A. Les difficultés méthodologiques de la longue durée

8Il n’existe pas de séries longues homogènes, cohérentes et intégrant tout le xx^e siècle sur les finances de la défense, encore moins sur les dépenses publiques en général. Les séries quantitatives utilisées infra sont citées en annexe en fin de chapitre. Voici un tableau synthétisant les périodes, les champs et les méthodes de calcul de chacune d’elles :

9Chaque méthode est ainsi différente et produit logiquement, dans le détail, des résultats différents. Il est plus pertinent de considérer les montants des dépenses exécutées que les montants inscrits en loi de finances initiale ou en loi de programmation, qui restent des prévisions. Comme le montrent les graphiques qui suivent, en raison de lacunes de sources, les séries utilisées ne sont pas complètes. Les intervalles de dix ans, notamment, ne sont pas toujours respectés. Il ne s’agit pas ici de contextualiser la fabrication de ces données, de détailler les méthodologies employées pour chacune, d’entrer dans la répartition des dépenses entre armées, ou entre investissement et fonctionnement, ou encore de comparer leurs résultats2. Nous cherchons essentiellement ici à distinguer des tendances lourdes et longues, confirmées par plusieurs séries statistiques avec des agrégats Défense et État pourtant différents. Précisons également que les comparaisons internationales sont très difficiles à établir, car le périmètre des dépenses de défense est très variable selon les pays. Même une comparaison France – Royaume-Uni n’est guère éclairante, compte tenu des différences dans les structures respectives des forces. Enfin, s’il est nécessaire, afin de caractériser un xx^e siècle financier, de le mettre en perspective sur deux siècles, il convient néanmoins de rester très prudent avec les comparaisons intertemporelles. En effet, comment comparer l’armée post napoléonienne et l’armée contemporaine, qui dispose de forces nucléaires, sous-marines et aériennes, ou encore une armée de conscrits et l’armée professionnelle d’aujourd’hui ?

B. La comparaison de séries

Graphique 1. Pourcentage des dépenses de défense dans les dépenses totales de l’État 1822‑2020 d’après Edmond-Grangé, l’Insee, André et Delorme, Fontvieille et les lois de règlement

Graphique 2. Pourcentage des dépenses de défense dans le PIB 1818-2021 d’après Fontvieille/Toutain, l’Otan, le Sipri et l’Insee

Graphique 3. Évolution des dépenses de défense 1901-1950 d’après Edmond-Grangé, l’Insee, André et Delorme, Fontvieille et Fontanel

Graphique 4. Évolution des dépenses de défense 1949-2021 d’après le Sipri, Fontanel, l’Insee et l’Otan

Graphique 5. Évolution des dépenses de défense d’après l’Insee 1901-2021

Source : voir en annexe de cette contribution.

10Quelques précisions sur la construction de ces graphiques sont nécessaires. En ce qui concerne les séries de l’Insee, pour les graphiques 1 et 5, nous utilisons les données de l’annuaire rétrospectif publié en 1966 pour 1866-1937 et 1946-1964, l’annuaire rétrospectif publié en 1988 pour 1948-1988 et les comptes nationaux pour 1995-2021 (le compte 3.301 Dépenses des administrations publiques ventilées et le compte 3.201 Dépenses et recettes des administrations publiques). À noter que les agrégats Défense des comptes rétrospectifs (1966 et 1988) ne correspondent ni entre eux ni aux agrégats des comptes nationaux annuels postérieurs. Les graphiques 2 et 4 utilisent l’annuaire rétrospectif de 1988 et les comptes nationaux ensuite. Pour le graphique 4, nous avons repris les données de l’annuaire rétrospectif de 1988 et, pour 1995-2021, le total des dépenses de la fonction (Cofog) Défense en base 2014, en euros 2015 (car le dernier coefficient de transformation disponible est en base 2015). Le graphique 3 utilise uniquement la série rétrospective Insee, parue en 1966. En ce qui concerne les données du Sipri, l’Institut de Stockholm a révisé en 2019 ses séries (pour 1949 à nos jours) pour y inclure les dépenses de gendarmerie. Or ces nouvelles données en francs courants pour 1949-1991 (graphique 4) laissent perplexes, comparées aux autres. Et elles ne sont pas cohérentes avec les données du Sipri en pourcentages du PIB pour la même période, elles aussi revues en 2019 (graphique 2). Dans une ancienne série du Sipri (de 2008), les données 1949-2000 pour la France étaient rigoureusement identiques à celles de l’Otan. Par ailleurs, pour les graphiques 1 et 2, nous avons choisi des années finissant par 2 et par 8 (avec 1920 et non pas 1918). Ce choix permet de mieux distinguer les tendances longues en occultant les « bosses » des dépenses des guerres mondiales tout en laissant apparaître les phases de réarmement et de dividendes de la paix.

