Échanger des modèles dans la République des administrateurs au XVIIIe siècle : des cadastres italiens au cadastre joséphiste
p. 247-263
Texte intégral
1En 1811, le ministère des Finances de l’Empire français autorise la publication d’un Recueil méthodique des lois, décrets, règlements, instructions et décisions sur le cadastre de la France. Il s’agit d’un véritable code cadastral recensant toutes les lois, décrets et décisions administratifs édictés depuis la décision de la Constituante d’imposer une contribution foncière1. On s’intéressera plus particulièrement à l’histoire qu’il retrace dans la préface : « Ainsi l’expérience a ramené par degrés à l’idée de l’assemblée constituante qui avait été aussi celle de Colbert et de plusieurs autres ministres, idée réalisée en Savoie et en Piémont, mais avec des imperfections qui ne se retrouveront pas dans le cas de l’Empire français ». Ces filiations peuvent surprendre. Colbert n’est pas l’initiateur d’un cadastre, le Piémont n’est pas absorbé dans les républiques sœurs. L’histoire de cette expérience fait largement abstraction du travail des provinces. L’histoire d’une idée fait surgir un nouveau héros : le ministre des Finances, devenu le champion d’une longue habituation dans un cadre à la fois intellectuel et politique mais non exclusivement national. De fait, les cadastres piémontais et milanais mettent en jeu de nombreux passages qui accompagnent l’émergence de la République des administrateurs au xviiie siècle et en dévoilent les fonctionnements entre les pouvoirs. On étudiera donc la construction des modèles italiens à travers le croisement d’itinéraires d’information et de légitimation dont résultent non seulement la réforme napoléonienne mais, avant elle, la réforme conduite par Joseph II dans ses États héréditaires.
I. LA SCIENCE ÉCONOMIQUE ET LE CADASTRE
2Les motivations des administrateurs sont diverses, de l’augmentation des revenus du prince à la recherche de l’équité fiscale ou de l’uniformité administrative. Quoi qu’il en soit, parmi les outils à leur disposition, les livres économiques prennent une place accrue à partir du milieu du xviiie siècle, notamment pour les initiateurs de l’échange administratif2. En effet, si Henry d’Ormesson acquiert encore son savoir financier à partir de l’Histoire de France de l’abbé Velly3, Trudaine de Montigny, fils de l’intendant des finances Daniel Trudaine, possède une imposante bibliothèque économique, de même le ministre des Finances de Joseph II, Karl von Zinzendorf4. Or, si le cadastre parcellaire n’est guère vanté dans les livres français5, il n’en va pas de même hors de France.
3Il paraît relativement tôt dans la littérature économique allemande, ainsi dans les manuels de Johann Heinrich Gottlob Justi6.
4Professeur de science camérale au Theresianum à Vienne, Justi propose la première science des finances systématique. Il ne donne donc aucun exemple précis. Son intention est d’analyser la nature de l’impôt. Celui-ci ne peut plus se limiter aux régales et doit donc intégrer la contribution des sujets. Dans les états agricoles qui constituent majoritairement l’Allemagne, l’impôt doit nécessairement reposer sur la terre, source certaine de revenu. Or, selon cet auteur, seul un cadastre permet d’atteindre l’équité fiscale7. De quel cadastre s’agit-il ? Aux livres qui recensent les propriétaires (Fund- und Lagerbücher) doit s’ajouter l’arpentage de la totalité des parcelles par des géomètres placés sous l’autorité du prince et le décompte des maisons8. Ces relevés devront être actualisés annuellement par les receveurs des domaines, tous les huit ou dix ans par une commission spéciale, tandis qu’un nouvel arpentage devra être entrepris tous les quarante ans9. Il convient de classer les biens en trois catégories
– médiocre, moyenne, bonne –, en tenant compte de leur situation, notamment par rapport à une résidence princière. Il s’agit de déterminer si la contribution consistera dans le quart, le cinquième ou le sixième du produit net10. Dans un ouvrage publié en 1762, Justi prend également parti contre Vauban : non seulement la dîme royale ne lui semble pas garantir l’équité fiscale, mais encore la complexité de sa perception lui paraît un obstacle insurmontable11. Ces positions sont loin d’être isolées en Allemagne, même si, à la différence des autres caméralistes, Justi préfère l’impôt foncier à l’accise12. Le succès des manuels de Justi montre que le cadastre parcellaire est entré dans la culture de l’administrateur des domaines allemand, bien que l’administration autrichienne se contente en 1756 d’une révision provisoire des rôles cadastraux13 que la commission de rétablissement, installée en Saxe en 1763, renonce à réviser le cadastre14 et que le roi de Prusse fasse appel en 1767 aux fermiers français pour développer l’accise15.
5En Italie, si Carlo Antonio Broggia, dans son Trattato de ’ Tributi publié à Naples en 1743, reste sceptique quant à l’exactitude des anciens cadastres italiens, Gian Francesco Pagnini, dans son traité Delia Decima, publié en 1765, se déclare favorable à un cadastre général mais réalisé à partir des déclarations des propriétaires afin d’éviter le coût d’un arpentage16. Informé de l’opération menée par le marquis d’Ensenada, Pagnini appuie son développement sur des références extraites de l’Esprit des lois, des Discours politiques de Hume, de l’Essai sur la police des grains de Herbert, c’est-à-dire sur des ouvrages opposés au cadastre parcellaire, sans aucune allusion aux cadastres piémontais et milanais17. Cet ouvrage est lié à une tentative de réforme fiscale à Florence, mais ne représente qu’un point de vue parmi d’autres18. Conformément à un usage désormais ancré dans la pratique politique florentine, Pagnini recourt à l’opinion non seulement pour faire valoir son point de vue mais aussi pour convaincre cette même opinion de la nécessité d’une réforme19.
6Aussi les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations20d’Adam Smith occupent-elles une fonction stratégique après le grand élan physiocratique. Immédiatement traduit en français et en allemand et universellement reçu, l’ouvrage prend parti contre le cadastre (« quelques États, au lieu de se servir de l’expédient simple et naturel de l’enregistrement des baux, ont eu recours à la méthode pénible et dispendieuse d’un arpentage ») mais surtout construit une histoire très sélective et inexacte des cadastres qu’il présente comme des objets bien réels.
