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L’industrialisation des pays de la Plata

 | 
Frédéric Mauro
, 
Guy Bourdé

Le monde des affaires et l’industrie de substitution en Argentine (1929-1949)

Guy Bourdé

Texte intégral

1Entre 1929 et 1949, l’Argentine connaît une industrialisation intense, caractérisée par la substitution des importations de biens non durables. Devant un tel bouleversement des structures économiques, comment se comportent les groupes dirigeants ou, si l’on préfère, les diverses fractions de la classe dirigeante ?

  • 1 D’une certaine manière, cette étude prolonge “en amont”, pour la période 1929-1949, l’ouvrage de J. (...)

2Les historiens et les sociologues, inspirés par les schémas d’une analyse marxiste traditionnelle, qu’ils soient proches du parti socialiste ou du parti communiste – tels J. Oddone, R. Iscaro et d’autres – formulent l’interprétation suivante : l’oligarchie foncière, liée à l’impérialisme étranger, s’est efforcée de maintenir la prééminence de l’agriculture et de l’élevage ; la bourgeoisie industrielle, de tendance nationaliste, a cherché à imposer la production manufacturière ; d’où des rivalités, des conflits et, en fin de compte, la victoire d’une classe en ascension sur une classe en déclin. D’autres experts en sciences sociales – comme G. Di Telia, M. Zymelman, A. Ferrer – souvent tentés par le “desarrollismo”, estiment que, volontairement ou involontairement, les grands propriétaires fonciers ont favorisé la croissance industrielle, donc qu’ils ne sont pas opposés mais alliés aux chefs d’entreprises manufacturières. Ces dernières années, des jeunes sociologues qui ont lu Marx et Lénine mais aussi Gramcsi et Althusser – ainsi M. Murmis, J.C. Portantiero, J. Niosi – ont réfléchi au problème en termes d’alliance de classes, de “bloc historique” dans lequel l’un des groupes détient le rôle hégémonique1. Notre propos est de mettre à jour les relations complexes qui se nouent entre les négociants, les latifundiaires, les entrepreneurs et les politiciens dans un cadre chronologique précis correspondant au premier âge de la substitution.

3La documentation disponible est assez abondante quoiqu’incomplète. Pour apprécier l’évolution industrielle, on peut consulter les recensements économiques de 1935, 1937, 1941, 1943, 1946 et 1950 ; et puiser dans certains ouvragés spécialisés : A. Dorfman, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires, 1942 ; C. Diaz Alejandro, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970 ; D. Felix, Industrialización sustitutiva de importaciones, Buenos Aires, Instituto Di Telia, 1965. Pour comprendre les attitudes des groupes dirigeants, on peut analyser la série mensuelle de la Revista de Economia Argentina, presque complète entre 1930 et 1950 ; on peut dépouiller la collection de La Nación, le quotidien de l’oligarchie porteña, de 1930 à 1940 et de 1945 à 1950 ; on peut encore utiliser des rapports, des enquêtes, des discours officiels, par exemple : F. Pinedo, Plan de accion economica, 1934 ; A. Dorfman – F. Sintes Olives, Encuesta sobre fomento de industrias, 1944, Consejo de post-guerra, Ordenamiento economico-social, 1945 ; Primer congreso de la AAPIC, 1947, etc.

4Tous ces documents sont accessibles en Europe, à Paris, Londres, Madrid et Genève (au BIT). Seules font défaut des sources essentielles, les mémoires ou les annuaires de la Bourse du Commerce, de la Société Rurale, de l’Union Industrielle et autres organismes patronaux, qui se trouvent à Buenos-Aires.

La substitution des importations (1929-1949)

  • 2 Sur l’économie primaire d’exportation, il convient de se reporter à R.M. ORTIZ, Historia economica (...)

5De 1862 à 1929, l’Argentine s’édifie dans le cadre de l’économie primaire d’exportation. La région pampéenne est mise en valeur par une masse d’immigrants européens et spécialisée dans la production des laines, des viandes et des céréales destinées au Vieux Continent. L’Europe occidentale, particulièrement la Grande Bretagne, absorbe les denrées alimentaires et les matières premières et fournit en échange les investissements d’infrastructure et les produits manufacturés. Sous un tel régime, l’industrie argentine a quelque peine à se développer. Cependant, la division internationale du travail ainsi conçue implique la création d’une industrie “induite” de l’économie d’exportation – chemins de fer, ports et docks, équipements urbains, frigorifiques, moulins à farine – ; et tolère l’implantation d’un artisanat transformant les produits importés pour le peuple des immigrants – métiers du bâtiment, de l’ameublement, de la confection, des arts graphiques –. A la faveur d’une crise, par exemple le krach Baring au début des années 1890, ou d’une guerre, notamment le conflit mondial de 1914 à 1918, les échanges s’interrompent ; les entreprises locales, qui peuvent respirer, se multiplient. Mais lorsque la prospérité revient, les circuits traditionnels se remettent à fonctionner ; les firmes argentines périclitent car elles sont incapables de résister à la concurrence des sociétés étrangères2.

6La grande dépression, qui éclate en 1929 et se prolonge au moins jusqu’en 1939, provoque l’effondrement des relations commerciales à l’échelle planétaire.

Commerce mondial (en indices)

1929

1932

1934

1938

Ensemble

100,0

38,8

32,5

40,4

Etats-Unis

100,0

30,5

23,5

31,2

Grande-Bretagne

100,0

39,7

36,3

42,8

France

100,0

45,8

37,7

30,6

Argentine

100,0

49,0

61,8

69,4

7L’Argentine, sans être le pays le plus touché, souffre néanmoins gravement. D’autant que les termes de l’échange se détériorent. Entre 1928 et 1938, les prix des produits agro-pastoraux tombent de l’indice 108 à l’indice 90, tandis que les prix des produits manufacturés s’élèvent de l’indice 94 à l’indice 109. Ce que l’Argentine pouvait acheter à ses partenaires avec 100 pesos avant la crise lui coûte 165 pesos au plus fort de la dépression. Faute de pouvoir exporter, il faut se résoudre à ne plus importer, ou à importer moins.

Commerce argentin

Commerce argentin
  • 3 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires, 1942, p. 73-77 (tableaux).

8En contraignant l’Argentine à restreindre ses importations étrangères et à les remplacer par des productions locales, la crise mondiale ouvre à l’industrie nationale son propre marché3.

9L’Argentine, à peine rétablie du traumatisme de la grande dépression, subit le choc de la seconde guerre. Toutefois, de 1939 à 1945, l’économie pampéenne dispose d’une position relativement favorable.

Commerce argentin (en millions de pesos)

Exportations

Importations

Soldes

1939

1.573

1.338

+ 235

1940

1.428

1.499

- 71

1941

1.465

1.277

+ 188

1942

1.789

1.274

+ 515

1943

2.192

942

+ 1.250

1944

2.360

1.007

+ 1.353

1945

2.498

1.154

+ 1.344

10Les gains provenant des ventes de céréales et de viandes s’accumulent mais ne permettent pas d’acheter des biens d’équipements car les pays belligérants ne sont pas en mesure d’offrir des produits manufacturés. Un rapport officiel souligne la contradiction.

  • 4 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico-social, Buenos Aires, 1945, p. 14.

“La valeur des exportations, après une contraction passagère dans les années 1940 et 1941, a connu un essor extraordinaire entre 1942 et 1945. La fermeture des marchés du continent européen a été largement compensée par les ventes énormes à la Grande-Bretagne et aux pays américains, notamment les Etats-Unis et le Brésil. Au contraire, les importations ont diminué beaucoup jusqu’à descendre en 1943 à une valeur inférieure de 30 % à celle de 1939. D’où le solde positif des échanges extérieurs... La situation avantageuse que montrent les dernières balances des paiements – de 1939 à 1944 – est en partie limitée par le fait que nos clients traditionnels ont été obligés, en raison de la guerre, de passer avec nous des accords de compensation. Ainsi la Grande Bretagne et l’Espagne, qui sont débiteurs de l’Argentine ne peuvent payer leurs achats. Ce qui crée une gêne pour notre économie et conduit notre gouvernement à acquérir de l’or et à rapatrier progressivement la dette extérieure”4.

  • 5 C. DIAZ-ALEJANDRO, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970, p. 110 e (...)

11Dans l’immédiat après-guerre, de 1945 à 1949, la prospérité renaît sur les rives du Rio de la Plata. Les exportations de viandes et de céréales continuent à progresser, grimpant de l’indice 119 à l’indice 344 et les importations de produits manufacturés se redressent, passant de l'indice 152 à l’indice 276. Pourtant, l’Argentine ne parvient pas à utiliser pleinement ses ressources car les métropoles occidentales ne lui livrent pas les matières premières et les machines-outils nécessaires, soit qu’elles ne disposent pas de biens d’équipement, soit qu’elles se méfient du régime péroniste. En conséquence, le principal stimulant de l’industrie locale, c’est l’élargissement du marché de consommation. Profitant d’une conjoncture favorable, le gouvernement du général Perón accorde des avantages sociaux, encourage les hausses de salaires, multiplie les emplois dans les services. L’expansion de la production suit, avec quelque retard, la montée du pouvoir d’achat5.

Salaire réel par tête

P.I.B. par tête

1935-1939

97

96

1940-1942

107

103

1943-1944

117

109

1945-1946

120

110

1947-1949

162

123

  • 6 FIAT - ARGENTINA, Sintesis economica y financiera no 1, diciembre de 1960, p. 78-79 (d’après les st (...)

12Après avoir examiné les facteurs externes ou internes pesant sur l’industrie argentine, il convient d’esquisser ses traits structurels. Entre 1929 et 1949, la substitution des importations s’opère sans aide extérieure. En effet, au cours de la période, la masse des capitaux étrangers investis en Argentine a plutôt tendance à régresser6.

Capitaux étrangers

Capitaux étrangers

13Du krach de Wall Street jusqu’à l’ouverture de la guerre mondiale, la masse des capitaux étrangers tend à se stabiliser, puis, pendant le conflit et dans l’après-guerre, diminue presque des deux-tiers. Les placements dans les titres publics sont retirés dès l’époque de la crise ; les placements dans les chemins de fer disparaissent au lendemain de la guerre ; mais les placements dans les entreprises commerciales et industrielles subsistent tout au long de la période. Les investissements de la Grande-Bretagne, qui formaient plus de la moitié de l’ensemble, s’effondrent dans l’immédiat après-guerre ; tandis que progressent les investissements des Etats-Unis, du Canada et de certains pays d’Europe.

  • 7 FIAT - ARGENTINA, Opus cité p. 11-12.

14Cependant, par prélèvement sur le revenu national, le taux d’investissement net se maintient : il dépasse 5 % de 1935 à 1941, tombe pratiquement à zéro de 1942 à 1945, puis se relève à plus de 12 % de 1946 à 1949. Ainsi le capital national vient pallier la défaillance du capital étranger7.

15L’industrie manufacturière demeure peu concentrée. En 1935, 84,8 % des établissements n’ont pas de salariés ou en comptent moins de dix ; ils se consacrent donc à des activités artisanales ; seuls 2,0 % des établissements, qui ont plus de cent ouvriers, ressemblent à des entreprises industrielles.

Taux d'investissement (en prix constants 1950)

Taux d'investissement (en prix constants 1950)

Structures des entreprises en 1935

Structures des entreprises en 1935

16En 1946, les structures ne changent guère : 85,0 % des établissements, ayant moins de dix ouvriers, restent de petits ateliers ; 1,6 % des établissements, ayant plus de cent ouvriers, ont l’aspect d’usines.

Structures des entreprises en 1946

Structures des entreprises en 1946
  • 8 Censo industrial 1935 (d’après A. DORFMAN, Opus cité, p. 245); censo industrial 1946, p. 11 ; R. SA (...)

17D’une manière générale, l’entreprise qui pratique la substitution des importations garde une taille réduite, un caractère presque artisanal8.

18L’essor industriel correspond davantage à une augmentation des ouvriers qu’à un accroissement des machines.

1935

1941

1946

Etablissements

38.456

53.797

86.440

Employés

49.295

74.086

135.484

Ouvriers

418.020

633.411

938.387

Moteurs primaires H.P.

2.026.653

2.411.323

2.631.992

Moteurs électriques H.P.

655.495

1.121.729

1.526.124

  • 9 Censo industrial 1946 p. 16 ; C. DIAZ ALEJANDRO, Opus cité p. 334 (tableau 6-10 d’après les statist (...)

