Introduction

1Au xviii^e siècle, face à l’augmentation incessante des dépenses publiques, les réformateurs européens, à la recherche de catégories fiscales et juridiques universelles dans les sociétés où règnent les privilèges, lancent des projets de réformes fiscales. Ces projets prévoient la confection des cadastres comme instruments de l’assiette des impôts. Comme le montre Antonella Alimenta2, les cadastres généraux, malgré leurs enjeux économiques et politiques, trouvent leur place au xviii^e siècle au centre des pratiques administratives en Europe occidentale (la France, la Catalogne, la Castille, le Piémont, le royaume de Naples, le duché du Milan, la Savoie, etc.)3.

2Pour l’Europe orientale du xviii^e siècle, dans les terres de l’Empire ottoman, voit-on cette nouvelle conception fiscale partagée par l’administration ottomane ? La réponse est non. Bien que depuis le xiv^e siècle, l’administration ottomane confectionne régulièrement des registres fiscaux très détaillés, au xviii^e siècle, il n’y a pas de tentative administrative consistant à fonder une réforme fiscale sur un cadastre universel. En effet, au xviii^e siècle, plutôt que de créer des impôts directs et de réaliser un cadastre, les gouvernements ottomans ont plutôt recours aux fermiers d’impôt, entreprennent plusieurs fois l’altération des monnaies en changeant le contenu métallique et émettent des rentes viagères successives afin de dépasser la crise fiscale qui devient perpétuelle depuis le xvii^e siècle. C’est dans les années 1830, lorsque la contribution universelle est introduite dans l’administration fiscale par les Tanzimat (réformes), que l’Empire ottoman peut conclure son ancien régime fiscal et par là, achever son long xviii^e siècle.

3L’historiographie de l’Empire ottoman, jusqu’aux années 1980, a eu tendance à analyser le xviI^e et le xviii^e siècles comme une période de déclin pendant laquelle l’administration ottomane est complètement désorganisée et corrompue. La décentralisation administrative et la transformation militaire et fiscale4, en d’autres mots la désorganisation des fiefs militaires, l’ascension des pouvoirs locaux, la disparition des registres fiscaux – dits registres impériaux – des xv^e et xvi^e siècles, l’affermage d’impôts etc., sont les indices les plus importants du déclin ottoman. Soulignons que cette historiographie classique reprend les thèses des observateurs de l’époque5. Mais il faut bien reconnaître que ces thèses sont produites par des contemporains conservateurs qui sont en train de perdre leur ancienne place privilégiée dans la nouvelle répartition du pouvoir6. En revanche, les études faites à partir des années 1980, au lieu de reprendre l’idée d’un déclin éventuel, soulignent plutôt la flexibilité du système fiscal ottoman et sa capacité d’adaptation aux nouvelles situations7. D’après ces dernières recherches, les instruments que l’administration centrale développe, c’est-à-dire les nouveaux registres fiscaux, le système des fermes d’impôt, l’altération des monnaies et l’émission de rentes viagères permettent à l’administration ottomane de survivre, bon gré mal gré, aux crises financières jusqu’au xix^e siècle.

4En confirmation de cette historiographie « révisionniste », on relève les réflexions du diplomate britannique David Urquhart et de l’économiste français Michel Chevalier, qui font l’éloge du système fiscal ottoman dans les années 1830, lorsque les Tanzimat (réformes) ne sont pas encore mises en place. Le point de départ de Michel Chevalier, libre-échangiste et saint-simonien d’origine, est la critique de l’organisation des statistiques en France pendant les années 18308. Selon lui, dans une France surchargée d’impôts, il n’est pas très facile de vaincre la défiance des populations, notamment face aux agents du pouvoir, et donc de recueillir les renseignements nécessaires aux travaux statistiques. Cependant, Chevalier, à la lumière de ses lectures, découvre une solution pour surmonter ce problème : « Cette difficulté m’a paru insoluble, jusqu’à ce que j’aie lu, dans les Observations de M. Urquhart sur la Turquie9, le procédé suivant lequel l’impôt est réparti entre les rayas10 dans les villages ». En effet, David Urquhart11, surpris de l’organisation municipale existant dans les terres ottomanes, note : « Lorsque j’observai, pour la première fois, les effets de cette organisation locale et le système financier sur lequel elle était basée, je crus que j’avais découvert la force secrète qui avait préservé jusque-là l’empire turc de sa ruine »12. Bien qu’il existe des exagérations dans la description d’Urquhart, le modèle de l’institution municipale de l’Empire ottoman sert ainsi à Michel Chevalier, de solution à l’impasse de l’organisation administrative des statistiques en France. Chevalier cite ainsi Urquhart :

« Il n’y a point de collecteur turc chargé d’aller frapper à toutes les portes, et de présenter à chaque habitant un rôle de contributions. Le pacha demande la taxe au village tout entier, ou plutôt à ses magistrats électifs ; ceux-ci s’entendent entre eux, et répartissent le tribut à l’amiable entre les habitants, dont la fortune et les ressources individuelles leur sont parfaitement connues »13.

