Conférence inaugurale. Marchandises et marchés mondiaux à l’époque moderne
p. 155-171
Texte intégral
1Au cours des deux dernières décennies, plusieurs études historiques portant sur des marchandises ont été publiées, à l’intention d’un public universitaire ou d’un lectorat plus vaste1. S’appuyant sur un intérêt pour des matières premières et des biens de consommation contemporains, ces travaux explorent la longue histoire de matériaux, d’aliments et de produits d’usage courant bien connus (bois, morue, thé, café, textiles, épices…) ainsi que les histoires plus surprenantes de « choses » qui sont aujourd’hui rares ou perçues comme singulières (ivoire, bézoards, concombres de mer, cuir de galuchat…). Dans ces études, l’époque moderne (de 1500 à 1800 environ) apparaît de façon évidente comme une période de découverte de nouvelles marchandises (principalement pour les producteurs et les consommateurs européens) et d’extension de leurs marchés à l’échelle mondiale2.
2Les exemples sont nombreux. Nous disposons aujourd’hui d’une grande quantité de textes sur l’histoire de marchandises manufacturées devenues des marchandises globales, telles que les produits textiles qui ont pris leur place dans la garde-robe de millions de personnes partout dans le monde entre 1500 et 1800. Les cotonnades d’Asie du Sud et les soieries de Chine sont devenues des objets de consommation dans la plupart des régions du monde, en même temps que se multipliaient presque partout les essais de manufacture de ces marchandises. Nous pouvons citer en particulier les soieries produites en Inde, en Perse, au Japon, en Europe du Sud et au Mexique aux xvie et xviie siècles, ainsi que les cotonnades produites au Japon, en Chine, en Asie du Sud-Est et surtout en Europe aux xviie et xviiie siècles3. Si le coton et d’autres textiles ont été considérés comme les fibres ayant « tissé les mondes moderne et contemporain », on pourrait en dire autant d’autres marchandises qui relèvent de la catégorie des produits agricoles, des drogues ou des matières premières4. L’histoire des épices et de leur commerce – en particulier au xvie siècle et au début du xviie siècle – illustre de manière classique comment le sens du terme utilisé pour désigner une marchandise est chargé de son histoire5. Liée au début du colonialisme, à la violence exercée par les Européens et leurs compagnies des Indes et à l’asservissement de la main-d’œuvre asiatique, l’histoire des épices et de leurs îles de production en Asie du Sud-Est a fait récemment l’objet de récits nouveaux dans une perspective environnementale, par exemple dans l’excellent livre d’Amitav Ghosh, The Nutmeg Curse6 (« La malédiction de la muscade »). D’autres histoires s’inscrivent dans cette lignée : celles des teintures, de la porcelaine, des pierres précieuses, des substances médicinales, des drogues, des substances vénéneuses et des boissons, ainsi que celles de matériaux de niche ou de luxe tels que les perles et la laque7. Sans oublier l’argent et le rôle exceptionnel qui a été le sien dans le monde moderne, non seulement du fait de sa valeur en tant que monnaie, mais aussi parce que les nouvelles réserves de ce métal précieux découvertes en abondance sur le continent américain (à Potosí, en Bolivie, au début du xvie siècle, puis au Mexique au cours des siècles suivants) ont contribué à lubrifier les échanges commerciaux transatlantiques et, à partir des années 1570, transpacifiques (sur la route des galions de Manille, entre Acapulco et Manille)8.
3Ces études diffèrent dans leur objet et dans leur importance. Elles ne couvrent pas les mêmes périodes et ne prennent pas en compte les mêmes acteurs (Compagnie des Indes orientales ; communautés marchandes de l’Atlantique et de l’océan Indien ; marchands d’esclaves et esclaves ; consommateurs en Europe, en Asie et plus tardivement en Amérique espagnole et en Afrique de l’Ouest)9. Les histoires des marchandises de l’époque moderne partagent toutefois au moins trois caractéristiques. Tout d’abord, elles ont fait entrer l’histoire économique dans le domaine culturel. Par le biais des marchandises, l’histoire classique des échanges commerciaux est reliée à des textes qui explorent ce que représentaient ces « biens », « articles manufacturés » ou « produits de luxe » pour les personnes qui les produisaient, les vendaient ou les consommaient. L’étude des marchandises nous amène à nous intéresser aux micro-histoires de leurs acteurs (humains et non humains), souvent imbriquées dans des contextes socioculturels particuliers. Dans le cadre d’une approche anthropologique du marché, l’étude des marchandises permet une meilleure compréhension historique des vendeurs et des acheteurs dans leurs environnements culturel et social. Une « marchandise » devient un « objet » ou un « artefact produits » dont l’existence et la valeur (monétaire et culturelle) doivent être expliquées10. À partir des marchandises, nous entrons dans l’histoire de la culture matérielle pour produire un récit moins mécanique sur l’économie.