19Entre 1935 et 1946, la main d’œuvre fait plus que doubler tandis que la force motrice stagne (à l’exception des moteurs électriques). Toutefois la mécanisation, qui est entravée par l’interruption des échanges pendant la seconde guerre mondiale, est relancée par le gouvernement péroniste, à l’époque du premier plan quinquennal (1946-1951). Mais les nouveaux équipements achetés à l’étranger sont destinés plutôt aux services publics qu’aux industries substitutives9.

Formation du capital fixe. Moyenne annuelle en millions de pesos (prix constants de 1960)

Formation du capital fixe. Moyenne annuelle en millions de pesos (prix constants de 1960)
  • 10 FIAT - ARGENTINA, Sintesis economica y financiera, no 1, diciembre de 1960, p. 33-34 ; C. DIAZ ALEJ (...)

20La croissance varie beaucoup selon les branches industrielles. Pour en évaluer les rythmes, on peut considérer le volume de la production10.

Volume de la production industrielle en indices 1943 = 100

1937

1941

1945

1949

Ensemble des industries

83,8

94,3

114,2

144,4

Alimentation

80,0

88,5

98,7

109,6

Tabac

82,7

92,1

110,2

142,5

Textiles

62,8

77,4

121,8

157,1

Confection

99,5

100,5

125,3

162,6

Bois

81,2

78,7

134,3

134,0

Papier

58,9

91,2

102,3

118,3

Livre

120,0

134,9

118,9

144,1

Produits chimiques

54,4

88,8

105,4

122,9

Pétrole et dérivés

82,5

103,0

93,6

139,1

Caoutchouc

409,5

444,7

90,1

539,1

Cuit

51,0

79,5

116,7

102,9

Pierre-Verre-Terre

67,4

83,2

106,0

131,5

Métaux

133,1

125,4

132,6

201,2

Machines - Véhicules

81,7

79,8

114,1

139,4

Appareils électriques

85,6

133,8

93,1

275,9

  • 11 D. FELIX, Industrialización sustitutiva de importaciones y exportación industrial en la Argentina, (...)

21Dès la première guerre mondiale, l’industrie alimentaire représente le “leading sector”, la branche professionnelle dont l’expansion est la plus rapide, avec ses frigorifiques, ses moulins à farine, ses brasseries, ses caves viticoles, ses fabriques de conserves, de pâtes, de biscuits, etc. Puis, au temps de la grande dépression, le secteur dominant devient celui de l’industrie textile – coton et laine – qui entraîne les branches annexes de la confection, du cuir et de l’ameublement. Pendant la seconde guerre mondiale, les tendances antérieures se confirment mais quelques branches, telles le caoutchouc et le pétrole, s’effondrent à cause du manque d’approvisionnement extérieur. Sous le régime péroniste, l’alimentation, le bâtiment, le livre, bientôt suivis par les textiles et le cuir ralentissent peu à peu leur course alors que de nouvelles branches, la métallurgie, l’appareillage électrique, la chimie prennent le relais, démarrant à grande vitesse. Selon David Félix, les industries substitutives ont une croissance “parabolique” et une faible longévité : “elles ont une propension déconcertante à se convertir d’industries en développement en industries parvenues précocement à maturité”11.

22Dans l’immédiat après-guerre, l’Argentine nage dans l’opulence, dispose d’une balance des paiements largement excédentaire, peut rembourser sa dette extérieure et améliorer le niveau de vie de sa population. Puis, brusquement, de 1949 à 1952, une crise violente balaie la prospérité : la valeur du peso s’effondre ; l’inflation des prix s’accélère ; la production décline ; la faillite menace les firmes ; le chômage s’étend. Le régime péroniste est frappé de plein fouet, perd ses appuis sociaux et doit réviser ses options. Au delà d’une péripétie cyclique, la crise de 1949-1952 clôt le processus de la substitution des biens non durables. En effet, les activités économiques sont entravées par plusieurs “goulets d’étranglement”. En premier lieu, comme l’industrie de substitution n’est pas ou peu planifiée, on aboutit à des retards dans la fourniture d’énergie, dans la mise en place des transports, dans la formation des techniciens. En second lieu, l’essor des industries de consommation nécessite des équipements qui sont, le plus souvent, importés. Or la dégradation des termes de l’échange, passé l’intermède de la guerre, restreint la capacité de l’Argentine à importer. En dernier lieu, la hausse des salaires et l’octroi d’avantages sociaux enclenchent l’inflation des prix intérieurs, laquelle réduit progressivement le pouvoir d’achat, donc le marché de consommation. Lorsque la crise est surmontée, avec Perón puis sans Perón, l’Argentine s’engage dans une nouvelle étape : la substitution des biens durables, mais sous le contrôle des compagnies “multinationales”.

Les milieux d’affaires, les radicaux et les militaires (1929-1932)

  • 12 La faiblesse des taxes douanières est soulignée par A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Bue (...)

23Entre la première guerre et la grande dépression, l’Argentine est gouvernée par des présidents radicaux : Yrigoyen, de 1916 à 1922 ; Alvear, de 1922 à 1928 ; de nouveau Yrigoyen, de 1928 à 1930. On estime traditionnellement qu’au temps des administrations radicales, les tarifs douaniers sont bas, qu’ils ont pour fonction essentielle d’alimenter les caisses de l’Etat et qu’ils sont insuffisants pour protéger les industries locales. De fait, au sortir d’une guerre qui, en gênant les communications internationales, a amorcé un processus de substitution des importations, les entreprises argentines ne peuvent s’abriter derrière des barrières protectrices et résistent mal à la concurrence des firmes étrangères. Pourtant, de l’avis de certains auteurs, il ne faut pas exagérer le libre-échangisme argentin. Car, entre 1905 et 1930, si près d’un tiers des articles importés – par exemple, le charbon ou le matériel ferroviaire – entrent en franchise, des matières premières – comme le coton ou la laine à l’état brut – sont frappées d’un droit de 5 % ad valorem, et divers produits manufacturés supportent des taxes relativement lourdes – 40 à 45 % sur les tissus de laine et de coton, les chaussures, les meubles, les cigarettes, etc.12. Quoi qu’il en soit, les gouvernements radicaux ne se montrent pas plus protectionnistes que les gouvernements conservateurs qui les ont précédés.

24La politique douanière des radicaux s’explique par leurs attaches avec les négociants et les latifundiaires. L’Union Civique Radicale, surtout dans son aile anti-personnaliste mais aussi dans son aile yrigoyeniste, compte des représentants des grandes familles oligarchiques – Alvear, Puyrredon, Le Breton, Laurencena, Cantilo, Saguier, Gallardo, Pereyra Iraola et d’autres – qui ne manquent jamais de défendre les intérêts agro-pastoraux. Par ailleurs, le parti radical s’appuie sur les masses, les petits paysans, les fonctionnaires, les employés et même certains ouvriers. A son apogée, en 1928, l’UCR recueille les deux-tiers des suffrages (840.000 voix sur 1.300.000 votants). Or les couches populaires se soucient avant tout de préserver leur pouvoir d’achat, désirent des articles importés aux meilleurs prix, donc ne veulent pas des taxes douanières. Ni au sommet ni à la base, l’UCR n’est poussée à remettre en cause l’économie primaire d’exportation.

25A cette époque, les entrepreneurs industriels sont presque tous des immigrants européens ou des fils d’immigrants européens ou des fils d’immigrants de la première génération. En 1914, à Buenos-Aires, les chefs d’entreprise sont étrangers dans la proportion de 84 % pour la confection, 77 % pour la métallurgie, 72 % pour le bâtiment, 66 % pour la chimie, 58 % pour l’alimentation, etc. Un historien observe :

  • 13 O. CORNBLIT, Immigrantes y empresarios en la política argentina in “Los fragmentos del poder” Bueno (...)

“Vers 1918, il existe, principalement à Buenos-Aires et dans ses districts suburbains, une couche sociale d’entrepreneurs qui est parvenue à un stade de maturité suffisant pour faire valoir ses intérêts économiques auprès du gouvernement. Mais la communication s’établit mal entre les chefs d’entreprise et les hommes politiques, notamment les dirigeants radicaux... Le manque de liaison entre les industriels et les radicaux est parfaitement illustré par la baisse des tarifs douaniers décidée à la fin de la première guerre mondiale.”13.

26C’est ainsi qu’en 1919, la loi budgétaire présentée par le gouvernement Yrigoyen prévoit une réduction des droits de douane ; qu’en 1925, le gouvernement Alvear diminue de 10 % les tarifs sur les tissus importés. Ces mesures anti-protectionnistes mettent en difficulté de nombreuses entreprises locales – des lavoirs, des filatures, des verreries, des huileries, des constructions mécaniques.

  • 14 La Nación, 1er janvier 1930. Note de l’UIA adressée au gouvernement.
  • 15 Revista de Economia Argentina no 147, septembre 1930, p. 209-215. Mémoire présenté par les dirigean (...)

27Lorsqu’en septembre 1929, l’économie capitaliste sombre dans une longue crise, le gouvernement argentin, alors présidé par Yrigoyen, ne réagit pratiquement pas. Dès janvier 1930, le patronat industriel demande à l’administration radicale de dresser des barrières protectrices, comme viennent de le faire les autorités des Etats-Unis, du Brésil, du Chili et d’autres voisins américains14. Bientôt, les industriels trouvent l’appui des négociants et des éleveurs. En août 1930, les délégués de la Société Rurale, de la Confédération du Commerce et de l’Union Industrielle présentent au président de la République un mémoire sur la dégradation de l’économie nationale. Les représentants patronaux rappellent la chute des exportations, la baisse des recettes douanières et la dévalorisation de la monnaie survenues en un semestre ; ils réclament une aide de l’Etat pour soutenir l’agriculture et l’élevage et leur permettre d’imposer leurs productions sur les marchés extérieurs ; une protection de l’industrie manufacturière afin de lui réserver le marché intérieur ; et la réouverture de la Caisse de Conversion en vue d’assainir la circulation monétaire15. Mais le président Yrigoyen et ses ministres paraissent ignorer les suggestions des milieux d’affaires.

  • 16 La Nación, 1, 4 et 7 septembre 1930.

28Le “caudillo” radical, amoindri par son grand âge, de surcroît mal conseillé, est incapable de prendre une initiative mais refuse de démissionner. Alors l’oligarchie décide d’en finir avec l’équipe en place. Le 9 août 1930, dans un manifeste, les parlementaires conservateurs dénoncent le “despotisme personnaliste” et son mépris de l’opposition ; ils exigent un “ministère responsable” qui gère sainement les finances publiques. Le 30 août 1930, à la fête de la Société Rurale, dans les beaux quartiers de Palermo, le ministre de l’Agriculture, J.B. Fleitas, est sifflé, conspué, malmené par des jeunes gens de bonne famille qui veulent “qu’Yrigoyen s’en aille”. Du 3 au 5 septembre 1930, se succèdent des manifestations d’étudiants et des meetings des partis d’opposition. Et le 6 septembre 1930, le général José E. Uriburu et quelques officiers, accompagnés par les cadets du collège militaire et les civils des “ligues” marchent comme à la parade du Campo de Mayo à la Casa Rosada. Les insurgés ne rencontrent pratiquement aucune résistance. Les forces armées restent passives. Yrigoyen démissionne. Uriburu se proclame président, instaure l’état de siège et dissout le congrès16.

  • 17 A. ROUQUIÉ, Pouvoir militaire et société politique en République Argentine, Paris 1978, p. 183-184.
  • 18 Ainsi, Alejandro Bunge, le directeur de la Revista de Economia Argentina, devient conseiller du gou (...)

29Le gouvernement, issu du coup d’Etat, n’est pas composé de militaires, à l’exception du président et des ministres de l’Armée et de la Marine, mais plutôt de civils, notables de l’“ancien régime”. Le général José Uriburu, neveu d’un président de la République de la Belle Epoque, appartient à une grande famille créole, propriétaire de centrales sucrières dans la région de Salta ; le ministre de l’Instruction, Ernesto Padilla, est aussi un industriel du sucre, de la région de Tucuman ; le vice-président, Enrique Santamarina, a administré la Banque de la province de Buenos-Aires ; le ministre des Affaires étrangères, Ernesto Bosch, le ministre des Finances, Enrique Perez, le ministre de l’Agriculture, Horacio Beccar Varela, sont liés directement à la Société Rurale. La plupart des ministres ont occupé des fonctions dans les administrations conservatrices avant la première guerre mondiale ; et ils sont presque tous membres du Jockey Club17. Tout semble indiquer que le “gouvernement provisoire” va privilégier les intérêts des propriétaires fonciers au détriment des entrepreneurs industriels. Pourtant le ministère Uriburu reçoit le soutien et utilise les compétences des socialistes indépendants – Federico Pinedo, Alejandro Bunge, Gonzalez Iramain, etc. – qui sont de fervents partisans de l’industrialisation18.