11Enfin, deux éléments frappants du graphique 4 sont à expliquer. D’abord, le bond constaté entre 1951 et 1953 correspond au passage d’un service national de 12 mois à 18 mois, mais également au versement des aides américaines liées à la poursuite de la guerre d’Indochine et au début de la guerre de Corée (voir infra). Ensuite, la chute en 2009 de la courbe de l’Otan correspond à un double changement de méthode de calcul : l’Otan a exclu la gendarmerie de ses séries de dépenses en 2004 et la France a changé d’architecture budgétaire à compter de la loi de finances initiale pour 2006 (conformément à la loi organique sur les lois de finances de 2001). Les chiffres révisés des dépenses réellement exécutées, fournis par la France à l’Otan, apparaissent à partir de 2009 dans la série.

C. Des résultats contradictoires

12Sur les deux siècles, la tendance globale est à une nette baisse des dépenses de défense dans le budget de l’État (graphique 1), qui lui-même toutefois, rappelons-le, s’accroît fortement en volume : on serait passé d’un maximum déterminé par Fontvieille pour 1832 de 42 % à une part de 6,2 % en 2020 si l’on suit l’Insee ou à près de 13 % d’après les lois de règlement. On constate en outre, toujours à la lecture du graphique 1, une décroissance forte et continue du pourcentage des dépenses de défense dans les dépenses de l’État durant les cinquante dernières années du xx^e siècle. Cette baisse est corrélée à l’accroissement des champs d’intervention civile de l’État, et donc de ses dépenses globales. Premier des postes budgétaires de l’État, la Défense s’est vue dépassée au milieu des années 1970 par l’Éducation nationale : c’est la marque des sociétés développées bénéficiant d’une certaine sécurité. Par rapport au PIB (graphique 2), les dépenses de défense restent à un niveau historiquement bas : autour de 2 % depuis les années 2000, pourcentage inédit depuis les années 1870.

13Pour le premier xx^e siècle, sur la période 1901-1950 (graphique 3), en excluant les deux guerres mondiales avec, à chaque fois, la phase de réarmement en amont et la décroissance en quelques années après les conflits, le niveau de dépenses militaires (en temps de paix donc) fluctue entre 3 et 8 milliards (en euros constants de 2015). Pour le second xx^e siècle, toujours en euros constants, entre 1949 et 2021 (graphique 4), les dépenses de défense d’après la série longue de l’Otan – mais celle de l’Insee donne le même ordre de grandeur – ont été multipliées par près de 10, alors que le PIB était multiplié sur la même période par près de 190 (13,2 à 2 501 milliards d’euros, données Insee). C’est cette décorrélation des taux de croissance qui explique la baisse, puis la faible part à la fois des dépenses de défense dans les dépenses de l’État (autour de 10 % depuis la fin de la guerre froide) et dans le PIB. Le graphique 4 permet de visualiser six séquences distinctes : le réarmement après-guerre, qui s’interrompt avec la fin de la Quatrième République ; la lente croissance des dépenses militaires au début de la Cinquième République, élan ralenti brièvement par la crise de 1973-1974 ; puis une accélération des dépenses (par rapport à 1958-1973) sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing en 1975-1979 ; un plateau (1987-1991) atteint dès avant la fin de la guerre froide ; une baisse d’une ampleur rare durant la décennie 1990 ; suivie d’une reprise à partir de 2001 de la croissance des dépenses de défense à un rythme très rapide (le plus fort du second xx^e siècle). La hausse constante des dépenses militaires de la Chine depuis le milieu des années 1990, la seconde intervention de l’Otan en ex-Yougoslavie en 1999, l’élection de Vladimir Poutine comme président en 2000, les attentats du 11 septembre 2001, mais surtout la professionnalisation des armées françaises (effective en 2001) expliquent cette reprise de 2001. La hausse des dépenses militaires est un phénomène mondial depuis les années 2000. En France, cette hausse, en euros constants, s’accélère à partir de 2015 (Insee), 2016 (Sipri) ou 2017 (Otan) jusqu’à nos jours (2024).

14Si l’on observe les points hauts et les points bas du xx^e siècle dans ces graphiques, il apparaît des césures différentes. En pourcentages des dépenses de l’État, le point haut se situe sans doute en 1917-1919, puis en 1951-1952, le point bas dans les années 2000. En pourcentages du PIB, la période de réarmement 1936-1939, pendant une dépression économique, voit la charge la plus importante sur la richesse nationale. Les années 2000 sont celles où le poids de la défense dans le PIB est le plus faible au xx^e siècle, mais également depuis la Restauration. En euros constants, pour la seconde partie du siècle, le point bas se situe en 1949. À partir de cette année, les dépenses de défense, pondérées par l’indice des prix, ne cessent de croître. En euros constants, les dépenses de défense sont aujourd’hui à un niveau inégalé dans l’histoire. On peut considérer, en conséquence, que les armées sont soit bien traitées (en euros constants), soit mal traitées (en pourcentages du PIB ou du budget de l’État).

