Les opérations cadastrales en Russie moscovite des XVIe et XVIIe siècles : buts, déroulement, résultats
p. 57-80
Texte intégral
Introduction
1Parmi les actes anciens, le fonds n° 1209 est l’une des richesses des Archives d’État de Russie à Moscou (RGADA). Au total, il possède 2 273 documents cadastraux, originaux ou sous forme de copies, du xve siècle au xviiie siècle. La répartition géographique donne une prépondérance assez nette pour les territoires du nord-ouest et du centre de la Russie. Ces documents sont répertoriés dans les archives sous différents titres, tantôt comme piscovye knigi, tantôt comme sotnye, dozornye et mezevye knigi (le terme « cadastre » n’étant utilisé que depuis le xixe siècle). Dans tous les cas, il faut y voir un groupe singulier de documents établis par la décision de l’autorité centrale pour recenser les biens fonciers et les habitants dans tout l’empire, afin de mieux répartir les charges et percevoir les impôts. Les questions et les problèmes qui se posent aux historiens dans l’étude de ces sources sont divers et ne peuvent donc pas être traités et développés en bloc dans cette communication. En nous appuyant sur quelques exemples concrets, nous nous concentrerons plutôt sur trois aspects encore mal étudiés de l’histoire de ces documents. Il convient, tout d’abord, de retracer l’évolution des cadastres russes, depuis le xve siècle jusqu’à la fin du xviie siècle, afin de conclure sur leurs caractéristiques essentielles et de dégager leur typologie globale. Ces observations seront ensuite approfondies par l’analyse de la structure interne des cadastres et des procédures et techniques employées à leur réalisation, approche qui permettra d’arriver à quelques conclusions qui dégageront notamment la signification de ces sources pour les historiens.
I. ÉVOLUTION ET TYPOLOGIE DES CADASTRES RUSSES
2Le principal type de cadastres russes se présente sous la forme de documents qui résultent des recensements généraux des terres et des personnes organisés sur l’ensemble du royaume. Les plus anciens sont les cadastres dressés en 1484 et 1485 sur ordre d’Ivan III dans la région de Novgorod. Deux enquêtes supplémentaires furent menées de 1495 à 1505 et de 1538 à 1547. Le contexte politique semble avoir joué un rôle déterminant dans la naissance de ces documents. L’élévation de Moscou et le renforcement du pouvoir des princes moscovites conduisirent à une extension territoriale de la Moscovie, dont la conquête de la république de Novgorod fut une étape importante. Cette entreprise mit alors à la disposition d’Ivan III un énorme fond terrier s’étendant, outre la ville principale et ses faubourgs, sur cinq autres provinces1 des lacs Ladoga et Onega, au nord-ouest, jusqu’à la chaîne de l’Oural, à l’est. En cherchant à affirmer son droit sur ces terres et leurs revenus, le prince fit déporter de nombreuses familles novgorodiennes dans les districts du centre, puis il distribua les terres confisquées entre ses propres serviteurs. L’établissement des cadastres servit à cette démarche d’expropriation foncière, de même qu’il rendit possible le recensement et l’utilisation des riches ressources économiques de la région conquise et assura le contrôle de la population locale.
3Le règne d’Ivan IV constitua une autre période importante dans l’évolution des cadastres en Russie. Trois enquêtes cadastrales générales furent mises en place. Celle de 1551 correspondit à la première moitié du règne, marquée par des réformes intérieures conséquentes et une politique extérieure active. Une série de réformes administratives et judiciaires (1547-1553), réalisée par l’archiprêtre Sylvestre et le noble Alexis Adašev, à la tête du Conseil des élus (Izbrannaja Rada), contribua de façon décisive à renforcer le pouvoir monarchique. Ces événements politiques coïncidèrent avec le développement du système fiscal. Pour faire face aux besoins financiers, l’autocratie russe naissante établit l’impôt sur la terre (posošnoe oblogenie), quel qu’en soit le possesseur. Les nobles étaient imposés en fonction du service qu’ils rendaient au tsar, lequel les récompensait en terres. Les ecclésiastiques payaient autant, bien que leurs contributions aient été moindres que celles des seigneurs. L’imposition des paysans était due à l’État en fonction de la quantité de terres qu’ils labouraient pour leur propre existence, tandis que l’impôt des habitants des bourgs se calculait sur la base de leurs occupations professionnelles (podvornaja soha). L’assiette de l’impôt s’appuyait sur le système des « charrues » (moskovskaja soha)2 qui désignait la qualité du sol et une quantité de terres labourables soumise à l’impôt selon chaque catégorie de propriétaires.
4Les événements politiques de la seconde moitié du règne d’Ivan IV, importants pour leurs conséquences sur le tissu économique et social, déterminèrent la nature particulière des cadastres rédigés en 1565-1566 et de 1581 à 1590. En instaurant un nouveau régime politique en 1565, Ivan IV divisa le pays en deux parties : l’opričnina, territoire que le tsar soumit au régime d’exception, et la zemščina où il conserva l’ancienne administration. La mise en place des cadastres s’inscrit donc dans une même perspective : ils étaient destinés à définir les nouvelles frontières de l’empire et à y surveiller les mutations de la propriété seigneuriale. Les cadastres de Riazan témoignent de l’ampleur de ces changements : le tsar n’hésita pas à destituer le métropolite de Riazan et à confisquer tous ses patrimoines qu’il transforma aussitôt en bénéfices pour récompenser les services rendus par les opričniki Belskij, Gagarin, Zasekin, Lobanov-Rostovskij et autres3.