30L’Union Industrielle Argentine qui, dès septembre 1930, s’est placée “à la disposition du nouveau gouvernement”, peut espérer se faire entendre d’Uriburu mieux que d’Yrigoyen. En janvier 1931, C. Tornquist, qui est à la fois banquier et industriel, donne ce conseil :

  • 19 Revista de Economia Argentina, C. Tornquist, A propos de la balance des paiements, no 151, janvier (...)

“Si l’état de l’économie mondiale doit se prolonger longtemps encore, avec la perturbation des marchés, l’organisation de l’économie argentine devra être modifiée. Il faudra cesser de produire exclusivement des produits agropastoraux ; il faudra diversifier les activités économiques en fabriquant des produits manufacturés... pour remplacer, dans une certaine mesure, les marchandises importées par des productions nationales”19.

31En juin 1931, A. Bunge, expert en économie, précise comment le pays peut sortir de la crise :

“L’Argentine dispose d’un important marché qu’elle peut conquérir. C’est sont propre marché intérieur qui est jusqu’à présent approvisionné par des achats à l’étranger pour l’énorme somme de 800 millions de dollars par an. Plus de la moitié de ces achats peuvent être remplacés presque immédiatement par des productions nationales ce qui offrira l’occasion de créer beaucoup d’emplois pour les travailleurs argentins”.

  • 20 Revista de Economia Argentina, A. Bunge, no 156, juin 1931, p. 466-467.

32En conséquence, le porte-parole de l’UIA propose un vaste programme : la “substitution” des importations étrangères par des fabrications locales pour des denrées alimentaires – huiles végétales, conserves de fruits et de légumes – ; pour des tissus de laine, de coton et de soie ; pour des matières premières – pétrole, bois, alcool – ; sans compter la réutilisation des vieux aciers20.

  • 21 Revista de Economia Argentina, A. Bunge, no 141, mars 1930, p. 199 et suivantes.

33Cependant, le patronat industriel demeure attaché aux formules libérales. En mars 1930, A. Bunge considère que l’Etat doit jouer un rôle au niveau de l’éducation, en assurant la formation technique ; au niveau de l’investissement, en offrant une garantie aux capitaux étrangers ; et “dans l’organisation du travail”, en faisant régner l’ordre dans les entreprises ; mais l’Etat ne doit pas outrepasser ses fonctions, devenir un concurrent déloyal pour l’industrie privée, en se chargeant de certains secteurs économiques, par exemple en nationalisant les sociétés pétrolières ou les compagnies ferroviaires21. En septembre 1931, Enrique Uriburu, qui détient à ce moment le portefeuille des Finances, fait une profession de foi encore plus libérale :

  • 22 Revista de Economia Argentina, E. Uriburu, discours devant la conférence économique nationale, no 1 (...)

“Bien que l’activité économique connaisse actuellement de graves difficultés, je tiens à affirmer clairement que la mise en place d’une industrie d’Etat serait une décision démagogique et une erreur de calcul. En effet, l’entreprise nationalisée ne serait pas rentable, le rendement de son personnel serait très médiocre. Il faudrait couvrir les déficits par des emprunts, ce qui conduirait à la banqueroute”22.

34Dans ces conditions, le gouvernement Uriburu se borne à pratiquer une politique financière sans réussir à concevoir une politique économique. Au bout d’un an de gestion, le chef de l’Etat affirme :

  • 23 La Nación, 7 septembre 1931. Discours du président J. Uriburu pour l’anniversaire de la “révolution (...)

“Nous avons pris la direction des affaires au milieu du chaos et au bord de la ruine. Tout s’était écroulé, tout était corrompu : les institutions, les finances publiques, les universités, les administrations. L’Etat fédéral, douze provinces et leurs municipalités gisaient sans autorités, avec des dettes énormes...
L’ordre public était troublé par des agitateurs communistes ou anarchistes, par des bandits... J’ai suivi sans dévier la ligne que je m’étais tracée le 6 septembre 1930, qui consistait à : 1) reconstruire rapidement l’administration et assainir les finances ; 2) mettre de l’ordre dans le pays, en particulier dans les universités ; 3) réorganiser les institutions en préparant une réforme de la Constitution qui nous mette à l’abri des dangers du personnalisme, du centralisme et de la démagogie ; 4) stimuler la formation de grandes forces civiques”23.

35Pendant deux ans, en 1931 et 1932, les responsables financiers se soucient exclusivement de rétablir les équilibres budgétaires. D’un côté, les dépenses sont comprimées par le licenciement des fonctionnaires et agents de l’Etat – environ 40.000 – et par la réduction des travaux publics – d’aménagement des ports, des chemins de fer, des canaux d’irrigation. D’un autre côté, les recettes sont accrues par l’augmentation des impôts indirects – sur le pétrole, le tabac, les allumettes, etc. –, par la création d’un impôt sur les revenus, et par le relèvement des taxes douanières.

  • 24 Banco Frances e Italiano, Evolución economica y financiera de la Republica Argentina de 1931 a 1935 (...)

36Au temps de l’économie d’exportation, les taxes douanières procurent près des deux-tiers des recettes fiscales. Or, avec la crise, les échanges extérieurs s’effondrent et les ressources de l’Etat diminuent d’autant. Contraint d’assurer le service de la dette et d’entretenir l’administration et l’armée, le gouvernement Uriburu se résout à contre-cœur à redresser le barème des tarifs douaniers. Le 23 février 1931, les taxes sur les importations sont augmentées – de 25 % sur les tissus de coton, de 30 % sur les tissus de laine, de 40 % sur les chapeaux et les cuirs, etc. Le 8 août 1931, une mesure anti-dumping autorise à modifier les droits de douane chaque fois qu’un fournisseur étranger subventionne tel ou tel de ses produits destiné à l’Argentine. Enfin et surtout, le 6 octobre 1931, une taxe de 10 % “ad valorem” est instaurée sur toutes les marchandises importées. La mesure, en principe provisoire, est reconduite d’année en année jusqu’à la seconde guerre mondiale24. Si bien que, sans le vouloir vraiment, le pouvoir exécutif élève une barrière protectrice derrière laquelle l’industrie nationale peut s’abriter.

  • 25 La Nación, 11 au 14 octobre 1931. Déclaration de A. Casal, membre de la Commission de contrôle des (...)

37Une autre disposition, temporaire à l’origine et qui va durer une trentaine d’années, est le contrôle des changes. Le 10 octobre 1931, le gouvernement Uriburu crée une commission, composée d’un haut fonctionnaire des Finances, du président de la Banque de la Nation et de trois représentants des banques privées, qui a pour mission de fixer quotidiennement le taux officiel du change. Les maisons de commerce sont tenues de négocier les devises étrangères contre les produits exportés dans les banques supervisées par la commission de contrôle. De l’avis du président de la Banque de la Nation, la mesure vise à “neutraliser les perturbations monétaires... pour corriger les déséquilibres commerciaux pathologiques”, autrement dit l’excédent dans les échanges de l’Argentine avec la Grande-Bretagne qui fait baisser la livre par rapport au peso, et le déficit dans les échanges de l’Argentine avec les Etats-Unis qui fait monter le dollar par rapport au peso25. Le contrôle des changes, tout en poursuivant apparemment un objectif monétaire, n’en a pas moins un effet économique. Les devises que procurent les exportations de viandes et de céréales sont allouées en priorité aux importations de sources d’énergie et de biens intermédiaires et sont limitées pour les importations de biens de consommation. De sorte que le contrôle des changes joue le rôle d’écran protecteur pour l’industrie légère qui est en train de naître en Argentine.

  • 26 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos Aires 1942, p. 80-81 (d’après les statistiques d (...)

38De septembre 1930 à mai 1933, la conjoncture politique est très mouvante. Les élections partielles ruinent le crédit du général Uriburu en avril 1931 ; des intrigues favorisent l’ascension du général Justo qui remporte les élections frauduleuses de novembre 1931 et forme un nouveau gouvernement en février 1932. Pendant ce temps, la politique financière ne change pas de ligne : les ministres des Finances successifs – Enrique Perez, Enrique Uriburu, Alberto Hueyo – se contentent de rechercher l’équilibre du budget de l’Etat et du commerce extérieur. Pourtant, les mesures prises, comme l’augmentation des taxes sur les importations ou l’institution du contrôle des changes, devraient avoir des effets stimulants pour les industries locales. Mais le choc de la crise est trop violent, le blocage des importations est trop brutal, le manque de crédits trop sensible pour permettre une expansion de la production manufacturière dans l’immédiat. L’emploi industriel enregistre un recul entre 1929 et 1932 et ne commence à se redresser qu’après 193326.

Emploi industriel (en indices)

Emploi industriel (en indices)

39Donc, l’oligarchie ne trouve pas tout de suite le remède à la crise.

Le patronat, l’oligarchie et l’expérience du gouvernement Justo (1933-1938)

40Le général Agustín P. Justo, officier à la carrière brillante, ancien ministre de la Guerre, co-auteur du coup d’Etat de 1930, est investi du pouvoir suprême en 1932. Justo porte l’espoir du courant libéral et anglophile de la classe dominante ; il se situe à égale distance d’Alvear, l’ex-président, qui dirige désormais l’Union Civique Radicale ; et d’Uriburu, le précédent chef de l’Etat, qui incarne l’aspiration d’un mouvement nationaliste, voire fascisant. Le général Justo est entouré de personnalités conservatrices : le vice-président, Julio A. Roca ; le ministre des Affaires étrangères, Saavedra Lamas ; le ministre de l’Intérieur, Leopoldo Melo ; le vice-président du Sénat, Robustiano Patron Costas, etc. A partir d’août 1933 jusqu’en décembre 1935, la gestion de l’économie est confiée à Federico Pinedo, un socialiste indépendant, qui devient ministre des Finances, et à son ami Luis Duhau, qui est promu ministre de l’Agriculture. Le gouvernement oligarchique maintient pour l’heure un régime fort (état de siège, fraude électorale, censure) en envisageant de restaurer ultérieurement les institutions démocratiques ; et il essaie de sortir de la crise, de manière pragmatique, en préservant les intérêts des possédants.

  • 27 La Nación, 1er au 3 mai 1933.

41Au bout d’un an d’une terne pratique déflationniste, le gouvernement Justo est contraint de changer de cap et d’innover. En effet, en 1932, à la conférence d’Ottawa, la Grande-Bretagne a resserré ses liens avec les dominions – le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, etc. – en leur réservant ses achats et en écartant les pays tiers. L’Argentine risque, à brève échéance, de ne plus pouvoir expédier sa viande en Grande-Bretagne. A Buenos-Aires, la panique s’empare des milieux proches de la Société Rurale et de la Bourse du Commerce. Une délégation est envoyée à Londres. Le vice-président argentin, Roca, entouré de diplomates et d’experts – Carcano, Malbran, Leguizamon, Prebisch, Orma – négocie avec le ministre du Commerce britannique, Runciman, et ses hauts fonctionnaires – Baldwin, Elliot, Hamilton – ; des hommes d’affaires de la City qui ont des intérêts au Rio de la Plata – tels Baring, Vestey, Eady, Copper, etc. – participent aux discussions. Le 1er mai 1933, les négociateurs signent un traité de commerce valable pour trois ans. La Grande-Bretagne s’engage à ne pas restreindre les importations de “chilled beef” venant d’Argentine et de leur appliquer les mêmes tarifs qu’aux importations de viandes des dominions. En contre-partie, l’Argentine accepte, tant que durera son contrôle des changes, de réserver les fonds provenant de ses ventes à des achats sur le marché britannique ; et de laisser libres de droits le charbon et le matériel ferroviaire expédiés par la Grande-Bretagne27.

  • 28 La Nación, 1er et 2 décembre 1936, 17 octobre 1939, 6 avril 1946.
  • 29 Revista de Economia Argentina, tableaux statistiques, no 179-180, mai-juin 1933, p 216 ; no 256, oc (...)

42L’accord commercial anglo-argentin est strictement exécuté de 1933 à 1936 ; puis il est renouvelé, moyennant quelques retouches, de 1936 à 1939 ; et il est prolongé par des accords périodiques qui assurent les approvisionnements de l’Empire britannique en lutte contre le Reich allemand, de 1939 à 194528. Ce qui permet à l’Argentine de rétablir son économie pastorale29.