7Cinq exemples sont cités : en dehors des anciens états du roi de Prusse et de la Savoie et du Piémont, il s’agit d’états ou d’anciens états de la monarchie des Habsbourg, la Silésie, la Bohême et l’État de Milan, sans que Smith n’établisse de parallèle entre les différentes parties de la monarchie composite. La chronologie est particulièrement inexacte. L’arpentage de la Silésie n’a pas été décidé par Frédéric II mais par Charles VI. La Bohême n’est pas en cours d’arpentage depuis cent ans. Le satisfecit va au cadastre de Milan : « On le regarde comme une des opérations de ce genre les plus exactes et les mieux soignées qui aient jamais été faites »21. Si Adam Smith dégage clairement le critère de l’arpentage, celui-ci ne suffit pas à identifier un unique « modèle » de cadastre. Par exemple, dans les pays héréditaires de la monarchie des Habsbourg, les cahiers sont dressés par seigneurie et estiment en unités de compte sa richesse, classée par types de terres, de bâtis et d’industries, et ne comportent aucune carte à la différence du cadastre milanais. En fait, Adam Smith tire ses informations du traité de Jean-Louis Moreau de Beaumont22, il ne connaît ni la Relazione de Pompeo Neri23, ni celle de Gian Rinaldo Carli24. Sa correspondance comporte une indication précieuse sur la provenance de cet ouvrage : « quelques copies supplémentaires ont été compilées, au-delà des besoins de la Commission qui l’a commandé. J’ai obtenu un exemplaire grâce à la faveur particulière de M. Turgot »25. Il n’est pas le seul à jouir de cette faveur, mais le cercle demeure aussi étroit que choisi : le marquis de Mirabeau, Trudaine de Montigny, le comte Shelburne, premier ministre anglais en 1782 et 1783, en possèdent un exemplaire26. Cette diffusion restreinte mais sélective traduit la naissance d’un espace public créé par les administrateurs eux-mêmes à destination de leurs pairs et, de manière sélective, à destination de l’opinion cultivée.
8Objet théorique et pratique – on peut le voir –, le cadastre parcellaire occupe une place de choix dans cette stratégie. Il paraît en effet comme la traduction administrative de l’idéal éclairé de clarté et d’équité. Cette conviction se forme sur un horizon d’attente qu’il s’agit de cerner.
II. LES MODÈLES ITALIENS
9Au-delà de son exceptionnelle qualité vantée par Moreau de Beaumont (« La base de cette opération a été un plan figuré et topographique de tout le territoire de Milan ; ce plan comprend chaque héritage, chaque haie, chaque canal, représentés au naturel »), le cadastre milanais jouit également d’une publicité inédite.
10Le cadastre milanais naît d’ailleurs de la publicité comme le rappelle Pompeo Neri dans la Relation que lui commande de Vienne le Conseil d’Italie en 1749 et que ce même conseil décide de publier en 175027. En 1709, un certain comte de Pras soumet un projet de dîme au prince Eugène28. En fait, il s’agit d’un plagiat du résumé de la Dîme royale29. Vauban, qui a fortifié la frontière savoyarde du côté français et noué des contacts directs avec la cour de Turin, distribue en 1707 sa Dîme royale comme des petits pains. L’année suivante, une traduction anglaise est publiée et aussitôt rééditée. L’emprunt du comte de Pras est finalement déjoué : la communauté de Parme dénonce une manœuvre française. De fait, les frères Pras servent d’intermédiaire à la diplomatie française à Turin30. Mais le plagiat répond parfaitement à l’usage assigné à la Dîme royale par son auteur. Les communautés de l’état de Milan crient leur mécontentement et acceptent finalement l’installation d’une commission chargée de réformer le cadastre qui date du règne de Charles Quint31. De même, la Relazione de Pompeo Neri relance la réalisation du cadastre parcellaire interrompue par la guerre.
11Violente attaque contre les « mauvais administrateurs locaux », la Relazione de Pompeo Neri ne comporte ni modèle ni formulaire mais l’explicitation d’une démarche administrative rigoureuse. L’ouvrage est offert, luxueusement relié, par le comte Firmian, plénipotentiaire de Milan, aux voyageurs administrateurs de passage à Milan, au comte Karl von Zinzendorf, frère du président de la Chambre des comptes de Vienne, au ministre anglais Shelbume et au receveur des finances François-Joseph Harvoin. Turgot en possède un exemplaire dans sa bibliothèque32. Au cours de son séjour de Milan à la fin de 1763, Harvoin l’étudie une bonne semaine avant de soumettre un questionnaire plus détaillé à l’administration milanaise :
« Le 22 décembre on s’est rendu chez le comte de Firmian qui a fait present d’un livre de mr le président Nery très bien relié, la après une conversation assez longue sur l’objet de la mission, sur le cadastre en general, il a conduit dans les bureaux du censiment de l’État de Milan et a fait voir toutes les operations qui ont ete faites [...]. Le 11 janvier On a achevé le travail, c’est a dire la lecture et l’extrait du Livre de Mr le Président Nery, l’on a reconnu qu’il ne contenait qu’un récit succint des premieres operations, mais un grand detail des contestations qui s’étoient élevées contre l’établissement du Censiment, sans raporter les pièces fondamentales de l’operation, telles que les premieres dispositions qui furent faites pour l’entamer, les premiers principes et les premieres bazes qui servirent a dresser des instructions pour toutes les operations, les communautés, et leurs officiers, relativement à la manutention et à l’estimation »33.
12Ces lacunes – mais ces documents n’appartiennent pas fondamentalement à la logique de l’ouvrage – sont très partiellement comblées par la Relazione del Censimento dello stato di Milano, rédigée par Gian Rinaldo Carli, avant qu’il ne prenne la direction du Conseil économique en 1765. En effet, outre un rappel de l’histoire du cadastre milanais compilé d’après Neri, cet ouvrage fait mention de l’œuvre géométrique : arpentage et réalisation de cartes. Il semble également répondre aux interrogations formulées par Harvoin sur le règlement du contentieux en décrivant l’institution des tribunaux délégués et la réforme administrative qui s’ensuit. Le but de l’ouvrage est cependant différent : il s’agit de pousser plus avant la réforme fiscale dans l’État de Milan et d’obtenir la suppression de la taxe sur la marchandise. La Relazione de Carli tente d’intervenir à la fois dans le jeu politique milanais et parisien. Lors de son séjour à Paris en compagnie de Beccaria, Alexandre Verri qui est chargé de faire reconnaître à Paris « l’école de Milan » et, par là, de conforter le courant des réformes à Milan, distribue, outre des numéros du Caffè, plusieurs exemplaires de la Relazione de Carli et en fait venir une caisse, bien que le moment du cadastre soit déjà passé à Paris34.
13Le monde des administrateurs est un monde d’opinion, une caverne platonicienne où l’information circule de manière contrainte, où il faut démêler l’information de la cérémonie de l’information. Aussi le modèle milanais est-il largement propulsé par la rencontre de deux systèmes politiques qui ont érigé la publicité en méthode de gouvernement.
