Cambon (Pierre-Joseph)
p. 137-162
Texte intégral
1Né à Montpellier (Hérault) le 10 juin 1756
Décédé à Saint-Josse-ten-Noode (faubourg de Bruxelles) le 15 février 1820
Fils de Joseph-Gaspard CAMBON (1727-1814) et de Marguerite FAJON (1730-1812)
Président du « Comité des assignats, des monnaies, de l’ordinaire et de l’extraordinaire des Finances » de la Convention, jusqu’en avril 1795
[Ministre des Finances sans le titre, de janvier 1793 à avril 1795]

2© Lithographie par Bonneville, BN, N2D 102 897.
I. LA FAMILLE
FAMILLE PATERNELLE
3CAMBON naquit dans une famille de cette bourgeoisie languedocienne industrieuse, qui fut tout à la fois protagoniste et bénéficiaire du développement de l’industrie cotonnière au xviiie siècle (fabrication des toiles dites « indiennes ») et qui ne supportait plus la prééminence sociale de la noblesse, ni sa morgue.
41. [aïeul] Jean CAMBON, marchand droguiste à Montpeyroux (Hérault), marié à Catherine LACOMBE, d’où :
[oncle] Pierre CAMBON, né à Montpeyroux le 12 novembre 1717, décédé en 1784, associé à son frère Joseph-Gaspard CAMBON dans une entreprise de fabrication et de commerce d’indiennes.
- [oncle] Jean CAMBON, né à Montpeyroux le 9 septembre 1724, droguiste à Castres (Tarn), marié le 31 août 1751 à Montpellier à Marthe BOUSSUGE, d’où au moins :
- [cousine germaine] Thérèse-Marguerite CAMBON, née en 1764, mariée en 1787 à Étienne PUECH (protestant), procureur au Bureau des Finances, puis juge de paix à Montpellier, et enfin avoué en 1822. En l’an II Étienne PUECH était incarcéré « malgré ses sentiments républicains non équivoques » et malgré « ses acquisitions de biens nationaux ». Sa femme était également incarcérée pour avoir injurié un prêtre assermenté et proféré des « propos inciviques ». - [père] Joseph-Gaspard CAMBON, qui suit en 2.
- [oncle ? Filiation incertaine] Jean-Jacques CAMBON, receveur de l’équivalent (qui était un droit sur le vin, le poisson et la viande) à Béziers jusqu’en 1791, époque de la suppression de ce droit. Il fut trésorier de la commune de Montpellier octobre 1793 à l’an IV, sous la caution de Joseph-Gaspard CAMBON, que l’on a supposé être son frère.
52. [père] Joseph-Gaspard CAMBON, né à Montpeyroux le 5 janvier 1727. Associé à son frère aîné Pierre CAMBON, puis à son fils aîné, le futur conventionnel, il donna un grand développement à son entreprise, qui regroupait au début des années 1780 la fabrique et la maison de commerce de Montpellier, des plantations de garance dans le Languedoc, une fabrique de mouchoirs à Cholet (dirigée par son fils Pierre, rejoint plus tard par un autre fils, Auguste) et un comptoir d’exportation à Bordeaux (dirigé par son fils Jean). Joseph-Gaspard CAMBON se retira des affaires le 10 août 1785, laissant son entreprise à ses quatre fils aînés, Joseph, Pierre, Jean et Auguste, associés sous la raison sociale Les Frères CAMBON et Cie. La fortune du père était alors évaluée à 350 000 livres : il avança 50 000 livres à chacun des quatre fils qui lui succédaient et garda le reste, 150 000 livres, pour ses trois autres enfants. En 1787, lors du mariage de sa fille aînée, il la dota effectivement de 50 000 livres, payées comptant en espèces. Sous la Révolution il acquit un important domaine national : les 12 avril et 6 mai 1793 il se porta adjudicataire, pour 446 000 livres, de l’ex-commanderie de Launac (commune de Fabrègues, près de Montpellier), provenant des biens de l’Ordre de Malte confisqués en 1792, et contenant environ 1 133 ha de terres labourables et de garrigues. L’acquisition avait été faite avec trois autres acquéreurs, François Étienne TANDON, président de l’administration du district de Montpellier, David-Guillaume BAZILLE, négociant, et Jean HUC, banquier en société avec le précité TANDON. Les acquéreurs procédèrent au partage le 14 mars 1796, et Joseph-Gaspard CAMBON eut pour sa part la métairie de Saint-Jean des Clapasses. C’est à l’époque de cette adjudication que les adversaires du conventionnel et de son père firent courir le bruit que le premier avait envoyé au second, de Paris à Montpellier, trois millions en assignats. À sa mort en 1814 CAMBON père laissa 224 000 F, soit le domaine des Clapasses (310 ha, 108 000 F), d’une partie du domaine du Terral, héritée de son fils Pierre prédécédé en Égypte (57 ha, 50 000 F), d’une maison à Montpellier avec trois hectares de jardins (26 000 F), plus 36 000 F en espèces et 4 000 F en mobilier et argenterie.
6Représentant typique de la riche bourgeoisie manufacturière et négociante de la Révolution de 1789, il fut sans discontinuer membre de l’administration du département de l’Hérault, du 16 juin 1790 au 11 Floréal an III, et il déploya une grande activité révolutionnaire. En dépit de ses convictions religieuses, il ne se fit pas scrupule de se porter adjudicataire de biens d’Église confisqués, mais, opportuniste, il laissa ses opinions aller au gré des vicissitudes de la Révolution. Après la défaite du fédéralisme à l’été 1793 (de Paris, son fils, le conventionnel, lui avait conseillé de garder un prudent attentisme), il fut successivement montagnard exalté en 1794, puis thermidorien modéré, finissant sous l’Empire par œuvrer à la restauration du culte catholique et reparaissant alors à la Confrérie des pénitents blancs…
7Joseph-Gaspard CAMBON avait épousé le 31 août 1755 à Montpeyroux une cousine au quatrième degré, Marguerite FAJON (contrat de mariage du 16 août 1755, notaire MANIE à Clermont-l’Hérault, dot de 18 000 livres en capital), d’où neuf enfants :
- [sujet de cette notice] Pierre-Joseph CAMBON.
- [frère] Pierre CAMBON, né à Montpellier le 5 mars 1758, établi à Cholet où il gérait le comptoir de la société familiale. Officier en 1793 à l’Armée de Vendée, en 1794 à l’Armée des Pyrénées Orientales. Associé à son frère Jean il essaya de rouvrir en 1797 la fabrique paternelle à Montpellier, qui avait été ruinée par la Révolution (contrat de société, notaire Bonfils, Messidor an V), mais la tentative échoua. Pierre CAMBON parvint alors (avec l’appui de son frère, l’ancien conventionnel ?) à se faire recruter parmi les employés de la trésorerie de l’Armée d’Orient. À peine arrivé à Alexandrie le 16 Messidor an VI-4 juillet 1798, il fut chargé par le général MENOU de porter une dépêche à BONAPARTE. La barque qui le transportait fut attaquée par les Égyptiens qui le tuèrent (22 Messidor-10 juillet).
- [frère] Jean CAMBON, né à Montpellier le 5 septembre 1759, décédé en 1828, établi à Bordeaux où il gérait le comptoir de la société familiale. Il épousa le 20 mars 1794 Julie MEJEAN, fille d’un filateur de Ganges (Hérault), qui lui apporta 48 000 livres de dot. Après l’échec de la tentative faite avec son frère Pierre pour rouvrir la fabrique paternelle de Montpellier, il s’installa à Ganges chez son beau-père. Il fut chargé de la liquidation de l’ancienne entreprise paternelle en déconfiture : bien que les opérations de cette difficile liquidation eussent traîné au-delà de 1830, Jean CAMBON n’en constitua pas moins une belle fortune en biens nationaux. En 1811 il acheta pour 52 000 F le domaine de Pont-de-Lavérune, attenant au Terral. En 1816, lorsque Joseph CAMBON dut partir en exil, il vendit à son frère cadet Jean sa part dans la propriété du Terral (un quart acquis en 1791, et un quart reçu dans la succession paternelle et provenant de la succession de leur frère Pierre décédé en Égypte). La vente fut faite pour le prix déclaré de 90 000 F, mais l’Enregistrement surtaxa à une valeur estimée à 110 000 F. En 1820 Jean CAMBON fut en outre légataire universel de son frère Joseph. À sa mort en 1828, Jean CAMBON laissa un demi-million de francs à ses cinq enfants.
- [sœur] Marie-Marguerite CAMBON, née le 21 février 1762, mariée (contrat du 19 février 1787) à Jean-Marc-Anne THEULE de CAPITOUL, chevalier, président trésorier grand-voyer de France de la ville et généralité de Montpellier.
- [sœur] Marie-Adélaïde CAMBON, née à Montpellier le 15 juin 1763, fille de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, puis directrice de l’hospice de Saint-Gilles (Gard). Malgré sa vive et tenace hostilité à l’égard de la religion, Joseph CAMBON conserva toujours d’affectueuses relations de famille avec cette sœur religieuse.
- [frère] Pierre-François-Augustin CAMBON [qui était appelé et qui signait Auguste], né à Montpellier le 19 août 1766, établi à Cholet avec son frère Pierre. Il était maire de Cholet lors de l’insurrection vendéenne. Président du Tribunal révolutionnaire de Cholet, il contribua à faire fusiller trois Vendéennes inoffensives. Fait prisonnier par les Chouans, il resta entre leurs mains pendant deux mois. En l’an IV il épousa Marie MOULINARD. De 1800 à 1806 il fut secrétaire de la mairie de Saint-Jean-de-Védas (Hérault), où se trouvait le domaine du Terral. Décédé en 1821.
- [sœur] Catherine-Victoire CAMBON, née le 10 juin 1768, morte en bas âge.