Exportations de viande bovine (en tonnes)

Viande congelée

Viande réfrigérée

Total

1928

124.685

383.078

507.763

1929

121.711

357.960

479.671

1930

98.748

345.525

444.273

1931

83.681

352.227

435.908

1932

36.660

370.634

407.294

1933

1934

1935

30.651

348.531

379.182

1936

39.651

357.473

396.124

1937

92.113

349.481

441.594

1938

102.731

342.426

455.157

  • 30 Revista de Economia Argentina, no 272, février 1941, p. 61.

43Toutefois, la République latino-américaine, placée au rang d’un dominion, intégrée dans le Commonwealth, tombe dans une plus grande dépendance par rapport à la métropole britannique. Dans les années 1930, les exportations de l’Argentine sont absorbées, à concurrence de 34,8 % par la Grande-Bretagne et seulement de 9,5 % par les Pays-Bas, 9,3 % par les Etats-Unis, 8,9 % par la Belgique, 7,6 % par l’Allemagne, 5,8 % par la France, 4,7 % par le Brésil,...30.

  • 31 Revista de Economia Argentina, no 179-180, mai-juin 1933, p. 270-271 (manifeste de l’UIA) ; no 182, (...)

44Le traité Roca-Runciman, s’il satisfait le groupe des éleveurs, défavorise plutôt le clan des industriels. En mai 1933, dans un manifeste, l’UIA critique vertement la manière dont l’oligarchie tend “à privilégier les intérêts agro-pastoraux et à leur sacrifier les intérêts manufacturiers” ; et s'oppose à une baisse des tarifs douaniers qui, “jusqu’en 1930, étaient beaucoup plus faibles et, depuis 1930 – avec le relèvement de 10 % – sont à peine suffisants”. En juin 1933, l’UIA convoque une assemblée de chefs d’entreprise et invite, en même temps, leurs employés et leurs ouvriers. Devant ce parterre composite, Luis Colombo, le président de l’organisation patronale, souligne qu’une politique libre-échangiste “enlèverait leur travail aux ouvriers argentins, alors que seule l’industrie est capable d’absorber une main d’œuvre frappée par un chômage intense... Sans les usines de Buenos-Aires, Avellaneda, Campana, Zarate ou Rosario ; sans les fabriques de Córdoba, Mendoza, Tucumán, Salta, Jujuy ou San Juan, la population active de l’Argentine serait deux fois moins nombreuse”. Et le dirigeant de l’UIA n’hésite pas à affirmer : “Au Rio de la Plata, les patrons d’aujourd’hui sont les ouvriers d’hier, comme les ouvriers d’aujourd’hui seront les patrons de demain”31. Les industriels semblent prêts à s’allier aux ouvriers contre les propriétaires fonciers.

  • 32 Revista de Economia Argentina, no 181, juillet 1933, p. 25-35 (conférence de E. Uriburu du 12 mai 1 (...)

45Dans le même temps, les dirigeants argentins, influencés par la réflexion théorique de John Maynard Keynes et par le New Deal de Franklin Roosevelt, se décident à abandonner le libéralisme et à admettre l’intervention de l’Etat. En mai 1933, Enrique Uriburu, ex-ministre des Finances, déclare : “Si le capitalisme veut subsister, il doit être transformé, organisé à l’échelle nationale et à l’échelle internationale. L’Etat doit contrôler la monnaie et le crédit et, par ce biais, orienter la production et la consommation”. Alejandro Bunge, économiste réputé, condamne désormais la déflation : “Il est clair que la politique de prudence définie par la réduction progressive des coûts et des dépenses a trop duré... L’Etat doit relancer les activités en favorisant les investissements. Il faut créer du travail, constituer un marché, dépenser plus”32.

  • 33 La Nación, 3 mai 1933 (commentaire de Saavedra Lamas sur le traité anglo-argentin).

46Sous la pression de l’Union Industrielle, la Société Rurale est contrainte de lâcher du lest. Un “compromis historique” est conclu entre les éleveurs et les industriels. Saavedra Lamas, le ministre des Affaires étrangères, en dessine le cadre au lendemain du traité Roca-Runciman : “Tout accord commercial, toute mesure douanière sont préjudiciables à certains intérêts et utiles à d’autres. L’Etat doit essayer d’atténuer les antagonismes et de maintenir un équilibre entre les groupes”33. La nouvelle alliance de classes, sorte d’“union sacrée contre la crise”, se traduit par un virage politique : Federico Pinedo accède au ministère des Finances en août 1933 et lance un plan de redressement en décembre 1933. L’Etat, pour mieux jouer son rôle d’arbitre, accroît ses moyens d’action, use du contrôle des changes et de la dévaluation monétaire, crée la Banque Centrale et les Juntes Régulatrices. L’oligarchie foncière préserve les exportations de viandes, accessoirement de céréales, grâce au traité Roca-Runciman et à d’autres accords passés avec les pays européens. Le patronat industriel réussit à maintenir des barrières douanières et à obtenir des subventions étatiques. Chaque groupe d’intérêts trouve son compte mais, pour la première fois, le rapport entre les classes dirigeantes est modifié.

  • 34 La Nación, 5 décembre 1933 (discours radio-diffuse de F. Pinedo).
  • 35 Banco Frances e Italiano, Evolución economica y financiera de la Republica Argentina de 1931 à 1935 (...)

47En premier lieu, le plan Pinedo agit au niveau des échanges extérieurs. Tous les tarifs douaniers, qui ont été établis par le précédent gouvernement, sont conservés, notamment la taxe de 10 % ad valorem sur l’ensemble des marchandises importées. De même le contrôle des changes continue à fonctionner avec quelques aménagements mineurs. Ces mesures protectrices donnent satisfaction aux industriels. Toutefois, les propriétaires fonciers reçoivent aussi des gages. En décembre 1933, le ministre des Finances annonce qu’“il n’est pas possible de maintenir la monnaie nationale à un niveau trop élevé qui porte préjudice aux producteurs ruraux”. Le peso argentin est dévalué de 17 % par rapport au dollar nord-américain34. De plus, à travers un mécanisme complexe de taux de change fluctuants à la vente et fixes à l’achat, les exportateurs de céréales bénéficient de subventions indirectes. Enfin, en août 1934, le pouvoir exécutif autorise la libre exportation de l’or, de l’argent et des titres. Ce qui permet aux possédants argentins de transférer leurs biens hors des frontières et aux compagnies étrangères de rapatrier sans difficulté leurs bénéfices35.

  • 36 Revista de Economia Argentina, no 192, juin 1934, p. 243-250 ; no 194, août 1934, p. 83-86 ; no 204 (...)

48En second lieu, le plan Pinedo intervient dans le domaine de la production. Des Juntes Régulatrices sont constituées : elles sont composées de hauts fonctionnaires et d’hommes d’affaires et reçoivent mission de contrôler les productions et de réglementer les prix. Ainsi, la Junte des Grains, formée en novembre 1933, rassemble une dizaine de personnalités : J. Santamarina, président de la Banque de la Nation ; H. Bruzzone, président de la Société Rurale ; F. Aguirre, président de la Bourse du Commerce, etc. Cet organisme est chargé de fixer les prix du blé, du maïs et du lin ; et de combler la différence éventuelle entre le prix d’achat aux producteurs locaux et le prix de vente aux clients étrangers. Sur le même modèle, sont organisées la Commission du Quebracho, en juillet 1933 ; la Junte des Viandes, en septembre 1933 ; la Junte du Maté, en novembre 1933 ; la Junte du Lait, en avril 1934 ; la Commission des Huiles, en juin 1934 ; la Commission des Denrées Alimentaires, en juin 1934 ; la Commission des Vins, en août 1934 ; et la Junte du Coton, en avril 193536. Pendant plus de dix ans, de l’époque de la crise à l’issue de la guerre, les Juntes Régulatrices vont restructurer les activités productrices et puiser dans les fonds publics au bénéfice des propriétaires fonciers, des négociants et des industriels les plus riches et les plus puissants.

  • 37 Ministerio de Hacienda, Informe y proyectos de Sir Otto Niemeyer, Buenos-Aires, 1933, p. 33-34 ; Re (...)

49En troisième lieu, le plan Pinedo reconstruit un système financier. Dès avril 1933, Sir Otto Niemeyer, un expert de la City, a effectué une mission d’études à Buenos-Aires ; il a proposé une réforme que les responsables argentins exécutent fidèlement dans les années suivantes. En mars 1935, est créée la Banque Centrale de la République Argentine, avec un capital de 30.000.000 pesos, divisé en 30.000 actions de 1.000 pesos, dont l’Etat prend un tiers, les banques un autre tiers et les particuliers le tiers restant. L’institution est dirigée par un président et un vice-président désignés par le gouvernement et douze administrateurs, dont six représentants des banques et six représentants des actionnaires. Les fonctions de la Banque Centrale sont de concentrer les réserves suffisantes pour modérer les fluctuations des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux ; de régulariser la circulation monétaire en l’adaptant au volume des affaires ; d’améliorer le crédit bancaire en contrôlant l’activité des autres banques ; d’agir comme agent financier du gouvernement pour les emprunts publics37. La Banque Centrale accomplit la tâche indispensable de remettre de l’ordre dans les émissions monétaires, les investissements publics et les dettes extérieures mais renforce l’emprise des financiers étrangers, surtout britanniques, sur l’ensemble des activités argentines.

  • 38 Revista de Economia Argentina, no 195 septembre 1934, p. 117-131 ; et no 196, octobre 1934 p. 165-1 (...)
  • 39 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires 1942, p. 141-143 (d’après le recensement d (...)

50L’intervention de l’Etat ne concerne pas directement la production manufacturière qui est abandonnée à l’initiative privée. En septembre 1934, dans un long rapport, l’Union Industrielle Argentine définit les modalités de la substitution des importations. Le groupement patronal suppose que la crise mondiale va se prolonger, que le commerce extérieur va rester contracté ; dans ces conditions, un délai de cinq ans – de 1934 à 1939 – paraît raisonnable pour achever la conquête du marché intérieur et absorber une main d’œuvre de 600.000 personnes. L’UIA envisage une substitution complète dans certaines branches : les denrées alimentaires les textiles, le bois et le papier, les constructions mécaniques et les fabrications chimiques légères38. Le projet de l’UIA, conçu en 1934, pêche par excès d’optimisme puisque le recensement industriel, réalisé en 1937, atteste qu’à cette date la production nationale ne réussit à couvrir son propre marché – et encore imparfaitement – que dans le secteur de l’alimentation. Toutefois, les résultats sont encourageants dans les branches des textiles, du caoutchouc et des produits chimiques39.

Taux de couverture du marché argentin en 1937 (pourcentages)

Secteurs d’activité

Production nationale

Importation étrangère

Alimentation - Tabac

82 %

18 %

Filatures - Tissages

42 %

58 %

Produits chimiques

55 %

45 %

Caoutchouc

71 %

29 %

Papier - Carton

26 %

74 %

Fer - Acier

34 %

66 %

Machines - Outils

24 %

76 %

Véhicules

16 %

84 %

  • 40 La Nación, 31 décembre 1935 ; 1er janvier 1936.
  • 41 La Nación, 2 au 17 juin 1937 ; 5 au 15 septembre 1937.

51L’expérience dirigiste dure moins de trois ans. Lorsque la crise économique s’atténue, lorsque la tension politique s’apaise, l’oligarchie croit bon de faire marche arrière et de restaurer le libéralisme. En décembre 1935, le gouvernement Justo est remanié ; trois ministères changent de titulaires : aux Finances, Pinedo est remplacé par Ortiz ; à l’Agriculture, Duhau cède la place à Carcano ; à la Justice, Iriondo transmet le portefeuille à Castillo40. Un an et demi plus tard, la “Concordancia” – l’alliance des conservateurs et des radicaux modérés – choisit comme candidats Roberto Ortiz pour la présidence et Ramon Castillo pour la vice-présidence. En septembre 1937, des élections frauduleuses assurent la victoire des deux anciens ministres du gouvernement Justo41. Le changement d’équipe de décembre 1935 puis les élections de septembre 1937 marquent au plan politique, une ouverture démocratique, la renaissance des institutions parlementaires ; au plan économique, le retour à une gestion orthodoxe et libérale.

52En décembre, 1936, l’administration conservatrice et radicale exprime clairement ses intentions :

  • 42 La Nación, 8 décembre 1936 (déclaration du ministre des Finances, R. Ortiz).

“Le gouvernement n’a pas voulu imposer, avec un esprit doctrinaire, un dirigisme économique à caractère permanent ; il a défendu les forces vives du pays affectées par une crise extrêmement grave. Quand les prix se sont redressés sur le marché mondial, le gouvernement a annoncé son projet d’abandonner progressivement les mesures de défense adoptées auparavant... Le pouvoir exécutif estime que le moment est venu d’exécuter méthodiquement un programme permettant au marché (des grains) de retrouver sa liberté de mouvement”42.