14En ce sens, il doit être distingué du cadastre piémontais dont les opérations et les « manipulations » sont tenues secrètes35. Les contemporains dénoncent le « mistère », le secret impénétrable des estimes36. Harvoin se plaint de ne même pas pouvoir acheter à Turin les édits du roi de Sardaigne. Sur le cadastre piémontais, les témoignages sont tardifs et manuscrits37 jusqu’à la publication des textes législatifs par Duboin à partir de 181838.
15Le cadastre de Sardaigne, introduit en 1697 « senza alcun strepito »39 dans le comté de Nice et en 1698 dans les provinces piémontaises de Cuneo et de Mondovi a été relancé par les édits de 1728 et 1731. Ce sont en fait trois tentatives, puisqu’il faut encore y inclure la cadastration des communautés gagnées à l’issue de la guerre de Succession de Pologne. Le relevé géométrique et parcellaire n’est ordonné que par l’édit du 5 mai 1731, probablement sur l’exemple milanais40. La qualité de l’ouvrage réside dans l’arpentage systématique, à partir duquel sont élaborés une mappe et un registre, dans lequel toutes les parcelles sont enregistrées, caractérisées par leurs dimensions, la nature des cultures, le nom du ou des propriétaires. Cependant, à cause de la méfiance des paysans, on y relève des homonymies, les indivisions ne sont qu’imparfaitement prises en compte, l’ignorance ou l’absence servant à contester le nouvel impôt. L’estimation des terres et les variations selon l’altitude, l’exposition, la qualité du sol, le type de culture, la proximité des routes et des marchés sont très inégalement pris en compte. D’où la recherche d’expédients41. Le cadastre piémontais est marqué par l’empirisme, les tâtonnements, les corrections successives qui laissent subsister de fortes différences entre le Piémont et la Savoie et les provinces nouvellement agrégées. Aussi les livres cadastraux remis aux communautés à la fin de l’année 1738 ne portent-ils pas d’indication relative au revenu des parcelles.
16Qu’est-ce qui peut conduire l’administration piémontaise à réviser sa position et à ouvrir ses bureaux ? Les sources françaises insistent sur le rôle du bailli de Solar, ambassadeur de Sardaigne en France de 1758 à 1765. Ainsi la note préparatoire au voyage de Harvoin : « La [taxe sur la terre] a lieu dans tout le Milanois. Le roy de Sardaigne l’a établie dans ses États. L’opération a duré dix ans, l’ambassadeur actuel en France en fait les plus grands éloges, et dit que cela fait le bonheur des nations. Il seroit bien important et même nécessaire d’avoir de bons mémoires historiques et instructifs sur cette nation [...]. M. l’ambassadeur de Sardaigne entr’autres paroit disposé a donner sur cela tous les renseignemens qui lui seraient demandés »42. Au duc de Praslin, Lefèvre d’Ormesson annonce : « Le Sr Harvoin Receveur général des finances est destiné a aller remplir cet objet interessant en Piémont, d’ou j’espère que nous tirerons de grandes Lumières. Je n’ignore point les dispositions favorables dans lesquelles est son excellence M. le Bailly de Solar a cet égard »43. Certes, le bailli de Solar est l’homme de la France à la cour de Sardaigne44 : il a négocié à Londres au nom de la France les préliminaires de la paix de Paris. Mais il agit avant tout dans l’intérêt de son prince : « Le roi a jugé à propos de faire prendre des instructions sur les différens cadastres qui sont établis dans les États du Roi de Sardaigne. Ce prince, à la réquisition de l’Ambassadeur de France à sa Cour, a témoigné le plus grand désir de satisfaire aux intentions du roi »45. L’entreprise initiée par Marie-François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson et Daniel Trudaine ne peut se comprendre sans les enjeux diplomatiques qui la portent : le roi de Sardaigne attend de la France qu’elle soutienne ses prétentions sur le duché de Plaisance et espère trouver de nouveaux débouchés pour ses salines46. La paix rend les besoins d’argent criants, mais aussi instaure une mobilité et une fluidité nouvelle dans les relations entre puissances. La bonne volonté de la cour de Vienne est non moins manifeste et affermie par l’entente entre la France et la Sardaigne47. « Le 19 visite à Mr le comte de Kerfeuiller ministre de l’Empereur et de l’Impératrice-Reine en cette cour afin de procurer luy des lettres de recommandation pour Milan et Florence »48. Quelques mois auparavant, le comte Firmian a personnellement sollicité le marquis de Chauvelin afin qu’il l’informe sur les affaires49.
17Rien de systématique dans ces informations d’homme à homme qui n’empruntent que partiellement les hiérarchies administratives. Cependant, à partir des modèles italiens, se forme une culture politique commune.
III. LE CADASTRE PARCELLAIRE AU CENTRE DE L’ÉCHANGE ADMINISTRATIF
18L’administrateur s’immisce dans le réseau diplomatique. L’envoi d’un émissaire spécifique indique la volonté d’écarter – avec beaucoup de prudence – les diplomates et sans doute Choiseul, surtout de se procurer le savoir que les relations ne transmettent que rarement50. On observe ainsi de grandes similitudes entre l’envoi du receveur Harvoin en Italie et celui de Karl von Zinzendorf en Europe qui « devient l’un des rares sujets à connaître à la fois l’Italie et les Pays-Bas », deux départements sous le contrôle exclusif de la chancellerie d’État. L’enquête lancée par Moreau de Beaumont auprès des diplomates français légitime en effet l’envoi de Karl von Zinzendorf en Europe51. Certes, l’ambassadeur reste un intermédiaire obligé au fait des codes, des usages, du protocole, des enjeux diplomatiques mais aussi du jeu politique local, mais les administrateurs doivent inventer une nouvelle forme de communication que l’ambassadeur tente maladroitement de contrôler. Le marquis de Chauvelin rapporte ainsi complaisamment à Paris l’affaire Parent, du nom d’un commis qui se serait procuré, par la corruption, des mappes piémontaises pour réaliser un mémoire concurrent de celui de Harvoin52. À distance des « menées louches » des projecteurs officieux, la publicité des « modèles » est désormais possible entre bureaux administratifs de puissances distinctes mais alliées. Les avances piémontaises autorisent un séjour de quatre mois à Turin, quand le séjour de Milan est expédié en à peine un mois53.