- [sœur] Marguerite-Rosalie CAMBON, née le 15 juin 1769, morte en bas âge.
- [frère] Pierre-François-César CAMBON, né le 18 janvier 1775, sous-lieutenant à l’armée d’Italie en 1793, décédé en 1833.
FAMILLE MATERNELLE
81. [bisaïeul] François FAJON, d’une notable famille de négociants catholiques, comptant plusieurs prêtres et de nombreuses religieuses. Cependant François FAJON épousa le 14 janvier 1699 Marguerite CHIRAC, fille et petite-fille de notables orfèvres montpelliérains protestants, d’où :
92. [aïeul] Pierre FAJON, marié à Marguerite THIBAL, le 19 juin 1727, d’où :
103. [mère] Marguerite FAJON, née à Montpellier le 1er novembre 1730, décédée à Montpellier le 13 juillet 1812.
MARIAGE
11Pierre-Joseph CAMBON épousa sans contrat à Paris le 12 Germinal an III (1er avril 1795) Marie-Sophie HOTTEGEINDRE, née à Paris (paroisse Saint-Roch) le 26 octobre 1770, fille de Guillaume HOTTEGEINDRE et de Marie-Catherine-Gabrielle CHANDELLIER. La jeune femme, divorcée depuis trois semaines de Pierre-Ponce MACQUIN (18 Ventôse an III), mourut en couches à Saint-Jean-de-Védas (Hérault) le 4 Floréal an IV-23 avril 1796, après avoir mis au monde un enfant mort-né. Elle avait apporté, lors de son mariage avec CAMBON une inscription de 300 livres de rente viagère, quelques meubles et la moitié d’une maison à Paris, rue des Barres, bien national provenant du Chapitre de Notre-Dame et acquis par son père en octobre 1791, de concert avec un ami, pour la somme de 21 400 livres, mais qui ne rapportait que 360 livres par an pour sa part. Les beaux-parents de CAMBON possédaient en outre une propriété à Mitry-en-Brie, dont les revenus suffisaient à les faire vivre dans l’aisance. À la suite du décès prématuré de leur fille, les beaux-parents vinrent s’installer chez CAMBON dans la propriété du Terral. En 1816 dans son testament, CAMBON légua à sa belle-mère tout son mobilier, qui était « depuis longtemps » confondu avec le sien.
II. LE PERSONNAGE
L’éducation.
12Les études n’ont pas dû dépasser le primaire supérieur, niveau suffisant pour entrer dans l’entreprise paternelle. Les contemporains remarquèrent le défaut de culture classique.
La religion.
13Né dans une famille où il y avait des prêtres, ayant une sœur religieuse, fils d’une mère dévote et d’un père respectueux de la religion, CAMBON professa toute sa vie un athéisme exempt de doute, assorti d’une vive hostilité à la religion : il refusait d’entrer dans une église, s’agaçait d’entendre sonner les cloches, il considérait les prêtres comme des « perturbateurs de l’ordre public » et des « oisifs dangereux », et enfin il refusa expressément les obsèques religieuses.
Le portrait.
14De petite taille (1,60 m), brun avec de grands yeux noirs dans un visage aquilin. Le département des estampes de la BN, N 2, conserve deux gravures, l’une du député aux États Généraux, de F. BONNEVILLE, l’autre du député à la Convention. Caractère emporté, avec des brusqueries parfois excessives. De mœurs austères, il se fit remarquer à l’Assemblée législative et à la Convention par sa tenue vestimentaire (un ample habit noir) et sa coiffure (une perruque démodée à cheveux longs) qui lui donnaient, disait-on, un air de « Quaker hollandais ». À la fin de sa vie il souffrit de « troubles nerveux » ( ?) semblables à ceux dont avait souffert sa mère, et qui lui donnaient de fortes fièvres, de grandes migraines et des troubles urinaires. Il refusa de recourir aux médecins, préférant « confier son sort à la nature ».
Les domiciles et résidences.
15Belle maison familiale à Montpellier, rue Saint-Firmin. À Paris, lorsqu’il y arriva en 1791 comme député à l’Assemblée législative, il s’installa dans un hôtel meublé place des Victoires, puis il loua un appartement rue Neuve du Luxembourg N° 15 [de nos jours rue Cambon]. Après 1795 il vécut dans son domaine du Terral à quelques kilomètres de Montpellier. En 1816, exilé à Bruxelles où il était arrivé accompagné d’un autre conventionnel régicide, FLORENT-GUYOT, il s’installa d’abord dans un modeste appartement de deux pièces, au premier étage d’une maison dans la petite rue des Aveugles, près du Marché au bois, puis en janvier 1818 dans une « jolie maison de rentier » à Saint-Josse-ten-Noode, aux portes de Bruxelles, où il offrit l’hospitalité à FLORENT-GUYOT qui était dénué de ressources. C’est là que CAMBON mourut.
Le testament.
16Avant de quitter la France, Joseph CAMBON fit un premier testament le 10 janvier 1816 (notaire BARAT à Paris, acte déposé chez le notaire MASSAL à Montpellier le 20 juillet 1820). Il institua son frère Jean son héritier et légataire universel. Chacune de ses deux sœurs, Marie-Marguerite épouse THEULE et Marie-Adélaïde fille de la Charité, était gratifiée d’un legs de 6 000 F. Quant à sa belle-mère, elle recevrait un capital de 10 000 F et tout son mobilier. Quatre legs particuliers enfin rappelaient les vicissitudes de la carrière révolutionnaire du testateur et de l’activité industrielle de sa famille : à Noël SUBLEYRAS, ancien juge du Tribunal révolutionnaire, avoué à Montpellier et dépositaire des papiers d’affaires de CAMBON, il léguait sa bibliothèque ; à Félix AVIGNON 600 francs pour son dévouement ; à François MURAT 600 francs (« … en raison de l’attachement de la famille MURAT, […] et du zèle qu’elle a mis lorsque j’ai réclamé ses services et des désagréments que ce zèle lui a occasionnés ») ; 600 francs à Antoine LABARRE (« ancien contremaître dans les manufactures de ma famille »). Le légataire universel était chargé d’affecter 15 000 F à des œuvres de bienfaisance de son choix, et sans avoir à rendre compte, se bornant à « lui observer que pendant sa résidence au Terral il avait toujours préféré ouvrir des ateliers de travail pour y occuper ceux qui en manquaient, que de faire des aumônes », et voulant « surtout éviter la publicité de ses dons et l’ostentation dont elle semblerait l’accuser. »
17Le testateur, toujours sensible aux attaques dont il avait été l’objet à propos de sa fortune, ajouta à ces dispositions une longue justification : « Ayant été appelé par des circonstances extraordinaires à des fonctions publiques où il m’aurait été facile d’acquérir une fortune colossale, par des moyens que la société autorise, mais que ma délicatesse n’admettait pas, je laisse à mes descendants l’intime conviction que j’ai rempli mon devoir avec courage et désintéressement […] J’ai été calomnié dans ma probité, je méprise la calomnie au point de n’y pas répondre. » Cependant, tout en se drapant superbement dans sa dignité offensée, il prit la peine d’ajouter quand même que sa fortune personnelle provenait de l’héritage reçu de ses parents, de la gestion bénéficiaire du domaine du Terral et enfin de l’épargne accumulée grâce à la modicité de ses dépenses personnelles.
18Peu avant de mourir il fit un second testament le 26 décembre 1819 (notaire Jean-Baptiste MASSAUX à Saint-Josse-ten-Noode) qui ne révoquait pas le précédent, mais y ajoutait un legs particulier important, à Jeanne-Françoise CAMPION, demeurant alors « chez lui » [gouvernante ?] : 12 000 F, plus les meubles et immeubles situés en Belgique. Cette légataire était chargée de fournir « le logement, la table, le feu et la lumière chez elle à M. FLORENT-GUYOT, son ami aussi longtemps que celui-ci résiderait en Belgique. » Pour l’indemniser de cette charge, les héritiers du testateur paieraient mille francs par an à la légataire. FLORENT-GUYOT rentra en France après la Révolution de 1830 et il obtint du gouvernement de Juillet une retraite annuelle de 2 413 F.
La sépulture.
19Ayant exprimé dans son testament la volonté « qu’il ne fût fait aucune cérémonie religieuse relative à son inhumation ou à sa mémoire », l’accès au cimetière catholique lui fut refusé, et il fut inhumé dans un cimetière protestant à Saint-Josse-ten-Noode. Ce cimetière fut déplacé en 1832 et la sépulture de CAMBON ne fut pas conservée.
III. LA FORTUNE
20Depuis le début des années 1780 Joseph CAMBON était l’associé de son père et d’autres négociants, sous la raison sociale CAMBON et Cie. Leur commerce de toiles et de teintureries de coton faisait travailler une main-d’œuvre nombreuse et dispersée, travaillant à domicile suivant l’usage de l’économie proto-industrielle. CAMBON, le futur conventionnel, et trois de ses frères, Pierre, Jean et Auguste, succédèrent à leur père en 1785. Le capital de la société, 500 000 livres, fut réparti en 200 000 livres à Joseph fils aîné (moitié pour lui, moitié pour son jeune frère Auguste), 100 000 à Pierre, 100 000 à Jean, et enfin 100 000 à Pierre ROCHE, marié à Agathe-Élisabeth CRASSOUS, d’une famille notable de Montpellier. La société regroupait la manufacture de Montpellier et celle de Cholet, les plantations de garance du Languedoc et le comptoir d’exportation de Bordeaux. Outre les bénéfices à partager entre les associés, la société assurait à chacun d’eux un appointement annuel de 2 500 livres. En juin 1791, à la suite du décès de Pierre ROCHE, la société fut reconstituée entre les quatre frères CAMBON, mais elle eut à souffrir beaucoup des conséquences de la Révolution (révolte de Saint- Domingue en 1791, guerre européenne en 1792, insurrection vendéenne en 1793).