5Le xviie siècle débute avec le Temps des troubles qui mit la société russe à l’épreuve avec la crise dynastique, les révoltes populaires et les invasions polonaise et suédoise. La crise économique, amorcée dès la fin des années 1570, causa la décadence de l’agriculture et l’exode massif de la population. La confection des cadastres fut donc interrompue. C’est seulement avec la nouvelle dynastie des Romanov – Michel Fedorovič (1613-1645) et son fils Alexis Mihajlovič (1645-1676) – que le pays retrouva sa stabilité politique et restaura son économie. La pratique des cadastres fut renouvelée. D’abord, entre 1613 et 1617, reparurent les dozory (inspections) ou recensements extraordinaires, dont l’objectif était de faire, dans de courts délais, un diagnostic de l’état fiscal du pays et surtout d’évaluer les capacités contributives de la population ; puis, à partir des années vingt, la mise en chantier des cadastres proprement dits fut multipliée.
6Le gouvernement lança trois grandes campagnes cadastrales sur l’ensemble du royaume, de 1621 à 1624, en 1646 et de 1676 à 1678. Elles aboutirent à constituer un ensemble documentaire très volumineux et uniforme concernant un immense territoire. À la fin du xviie siècle, la Moscovie fixait ses frontières à la mer Blanche, au nord ; l’expansion allait de façon continue en direction du sud, avec la fondation de Gouriev en 1632, et à l’est, avec des expéditions et des garnisons de cosaques en Sibérie jusqu’à la mer d’Okhotsk. Après la guerre contre la Pologne, l’État russe acquit, en vertu de l’armistice d’Androussovo de 1667, l’Ukraine sur la rive gauche du Dniepr. L’étude des cadastres permet de jeter un éclairage nouveau sur le processus de cette croissance territoriale et ses composantes. Les contrastes géographiques, liés à la diversité du climat et des terrains autant qu’au peuplement et aux usages variés de l’exploitation du sol, ont marqué la structure et le contenu de ces documents.
7Pour autant une mutation est perceptible à l’intérieur des documents en rapport étroit avec l’évolution de la politique fiscale de l’État. Le xviie siècle est une période où le système d’imposition, n’étant plus dominé par le principe foncier (par « charrue »), se trouva combiné à la répartition par « feu » (dvor). Les enquêtes visaient désormais à recenser autant les terres que les habitants qui les peuplaient. Ces informations étaient soit intégrées dans le texte définitif du cadastre, soit séparées dans un registre à part (perepisnaja kniga) qui consistait en un relevé des feux. Avec l’établissement de zivuščaja četvert’ en 1631, la catégorie des contribuables fut étendue à un nouveau groupe, celui des paysans appauvris ou sans terre (bobyli), exemptés jusque-là.
8Si les cadastres des années 1620 avaient pour but premier l’évaluation de la matière imposable, ils pouvaient accessoirement être utilisés pour prouver (ou infirmer) l’asservissement d’un paysan. Au contraire, la logique première du recensement de 1646 fut l’établissement du régime servile, et ce n’est qu’après coup qu’il fut utilisé à des fins fiscales. Les documents des années 1676-1678 se présentent aussi comme des relevés de feux. Tout agriculteur qui y était enregistré comme « paysan » d’un seigneur, était considéré comme son serf et le relevé faisait foi.
9Le xviie siècle est aussi le siècle du développement d’un troisième type d’opérations cadastrales que nous qualifierons d’enquêtes supplémentaires et occasionnelles. Leur caractéristique principale tient au fait qu’elles étaient organisées à une plus petite échelle : une partie d’un district, un canton, une ville, une seigneurie. Elles étaient entamées à l’initiative de l’administration ou à la suite de plaintes de propriétaires mécontents des résultats obtenus lors d’opérations cadastrales précédentes.
10Les autorités conduisirent fréquemment ces enquêtes dans la Russie du nord-est, territoire qui fut le plus important économiquement. Le groupe formé par les cadastres de Moscou se distingue de ce point de vue au sein de l’ensemble du corpus. Ces cadastres sont conservés en nombre considérable. Les premiers documents furent dressés en 1574, en 1577-1578 et en 1585-1586. Leur rédaction s’accéléra au xviie siècle. Les cadastres furent confectionnés en 1623 et 1624 par le commissaire S.V. Koltovskij, en 1626 et 1628 par F.F. Puškin, de 1629 à 1632 par le commissaire Uvarov. Entre 1680 et 1682, ils furent renouvelés par différents commis. Les opérations cadastrales furent relancées par le commissaire Verderevskij et le sous-secrétaire Zaseckij de 1684 à 1686. G.S. Sahovskoj fut le seul responsable du recensement des biens fonciers à Moscou de 1683 à 1686, en 1688 et de 1690 à 1694. La même enquête fut réalisée entre 1690 et 1696 par plusieurs commissaires.
11Un autre pôle économique de la Russie moscovite se situait dans la région de Vologda. Son élément constituant était la ville de Vologda, fondée au xiie siècle par les marchands novgorodiens sur la rive droite du fleuve Suhona. Elle accrut considérablement sa population vers le xvie siècle et depuis prospérait grâce à son rôle marquant dans le commerce intérieur et dans les échanges avec les pays occidentaux grâce à un réseau de communications fluviales commodes. Outre les activités commerciales, l’importance de la région tenait aussi à ses terres fertiles. Une part considérable de ces terrains était des domaines ecclésiastiques, de même que nombre de grands seigneurs y possédaient des alleux et bénéfices. Le district de Vologda était réparti en deux parties territoriales – Pervaja polovina et Zaozerskaja polovina – composées de plusieurs cantons. L’enquête cadastrale s’organisa séparément pour chacune d’entre elles.