19C’est bien au centre de cette cérémonie de l’information que prend corps le travail de l’administrateur. La paix autorise une mise en œuvre tardive de la méthode de Montesquieu, ainsi l’instruction à Harvoin qui informe Choiseul de l’intention « d’envoyer dans tous les pays étrangers où elle a été faite des personnes intelligentes pour y prendre les connaissances les plus détaillées de la manière dont il y a été procédé, et des avantages ou inconvénients qui peuvent en résulter, relativement aux différences des climats et des loix et usages qui gouvernent les Pays qui sont sous differentes dominations ». L’enjeu du mémoire de Pompeo Neri qui « adapte » à la France les principes milanais est bien compris par Karl von Zinzendorf qui, revenu à Paris, obtient d’Harvoin ce mémoire contre son étude des finances anglaises compilées à partir des pamphlets qui lui ont été donnés à Londres par Thomas Whately54.
20Il faut encore avoir accès aux textes de loi. Harvoin cherche « de quelle façon on pourrait se procurer les Édits, Declarations et Reglemens dont on a pensé avoir besoin sur la matiere en question, on a été fort surpris d’apprendre qu’on ne les vendoit point et que cela etoit deffendu, effectivement on n’en a point trouvé chez les Libraires mais en revanche on y a trouvé tous les Edits, Declarations et ordonnances de Louis 15 ».
21Au-delà des principes, il faut aussi disposer de modèles (registres, comptabilité, cartes, techniques de manutention) : « Le 28 on a été porter à Mr le Comte de Firmian [...] un mémoire contenant les objets de demande qu’on prenoit la liberté de luy faire d’après ce qu’on a vû dans les Bureaux et relativement aux pièces et instructions qui ne se trouvent point dans le livre de Mr le président Neri ». Le traité imprimé n’est que la base de la science des finances à venir. L’enjeu est la constitution d’une culture pratique assise sur des principes, la quadrature du cercle !
22Enfin, les vieilles conceptions du secret sont bouleversées. Certes, il est encore difficile d’obtenir des copies des modèles et des rôles55. Mais les administrateurs se démarquent des faiseurs de projet en reconstituant un entre soi marqué par l’échange de matériaux. Le travail avec les « experts non-gouvernementaux » est désormais obéré par le manque d’expertise. Cependant, l’entrevue de Harvoin avec un faiseur de projet génois qui a « inventé » un cadastre est encore marquée du sceau de l’ambiguïté. Harvoin cherche d’abord à savoir en quoi consiste son secret qui n’est pas mécanique56, mais il reconnaît ensuite que l’invention est située du côté de la réflexion et donc à la portée de chacun.
23Les modèles se construisent dans une capillarité qui unit réseaux institutionnels et réseaux informels, qui repose sur l’opportunité des contacts de bouche et de l’achat au libraire, quand elle ne fait pas jouer le don et le contre-don. La circulation des élites de pouvoir entre les pays de la monarchie des Habsbourg la favorise également. Cette capillarité fait aussi évoluer les schémas intellectuels, notamment autour du problème de la faisabilité et de la constitution d’un savoir comparé, comme le rappelle l’éditeur de la deuxième édition des Mémoires concernant les impositions et droits en Europe dans son éloge de Jean-Louis Moreau de Beaumont : « M. de Beaumont ne se contente pas de présenter la constitution des choses, il développe encore leur organisation intérieure. Au lieu d’établir un système, toujours sujet à contradiction, il établit des faits, et vous vous trouvez convaincu de toutes les vérités qu’il vous a laissé découvrir. L’Administrateur qui croit n’avoir vu qu’un tableau ou un récit, se sent tout à coup rempli d’idées et de prévoyance ».
24À distance des cadres nationaux, l’administrateur élabore et légitime le(s) modèle(s) par la publicité qu’il lui fait. Même si le cadastre milanais est reconnu comme le plus exact, l’éloge du cadastre piémontais se fonde sur la qualité des pièces données à voir non seulement à l’administration française mais aussi à l’opinion éclairée des administrateurs européens. Et c’est encore sur ce modèle que se focalisent par la suite critiques et louanges en France57. Pour autant, le cadastre milanais constitue-t-il l’ultime référence des administrateurs habsbourgeois ?58
IV. L’IMPOSSIBLE CONCILIATION : LE CAS DU CADASTRE DE JOSEPH II
25Je proposerai en dernier lieu un réexamen du cadastre de Joseph II à la lumière de cette trame. Les administrateurs de la monarchie se lancent dans la réforme, munis du même corpus de références. Cependant, la genèse des réformes doit encore intégrer leur marge de manœuvre. Aussi est-ce une autre configuration qui s’esquisse à Vienne.
26L’initiative en revient à l’empereur qui tente à plusieurs reprises de mettre la réforme en route entre 1781 et 1783. Au cours de l’année 1783, Joseph II fait part de son intention de supprimer tous les impôts au profit d’une seule taxe sur la terre59. La chronologie est indiquée dans son diaire par Karl von Zinzendorf, alors président de la Chambre des comptes : « Pensées de l’Empereur [...] son idée de mettre tout l’impôt sur la terre » ; « Sa Majesté me communiqua son projet pour la rectification de tous les cadastres de ses provinces et celui de régler les marchandises à douanes »60. Joseph disposait d’un mémoire que Turgot lui avait sans doute donné personnellement lors de son passage à Paris. La réforme doit se fonder sur un cadastre le plus exact possible, la forme de l’impôt s’adapte au temps et devient physiocratique. Zinzendorf voit son autorité confirmée par l’empereur qui lui confie le 26 avril 1784 la « commission de la corvée » (Robotabolitionscommission), puis le 4 août de la même année la « commission de l’impôt » (Steuerregulierungskommissiori), deux instruments essentiels de la politique de réforme61. En relais de la commission centrale, sont créées des commissions supérieures (Oberkommissionen) qui, relevant directement de l’autorité centrale, jouissent d’une totale autonomie vis-à-vis des autorités provinciales déjà existantes. Ces commissions provinciales sont encore relayées au niveau des cercles (Kreis) par des commissions inférieures (Unterkommissionen) chargées des travaux de mesures et de nouveau indépendantes des autorités administratives locales62. Il s’agit en premier lieu d’unifier les provinces.