15Le ratio du budget de l’État implique des comparaisons avec les ministères civils. Le ratio du PIB permet, lui, de se comparer (avec prudence) aux États étrangers et de mesurer l’effort national en faveur de la défense. Il faut cependant remarquer que la valeur des points de PIB varie d’un pays à l’autre. Un pays riche peut ainsi dépenser plus qu’un pays plus pauvre, mais avoir un ratio du PIB inférieur. De même, dans le temps et pour un même pays, un point de PIB de 1990 ne vaut pas un point de PIB de 2000, par exemple. Les montants en euros constants permettent de comparer les dépenses de défense dans le temps.

16Enfin, en termes de taux de croissance des dépenses (en euros constants), on distingue, sur la durée du siècle (graphique 5) et en écartant les périodes des deux guerres mondiales, trois séquences : croissance modérée de 1905 à 1973, puis une accélération entre 1975 et 1989, enfin une très forte hausse à compter de 2001 jusqu’à nos jours. Les dividendes de la paix ne sont distribués que durant des périodes brèves : 1919-1922, 1945-1950 (aucun en 1962 et suivantes), 1990‑2001.

17Les différents prismes de cette (rapide) analyse quantitative peuvent conduire à des interprétations contradictoires de l’évolution des dépenses de défense. Seule une analyse combinée des trois approches évoquées (conflictualité, volumes et modalités de financement) permet de définir une périodisation éclairante du xx^e siècle militaire vu sous l’angle financier. Il est ainsi possible de distinguer deux phases principales. La première commence en 1905 et s’achève autour de 1960. La seconde s’étend du début des années 1960 au début des années 2000.

A. Les financements et les coûts des guerres

19Pour la guerre de 1870-1871, les républicains privilégient le recours à l’emprunt, car une hausse de la fiscalité risque d’aliéner les électeurs, à l’image de l’instauration de l’impôt des 45 centimes par les républicains en 1848. Plus tard, les conquêtes coloniales sont financées par les budgets des Armées et des Colonies. Leur coût est régulièrement critiqué au Parlement.

20Il est certain qu’une guerre coûte non seulement pendant, mais également avant et après le conflit. Le réarmement substantiel débute avec le regain de tensions internationales lors de la première crise marocaine de 1905. Les innovations en matière d’armement, notables par rapport à 1870-1871 (fusil, mitrailleuse, artillerie, navire à coque d’acier…), renchérissent également les coûts d’équipement des armées. L’extension du service militaire en 1905, puis l’allongement de la durée du service militaire à trois ans (juillet 1913) pèsent également sur les finances.

21La Grande Guerre, comme celles avant elle, est financée avec ce qu’il est possible de mobiliser sur le moment. Trois voies sont explorées, séparément ou ensemble : l’impôt, l’emprunt et la création monétaire. Le premier conflit mondial est financé en France par des impôts directs et indirects, et surtout par l’emprunt (aux trois quarts)3. La Russie bolchevique renonce à rembourser ses créanciers extérieurs, au premier rang desquels figurent des épargnants français. La Première Guerre mondiale bouleverse profondément les finances publiques du pays et ruine les espoirs d’une orthodoxie financière4. Le coût (direct et indirect) de cette guerre – et de la plupart des autres – reste très difficile à évaluer.

22Les années 1920 et 1930 subissent le contrecoup de la Première Guerre mondiale. Les années 1920 sont marquées par l’instabilité monétaire (jusqu’au franc Poincaré de juin 1928), conjuguée à une inflation des prix, ce qui provoque indirectement une réduction des dépenses militaires. La France compte longtemps sur le paiement des réparations de guerre prévues par le Traité de Versailles pour redresser sa situation financière. La conférence de Lausanne de 1932 décide de la fin internationale du paiement des réparations. Sur les 132 milliards de marks-or de réparations calculées et imposées en 1921 à l’Allemagne, cette dernière en a alors payé près de 30, dont près de 10 à la France.

23Parallèlement, la France est touchée par la crise américaine de 1929 à partir de fin 1931, ce qui gêne son réarmement. En outre, les nombreux changements de Gouvernement nuisent à la continuité et à la cohérence de la modernisation des armées. Trois crises, politique, économique et militaire (avec l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en 1933 le risque d’un conflit grandit), sont alors concomitantes et liées. Dans l’entre-deux-guerres, les désormais trois armées (de Terre, la Marine et de l’Air) bénéficient de plusieurs plans votés par le Parlement, qui ne sont pas conduits à leur terme ou qui connaissent des modifications majeures durant leur exécution. Le Front populaire en 1936 prévoit, avec un budget extraordinaire qui change plusieurs fois de nom, un réarmement coordonné entre les trois armées et un effort financier massif pour 1937-19405, poursuivi par les Gouvernements suivants. Corrélativement, la loi du 11 août 1936 nationalise des industries militaires, principalement aéronautiques. Ces nationalisations coûtent aux finances publiques. Plusieurs autres mesures favorisent la production d’armements. Le décret du 27 août 1937 accorde des bonifications d’intérêts en faveur de la création d’outillages. Le décret du 20 mars 1939 donne aux entreprises titulaires des marchés intéressant la défense nationale la possibilité d’obtenir des avances remboursables portant intérêts à 5 %, et un décret du même jour permet au ministre de la Défense nationale de donner priorité aux fabrications de guerre.