12De 1614 à 1616, les domaines seigneuriaux et ecclésiastiques situés dans les cantons d’au-delà des lacs (Zaozerskaja polovina) firent l’objet de deux inspections cadastrales : l’une, présidée par le prince B.V. Kasatkin-Rostovskij et l’autre, effectuée par le prince N. Šahovskoj. Des enquêtes supplémentaires furent menées successivement en 1617 par Pierre Novosil ’cev aidé du sous-secrétaire E. Rjabcov, et de 1619 à 1621 par T. Bezobrazov et le commis I. Petrov. Le cadastre de 1626-1627-1629-1630 fut confectionné par le commissaire F. Voroncov-Vel’jaminov assisté par le sous-secrétaire S. Zavesin. En 1685, Dimitri Rudakov et le sous-secrétaire P. Kudrjavcev recensèrent les propriétés seigneuriales dans les cantons de Boroveckij et Bohtužskij.
13Le premier dozor de la seconde partie du district, cantons proches de la ville de Vologda (Pervaja polovina), fut dressé en 1613 par le voïévode Ivan Odoevskij et son adjoint Grégoire Puškin. Des enquêtes cadastrales furent conduites en 1617 par le prince Pierre Volkonskij et le sous-secrétaire L. Sofonov et de 1620 à 1624 par le commissaire Fedor I. Izmajlov et le sous-secrétaire M. Buharov. L’équipe composée du prince Ivan A. Meščerskij et du sous-secrétaire F. Stogov fut chargée de relever les feux de la ville de Vologda en 1627, et une seconde équipe, associant Semen Korobin (noble) et le même sous-secrétaire Stogov, opéra dans le district de Vologda (1627-1628-1631). En 1685 et 1686, le panetier Osip Barjatinskij établit un cadastre pour les domaines ecclésiastiques et seigneuriaux du canton de la ville de Vologda. C’est seulement en 1687 que le même personnel, le panetier B. Zmeev et le secrétaire Isidore Skvorcov, put réaliser simultanément un cadastre unique pour les deux parties du district de Vologda.
14La mise en place des cadastres de troisième type est particulièrement importante pour les régions périphériques. L’entreprise de conquêtes sur la moyenne et la basse Volga finit par le rattachement, au milieu du xvie siècle, du khanat de Kazan’ au territoire moscovite. Son intégration à la Moscovie semble conjuguer deux mouvements concomitants. D’une part, la présence russe entame une christianisation de la population tatare et, d’autre part, elle amène à une large colonisation économique de la région. En effet, le fonds de terres conquises fut l’objet d’une double appropriation de la part du vainqueur. L’aristocratie tatare perdit le droit de possession sur la plus grande partie des terres qu’elle détenait. Ces terres confisquées entrèrent dans la catégorie des terres de la Couronne. Le tsar les distribua massivement en bénéfices à la noblesse russe et y installa un grand nombre de Tatars entrés au service des Russes. Les enquêtes cadastrales vinrent soutenir ce projet général de la monarchie de développer de nouveaux rapports à la propriété foncière. Dès lors, elles contribuèrent à installer, dans les régions périphériques, le système des bénéfices et à former le nouveau groupe des serviteurs du tsar. Ainsi, l’organisation des cadastres répondit à une raison économique propre à l’État monarchique qui était en train de se construire en Russie et, de ce fait, correspondit à une raison politique qu’ il se donnait ; par le moyen des cadastres, le pouvoir russe faisait preuve de sa réelle domination politique sur le territoire annexé. Le cadastre du district de Kazan’, établi en 1602 et 1603 par Ivan Boltin4, offre un solide témoignage pour comprendre la complexité de ce processus.
II. MODALITÉS DE RÉDACTION DES CADASTRES
15La procédure cadastrale en Russie fait intervenir deux phases successives :
- la collecte des données, c’est-à-dire le recensement des biens,
- le traitement des informations recueillies, qui suppose, outre leur transcription dans des registres, les opérations de vérification, de conservation et de mise à jour.
16Les deux phases de rédaction des cadastres étaient assurées par le même personnel. Ces équipes se composaient de commissaires (piscy) et de quelques commis (d’jaki et pod ’jačie) expérimentés en matière fiscale, dont la plupart étaient recrutés en nombre varié dans les bureaux centraux et provinciaux.
17Les commissaires appartenaient à la noblesse. Ils étaient nommés à leur charge par oukase du tsar. Les candidats prêtaient serment sur la croix de bien remplir leurs fonctions. Comme tout autre service, civil ou militaire, le travail des commissaires était récompensé. À l’arrivée dans les chefs-lieux du district, les commissaires transmettaient aux voïévodes une lettre de kormlenie qui leur donnait le droit d’être logés et ravitaillés par la population locale. Leur rémunération se composait d’une ration journalière et de divers dons à l’occasion des fêtes, essentiellement en nourriture (blés, viande, poisson, champignons, sel, vin, etc.).
18Jointes à d’autres taxes judiciaires et fiscales, ces charges pesaient lourdement sur les communautés qui ne cessèrent de s’en plaindre au tsar. Les rédacteurs des cadastres séjournaient en effet dans les provinces avec leurs familles et leurs domestiques, tandis que la préparation des cadastres avait tendance à se prolonger bien au-delà des échéances initialement prévues.
