alimentaire augmenta de 244 % sa VTI et de 66 % sa main-d’œuvre. L’industrie du Bois accrut sa VTI de 82 % et son personnel de 31 %. Tous les autres secteurs, à l’exception de la Métallurgie, virent leur VTI s’élever plus que leur main-d’œuvre, d’où un accroissement global de productivité. Donc, on enregistra un net accroissement de la participation du secteur secondaire quant à l’emploi de la main-d’œuvre : 10,8 % en 1940 et 12,2 % en 1950.

54Dans la période s’étendant de 1950 à 1960, le rythme d’absorption de la main-d’œuvre fut encore plus rapide : l’effectif des ouvriers employés dans l’industrie s’éleva de 107 % (contre 68 % entre 1940 et 1950). Par contre, la croissance de la VTI ralentit : 166 % entre 1940 et 1950, puis 126,8 % entre 1950 et 1960. La branche industrielle des Produits Alimentaires, avec la torréfaction du café en pleine expansion eût une augmentation de la VTI de 170 % et une croissance de la main-d’œuvre de 147 %. Ce secteur connut une hausse de productivité, plus faible cependant, que celle de la décennie précédente (8,9 % contre 106 %). L’industrie du Bois augmenta sa VTI de 133 % et son effectif de 124 % ; il y eut également une augmentation de productivité. En chiffres absolus, toutes les catégories industrielles augmentèrent la main-d’œuvre employée, ce qui, pour certains secteurs, représenta une baisse de productivité ; par exemple, pour la construction mécanique, le matériel de Transport, le Papier-Carton, les Boissons, l’Edition et la Parfumerie. Quant aux secteurs dont la productivité augmenta, l’amélioration fut très modérée par rapport à la période précédente et à la période suivante. Selon l’IPARDES, l’augmentation exceptionnelle de la main-d’œuvre dans l’industrie de transformation fut la conséquence d’une meilleure utilisation de la capacité industrielle déjà installée.

  • 35 IPARDES, vol. 3, pg 11/11.

55Au cours des années 1950, l’utilisation intensive du travail dans le secteur industriel fut favorable à l’économie de l’Etat. L’abondance de la main-d œuvre permit une rémunération très faible du travail (légèrement supérieure au salaire minimum de 1951 et légèrement inférieure au niveau fixé officiellement en 1959). L’augmentation de la valeur produite et la faiblesse des salaires aidèrent à la formation du capital, qui fut employé de manière plus intensive dans la décennie suivante35. L’emploi accru de la force de travail entraîna une diminution de la densité de capital (K) par ouvrier, mais de la relation VTI/Capital (VTI + K) découla une augmentation de la productivité du capital. On assista donc, à une diminution de la productivité de la main-d’œuvre (VTI + Ouvriers) et à une augmentation de la productivité du capital dans la période 1949-1959. Malgré la croissance globale du secteur industriel, certaines branches évoluèrent plus ou moins bien. Cependant, ces changements n’altérèrent pas la prépondérance des industries du Bois et des Produits Alimentaires et la faible participation des industries de biens de consommation. Les investissements restaient toujours fidèles au secteur le plus lucratif : l’agro-industrie. Le secteur des biens de consommation était délaissé à cause de la concurrence de Sâo Paulo et du manque de réseau routier pour la distribution des produits.

56Dans la période 1960-1970, l’implantation d’une infra-structure de transports et le développement de l’énergie électrique favorisèrent les investissements industriels. La structure de la production reposait toujours sur l’agro-industrie et restait dominée par l’industrie des Produits Alimentaires et du Bois. En 1970, l’agro-industrie représentait 65 % de la VTI, dont 32 % pour les Produits Alimentaires et 34,7 % pour le Bois. Cependant, peu à peu, d’autres industries augmentèrent leur participation alors que s’ébaucha une nouvelle conjoncture avec le déclin du café et l’intégration des différentes régions de l’Etat dans un marché unique. En 1970, on enregistra un essor appréciable des industries textiles, dû à la croissance des cultures de fibres végétales ; de l’industrie chimique, avec le développement des insecticides et des fertilisants agricoles ; de l’industrie du Papier-Carton. D’un autre côté, la construction civile créa une demande de minerais non métalliques. Les nouvelles routes exigèrent plus de matériel de transport. Le caoutchouc et les plastiques connurent une nette augmentation. D’autres biens de consommation accrurent leur participation, tels l’ameublement, les boissons, l’édition.