24Pour le conflit de 1939-1940, la mobilisation financière est rapide et efficace, tirant les leçons de 19146, mais n’empêche pas le recours à des avances de la Banque de France de mai à août 1940. Cependant, la Drôle de guerre, puis la (courte) campagne de France, ne coûtent pas (très) cher au pays. C’est la défaite et l’Occupation qui s’en suivent qui vont lui coûter très cher – avec, toutefois, une chute des dépenses militaires due à la défaite – : les prélèvements économiques, financiers (lesdites « dépenses d’occupation ») et de main-d’œuvre au profit de l’Allemagne nazie correspondent à près de l’équivalent de la moitié du revenu national entre juillet 1940 et août 19447.

25Après-guerre, les finances publiques françaises ne peuvent faire face à la fois à un rééquipement de l’armée et à un conflit en Indochine. Les aides américaines soutiennent les dépenses de défense françaises8. Elles sont significatives sous leurs différentes formes : prêt-bail (1943-1945), prêt bancaire de l’Eximbank de 1945, accords Blum-Byrnes de 1946, prêt de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement en 1947, European Recovery Program ou aide Marshall en 1948-1951. Le Pacte de Bruxelles (17 mars 1948) implique une aide militaire gratuite des États-Unis. Elle se traduit par le programme d’assistance militaire (Pam), commencé en 1949, qui passe de 1 à 4 milliards de francs après le début de la guerre de Corée (juin 1950). Le Pam rembourse le montant des importations pour le réarmement. Le Pacte atlantique du 4 avril 1949 entraîne le vote de la loi « d’assistance pour la défense mutuelle » (Mutual Defense Assistance Act-MDAA) du 6 octobre 1949. L’Economic Cooperation Administration américaine (ECA) est remplacée par la Mutual Security Agency (MSA), qui gère à la fois les questions militaires et les questions civiles. Cette organisation répartit une aide militaire à l’Europe de 4,8 à 5 milliards de dollars et une aide économique d’un milliard de dollars, qui s’arrête au 1^er juillet 1952. L’ECA a mis fin au plan Marshall et remplaçait le MDAA de 1949-19519. À la conférence de Lisbonne de février 1952, la Lisbon Special and Item Aid permet des achats militaires spécialement destinés à être utilisés en Indochine. À partir de 1952, sont mis en place les Offshore Procurements (OSP). Ils sont de trois types : les offshores budgétaires, par lesquels les États-Unis financent directement des programmes inscrits au budget des Armées ; les offshores complémentaires, qui visent de nouveaux équipements hors budget ; les offshores commerciaux qui prévoient, après un appel d’offres international, d’attribuer un programme de fabrication d’un matériel à un des membres de l’Otan, financé par les États-Unis et à livrer à un autre membre de l’Alliance10. La France est la première bénéficiaire des OSP en Europe, dans un contexte de réarmement généralisé des pays de l’Otan. Le Special Defense Financing installe dans les années 1953-1954 une prise en charge directe par les États-Unis d’une grande partie des dépenses de guerre. Selon l’historien Gérard Bossuat, les États-Unis auraient financé au total près du tiers du coût de la guerre coloniale française en Extrême-Orient11. Les matériels et les crédits américains permettent également de lancer des plans ambitieux de réarmement pour l’aéronautique (1950-1958) et l’équipement des forces terrestres (1951-1953). Les dépenses de la guerre d’Indochine sont à partir de 1951 principalement comptabilisées dans un fond de défense nationale créé par la loi de 8 janvier 1951, à l’instar des comptes spéciaux et des budgets extraordinaires déjà utilisés dans le passé. D’autres dépenses de la guerre d’Indochine figurent au budget de la Défense nationale, d’autres encore au budget des États associés. Les dépenses de guerre impliquent à la fois des impôts extraordinaires, des emprunts, mais également des économies sur les dépenses civiles12. C’est aussi le cas durant (1956) les « évènements » d’Algérie. L’historien Hugues Tertrais évalue à 10 % des dépenses de l’État entre 1945 et 1954 le coût du conflit indochinois13. La gestion financière serrée du conflit, les aides américaines à partir de 1950, puis la dévaluation de la piastre en 1953 ont cependant permis de contenir ce coût. Il n’en demeure pas moins que l’Indochine est une guerre que la France ne peut se payer à ce moment. Le travail d’H. Tertrais montre qu’une des principales causes de la défaite de 1954 réside dans les difficultés du financement de cette guerre.