5Dans les lignes générales, l’organisation administrative et fiscale de l’Empire ottoman fonctionne, comme Urquhart la décrit et Chevalier la conçoit, jusqu’à la fin des années 1830. Elle correspond de fait au système de répartition de la taille personnelle dans la France d’Ancien Régime, dans lequel la monarchie assignait une somme globale à une paroisse, à charge pour les paroissiens de répartir entre eux la somme, avec leurs syndics. On peut s’étonner, d’ailleurs, que, cinquante ans après la chute de la monarchie, le souvenir de ses techniques fiscales soit sorti des mémoires, en tout cas de celle de Michel Chevalier. Pour ce qui est de l’Empire ottoman lui-même, cette organisation fiscale doit être mise dans son propre contexte, afin d’analyser, au plus près, ses enjeux et son évolution historique. D’où les questions suivantes : lorsque les réformes des cadastres généraux sont mises en application en Europe occidentale, quels sont les principes du fisc ottoman ? Comment les impôts directs sont-ils imposés et collectés ? Comment le fisc enregistre-t-il les impositions directes ? Afin de répondre à ces questions, je vais présenter d’abord l’organisation fiscale et les registres fiscaux du xv^e et xvi^e siècles, ensuite la transformation administrative et fiscale que l’Empire vécut durant le xvii^e siècle et la nouvelle pratique administrative de l’enregistrement. Dans une troisième partie, je vais analyser les enjeux de la fiscalité ottomane pendant un long xviii^e siècle, qui s’achève réellement dans les années 1830.

I. REGISTRES IMPÉRIAUX

A. Les Procédures

6Les pratiques administratives prémodemes résultent d’un contexte politique dans lequel le souverain est en compétition pour le pouvoir avec des groupes divers. L’art du gouvernement consiste donc à trouver des arrangements avec ces groupes en répartissant les recettes fiscales, par type de ressources imposables, entre chacun. Et la pratique administrative représente la somme des arrangements particuliers négociés entre l’autorité centrale et les groupes divers. Dans l’Empire ottoman, aux xv^e et xvi^e siècles, les règlements fiscaux sont ainsi des arrangements négociés entre les officiers, fonctionnaires et groupes locaux, y compris les paysans et les fonctionnaires de l’administration centrale : les sources de revenus contrôlées à un titre ou un autre par l’État sont réparties entre les commandants militaires, les religieux et les anciens gouverneurs des terres conquises sous forme de concessions14. Ces concessions exigent une réciprocité. Elles sont faites en échange de services militaires, administratifs et sociaux (la gestion des offices administratifs, des domaines impériaux, des fondations pieuses (waqf) et des fiefs (ttmar15) etc.). Dans ce contexte, l’État, promulguant la justice du souverain, se définit par son habileté à assurer l’harmonie sociale. La mission de justice de l’ancien régime ottoman est donc basée sur l’aptitude de l’administration centrale à arbitrer parmi les divers intérêts particuliers16. Les arrangements résultant des négociations particulières qui sont compilés dans les règlements administratifs sont, au niveau local, sous la garantie de la juridiction provinciale représentée par le kadi (juge) local. Celui-ci est chargé d’assurer la justice paternelle du sultan au sein de chaque kaza, unité territoriale de base, judiciaire et religieuse ; il est nommé par l’autorité juridico-religieuse centrale, cheykh ul- islam17.

Tableau 1 L’administration fiscale de l’Empire ottoman et de la France au xvi^e siècle Le temps de la régie. Gestion de l’impôt direct, çift-taxe, dans les timars comparée à la gestion de la taille

7En fonction de ces principes d’organisation administrative et puisque l’administration centrale reconnaît aux fonctionnaires civils et militaires soit le droit de percevoir l’impôt d’une région ou d’un domaine, soit les immunités fiscales, il est indispensable de connaître les différentes sources de revenus de l’Empire et de suivre leurs modifications durant une période donnée. L’administration centrale peut ainsi contrôler si les traitements de ces fonctionnaires, dont les montants sont indiqués dans les registres et les actes de concessions accordés aux ayants droit, correspondent aux taxes qu’ils prélèvent effectivement. Dans la période d’expansion géographique de l’Empire, du xiv^e au xvi^e siècle, quand la population et les ressources de l’Empire augmentent sans cesse, des enquêtes fiscales sont effectuées régulièrement et permettent chaque fois de mettre à jour de nouveaux excédents sur les recettes prévisionnelles de l’État. L’enquête fiscale devient ainsi une condition préalable à la distribution des recettes parmi les titulaires des offices administratifs et militaires18.

8Chez les Ottomans, la pratique des enquêtes fiscales remonte au plus tard à la fin du xiv^e siècle, même si les spécimens conservés ne sont pas antérieurs à 1431. Leur nombre se multiplie dans la seconde moitié du xv^e siècle, mais les plus nombreux appartiennent au xvi^e siècle19. Les enquêtes ne représentent que des opérations partielles, c’est-à-dire qu’elles sont limitées à une ou quelques provinces. L’administration les renouvelle en moyenne tous les trente ans, rythme à rapprocher de la révision trentenaire, au moins théorique, des compoix dans la France d’Ancien Régime. L’avènement d’un nouveau souverain, la modification des frontières, la conquête d’une région, la réforme fiscale peuvent provoquer une nouvelle enquête.