4La deuxième caractéristique des travaux de recherche portant sur les marchandises à l’époque moderne est qu’ils nous ont permis d’élaborer de nouvelles notions de lieu et d’espace. Si nous nous en tenons au domaine de l’histoire économique, les géographies spatiales dépendent de la marchandise étudiée. Par exemple, en ce qui concerne les cotonnades, l’histoire de la fabrication et du commerce en Inde est liée à celle de la consommation en Europe et sur le continent américain ; toutefois, l’étude du coton brut à l’ère de l’industrialisation relie les plantations américaines aux usines situées en France et en Angleterre. L’histoire de l’argent, quant à elle, nous permet d’évoquer en même temps l’Amérique latine, la Chine, la route maritime entre Manille et Acapulco et les acteurs européens.
5Enfin, la troisième caractéristique de cette masse volumineuse de travaux de recherche est l’accent mis sur le fait que la période moderne connaissait déjà l’émergence de marchés mondiaux et de circuits mondiaux de circulation, d’échanges et d’interactions. Les marchandises ont été intégrées dans les récits sur la mondialisation à la période moderne et à l’époque contemporaine, car elles témoignent de la circulation des personnes et des choses. Toutefois, nous ne pouvons que souscrire à l’affirmation de Clare Griffin selon laquelle l’étude des marchandises à la période moderne « implique la prise en compte d’un type de “global” et non l’élaboration d’un concept générique du “global”11 ». Chaque marchandise raconte une histoire particulière du « global », et la catégorie de « marchandise » au sens large ne constitue pas un outil satisfaisant d’analyse de la « globalité » à la période moderne.
6La suite de cet article s’articule autour de trois sujets différents abordés à partir d’exemples pratiques. Nous chercherons d’abord à déterminer quelle pourrait être l’échelle d’analyse optimale de l’histoire des marchandises. Savoir si les marchés mondiaux ont caractérisé le commerce des marchandises à la période moderne est une question à la fois historique et méthodologique. Concernant le choix du point de vue et de l’échelle d’analyse appropriés, nous étudierons le cas d’un marchand italien de la fin du xvie siècle et de son périple autour du monde en quête d’enrichissement par le commerce d’une variété de ce qu’il appelait « mercanzie ». Nous nous demanderons ensuite si l’histoire des marchandises globales et des marchés devrait s’affranchir de la stricte perspective anthropocentriste. L’histoire économique est la science humaine par excellence, qui considère l’agency comme une caractéristique des acteurs humains ; toutefois, l’histoire des marchandises soulève les questions de l’agency non humaine et des environnements de l’époque moderne, que nous aborderons par le prisme du commerce des perles. Enfin, nous traiterons du problème de l’eurocentrisme, et plus particulièrement de la façon dont les empires européens (dits « maritimes ») ont façonné marchandises et marchés, en prenant pour exemple le commerce de la teinture de cochenille.
I. Échelles, individus et marchés
7Les marchandises, notamment globales, ont une longue histoire, mais les recherches sur le sujet se sont essentiellement concentrées sur les xixe et xxe siècles, sur quelques exemples connus de ressources récentes (charbon, pétrole et plastiques dérivés ; métaux précieux ; microprocesseurs) et sur la façon dont ces marchandises ont contribué à refaçonner l’économie mondiale. Ces travaux ont porté essentiellement sur les relations de pouvoir asymétriques, l’évolution des habitudes de consommation et l’exploitation du travail12. Des approches axées sur les chaînes de produits-la chaîne de commodité de marchandises, sur la chaîne de valeur et sur les frontières de marchandises (commodity frontiers) ont été appliquées à l’étude de la dimension globale, mais aussi à celle des liens et des externalités des marchandises et de leur production13. L’argument était que ces marchandises faisaient l’objet d’une telle quantité d’échanges et étaient à tel point présentes dans la société qu’elles ne pouvaient être considérées qu’à l’échelle globale. Nous pourrions ajouter que, dans le cas des ressources naturelles (notamment le pétrole) et de leurs nombreux dérivés (plastiques, caoutchoucs et autres produits synthétiques), ces marchandises ont modifié notre modèle énergétique et la base matérielle du monde dans lequel nous vivons. Sans le pétrole (et l’énergie qu’il a rendue disponible), nous ne disposerions pas de systèmes de transport modernes, comme l’aviation, ayant permis à leur tour la circulation de millions de personnes et de milliards de tonnes de marchandises dans le monde entier, avec des conséquences considérables et parfois inattendues. L’un des exemples les plus représentatifs (et les plus romantiques) est le bouquet de roses de la Saint-Valentin. Seul l’avènement de l’aviation a permis que les roses deviennent monnaie courante lors de ce rendez-vous amoureux. Au début du xxe siècle, offrir une rose en février constituait dans la plupart des pays de climat tempéré (notamment en Europe et en Amérique du Nord) un acte extravagant et particulièrement coûteux14.