19Pour faire cesser les plaintes, le gouvernement mit en place plusieurs moyens. Le premier consistait à réduire le nombre de participants à l’élaboration des cadastres. Un second moyen, qui consista à confier entièrement la réalisation des cadastres à l’administration locale, fut une conséquence de la liquidation officielle du système de kormlenie par les réformes d’Ivan IV. Enfin, on tenta de mieux organiser le contrôle du travail des commissaires et des commis départis. Ils furent placés sous la tutelle du bureau des bénéfices qui coordonnait leurs travaux et veillait à ce qu’ils ne rallongeassent pas, de leur propre initiative, les délais d’exécution. Les commissaires aux cadastres furent invités à interrompre leurs investigations pendant l’hiver, ce qui permettait également de diminuer sensiblement les frais de leur entretien.
20Le bureau des bénéfices était en droit de révoquer les commissaires. Il arrivait aussi que l’enquête cadastrale puisse être interrompue à la suite de conflits entre les rédacteurs des cadastres eux-mêmes. Ce fut le cas à Velikij Ustug où les querelles constantes entre le voïévode Michel Spešnev et le sous-secrétaire Davydov, chargés d’établir le cadastre en 1639, firent abandonner l’opération au bout de trois mois. La confection du cadastre ne fut relancée qu’en 1676. Le tsar envoya sur place son homme de confiance, Alexis I. LodyŽenskij, et le sous-secrétaire Alexis Erofeev. Cependant, la mort subite de LodyŽenskij en 1679 interrompit l’enquête. Elle fut reprise en 1680 par le panetier Nicéphore S. Efïm’ev et le même sous-secrétaire Erofeev, mais, bientôt, ils furent révoqués suite à une plainte des habitants. Le travail ne fut terminé qu’en 1683 par le panetier Ivan Pojarkov et le secrétaire (d’jak) André Pokryškin.
21Les commissaires recevaient pour l’exécution de leur tâche des lettres instructives (nakazy) et les pripravočnye knigi. Le Livre de taxation des terres (Kniga sošnogopisma) devait leur servir de repère dans la procédure de mesure des terres. Ses articles leur étaient très utiles car ils donnaient à voir divers cas de figures qui pouvaient se produire lors de la mesure des champs de différentes configurations. Les pripravočnye knigi sont des copies des cadastres précédents soigneusement préparées par des scribes indépendants (plščadnye pod’jačiï) à la veille du départ de chaque commissaire. Le bureau des bénéfices rémunérait ces commis d’un altyn5 par jour. Le rôle de ces documents était double. D’une part, ayant en possession ces documents, les commissaires pouvaient mieux s’orienter sur les lieux et ainsi constater plus rapidement des changements survenus dans la structure de la propriété et l’évolution de la population depuis le dernier recensement. D’autre part, grâce à des descriptions géographiques précises fournies par les cadastres précédents, le nouveau commissaire était normalement préservé de tout « oubli » éventuel d’un lieu, d’une propriété ou d’un village, qui étaient susceptibles d’être délaissés et non enregistrés aussi bien par la négligence des commis que par la fraude de la part des propriétaires espérant de la sorte diminuer leurs charges fiscales.
22La première étape pour établir les cadastres était le travail d’enquête réalisé sur le terrain et impliquait l’emploi de méthodes différentes pour les villes et les campagnes. Les enquêteurs commençaient leurs visites par la ville principale du district et ses faubourgs, où ils allaient au domicile des propriétaires qui déclaraient leurs biens. Préalablement, l’administration locale leur présentait la liste des habitants et les registres d’imposition. Les biens immobiliers étaient énumérés, quels que soient la taille et l’usage de l’édifice. Les cadastres mentionnaient non seulement les maisons d’habitation, mais aussi les églises, les boutiques, les bains, les forges, le réseau de chemins, etc. De telles descriptions présentent évidemment un grand intérêt pour les spécialistes qui souhaitent connaître la géographie et l’organisation de l’espace urbain.
23Dans les campagnes, l’essentiel de l’enquête cadastrale se concentrait sur la procédure de mesure de la surface et l’estimation de la qualité des terres. Il était prévu que, lors de déplacements sur le terrain, les commissaires soient assistés de témoins représentant les seigneurs et les communautés. Leur action commune devait garantir l’exactitude dans la mesure des parcelles. Malgré tout, cette précaution n’empêche pas que des erreurs apparaissent pendant la mise en forme par écrit des cadastres, soit sur le terrain à cause de l’inattention des commissaires pressés de transcrire les données relevées, soit dans les bureaux au moment de la confection du papier définitif.
24Le jour de la visite du commissaire, les propriétaires fonciers déclaraient les terres qu’ils possédaient et présentaient leurs actes de propriété. Aux yeux du pouvoir, la vérification des titres fonciers constituait un acte indispensable par lequel on pouvait établir non seulement leur authenticité justifiant l’occupation du sol, mais aussi s’informer de l’évolution de la structure de la propriété du district concerné. Les seigneurs, quant à eux, avaient autant d’intérêt à cette procédure, car ils y voyaient une démarche nécessaire qui leur permettait de confirmer leurs anciens droits sur les alleux et les bénéfices. Cette opération, qu’on peut qualifier de contrôle des pièces, s’appliqua sur une grande échelle au début du xviie siècle, au moment où la reconstruction de l’économie, ruinée pendant le Temps des troubles, entraînait une sérieuse transformation de la propriété foncière. Elle annonça un grand « retour » des terres, saisies par le premier faux Dimitri et le second faux Dimitri, au profit de leurs partisans étrangers et de roturiers, à leurs anciens possesseurs aristocratiques et nobles russes.
25Le second type de vérifications menées par les rédacteurs des cadastres vis-à-vis des seigneurs visait à établir l’étendue réelle de leurs propriétés pour s’assurer que leurs superficies correspondaient bien à des bénéfices accordés : les empiètements sur les terres du voisin étaient fréquents en effet. Inversement, les possessions effectives des nobles étaient généralement inférieures à leur dotation théorique. C’étaient à eux de trouver des terres vacantes et de les signaler à l’office des fiefs en demandant qu’on les leur attribue.