27Dès août 1784, Zinzendorf commence à élaborer en commission des formulaires de « fassions » ou déclarations individuelles des propriétaires : c’est la méthode de 1748, à laquelle on adjoint l’arpentage. En revanche, Joseph souhaite que les commissaires des provinces fassent l’économie de ces formulaires individuels « pour n’établir que le sommaire des revenus dans chaque cercle »63. Puis l’empereur opte pour l’arpentage par les paysans : « Je [Karl von Zinzendorf] pris la parole et remontrois que ces arpentages de chaque fonds par les païsans étoit précisément une imitation imparfaite du censimento que je ne voulois pas, que mon but alloit à avoir des déclarations les plus fidèles possibles »64. La discussion rebondit encore sur le rapport entre les grains et les vins et sur le calcul du produit net, inexistant dans certains endroits : l’administrateur s’en va lui-même pelleter les regains pour essayer de sortir de l’impasse65. Finalement Joseph maintient l’arpentage par les paysans et Zinzendorf reste sur ses positions : « On va fixer le produit de chaque champ en fruits que le possesseur ne sème point, on va additionner ces produits fictifs, calculer leur valeur en argent et envoyer ces sommaires fabuleux ici. Les vérifications du véritable produit indispensables pour asseoir l’impôt avec justice vont être abandonnées entièrement à l’arbitraire des baillis et des puissances dans le village. On n’aura donc que les faux sommaires des produits et par conséquent aucune base pour la répartition de l’impôt »66. La monarchie a-t-elle les moyens d’établir un cadastre général et parcellaire ? Pour tenir compte des contraintes financières, l’arpentage est organisé par communautés, elles-mêmes découpées en figures géométriques simples, en dépit des résultats décevants des essais.
28La deuxième pomme de discorde apparaît en 1787, quand arrivent les premiers résultats statistiques des provinces : faut-il asseoir l’impôt sur le produit net ou non ? L’empereur n’avait au départ qu’une vague « idée » sur la question, souhaitant « remettre la fiscalité à la noblesse pourvû qu’elle paya la contribution »67 :
« Travaillé sur les formulaires que l’on mettra devant les yeux de l’Empereur le produit net des biens fonds et les charges de plus de cinq cent païsans de la Bohême, de la Moravie, de la Basse-Autriche, de l’Autriche intérieure, des comtés de Görz et de Gradisca. Eger veut calculer l’impôt sur le produit brut, moi sur le véritable produit du païsan, déduction faite des redevances seigneuriales. Je dictois sur cet objet et parlois au comte Rosenberg »68.
29À cette occasion, le président de la commission de l’impôt évoque la nécessaire imposition de l’Industrial de la seigneurie qui constitue effectivement le fondement du développement manufacturier de la monarchie – les grands seigneurs financiers non soumis à la dérogeance mobilisent les premiers les capitaux nécessaires69. Vient ensuite le problème de la déduction de la corvée, redevance seigneuriale la plus lourde, malgré les limitations auxquelles elle est soumise depuis 177370. Zitizendorf réclame à de nombreuses reprises la comptabilisation de la corvée dans les avances, alors que Joseph s’y oppose pour pouvoir supprimer la distinction entre dominical et rustical71 . Le 28 février 1788, Zinzendorf est relevé de ses fonctions, officiellement parce que sa tâche est achevée et que la réforme n’attend plus que sa mise en œuvre pratique. En fait, il doit démissionner pour n’avoir pas exécuté les injonctions de l’empereur avec suffisamment de célérité. Son jugement est sans appel : « Joseph Second etoit capable d’embrasser de nouvelles idées utiles, mais incapable de s’occuper de leur analyse et de la combinaison nécessaire pour les exécuter »72. Mais l’avis technique du ministre des Finances compte peu dans un contexte absolutiste, encore moins de monarchie mixte. La réforme se heurte d’abord à l’opposition déterminée des états aristocratiques. Seule la mort de Joseph II en février 1790 permet de dénouer le conflit.
30La noblesse a déjà porté la rectification de 1748, le « cadastre thérésien ». Les états aristocratiques critiquent désormais moins la réfection du cadastre que la nature de l’impôt73 proposé. L’idée a fait son chemin par habituation.
31Si les états aristocratiques raisonnent dans la perspective d’une tradition politique, les administrateurs portent leur regard au-delà du cadre national. Karl von Zinzendorf, président de la commission de l’impôt, ne travaille jamais sur le cadastre thérésien. Certes, il invoque la référence du cadastre milanais mais aussi reprend les arguments de Le Trosne qui développait déjà le thème de l’arpentage généralisé et de la formation des ingénieurs nécessaires à cette opération74. Si au milieu du xviiie siècle, l’information administrative n’est plus enfermée dans le seul cadre national, elle emprunte encore des voies très personnelles, contraintes par l’alliance diplomatique et par les jeux politiques locaux. Par l’échange et la publicité, le cadastre parcellaire tend cependant à devenir un objet, pièce de la science des finances publiques. Sur la base d’une légitimation européenne qui vient du milieu des administrateurs, sa réalisation s’impose lentement comme un enjeu intellectuel et administratif qui traduit les transformations de la « science des finances » et son institutionnalisation dans le métier des finances.
Notes de bas de page
1 Ce travail est l’œuvre des douze inspecteurs cadastraux nommés en 1809 et participe de l’application de l’ordonnance du 27 janvier 1808 qui ordonne la confection d’un cadastre dans l’Empire français.
2 L’intendant des finances d’Ormesson annonce l’envoi du receveur des finances Harvoin en Italie au secrétaire d’État aux Affaires étrangères le 2 juin 1763, mais informe l’intendant des finances Daniel Trudaine des préparatifs. Ce dernier collabore à la rédaction de l’instruction et prépare une mission similaire dans le Languedoc et le Dauphiné, cf. Copie à Mr le duc de Praslin, ministre et secrétaire d’État le 2 juin 1763, lettre à M. Trudaine du 3 juin 1763 et réponse de M. Trudaine du 4 juin 1763 ; instructions données pour sa mission à M. Harvoin, lettres adressées par lui d’Italie à M. d’Ormesson, avril 1763-février 1764. Documents concernant la mission confiée en 1763 à M. Harvoin, receveur général des finances d’Alençon pour aller étudier les cadastres établis en divers États d’Italie, Dossier n° 2, 144 AP = 156 Mi 72, Arch. nat., Paris. Karl von Zinzendorf parcourt l’Europe de 1763 à 1775 pour le compte du conseil de commerce de Vienne.
3 144 AP 126, « Notes sur la jurisprudence et les finances tirées de l’Histoire de France de l’abbé Velly et de Villaret », 144 AP 127, « Notes sur les finances de l’histoire de France de Garnier » ; 144 AP 128, « Notes sur les finances tirées de l’histoire de France de l’abbé Velly », Arch. nat., Paris, cf. Michel Antoine et Yvonne Lanhers, Les archives d’Ormesson, Paris, 1960, 123p., p. 88. Henri IV-François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson (1751-1808) succède en 1774 à son père Marie-François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson (1710-1775), intendant des finances en titre depuis 1756. Il devient contrôleur général des finances en 1783. Cf. Françoise Mosser, Les intendants des finances au xviiie siècle. Les Lefèvre d’Ormesson et le département des impositions (1715-1777), Genève, Droz, 1978, 327 p.