53De la fin de 1936 au début de 1939, les responsables des Finances, Ortiz puis Groppo, cherchent à réduire le budget de l’Etat, en limitant les impôts exceptionnels et en comprimant les dépenses publiques. En décembre 1936, un nouveau traité anglo-argentin, signé par Le Breton et Runciman, assure pour trois ans les exportations de viandes et par conséquent, le règlement des dettes extérieures. Aussitôt après, les subventions indirectes aux productions céréalières sont supprimées ; le marché libre est rétabli pour les grains. Les Juntes Régulatrices subsistent mais ne peuvent plus utiliser les fonds publics pour soutenir les prix. Au même moment, le bruit circule d’une disparition du contrôle des changes, puisque le peso s’est redressé par rapport à la livre et au dollar. Prudent, le gouvernement maintient le système des permis préalables mais annule pratiquement le mécanisme des taux de change différenciés à l’achat et à la vente. En somme, si les moyens d’intervention créés par Federico Pinedo sont conservés, Roberto Ortiz s’abstient de les faire fonctionner.

  • 43 Revista de Economia Argentina, no 217-218, juillet-septembre 1936, p. 107-108,
  • 44 Revista de Economia Argentina, no 235, janvier 1938, p. 47-50.

54Dans la même période, entre 1936 et 1939, les éleveurs et les négociants engagent une campagne pour obtenir la suppression des taxes douanières. Inévitablement, les industriels se mobilisent afin de garder des barrières protectrices. En juillet 1936, l’Union Industrielle rappelle que “le système des tarifs grevant les importations demeure un instrument adéquat pour défendre les industries nationales”43. En décembre 1937, la Confédération du Commerce et de l’Industrie exige le maintien de la taxe de 10 % ad valorem et s’élève contre un retour au libre-échange44. Or, en septembre 1939, devant une assemblée de chefs d’entreprise, le ministre J. Padilla confirme que le gouvernement de la “Concordancia” ne place pas l’industrie au premier rang de ses préoccupations :

  • 45 La Nación, 3 septembre 1939 (discours de J. Padilla ministre de l’Agriculture, au banquet offert pa (...)

“Pour longtemps encore, la base de l’économie argentine sera la production agro-pastorale : l’étendue et la qualité de notre sol, le climat favorable en disposent ainsi... Pendant la crise mondiale, l’industrie nationale a pris son essor, mobilisant les hommes et les capitaux. L’Etat est alors intervenu pour stimuler ou modérer l’implantation des fabriques. Jusqu’à maintenant, le progrès industriel est le fait de l’initiative privée ; mais l’Etat ne pourra rester toujours indifférent... Cependant, notre production manufacturière doit avoir un développement prudent car son marché n’est pas illimité”45.

55Passé le moment le plus douloureux de la crise, les hostilités sont rouvertes entre l’oligarchie foncière, qui veut revenir au libre-échange, et le patronat industriel, qui entend poursuivre la substitution des importations.

L’élite argentine et la guerre mondiale (1939-1944)

  • 46 Revista de Economia Argentina, no 275, mai 1941, p. 166-168 ; no 279-septembre 1941, p. 279-284.

56Quand éclate la seconde guerre mondiale, l’Argentine choisit la neutralité. Une telle décision s’explique à la fois par le souci de s’aligner sur les Etats-Unis et les républiques latino-américaines qui se tiennent à l’écart du conflit jusqu’à Pearl Harbour ; par la volonté de satisfaire la Grande-Bretagne qui préfère avoir un fournisseur indépendant plutôt qu’un allié inefficace ; et par la pression des officiers argentins qui dissimulent mal leurs sympathies germanophiles. La position de neutralité est adoptée aisément par le gouvernement Ortiz, entre septembre 1939 et août 1940 ; elle est maintenue avec plus de difficulté par le gouvernement Castillo, entre septembre 1940 et mai 1943 ; et elle est imposée contre vents et marées par les gouvernements militaires de Ramírez et de Farrell, entre juin 1943 et mars 1945. Pendant la guerre, les échanges extérieurs sont perturbés. Dans son commerce avec les pays européens, notamment avec son principal client – la Grande-Bretagne –, l’Argentine enregistre un solde bénéficiaire mais ne peut profiter immédiatement de ses avoirs en livres sterlings, les devises n’étant pas transférables. Dans son commerce avec les pays américains, surtout avec son principal fournisseur – les Etats-Unis –, l’Argentine a un solde déficitaire, quoique les devises soient transférables dans ce sens. De sorte que, malgré un essor de ses exportations, la République Argentine doit réduire ses importations46.

  • 47 La Nación, 6 au 11 septembre 1939 ; 30 décembre 1939 ; 6 avril 1940.
  • 48 Revista de Economia Argentina, no 276, juin 1941, p. 195-198.
  • 49 A. DOREMAN - F. SINTES OLIVES, Encuesta continental sobre fomento y coordinacion de industrias, Mon (...)

57L’administration radicale-conservatrice, qui s’acheminait lentement mais sûrement vers l’orthodoxie libérale, est obligée, à cause de la guerre, de revenir au dirigisme étatique. Dès septembre 1939, est créée une Commission du Ravitaillement afin d’organiser les approvisionnements, de taxer les articles de consommation courante et de prendre des sanctions contre les spéculateurs47. En novembre 1940, est institué un système de contingentements associé au contrôle des changes. Dans chaque branche professionnelle, un organisme est chargé d’impulser les exportations et de récupérer les devises pour payer les importations. Un prélèvement de 20 % sur les transactions extérieures est effectué par l’Etat pour constituer des réserves de change48. En mars 1941, est formé un Comité des Exportations, auprès du ministère de l’Agriculture, pour mener des études sur les marchés étrangers, distribuer des labels aux produits nationaux, superviser les activités des “corporations” – c’est-à-dire des sociétés commerciales réalisant des échanges bilatéraux49. En octobre 1941, est décidée la création d’une marine marchande, dépendante de l’Etat, pour remédier au manque de moyens de transports. Cette flotte nationale va se consacrer aux relations entre l’Argentine et les Etats-Unis ; la flotte privée effectuant le cabotage le long des côtes de l’Amérique du Sud ; et la flotte étrangère assurant la liaison entre le Rio de la Plata et l’Europe.

  • 50 Ministerio de Hacienda, El plan de reactivación economica, Buenos-Aires, 1940, p. 10-12, p. 14-16.

58En août 1940, menacé par un scandale, miné par la maladie, le président Ortiz abandonne le pouvoir au vice-président Castillo, lequel forme un nouveau ministère où il appelle des “revenants” : Roca, aux Affaires étrangères ; Pinedo, aux Finances. L’équipe de 1933 reprend les commandes en 1940. Pinedo et ses adjoints Prebisch, Liaudat, Klein, Malaccorto – élaborent un programme économique, franchement keynésien, pour sortir le pays de la crise accidentelle provoquée par le choc de la guerre. Le second plan Pinedo présente deux volets. D’une part, l’Etat doit agir pour mobiliser les ressources disponibles et les orienter vers les industries. Plusieurs mesures sont proposées : l’émission d’obligations ou de bons du Trésor afin de drainer les fonds des épargnants vers les activités productives ; la garantie de la Banque Centrale aux prêts effectués par les banques privées aux entreprises manufacturières. D’autre part, l’Etat doit “réamorcer la pompe” en investissant de fortes sommes dans la construction de logements populaires, ce qui permettra de résorber le chômage, d’améliorer le niveau de vie et, ainsi, de diminuer la tension sociale. Le bâtiment réactivé entraînera les autres branches50.

  • 51 Ministero de Hacienda, El plan de reactivación... Ibidem p. 18-22.

59Le second plan Pinedo s’affirme résolument industrialiste. Selon le ministre des Finances, “l’Argentine doit recourir à son industrie pour fournir tout ce qui ne peut être importé et payé en devises étrangères”. Toutefois, il faut éviter l’erreur d’encourager des productions qui peuvent gêner les partenaires commerciaux. C’est pourquoi l’industrie de substitution doit se tourner en priorité vers le marché intérieur qu’élargissent sans cesse l’accroissement démographique et l’amélioration du pouvoir d’achat ; ou, à la rigueur, s’orienter vers les marchés des voisins chilien, bolivien, paraguayen et brésilien, moins difficiles à pénétrer que ceux des puissants concurrents nord-américains et européens51. Malgré sa présentation prudente, le projet de Pinedo heurte de front les éleveurs et les négociants qui désapprouvent le dirigisme étatique et craignent de mécontenter leur client britannique. A l’occasion d’une obscure manœuvre parlementaire, le ministre des Finances est écarté. Son programme d’industrialisation, à peine ébauché, est enterré.

60Le gouvernement Castillo, désormais composé de francs conservateurs – Ruiz Guiñazu, aux Affaires étrangères ; Acevedo, aux Finances, etc. – s’efforce de rétablir la “démocratie frauduleuse” au niveau des institutions politiques et le “laisser faire” au niveau des activités économiques. L’un des responsables, E. Pellet Lastra, directeur du Département du Travail, prône un juste milieu entre le développement agricole et la croissance industrielle, entre le libre-échange et le protectionnisme :

  • 52 E. PELLET LASTRA, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires, 1940, p. 16-18.

“Il faut protéger, de manière opportune, sous une forme transitoire, avec beaucoup de discernement, les seules industries qui ont un avenir indubitable. Mais il faut laisser libre l’entrée des produits primaires ou élaborés, qui peuvent être employés à un usage manufacturier... Il a été démontré que les droits semi-prohibitifs suffisent pour encourager l’essor des industries qui trouvent leurs matières premières à l’intérieur des frontières et qu’au contraire ces droits rendent difficile l’existence des fabriques qui doivent chercher à l’extérieur les machines et les matières premières et qui butent alors sur des tarifs de représailles”52.

61De fait, le système des contingentements finit par entraver l’approvisionnement en combustibles et en matières premières, donc par gêner l’activité des entreprises manufacturières. Au point qu’en novembre 1941, le gouvernement Castillo supprime les restrictions quantitatives sur les échanges extérieurs. Au plus fort de la guerre, l’industrie de substitution poursuit son expansion pratiquement sans aide de l’Etat, sans barrière protectrice, sans plan à long terme, uniquement en raison des circonstances extérieures.

62En 1942, un mémoire de la Banque Centrale souligne l’élan de la substitution :

  • 53 Memoria del Banco Central de la Republica Argentina (1942) in A. DORFMAN - F. SINTES OLIVES, Opus c (...)

“La guerre actuelle a intensifié le processus d’industrialisation, avec un taux de croissance supérieur à celui de la dernière décennie... Si l’effort industriel satisfait en grande partie nos besoins, cela est dû à la mise en place de nouveaux moyens de production pendant la grande dépression. Les établissements dont le pays disposait au début du conflit fonctionnent maintenant à pleine capacité grâce à un système de tours successifs pour les travailleurs et à l’agrandissement des ateliers. Par ailleurs, de nombreux établissements de petite taille ou de taille moyenne sont apparus, un peu partout. Le sens de l’initiative, l’esprit d’entreprise, la capacité technique se développent. D’importantes substitutions ont été réalisées... Cependant, il faut faire une réserve. Aujourd’hui, en 1942, l’industrie nationale semble atteindre le point limite de son expansion ; car elle bute sur l’obstacle du manque d’approvisionnements. Pour aller plus loin, il faudrait accroître l’importation des machines et des matières premières. Ce qui, présentement, n’est pas possible”53.

  • 54 J. LLAMARES, Examen del problema industrial argentina, Buenos-Aires, 1943, p. 80 ; FIAT-ARGENTINA, (...)

63Entre 1939 et 1945, alors que le pays ne reçoit plus de capitaux étrangers et souffre d’une pénurie de matières premières, la production industrielle double pratiquement en valeur brute (beaucoup moins en valeur nette étant donné l'enchérissement des importations) ; et le nombre des ouvriers s’élève de 720.000 à 879.000 (ce qui signale une amélioration de la productivité)54.

  • 55 Il s’agit de l’interprétation de la gauche nationaliste, qu’elle soit marxiste ou péroniste, qui s’ (...)
  • 56 A. ROUQUIE, Pouvoir militaire et société politique en République Argentine, Paris 1978, p. 325 et s (...)