57Pendant cette décennie, la modification la plus notable se produisit au niveau de l’utilisation des facteurs de production : la réduction de l’embauche et l’augmentation de la productivité signalèrent un changement technologique, l’utilisation plus intensive du capital. Entre 1960 et 1970, la productivité de la force de travail augmenta de manière extraordinaire par rapport aux décennies précédentes, dans toutes les branches de l’industrie. Le nombre des ouvriers s’accrut également de 58 % ; mais leur part sur le total du personnel employé diminua de 85 % à 80 % ; et leurs salaires, sur le total de salaires payés, de 77 % à 70 %. Il y eut donc une main-d’œuvre réduite pour une production accrue.

58Les industries traditionnelles, Produits Alimentaires et Bois, tout en conservant leur prépondérance, virent leur participation à l’ensemble diminuer de 37 % à 23 % et de 29 % à 26 %, respectivement entre 1960 et 1970, quant à la VTI. Leur productivité augmenta faiblement, d’environ 15 %, tandis que les autres secteurs firent de véritables bonds en avant. Les biens de consommation pour faire face à la concurrence directe de Sâo Paulo, durent accroître leur niveau technologique : l’augmentation de la productivité se situa entre 67 % et 84 % selon les branches. Les biens de capital et intermédiaires virent s’élever leur productivité (jusqu’à 300 %, pour les Matières Plastiques). L’accroissement des salaires moyens démontra le besoin d’une main-d’œuvre plus qualifiée. En définitive, l’augmentation de la valeur produite (VTI) se fit à un rythme beaucoup plus rapide que l’incorporation de la main-d’œuvre.

***

59Etat fertile, le Parana fut le cadre d’un des plus gigantesques mouvements de population du Brésil. La possibilité de cultiver le café, l’or noir de l’époque, et la perspective de nouvelles terres, grasses et libres, déplaça des milliers de migrants venus de toutes les régions du pays.

60L’installation des nouveaux arrivants se fit sur des moyennes propriétés. Mais tous ne disposaient pas des ressources nécessaires pour l’achat des terres et devinrent “posseiros” ou louèrent leur force de travail. La mise en valeur de la terre fut l’axe de l’économie du Paraná, à partir des années 1940, lorsque les grandes migrations débutèrent. Le café était le moteur économique, mais l’organisation de la structure agraire favorisa, dans certaines régions, une certaine diversification agricole. A cause des différentes formes de colonisation, la place occupée par les petites et moyennes propriétés de moins de 20 hectares fut plus importante au Parana que dans le reste du Brésil, ce qui n’excluait pas une grande inégalité de la distribution des terres. La tendance fut à la multiplication des propriétés de moins de 20 hectares. L’installation d’une classe moyenne rurale au Parana permettait d’espérer une occupation de la terre par de petites et moyennes entreprises. Pourtant les grandes propriétés accaparaient encore près de la moitié des terres en 1970. Le Parana suivit donc l’évolution générale de la structure agraire au Brésil dans le sens du morcellement des petites propriétés. Cela eut des conséquences néfastes, particulièrement lors de la réduction de la production du café, qui entraîna une extension du chômage et une redistribution de la main-d’œuvre.

61Si l’économie du Parana était fondée sur une certaine monoculture du café, d’autres cultures avaient également leur place dans la production agricole. Mais, à partir de 1970, la culture du soja, remplaça rapidement les produits traditionnels. A la différence de la culture du café, la culture du soja utilisa le capital plus intensément que la main-d’œuvre. Dès lors, n’ayant pratiquement plus de terres à défricher, son marché du travail agricole se rétrécissant, le Parana dut affronter le problème de l’exode rural et ses conséquences sociales. A ce moment, l’industrie aurait dû absorber la main-d’œuvre excédentaire. Ce qu’elle fit mal.

62L’industrialisation au Parana s’était réalisée d’une manière progressive, sans modification de la structure de production. De 1940 à 1970, les Produits Alimentaires et le Bois restèrent les deux branches les plus importantes de l’industrie au Parana. Les entreprises industrielles eurent tendance à recourir à des technologies plus sophistiquées, qui exigeaient moins de main-d’œuvre. L’absorption de la population active par l’industrie de transformation, qui ne dépassait pas 6,6 % en 1950, tomba à 5,2 % en 1970. C’est ainsi que le développement de l’industrie au Parana se fît parallèlement à une diminution de l’embauche.