9Les enquêtes des xv^e et xvii^e siècles aboutissent aux registres, dits registres impériaux, defter-i hakani. Afin de les confectionner, un recenseur est nommé par l’administration centrale soit parmi les lettrés (les kadis ou les secrétaires de l’administration centrale), soit parmi le personnel militaire. Il est assisté d’un secrétaire issu de la chancellerie centrale. En outre, le recenseur bénéficie sur le terrain du concours des kadis locaux. Il est muni d’instructions écrites précises et dispose également du registre antérieur de la région à recenser. Le recenseur et son secrétaire doivent se rendre dans toutes les localités concernées, y rencontrer tous les ayants droit, détenteurs de timar, administrateurs des waqfs, détenteurs des propriétés foncières libres (mülk) et également les bénéficiaires d’exemptions diverses. Ils contrôlent et enregistrent les actes de concessions, les titres de propriété ou toute attestation légitimant la jouissance d’un bien. Les paysans dépendant des timars doivent également se présenter au recenseur. Le statut de chaque paysan est examiné et les impôts qui lui sont attachés sont établis. La production agricole des trois années précédant le recensement est également établie et par comparaison aux résultats de l’enquête précédente, le surplus ou la baisse de la production est constaté afin d’enregistrer les ‘ushrs20. De même, le recenseur et son secrétaire notent les décès et les naissances depuis le registre précédent, en s’appuyant sur les déclarations des paysans21.

Tableau 2 La propriété foncière dans l’Empire ottoman22

L’État a le droit ultime de propriété (rakaba) sur toutes les terres, les sujets n’y bénéficient que des droits de revenus.

10Enfin, le recenseur doit enquêter sur les impôts effectivement perçus dans les années antérieures, tant auprès des détenteurs des timars que des paysans. La fuite devant le recensement et les fausses déclarations sont combattues, et la dénonciation est récompensée. L’intervention de plusieurs acteurs locaux (recenseur, kadi, détenteur du timar, paysans) permet à l’administration centrale de faire fonctionner un contrôle mutuel au niveau local. Néanmoins, s’il y a des litiges dans les déclarations, le recenseur n’a pas le droit de les trancher, il doit les soumettre à l’administration centrale23. Le rôle du recenseur reste limité par les registres antérieurs qui fixent le statut fiscal et juridique de chaque circonscription. Les changements majeurs ne peuvent être faits qu’après avoir obtenu un consensus à l’issue d’une négociation impliquant les demandeurs locaux, les fonctionnaires responsables de l’enquête et de l’enregistrement et l’administration centrale. Un changement entrepris à l’initiative des recenseurs, sans avoir cette base légale, est rejeté par le centre24. Il faut donc que le pouvoir central réussisse à arbitrer les intérêts particuliers et à assurer l’harmonie sociale. En effet, l’évasion des populations et leur insaisissabilité, plus particulièrement constatée chez les nomades, représente un grand problème pour l’administration centrale. Des rébellions provoquées par les enquêtes, ainsi que des agressions contre les recenseurs sont parfois observées sur les terres ottomanes : les Albanais résistent dès le début de l’enregistrement, en 1431, jusqu’à la mort de Scander-Beg, en 1468 ; en 1519, dans la région de Bozok, dans le centre de l’Anatolie, le kadi et son secrétaire sont tués en pleine enquête par la population ; de même, en 1527, les paysans tuent le recenseur et une insurrection paysanne éclate dans une région qui s’étend de Kayseri à Amasya, dans le centre de l’Anatolie25.

B. Les impôts26

11Les registres contiennent les noms des adultes mâles avec celui de leur père, ainsi que leur statut juridique, leurs charges et leurs privilèges selon la classe économique et sociale à laquelle ils appartiennent. On y trouve également l’étendue des terres qu’ils possèdent.

12L’impôt principal est la çift-taxe pour les musulmans et l’ispence pour les non musulmans. La çift-taxe est un impôt payé par tout paysan musulman marié, chef de foyer, exploitant un çift. Le mot çift, signifiant à l’origine paire, est employé pour désigner la surface qui peut être cultivée avec une paire de bœufs et qui varie de 60 à 150 dönüms27 selon la fertilité du sol. Cet impôt se paye sans prendre en compte la situation personnelle du paysan, ce qui lui confère le caractère d’un impôt sur le revenu brut. C’est une taxe forfaitaire modulée en quatre tarifs différents. D’après le règlement de Mehmed II, à la deuxième moitié du xv^e siècle, la çift-taxe représente une somme d’argent équivalent à sept services tels que la fourniture de foin, de paille, de bois, etc. aux détenteurs de timar. Pour ces 7 services 22 akçe28 doivent être payés comme çift-taxe. Ceux qui possèdent une moitié de çift, doivent payer une taxe moitié moindre ; ceux qui possèdent des terres d’une superficie inférieure à un demi-çift, ou n’en possèdent aucune, sont assujettis à des taux inférieurs, de 6 ou 9 akçe. Et, pour finir, les paysans classés comme pauvres ou célibataires, ne possédant aucune terre, paient cet impôt au taux le plus bas, soit 6 akçe29. En résumé, le montant de la çift-taxe défini dans ces registres dépend de la capacité de main-d’œuvre du contribuable et de l’étendue de la terre qu’il cultive. Tandis que le statut matrimonial définit la capacité de main-d’œuvre (plus pour un marié, moins pour un célibataire), on mesure l’étendue de la terre avec une unité de superficie qu’une paire de bœufs peut labourer en un jour. Ces registres fixent donc le statut fiscal et juridique des paysans.

13Quant à Vispence, c’est un impôt par tête, d’origine pré-ottomane, perçu sur les sujets non musulmans adultes et s’élevant en général à 25 akçe par an. Les Ottomans le considèrent comme une capitation versée au détenteur de timar ou comme le pendant du çift-taxe30. Après l’établissement des çift-taxe et de l’ispence, le recenseur enregistre les totaux des ‘ushrs en nature sur la base de la production des trois années antérieures.