21Le 2 janvier 1791 les quatre frères CAMBON acquirent un important bien national, le domaine du Terral, provenant de l’évêché de Montpellier, adjugé à 131 300 livres. Conservé longtemps en indivision, ce domaine fut partagé le 23 août 1808 entre les trois frères Joseph, Jean et Auguste CAMBON, et leur père héritier pour sa part des droits de son fils Pierre, tué en Égypte.
22Le 13 Brumaire an II (3 novembre 1793), à l’occasion de l’emprunt forcé sur le revenu des riches établi le 3 septembre précédent, Joseph CAMBON fit la déclaration suivante de sa fortune, calculée au quart du capital de la société conclue avec ses frères : la mise de fonds totale s’élevait à 400 000 livres, plus les bénéfices cumulés depuis 1785 jusqu’au 31 décembre 1792, montant à 256 156 livres, soit 656 156 livres, sur lesquelles il convenait de déduire l’acompte payé pour l’acquisition du Terral (48 284 l.) et les réparations faites sur ledit domaine (170 000 l. !), ce qui ramenait la valeur nette du capital à 437 892 livres. À raison de 5 % par an, ce capital correspondait à un revenu annuel de 21 892 livres. En y ajoutant le produit annuel du Terral (5 338 l.), on obtenait un revenu annuel théorique de 27 231 livres, sur lequel il y avait lieu de procéder à une déduction et une majoration. La déduction : le solde dû à la Nation pour l’acquisition du Terral (83 326 l.), soit à 5 % l’an, 4 166 à déduire. La majoration : le montant des bénéfices commerciaux de la société en 1793. Ceux-ci étaient estimés nominalement à 130 000, mais en raison des pertes à Cholet (35 000 à 40 000), des pertes élevées sur les expéditions aux colonies et des pertes imputables à la loi du maximum, ils étaient réduits à… 24 935 livres. Finalement, une fois opérées la déduction de 4 166 et la majoration de 24 935, CAMBON arrivait à un revenu global de 48 000 livres, à diviser par quatre. Sur le quart qui lui revenait (12 000 l.), il déduisit l’intérêt à 5 % des 100 000 livres dues à son père pour sa mise de fonds dans la société, soit 5 000 l., et il déduisit enfin l’abattement de 1 000 livres consenti aux célibataires. Au terme de cette déclaration fiscale, il parvint au chiffre de 6 000 livres de revenu annuel, pour lequel, taxé à 35 %, il se reconnut redevable de 2 100 livres.
23À noter que cette déclaration fiscale ne mentionnait pas l’indemnité parlementaire journalière de 18 livres, qui serait portée à 36 livres le 12 janvier 1795, et qui échappait à la taxation fiscale. D’autre part, sans entrer dans une analyse critique approfondie de cette déclaration, on ne manquera pas d’observer que le domaine du Terral, acquis au prix (probablement sous-évalué) de 131 300 livres et ayant bénéficié de réparations (prétendues) pour 170 000 livres, soit une valeur totale de 300 000 livres, n’aurait produit qu’un revenu annuel de 5 338 livres, soit à peine 1,8 % de l’investissement !
24En 1815, à la suite du partage de la succession paternelle, l’ex-conventionnel se trouvait propriétaire de la moitié du domaine du Terral, moitié (sous-estimée) à 100 000 F. À la veille de son départ pour l’exil, Joseph CAMBON vendit à son frère Jean d’une part une créance de 19 197 F, souscrite par le beau-père dudit Jean CAMBON, et d’autre part sa moitié du domaine du Terral, estimée à 90 000 F, mais que l’Enregistrement réévalua à 110 000 F. Lors de l’établissement du cadastre en 1823, le revenu matriciel total de ce domaine fut estimé à 7 197 F. Sa valeur réelle devait se situer entre 200 000 et 250 000 F. Il est certain que CAMBON en exil ne fut pas gêné matériellement. Il est vrai que ses mœurs austères et son veuvage sans enfant se contentaient d’un train de vie modeste, mais il prit entièrement à sa charge l’entretien de son ancien collègue FLORENTGUYOT, qui n’avait pas de ressources.
25La Révolution fit perdre à CAMBON sa fortune industrielle et commerciale, héritée de sa famille, mais elle lui fit gagner, à lui et à sa famille, une belle fortune foncière par l’acquisition de biens nationaux. Les CAMBON, manufacturiers et négociants au xviiie siècle dans le secteur des cotonnades, celui de la première révolution industrielle, devinrent ainsi de riches propriétaires fonciers au xixe siècle. Ils constituèrent un exemple typique de ce contresens économique, produit par la Révolution politique de 1789 et dénoncé dès le Consulat par l’ancien conventionnel COLCHEN : en provoquant à la fin du xviiie siècle un grand reflux vers la terre, la vente des biens nationaux et l’inflation des assignats freinèrent l’essor de la révolution industrielle en France. Au milieu du xixe siècle le domaine du Terral appartenait encore aux descendants des frères CAMBON, devenus des rentiers du sol.
IV. LA CARRIÈRE
AVANT LA DEPUTATION
26Au commencement de 1789 CAMBON père faisait figure de principale personnalité du tiers état de Montpellier. Il fut l’un des commissaires chargés de rédiger le cahier de doléances de la ville de Montpellier. Joseph, son fils aîné, fut l’un des 56 commissaires élus, le 18 mars, pour rédiger le cahier de doléances de la sénéchaussée. Les idées du père et du fils furent exposées dans un imprimé anonyme, Projet d’un citoyen, dédié au tiers état. Outre les revendications purement politiques (périodicité des États Généraux librement élus, vote par tête, égalité fiscale), le projet portait dans le domaine économique et financier la marque de leurs rédacteurs, des « négociants fabricants » : contrairement aux idées largement répandues par les Physiocrates, qui considéraient la terre comme l’unique source des richesses, CAMBON père et fils proposaient de partager équitablement les impôts entre l’agriculture, le commerce et l’industrie, en ménageant même le foncier (« C’est la partie qui a le plus besoin de secours et d’encouragement ») au détriment du commerce et de l’industrie (« Les richesses étant dans les villes et surtout les plus considérables, c’est sur cette partie que l’on doit étendre l’impôt »). D’autre part, ils prônaient un renforcement du protectionnisme, et même la prohibition des marchandises étrangères que les manufactures nationales pourraient produire en quantité suffisante.
27Au début d’avril 1789 ce furent deux avocats sans envergure qui furent élus députés du tiers état de la sénéchaussée de Montpellier, mais lorsque les assemblées électorales de la sénéchaussée de Montpellier apprirent que la sénéchaussée de Nîmes avait obtenu un nombre de représentants double de celui qui lui avait été d’abord attribué, elles sollicitèrent la même faveur, et sans attendre la réponse du roi, elles procédèrent à l’élection de nouveaux députés : un jeune conseiller à la Cour des comptes, CAMBACÉRÈS, fut élu par la noblesse, et CAMBON fils fut l’un des deux députés élus par le tiers état. Joseph CAMBON se rendit donc à Versailles, et le 20 juin il figura parmi les signataires du serment du Jeu de Paume. Cependant l’Assemblée nationale, confirmant le refus du roi, invalida le doublement de la représentation montpelliéraine, mais en accordant toutefois le statut de député suppléant à ceux qui avaient été élus. CAMBON fils resta donc à Paris jusqu’à la fin de 1789, en spectateur des événements dont il rendait compte assidûment à son père, puis il rentra à Montpellier.
28Il y fut élu officier municipal en janvier 1790. Le conseil municipal fut divisé en trois sections. Joseph CAMBON fit partie de la section des finances et procès. Le 5 février il fonda à Montpellier le Club des Amis de l’égalité, dont il rédigea le règlement et qui s’affilia au Club des Jacobins de Paris. Il recruta au début ses membres parmi les riches bourgeois (tel CHAPTAL) ou les ex-nobles (tel CAMBACÉRÈS), adhérant aux idées libérales. Par la suite le recrutement s’ouvrit aux sans-culottes.
29Durant les six premiers mois de sa vie publique d’officier municipal, Joseph CAMBON se montra modéré, affectant une sage réserve et un habile opportunisme. Le 19 juin 1790 l’assemblée électorale de Montpellier vota une adresse dithyrambique au roi, signée CAMBON : l’éloge magnifiait « le monarque bienfaisant, qui n’avait pas craint de seconder lui-même les efforts d’une nation, déchue des droits de la nature, et qui cherchait à se ressaisir », « seul entre les princes [il avait] triomphé des préjugés. » Les signataires priaient le roi « d’agréer l’hommage de leur gratitude […] qu’ils vouaient, dans l’effusion de leurs âmes, au Restaurateur, ou plutôt, au Père de la liberté française. »
30L’affaire de la Constitution civile du Clergé, adoptée par l’Assemblée nationale le 12 juillet 1790, opéra une première mutation, en révélant un homme tout différent, passionné, sectaire, se laissant emporter à des « exagérations invraisemblables ». L’application de la Constitution civile du Clergé provoqua en effet à Montpellier, comme en de maints endroits, des troubles graves et suscita des haines inexpiables entre les partisans des prêtres jureurs et de l’évêque constitutionnel, et les partisans des prêtres réfractaires et l’évêque déposé pour refus de serment. CAMBON père et fils prirent vivement parti en faveur des premiers, ce qui leur valut de nombreuses manifestations locales d’hostilité : dans la nuit du 30 au 31 janvier 1791 des mains anonymes installèrent une potence devant la porte de leur maison. Joseph CAMBON poursuivit sans pitié les prêtres réfractaires comme des rebelles, et, malgré les prières de sa mère, il rompit avec ses parents non jureurs, comme son oncle l’abbé CAMBON, ou dénonça aux représailles ceux qui, comme son cousin l’abbé FAJON (« sa bête noire ») avaient rétracté leur serment. L’empressement mis à se porter acquéreur d’un bien national, dès le 2 janvier 1791, fut largement inspiré par le désir d’afficher publiquement son engagement révolutionnaire.