26Enfin, plus généralement, en cas de conflit, l’État, depuis la Révolution française, mais surtout lors des deux guerres mondiales, assure des indemnités aux victimes. Aux coûts de la guerre d’Algérie s’ajoute ainsi le coût du rapatriement des nationaux d’Algérie (et d’autres ex-colonies) à partir de 1962 (aides d’urgence, indemnisations, aides économiques diverses et effacement de dettes, prise en charge des anciens combattants)14. Le coût total de ces mesures est très délicat à évaluer.

B. Un financement ordinaire irrégulier

27En parallèle de ces financements extraordinaires des guerres, le financement « ordinaire » de la défense passe par un assortiment baroque de budgets et de comptes. Les activités des militaires n’apparaissent pas en effet uniquement dans le budget ordinaire de l’État. Nombre d’autres supports budgétaires contiennent des dépenses militaires : les services spéciaux du Trésor, puis les comptes spéciaux et de commerce, les budgets extraordinaires, les budgets annexes et les comptes de commerce.

28Les comptes spéciaux découlent soit d’une guerre ou d’une opération militaire, soit de la préparation de la défense du pays15. Outre les textes programmatiques, divers comptes spéciaux servent à des financements militaires de moyen terme16. Ils sont financés par l’emprunt, des ressources affectées ou des ressources de trésorerie aléatoires. À nouveau multipliés à partir de 193417, les comptes spéciaux sont réunis en 1936 en un budget extraordinaire, mais la pratique perdure, et on en dénombre plus de 300 en 1946, près de 400 en 1947, encore 82 en 1959 et 63 en 1978, dont beaucoup concernent la défense18. Les comptes spéciaux du Trésor couvrent des dépenses sur plusieurs exercices et le Parlement intervient peu dans leur gestion. Pratiques du xix^e siècle qui perdurent au xx^e siècle, des budgets sur ressources extraordinaires, financés par l’impôt ou l’emprunt, financent la guerre ou la soldent. Ces budgets extraordinaires mais pérennes, sont votés annuellement par le Parlement et servent à des dépenses militaires du temps de paix. Par ailleurs, depuis la Troisième République, des crédits additionnels, extraordinaires et supplémentaires sont monnaie courante pour financer (théoriquement uniquement) les dépenses nouvelles, urgentes et imprévues des armées.

29Des lois de programmation d’armement se succèdent dès la fin du xix^e siècle19. Les lois navales de 1900 et 1912 innovent avec un montant prévisionnel de crédits sur plusieurs années et la possibilité de reports de crédits. Le premier conflit mondial renforce « l’administration » de l’industrie d’armement, qui passe notamment par une planification et une répartition concertée des productions. La loi dite de tranches de 1922 constitue un nouveau type d’échéancier pluriannuel, utile en particulier pour l’armement naval durant les années 1930. Les tranches de crédits et les autorisations d’engagement (qui apparaissent en 1926) doivent cependant être votées annuellement par le Parlement. Outre la Marine, l’armée de Terre, les fortifications, la défense antiaérienne et l’aviation bénéficient du financement par tranche.

30Le décret-loi du 21 avril 1939 consacre la pratique des budgets militaires pluriannuels avec la création de « crédits de programme », qui engagent, pour la première fois, les finances publiques sur plusieurs années (aussi longtemps qu’ils sont nécessaires). Cependant, si ce procédé est plein d’avenir (ce décret-loi est repris dans une loi du 30 mars 1947), il arrive très tardivement lors du réarmement d’avant-guerre, et, après-guerre, sa mise en œuvre est obérée par les directions du Budget et du Mouvement général des Fonds, toujours réticentes à s’engager pour l’avenir à moyen terme.

31En partie à cause de ces nombreux modes de financement, le bilan du réarmement des années 1930 est contrasté. Les dépenses des fortifications pénalisent le réarmement de l’armée de campagne, dont la modernisation commence trop tardivement, à partir de 1937. Les programmes d’armement terrestre sont, quant à eux, très inégalement suivis. En outre, la Marine et l’armée de l’Air (plans Pierre Cot et Guy La Chambre) ont la priorité des dépensiers, même si leur échéancier respectif fait l’objet de nombreux ajustements en cours d’exécution. Les difficultés de la conjoncture économique ainsi que les grèves et la réduction du temps de travail ajoutées aux réductions budgétaires récurrentes et aux réticences persistantes envers la pluriannualité du ministère des Finances et du Parlement freinent les velléités ambitieuses de modernisation dans les années 1930 (notamment lors des quatre gouvernements Blum et Daladier en 1936-1940). Le contemporain Pierre Hoff, contrôleur général des Armées, énumère d’autres causes de l’échec des programmes de cette période :

« l’existence trop récente d’une direction des Fabrications d’armement qui, à peine créée [1933], insuffisamment structurée, trop chichement dotée en personnels d’encadrement et en techniciens, a eu à faire face à un travail considérable ; la faiblesse ou le retard des études, elles-mêmes conditionnées par le manque d’adaptation à ces problèmes complexes de la part du commandement et par l’émiettement des matériels entre différentes armes ; un formalisme administratif et financier désuet et inadapté à l’ampleur des problèmes ainsi que des crédits arrivant trop tardivement ou au compte‑gouttes20. »