14La troisième catégorie d’impôt consiste en des droits sur les ressources autres que les terres labourables : les vignobles, les vergers, les moulins, les ruches, le bétail ovin, les pêcheries, les mines, etc. Le recenseur les fixe en prenant en considération la population et les conditions économiques de la région.

15La quatrième catégorie consiste en des prélèvements extraordinaires, avariz-i divaniyye qui sont imposés sur la base d’unités fiscales, dites avanz-hane (feu fiscal)31. Le recenseur enregistre tous les contribuables, tous les exempts et les feux composés par ces deux catégories. Les feux enregistrés (avariz-hane) deviennent opérationnels quand l’administration centrale demande des prélèvements extraordinaires32. Une fois qu’une somme globale est imposée, elle est répartie entre les circonscriptions et dans les circonscriptions entre les avartz-hanes figurant dans les registres. Ainsi, alors que les trois premières catégories d’impôt sont des impôts forfaitaires, le dernier est un impôt de répartition.

C. Contenu des registres

16Les registres commencent en général par la reproduction des instructions délivrées au recenseur. Vient ensuite un texte législatif, le kanunname33 (le code) de la province qui en fixe les particularités agraires et fiscales34. Ce texte représente, en fait, la conciliation entre les principes fiscaux de l’Empire en général et les usages locaux de la région particulière. Il précise les modalités des rapports entre les détenteurs de timars et les paysans, ainsi que la nature, les conditions de perception et les taux des différentes contributions sur les personnes, la production, la circulation et les transactions. C’est le texte de base pour les kadis locaux dans leur juridiction. Puis viennent les enregistrements faits lors des enquêtes, en commençant par le chef-lieu de la province et la circonscription qui en dépend. Les enregistrements sont faits par ville ou village. Ils donnent d’abord une liste des individus imposables, c’est-à-dire des mâles adultes, mariés ou célibataires, avec pour chacun, le prénom, le patronyme et éventuellement des indications du métier ou de l’origine géographique35. Le dénombrement nominatif est suivi d’une énumération détaillée des différents revenus imposables du village, accompagnés du montant de leur imposition. Cette énumération commence par l’inscription du revenu total du village, puis détaille les çift-taxes sur les personnes, les ‘ushrs sur les céréales et d’autres productions, et finit par le reste des taxes. Il faut donc bien souligner que les revenus et les impôts ne sont enregistrés que globalement, pour tout le village. Donc, bien qu’on puisse apercevoir les personnes avec leur statut fiscal et juridique, on ne peut pas distinguer leurs revenus et leurs contributions individuellement comme on peut l’observer dans les registres du xix^e siècle. L’impôt est une obligation collective de village, les catégories de ces enquêtes ne sont donc, et logiquement, pas individuelles.

17Les registres détaillés (defter-i mufassal), dans lesquels les résultats des enquêtes sont enregistrés, sont préparés séparément pour les timars, les domaines privés, et les fondations pieuses36. Mais il existe aussi des registres récapitulatifs (defter-i icmal) dans lesquels les données contenues dans les registres détaillés sont résumées ; des registres des mutations (defter-i derdest) dans lesquels sont enregistrées les mutations successives de chaque fief ; des journaux (defter-i ruznamçe) dans lesquels sont inscrites les copies des actes de concession délivrées aux nouveaux détenteurs de fiefs37. Ces registres qui sont conservés au Defterhane (Bureau central des registres fiscaux) constituent donc un quasi-cadastre dans lequel les titres de propriété de chaque domaine, avec un résumé de leurs mutations successives, sont indiqués.

II. REGISTRES DES FEUX FISCAUX

18La fameuse crise du xvii^e siècle38 est l’occasion pour l’Empire ottoman de transformations de sa structure administrative, militaire et fiscale39. Dans un contexte de crise monétaire, de dissolution de plusieurs fiefs militaires et d’intégration de nouveaux corps salariés dans l’armée ottomane au xvii^e siècle, l’administration centrale commence à chercher de nouvelles solutions afin de financer son armée et sa bureaucratie. D’une part la gestion fiscale des fiefs militaires, des offices administratifs, des domaines impériaux commence à être attribuée progressivement à des fermiers d’impôt. D’autre part, puisque la çift-taxe perd de son importance quand la valeur de l’akçe diminue après la crise financière de 158240, peu à peu, les impôts exceptionnels (avarιz-i divaniyye, tekalif et imdadiye), que l’administration demandait en cas de besoin urgent, deviennent des impôts réguliers, et sont levés annuellement41. Dans ce contexte, le système de maktu, par lequel l’administration centrale imposait aux communautés locales des sommes forfaitaires réparties sous la responsabilité des kadis, se généralise dans tout l’Empire42. Les impôts autrefois exceptionnels et désormais pérennisés, traités dans ce système, deviennent ainsi des impôts de répartition. Et la transformation fiscale que l’administration ottomane vécut au tournant du xvii^e siècle, peut être décrite comme un passage de l’impôt forfaitaire tarifé à l’impôt de répartition43.