4 Les livres économiques représentent 7 % du catalogue de vente de la bibliothèque Trudaine de Montigny, cf. Notice des douze premières vacations des livres de la bibliothèque de feu M. Trudaine, conseiller d’État et conseiller aux conseils royaux des finances et du commerce dont la vente se fera en son hôtel, rue des vieilles Audriettes au Marais, le lundi 17 novembre 1777 et jours suivants, à Paris, chez Merigot, 1777. Sur l’usage du livre économique par Karl von Zinzendorf, cf. Christine Lebeau, Aristocrates et grands commis à la Cour de Vienne (1748-1791). Le modèle français, Paris, CNRS Éditions, 1996, 269 p.
5 J.-B. Maurice Vignes, Histoire des doctrines sur l’impôt en France, Paris, V. Giard et E. Brière, 1909, 345 p.
6 Johann Heinrich Gottlob von Justi, Staatswirtschaft oder systematische Abhandlung aller oekonomischen und Cameralwissenschaften, die zur Regierung eines Landes erfordert wird, Leipzig, 1755. Justi (1717-1771) a commencé sa carrière d’économiste comme précepteur chez le comte Haugwitz, l’auteur de la réforme autrichienne de 1748. Celui-ci lui confie, en 1751, l’enseignement des sciences camérales au Theresianum, l’académie de noblesse fondée par Marie-Thérèse. Renvoyé de ses fonctions, il tente de trouver une place en Saxe où il réside entre 1756 et 1760. Finalement, il entre dans l’administration prussienne comme conseiller des mines avant d’être emprisonné pour malversation.
7 Johann Heinrich Gottlob von Justi, Staatswirtschaft..., op. cit., 3. Abschnitt « Von den Contributionen, Steuern und Abgaben der Unterthanen », § 223 et suiv., II, p. 287 et suiv.
8 Johann Heinrich Gottlob von Justi, Staatswirtschaft..., op. cit., § 236.
9 Ibid., § 241.
10 Ibid., § 239.
11 Johann Heinrich Gottlob von Justi, Ausfürhliche Abhandlung von denen Steuern und Abgaben nach ächten, aus dem Endzweck der bürgerlichen Gesellschaften abfliessenden Grundsätzen und zur Wohlfahrt der Völker dienlichen Maassregeln, Königsberg, Leipzig, 1762, p. 20.
12 Justi suit, tout en les développant, les thèses proposées par J.W. von der Lith, Politische Betrachtungen über die verschiedenen Arten von Steuern, Breslau, 1751. La déclaration par les propriétaires est encore défendue par Th. L. Lau, Aufrichtiger Vorschlag von Einrichtung der Intraden und Einkünfte, Francfort-sur-le-Main, 1719. Cf. Andreas Schwennicke, « Ohne Steuer kein Staat ». Zur Entwicklung und politischen Funktion des Steuerrechts in den Territorien des Heiligen Rômischen Reichs (1500-1800), Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 1997, 424 p., p. 330 et suiv. (avec une importante bibliographie). Andréas Schwennicke souligne le caractère « conservateur » de la littérature caméraliste qui donne sa préférence à l’accise, ainsi le manuel de référence de Jost Christoph Dithmar, Einleitung in die öconomischen, Policey- und Cameralwissenschaften, 5e éd., Daniel Gottfried Schreber éd., Francfort-sur-l’Oder, 1755.
13 Cf. Bemhard Hackl, Die Theresianische Dominikal- und Rustikalfassion in Niederösterreich 1748-1756. Ein fiskalischer Reformprozess im Spannungsfeld zwischen Landständen und Zentralstaat, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1997, 325 p.
14 Cf. le rapport de Thomas von Fritsch au prince électeur Frédéric Christian, 24 novembre 1763, Loc 13 547,35, cité par Horst Schlechte, Die Staatsreform in Kursachsen 1762-1763. Quellen zum kursächsischen Retablissement nach dem Siebenjährigen Kriege, Berlin (Est), 1958, Rütten et Loening, p. 561.
15 Jean-Claude Waquet, « Les fermes générales dans l’Europe des Lumières : le cas toscan », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge/Temps modernes, 1977, LXXXIX, p. 983-1027, p. 984.
16 Gian Francesco Pagnini, Della Decima e di varie altre gravezze imposte dal comune di Firenze. Della moneta e della mercatura de’Fiorentinifino al Secolo xvi, Lisbonne et Lucques, 1765. Gian Francesco Pagnini est secrétaire des finances du grand-duc de Toscane depuis 1744. Cf. Luigi Dal Pane, « Uno storico dell’economia nella Toscana del Settecento : Gian Francesco Pagnini », Studi in memoria di Gino Borgatta, Bologne, Arti grafiche, 1953, p. 143-169 (résumé des sources utilisées par Pagnini).
17 Gian Francesco Pagnini, Delta Décima..., op. cit., chapitres II à IV, plus particulièrement p. 31-32. Claude Jacques Herbert vante la land fax anglaise, cf. Essai sur la police générale des grains, sur leurs prix et sur les effets de l’agriculture, Berlin, 1757, p. 233, note (a) : « Le cadastre est un Registre public, qui contient l’estimation des terres de chaque canton. Il ne varie point, quand même la terre soit améliorée ; de façon que chaque Propriétaire sçait ce qu’il doit payer annuellement, et ne craint point la surtaxe ».
18 Une commission aurait été formée à cet effet en 1763, cf. Hermann Büchi, Finanzen und Finanzpolitik Toskanas im Zeitalter der Aufklärung (1737-1790) im Rahmen der Wirtschaftspolitik, Berlin, E. Ebering, 1915, 484 p., p. 283 et suiv., et Luigi Dal Pane, La finanza toscana dagli inizi del sec. XVIII alla caduta del Granducato, Milan, Banca commerciale italiana, 1965, 765 p., p. 121 et suiv.
19 Cf. Sandro Landi, Il governo delle opinioni. Censura e formazione del consenso nella Toscana del Settecento, Bologne, Il Mulino, 2000, 384 p.
20 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, [1re édition anglaise 1776] Germain Garnier trad., Paris, Flammarion, 1991, livre V, chapitre II, section 2 « des impôts », p. 466.
21 Ibid., p. 467.
22 Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les impositions et droits en Europe, Paris, Imprimerie Royale, 1768 (nouvelle édition avec des suppléments et des tables alphabétiques et chronologiques, par Me Poulin de Viéville, avocat au Parlement, Censeur royal, Paris, 1787-1789).