26Une irrégularité plus fréquente fut, au contraire, l’appropriation illégale, souvent entre deux enquêtes cadastrales, de surfaces étendues de terres de la Couronne par les seigneurs, terres qu’ils exploitaient à leur propre profit. Connaissant bien cette pratique frauduleuse, les commissaires n’avaient qu’à confisquer ces terres, les propriétaires nobles étant soumis à l’amende. Après avoir donné avis sur la rentabilité de ces parcelles, les commissaires étaient chargés de les redistribuer entre des gens de service moins fortunés que le tsar désirait récompenser.
27Il convient de noter que la tâche des commissaires ne se bornait pas exclusivement à recenser les terres et à examiner les titres de propriété en recherchant si leurs possesseurs étaient en règle vis-à-vis de l’État. En tant que représentants du pouvoir central, les commissaires aux cadastres avaient aussi le pouvoir de juger sur place les affaires litigieuses.
28Qu’il s’agisse des domaines seigneuriaux et ecclésiastiques ou des exploitations paysannes, les rédacteurs des cadastres s’intéressaient en priorité à la mesure des terres labourables qu’ils distinguaient nécessairement des terres incultes. Ils adoptèrent un vocabulaire très précis pour nuancer la nature des parcelles. Dans l’ensemble des documents cadastraux, la terre arable est appelée pašnjapahanaja. Elle est divisée ordinairement en trois soles, ce qui correspond au système d’assolement triennal. La première sole (ozimoe) est ensemencée à l’automne et porte les blés d ’ hiver (le seigle) ; sur le second champ (jarovoe), on semait les cultures dites « de printemps » (orge, avoine, lin, sarrasin) ; le troisième est le champ en jachère (par). Le triennal devient un système de culture prédominant au xvie siècle. 11 se pratique largement dans les régions du centre et du nord-ouest du pays. Mais il est, dans la réalité, constamment panaché de systèmes différents, biennal, jachère prolongée, culture sur brûlis par exemple6.
29Les parcelles qui figurent dans les cadastres sous le nom de pašnja naezdom correspondent à des champs qui ne sont pas cultivés régulièrement, mais de façon intermittente (naezdom) ; au bout d’un certain temps, elles étaient délaissées.
30Dans les sources, on retrouve également l’expression de pašnja lesom porosšaja. Il s’agit des terres cultivées retournées à l’état de friches.
31Le terme pašnja perelogom désigne des parcelles de terre épuisées, au repos ou transformées en prairies. On ne revenait les labourer que quelques années plus tard. L.V. Milov a raison de remarquer que ces parcelles composaient un fond de réserve de terres cultivées qui servait de support aux terres incluses dans l’assolement triennal. Leur existence s’explique certainement par la géographie même de la Russie. Les conditions climatiques dures et l’absence d’engrais pour améliorer les terres ne permettaient pas aux paysans russes d’exploiter intensivement les mêmes champs pendant plusieurs années. Ils délaissaient alors temporairement les soles épuisées pour qu’elles puissent reprendre leurs qualités naturelles. Si cette pratique de rotation des parcelles leur servait à maintenir le rendement de la terre, elle était une source d’innombrables difficultés pour les rédacteurs des cadastres qui avaient beaucoup de mal à suivre ces délaissements et donc à estimer la qualité du sol.
32Les données relevées sur le terrain étaient enregistrées, dans l’ordre du parcours, sur des brouillons appelés par les historiens polevye zapisi. Une fois les tournées de tous les cantons terminées, les commis procédaient ensemble à la rédaction du cadastre proprement dit. Il fallait réunir tous les brouillons en un seul document définitif. Le commissaire apportait des modifications et des corrections. Le texte définitif, rédigé de la main d’un seul ou de plusieurs scribes, sans ratures et en plusieurs exemplaires, était porté au commissaire qui le paraphait feuille par feuille. Ensuite, le commissaire le déposait en personne au bureau des bénéfices.
33Le mode d’utilisation des cadastres fut précis. Les cadastres des xvie et xviie siècles n’indiquent pas le montant de l’impôt que devaient payer les contribuables potentiels. Ces chiffres figuraient dans des documents fiscaux à part, appelés registres d’imposition (plateznye knigi), que les commis du bureau des bénéfices fabriquaient sur leur base. Les commis devaient se contenter de multiples copies des cadastres, car les originaux se trouvaient aux archives de l’institution, et ne leur étaient jamais communiqués, même pas pour les besoins les plus pressés de leur service.
III. FORME MATÉRIELLE ET CONTENU DES CADASTRES
34Les cadastres parvenus jusqu’à nos jours sont formés de cahiers de feuillets en papier reliés en registres, de format et de volumes différents, à l’exception des cadastres créés entre 1527 et 1618 qui sont en rouleaux (stolbcy). L’état extérieur des documents est variable. Les cadastres qui sont très bien conservés sont rares. La majorité connut toute sorte de détériorations (pour certains d’entre eux, il manque les premières feuilles et même une partie du texte), mais, malgré tout, ils restent encore exploitables. Les cadastres répertoriés dans le fond n° 1209 de RGADA ont été microfilmés dans les années quatre-vingt-dix. Depuis, les chercheurs ne sont plus autorisés à consulter les originaux.