19Dans cette nouvelle période, l’affermage de l’impôt concerne aussi la plupart des recettes fiscales pour la levée desquelles l’administration centrale faisait confectionner les registres impériaux durant les xv^e et xvi^e siècles. L’organisation des registres fiscaux change donc. Les registres impériaux disparaissent graduellement. Dans les domaines fiscaux où l’affermage est en vigueur, l’administration centrale laisse, en effet, la gestion totale des sources fiscales aux fermiers. Vu les besoins urgents de l’État, la priorité est désormais de faire rentrer rapidement de l’argent pour renforcer la trésorerie, ce que permet l’affermage. L’administration centrale se débarrassait également de modalités de perception coûteuses liées à une régie directe et à la confection des registres44. Elle se contente désormais, pour ses revenus affermés, de tenir des registres des comptes des adjudications et des avances faites par les fermiers45. L’affermage de l’impôt représente une nouvelle modalité de la pratique administrative distributive de l’Ancien Régime ottoman. Et, à partir du xvii^e siècle, l’administration centrale reconnaît aux fermiers d’impôt, qui remplacent les officiers de fief et les fonctionnaires des fondations pieuses, le droit de percevoir pour leur compte l’impôt d’une région ou d’un domaine en contrepartie non de leurs services mais des avances de paiements avant la perception des impôts. Si le mode de gouvernement ne change pas fondamentalement, en revanche, à la suite de cette nouvelle répartition des revenus fiscaux, la coalition d’intérêts qui forme le pouvoir central change46.

20Au niveau local, à partir du xvii^e siècle, les kadis commencent à représenter non seulement le pouvoir judiciaire et religieux mais aussi le pouvoir administratif. Ils assument dans leur circonscription la répartition et la collecte des impôts, la sécurité locale, la construction et l’entretien des ouvrages publics (routes, canaux d’irrigation, etc.), le contrôle des prix des denrées, etc.47 Soulignons que les kadis exercent cette autorité en coopération avec les gouverneurs locaux (mütesellim, voyvoda), les notables locaux (ayans), les membres de la classe uléma (les docteurs en théologie et en jurisprudence musulmane), les fermiers d’impôts, les chefs des corporations des métiers et les fonctionnaires locaux. Ces personnes se réunissent sous la direction du kadi et forment ce qu’on appelle le conseil char (meclis-i şer’)48 au niveau du kaza, le conseil de gouverneur (vali), divan, au centre des provinces49.

21Avec l’intégration des impôts extraordinaires dans le système fiscal en tant qu’impôts réguliers, apparaissent de nouveaux registres, les registres des feux fiscaux (avariz defterleri), qui prennent la suite des registres impériaux. Remarquons que, dans le système fiscal ottoman classique, puisque les fiefs dispensent le gouvernement central de lever des impôts pour le paiement des milices, des officiers et des fonctionnaires et que les fondations pieuses lui enlèvent de la même façon la responsabilité de la construction et de l’entretien des ouvrages publics, l’administration centrale n’a quasiment pas de charges de dépenses, donc pas de sources de revenus fiscaux affectées. Ce n’est qu’exceptionnellement d’abord, en cas de guerres ou de crises financières, puis ensuite annuellement à partir des années 1600, qu’elle a recours à l’imposition, en espèces, en nature ou en services gratuits, sur la totalité des contribuables ou sur des circonscriptions particulières. Le total demandé variant selon les besoins du gouvernement, ces nouvelles impositions furent appelées extraordinaires ou accidentelles, avaritz50.

Tableau 4 L’administration fiscale de l’Empire ottoman et de la France au xvii^e et xviii^e siècles. Le temps des fermiers. La levée des Avariz comparée à l’administration de la taille

22Ces impôts ne concernent pas directement les individus mais des unités fiscales, dites feux fiscaux (avarιz-hane). Le nombre d’individus contribuables dans un feu fiscal varie d’une région à une autre selon les conditions économiques et sociales de la localité en général, et des contribuables en particulier. C’est pourquoi un village entier ou un quartier d’une ville peut ne constituer qu’une fraction d’une unité. D’après les études faites, la moyenne des feux réels (c’est-à-dire contribuables) dans un feu fiscal varie de 2 à 1551. Au xvi^e siècle, ce sont les registres impériaux qui recensent et enregistrent les feux fiscaux. Avec leur disparition graduelle et avec la pérennisation des impôts extraordinaires, l’administration centrale commence, à partir de 1600, à faire confectionner de nouveaux registres consacrés au recensement des feux fiscaux52 dont la définition change donc. Dans les registres impériaux, un feu fiscal représente un, et un seul, feu contribuable ; dans les registres des feux fiscaux, le feu fiscal représente un groupe de feux contribuables, dont le nombre varie d’une localité à une autre.

23Les fonctionnaires responsables de la réalisation des registres des feux fiscaux sont des kadis locaux, des scribes envoyés par le Bureau des registres fiscaux (Defterhane) et des membres de la classe militaire. Les recenseurs recensent toute la population musulmane et non musulmane sur la base de villages ou de quartiers et enregistrent tous les adultes mâles avec leur nom, leur description physique, leur statut matrimonial, leur religion. Les adultes mâles qui sont exemptés d’impôt sont enregistrés mais ne sont pas inclus dans les feux fiscaux. Un classement économique en trois catégories, riche, moyen, pauvre, est appliqué à chaque individu recensé. Cette classification permet ensuite aux kadis locaux de répartir le montant imposé plus équitablement dans les feux fiscaux. Dans ce processus, les recenseurs actualisent également les anciens registres et intègrent les changements qui ont lieu dans les feux fiscaux. Les changements démographiques, dus notamment aux immigrations, et les résistances anti-fiscales altèrent souvent non seulement la composition des feux fiscaux mais aussi l’équilibre fiscal entre les contribuables que l’administration doit viser. Nouveau et ancien totaux des feux fiscaux sont indiqués dans les nouveaux registres afin de mieux contrôler la base fiscale. Comme pour les registres impériaux, les recenseurs préparent des registres détaillés (mufassal) et des registres résumés (icmal). Les registres détaillés listent non seulement les noms des contribuables mais aussi les noms des exemptés d’avariz (les ulémas, les militaires, les femmes qui sont chef de feu etc.) ; ils donnent le nombre des feux fiscaux dans un village ou dans un district. Sans recenser les biens-fonds et les revenus, les registres indiquent ainsi le statut fiscal et juridique des habitants, contribuables ou exemptés, ce qui permet aux conseils de procéder à la répartition. Les registres résumés ne contiennent que le nombre des feux fiscaux d’un village ou d’un quartier. Les recenseurs préparent deux copies des registres, l’une est envoyée au centre, à Istanbul, l’autre est gardée dans la circonscription afin qu’elle serve de base dans la répartition53.