32Le plus grave pour lui provient de l’absence d’une stratégie militaire d’ensemble cohérente. Les plans de réarmement restent également contraints, d’abord par un sous-investissement des industriels privés et publics de l’armement, ensuite par une lutte contre l’inflation qui empêche la hausse des crédits militaires et, enfin, par les capacités d’épargne des Français et d’emprunt de l’État. En outre, dans toutes ces procédures de financement, le Parlement n’est jamais obligé de voter annuellement les tranches, ce qui hypothèque leur réalisation. Les différentes velléités planificatrices des années 1930 restent donc le plus souvent inabouties. L’état des finances publiques ne permet un réarmement des trois armées ensemble qu’à la condition de faire le choix de la priorité des canons sur le beurre, ce que seul le Front populaire ose, on le sait. Un autre choix décisif pour l’avenir est celui d’une stratégie militaire consensuelle et fixe sur le moyen terme, or les hésitations de la politique étrangère entraînent les palinodies des états‑majors.

33Il faut enfin évoquer les comptes de commerce de la défense. Le premier de ces comptes (Subsistances militaires) est créé par la loi du 26 août 1943. Le budget annexe de l’armement instauré en 1947 pour regrouper des dépenses éparses est remplacé en 1953 par deux comptes de commerce. La Défense gère la majorité, en nombre et en valeur, des comptes de commerce de l’État. Ces derniers se sont fortement développés durant le second xx^e siècle, jusque dans les années 1990. Les sommes en question peuvent représenter jusqu’à un quart de son « budget », ainsi « débudgétisé »21. Il n’en subsiste que trois actuellement.

A. Le prix de la dissuasion

40À partir de l’essai réussi de bombe A en février 1960, les Gouvernements gaullistes font voter trois lois de programme (1960-1964, 1965-1970, 1970-1974) pour financer en priorité les moyens de la dissuasion du faible au fort27. Les deuxième et troisième lois de programme contiennent cependant de plus en plus de programmes d’armements conventionnels. Après la vision stratégique interarmées de 1936-1937 et après l’élaboration d’un plan interarmées de développement des équipements fin 1954 resté sans effet, il faut attendre 1965 pour voir une loi de programme réunir des projets d’armements destinés à différentes armées. La volonté indéfectible de Charles de Gaulle et la continuité de la politique de défense des débuts de la Cinquième République favorisent la rapide production des armes nucléaires et concrétisent une véritable révolution stratégique. Cependant, la nucléarisation – tout comme, dans un autre contexte, la professionnalisation des armées décidée en 1995 – résulte pour partie d’un souci d’économies. Elle est réalisée au prix d’un vieillissement des matériels conventionnels non remplacés et d’une réduction des effectifs terriens et du tonnage de la Marine. Les dommages collatéraux de la nucléarisation des armées sont considérables, à la fois matériels, financiers et moraux.

41Le nucléaire militaire a coûté plus cher aux armées qu’au pays. Le coût d’une force nucléaire française est estimé dès 1952. Le nucléaire militaire est d’abord financé par des protocoles secrets civils-militaires en 1955-1956. Une estimation basse, pour la période 1952-1973, et sans inclure l’usine de Marcoule (centre de recherches et de production de plutonium du Commissariat à l’énergie atomique-CEA qui sert aux développements nucléaires militaires), totalise 120 milliards de francs courants. Pour la période plus restreinte et plus décisive 1960-1970, en crédits de paiement dépensés, la somme consacrée au nucléaire militaire avoisine les 41 milliards de francs courants, ce qui représente entre 14 % et 18 % du budget de la défense pour la période – ce qui est moins qu’estimé à l’époque –, et 3,6 % des dépenses de l’État si l’on utilise les estimations du budget de l’État de Jacques Fontanel (1 127 milliards de francs courants pour 1960-197028). Ce chiffre ne comprend ni les coûts du programme nucléaire avant 1960, ni les coûts supportés par le CEA pour les études et développements, ni les crédits de paiement définitifs de l’année 1970, ni les coûts des années 1971-1974 durant lesquelles les dernières productions nucléaires militaires sont finalisées.

42Durant cette phase de financement de la nucléarisation, deux évènements notables engendrent des dépenses supplémentaires pour les armées. L’indépendance de l’Algérie tout d’abord qui, si elle fait baisser les effectifs militaires, entraîne également le développement de nouvelles structures d’essais nucléaires dans le Pacifique. La sortie de la France du commandement intégré de l’Otan en 1966, ensuite, retire aux Français les missiles tactiques américains (sol-sol Honest John et sol-air Nike Hercules) et entraîne la production d’armes nucléaires tactiques françaises, qui sont à financer à l’intérieur de l’enveloppe définie en 1964.