31La fuite à Varennes opéra une deuxième mutation. CAMBON vit dans la démarche de Louis XVI une odieuse trahison, révélatrice d’une duplicité criminelle. Naguère royaliste enthousiaste en juin 1790, CAMBON devint un ardent républicain en juin 1791. Il fit voter la déchéance du roi par la municipalité de Montpellier, puis il fit acclamer et signer, au Club des Amis de la Constitution et de l’Égalité, une pétition en faveur de la proclamation de la République. La dernière phrase de ce manifeste, relative au roi, laissait déjà présager le vote régicide que CAMBON émettrait à la Convention : « Nous remettons au juge la hache de la vengeance. » À noter également que le document était signé de CAMBON, président, et d’AIGOIN, secrétaire : le détail révèle l’ancienneté et la proximité des relations entre les deux hommes qui devaient jouer un rôle prépondérant dans la gestion des Finances de la Convention.
LA DÉPUTATION
32Joseph CAMBON fut élu le premier des neuf députés de l’Hérault à l’Assemblée législative, le 4 septembre 1791. Après le 10 août 1792, qu’il approuva, tout en sollicitant pour Louis XVI réfugié à l’Assemblée des égards que celle-ci refusa d’accorder, il fut porté à la vice-présidence de l’Assemblée le 5 septembre, et à la présidence le 16. Il fut donc le dernier président de cette Assemblée, à laquelle succéda la Convention le 20 septembre 1792. Il avait été élu à celle-ci le 3 septembre, de nouveau le premier des neuf députés de l’Hérault, par 451 voix sur 465 votants. Il siégea donc continûment comme député, d’octobre 1791 à avril 1795 : or, dans les deux assemblées, il fit toujours partie (jusqu’en janvier 1795) des comités financiers de celles-ci, et il fut même président du « Comité de l’ordinaire des finances » à l’Assemblée législative, et président du « Comité des assignats, monnaies, de l’ordinaire et de l’extraordinaire des finances » à la Convention. Dénué de talent oratoire, il acquit cependant une telle réputation d’expert en matière financière que ses longs rapports techniques, écoutés dans le silence et l’ennui, furent la plupart du temps entérinés sans difficulté.
33De plus, de sa création (5 avril 1793) qu’il avait demandée, à son renouvellement (10 juillet 1793), CAMBON fut membre du Comité de Salut Public, qui était en fait un véritable ministère superposé au Comité exécutif provisoire des six ministres, institué après le 10 août. Ce Comité exécutif provisoire, maintenu en fonction en avril 1793 (avec CLAVIÈRE aux Contributions, remplacé par DESCHAMPS-DESTOURNELLES en juin 1793), finit même par être supprimé en avril 1794. CAMBON sut enfin se constituer tout un réseau de compatriotes influents, unis entre eux par des liens anciens de parenté, d’affaires ou de relations, et se trouvant déjà ou se trouvant placés par lui aux postes clés de l’administration financière : à la Convention, CAMBACÉRÈS, ci-devant conseiller à la Cour des comptes de Montpellier, lié aux banquiers LAJARD, et que son ancienne fonction désignait comme spécialiste des questions financières ; dans les comités financiers de la Convention, RAMEL, industriel languedocien du textile comme CAMBON, et futur ministre des Finances du Directoire ; à la commission des subsistances, créée en octobre 1793 et devenue en avril 1794, lors de la suppression des ministères, la commission du commerce et des approvisionnements, BRUNET, montpelliérain associé de la banque LAJARD ; à la Trésorerie nationale enfin, AIGOIN, beau-frère de BRUNET.
34Entre octobre 1791 et janvier 1795, CAMBON évolua politiquement. Opportuniste, se vantant de n’appartenir à aucun parti, il s’affilia au Club des Jacobins dès son arrivée à Paris en octobre 1791, et il s’y lia aux girondins, avec lesquels il fit chorus pour obtenir la déclaration de guerre à l’Autriche, mais la conduite de DUMOURIEZ en Belgique éloigna CAMBON de ses amis girondins à la fin de 1792. Au début de 1793, définitivement brouillé avec les girondins, en rivalité avec leur ministre des Finances CLAVIÈRE dès le mois de février, dénoncé par BRISSOT en mai, dans sa Lettre à ses commettants, qui le jugeait « sans mesure, sans justesse, sans jugement et sans connaissances », le traitait de « fripon » et l’accusait de concussion par sous-entendu, CAMBON s’associa désormais, même s’il ne les approuvait pas toutes, aux mesures prises par la Montagne : ainsi pour la création du (second) tribunal révolutionnaire en mars 1793, ou encore plus tard pour l’établissement du maximum en septembre 1793, mais surtout dans la crise du 31 mai-2 juin 1793. Certes il protesta contre la violence dont furent victimes les girondins, mais contraint de choisir le 13 juin entre l’insurrection fédéraliste et la Montagne, il choisit la Montagne. Dès lors, et bien qu’il eût été écarté du Comité de Salut Public à l’occasion du renouvellement de celui-ci le 10 juillet 1793, il soutint pendant un an l’action du « grand » Comité de Salut Public, dominé par la personnalité de ROBESPIERRE. À l’égard de celui-ci, il ne ressentait aucune sympathie : l’athéisme et le laïcisme de CAMBON s’agaçaient du déisme de ROBESPIERRE. Si CAMBON put se vanter par la suite de « n’avoir fait arrêter personne », puisqu’il ne fut pas envoyé en mission et qu’il ne fut pas membre du Comité de Sûreté Générale ni, après la proscription des girondins, du Comité de Salut Public, s’il a contribué à sauver de la guillotine le banquier PERRÉGAUX et les receveurs généraux des finances de l’Ancien Régime, qui rendaient ou pouvaient rendre des services à la gestion financière de la République, CAMBON avait voté la mort de Louis XVI, sans appel ni sursis, et la gestion financière telle qu’il la conduisit, ne put se maintenir qu’avec les moyens de la terreur et la complicité du Comité de Salut Public. Tant que ROBESPIERRE le laissa faire, CAMBON s’associa à toutes les purges (girondins en juin-octobre 1793, herbétistes en mars 1794, Dantonistes en avril 1794). Il témoigna au Tribunal révolutionnaire contre CLAVIÈRE, puis contre DANTON. Mais quand il comprit qu’il allait être à son tour victime de la quatrième purge que ROBESPIERRE annonça par son discours du 8 Thermidor an II-26 juillet 1794, il réagit immédiatement : le lendemain ROBESPIERRE était renversé. Protagoniste du 9 Thermidor, il exerça encore une grande influence jusqu’à la fin de 1794, mais considéré comme un épigone du robespierrisme, il fut attaqué par les thermidoriens les plus corrompus, en particulier FRERON et BARRAS, qui le rangèrent dans la « queue de ROBESPIERRE », en compagnie de BARÈRE, BILLAUD-VARENNES, COLLOT d’HERBOIS, VADIER…, et le désignèrent à la vindicte publique. Le 9 Nivôse an III-29 décembre 1794 les cinq Comités des Finances, de Commerce, de Législation, de Salut Public et de Sûreté Générale désignèrent chacun un de leurs membres pour former une Commission qui devrait se superposer à ces divers Comités : CAMBON ne fit point partie de cette Commission, ce qui réduisit son influence.
35À la suite de l’émeute du 12 Germinal an III-1er avril 1795, la Convention vota la déportation de BARÈRE, BILLAUD-VARENNES, COLLOT d’HERBOIS et autres coaccusés. CAMBON protesta. Il est probable qu’il n’avait pas participé à l’émeute du 12 Germinal, puisque ce jour-là il s’était marié ! Cependant TALLIEN l’accusa le 13 d’avoir conspiré, et SALADIN d’avoir tenu des propos séditieux aux employés de la Trésorerie nationale. Le 14 BOURDON de l’OISE le somma de donner sa démission de membre du comité des finances. CAMBON refusa. La Convention vota alors son exclusion du Comité. Le 16 TALLIEN obtint de l’Assemblée un décret d’arrestation contre lui et huit autres députés.
36Par ses rapports nombreux présentés aux Assemblées au nom de leur comité des finances, et pour la plupart entérinés par celles-ci, CAMBON exerça ce que DUMOURIEZ appela une « dictature financière », et DANTON un « contrôle général des Finances de la République », c’est-à-dire en fait un véritable ministère des Finances. Il exerça plus particulièrement ce rôle pendant la période où la France dut affronter la coalition de l’Europe monarchique, du début de 1793 au début de 1795. Pendant ces deux années, deux priorités absolues s’imposèrent aux Conventionnels, qui venaient de brûler leurs vaisseaux en exécutant le roi : il fallait à tout prix vaincre les ennemis du dehors (et par conséquent fournir aux armées, en soldes, en matériels et en subsistances de quoi remporter la victoire), et vaincre les ennemis du dedans (et par conséquent assurer le ravitaillement des populations pour les détourner des tentations contre-révolutionnaires). Ce combat pour le triomphe final de la République ne pouvait être mené que par la « force coactive » de la Terreur. CAMBON fut l’homme de cette politique dans sa condition nécessaire, celle des Finances. La conclusion des traités de paix signés séparément par la plupart des coalisés à partir de février 1795 rendait définitivement caduque cette politique et fut donc le signal de la chute de CAMBON.
37De 1792 à 1795 l’influence prépondérante de CAMBON s’exerça dans tous les domaines de la gestion financière : mouvement des fonds, monnaie, dette, budget, prix, comptabilité.
Le mouvement des fonds.