63L’évolution de la structure agraire d’une part, celle de la structure industrielle de l’autre, tendirent à une même libération de la force de travail : pour les campagnes, la conséquence fut l’emploi rural ; pour les villes, le sous-emploi, le secteur tertiaire parasitaire, les “favelas”. Bien que différent, le développement du Parana mena aux mêmes résultats que dans le reste du Brésil : la concentration des richesses et la marginalisation d’une partie de la population.

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– “Problemas de Desenvolvimento : necessidades e possibilidades dos Estados do Rio Grande do Sul, Santa Catarina e Parana - 3 vol., Sâo Paulo, 1958.

Notes

1 BALHANA, A. et allii., Historia do Parana, p. 221.

2 Idem, p. 232/233.

3 Idem, p. 216.

4 Idem, p. 221.

5 BRET, Bernard, L’Agriculture du Brésil, p. 72.

6 BARBOSA OLIVEIRA et allii. – Estudos de Desenvolvimento Regional, p. 28.

7 Recensement Général, 1940/1950.

8 IPARDES, 3e vol., AE 3.4. (d).

9 BALHANA, op. cit., p. 216.

10 BERNARDES, Lysia, O problema das frentes pioneiras no Estado do Parana, p. 14.

11 BALHANA, op. cit. p. 219.

12 COSTA GUIMARAES, Odah, Planos de Colonizaçao, p. 12.

13 BALHANA, op. cit., p. 161/162.

14 PADIS, Pedro, Formaçao de uma economia periferica, p. 243/221/222.

15 IBGE - Censo Geral 1950/Censo Geral 1970/IPARDES, 3e vol. AE 8.2.1. (c).

16 KRETZEN - As grandes potencias... p. 47.

17 GOVERNO DO PARANA - “Contribuiçao para o Plano Diretor...”, p. 176.

18 AGUIAR, R. - “Parana”, p. 119.

19 F.G.V., - Conjuntura Economica, Vol. 27, No 12, 1973.

20 IBGE, Sinopse Estatística do Brasil, 1975, p. 127.

21 F.G.V., Conjuntura Economica, Vol. 27, no 12, 1973.

22 BARBOSA OLIVEIRA, op. cit., p. 87.

23 IBC - Cultura do Café no Brasil, p. 13.

24 BALHANA, op. cit. p. 224.

25 IBC, op. cit., p. 11.

26 F.G.V., Conjuntura Economica, vol. 30, n6, 1976.

27 Objetivos e Metas do Governo do Parana 75/78 - s/pg.

28 IPARDES, 1 vol., p. 3/62.

29 PDU, Política de Desenvolvimento Urbano..., s/pg.

30 Revista Veja, 5/1/78, p. 41.

31 Références quantitatives, 3e volume, IPARDES.

32 IPARDES, AE8. 1.a vol. 3.

33 VTI = Valeur de Transformation Industrielle (la valeur prise par l’IPARDES comme celle approchant le plus de la Valeur Ajoutée).

34 IPARDES, AE 6.1.1. (b) vol. 3.

35 IPARDES, vol. 3, pg 11/11.

Notes de fin

1 En 1969, ces rapports étaient de 44,27 % pour l’agriculture et de 11,32 % pour l’industrie.

Table des illustrations

Titre Etablissements Agricoles par Superficie Paraná 1940 à 1970 (%)
URL http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/3467/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 268k
Titre Main d’œuvre employée dans les établissements agricoles (par superficie – 1940/1970 –) en pourcentage
Légende Source : IPARDES - Annexe Statistique No AE 82.1(6) - Volume NIII.
URL http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/3467/img-2.jpg
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Titre Valeur de la production agricole Cr. $ 1.000 = courants
Légende Sources : IBGE : Annuaire statistique jusqu’en 1960 – Indicadores Ec. Governo do Paranà – F.G.V. Conjuntura Economica - vol.25, N9, 1971.
URL http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/3467/img-3.jpg
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Titre Structure de la Production Industrielle (1940 à 1970)
Légende * (Cruzeiros constants 1950)Sources : IPARDES - Annexe statistique - 3e volume (chiffres absolus) – Comissâo Interestadual Racia Parana - Uruguai 2e vol. (1940)
URL http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/3467/img-4.jpg
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© Éditions de l’IHEAL, 1980

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