Introduction Partie I

1La « pilule du lendemain » est un moyen de contraception post-coïtal, elle peut donc être administrée pour éviter une grossesse non désirée suite à un viol, un échec de contraception ou un rapport sexuel non protégé. Elle a ainsi été envisagée par ses créateurs comme un instrument, un outil permettant de réduire le nombre de grossesses non désirées et, par voie de conséquence, de diminuer le nombre d’avortements. Elle apparaît au Chili dans les années 1990, alors même que la démocratie a été fraîchement récupérée après dix-sept années de dictature militaire conduite par le général Augusto Pinochet.

2La pilule du lendemain constitue un objet d’étude intéressant parce qu’il ne s’agit pas, au départ, d’un enjeu mais d’un outil. Les études portant sur la politisation prennent souvent pour objet des personnes (par exemple, la politisation des hauts fonctionnaires [Eymeri in Lagroye, 2003]) ou bien des enjeux de société (la politisation du sida [Favre, 1992]). La pilule du lendemain ne constitue pas en soi un enjeu de société comme peut l’être l’épidémie du sida. En revanche, elle y fait référence. La politisation de la pilule a ainsi nécessairement débuté par un travail de qualification des enjeux problématiques qu’elle pose (avortement, sexualité non institutionnalisée et précoce). Il est donc intéressant d’étudier le mouvement de problématisation par lequel cet instrument de politique publique deviendra un enjeu principal d’affrontement dans l’espace public, éclipsant souvent les « vrais » problèmes (selon le langage de ses défenseurs) qu’il était supposé prévenir.

3C’est durant la première décennie de la nouvelle démocratie que l’on assiste à l’émergence, timide, de cette pilule dans l’espace politico-administratif ainsi qu’à son émergence, bien plus hardie, dans l’espace public.

4Comment la pilule du lendemain est-elle passée du statut d’outil à celui de problème public ? Quels sont les acteurs en présence dans ce processus et quelles sont les stratégies qu’ils adoptent pour obtenir ce qu’ils souhaitent ? Comment expliquer que le champ politique ne se soit pas saisi rapidement de ce problème devenu public ? Autant d’interrogations auxquelles nous allons, dans ce chapitre, apporter des éclairages afin de tester l’hypothèse selon laquelle l’action publique en matière de sexualité peut difficilement surmonter le cadre politique extraordinaire (récupération de la démocratie) dans lequel elle tente de s’insérer. Tout l’enjeu pour les différents acteurs impliqués consiste à jouer stratégiquement dans et de ce cadre, dans l’objectif de bloquer ou de promouvoir la pilule du lendemain comme instrument d’action publique. Étudier l’émergence de la pilule du lendemain dans l’espace public et politique c’est ainsi inévitablement se préoccuper de la construction post‑dictatoriale de la démocratie chilienne.

5Après avoir explicité les sources de l’émergence de la pilule du lendemain au Chili, notre regard se portera sur les dynamiques post-dictatoriales qui caractérisent le champ politique dans lequel cette pilule tente de s’introduire. C’est à partir de ces contraintes politiques que nous comprendrons les processus de problématisation et de publicisation de la pilule du lendemain et que nous caractériserons les stratégies utilisées par ses défenseurs et ses opposants. Les contraintes politiques extraordinaires nous permettront en outre de saisir le sens de l’absence de politisation de la pilule. En ce sens, l’étude de la publicisation et de la non-politisation de la pilule du lendemain au Chili entre 1990 et 2001 nous sert d’excellent révélateur des rapports de forces politiques et institutionnels dont le nouveau régime a hérité et dans lesquels l’action publique en matière de famille et de sexualité est sommée de se déployer.