38Sitôt élu membre du comité des finances de l’Assemblée législative, CAMBON consacra son premier rapport à « la situation de la Trésorerie nationale » (10 octobre 1791), démarche révélatrice de l’intérêt primordial qu’il porta toujours à cet organisme. Il dénonçait le montant insuffisant des fonds détenus par la Trésorerie nationale dans ses caisses, et il soulignait l’importance de cet objet, « puisque, disait-il, de l’état des finances dépendait le maintien de la Constitution ». Il ne varia jamais sur cette affirmation fondamentale, mais il opéra une distinction entre les règles imposées aux particuliers, et les pratiques auxquelles la Trésorerie devait recourir pour se procurer les liquidités que la raison d’État rendait nécessaires. De toutes les prohibitions qui étaient édictées pour empêcher l’exportation du numéraire ou l’avilissement des assignats, la Trésorerie serait en fait affranchie, à condition d’opérer pour le salut de la Nation et sous la garantie de ses dirigeants révolutionnaires.
39Dès février 1792, lorsque le risque de guerre se précisa, la Trésorerie jugea prudent de faire couvrir ses opérations sur le marché international des changes par quatre membres du comité des finances de l’Assemblée. La Convention devait maintenir cette pratique. Cet arrangement plaça la Trésorerie dans une situation de dépendance réciproque par rapport au comité des finances de l’Assemblée, et plus particulièrement par rapport au président de ce Comité. En toute impunité et en violation des prohibitions édictées par l’Assemblée, la Trésorerie nationale procéda ainsi continûment à des opérations ruineuses d’importation ou d’exportation de numéraire, quand il était avéré qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’obtenir sur le marché international le numéraire, le matériel ou les denrées indispensables au succès de la guerre révolutionnaire. CAMBON savait fort bien ce que GAUDIN, l’un des six commissaires de la Trésorerie nationale de 1792 à 1795, devait dire plus tard dans ses Mémoires, à savoir que la Trésorerie nationale, telle qu’elle avait été créée en juillet-août 1791, « avait été instituée dans l’intention de ne laisser au roi constitutionnel aucune influence sur l’emploi des deniers publics », et même dans l’intention d’entraver les opérations du pouvoir exécutif, « par les difficultés plus ou moins fondées, que les commissaires [de la Trésorerie] étaient toujours les maîtres d’élever, sauf à en référer au Comité des Finances. » La restriction finale révélait bien où se trouvait alors la réalité du pouvoir de décision ! D’où la conclusion de GAUDIN : « Nous aurions infailliblement succombé si nous n’avions pas été soutenus avec un courage et une loyauté rares par le représentant du peuple CAMBON […] Je lui ai dû personnellement dix fois la vie, et il préserva, par sa fermeté, la Trésorerie tout entière, continuellement attaquée au Club tout-puissant des Jacobins. »
40De cette sollicitude indéfectible, CAMBON donna bien des preuves. Déjà au début de 1792, en prévision d’une guerre prochaine, les commissaires de la Trésorerie furent autorisés secrètement à faire de gros achats de numéraire à l’étranger, ce qui contribua à avilir les assignats. La rumeur publique mit en cause la Trésorerie. Les commissaires crurent devoir se disculper par une lettre envoyée à l’Assemblée, et CAMBON prit naturellement leur défense. Ce furent ces achats de numéraire qui motivèrent la répartie de CAMBON à BECQUEY, le 20 avril 1792, le jour de la déclaration de guerre. À BECQUEY qui plaidait en faveur de la paix en invoquant la situation des Finances, CAMBON répliqua sèchement « Les Finances, vous ne les connaissez pas ! », car lui, CAMBON, savait… Nouvelle difficulté à l’été 1792 : le décret déclarant la Patrie en danger, proclamé le 21 juillet, avait autorisé les corps administratifs, à puiser, dans les caisses publiques, les fonds nécessaires aux frais de la défense. À la demande de CAMBON, cette faculté fut retirée aux corps administratifs le 15 novembre, et la Trésorerie retrouva sa compétence exclusive dans la disposition des fonds publics. À la fin de 1792, autre alerte : le général DUMOURIEZ, invoquant la défaillance des fournisseurs en Belgique, prétendit avoir été contraint d’emprunter 300 000 livres, contre des traites tirées à un mois sur la Trésorerie nationale, payables en numéraire. À l’échéance la Trésorerie refusa de payer. « Un général, dit CAMBON à l’Assemblée, ne doit que commander, c’est à l’ordonnateur de veiller aux approvisionnements, au payeur de l’armée de les solder, au contrôleur de les examiner et de rendre compte à la Trésorerie […] Si nous sortons de cette hiérarchie des pouvoirs, la République est perdue. » C’est en invoquant cet incident que GAUDIN mentionna dans ses Mémoires ce soutien sans faille, évoqué ci-dessus, que CAMBON accorda à la Trésorerie nationale. En effet DUMOURIEZ eut beau tempêter, rien ne fit céder l’inflexible rigueur de CAMBON qui mit, une fois de plus, la Trésorerie à l’abri de toute attaque.
41On comprend mieux dès lors pourquoi CAMBON, s’opposant à CLAVIÈRE qui, lui, défendait son ministère des Contributions, ait proposé en janvier 1793 de faire de la Trésorerie nationale « le point central de toutes les recettes et dépenses de la République. » La formule devait même être insérée en juin dans la Constitution de l’An I (art. 102). CAMBON poursuivit méthodiquement la réalisation de ce plan de centralisation, en obtenant successivement la suppression de la Caisse de l’Extraordinaire (4 janvier 1793), et ensuite de la Caisse des dépôts, consignations et saisies réelles, de la Caisse des invalides de la Marine, de la Caisse des domaines nationaux, et de la Caisse des payeurs des rentes de l’Hôtel de Ville de Paris.
42En avril 1793, lorsque fut établi le second tribunal révolutionnaire, CAMBON obtint que les commissaires de la Trésorerie nationale ne pourraient être arrêtés ni poursuivis par l’accusateur public de ce tribunal, sans un décret de la Convention : on devine sans peine qui, dans l’Assemblée, s’emploierait, en pareil cas, à empêcher une éventuelle inculpation. Sous l’égide toute-puissante de CAMBON, la Trésorerie nationale était devenue l’inviolable arche sainte du nerf de la guerre.
43En septembre 1793, quand sous la pression des sans-culottes la Terreur fut déclarée à l’ordre du jour (5 septembre), il fut question d’établir un contrôle des changes terroriste, et la Convention commença par ordonner le 7 septembre la mise sous scellés des papiers des banquiers. En réalité il s’agissait d’une tortueuse manœuvre de spéculateurs à la baisse des assignats, qui se voyaient pris à contrepied par un léger raffermissement du cours de ceux-ci et qui cherchaient un moyen de n’avoir pas à liquider dans ces conditions les marchés qu’ils avaient conclus. Les sans-culottes, dans leur haine primaire pour les riches et les banquiers, supposés être tous riches, n’y virent que du feu, et leurs bruyantes réclamations furent soutenues par FABRE d’ÉGLANTINE, un habitué des opérations boursières suspectes et fructueuses… Mais l’affaire tourna court : la Convention ordonna la levée des scellés dès le 10. Le 12 CAMBON posa le problème dans toute sa clarté : pour assurer les approvisionnements indispensables, la République devait recourir à des lettres de change tirées sur l’étranger. Les banquiers qui servaient d’intermédiaires devaient donc conserver la liberté de leurs opérations. Finalement, laissant subsister, à la demande de CAMBON et de RAMEL, le commerce des lettres de change dont la Trésorerie nationale ne pouvait se passer, la Convention organisa le 27 octobre 1793 une Commission des subsistances de trois membres (parmi lesquels CAMBON plaça son compatriote BRUNET), et elle institua en Nivôse an II un système dirigiste, dans lequel les exportations de marchandises et les mouvements de numéraire étaient contrôlés par l’État qui les utilisait pour assurer les approvisionnements indispensables. Mettant à profit l’éviction de Jean de VAINES, l’un des six commissaires de la Trésorerie, « incarcéré pour rendre compte à la Nation », et pour le remplacer, CAMBON fit nommer en janvier 1794 un de ses amis, François-Victor AIGOIN (ci-devant AIGOIN du REY), associé de la banque LAJARD et BRUNET, de Montpellier, beau-frère de BRUNET. En 1791 AIGOIN était le secrétaire du Club des Amis de l’Égalité, de Montpellier, dont CAMBON était le président.
44Le 2 Germinal an II-22 mars 1794, CAMBON se glorifia de la diminution des dépenses, qu’il attribuait à la centralisation qu’il avait imposée, affirmant sans rire, avec une fierté satisfaite mais probablement injustifiée : « Le résultat des dépenses, contre lequel nous nous élevions avec raison, avant que le gouvernement eût un point central [toujours le « point central » !] s’élevait à de 390 à 400 millions par mois ; il ne donne plus que 170 à 180 millions […] Je dois dire que, dans une guerre aussi grande, jamais il n’y a eu tant d’ordre. » Deux jours après la suppression des ministères, remplacés par des commissions subalternes, CAMBON y revint le 14 Germinal an II-3 avril 1794, en plein procès des Dantonistes, en vantant le fonctionnement de cette Trésorerie nationale, unique et centrale, se félicitant d’avoir fait disparaître « le chaos dans lequel les désordres de l’ancien gouvernement nous avaient plongés. » De nouveau, le 27 Floréal an II-16 mai 1794, estimant avoir parachevé son œuvre de clarification et de simplification, il fit l’éloge du fonctionnement de la Trésorerie, qu’il avait fait adopter par la Convention : désormais la Trésorerie donnait tous les soirs au Comité de Salut Public une feuille qui comptabilisait toutes les opérations de la journée.
La monnaie.
45Les idées de CAMBON dans ce domaine ont évolué en fonction des circonstances, et c’est une caricature polémique qui le présente comme le principal responsable de l’émission délirante des assignats. La principale circonstance qui modifia son action fut la guerre, limitée en avril 1792, généralisée en février 1793.