35Quant à la structure du texte cadastral lui-même, chaque cadastre débute par une introduction où figurent les noms et le rang des rédacteurs, les dates de confection du cadastre, l’instruction (nakaz) donnée aux commissaires en exécution de leurs fonctions et la liste des propriétaires fonciers du district. Ensuite, vient la partie principale du texte qui décrit l’ensemble des biens immeubles et meubles de tous les cantons (Volosti et stany) du district. La dernière partie du cadastre porte des conclusions (bolšoj perečen ’) récapitulant par catégorie toutes les possessions du district.
36Les descriptions d’une propriété seigneuriale prennent habituellement plusieurs pages et contiennent :
- Le nom et le rang du seigneur (boyard, panetier, etc.).
- Le lieu de résidence.
- Les dates d’acquisition et le type de tenure (patrimoines ou bénéfices).
- Les habitats du seigneur.
- La qualité et la superficie des terres labourables et des terres incultes.
37La terre étant de nature différente, les rédacteurs des cadastres classaient les parcelles en trois catégories. Le premier degré de qualité des terres arables est appelé meilleur ou bon. Le rapport intermédiaire est le moyen. Le plus bas correspond aux terres arables médiocres.
38Le système de mesure de surface repose sur la déciatine (desjatina)7 et le četvert ’. Une déciatine comprend deux cetvert Un četvert ’ est légèrement supérieur à l’arpent de roi (0,5598 ha pour 0,5107 ha à l’arpent de roi). Les commissaires mesuraient les parcelles à l’aide d’une corde, dont la longueur était de 40 sagènes (sagen ’)8.
39– Le nombre de foyers serfs et la nature de leurs redevances.
40De l’accord de tous les historiens, le servage, restreint en Occident, est la marque spécifique de l’économie et de la société russes d’Ancien Régime. La terre ne constituait pas la seule source d’existence des seigneurs. Leur richesse se mesurait aussi en nombre de serfs qu’ils possédaient. Les serfs étaient soumis à la juridiction de leurs propriétaires, à qui ils payaient des redevances de deux types : obrok et barčšina. Les redevances à titre d’obrok étaient acquittées le plus souvent en espèce, les paysans détenant la presque totalité des terres arables de la propriété. Dans les domaines à barčšina, les paysans étaient soumis à la corvée ; celle-ci s’élevait en moyenne à trois jours de travail par semaine sur la réserve seigneuriale9. La communauté paysanne recevait une partie des terres disponibles et les distribuait entre ses membres.
41Les revenus que tiraient les seigneurs des pêches et des bois sont également enregistrés. Les superficies des bois sont données en déciatine et en verste10. Les foins sont calculés en nombre de meule.
42L’énumération des biens du seigneur se clôturait par un total de la superficie cadastrée et la liste des autres possessions foncières du même seigneur dans d’autres cantons du district.
Conclusion
43Les cadastres des xvie et xviie siècles sont une source originale et d’un intérêt multiple pour les historiens. On se rend compte que leur évolution interne est marquée par toutes les grandes tendances de la période, qui déterminent leurs objectifs initiaux et les résultats essentiels. La mise en place des cadastres constitue un acte politique qui les inscrit dans le processus général du renforcement du pouvoir monarchique et dans la longue durée de la construction territoriale et administrative de l’Etat russe. C’est par ce caractère territorial massif que les cadastres russes se distinguent de leurs homologues européens. Les changements de forme et de contenu des cadastres témoignent précisément, comme nous l’avons remarqué, des évolutions importantes qu’on peut observer autant dans les fondements théoriques que dans le fonctionnement réel de la fiscalité monarchique. La question de l’évolution interne des cadastres, présentée ici et susceptible d’être approfondie, devrait être prise en considération dans toute étude critique de ces documents et surtout pour leur exploitation éventuelle.
44L’importance des documents cadastraux pour l’histoire économique et sociale de la Russie est indéniable. S.B. Veselovskij a été l’un des premiers à le souligner par son étude remarquable sur l’histoire des cadastres parue en 191511. Son entreprise a été poursuivie par les historiens de l’école soviétique avec les travaux solides de L.V. Milov12, E.I. Kolyčeva13, V.B. Pavlov-Sil’vanskij14, N.P. Voskobojnikova15, et autres. Les recherches historiques ont abouti à des éditions de qualité d’une série de cadastres16. Depuis, les spécialistes s’appuient largement sur ces documents pour explorer le monde rural russe sous ses divers aspects (régimes agraires, nature et rapport des cultures, étapes du peuplement, groupes sociaux, coutumes agraires, etc.). Les documents cadastraux ont également servi de base à de nombreuses études d’histoire régionale, qu’elles soient urbaines ou rurales, notamment grâce à une série de cadastres conservés pour le même territoire.
45La valeur informative des cadastres ne doit pas non plus être surestimée. Comme toute autre source, ils présentent bien des faiblesses et des insuffisances. Le mode de réalisation des cadastres lui-même ne semble pas garantir leur exactitude. Mesurer la terre s’avère une tâche délicate, et les commis manquent souvent de professionnalisme et d’application. Certains d’entre eux mesuraient les terres sans avoir les connaissances rudimentaires de la géométrie et en se laissant emporter par la méthode dite « à vue d’œil ». D’autres n’allaient pas systématiquement sur le terrain, mais calculaient les surfaces à partir des pripravočnye knigi et sur les déclarations des propriétaires, avec une tendance à les surestimer, ce qu’on peut constater à la lecture des correspondances administratives et des plaintes des habitants. La plupart des commis ne cherchaient pas à mesurer tous les champs d’une propriété. Une formule fréquemment utilisée stipulait que tel ou tel propriétaire disposait de « tant de četverti dans un champ et autant dans les deux autres » (« v odnompole[stol’ko-to] četvertej, av dvuh[drugih]potomuŽ »). On reste ainsi dans une conception du système d’assolement triennal supposant que les trois parcelles soient toutes de même surface, mais, dans la réalité, cela n’était pas toujours la règle. La corruption pure et simple des cadastreurs par les cadastrés était encore la cause la plus fréquente d’inexactitude.