43Pour les présidences de Gaulle et Pompidou, il est possible de montrer à la fois que les Armées sont bien traitées (en autorisations de programme, prévues en lois de programme), sont raisonnables (en crédits de paiement effectivement dépensés) ou sont mal traitées (si on confronte la progression de leurs crédits avec celle des crédits des ministères civils)29.

44En parallèle de cette politique suivie de nucléarisation et après la réalisation des instruments de la force de frappe, le soutien à l’industrie nationale de défense est constant de la part des Gouvernements sous la Cinquième République. Ce soutien s’accompagne de reconfigurations industrielles aboutissant à des concentrations géographiques et à des fusions d’entreprises. L’industrie d’armement française vit longtemps des finances publiques, mais elle devient également concurrentielle et exportatrice. Les armées françaises (et les Opex) constituent des vitrines de présentation des savoir-faire et des matériels français. Le choix de la dissuasion et celui de maintenir un ensemble de forces complet, apte à la défense du territoire métropolitain et d’outre-mer comme à des opérations projetées, coûte nécessairement cher en deniers publics, mais cette démonstration de force et de matériels performants favorise les exportations d’équipements, qui rapportent des devises, font vivre des salariés et produisent des rentrées fiscales et de la richesse nationale. Lorsque l’on mesure le poids de la défense dans les dépenses publiques ou dans le PIB, il convient de ne pas oublier ce cycle de refinancement. Les dépenses militaires ne sont pas improductives et contribuent à la sécurité et à la souveraineté nationales, qui stratégiquement n’ont pas de prix. En outre, la France connaît peut-être un coût de défense élevé comparativement à ses voisins européens, mais elle en retire des bénéfices dans les domaines financier et économique et en termes diplomatiques et d’influence mondiale. Enfin, les motif et moteur principaux de la dynamique de dépenses militaires et de la nucléarisation sont sans doute de lutter contre la hantise du déclin, prégnante chez les Français du xx^e siècle30 et réactivée tragiquement en juin 1940.

B. Les contraintes des dépenses de défense et les réformes de gestion

45Les militaires réclament constamment de la souplesse dans l’utilisation des crédits qui leur sont affectés. Critiquées du point de vue de l’orthodoxie comptable, les traites de Marine, les avances consulaires et les dépenses à bon compte (les dépenses de solde et de prestations familiales, les dépenses d’alimentation, les frais de changement de résidence et de déplacements temporaires, les masses militaires) permettent cette souplesse dans l’utilisation des crédits au profit des corps de troupe et des unités assimilées. À partir de 1960, à l’heure de la dissuasion et de la programmation, en temps de paix, de croissance ou de difficultés économiques, les finances de la défense vivent une ère de contraintes multiples à la fois conjoncturelles et structurelles.

46Au rang des contraintes conjoncturelles figurent les difficultés macroéconomiques (inflation, récession, crises boursières, bancaires, monétaires) entraînant des crises des finances publiques, qui conduisent souvent à revoir en particulier les dotations militaires (annuelles ou programmées) et parfois à des faillites dans l’industrie d’armement. Une hausse soudaine des matières premières essentielles (par exemple le pétrole à partir de 1973) augmente, elle, les coûts de fonctionnement, puis d’équipement des armées. Ainsi, la loi de programme 1970-1975 est stoppée de fait en 1973. Les armées subissent en outre les conséquences des alternances politiques : des lois de programmation sont arrêtées en 1987 et 1995 pour cette raison. Le rythme et le montant des dépenses d’armement reflètent également en partie les aléas de la recherche et développement, en partie des évènements nationaux ou internationaux imprévus, et en totalité les contraintes budgétaires annuelles diverses. L’examen année après année du financement des programmes révèle les contradictions au sein de l’État entre l’exécutif, le Parlement, les Armées et les Finances. Ces dernières gênent annuellement la réalisation des programmations par des crédits de paiement insuffisants, des annulations de crédits fréquentes, des coups de rabot et des gels annuels, ou encore des crédits non reportés à l’année suivante. Ces mesures d’économie ou de freinage conduisent à l’étalement des livraisons, à des réductions des quantités commandées, à des renoncements technologiques ou à l’abandon de programmes de recherche. L’exécutif, suivi le plus souvent par le Parlement, peut utiliser les crédits de défense comme une variable d’ajustement budgétaire, renonçant ainsi aux prévisions votées, parfois même peu de temps auparavant. Des reports techniques peuvent en outre survenir ainsi que des commandes supplémentaires de matériels ou encore le démarrage ou l’arrêt de coopérations internationales. Par ailleurs, l’image de l’armée dans l’opinion influe sur le recrutement militaire. Or la difficulté à recruter a un coût (campagnes de communication, attractivité des conditions de travail). Enfin, imposées dans un contexte économique déjà difficile, les nouvelles contraintes européennes sur les dépenses publiques détruisent la loi de programmation militaire en 1993-1994. La question d’exclure les dépenses militaires des comptes nationaux (à fournir à la Commission européenne) fait toujours débat, car la France est un des seuls pays européens – le seul depuis le Brexit – à supporter le coût d’un système d’armes nucléaires, conjuguée à une force de projection et de nombreuses bases outremer.