23 Pompeo Neri, Relazione dello stato in cui si trova l’opéra del censimento universale del ducato di Milano, nel mese di maggio dell’anno 1750. Divisa in tre parti..., Milan, 1750. Cf. Adam Smith ’s library : a catalogue, Hiroshi Mizuta éd., Oxford, Clarendon Press, 2000, 290 p.
24 Gian Rinaldo Carli, Relazione del censimento dello stato di Milano, réédition par P. Custodi, Scrittori classici italiani di economia politica, parte modema, XIV, Milan, 1804, p. 181-318.
25 « Few more copies than was necessary for the Commission, for whose use it was compiled. One of these I obtained by the particular favour of Mr. Turgot », Adam Smith, The correspondence of Adam Smith, Ernest C. Mossner et Ian S. Ross, Oxford, Clarendon Press, 1977, n° 196, 24 novembre 1778.
26 Cf. l’inventaire de la bibliothèque Mirabeau (Mirabeau 41, Musée Arbaud, Aix-en-Provence) et À Catalogue of the entire library of the late most noble William marquis of Lansdowne, Londres, 1806.
27 La version imprimée qui insiste sur l’importance de la publicité est modifiée selon le vœu de l’administration autrichienne, 24 mai 1750, du président Neri, III, 31, Carteggi del conte Pallavicini, Archivio di Stato, Bologne.
28 Sergio Zaninelli, « Un “progetto d’un nuovo sistema di Taglia da pratticarsi nello Stato di Milano” del 1709 », Archivio storico Lombardo, 1960, 10-LXXXVII, p. 535-586.
29 Texte reproduit par Ibid., p. 562-569.
30 Ce qui semblerait confirmer l’origine piémontaise du comte de Pras, cf. les hypothèses proposées par Sergio Zaninelli, « Un " progetto d’un... », art. cité, p. 538.
31 La décision de réformer le cadastre est prise en 1714 par le prince Eugène. Une commission est formée à la fin de 1718. Cf. Sergio Zaninelli, Il nuovo censo dello Stato di Milano dall’edito del 1718 al 1733, Milan, Vita e Pensiero, 1963, 201 p., p. 18 et 20.
32 Catalogue des livres de la bibliothèque de Turgot : d’après un catalogue manuscrit conservé dans la Bibliothèque nationale, Takumi Tsuda éd., Tokyo, Institut d’études économiques de l’Université Hitotsubashi, 1974-1975.
33 Premier Journal de la route et du travail de Mr Harvoin Receveur general des finances a compter du 9 juillet 1763, Documents concernant la mission confiée en 1763.... op. cit.
34 Pietro à Alessandro Verri, de Milan, 13 novembre 1766, Carteggio di Pietro e di Alessandro Verri dal 1766 al 1797, Etnanuele Greppi et Alessandro Giulini éd., Milan, L.F. Cogliati, 1923, I, p. 60. Le voyage d’Alessandro Verri est soigneusement préparé par son frère Pietro qui cherche à exploiter le succès européen de Beccaria pour établir des contacts entre le groupe du Caffè et les philosophes parisiens. Cf. Carlo Capra, I progressi della ragione : Vita di Pietro Verri, Bologne, Il Mulino, 2002, 631 p., p. 265.
35 Analyse des antécédents et présentation générale par Isabella Ricci, « Perequazione e catasto in Piemonte nel secolo XVIII », Città e proprietà immobiliare in Italia negli ultimi due secoli, Carlo Carozzi et Lucio Gambi dir., Milan, 1981, p. 133-152 (avec quelques reproductions de mappes) et Daniele Borioli, Magda Ferraris, Antonio Premoli, « La perequazione dei Tributi in Piemonte sabaudo e la realizzazione délia riforma fiscale nella metà del XVIII secolo », Bollettino storico-bibliografico subalpino, 1985, LXXXIII, p. 131-211.
36 Cf. Jean Nicolas, La Savoie au xviiie siècle. Noblesse et bourgeoisie, Paris, Maloine, 1978, 1139 p., I, p. 127.
37 Cf. la relation de G.C. Salonio du 20 août 1760, Archivio di Corte, Materie economiche, Perequazione del Piemonte, mazzo I di Additione, n. 2 et Mémoire par l’abbé de Mellarède, 1776, Archivio di Stato, Turin (AST) ; Mémoire en explication de la tabelle contenant le résultat des opérations diverses de la péréquation générale dans le duché de Savoie, 25 oct 1788, Biblioteca reale, Turin. Cf. J. Nicolas, La Savoie..., op. cit.
38 Raccolta per ordine di materia delle leggi, cioè editti, patenti, manifesti ecc. emanate negli stati di terraferma fino all’8 decembre 1798 dai sovrani della real casa di Savoia, Turin, 1818-1879.
39 Selon les termes du général des finances Gropel, cf. lettre du 29 juin 1697, m. 54, Lettere particolari, AST, cit. par D. Borioli et al., « La perequazione... », art. cité, p. 157. Giovan Battista Gropello est intendant général en Savoie en 1696, président et général des finances à Turin de 1697 à 1717.
40 L’édit de 1731 est promulgué par Charles III, fils de Victor Amédée II. Auparavant, les relevés sont effectués par masses de culture, cf. I. Ricci, « Perequazione... », art. cité, p. 137. Cet ouvrage est largement réalisé par des géomètres lombards, cf. J. Nicolas, La Savoie., ., op. cit., p. 126. La démarche suivie est précisément décrite par D. Borioli et al., « La perequazione... », art. cité, p. 174 et suiv.
41 our chaque paroisse, une taille idéale correspondant à la taille ancienne est complétée par l’adjonction des cotes des biens nouvellement imposés ; une somme de 15 % est prélevée sur le total de la taille savoyarde pour alléger la quote-part des paroisses surimposées. Quand l’écart est trop fort, on réalise une moyenne entre l’optimum fiscal et le montant de la taille cadastrale. Cf. J. Nicolas, La Savoie..., op. cit., p. 133.
42 Instructions données pour sa mission à M. Harvoin, lettres adressées par lui d’Italie à M. d’Ormesson, avril 1763-février 1764, Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
43 Copie à Mr le duc de Praslin ministre et secrétaire d’État à Versailles, le 2 juin 1763, Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
44 Roberto Ignazio marchese Solaro di Breglio, ambassadeur de Sardaigne à Paris du 2 octobre 1758 au 11 septembre 1765.
45 J.-L. Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits..., op. cit., p. 286.
46 Compte rendu des négociations dans CP Sardaigne 237 et 238, Archives du ministère des Affaires étrangères (AAE), Paris.