46Comme le soulignent les historiens, les informations sur la population données par les cadastres ne correspondent pas à la démographie réelle. Il n’est pas possible aujourd’hui d’établir le chiffre exact de la population à partir de ces sources. L’explication se trouve, en grande partie, dans les principes et les procédures mis à la base des recensements de la population dans la Russie des xvie-xviie siècles. En fait, les rédacteurs des cadastres n’enregistraient que les imposables ; si les premiers recensements portent essentiellement sur les chefs de famille, ceux dressés plus tard fixent la population masculine (les hommes à partir de 18 ans). Ni les exemptés d’impôts, ni les femmes et les enfants n’y figurent. D’autre part, on sait bien que le nombre de feux recensés sur les cadastres n’exprime pas toujours le nombre des feux réels. L’une des causes de cette situation procède de la fraude et des diverses méthodes qu’inventaient les seigneurs pour dissimuler leurs biens. De nombreux documents fiscaux et administratifs nous informent qu’à la veille de la visite des commissaires, les nobles regroupaient deux, trois ou quatre foyers serfs en un seul, en déplaçant les portes cochères (yorota) de leurs habitats ou, plus souvent, ils faisaient déménager des familles entières dans d’autres villages. En définitive, ils déclaraient ces lieux et ces villages comme « abandonnés » (pustoe), tandis que les terres autrefois labourées passaient pour des terres incultes. Bien évidemment, cette forme d’évasion fiscale, parmi d’autres, ne passa pas inaperçue auprès de l’administration centrale. Il semble que les démarches qu’entreprit le gouvernement, à la fin du xviie siècle, pour réprimer ces irrégularités – lesquelles n’ont pas tardé à se répercuter sur le rendement d’impôts – donnèrent une impulsion décisive à la réforme fiscale. Elle fut l’œuvre de Pierre le Grand, qui abandonna le système d’imposition par « charrue » et par « feu » et organisa en 1719-1724, le nouveau recensement de la population pour l’institution de l’impôt sur les « âmes » (podušnaja podat’).
47Ces brèves constatations, qui signalent les difficultés auxquelles se heurte l’utilisation des cadastres, ne mettent pas en cause l’apport général de cette source. Les documents cadastraux forment une source capitale pour étudier l’histoire de l’économie et de la société russes des xve-xviiie siècles. Pour qu’on puisse progresser dans leur analyse, il faut cependant se rappeler qu’on doit les exploiter avec prudence. Les informations fournies par les cadastres nécessitent de les vérifier. Le recours à d’autres sources complémentaires peut parfois fournir des solutions aux problèmes que suscite leur interprétation.
Annexe
Annexe 1 Cadastre du district de Velikij Ustug. 1676-1683. Possessions du monastère Saint-Cyrille de Beloozero
Description des possessions foncières du monastère Saint-Cyrille de Beloozero dans le district de Velikij Ustug, entre 1676 et 1683. Fragment extrait du cadastre du district de Velikij Ustug commencé par le commissaire Alexis Ivanovič LodyŽenskij et le sous-secrétaire Alexis Erofeev en 1676 et achevé par le panetier Ivan Pojarkov et le secrétaire André Pokryškin en 1683.
Traduction
« Au district d’Ustug, le monastère Saint-Cyrille de Beloozero possède au canton de l’isthme de Juriev le village Lukinskaja sur la rivière Evda, dont le foyer du paysan Petrouchka Kolpatchnikov d’une longueur de douze sagènes et d’une largeur de huit sagènes, avec les granges et un quart de déciatine de jardins, les terres arables de rapport moyen d’une superficie d’environ de deux déciatines dans un champ et autant dans les deux autres, cinq déciatines de pâturages tout au long de la rivière Evda jusqu’à l’étang et cinq déciatines de prairies sur l’isthme de la rivière Glinka, cinquante quatre bottes de foins, quatre déciatines de labours délaissées au repos et huit déciatines en terres incultes. Une redevance pour quarante deux meules de foin est de trois altyn trois denga. La contribution foncière est de treize altyn deux denga. L’obrok sur les revenus est d’un cinquième de denga. Les autres divers droits s’élèvent à six altyn cinq denga. Au total, vingt quatre altyn un sixième de denga. Ce village appartient au monastère sur titre d’hypothèque inscrit sur les terres et les biens de l’habitant du même canton Stenka fils de Nikon Ožegov en 1660-1661.
Dans le quart du village dit l’Essart de Musakovsk, situé près de la rivière Evda, où le foyer du métayer Titus Titov avec l’habitat et les granges est d’une longueur de onze sagènes et d’une largeur de sept sagènes, une déciatine des terres arables de rapport moyen dans un champ et autant dans les deux autres, treize bottes de foins, une déciatine et demi de pâturages et des terres en friche. Il a acquitté pour sept bottes de foins une redevance de un huitième de denga. L’obrok pour la terre est de sept altyn un sixième de denga et trois altyn cinq denga sur les revenus, ainsi que d’autres divers droits pour un sixième de denga. Au total, douze altyn un denga et demi. Ce village revint au monastère sur le titre d’achat fait sur les terres et les biens hypothéqués de l’habitant du même canton de Juriev Ostaška Polikarpov... »
Annexe 2 Table chronologique des cadastres du district de Moscou (xvie-xviie siècles)
Date | Nom du commissaire |
1574 | inconnu |
1577-1578 | A. Molcanov |
1585-1586 | T. Hlopov |
1623-1624 | S.V. Koltovskij |
1626-1628 | F.F. Puskin |
1629-1632 | Uvarov |
1676-1678 | différents commissaires |
1680, 1682 | différents commissaires |
1684-1686 | Verderevskij et Zaseckij |
1683,1685-1686, 1688 | G.S. Sahovskoj |
1690-1696 | différents commissaires |
Notes de bas de page
1 Pjatina, littéralement cinquièmes.
2 Voir le tableau qui suit.
3 Pour le détail, voir G.N. Anpilogov, Rjazanskaja piscovaja pripravočnaja kniga konca xvi veka, MGU, Moscou, 1982, 272 p.