24Après le travail d’évaluation des feux fiscaux entrepris par les recenseurs, le conseil char du kaza présidé par le kadi et composé des notables locaux répartit la somme forfaitaire imposée par l’administration centrale entre chacun des villages ou des quartiers

25La somme à payer par chaque village ou quartier est fixée par le conseil, elle est communiquée aux kadis locaux, qui se trouvent dans les échelons administratifs inférieurs, pour une répartition ultérieure entre les feux fiscaux. Les kadis locaux font réunir un conseil des anciens, composé des personnes influentes de la collectivité locale. Le conseil des anciens, sous la direction de kadi, répartit la somme imposée dans les feux fiscaux, sans recensement des propriétés et des revenus, en fonction de la patience de chacun à supporter la charge de l’impôt ou, en d’autres termes, selon la négociation qui a lieu parmi les habitants54. C’est grosso modo le même système que celui de la taille arbitrée qui fonctionne dans les pays de taille personnelle en France aux xvii^e et xviii^e siècles55.

26En effet, puisque l’impôt en question est un impôt de répartition et que le processus de répartition procède de haut (provinces) en bas (feux fiscaux), il faut bien reconnaître qu’entre les niveaux et à chaque niveau, la répartition est fortement négociée entre les agents de l’administration centrale, les notables locaux et la population56. Le résultat des négociations dépend bien évidemment de la position économique et politique des parties. Dans les cas où l’enregistrement des feux fiscaux et/ou la répartition de l’impôt deviennent litigieux, les parties se présentent souvent devant les kadis locaux. Dans une étude très récente qui analyse les plaintes émanant des feux fiscaux durant le xvii^e siècle à Kayseri (dans le centre de l’Anatolie), on voit soulever des cas de surévaluation des feux fiscaux, de surimposition suite à une répartition contestée, d’évasion fiscale, d’imposition illégale, de disputes entre les contribuables, d’exemption d’impôt57.

III. ENJEUX DU SYSTÈME FISCAL

27Après avoir ainsi décrit la nouvelle fiscalité du xvii^e siècle, je dois souligner d’une part l’apparition, à l’issue de la transformation fiscale de l’Empire, d’un réseau de pouvoir local composé des fermiers d’impôts (mültezim), de notables (ayans) et de fonctionnaires locaux, et d’autre part leur position dominante dans les conseils locaux. D’abord, je constate que ce réseau de pouvoir local est largement nourri par le système de l’affermage de l’impôt. En effet, le trait caractéristique de l’affermage dans l’Empire ottoman est la possibilité pour un fermier d’impôt de diviser sa ferme en plusieurs unités et de les vendre à des fermiers sous-traitants. Non seulement des fermiers résidant à Istanbul (hauts fonctionnaires, officiers, banquiers – sarrafa –, etc.)58, mais aussi des fermiers présents sur place (notables, fonctionnaires, gouverneurs locaux – mutasarrif mütesellim, voyvoda –, etc.) divisent ainsi leurs fermes et sous-fermes parmi les fermiers locaux. La généralisation de l’affermage dans toute l’administration fiscale (pour les ‘ushrs, les droits des douanes, les droits de marché, les octrois, les offices administratifs et les domaines impériaux, etc.) à partir du xvii^e siècle, due aux besoins fiscaux incessants de l’État, provoque, par conséquent, le développement d’une chaîne verticale de relations économiques, étendue d’Istanbul aux kazas59. L’introduction des nouveaux instruments fiscaux, l’affermage à vie (malikane)60 en 1695 et les rentes viagères (sehims)61 en 1775, renforce ce développement. Mehmet Genç, spécialiste du système d’affermage dans l’Empire ottoman, remarque que tout au long du xviii^e siècle, de 1 000 à 2 000 personnes (officiers, hauts fonctionnaires, ulémas etc.) installées à Istanbul, accompagnées de 5 000 à 10 000 personnes (sous-traitants, banquiers, ayans, ulémas locaux, mutasarrιf, mütesellim, voyvoda, etc.) installées en province, contrôlent les actifs de l’Etat ottoman62.