64Le 4 juin 1943, l’armée sort des casernes, s’empare des édifices publics, dépose le président Castillo, élève le général Ramirez à la magistrature suprême, place des militaires aux postes-clés et met en sommeil les institutions parlementaires. On a formulé l’hypothèse que les officiers se seraient soulevés à l’instigation des industriels afin d’éliminer un gouvernement libre-échangiste, porte-parole des propriétaires fonciers. “L’armée serait en quelque sorte le tuteur d’une bourgeoisie industrielle incapable de se défendre par ses propres moyens”55. A une telle interprétation, on peut opposer des arguments de poids. D’abord, tout indique que le coup d’Etat a un caractère préventif, qu’il vise à empêcher la désignation de Patron Costas à la présidence. Or ce sénateur conservateur est le chef de file des “sucriers” de la région du nord-ouest qui sont traditionnellement favorables à des tarifs protecteurs. Ensuite, Patron Costas est soupçonné, non sans raison, de vouloir rompre avec l’Axe et se rapprocher des Alliés. Ce qui devrait satisfaire les industriels argentins qui ont un pressant besoin d’équipements que seuls les Nord-Américains sont en mesure de fournir. Enfin, le gouvernement Ramirez ne représente nullement les intérêts manufacturiers : le ministre de l’Economie, J. Santamarina, est très lié aux éleveurs de la province de Buenos-Aires ; et le ministre de l’Agriculture, le général Mason, promet de supprimer les Juntes Régulatrices et de ne pas recourir à des mesures interventionnistes56. Le coup d’Etat de juin 1943 n’est pas une manoeuvre “industrialiste” ; il s’agit d’une affaire diplomatique et politique.

  • 57 A. ROUQUIÉ, Ibidem, p. 288-289, d’après le Boletín Oficial – loi 12.709 – 9 octobre 1941.

65Avant tout, l’armée prend le pouvoir pour maintenir la neutralité de l’Argentine. Ce qui ne veut pas dire que le corps des officiers soit indifférent ou hostile à l’expansion industrielle. Au contraire, dès l’époque des gouvernements Yrigoyen et Alvear, dans les années 1920, c’est un militaire, le général Mosconi, qui a organisé l’YPF, la régie nationale des pétroles. Sous l’administration Justo, dans les années 1930, le général-président et l’état-major ont installé des fabriques d’armes et des usines de montage d’avions autour de Córdoba. Sous le gouvernement de Castillo, pendant la guerre, est créée la Direction Générale des Fabrications Militaires. La DGFM reçoit mission “de réaliser des études pour connaître les possibilités industrielles du pays, d’exploiter les minerais stratégiques (cuivre, fer, aluminium, manganèse) ; de construire des matériels de guerre (armes, munitions, véhcules) ; et de produire éventuellement des objets manufacturés pour la consommation civile”57. La DGFM est autorisée à former des sociétés mixtes, à capitaux privés et publics, et bénéficie de nombreuses exemptions fiscales pour ses usines. Lorsque l’armée dispose du pouvoir, à partir de 1943, la DGFM devient très active. Son directeur, le colonel Savio, implante un groupe d’usines chimiques sur le Bas Parana et à Buenos-Aires et bâtit les hauts fourneaux de Zapla, dans la région du nord-ouest.

  • 58 A. DORFMAN - F. SINTFS OLIVES, Encuesta continental sobre fomento y coordinación de industrias, Mon (...)

66Quand l’équipe Farrell-Perón dirige le régime militaire, en 1944 et 1945, l’Etat accroît son emprise sur l’économie. Le gouvernement élargit ses attributions : un secrétariat à l’Industrie, un secrétariat au Travail, une direction de l’Energie et divers services ministériels sont organisés en vue de coordonner les activités industrielles. L’Etat, grâce aux nouvelles administrations et aux sociétés mixtes, oriente plus directement les productions de charbon, de pétrole, de ciment, de coton, de jute et autres matières premières ou ressources énergétiques. En 1944, est constituée une Banque du Crédit Industriel. Cet organisme financier réunit des fonds d’Etat fournis par le Trésor Public et la Banque Centrale, et des fonds privés, provenant des réserves des banques ; il peut pratiquer le réescompte du crédit industriel et prendre des participations dans les entreprises manufacturières. L’objectif avoué est d’inciter les banques à diriger leurs placements à long terme vers les affaires industrielles alors que, jusque là, elles les concentraient sur les activités commerciales et les spéculations immobilières58.

  • 59 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico social, Buenos-Aires, 1945, p. 41-42, p. 51 (...)

67En août 1944, à l’initiative du colonel Perón, est créé le Conseil National de l’Après-Guerre. Dans cette nouvelle institution, le vice-président, ministre de la Guerre et secrétaire au Travail rassemble autour de lui les secrétaires d’Etat à l’Industrie, à l’Agriculture, aux Finances et aux Travaux Publics ; les directeurs des départements du Travail, de la Prévoyance, des Migrations, du Commerce, de l’Industrie, de l’Apprentissage ; les présidents de la Banque de la Nation, du Comité du Rationnement, de la Caisse d’Epargne, etc. ; en tout, une vingtaine de responsables et d’experts. Là, se retrouvent des officiers supérieurs – les généraux Checci et Pistarini, les colonels Baisi, Larronde, Sauri et Rolff - ; des collaborateurs de Perón – Mercante, Figuerola, Rinaldi, Gomez Araujo – ; et des hommes d’affaires – Herbin, Massini Escurra. En principe, le Conseil doit effectuer des enquêtes, compiler des statistiques, consulter des spécialistes puis suggérer des méthodes, élaborer des décrets pour permettre au pays de franchir la passe difficile de l’après-guerre. En fait, il s’agit d’un véritable gouvernement parallèle, chargé des problèmes économiques et sociaux59.

  • 60 A. DORFMAN - F. SINTES OLIVES, Opus cité, 1944, p. 7-8 (réponse de la Chambre des Exportateurs à un (...)
  • 61 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico social, Buenos-Aires, 1945, p. 56-59.

68L’ambitieux Perón cherche alors à consolider sa position personnelle. Au secrétariat au Travail, il réussit à nouer des contacts avec les syndicats ouvriers ; au Conseil de l’Après-Guerre, il essaie de tisser des liens avec les milieux patronaux. Or, les chefs d’entreprise ne veulent pas qu’à l’issue de la seconde guerre se reproduise la catastrophe survenue au lendemain de la première guerre ; qu’à nouveau l’expansion de l’industrie nationale soit brisée par le retour aux mécanismes de l’économie d’exportation60. Le Conseil de l’Après-Guerre tient compte des exigences patronales lorsqu’il formule ses objectifs : “le respect de la liberté d’entreprise, le soutien au capital sain et vigoureux, l’intensification des échanges commerciaux, la mise en valeur des ressources naturelles, la décentralisation des industries, l’amélioration des conditions de travail, l’augmentation des salaires, l’extension des assurances sociales, la collaboration entre les employeurs et les salariés”61. C’est, à grands traits, le programme que le régime péroniste va s’efforcer d’appliquer dans la décennie suivante.

Le patronat industriel et l’ascension du patronat (1945-1949)

69En août 1944, le colonel Perón prononce un discours devant une assemblée d’hommes d’affaires :

  • 62 J.D. PERÓN, El pueblo quiere saber de que se trata (discours à la Bourse du Commerce, 25 août 1944) (...)

“On a dit, messieurs, que j’étais un ennemi du capital ; mais si vous observez bien ce que je viens de déclarer, vous verrez qu’il n’a pas de meilleur défenseur plus décidé que moi, parce que je sais que la défense des industriels et des négociants est la défense même de l’Etat. Je sais que l’on ne doit pas modifier brusquement le courant des échanges, ni s’attaquer directement au capital qui, avec le travail, forment un véritable corps humain dont les membres doivent fonctionner en harmonie pour éviter la destruction du corps lui-même. Dès que j’ai pris la direction du secrétariat au Travail et à la Prévoyance, j’ai établi clairement, indiscutablement, que cette maison devait préserver les intérêts des ouvriers et faire respecter les capitaux”62.

70Certes, le futur président adapte son langage à un auditoire qu’il veut se concilier. Pourtant, son propos n’est pas dénué de sincérité. Perón offre aux chefs d’entreprise l’aide de l’Etat à l’industrie de substitution, la prise en charge des services publics, l’élargissement du marché de consommation, l’arbitrage des conflits sociaux ; en échange, il leur demande de le hisser au pouvoir.

  • 63 BIT, Série législative, Argentine (index), 1943, 1944 et 1945.

71Dans le même temps, le colonel Perón se tourne vers les ouvriers. Ce militaire de carrière, impressionné par l’idéologie fasciste, n’éprouve aucune sympathie pour le marxisme. A son poste de secrétaire au Travail, il n’hésite pas à pourchasser, à emprisonner, à exiler des militants communistes et socialistes ; il dissout l’une des fractions de la CGT – la moins réformiste – et met en tutelle plusieurs fédérations professionnelles – par exemple, l’Union ferroviaire. Mais le secrétaire au Travail sait aussi gagner la confiance de syndicalistes influents – Borlenghi, des Employés de Commerce ; Reyes, des Frigorifiques ; Gay, de l’Electricité, etc. – ; il arbitre de nombreuses conventions collectives – plus de trois cents – qui sanctionnent des augmentations de salaires et des améliorations des conditions de travail ; et il fait promulguer des lois sociales, notamment les statuts des ouvriers agricoles et des employés de commerce et l’institution des tribunaux du travail63. Peu à peu, le colonel fascisant acquiert des appuis dans les milieux syndicaux et se taille une popularité auprès des masses ouvrières.

  • 64 F. LUNA, El 45, Cronica de un año decisivo, Buenos-Aires, éd. 1972, p. 76, 91, 199, 203 et 209.

72Cependant, les réformes imposées par le secrétariat au Travail déplaisent souverainement aux chefs d’entreprise. En juin 1945, un “manifeste de l’industrie et du commerce”, signé par la majorité des associations patronales, déplore “la démagogie officielle qui autorise des hausses de salaires excessives et des lois sociales irréalistes”. En réponse, la CGT organise des meetings et des défilés pour la défense des conquêtes ouvrières. De juin à octobre 1945, tandis que le gouvernement Farrell-Perón essaie tant bien que mal de faire oublier la neutralité argentine et de renvoyer l’armée dans ses casernes, se dresse une formidable coalition d opposants qui s’étend des élites dirigeantes aux classes moyennes, rassemble tous les partis politiques – des conservateurs aux. communistes – et bénéficie du soutien explicite de l’ambassade des Etats-Unis. L’Union Industrielle, la Société Rurale et la Chambre de Commerce financent la campagne des grands journaux, approuvent la grève des universités, participent à la marche” pour la Constitution et la Liberté, contribuent à faire tomber l’homme fort du régime militaire, le 9 octobre 1945. Mais l’ordre de grève générale lancé par la CGT et la gigantesque manifestation des masses populaires remettent Perón sur la voie du pouvoir, le 17 octobre 194564.

  • 65 La Nación, 8 au 18 janvier 1946.

73Des élections libres sont organisées afin de restaurer les institutions parlementaires. Les milieux d’affaires appuient presque unanimement l’Union Démocratique, qui regroupe les conservateurs, les radicaux, les socialistes et les communistes, contre un rassemblement péroniste, qui est formé principalement des travaillistes – sortis des rangs de la CGT – et de certains radicaux nationalistes. L’affrontement politique se double d’un conflit social. Le 7 octobre 1945, avant d’être renversé provisoirement, Perón a signé un décret sur les associations professionnelles qui renforce considérablement le rôle des syndicats dans les entreprises. Le 20 décembre 1945, Mercante, l’adjoint de Perón, promulgue un autre décret obligeant les employeurs à verser un treizième mois (l'aguinaldo) et à reconnaître le salaire minimum garanti. Aussitôt, les organisations patronales protestent contre “la politique d’intimidation”, dénoncent “le climat d’anarchie” et refusent de payer l'aguinaldo ; elles décident, ici et là, des lock-out. Les syndicats cégétistes, favorables à Perón, déclenchent des grèves surtout dans les frigorifiques, les grands magasins, les chemins de fer et les ports et docks, Les arrêts de travail partiels, qui commencent le 8 janvier 1946, débouchent sur une grève générale, du 14 au 17 janvier 194665. Un mois après, Perón remporte la victoire sur l’obscur candidat de l’Union Démocratique, avec 1.478.000 voix (55 %) contre 1.212.000 voix (45 %). La coalition péroniste, grâce au mode de scrutin majoritaire, dispose de la quasi-totalité des sièges au Sénat et des deux tiers des sièges à la Chambre des députés.

  • 66 A.A.P.I.C., Primer congreso de la economia argentina, 8 août 1947, Buenos-Aires, p. 4-12. NB. L’AAP (...)