46En novembre 1791, le Comité de l’Extraordinaire des Finances proposa de porter le plafond d’émission des assignats à 1 milliard 600 millions, pour combler le déficit. Dans son premier grand discours sur cette question, CAMBON combattit cette proposition, le 24 novembre, estimant qu’il était sage d’en rester pour l’instant à 1 milliard 500 millions : « Les assignats, dit-il, sont le signe représentatif du numéraire ; leur hypothèque repose sur la valeur des biens nationaux ; ils sont affectés aux besoins ordinaires de l’État, en supplément de l’impôt, et au remboursement de la dette déclarée exigible. Il faut donc que le montant de leur émission n’excède jamais la valeur des biens nationaux. » Il fallait, selon lui, commencer par faire le bilan des finances nationales, en établissant d’une part le montant précis du chiffre de la dette, et d’autre part la valeur exacte des biens nationaux. Tout son discours s’inscrivait dans une perspective de temps de paix et de retour à un équilibre budgétaire normal, financé par les impôts, après une nécessaire période transitoire. En effet la transformation du système fiscal ralentissait, et devrait ralentir encore pendant longtemps, la rentrée des contributions. Par conséquent, les biens nationaux devaient servir non seulement à l’amortissement des dettes passées, mais aussi, pendant cette période transitoire, de complément au produit des impôts. Ainsi, dès le départ, le point de vue de CAMBON différait de celui de CLAVIÈRE, qui était toujours attentif à réserver le produit de la vente des biens nationaux au seul amortissement de la dette passée et non aux dépenses ordinaires de l’État. La suite ne ferait qu’accentuer cette divergence initiale.
47Lorsque la menace de guerre se précisa au début de 1792, c’est CAMBON qui fit adopter par l’Assemblée, le 9 février, la saisie des biens des émigrés, amorce du décret du 30 mars-8 avril qui prononça la confiscation au profit de l’État. La masse des biens nationaux s’en trouvait accrue de « fonds immenses », selon l’expression de CAMBON. Celui-ci, qui s’était consacré depuis son discours du 24 novembre à l’établissement du bilan financier de la Nation et qui était maintenant converti aux projets belliqueux des brissotins, livra les résultats de son entreprise d’évaluation comptable dans un grand « Tableau des besoins et des ressources de la Nation » présenté à l’Assemblée les 3 et 6 avril 1792, suivi d’un « Rapport sur la situation des finances », lu dans les séances des 17, 18 et 19 avril. Ses calculs, honnêtement conduits mais établis sur des données incertaines et contestables, étaient habilement agencés de manière à éviter tout à la fois un optimisme qui aurait pu conduire l’Assemblée à décider des dépenses excessives, et un pessimisme qui aurait pu effrayer les porteurs d’assignats et aggraver le discrédit de ceux-ci. Mais, au moment même où l’Assemblée allait provoquer la déclaration de guerre, CAMBON, dont le discours avait été très applaudi, termina en affirmant que la situation financière était excellente. Les députés avaient alors oublié qu’en commençant, le 3 avril, il avait formulé d’abord une prudente mise en garde (« Gardons-nous, en nous flattant sur l’étendue de nos ressources, d’amuser le peuple par des calculs mensongers »). Ils n’avaient retenu que l’affirmation qui avait suivi (« Heureusement qu’il nous reste encore des ressources suffisantes pour pouvoir acquitter toutes les obligations que la Nation s’est imposées envers les créanciers du despotisme »). Quant au financement de la guerre, la vente des biens des émigrés y pourvoirait : les émigrés étaient la cause de la guerre, ils en paieraient les frais.
48Or la guerre bouleversa complètement la situation, en créant des besoins immenses que l’on ne put financer que par le recours répété à des émissions d’assignats. Lors de la déclaration de guerre en avril 1792 le plafond d’émission atteignait 2 milliards 100 millions. Il fut porté à 2 milliards 400 millions en avril, 2 milliards 700 millions en juillet. Le 17 octobre 1792 c’est CAMBON lui-même qui déclara à la Convention que « le versement des fonds à la Trésorerie nationale ne pouvait pas éprouver le moindre retard, puisque le salut de la République en dépendait », et c’est lui qui proposa la création la création de 400 millions de nouveaux assignats, ce qui relevait le plafond à 3 milliards 100 millions, ce que l’Assemblée décréta le 24 octobre. Désormais CAMBON subordonna toutes les considérations financières au triomphe des armées de la République.
49En décembre 1792-janvier 1793 il s’en prit à DUMOURIEZ qu’il accusa de connivence en Belgique avec les aristocrates, les privilégiés, le clergé. Il demanda avec insistance que la Belgique fût soumise à l’abolition de la féodalité, à la confiscation des biens du clergé et à la circulation des assignats. Il obtint gain de cause.
50À la veille de l’extension de la guerre à toute l’Europe monarchique, CAMBON affronta CLAVIÈRE dans le duel des rapports du 1er février 1793, à propos de l’émission d’une nouvelle tranche de 400 millions d’assignats. En incluant maintenant, dans ses évaluations de la masse des biens nationaux, les biens confisqués en Belgique et les biens de l’Ordre de Malte, confisqués le 19 septembre 1792, CAMBON assura que le gage était largement supérieur à la masse des assignats. La Convention le suivit et décréta l’émission de 400 millions de nouveaux assignats. À partir de là, la mécanique enclenchée poursuivrait son mouvement, avec l’émission successive de nouvelles tranches : 2 milliards (28 septembre 1793), 500 millions (7 décembre 1793), 1 milliard 200 millions (1er Messidor an II-19 juin 1794).
51Au 9 Thermidor an II, les émissions d’assignats avaient presque atteint 8 milliards. Cependant CAMBON avait simultanément essayé d’enrayer leur dépréciation, soit en accélérant les retraits consécutifs aux ventes de biens nationaux, soit en proposant, mais sans succès, la démonétisation de l’or et de l’argent. Tous ses efforts faits pour réduire leur circulation furent vains. Sur les 8 milliards qui avaient été émis, 2 milliards 100 millions avaient été échangés ou brûlés. En déduisant les assignats détenus par des caisses publiques et les assignats démonétisés non rentrés, il en restait environ pour 5 milliards 500 millions en circulation. Donc, quatre ans après leur apparition, les assignats en circulation ne représentaient encore que le double ou le triple de la circulation métallique de 1789, ce qui techniquement ne rendait pas inconcevable un possible rétablissement de la convertibilité sans banqueroute. Telle était l’ambition de CAMBON, mais après Thermidor commença l’inflation vertigineuse. De la chute de ROBESPIERRE (27 juillet 1794) à la chute de CAMBON (3 avril 1795), soit en huit mois seulement, la circulation des assignats doubla. Les 3 et 19 Pluviôse an III (22 janvier et 5 février 1795) et le 7 Ventôse an III (25 février 1795) il s’obstina à présenter et à défendre un plan de résorption de la circulation des assignats, par l’émission d’un emprunt à lots de 4 milliards (4 millions de billets de 1 000 livres), portant intérêt à 3 % et dont les titres seraient reçus en paiement de biens nationaux ou convertibles en rentes perpétuelles inscrites au Grand Livre de la dette publique. Après un long débat, où furent évoquées diverses autres solutions, la Convention n’adopta pas le plan de CAMBON et se borna à décréter, les 6 et 8 Ventôse, des mesures destinées à faciliter et accélérer la vente des biens nationaux, et par conséquent la rentrée des assignats et leur destruction. Or, compte tenu du volume d’assignats en circulation, il était évident qu’ils ne pourraient être absorbés par la seule vente des biens nationaux subsistants.
La dette publique.
52La mémoire du nom de CAMBON reste attachée à la création du fameux Grand Livre de la dette publique, dont il avait formulé le projet dès le 18 avril 1792, à la suite de sa proclamation solennelle du 3 : « Tous les Français sont responsables du paiement des rentes. » Il présenta son plan à la Convention dans son rapport du 15 août 1793, et l’Assemblée l’adopta tel quel par son décret du 24 août 1793. Cette opération fut inspirée par un triple souci, technique, politique et financier.
53Primo, il s’agissait, techniquement, de simplifier et de clarifier le fatras inextricable de la dette constituée de l’Ancien Régime. Cela permettrait tout à la fois d’établir de manière très précise le montant annuel des arrérages de la dette inscrite, évalué alors approximativement entre 90 et 100 millions par an, et d’instituer d’autre part un impôt de 2 % du capital sur chaque transfert de propriété. La centralisation et l’uniformisation présenteraient en outre pour les rentiers les avantages d’une négociation facilitée de leurs inscriptions et d’un paiement rapide de leurs arrérages.
54Secundo, il s’agissait surtout d’une opération politique. Les porteurs de titres de créances de l’Ancien Régime se trouvaient acculés à une cruelle alternative : ou bien garder leurs titres, en espérant le retour prochain du roi, mais dans ce cas la République ne paierait rien, faute d’inscription sur le Grand Livre, et si le roi ne revenait pas, ces porteurs perdraient leur capital et leurs intérêts ; ou bien rapporter les titres, et dans ce cas la République, sur inscription au Grand Livre, paierait les arrérages à perpétuité, mais en convertissant le titre et en détruisant l’ancien. Ainsi il serait impossible ultérieurement de reconnaître l’origine des inscriptions, les emprunts contractés par la République faisant l’objet d’inscriptions exactement identiques, et si le roi revenait, il pourrait répudier des titres d’emprunt considérés comme nuls à son égard, puisque contractés par la République. Placés devant ce choix, la plupart des porteurs de titres d’emprunts de l’Ancien Régime rapportèrent ceux-ci pour les convertir en inscriptions sur le Grand Livre. À partir de là ils eurent tout intérêt à ce que la République se maintînt et que le roi ne revînt pas. CAMBON exposa très clairement ce raisonnement, résumé dans la formule lapidaire : « Républicanisons la dette, et les créanciers de la dette seront républicains. »
55Tertio, il s’agissait enfin et aussi d’une opération financière. Les porteurs d’assignats étaient invités à convertir ceux-ci (qui perdaient alors 75 % de leur valeur nominale) en inscriptions sur le Grand Livre, rapportant en perpétuel 5 % du capital nominal : pour un versement de 100 livres assignats, valant 25 livres espèces, on faisait miroiter la chance de recevoir un jour un service annuel et perpétuel de 5 livres espèces, lorsque la circulation métallique serait rétablie ! D’autre part des facilités étaient accordées aux porteurs de rentes de la dette inscrite pour qu’ils acquissent des biens nationaux, à condition de les payer moitié en titres de la dette inscrite, moitié en assignats. Toutes ces mesures étaient destinées à faire rentrer dans les caisses publiques la plus grande quantité possible d’assignats.