28Quant aux notables locaux (ayans)63, jusqu’au xvii^e siècle, ce sont de grands propriétaires locaux investis dans l’agriculture commerciale (ou dans une certaine mesure dans la production manufacturière), des commerçants, des artisans, des müderris (professeurs), des imams, des ulémas. Ils participent à l’administration locale en faisant partie du conseil char et en suppléant les fonctionnaires locaux. Pourtant, ils ne sont pas nommés par les gouverneurs locaux, ils sont élus parmi les personnes influentes de la localité comme représentatifs des notables64. De la fin du xvii^e jusqu’au début du xix^e siècle, la transformation de l’organisation administrative et fiscale de l’Empire provoque une montée de leur pouvoir dans leur région d’influence65. D’une part, vu le déclin du système des fiefs militaires (ttmars), les hauts fonctionnaires d’Istanbul ou les commandants des forteresses frontalières qui ont en charge l’administration des collectivités fiscales et militaires dites sancaks (départements)66, cessent de résider sur place. Ils laissent à leur place leurs suppléants (mütesellims ou voyvoda), généralement choisis au fil du temps parmi les ayans, afin d’assumer les tâches administratives. Ceci accentue le rôle non seulement administratif et fiscal mais aussi militaire des ayans dans les provinces ottomanes. D’autre part, la généralisation de l’affermage des impôts dans les provinces ottomanes occasionne l’intégration de plus en plus d’ayans dans le circuit fiscal et économique67. Eu égard à la poussée du pouvoir économique, ils accèdent facilement aux postes de gouverneur local ou de suppléant (yoyvoda, mütesellim)68 En résumé, au xviii^e siècle, les ayans deviennent une classe dominante, qui détient son pouvoir des grandes propriétés, des fermes d’impôts, et des offices administratifs69.

29Un autre facteur de développement du pouvoir local aux xvii^e et xviii^e siècles est l’émergence de ce qu’on peut appeler la fiscalité provinciale70. La fiscalité provinciale concerne en fait les contributions imposées par les gouverneurs et fonctionnaires locaux pour couvrir les dépenses provinciales. Les dépenses locales, comme les traitements des fonctionnaires, les constructions des voies et bâtiments publics et leur entretien, les frais administratifs71, sont comptabilisés dans les registres de répartition (tevzi defterleri) afin que le conseil char, présidé par le kadi, les répartisse parmi les feux fiscaux, avariz-hanes72. Pourtant, un tel système engendre facilement des abus de pouvoir dans un contexte où l’autorité centrale est quasi absente. Par conséquent, les ayaniyyes, (traitements que des ayans reçoivent en contrepartie de leur service administratif en tant que représentant des notables locaux) notamment, et les droits imposés sur les services administratifs des kadis deviennent les plus grandes sources d’abus73.

30L’imposition devient de plus en plus arbitraire. Dans une économie déjà incertaine74, les populations doivent se débrouiller face à une fiscalité aléatoire. D’un autre côté, le pouvoir d’imposer localement augmente l’autonomie provinciale vis-à-vis du centre et devient une des bases essentielles de la puissance d’une oligarchie locale qui se développe autour des fermiers, ayans, kadis et autres gouverneurs locaux75.

31Quant aux conseils chars, ils deviennent le site institutionnel de cette oligarchie. Puisque la fiscalité ottomane devient une affaire locale, négociée au sein des conseils, les ayans, impliqués fortement dans le réseau local de l’affermage et ayant acquis un pouvoir économique et politique considérable durant le xvii^e et xviii^e siècles, s’y trouvent les mieux placés. Bien que ces conseils soient sous la présidence des kadis, le représentant officiel de l’autorité centrale responsable de l’administration des kazas76, les ayans, entourés par les fermiers locaux, les dominent jusqu’aux Tanzimat. Il ne faut pas oublier le fait que les kadis sont également dans une situation précaire dans leur office, car depuis le xvi^e siècle, en considération des abus de pouvoir des fonctionnaires, dans l’Empire en pleine transformation, l’autorité centrale limite la durée d’exercice des fonctionnaires, y compris pour les kadis. Dans leur région d’exercice et, puisqu’ils ne peuvent pas établir leur autorité dans une courte période de temps, cette politique affaiblit les kadis vis-à-vis des ayans. En outre, sur la base de leur pouvoir économique et politique, les ayans peuvent influencer l’autorité centrale en ce qui concerne les nominations des fonctionnaires, y compris des kadis. Dans ces conditions, les kadis ont des marges de manœuvre étroites. Ils sont souvent obligés de collaborer avec les ayans, ou en d’autres termes, ils se trouvent très enfermés dans les réseaux des pouvoirs locaux. Par conséquent, tout au long du xviii^e siècle, la position des kadis se dégrade dans l’administration locale et le kadi devient de plus en plus dépendant des ayans. Les ayans imposent leurs propres intérêts aux conseils, non seulement au sujet de l’imposition et de la répartition des impôts, mais aussi au sujet des réquisitions, de l’établissement des prix des denrées, de l’inspection des fondations religieuses77, et de la juridiction sur les terres et sur les droits de propriété78. Par conséquent, le xviii^e siècle devient vraiment l’ère des ayans avec le pouvoir judiciaire (représenté par le kadi) et administratif (représenté par le conseil char) derrière eux79.

32Dans ce contexte, les résistances ne sont pas absentes des provinces ottomanes et ces abus de pouvoir provoquent souvent des rébellions. Au vu de l’inégale répartition des impôts et des abus des gouverneurs, il arrive que les populations locales interviennent elles-mêmes aux conseils. La colère les conduit parfois jusqu’à l’assassinat des membres du conseil80. Le fonctionnement des conseils tel que Michel Chevalier nous le décrit, « le pacha demande la taxe au village tout entier, ou plutôt à ses magistrats électifs ; ceux-ci s’entendent entre eux, et répartissent le tribut à l’amiable entre les habitants, dont la fortune et les ressources individuelles leur sont parfaitement connues »81, reste donc une simplification et une idéalisation sur papier.

