1Ce second tome poursuit la mise en perspective historique du système des finances publiques françaises sur le xx^e siècle et complète les réponses apportées dans le premier aux trois questions initiales : existe-t-il un xx^e siècle financier ? Jusqu’à quel point l’État conserve-t-il la maîtrise de ses finances, ou bien jusqu’où l’état des finances pèse-t-il sur les destinées de l’État ? Comment définir les interrelations entre les finances publiques, la société, la politique et l’économie ? On y maintient également l’approche interdisciplinaire, indispensable pour une matière telle que les finances publiques, réunissant pour l’occasion historiens, économistes et juriste. Ces contributions, liées par leur objectif commun de dégager des dynamiques caractérisées par des constantes et des moments de rupture, diffèrent cependant par leur empan chronologique. À l’instar de la méthode appliquée dans le premier tome, chaque auteur fixe au xx^e siècle ainsi retenu des bornes chronologiques spécifiques à son domaine d’études. Ces angles d’analyse, variés et complémentaires, peuvent remettre en question en particulier les découpages chronologiques standards comme la pertinence des chrononymes convenus, en nous faisant entrevoir un xx^e siècle sous un jour nouveau.

2Sans reproduire ici les mises en garde méthodologiques et historiographiques du volume précédent, rappelons quelques-unes des limites de l’ouvrage. En raison de lacunes historiographiques, de l’absence de spécialistes, du manque de séries chiffrées sur la longue durée ou des aléas de la recherche, plusieurs aspects du système financier public n’ont pas pu être étudiés ici. Alors que la plupart des contributions se focalisent sur les dépenses, son pendant – la question des recettes et de la fiscalité – reste essentiel, mais n’a pu être traité dans sa globalité. L’administration des Finances n’est pas non plus présentée sur la longue durée dans ses différentes strates et dans l’optique d’une explication des évolutions du processus budgétaire et de la coproduction des chiffres des finances publiques. Des acteurs sur l’ensemble du xx^e siècle (tels ceux de la direction du Budget, malgré un travail antérieur1) restent pour partie dans l’ombre, même si l’une des études porte sur ceux de la direction du Trésor et de la Banque de France. Différents secteurs importants d’intervention de l’État sont également absents, en particulier l’aménagement du territoire, les grandes infrastructures de transport et de l’énergie, le logement, la sécurité (police et gendarmerie notamment), les aides au développement, ou encore les dépenses liées à l’hôpital. D’autres ministères auraient pu faire l’objet d’un chapitre, au même titre que les finances de la Justice, analysées naguère en profondeur par Jean-Charles Asselain2, ou que la Culture et l’Éducation nationale, traitées dans le premier tome. Enfin, ce projet collectif se concentre sur les finances de l’État stricto sensu et laisse de côté les finances des collectivités locales. Autant de futurs champs de recherches, individuelles et collectives !

3Ce second opus s’organise en trois moments : Institutions, Postes majeurs et Affaires extérieures. Dans une première partie, Michel Margairaz expose le jeu d’acteurs et de rôles répartis entre le ministère des Finances (tout particulièrement sa direction du Mouvement général des fonds, appelée direction du Trésor après 1940) et la Banque de France, qui découpent un long xx^e siècle en quatre séquences. On a souvent écrit que ces deux acteurs essentiels s’opposaient dans l’affrontement entre pouvoir financier et pouvoir monétaire. Dans cette contribution, on constate aussi combien Banque de France et Trésor peuvent aussi se concerter, se coordonner, voire se compléter à propos de la monnaie, au service du financement de l’économie et in fine au bénéfice des finances publiques. Philippe Verheyde, quant à lui, explore la complémentarité, plus ou moins délibérée, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et du ministère des Finances. La première procure aux finances et aux politiques publiques des ressources issues des caisses d’épargne privées. La CDC intervient également en soutien de politiques publiques ou du secteur privé (logement, prêts aux entreprises, actions ou obligations d’entreprise).

4Dans la deuxième partie, l’approche sectorielle est poursuivie avec l’étude de deux postes majeurs de dépenses sur la longue durée : les dépenses de protection et d’aides sociales – qui débordent le cadre strict des finances publiques (au sens de celles de l’État et des collectivités locales) – et celles relatives à la rémunération des agents de l’État. Rémi Pellet retrace les lentes mutations et analyse les nombreuses innovations financières, qui aboutissent au système de protection sociale global contemporain (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, chômage, vieillesse). Le juriste décrit une histoire heurtée, à caractère très politique. Il montre également la voie singulière empruntée par la France par rapport à ses voisins, particulièrement britanniques et allemands, et notamment une temporalité décalée, liée aux difficultés à aboutir à des compromis (entre forces politiques et entre acteurs privés et publics). Un autre poste budgétaire majeur est traité par Émilien Ruiz, qui aborde, par la confrontation des diverses sources quantitatives, la question de la rémunération des fonctionnaires et personnels assimilés. L’historien explique le poids des représentations dans la définition de la politique des ressources humaines de l’État et évalue de manière fine le pouvoir d’achat des fonctionnaires, détruisant au passage nombre de stéréotypes sur le nombre et le coût des agents de l’État. Cette étude détaillée et nuancée permet de produire une périodisation en quatre périodes, entre la seconde partie du xix^e siècle et les années 2020.

5Enfin, respectant le souci de varier les échelles spatiales d’analyse, la troisième partie aborde les facteurs extérieurs qui influent sur les finances publiques nationales. Cette dimension internationale – également présente dans la politique monétaire, examinée en première partie et dans des chapitres du tome précédent – est ici explorée dans les domaines douanier et militaire. Les économistes Stéphane Becuwe et Bertrand Blancheton, s’appuyant sur l’élaboration d’une base de données statistiques considérable et originale, décrivent les conséquences des évolutions de la politique douanière de la France sur ses finances publiques. Leur champ de recherche s’inscrit bien dans la longue durée (mi‑xix^e siècle – mi‑xx^e siècle), puis perd toute importance avec l’entrée en vigueur du Marché commun, si bien que « leur » xx^e siècle s’achève en 1968. Si les questions douanières ne comptent guère, en volume, dans l’évolution des finances publiques, en revanche, le contexte stratégique et militaire a un effet direct et massif sur les finances de la défense. Pour ce siècle – compris entre 1905 et 2001 – de conflits quasi permanents (guerres mondiales et de décolonisation, opérations extérieures), Fabien Cardoni repère plusieurs constantes : la baisse de la part des dépenses militaires dans le PIB et au sein du budget de l’État, la lente « civilisation » des modalités de financement militaire, l’inexécution récurrente des programmes d’armement et des projections financières. En outre, la pluri-annualité, que les militaires ont précocement adoptée, est généralisée peu à peu, à la fin du xx^e siècle et au début du xxi^e siècle, à toutes les sphères publiques (État, organismes sociaux, collectivités locales). L’auteur démontre ainsi toute l’importance quantitative, mais également qualitative, des finances de la défense dans l’évolution plus générale du système financier global au cours du xx^e siècle.