56Il fut encore plus difficile d’unifier la dette viagère. L’Ancien Régime finissant avait multiplié les emprunts viagers, qui avaient connu d’autant plus de succès que leurs délirantes modalités d’émission étaient onéreuses pour l’État et avantageuses pour les rentiers. On évaluait le service de la dette viagère à 100 millions par an environ, le taux moyen étant de 10 %, sans condition d’âge ! Le sort de la dette viagère, réservé lors de la création du Grand Livre de la dette en août 1793, fit l’objet de débats difficiles au printemps 1794, et fut finalement, de manière inattendue, l’occasion de la chute de ROBESPIERRE.
57En effet CAMBON s’était saisi de ce problème ardu : comment convertir le viager en perpétuel ? Comment déterminer le montant du capital correspondant à la dette viagère, dans chaque cas particulier, si l’on décidait maintenant de tenir compte de l’âge du crédirentier ? En utilisant les tables de mortalité de DEPARCIEUX et de DUVILLARD, des tables de conversion furent établies. CAMBON présenta son grand rapport sur la conversion de la dette viagère le 2 Germinal an II-22 mars 1794 : outre les avantages politiques de la républicanisation de la dette, l’opération allégerait sensiblement le fardeau de celle-ci et supprimerait un mode de placement jugé immoral. Cependant le projet de CAMBON, qui entraînerait une baisse des revenus des anciens viagéristes, provoqua un vif mécontentement. À ces récriminations, CAMBON répondit le 22 Floréal-10 mai 1794 que seules les rentes viagères à taux usuraires avaient été diminuées et que seuls étaient atteints les rentiers de moins de quarante ans. La Convention vota donc la loi le lendemain, 23 Floréal, mais devant l’ampleur des protestations elle adoucit les dispositions de celle-ci par une loi du 8 Messidor-26 juin. Le Comité de Salut Public alla plus loin : il suspendit tout simplement la publication des deux lois du 23 Floréal et du 8 Messidor. ROBESPIERRE lui-même s’en mêla : dans le fameux discours du 8 Thermidor, il se lança dans une diatribe acerbe qui, sans le nommer, désignait CAMBON :
58« Un système raisonnable de finances est à créer ; celui qui règne aujourd’hui est mesquin, prodigue, tracassier, dévorant. La contre-révolution est dans l’administration des finances […] Elle a pour but de fomenter l’agiotage, de favoriser les riches créanciers, de ruiner et désespérer les pauvres, de multiplier les mécontents. » Toujours sans donner de nom il continua : « Quels sont les administrateurs supérieurs de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus. » Dans le manuscrit du discours CAMBON et RAMEL étaient nommément désignés. Et d’ajouter plus loin : « La Trésorerie nationale seconde parfaitement leurs vues. » Après les interventions de plusieurs représentants, CAMBON fit un discours véhément pour se justifier, et contre-attaquant il accusa ROBESPIERRE de « paralyser la volonté de la Convention ». L’Assemblée applaudit. Décontenancé, ROBESPIERRE essaya, malgré les murmures, de reprendre la situation en main : « S’il est quelque chose qui ne soit pas en mon pouvoir, c’est de paralyser la Convention surtout en fait de finances. Je ne me suis jamais mêlé à cette partie, mais j’ai cru m’apercevoir que les idées de CAMBON ne sont pas aussi favorables à la Révolution qu’il pense […] Sans attaquer les intentions de CAMBON, je persiste à dire que tel est le résultat de son décret sur les rentes viagères, qu’il désole les citoyens pauvres. » De sa place CAMBON cria « C’est faux », et il donna des explications techniques, auxquelles ROBESPIERRE fut incapable de répondre. La nuit se passa en conciliabules, auxquels CAMBON participa. Le lendemain, 9 Thermidor, la Convention vota l’arrestation de ROBESPIERRE et de ses amis.
Le budget.
59CAMBON fut le premier à souligner la nécessité de connaître exactement le montant des dépenses annuelles de l’État, et le montant des recettes correspondantes. C’est ce qu’il appela, dans son langage de négociant, le bilan des finances, auquel il consacra plusieurs mois de travail pour aboutir à son fameux rapport d’avril 1792 sur la situation financière de la Nation, première esquisse d’un budget annuel. À partir de là, toute son action se développa dans deux directions : comprimer les dépenses, adapter les recettes aux besoins.
60En ce qui concerne les dépenses CAMBON se montra un vétilleux pourfendeur du gaspillage : à ce souci se rattachèrent diverses interventions, telle que l’algarade avec CLAVIÈRE [voir la notice de celui-ci] en septembre 1792, à propos des modalités de répartition et d’emploi des fonds secrets votés par l’Assemblée après le 10 août, ou encore les refus opposés aux demandes d’augmentation des traitements des fonctionnaires, ou encore la suppression en août 1794 de l’allocation de 40 sous allouée par le décret du 5 septembre 1793 aux citoyens pauvres pour leur permettre d’assister aux assemblées de sections…
61Associé à ce souci d’économie, l’hostilité à l’égard de la religion fit de CAMBON le promoteur de la séparation de l’Église et de l’État. Dès le 13 novembre 1792, dans le débat sur le chiffre des dépenses et des recettes de 1793, il posa à l’improviste la question de savoir « si les croyants devaient payer leur culte » et il répondit par l’affirmative, en annonçant un rapport en ce sens sur la suppression des pensions ecclésiastiques. Cette proposition souleva alors un concert général de protestations, même au Club des Jacobins. CAMBON n’insista pas. Mais, deux ans plus tard, après la chute de ROBESPIERRE, dont le déisme et le culte de l’Être Suprême l’avaient toujours irrité, CAMBON revint à la charge, avec succès cette fois-ci. La 2e sans-culottide an II-18 septembre 1794, reniant l’engagement solennel qu’avait pris l’Assemblée nationale constituante en 1789 lorsqu’elle avait confisqué les biens de l’Église Catholique, la Convention vota que la République ne paierait plus les frais ni les salaires d’aucun culte. Pour Marcel MARION ce décret fut « l’apogée de la carrière de CAMBON ».
62À propos des recettes, l’idée générale de CAMBON ne manquait pas de cohérence : il a toujours répété qu’en temps normal c’étaient les recettes des contributions qui devaient couvrir les dépenses, mais l’application de ce principe se heurtait temporairement à deux considérations. D’une part, il estimait que le système fiscal adopté par l’Assemblée constituante était défectueux : la contribution foncière était trop lourde, la contribution mobilière trop légère. D’autre part, les charges occasionnelles de la Nation (amortissement de la dette de l’Ancien Régime et frais de guerre) rendaient indispensable l’utilisation des moyens exceptionnels qu’était la vente des biens nationaux (anticipée par l’émission des assignats) et la levée d’une contribution progressive sur les riches (sous forme d’emprunt forcé). Dès le 12 octobre 1792 il lança l’idée d’un impôt sur les riches pour combler le déficit des caisses de secours qui avaient surabondamment émis des billets servant de petite monnaie divisionnaire, et il justifiait ainsi cette idée démagogique : « Si le pauvre se trouve porteur de ces billets, c’est le riche qui les lui a donnés en salaire. » Quelques mois plus tard l’idée fut reprise lorsque le renchérissement général des denrées, conséquence de l’émission des assignats, détermina les municipalités des grandes villes à acheter des grains et farines, revendus à perte, afin d’assurer l’approvisionnement en pain à bon marché pour éviter les troubles. En vue de combler le déficit de leurs finances, ces municipalités imposèrent des majorations aux contributions foncière et mobilière des contribuables « riches », et CAMBON justifia cette pratique en février 1793. Mais à la suite de l’émeute du 25 février à Paris, où les épiceries furent pillées, il apparut aux dirigeants révolutionnaires qu’il était urgent de rassurer les possédants. CAMBON, résolument attaché à la propriété individuelle, comprenait fort bien que la valeur des assignats dépendait du respect des propriétés, et il signala à la Convention, le 28 février, que les ventes de biens nationaux ralentissaient de manière inquiétante : « Il faut dire la vérité : ce qui entretient le grand nombre d’assignats, c’est la lenteur des ventes des biens nationaux, et ce qui empêche ces ventes, ce sont les inquiétudes répandues sur les propriétés. » Cette réaction aboutit, sur la proposition de BARÈRE, au nom du Comité de Sûreté Générale, au décret du 18 mars 1793 punissant de mort quiconque proposerait la « loi agraire » (c’est-à-dire l’abolition de la propriété privée individuelle).