Conclusion

33Au cours des xvii^e et xviii^e siècles, l’administration centrale essaie d’inclure de plus en plus de feux exemptés dans l’imposition des avariz, en même temps que les contribuables d’avartz fuient leur résidence pour s’installer sur des domaines exemptés des avariz (les fondations pieuses, les fiefs militaires, etc.)82. Pourtant le nombre des feux fiscaux diminue de plus en plus du xvii^e siècle au xix^e siècle. D’après les recherches conduites sur les registres résumés des feux fiscaux par Bruce MacGowan, dans l’est de l’Anatolie et dans la Syrie ottomane, leur nombre chute de 27 773 à 10 723, de 1640 à 1834 ; dans l’ouest de l’Anatolie de 52 519 à 20 906, de 1650 à 1834 ; dans les Balkans de 96 756 à 40 182, de 1640 à 183483. Bien qu’on n’ait pas d’information sur l’évolution de la composition des feux fiscaux au cours de cette période, il parait d’une part que, en présence d’un affermage dominant dans la fiscalité, l’influence de l’imposition directe ait diminué dans les provinces ottomanes, et d’autre part que, face à l’injustice et à la surcharge d’imposition, l’économie morale des populations neutralise l’efficacité des registres des feux fiscaux84. Puisque la nouvelle configuration du pouvoir développée au cours des xvii^e et xviii^e siècles ne permet pas non plus d’introduire une réforme des impôts directs, la politique financière de l’administration ottomane se limite à l’affermage des impôts, à l’altération des monnaies et à l’émission des rentes viagères fiscales85. L’administration des finances se contente de poursuivre le développement de l’impôt de répartition qui atténue, tant bien que mal, les tensions sociales dans les campagnes, comme le note David Urquhart86. Le seul projet de réforme fiscale qui prévoit une nouvelle enquête fiscale en vue de rétablir l’assiette d’impôt ainsi qu’un nouveau système basé sur l’imposition des propriétaires fonciers, chère aux physiocrates, est celui de Süleyman Penah Efendi87. Il est publié en 1778 mais il reste sur le papier. Une nouvelle fiscalité sur la base du recensement général des biens-fonds et des revenus n’a pu être mise en application que dans les années 1830, comme conséquence de la politique de centralisation administrative du premier quart du xix^e siècle88.

341. Le tableau ne comprend que les registres impériaux détaillés qui se trouvent dans le catalogue des registres impériaux des Archives ottomanes de la Présidence du Conseil à Istanbul (Tapu Tahrir Defterleri Kataloǧu) et des Archives de la Direction des titres de propriétés et du cadastre à Ankara (Asllhan Doğan, Tapu Kadastro Kuyud-u Kadim Arşivi Mufassal, Icmal, Evkaf ve Derdest Defterlerinin Toplu Kataloğu. Ankara Üniversitesi DTCF, Ankara, 1993, 285 p.).

352. Pour la division administrative de l’Empire aux xvi^e et xvii^e siècles, voir I. Metin Kunt, Sancaktan Vilayete, 1550-1650 Arasιnda Osmanhlι Ümerasiι ve İl İdaresi, Boǧaziçi Üniversitesi, Istanbul, 1978, 206 p.

363. Pour faciliter la construction du tableau toutes les régions qui se trouvent dans les provinces arabes sont regroupées sous l’appellation de province de Damas c’est-à-dire les provinces de Tunisie, de Tripoli de l’ouest, d’Egypte, de Damas, de Tripoli de Damas, d’Alep, d’Urfa, de Bagdad, de Basra, d’Adana et de Zulkadriye.

374. À l’époque des registres impériaux, la province de Diyarbekir comprend aussi celle de Mossoul.

385. La province d’Erzurum comprend à cette époque les provinces de Kars, d’Ajarie et une partie de la province de Van.

396. Iles de la mer Egée (dont Crète et Rhodes) et de la mer de Marmara.

407. Le Kurdistan est à l’époque des registres impériaux recoupé par les provinces de Van et de Sehrizor.

418. Pour faciliter la construction du tableau toutes les régions qui se trouvent dans la partie européenne de l’Empire sont regroupées sous l’appellation de province de Roumélie, c’est-à-dire les provinces de Bosnie, de Kanizsa, Buda, Eger, Banat, Silistre, Caffa, Transylvanie, Valachie Moldavie, Crimée, Azov.

429. Dénommée province de Sivas à la suite d’une réorganisation administrative. Comprend alors les provinces de Trabzon et de Sivas.

431. Le tableau ne comprend que les registres des feux fiscaux qui se trouvent dans les catalogues de Kamil Kepeci et de Registres transférés du ministère des finances (Maliyeden Müdewer Defterler) des Archives ottomanes de la Présidence du Conseil à Istanbul. A part les registres listés, ces catalogues comprennent 220 registres résumés des feux fiscaux qui sont compilés annuellement entre 1620 et 1840 pour tout l’Empire. C’est ainsi que s’il n’existe plus de registres détaillés des feux fiscaux pour la province de Diyarbekir, il existe des registres résumés quasiment pour chaque année du xvii^e et du xviii^e siècle.

442. Pour la division administrative de l’Empire aux xvii^e siècle, voir I. Metin Kunt, Sancaktan Vilayete, 1550-1650 Araslnda Osmanlt Ümerasι ve İl İdaresi, Boǧaziçi Üniversitesi, Istanbul, 1978, 206 p.

453. Pour faciliter la construction du tableau toutes les régions qui se trouvent dans les provinces arabes sont classifiées sous la province de Damas.

464. Pour faciliter la construction du tableau toutes les régions qui se trouvent dans la partie européenne de l’Empire sont classifiées sous la province de la Roumélie.