47Les finances de la défense sont également mises sous tension par des contraintes structurelles. Pour commencer, les Plans civils, à leur époque, ne prennent pas en compte les besoins des militaires. Dans la comptabilité nationale, les dépenses militaires d’investissement sont comprises dans les consommations. La sous-estimation de l’inflation civile et surtout celle des matériels militaires restent un paramètre récurrent et très pénalisant pour les Armées. Les planifications militaires et civiles ne sont en outre ni coordonnées ni concertées31.

48Hormis une incompréhension persistante entre civils et militaires, et mises à part les tensions Armées-Finances, des logiques opposées s’affrontent au sein même du ministère des Armées : une logique de gestion comptable prévisionnelle (direction des Services financiers, division Plans-Programmes de l’État-major des armées, cabinet), une logique stratégique (État-major des armées), une logique de moyens (les états-majors), une logique industrielle (DMA) et, un temps (1964-1974), une logique de l’efficacité (système de planification-programmation-préparation du budget-3PB) appuyée sur des évaluations chiffrées (Centre de prospective et d’évaluations, Comité directeur du plan)32.

49Produit de rapports de force, le processus de préparation et d’exécution de la programmation demeure très heurté. Les lois de programme constituent un compromis entre la nécessité pour les militaires de prévoir à long terme la production d’armements (et depuis 1976, les dépenses de fonctionnement) et le besoin de contrôle du rythme de la dépense militaire par les Finances. Elles tentent de satisfaire d’autres nécessités, parfois contradictoires : le maintien d’un équilibre entre les différentes armées, des questions de prestige (de rang à tenir ou à regagner) et des considérations industrielles et sociales. Des éléments diplomatiques entrent également en jeu. Ainsi, des programmes d’armements internationaux au sein de l’Otan ou en collaboration avec des pays européens priment les programmes d’armement nationaux.

50Par ailleurs, les trois premières lois de programme militaires sont rédigées par approximations successives à partir de projections économico-financières différentes. Elles résultent de bricolages méthodologiques. Malgré leur récurrence, les programmations militaires ne sont pas normées et chaque exercice est différemment préparé et présenté (durée, périmètre – les dépenses d’équipement avec ou sans les dépenses de fonctionnement –, objectifs financiers ou physiques, degré de précisions chiffrées – crédits de paiement, pourcentages du PIB –, échéancier détaillé ou pas, plafond de dépenses). Cette programmation constitue un outil de prévision et de gestion décevant. Les lois de programme, puis de programmation ne sont jamais juridiquement contraignantes. L’annualité des dépenses est intangible ; la programmation ne l’est pas. Par exemple, à peine votée, la quatrième loi de programmation (1977-1982) est bouleversée par le lancement du programme du missile air-sol à moyenne portée, la reprise du projet d’avion de transport Transall ou encore la maquette 200033 pour la Marine. Remplaçant le plan bleu 1972-1985, cette dernière est décidée en 1978 – mais non votée – et prévoit notamment un sixième sous-marin nucléaire lanceur d’engins. À cela s’ajoute en septembre 1980 la décision de construire deux porte-avions à propulsion nucléaire. Autre exemple, en 1996, la loi de programmation militaire 1995-2000 est remplacée par une loi de programmation militaire 1997-2002 qui doit commencer la réalisation du modèle d’armée 2015, impliquant en particulier la professionnalisation des armées, des réductions d’effectifs, la disparition de la composante terrestre de la force nucléaire stratégique ainsi que des reconfigurations industrielles.

51À ces problèmes structurels, s’ajoute, depuis les années 1960, un processus de lente « civilisation » des mécanismes financiers jusqu’alors propres à la défense34. Il s’agit d’une réduction des particularismes financiers et d’une normalisation par rapport aux dépenses civiles, qui se traduit par de nombreuses réformes financières, comptables et de gestion. Citons par exemple : la création de la DMA en 1961, qui regroupe les directions techniques des armées ; la réforme inaboutie du 3PB ; une forme de déconcentration financière qui offre, au niveau des chefs de corps, une autonomie partielle de gestion, avec en 1970 les budgets de fonctionnement et en 1972 les budgets de gestion ; la généralisation de la comptabilité analytique industrielle et la réalisation des comptes satellites de la défense (plus détaillés que la comptabilité nationale) ; l’informatisation du ministère – la Défense est souvent précurseur dans ce domaine avec cependant des loupés comme le logiciel Louvois de traitement des soldes35 – ; le développement des contrôles financiers ; les reconfigurations des implantations et de l’industrie de défense… Néanmoins, aucune de ces réformes ne supprime entièrement les contraintes conjoncturelles et structurelles évoquées.