63À l’intérieur de ce garde-fou, l’idée de surtaxer les riches continua à trouver d’autres applications. Ainsi, à l’instigation de quelques dirigeants révolutionnaires locaux (dont BRUNET, que CAMBON allait bientôt placer à la Commission des subsistances), le département de l’Hérault adopta le 19 avril 1793 un plan de recrutement d’une force armée révolutionnaire, dont les hommes seraient équipés et soldés, et leurs familles assistées par le produit d’un emprunt forcé levé sur les riches. CAMBON lut ce plan à la Convention le 27 avril. Le principe d’une subvention de guerre fut voté à l’unanimité. Le 20 mai RAMEL proposa de lever pour cette subvention un impôt très progressif, mais la Convention lui préféra la proposition de CAMBON, inspiré par le modèle du département de l’Hérault : un emprunt forcé d’un milliard : « Cet emprunt civique d’un milliard fera rentrer les assignats, et attachera tous ces citoyens à la République, en délivrant aux souscripteurs de cet emprunt une reconnaissance qui serait admissible à l’acquisition des biens des émigrés. » Le 22 juin la Convention décida que seuls les riches seraient astreints à cet emprunt. Après de longs débats, l’emprunt forcé sur les riches fut voté le 3 septembre 1793 : il s’agissait en réalité d’un impôt sur le revenu très progressif, et même confiscatoire, dont les récépissés pourraient être acceptés, deux ans après la conclusion de la paix, en paiement de biens nationaux. Au cours de l’assignat en août 1793, un milliard correspondait à 320 millions en numéraire : quatre mois après le vote, le produit réel de cet « emprunt forcé » n’était que d’une vingtaine de millions, valeur métallique.
64Après la chute de ROBESPIERRE et au vu des succès militaires continus, CAMBON estima qu’il fallait songer à rétablir un système normal des finances, mais il se heurta aux propositions démagogiques de quelques députés qui demandaient la suppression de la contribution foncière, comme si les biens nationaux constituaient un trésor inépuisable. Il combattit vigoureusement de telles chimères. Son but fut toujours de diminuer la masse des assignats pour pouvoir en relever le cours, et il considéra les assignats comme une ressource exceptionnelle. D’où la déclaration lapidaire du 7 Ventôse an III-26 février 1795, que l’on peut considérer comme le testament politique et financier de CAMBON, peu avant sa disgrâce : « Disons au peuple, il en est temps, qu’une grande société n’aura jamais un gouvernement protecteur des personnes et des propriétés, si les recettes ordinaires ne lui fournissent pas les moyens d’acquitter les dépenses ordinaires ; disons-lui que, sans contribution, point de tranquillité publique, puisque le gouvernement ne pourrait veiller à la défense commune, ni réprimer le désordre et l’anarchie ; disons aussi aux créanciers de l’État que leur intérêt est lié à l’existence et à la rentrée des contributions. »
La comptabilité.
65CAMBON était obsédé par la volonté de soumettre tout le maniement des finances publiques à des justificatifs comptables, afin de rendre toutes les opérations transparentes et de mettre tous les agents publics à l’abri des soupçons. Il suscita dans ce domaine une grande activité réglementaire, dont l’efficacité fut loin de correspondre aux ambitions qui l’animaient. Cela lui valut même de solides inimitiés, comme celle de TALLIEN, qui avait été en 1793 représentant en mission terroriste à Bordeaux où il avait malmené le comptoir de la maison de commerce de CAMBON, et qui fut visé par le décret du 4 Fructidor an II-21 août 1794, pris à l’instigation de CAMBON et qui obligeait les représentants envoyés en mission à rendre compte de leurs dépenses secrètes et extraordinaires.
APRÈS LA DÉPUTATION
66Décrété d’accusation le 16 avril 1795, CAMBON se cacha chez des amis de ses beaux-parents, rue Saint-Honoré. Le décret d’amnistie générale rendu par la Convention le 4 Brumaire an IV (26 octobre 1795), au moment de se séparer, lui permit de sortir de la clandestinité et de se retirer dans son domaine du Terral, le séjour à Montpellier même lui étant « odieux » en raison des manifestations d’hostilité dont son père et lui-même étaient l’objet. Au Conseil des Cinq-Cents, le député ESCHASSÉRIAUX se fit l’interprète de ses adversaires, qui le dénonçaient comme terroriste et comme responsable des émissions répétées d’assignats, cause de l’anéantissement de la valeur de ceux-ci. CAMBON répondit en publiant une Lettre sur les finances pour se justifier. Il rappela que ç’avait été après le décret qui l’avait mis en état d’arrestation, en Germinal an III, qu’avaient été supprimés les comptes mensuels des recettes et des dépenses de la Trésorerie, sous prétexte d’économie, et que le Comité de Salut Public et des Finances avait été autorisé à émettre des assignats par ses arrêtés, sans même l’avis de la Convention. Il souligna donc que depuis leur création jusqu’au 1er Nivôse an III-21 décembre 1794, soit en quatre ans et demi, on avait émis un peu moins de 18 millions de livres en assignats, tandis qu’en dix mois et demi, du 1er Nivôse an III au 14 Brumaire an IV-7 novembre 1795 les nouvelles émissions avaient atteint 11 millions ½. La responsabilité de l’inflation galopante de 1795 ne pouvait donc lui être imputée. CAMBON ne parvint pas à convaincre ni à retourner en sa faveur l’opinion publique. L’anéantissement des assignats (février 1796), puis de leurs substituts les mandats territoriaux (janvier 1797), et enfin la banqueroute des deux tiers de la dette publique (septembre 1797) apparurent comme la conséquence de ses imprudences.
67Cependant après le coup d’État de Brumaire an VIII, GAUDIN, que CAMBON avait si efficacement protégé quand il était commissaire à la Trésorerie nationale pendant la Terreur, aurait conseillé à BONAPARTE de rappeler CAMBON aux Finances. CAMBACÉRÈS aurait été chargé de pressentir son compatriote et ancien collègue à la Convention. CAMBON aurait répondu : « Les Finances de l’État marchent forcément suivant les principes du chef de l’État ; les principes du chef de l’État ne sont pas les miens. Nous ne serions pas plus d’accord en finances qu’en politique. » CAMBON, comme CARNOT, fut donc l’un de ces rarissimes révolutionnaires républicains qui, par fidélité à leurs convictions, refusèrent de rallier le régime consulaire puis impérial.
68Comme CARNOT encore, il ne sortit de sa réserve qu’en 1815, où il fut pendant les Cent Jours élu représentant de l’Hérault. Pendant la courte session de cette assemblée, du 7 juin au 6 juillet 1815, CAMBON intervint dans les deux domaines qui lui tenaient à cœur, celui des finances (priorité aux subsistances et aux transports militaires, état du Trésor public, émission d’un emprunt) et celui des cultes (refus d’un culte privilégié). Rentré à Montpellier après la seconde restauration, il y subit les menaces et les agressions des royalistes. L’amnistie du 12 janvier 1816 excepta de son bénéfice les régicides de 1793 qui s’étaient ralliés à Napoléon pendant les Cent Jours. Il partit donc s’installer à Bruxelles, où il retrouva une soixantaine d’exilés comme lui. Des chapelles ne tardèrent pas à se former dans cette espèce de Coblence à rebours. Autour de CAMBACÉRÈS, prince archichancelier de l’Empire, assidu aux offices de Sainte-Gudule, s’était constitué une petite cour où le comte SIÉYES, le comte MERLIN ou le baron CHAZAL côtoyaient le ministre RAMEL ou le peintre DAVID… CAMBACÉRÈS, qui d’ailleurs obtint la grâce de Louis XVIII et rentra en France dès 1818, ne voyait plus guère son compatriote CAMBON : celui-ci, ayant entendu RAMEL donner de l’Altesse à CAMBACÉRÈS, aurait bougonné « Il n’y avait pas d’Altesses à la Convention ! » En revanche, autour de CAMBON, gravitait le dernier petit cercle des Jacobins républicains irréductibles : BARÈRE, BUONAROTTI, FORENTGUYOT, VADIER… La mort de CAMBON, le 15 février 1820 passa inaperçue en France, où l’assassinat du duc de BERRY, mort le 14 février 1820, éclipsa alors tous les événements.
V. LES SOURCES
ÉCRITS
- Projet d’un citoyen, dédié au Tiers État, 1789 [anonyme publié par CAMBON père et son fils Joseph, mais que le catalogue de la BN attribue au fils seul].
- La plupart des très nombreux discours, rapports, mémoires, lettres et projets de décrets de Joseph CAMBON ont été imprimés et se trouvent soit aux imprimés de la Bibliothèque nationale, soit aux Archives nationales (AD XVIIIA 14).
BIBLIOGRAPHIE
69MICHAUD, LX 24-25
70HOEFER, VIII 304-306
71COUGNY, I 561-562
72ROMAN d’AMAT, VII 961-962
73KUSCINSKI (A.), Dictionnaire des Conventionnels, 1917.
-----
74ARNAULT (Raoul), La débâcle financière de la Révolution, Cambon d’après des documents inédits, 1926.
75BARTHELEMI (Suzanne), « À propos de quelques ancêtres maternels [protestants] de Joseph Cambon », Bulletin du Cercle généalogique de Languedoc, 1999, N° 82-83, pp. 12-13.
76BENDJEBBAR (André), « Cambon et la Vendée », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1990, t. 97, N° 3, pp. 227-235.
77BORNAREL (F.), Cambon et la Révolution française, 1905.
78HINCKER (François), « L’affrontement Cambon-Robespierre le 8 Thermidor », Actes du Colloque d’Arras d’avril 1993, publiés en 1994 sous le titre Robespierre, De la nation artésienne à la République et aux nations, pp. 299-307.
79SAUMADE (G.), « Le conventionnel Cambon et sa famille », Numéro spécial des Cahiers d’histoire et d’archéologie, Montpellier, 5e année, t. X, 1935.
80SAUMADE (G.), « Cambon et sa famille acquéreurs de biens nationaux, 1792-1793 », Annales historiques de la Révolution française, t. XVI, 1939, pp. 228-244 et 313-338.
ARCHIVES
81Les Archives départementales de l’Hérault et les Archives municipales de Montpellier conservent de nombreuses pièces relatives à CAMBON et à sa famille.
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