74En février 1946, les jeux sont faits. Les “élites” traditionnelles viennent d’être vaincues par un leader populiste soutenu par les syndicats ouvriers. C’est alors que les classes possédantes se séparent : l’oligarchie foncière choisit de se cantonner dans une obstruction résolue tandis que la bourgeoisie industrielle accepte de collaborer avec le nouveau régime. A partir de mars 1946, Perón confie la gestion de l’économie à Miranda, un fabricant de conserves, d’origine catalane, socialiste dans sa jeunesse, qui incarne parfaitement la classe des entrepreneurs née avec l’industrie de substitution. Pendant plus de trois ans, Miguel Miranda dirige la Banque Centrale, l’Institut de Promotion des Echanges et le Conseil de Planification ; il est responsable, autant que le chef de l’Etat, des choix économiques du régime justicialiste. En mai 1946, Miranda et ses amis – Rosso, Delrio, Lagomarsino, Prati, Elizalde – mettent sur pied, pour remplacer l’Union Industrielle Argentine, un nouveau groupement patronal : l’Association Argentine de la Production agricole, de l’Industrie et du Commerce. L’AAPIC doit être la courroie de transmission entre les autorités péronistes et les chefs d’entreprise, l’équivalent au niveau des employeurs de ce qu’est la CGT au niveau des salariés66.

  • 67 La Nación, 6 décembre 1946. Débat au congrès sur la nationalisation de la Banque Centrale (interven (...)
  • 68 La Nación, 17 décembre 1946. Discours de Miranda pour la présentation du plan quinquennal.

75L’équipe Perón-Miranda renforce l’intervention de l’Etat dans le domaine économique. Dès mars 1946, la Banque Centrale est nationalisée, ce qui veut dire que l’institution passe sous la coupe des fonctionnaires argentins et échappe aux actionnaires étrangers. La Banque Centrale peut désormais contrôler l’ensemble des opérations financières et faire glisser les ressources provenant des exportations agropastorales vers les investissements industriels67. En mai 1946, est fondé l’Institut Argentin de Promotion des Echanges afin de prendre en main le commerce extérieur. L’IAPI se charge d’écouler sur le marché mondial les produits de l’agriculture et de l’élevage – viande, laine, cuir, blé, maïs et lin – soit 90 % des ventes de l’Argentine à l’étranger ; disposant ainsi de devises, l’IAPI se procure à l’extérieur des sources d’énergie – charbon et pétrole –, des matières premières – coton, acier, caoutchouc – et des équipements – locomotives, automobiles, machines-outils, etc. L’IAPI, en pratiquant des prix différentiels à l’achat aux producteurs argentins et à la vente aux clients étrangers, réussit à accumuler des réserves considérables ; et, en sélectionnant les importations, à orienter les investissements vers les transports, les constructions mécaniques et les industries chimiques68.

  • 69 F. LUNA, Argentina, de Perón à Lanusse (1943-1973), Barcelona 1973 p. 46-48 ; G. BEARN, La décade p (...)

76Le gouvernement péroniste nationalise également les services publics. En février 1947, est signé un accord Miranda-Eady entérinant le rachat par l’Etat argentin des compagnies ferroviaires à capitaux britanniques (Buenos-Aires au Pacifique, Grand Ouest Argentin, Central Argentin, etc.), soit 80 % du réseau. Deux mois plus tôt, les compagnies ferroviaires à capitaux français, environ 10 % du réseau, ont été récupérées selon une procédure identique. Dans le même temps, le gouvernement péroniste rachète la compagnie du gaz à un groupe britannique, l’union des téléphones à une firme nord-américaine ; créé une société mixte pour administrer les lignes aériennes ; accroît la marine marchande nationale en saisissant des navires allemands et japonais et en commandant d’autres unités aux chantiers navals européens. Cependant, la direction justicialiste ne va pas plus loin et, dès ce moment, renonce à nationaliser les centrales électriques et les entreprises frigorifiques ; en outre, elle fait une mauvaise affaire en indemnisant au prix fort les actionnaires étrangers de sociétés depuis longtemps déficitaires, dont les concessions allaient expirer et dont les équipements nécessitaient un complet renouvellement69.

  • 70 Presidencia de la Nación, Plan de gobierno (1947-1951), Buenos-Aires, 1946 (tableau des investissem (...)

77Un groupe d’experts, réuni autour de Miguel Miranda et de José Figuerola, élabore un plan quinquennal pour la période 1947-1951. Il s’agit d’une initiative comparable au plan indicatif proposé par Jean Monnet en France à la même époque. Les investissements à caractère économique sont évalués, sur cinq ans, à 6,7 milliards de pesos, dont 3,7 milliards pour les travaux publics et les transports ; 2,2 milliards pour les équipements énergétiques ; 0,9 milliard pour la santé et d’autres services. Sans conteste, le plan privilégie deux secteurs : premièrement, la rénovation des moyens de transports avec le remplacement du matériel des chemins de fer, l’achat de navires marchands, l’ouverture de lignes aériennes ; deuxièmement, la recherche de l’indépendance énergétique, avec l’installation d’oléoducs et de gazoducs, la construction de barrages hydro-électriques, la mise en valeur de gisements houillers70. De propos délibéré, la production agro-pastorale est négligée – on la considère uniquement comme une source de devises – ; la sidérurgie est confiée à l’armée pour la seule fabrication de matériels militaires ; et l’industrie légère, travaillant pour le marché de consommation, est abandonnée à l’initiative privée. Autrement dit, l’Etat se charge des équipements, des infrastructures, et laisse à la bourgeoisie d’entreprise le soin de mener la substitution des importations.

  • 71 Presidencia de la Nación, Plan de Gobierno (1947-1951), Buenos-Aires, 1946 p. 362-366.

78Toutefois, l’Etat fait jouer plusieurs mécanismes, en dehors du plan, pour stimuler l’industrie. D’une part, grâce au contrôle des changes et au fonctionnement de l’IAPI, le gouvernement péroniste élève les taxes douanières sur les articles manufacturés et les abaisse sur les matières premières et les biens d’équipement. D’autre part, le gouvernement péroniste engage la Banque Industrielle à allouer des crédits à long terme, portant un faible intérêt, aux firmes privées ; et il octroie des subventions et des dégrèvements d’impôts aux entreprises désirant renouveler leurs machines ou s’installer dans les provinces éloignées71. Enfin et surtout, le gouvernement péroniste élargit le marché intérieur en relevant le pouvoir d’achat des masses. Entre 1945 et 1949, le salaire nominal s’élance de l’indice 126 à l’indice 429 ; le coût de la vie monte de l’indice 119 à l’indice 236 ; et le salaire réel progresse de l’indice 106 à l’indice 181. L’amélioration du niveau de vie des travailleurs s’explique par le vote des lois sociales – sur le salaire minimum, le treizième mois, les congés et les retraites – et par l’arbitrage des autorités, plutôt favorables aux syndicats ouvriers, dans les négociations collectives.

  • 72 C. DIAZ ALEJANDRO, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970, p. 218-2 (...)

79Le patronat peut s’estimer satisfait. De 1944 à 1948, en cinq ans, la production manufacturière augmente pratiquement de 40 %. L’évolution varie selon les branches. Les activités traditionnelles – le bâtiment, l’alimentation, le cuir, le papier-carton – qui sont apparues au début du siècle, n’avancent plus que modérément. D’autres secteurs – le textile, la chimie, l’ameublement –, qui ont amorcé la substitution pendant la grande crise, croissent encore rapidement. Et les activités récentes – la métallurgie, l’appareillage électrique – qui ont démarré pendant la seconde guerre, connaissent un essor spectaculaire. Désormais, dans la formation du produit intérieur brut, la production manufacturière l’emporte sur la production agro-pastorale72.

Part de chacun des secteurs dans le produit intérieur brut (en % du total)

Agriculture et élevage

Industrie et mines

Commerce et transports

Services publics et privés

1935

25,8

17,0

23,7

30,2

1940

23,1

20,9

23,5

30,5

1945

20,1

27,4

24,0

27,0

1950

15,5

31,7

27,0

24,4

1955

17,9

29,6

25,3

26,0

80Pourtant, certains milieux d’affaires conservent leurs distances à l’égard des dirigeants péronistes. En août 1947, au congrès de l’AAPIC, alors même que la conjoncture est exceptionnellement prospère, des associations patronales critiquent, à mots couverts, l’extension des prérogatives de l’Etat. La Chambre des Métallurgistes déclare :

“Nous ne contestons pas le droit de l’Etat à intervenir directement dans la fabrication ou la commercialisation des articles manufacturés, même s’il entrave la libre initiative, en cas d’extrême urgence. Mais son intervention devrait toujours avoir un but précis, être de durée limitée et ne pas se substituer à l’initiative privée. Il est indéniable, qu’à ce jour, la libre entreprise, demeure la meilleure méthode pour atteindre la prospérité ou pour intensifier le travail... L’exemple des entreprises nord-américaines nous montre la voie à suivre. Aux Etats-Unis, les firmes sont aux mains des particuliers ; elles sont solides et compétitives”.

81La Chambre des Exportateurs est aussi explicite :

  • 73 AAPIC, Primer congreso de la economia argentina, 8 août 1947 : motion de la Chambre des Entrepreneu (...)

“Ces dernières années, la décision de remplacer l’initiative privée par le monopole de l’Etat dans plusieurs secteurs exportateurs a porté préjudice au commerce extérieur, par suite à l’économie toute entière et aux particuliers intéressés. C’est pourquoi il devient urgent de restituer à l’initiative privée son champ d’action et de lui laisser la tâche délicate et complexe qui consiste à placer les produits nationaux sur les marchés étrangers”73.

82Par ailleurs, le patronat industriel s’inquiète de la politique des revenus. L’AAPIC fait remarquer que le contrôle des prix, s’il poursuit l’objectif valable de préserver le pouvoir d’achat, n’est pas appliqué sérieusement, branche par branche, article par article. La confédération patronale demande que soit tenu compte des fortes hausses de salaires qui grèvent les coûts de production pour calculer des prix de vente laissant aux entrepreneurs des marges de profit d’environ 20 %. L’AAPIC admet l’organisation des syndicats dans les usines et les bureaux, en souhaitant que les cadres et les employés puissent constituer des associations différentes de celles des ouvriers ; et tolère le système des comités d’entreprise en déplorant les exigences excessives des syndicalistes.

  • 74 AAPIC, Primer congreso, Ibidem, p. 29-37 et p. 106 (résolutions du comité exécutif de l’organisatio (...)

“Il y a des comités d’entreprise (commissions internes) qui n’observent pas les règles statutaires et qui, au lieu de contribuer à harmoniser les relations entre les ouvriers et les patrons, s’arrogent des attributions qu’aucune législation ne leur reconnaît. Les comités d’entreprise, dans des cas semblables, vont à l’encontre des objectifs qui ont motivé leur création et deviennent une source de désordre, d’indiscipline et d’anarchie”74.

  • 75 Ministerio de Hacienda, Dirección de estadisticas y censos, Indices de la actividad industrial, Bue (...)

83A partir de 1949 et jusqu’en 1952, une crise cyclique, prévisible après la guerre, vient briser l’essor économique. L’Europe occidentale achève sa reconstruction et subvient à ses propres besoins ; donc, l’Argentine voit se contracter le débouché de ses viandes et de ses céréales. Or ces difficultés surgissent au moment précis où la rénovation des équipements et l’expansion des industries nécessitent de plus en plus de combustibles, de matières premières et de machines-outils. Les exportations diminuent nettement tandis que les importations ne peuvent être comprimées. Les soldes de la balance commerciale deviennent déficitaires et les réserves de devises s’épuisent. A l’intérieur, les prix s’emballent, les salaires suivent mal et le pouvoir d’achat régresse. Alors la production manufacturière enregistre une stagnation, parfois même un recul. Le marasme va se prolonger plus de trois ans75. Dès la fin de 1949, Perón prend conscience du danger : il renvoie Miranda et son équipe et infléchit sa politique économique, notamment en dévaluant le peso et en empruntant aux Etats-Unis. Les nouvelles orientations, confirmées lors du lancement du second plan en 1952, ne parviennent pas à désarmer les propriétaires fonciers mais commencent à déplaire aux entrepreneurs industriels. Peu à peu, le patronat cesse de soutenir le péronisme ; il ne fera rien pour empêcher sa chute en 1955.

