Avant-propos
p. 519-521
Texte intégral
1Volonté des hommes, force de l’esprit et vouloir politique sont autant de facteurs déterminants dans la construction de l’État. Conditions indispensables à sa genèse, ils ne sauraient pour autant assurer à eux seuls son succès. Certes l’Etat relève bien, en grande partie, de l’intangible. Il participe avant tout de l’ordre des idées, solidement enraciné qu’il est dans la phénoménologie. La cause est entendue depuis longtemps. Mais il n’est pas moins évident que s’il n’entre guère dans le monde du tangible, sa construction et son fonctionnement requièrent à tous moments de lourds moyens humains et matériels, financiers en particulier. Sans argent, point d’État.
2Les Capétiens le comprirent vite dès que, franchi l’horizon de leur domaine pour en repousser les limites à celles de l’État à venir, ils prirent conscience que leurs seuls revenus domaniaux et les seuls services qu’ils pouvaient demander à leurs vassaux les cantonnaient obligatoirement dans une position de seigneur féodal, fût-elle assortie du titre de roi. Prétendre devenir le souverain d’un Etat en gestation supposait que soient dégagés d’importants revenus qu’un domaine relativement modeste et déjà ponctionné à l’excès ne pouvait apporter. Ce fut donc hors du cadre féodal et des relations qu’il avait jusque-là autorisées que des ressources nouvelles durent être trouvées. À des vassaux qui devenaient progressivement sujets, il fut désormais possible de demander autre chose que de simples services et redevances fondées sur les anciennes relations féodo-vassaliques. Nées d’un contrat que transcende progressivement la notion de sujétion, elles ne justifient plus désormais, ni ne fondent, la participation de chacun aux charges du nouvel État, en particulier l’obligation d’assurer sa défense et de favoriser le développement des services publics que postule sa construction. Pour couvrir de tels besoins, il fallait trouver des ressources nouvelles que les souverains de l’époque féodale n’avaient ni su, ni pu imaginer. Afin de parvenir à ces fins, leurs successeurs mettent en avant, à partir du début du xiiie siècle, des justifications nouvelles propres à fonder la participation de chacun aux charges de l’État. Tant les notions de necessitas publica et d’utilitas publica que celle de defensio regni sont largement invoquées pour légitimer la levée d’un impôt dû par tous et non plus au profit du seul prince mais d’un nouveau bénéficiaire, l’État en gestation. Dans la pratique, les étapes furent longues et semées d’embûches pour passer du principe à sa mise en application et transformer progressivement ce type de prélèvement inhabituel et périodique au début, en impôt d’abord consenti et négocié, avant de devenir permanent et levé d’autorité. C’est dans ce contexte permanent de succès de l’État que s’inscrit L’essor de la fiscalité royale du règne de Philippe le Bel à celui de Philippe VI (Ch. XV).
3Cette lente mais sûre progression d’un véritable impôt d’État apporte des revenus réguliers à ceux qui ont en charge la mise en place de ses structures, de l’argent frais tout aussi utilisable pour assurer la défense du pays et financer le fonctionnement des nouveaux services publics que pour rémunérer leurs multiples agents, principaux bénéficiaires de cette redistribution sans précédent. Dans les rapports souvent faits de tensions et de conflits que le nouvel État noue avec le pays pour mettre sur pied un tel système, les problèmes pratiques à résoudre ne sont pas simples. Aux populations qui doivent s’habituer à voir constamment ponctionner une partie de leurs revenus se pose, à tous les échelons, la question d’une juste répartition de la charge fiscale. Comment prélever au plus juste l’argent du roi ? La réponse n’est pas simple qui met enjeu à la fois l’individu, les groupes, les collectivités et les diverses entités régionales. Face aux privilèges dont chacun prétend bénéficier – notion si fondatrice d’une diversité fiscale dans la France médiévale et si opératoire pour échapper en tout ou en partie à l’impôt –, il convient de trouver d’équitables moyens de répartition de la charge fiscale en vue de collecter l’argent de l’État. Pareille question qui se pose en permanence avec acuité au sein des différents groupes sociaux à l’intérieur des cadres de base que constituent communautés rurales et urbaines, divise toujours très âprement les différentes parties prenantes au niveau de chaque entité territoriale du royaume. Il n’est que de s’interroger, à titre d’exemple, sur La répartition de l’impōt royal en Auvergne sous les règnes de Charles VI et de Charles VII (Ch. XVI) pour avoir conscience claire du problème.
4Qu’il soit destiné à financer les besoins de l’État, des communautés urbaines ou des communautés rurales, l’argent tiré de l’impôt transite à travers de multiples circuits avant d’être affecté aux besoins qu’il est destiné à couvrir et ainsi redistribué à ses nouveaux bénéficiaires. De telles pratiques supposent des techniques et un savoir-faire en matière de maniement et de gestion des deniers publics que ne possèdent que très imparfaitement un État et ses agents constamment en proie à de multiples interrogations et toujours en quête d’informations destinées à leur permettre de progresser en vue de perfectionner un système financier trop souvent encore peu fiable. Tout est alors mis en œuvre pour pallier ces carences et le domaine financier est sans doute un des secteurs dans lequel l’État qui se met en place, à partir des années 1250, a le mieux et le plus rapidement progressé comme l’atteste l’énorme masse des textes normatifs édictés en la matière depuis le règne de saint Louis, comme aussi la remarquable destinée que connaît la Chambre des comptes tout au long des xive et xve siècles. Son action, constamment tendue vers une meilleure utilisation de l’argent public grâce à un contrôle toujours plus strict exercé sur tous les gens de finance, témoigne du souci permanent qu’a eu l’État naissant d’assurer une maîtrise régulatrice et qui se voulait exclusive, des deniers destinés à financer ses besoins. L’État cependant n’est pas seul porteur de ces nouvelles valeurs, de ce souci d’une gestion rigoureuse et d’un contrôle minutieux des ordonnateurs et des comptables. En bien des régions, les villes l’ont parfois précédé sur cette voie et lui ont sans doute soufflé bien des techniques en la matière, comme le laisse à penser Le contrōle des comptes dans les villes auvergnates et vellaves aux xive et xve siècles (Ch. XVII).
5Ainsi, depuis les plus modestes contribuables jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat, L’argent au Moyen Âge (Ch. XVIII) irrigue toujours davantage et toujours mieux l’ensemble des réseaux du politique. Privé, il devient alors public pour constituer un des plus sûrs et des plus efficaces moyens de construction de l’État. Mais pour cela, il fallait que la machine étatique fût assez performante pour parvenir à cerner la structure des patrimoines des contribuables, imaginer puis mettre sur pied tout un système fiscal suffisamment performant qui permît de concilier, dans l’intérêt de tous, juste prélèvement et redistribution équitable.
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Les Chambres des comptes en France aux xive et xve siècles
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