47 « 23 juillet 1766 dîné chez le Mal Pallavicini homme aimable qui conte bien. Me parla [...] de la satisfaction que l’on a donné au roy de Sardaigne, combien cela fortifie l’alliance entre Bourbon et l’Autriche », Karl von Zinzendorf, Tagebuch, Haus-Hof- und Staatsarchiv, Vienne (par la suite Tgb).
48 19 octobre 1763, Premier Journal de la route et du travail de Mr Harvoin Receveur general des finances a compter du 9 juillet 1763, Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
49 Dépêche de janvier 1762, CP Sardaigne 237, fol. 220, AAE.
50 Pour obtenir la collaboration du marquis de Chauvelin, ambassadeur de France à Turin, d’Ormesson demande une lettre à l’intendant des finances Chauvelin, « Objet à remplir pour parvenir au départ », Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
51 « J’ai prié Mr de Mercy de vous aider pour rassembler quelques notions détaillées sur l’administration des fermes générales [...]. La France nous a demandé un mémoire sur notre méthode de percevoir. J’en ai été chargé et j’ai rassemblé une assés grosse quantité de matériaux pour leur en donner des idées », Ludwig à Karl von Zinzendorf, 3 juillet 1766, HS 64, Deutschordens Zentralarchiv, Vienne.
52 Dépêche du 15 octobre 1763, CP 240, AAE.
53 Moreau de Beaumont revient sur les facilités offertes à Turin, J.L. Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits..., op. cit., p. 286. Seule une comparaison terme à terme des documents collectés permettrait de confirmer cette différence de traitement.
54 Tgb, 2 et 21 janvier 1769.
55 Si l’administration consent à montrer les pièces, elle refuse d’en faire des copies, même si le subdélégué de Chambéry consent finalement à se prêter « a donner de bouche tous les eclaircissemens qu’on pouvoit desirer, il s’est mesme laissé aller sur la fin aux persecutions, en donnant quelques modeles, mesme des originaux de rolles et d’ordonnances », 30 juillet 1763, Premier Journal de la route et du travail de Mr Harvoin Receveur general des finances a compter du 9 juillet 1763, Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
56 31 mars et 1er avril 1764, Premier Journal de la route et du travail de Mr Harvoin Receveur general des finances a compter du 9 juillet 1763, Documents concernant la mission confiée en 1763..., op. cit.
57 La note adressée au contrôleur général se focalise sur le cadastre piémontais pour analyser les obstacles qu’une réforme similaire rencontrera en France, cf. Copie du mémoire remis à la Commission des Finances par M. le contrôleur général au sujet de l’établissement du cadastre, de la répartition et de la perception des impositions dans les États du Roi de Sardaigne, Mémoires et documents France, 1365, fol. 239-269, AAE.
58 Depuis la suppression du Conseil d’Italie en 1757, l’État de Milan est géré par la seule chancellerie d’État. Les mémoires sur le cadastre n’arrivent donc pas directement sur la table du ministre des Finances. D’où des stratégies de contournement dont relève le séjour de Karl von Zinzendorf à Milan.
59 Cf. Roman Rozdolski, Die grosse Steuer- und Agrarreform Josephs II, Varsovie, Pa’nstwowe Wydawnictwo naukowe, 1961, 197 p., p. 87.
60 Tgb, 14 juillet 1783 ; Tgb, 9 novembre 1783.
61 La première travaille à l’achèvement des contrats qui devaient se substituer à la corvée. Karl von Zinzendorf en est relevé le 7 avril 1785. Il démissionne de la seconde en février 1788 : le motif officiellement invoqué est l’achèvement proche de l’opération.
62 Le cercle (Kreis) a remplacé le quartier (Viertel) dans la réforme de 1764.
63 « Je représentais que pour trouver le dividende actuel et futur de l’impôt territorial, il falloit deux données, le montant de l’imposition de la province et la somme des revenus à imposer de tous ses propriétaires, que cette somme doit être un agrégé des déclarations individuelles », Tgb, 14 août 1784.
64 Tgb, 15 août 1784. Les premiers essais ont lieu au mois de novembre à Guttenbrunn près de Vienne. D’après le diaire, c’est la grande source de friction : sept références dans le diaire, c’est-à-dire sept commissions ou audiences sur ce sujet entre l’été 1784 et l’été 1785.
65 Sur la Parifikationsmethode, cf. R. Rozdolski, Die grosse Steuer- und Agrarreform..., op. cit., p. 53 et Tgb, 26 mars 1785.
66 Tgb, 5 avril 1784.
67 Tgb, .4 juillet 1783.
68 Tgb, ; 7 juillet 1787. La question de la jachère a déjà été évoquée : « Les bras m’en tombèrent quand je reçus la résolution de l’Empereur qui refuse la déduction des jachères », Tgb, 16 novembre 1784.
69 Tgb, 3 mars 1785.
70 Patente du 6 juin 1772 pour la Basse-Autriche avec les compléments des 12 et 24 octobre 1773, qui limite la corvée à 3 jours par semaine ou 104 jours par an et prévoit son rachat par un impôt en argent.
71 R. Rozdolski, Die grosse Steuer- und Agrarreform..., op. cit., p. 114.
72 Tgb, 6 septembre 1790.
73 Christine Lebeau, « La notion de “propriétaire” et sa construction dans l’espace germanique : le cas de la monarchie des Habsbourg aux xviie et xviiie siècles », Il Pensiero gerarchico in Europa, xviii-xix secolo, Antonella Alimento dir., Florence, Leo S. Olschki, 2002, p. 65-82.
74 Cf. Guillaume-François Le Trosne, De l’administration provinciale et de la réforme de l’impôt, Basle, Paris, 1779.
Auteur
-
Christine Lebeau
Christine Lebeau est professeur d’histoire moderne à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Elle a, entre autre, publié : Aristocrates et grands commis à la Cour de Vienne (1748-1791). Le modèle français, Paris, CNRS Éditions, 1996 ; « La république des administrateurs : une république médiate », La Plume et la Toile. Pouvoirs et réseaux de correspondance dans l’Europe des Lumières, Beaurepaire (Pierre-Yves) dir., Presses de l’Université d’Arras, 2002, p. 273-287 ; « La notion de "propriétaire" et sa construction dans l’espace germanique : le cas de la monarchie des Habsbourg aux XVIIe et XVIIIe siècles », Il Pensiero gerarchico in Europa, XVIII-XIX secolo, Alimento (Antonella) dir., Florence, Olschi, 2002, p. 65-82 ; « Éloge de l’homme imaginaire. Recherches sur la construction de la figure de l’administrateur au XVIIIIe siècle » Werner (Michael) et Zimmermann (Bénédicte) dir., De la comparaison à l’histoire croisée, Paris, Le Seuil, 2004, p. 99-116.
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