4 Piscovaja kniga Kazanskogo uezda, 1602-1603 gg., sostavitel’ R.N. Stepanov, KGU, Kazan’, 1978, 346 p.
5 Monnaie en argent et en cuivre. Le terme vient du tatar pour désigner le chiffre six. Un altyn comprend six den ’ga. L’altyn n’est pas une monnaie réelle mais seulement une unité de compte. Le rouble, monnaie réelle, se divise en 100 kopecks ou en 200 den’ga. L’altyn vaut donc 3 kop.
6 Pour le détail, voir Michael Confine, Systèmes agraires et progrès agricole : L’assolement triennal en Russie aux xviiie-xixe siècles, Mouton et Cie, La Haye, Paris, 1969, 496 p.
7 Mesure agraire russe. Celle qui était utilisée dans le cadastre impérial équivalait à 2400 sagènes carrées = 1,119744 hectare (il existait des variantes de déciatine)
8 Unité de longueur russe : 1 sagène = 7 pieds = 3 archinnes (aršin) de Russie = 2,13356145 m.
9 Les sources ne l’indiquent toutefois que rarement, ce qui entache d’incertitude cette moyenne.
10 Unité de distance russe : 1 verste = 500 sagènes = 3 500 pieds = 1,066 km.
11 S.B. Veselovskij, Sošnoe pis’mo : issledovanie po istorii kadastra i posošnogo oblogenija Moskovskogo gosudarstva, Moscou, t. I, 1915, 456 p. et t. Il, 1916, 716 p.
12 L.V. Milov, « Piscovoe deloproizvodstvo (XVI-XVII vv.) », in Istočnikovedenie istorii SSSR, Moscou, 1981, p. 23-42 ; L.V. Milov, M.B. Bulgakova, I.M. Garskova, Tendencii agrarnogo razvitija Rossii pervoj poloviny XVII veka, MGU, Moscou, 1986, 302 p.
13 E.I. Kolyčeva, Piscovye materialy dvorcovyh vladenij vtoroj poloviny XVI v., IRI, Moscou, 1997, 381 p.
14 V.B. Pavlov-Sil’vanskij, Piscovye knigi Rossii XVI v. Problemy istočnikovedenija i rekonstrukcii teksta, Nauka, Moscou, 1991, 245 p.
15 N.P. Voskobojnikova, « Piscovye i perepisnye knigi Jarenskogo uezda kak istoričeskij istočnik », in Materialy po istorii Evropejskogo Severa SSSR. Severnyj Arheographičeskij sbornik, 1, Vologda, 1972, p. 12-53 ; V. Beškov, N.F. Demidova, N.P. Voskobojnikova, Katalogpiscovyh knig Russkogo gosudarstva, 1, Pamjatniki istoričeskoj mysli, Moscou, 2001, 479 p.
16 A titre d’exemple, on peut citer : Piscovye knigi Moskovskogo gosudarstva, pod redakciej N.V. Kalačova, Russkoe geografičeskoe obščestvo, Saint-Pétersbourg, t. I, 1872, 924 p. et t. II, 1877, 1 598 p. ; S.B. Veselovskij, Akty piscovogo delà : Materialy dlja istorii kadastra i prjamogo oblogenija v Moskovskom gosudarstve, Moscou, 1913-1917, 2 vol. ; Piscovye knigi Novgorodskoj zemli, RGADA, Moscou, 1999, 432 p. ; V. Belikov, S. Ermolaev, Piscovye materialy Jaroslavskogo uezda, D. Bulanin, Saint-Pétersbourg, t. I, 1999, 256 p. et t. II, 2000, 360 p. Par ailleurs, S.B. Veselovskij a publié un recueil de documents concernant les opérations de cadastrage : Akty piscovogo dela : Materialy dlja istorii kadastra i prjamogo obloŽenija v Moskovskom gosudarstve, vol. I, Moscou, 1913 ; vol. II/I, Moscou, 1917 ; vol. II/2, Akty... 1644-1661 gg., Moscou, 1977 ; vol. III, Akty… 60-80-h godov XVII veka, Moscou, 1990.
Auteur
Natalia Platonova, docteur en histoire et civilisations, a été auparavant chercheuse associée à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris dans le cadre d’un programme international de recherche « Diderot ». Après une thèse de doctorat consacrée à l’étude des systèmes du contrôle des finances en France et en Russie du XVIIe au début du XVIIIe siècles soutenue en 2003 à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, elle poursuit actuellement ses recherches sur l’histoire comparée des finances publiques. Parmi ses publications : « Contrôle des finances, administration et genèse de l’État en Russie de Pierre le Grand », Cahiers du monde russe, 44/4, 2003, p. 605-627 ; « Finances et politique en Russie au début du XXe siècle : la Douma d’État, l’administration des finances et le budget de l’empire de 1908 », Revue historique de droit français et étranger, 84 (3), 2006, p. 385-421.
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