***

84La présente étude n’est qu’une esquisse d'histoire sociale. Pour asséner des conclusions définitives, il faudrait vérifier chaque événement, préciser chaque décision, confirmer chaque donnée statistique en plongeant dans les archives patronales et gouvernementales. Ce qui, en l’état actuel des choses, est impossible. Néanmoins, à première vue, notre recherche fait apparaître une évolution complexe. De 1929 à 1943, l’oligarchie foncière garde les commandes mais doit composer avec le patronat industriel. Le compromis reste instable ; il est sans cesse remis en cause par l’une ou l’autre partie. De 1943 à 1955, l’oligarchie foncière perd le pouvoir tandis que le patronat industriel conserve une réelle influence ; pour ce faire, le groupe des entrepreneurs doit accepter la tutelle de l’Etat péroniste et une alliance avec le mouvement ouvrier. Ainsi, pendant la première étape de la substitution, jamais la bourgeoisie industrielle ne réussit à détenir le rôle hégémonique dans le “bloc au pouvoir”.

Notes

1 D’une certaine manière, cette étude prolonge “en amont”, pour la période 1929-1949, l’ouvrage de J. NIOSI, Les entrepreneurs dans la politique argentine, 1955-1973, Montréal, Université du Québec 1976, 258 p.

2 Sur l’économie primaire d’exportation, il convient de se reporter à R.M. ORTIZ, Historia economica de la Argentina, 2 vol., 1° édition 1955, 2° édition 1964 ; P. SOUWEINE, L’Argentine au seuil de l’industrie, Louvain, Paris, 1927 ; G. BOURDÉ, Urbanisation et immigration en Amérique latine : Buenos-Aires aux XIXe et XXsiècles, Paris, 1974.

3 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires, 1942, p. 73-77 (tableaux).

4 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico-social, Buenos Aires, 1945, p. 14.

5 C. DIAZ-ALEJANDRO, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970, p. 110 et 124.

6 FIAT - ARGENTINA, Sintesis economica y financiera no 1, diciembre de 1960, p. 78-79 (d’après les statistiques de la CEPAL).

7 FIAT - ARGENTINA, Opus cité p. 11-12.

8 Censo industrial 1935 (d’après A. DORFMAN, Opus cité, p. 245); censo industrial 1946, p. 11 ; R. SAUTU, Poder economico y burguesia industrial (1930-1954), Instituto Di Tella, Doc. n° 59, 1969, p. 35-39.

9 Censo industrial 1946 p. 16 ; C. DIAZ ALEJANDRO, Opus cité p. 334 (tableau 6-10 d’après les statistiques du Banco Central de la Republica Argentina).

10 FIAT - ARGENTINA, Sintesis economica y financiera, no 1, diciembre de 1960, p. 33-34 ; C. DIAZ ALEJANDRO, Opus cité, p. 222-226

11 D. FELIX, Industrialización sustitutiva de importaciones y exportación industrial en la Argentina, Instituto T. Di Telia, Documento de Trabajo no 22, Buenos-Aires, septembre de 1965, p. 30-31 et p. 39-41.

12 La faiblesse des taxes douanières est soulignée par A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires 1942 p. 330-333. Mais l’idée du libre-échange est contestée par C. DIAZ ALEJANDRO, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970, p. 277 et suivantes

13 O. CORNBLIT, Immigrantes y empresarios en la política argentina in “Los fragmentos del poder” Buenos-Aires, 1969, p. 390 (d’après le bulletin de l’UIA, novembre 1918).

14 La Nación, 1er janvier 1930. Note de l’UIA adressée au gouvernement.

15 Revista de Economia Argentina no 147, septembre 1930, p. 209-215. Mémoire présenté par les dirigeants de la Société Rurale (F. Martinz de Hoz ; M. Casares) ; de la Bourse des Céréales (C. Garibaldi ; J. Goyeneche) ; de l’Union Industrielle Argentine (L. Colombo ; E. Herbin) ; de la Confédération du Commerce, de l’Industrie et de la Production agropastorale (A. Mendez Casariego ; J. Garcia).

16 La Nación, 1, 4 et 7 septembre 1930.

17 A. ROUQUIÉ, Pouvoir militaire et société politique en République Argentine, Paris 1978, p. 183-184.

18 Ainsi, Alejandro Bunge, le directeur de la Revista de Economia Argentina, devient conseiller du gouvernement et secrétaire aux finances de la province de Santa Fé en 1930-1931.

19 Revista de Economia Argentina, C. Tornquist, A propos de la balance des paiements, no 151, janvier 1931, p. 17-18.

20 Revista de Economia Argentina, A. Bunge, no 156, juin 1931, p. 466-467.

21 Revista de Economia Argentina, A. Bunge, no 141, mars 1930, p. 199 et suivantes.

22 Revista de Economia Argentina, E. Uriburu, discours devant la conférence économique nationale, no 159, septembre 1931, p. 155-157.

23 La Nación, 7 septembre 1931. Discours du président J. Uriburu pour l’anniversaire de la “révolution” du 6 septembre 1930.

24 Banco Frances e Italiano, Evolución economica y financiera de la Republica Argentina de 1931 a 1935, Buenos-Aires, 1936, p. 2-3.

25 La Nación, 11 au 14 octobre 1931. Déclaration de A. Casal, membre de la Commission de contrôle des changes.

26 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos Aires 1942, p. 80-81 (d’après les statistiques du Département National du Travail).

27 La Nación, 1er au 3 mai 1933.

28 La Nación, 1er et 2 décembre 1936, 17 octobre 1939, 6 avril 1946.

29 Revista de Economia Argentina, tableaux statistiques, no 179-180, mai-juin 1933, p 216 ; no 256, octobre 1939 p. 292.

30 Revista de Economia Argentina, no 272, février 1941, p. 61.

31 Revista de Economia Argentina, no 179-180, mai-juin 1933, p. 270-271 (manifeste de l’UIA) ; no 182, août 1939, p. 101-107 (discours de L. Colombo).

32 Revista de Economia Argentina, no 181, juillet 1933, p. 25-35 (conférence de E. Uriburu du 12 mai 1933), p. 37-41 (conférence de A. Bunge du 17 mai 1933).

33 La Nación, 3 mai 1933 (commentaire de Saavedra Lamas sur le traité anglo-argentin).

34 La Nación, 5 décembre 1933 (discours radio-diffuse de F. Pinedo).

35 Banco Frances e Italiano, Evolución economica y financiera de la Republica Argentina de 1931 à 1935, Buenos-Aires, 1936, p. 2 à 6.

36 Revista de Economia Argentina, no 192, juin 1934, p. 243-250 ; no 194, août 1934, p. 83-86 ; no 204, juin 1935, p. 151-153.

37 Ministerio de Hacienda, Informe y proyectos de Sir Otto Niemeyer, Buenos-Aires, 1933, p. 33-34 ; Revista de Economia Argentina, no 202-203, avril-mai 1935, p. 101-113.

38 Revista de Economia Argentina, no 195 septembre 1934, p. 117-131 ; et no 196, octobre 1934 p. 165-177 (rapport du bureau d’études de l’UIA).

39 A. DORFMAN, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires 1942, p. 141-143 (d’après le recensement de 1937).

40 La Nación, 31 décembre 1935 ; 1er janvier 1936.

41 La Nación, 2 au 17 juin 1937 ; 5 au 15 septembre 1937.

42 La Nación, 8 décembre 1936 (déclaration du ministre des Finances, R. Ortiz).

43 Revista de Economia Argentina, no 217-218, juillet-septembre 1936, p. 107-108,

44 Revista de Economia Argentina, no 235, janvier 1938, p. 47-50.

45 La Nación, 3 septembre 1939 (discours de J. Padilla ministre de l’Agriculture, au banquet offert par l’UIA pour célébrer le “Jour de l’Industrie”).

46 Revista de Economia Argentina, no 275, mai 1941, p. 166-168 ; no 279-septembre 1941, p. 279-284.

47 La Nación, 6 au 11 septembre 1939 ; 30 décembre 1939 ; 6 avril 1940.

48 Revista de Economia Argentina, no 276, juin 1941, p. 195-198.

49 A. DOREMAN - F. SINTES OLIVES, Encuesta continental sobre fomento y coordinacion de industrias, Montevideo, 1944, p. 9-15 et p. 39-48. Par exemple, la première “corporation” est mise en place par un groupe d’hommes d’affaires spécialisés dans le commerce entre l’Argentine et les Etats-Unis.

50 Ministerio de Hacienda, El plan de reactivación economica, Buenos-Aires, 1940, p. 10-12, p. 14-16.

51 Ministero de Hacienda, El plan de reactivación... Ibidem p. 18-22.

52 E. PELLET LASTRA, Evolución industrial argentina, Buenos-Aires, 1940, p. 16-18.

53 Memoria del Banco Central de la Republica Argentina (1942) in A. DORFMAN - F. SINTES OLIVES, Opus cité, 1944, p. 1-2.

54 J. LLAMARES, Examen del problema industrial argentina, Buenos-Aires, 1943, p. 80 ; FIAT-ARGENTINA, Sintesis economica y financiera, no 1, 1960, p. 34.

55 Il s’agit de l’interprétation de la gauche nationaliste, qu’elle soit marxiste ou péroniste, qui s’exprime dans des ouvrages tels que : J.A. RAMOS, Revolución y contra revolución en la Argentina, Buenos-Aires, 1957 ; J.J. FERNANDEZ ARREGUI, La formación de la conciencia nacional de 1930 à 1960, Buenos Aires, 1960 ; A. PERELMAN, Como hicimos el 17 de octubre, Buenos Aires, 1961 ; A. BELLONI, Del anarquisno al peronismo, BuenosAires, 1960.

56 A. ROUQUIE, Pouvoir militaire et société politique en République Argentine, Paris 1978, p. 325 et suivantes. L’auteur fait le point sur le “golpe” de juin 1943.

57 A. ROUQUIÉ, Ibidem, p. 288-289, d’après le Boletín Oficial – loi 12.709 – 9 octobre 1941.

58 A. DORFMAN - F. SINTFS OLIVES, Encuesta continental sobre fomento y coordinación de industrias, Montevideo 1944, p. 31-36 et p. 79-81.

59 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico social, Buenos-Aires, 1945, p. 41-42, p. 51-55.

60 A. DORFMAN - F. SINTES OLIVES, Opus cité, 1944, p. 7-8 (réponse de la Chambre des Exportateurs à une enquête sur l’après-guerre).

61 Consejo nacional de post-guerra, Ordenamiento economico social, Buenos-Aires, 1945, p. 56-59.

62 J.D. PERÓN, El pueblo quiere saber de que se trata (discours à la Bourse du Commerce, 25 août 1944), Buenos Aires, p. 184-185.

63 BIT, Série législative, Argentine (index), 1943, 1944 et 1945.

64 F. LUNA, El 45, Cronica de un año decisivo, Buenos-Aires, éd. 1972, p. 76, 91, 199, 203 et 209.

65 La Nación, 8 au 18 janvier 1946.

66 A.A.P.I.C., Primer congreso de la economia argentina, 8 août 1947, Buenos-Aires, p. 4-12. NB. L’AAPIC devient la CEA en 1949, puis la CGE en 1953.

67 La Nación, 6 décembre 1946. Débat au congrès sur la nationalisation de la Banque Centrale (interventions de Cooke et de Frondizi).

68 La Nación, 17 décembre 1946. Discours de Miranda pour la présentation du plan quinquennal.

69 F. LUNA, Argentina, de Perón à Lanusse (1943-1973), Barcelona 1973 p. 46-48 ; G. BEARN, La décade péroniste, collection Archives, Paris, 1975, p. 138-141.

70 Presidencia de la Nación, Plan de gobierno (1947-1951), Buenos-Aires, 1946 (tableau des investissements) p. 452-454.

71 Presidencia de la Nación, Plan de Gobierno (1947-1951), Buenos-Aires, 1946 p. 362-366.

72 C. DIAZ ALEJANDRO, Essays on the Economic History of the Argentine Republic, London, 1970, p. 218-220 ; L. PORTNOY, Analisis critico de la economia argentina, Buenos-Aires, 1961, p. 8.

73 AAPIC, Primer congreso de la economia argentina, 8 août 1947 : motion de la Chambre des Entrepreneurs Métallurgistes p. 39-42 ; motion de la Chambre des Négociants Exportateurs, p. 43-44.

74 AAPIC, Primer congreso, Ibidem, p. 29-37 et p. 106 (résolutions du comité exécutif de l’organisation patronale).

75 Ministerio de Hacienda, Dirección de estadisticas y censos, Indices de la actividad industrial, Buenos-Aires, décembre 1956 - juin 1957, p. 12-13.

Table des illustrations

Titre Commerce argentin
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Titre Capitaux étrangers
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Titre Taux d'investissement (en prix constants 1950)
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Titre Structures des entreprises en 1935
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Titre Structures des entreprises en 1946
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Titre Formation du capital fixe. Moyenne annuelle en millions de pesos (prix constants de 1960)
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Titre Emploi industriel (en indices)
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