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Cinquième débat
p. 385-387
Texte intégral
Robert Frank
1En conclusion, je dirais que le comité Werner n’est qu’une caisse de résonance d’un débat qui a déjà eu lieu auparavant et qui continue. Ce débat continuera encore longtemps, et Pierre Achard l’a bien montré. À partir de 1971 les Français refusent les différentes tempêtes monétaires sur le flottement concerté des monnaies, c’est la thèse de Schiller – la thèse des Allemands. Au fond, on trouve des continuités dans ce débat, il est certain que pour les Allemands, c’est : « nous ne voulons pas d’un système, quel qu’il soit d’ailleurs, qui nous oblige à être la vache à lait ». La presse allemande parle à ce propos de la « main mise sur l’or du Rhin », ce qui m’amène à poser une question à Eric Bussière. On a bien vu la continuité de la position française, mais est-ce qu’il n’y a pas une certaine candeur chez les Français lorsqu’ils demandent aux Allemands, en échange des concessions sur la flexibilité, des contreparties, plus d’argent sur la table ? Est-ce qu’il n’y a pas une naïveté française dans la mesure où, précisément à cette époque, les Allemands veulent la flexibilité pour qu’il n’y ait pas de main mise sur l’or du Rhin, et les Français doivent le savoir ? Les Allemands connaissent très bien les positions françaises. Cela m’étonnerait que les Français ne connaissent pas aussi les positions allemandes : il suffit de lire la presse allemande. Mais cela étant, quelle est la part de jeu dans tout cela ? Ce qui me frappe, c’est que s’il y avait eu une période stable, le compromis Werner ou les différents compromis Werner auraient peut-être pu durer, et c’est précisément parce que la période n’est pas stable à partir du printemps 1971 que tout éclate. Je crois qu’il faut bien retenir ce que disait Pierre Achard : « les leçons politiques du plan Werner, c’est qu’un espace de débat a été créé grâce à lui ». Pour le reste c’est vrai, et là Éric Bussière a raison, on peut relativiser les choses mais cet espace a permis une nouvelle culture en France. La seule nuance que j’apporterais à ce que vous avez dit, c’est que quand on regarde les archives Mitterrand entre 1981 et 1983, on s’aperçoit qu’il faut relativiser aussi le tournant de 1983, du moins, non pas du côté du public, mais du côté des décideurs. Au fond, la grande surprise en 1983 eut été que la France sortît du SME, cela aurait été une discontinuité par rapport à toute la politique, par rapport à tous les conseils que vous donniez vous-même d’ailleurs à partir de juin 1981.
Éric Bussière
2Sur la candeur, je crois qu’il y a quand même plusieurs éléments dans la position française. Bien sûr, on sait que les Allemands ne vont pas mettre beaucoup d’argent sur la table, cependant, malgré tout, à chaque crise – et depuis disons l’été, l’automne 1968 – on a réussi à obtenir quand même un peu plus, par conséquent cela n’a pas été vain.
3Deuxième chose, il n’y a pas tout à fait candeur, en ce sens que les Français réagissent par rapport à une analyse de leur situation politique et sociale. Il y a des risques d’un nouveau 68. D’autre part il y a chez Pompidou – et on le voit très bien dans les dossiers de travail du ministère des Finances en 1969-1970 –, la volonté de garder une marge de manœuvre. Non seulement pour gérer les tensions éventuelles de la société française, mais aussi pour maintenir des taux d’investissement, des programmes d’investissement importants dans le cadre d’une planification à laquelle on croit encore un peu et surtout d’une industrialisation en marche forcée. La France peut rattraper l’Allemagne et on ne veut pas perdre cette possibilité. S’il faut confier à la Commission ou à une instance disons communautaire le soin de faire des arbitrages, on risque de ne pas pouvoir réaliser cet objectif. Est-ce qu’on ne va pas aboutir au fond à une certaine fixité des rapports de force, alors qu’on pense pouvoir rattraper une puissance ? C’est très important. Par conséquent les choses sont encore plus complexes. Il n’y a pas véritablement de candeur, non, ce sont des arbitrages qui sont extrêmement difficiles et qui sont variables.
Pierre Achard
4Je partage tout à fait ce qui vient d’être dit par Éric Bussière. J’ajouterai que les demandes de soutien monétaire ont une base dans le traité de Rome. Je suis, en revanche, en désaccord avec mon camarade Robert Toulemon sur ce qu’il appelle le « chassé croisé » des positions de la France et de l’Allemagne entre 1970 et 1990. Ce chassé-croisé est, en effet, purement apparent. La position est aujourd’hui la même que celle que les Allemands défendaient en 1970.
5Ils voulaient, alors, en préalable, la coordination des politiques économiques parce qu’il n’existait rien sur le plan monétaire. Leur thèse était donc : « Commençons par la coordination des politiques économiques, car si on a des politiques économiques convergentes et bien l’Union monétaire pourra venir en couronnement de l’Union économique ». Pourquoi sont-ils aujourd’hui contre le gouvernement économique ? Parce qu’entre-temps, on a déjà atteint une réelle convergence monétaire, on respecte les critères de Maastricht, et les Allemands redoutent que le gouvernement économique soit une façon de s’affranchir des critères de Maastricht en bridant l’indépendance de la Banque centrale. Ils ont peur que, par la création d’une instance politique, on porte atteinte à l’indépendance de la Banque centrale européenne, et que l’on détruise, à terme, la stabilité de la monnaie. Il y a un chassé-croisé apparent, c’est vrai, plus encore si on se souvient que la France, elle, en 1971, était très réticente à tout ce qui pouvait ressembler à un gouvernement économique pour des raisons institutionnelles et politiques qui ont été bien analysées par les différents intervenants. Aujourd’hui au contraire, la France a abandonné une grande partie de ses réserves institutionnelles et se place à l’avant-garde de l’institutionnalisation des procédures communautaires. C’est un élément de changement, d’autant que les Allemands sont devenus, si j’ose dire moins enthousiastes vis-à-vis du fédéralisme au niveau communautaire qu’ils ne l’ont été dans le passé. Il y a donc certes chassé-croisé sur plusieurs points, mais sur le fond il n’y en a pas car les Allemands défendent toujours la même position – convergence et stabilité –, et c’est plutôt les Français, qui ont progressivement, par leurs propres efforts d’ailleurs, réussi à se mettre en position de pouvoir participer à la monnaie unique, en se ralliant aussi largement aux thèses allemandes.
6Dernière remarque sur ce sujet : les avancées de l’Union monétaire depuis quarante ans ont correspondu exactement aux périodes de croissance économique et de relative stabilité des prix. Le SME est quand même le fruit de la politique amorcée dès 1976 par le gouvernement Barre mais il s’est réalisé en fait par étapes successives, grâce, pour la France, à une politique de compétitivité, de désinflation compétitive et de rupture avec la politique traditionnelle qui liait « industrialisation et commerce extérieur », à la dévalorisation de la monnaie nationale. C’est cela aussi qui a entraîné la confiance de la part de nos partenaires allemands, qui ont compris que la France menait une politique de stabilité compétitive et qu’elle était déterminée à y mettre les moyens nécessaires, avec des succès qui sont aujourd’hui palpables.
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Le rôle des ministères des Finances et de l’Economie dans la construction européenne (1957-1978)
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