8Ces exemples et d’autres plus banals confortent notre thèse selon laquelle les marchés mondiaux des marchandises sont apparus en même temps que les technologies modernes (transports à vapeur puis électrifiés et motorisés) et les nouveaux moyens de communication (télégraphe, téléphone, radio, télévision, puis l’Internet et les réseaux sociaux qui, en plus de communiquer des informations, en créent). Les xixe et xxe siècles sont à l’honneur dans ces études, tandis que la période moderne figure au mieux comme un prélude. La question de savoir s’il existait des marchandises mondiales avant 1800 n’est pas aussi claire qu’on pourrait le penser, et nous ne sommes pas les premiers à le souligner. Tout d’abord, il existe une ambiguïté terminologique quant au sens de « global ». Ensuite et peut-être surtout, plusieurs histoires de marchandises à l’époque moderne (dont notre étude sur les cotonnades15) ont mis en évidence l’existence de « marchandises globales » sans suggérer nécessairement qu’il existait un « marché global » pour ces marchandises.
9Cela signifie dans la pratique que des marchandises telles que les cotonnades ont été utilisées à une échelle globale, ou plus exactement à une échelle progressivement globalisée, et ont donné lieu à une connectivité globale, sans que les acteurs contemporains et, plus tard, les chercheurs les aient considérées comme constituant un marché intégré. Il y a une vingtaine d’années, certains récits de la modernisation et de la mondialisation ont postulé que l’intégration des marchés à un niveau intercontinental s’était produite au xixe siècle, principalement du fait des mécanismes de convergence des prix. Cette thèse a été défendue par Williamson et O’Rourke, qui ont utilisé le paramètre de la convergence des prix comme un indicateur de l’existence ou non d’un marché global pour une marchandise. Leur argument était que cette intégration n’avait eu lieu que pendant la période d’accélération des connexions matérielles et informationnelles, façonnée par l’institution de l’empire (européen)16. Ce point de vue a suscité des objections. Ainsi, Jan de Vries distingue les notions de mondialisation « dure » et de mondialisation « douce » et avance que la période moderne n’a pas été la scène d’une mondialisation « dure » (convergence des prix), mais qu’elle a pu connaître un processus « plus doux » d’échanges et de convergence matérielle17. D’autres chercheurs, tels que Pim de Zwart, ont avancé que la convergence des prix et l’émergence de marchés transcontinentaux étaient antérieures à 1800, au moins pour ce qui est de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales18.
10Il convient de noter que mondialisation, convergence des prix et marchés mondiaux sont étroitement mêlés. Une autre approche serait de se demander, non pas si les marchés de marchandises ont émergé au niveau global, mais quels types de marchés caractérisaient les marchandises échangées à la période moderne. Pierre Gervais, par exemple, avance que les marchés étaient alors façonnés par des oligopoles et par le rôle essentiel des intermédiaires. Il s’agissait de marchés sur lesquels, selon lui, « un accord se concluait par le biais d’une négociation directe entre des acteurs oligopolistiques plutôt que par un processus de négociation ou d’enchères déterminant un prix d’équilibre19 ». La convergence des prix ne pouvait donc pas être le fait des marchés (intégrés ou non au niveau global), mais plutôt celui des acteurs qui les façonnaient.
11Aujourd’hui, l’accent est mis sur la cartellisation et la segmentation des marchés (de marchandises). Cela a deux implications. Tout d’abord, les marchandises ne sont plus considérées comme des entités indifférenciées, comme c’était le cas il y a une vingtaine d’années. L’histoire économique a longtemps regroupé différents objets d’étude sous la catégorie des comptes nationaux ; aujourd’hui, une histoire du charbon sera plurielle, tenant compte de l’existence de centaines de variétés, et une histoire du coton devra différencier les différents types de fibres et de produits (de la toile de jean épaisse à la mousseline impalpable). Cela constitue une réponse aux critiques selon lesquelles l’histoire économique mondiale est par essence une macro-histoire. La seconde implication est qu’une conception souple des marchandises a permis aux récits de l’histoire économique de prendre en considération des sujets (qualité, variété, approvisionnement, commercialisation) qui prennent corps non seulement dans des choses matérielles, mais aussi dans des personnes (producteurs, commerçants, détaillants et consommateurs). À la différence des approches classiques, traitant de vastes catégories telles que les produits en vrac, le commerce du luxe ou les objets précieux, les histoires de marchandises nourrissent les récits sur le capitalisme, ou peut-être plus précisément les articulent autour, de contenus plus réduits et « digestes20 ».
12Les analyses de réseaux et les biographies de marchandises ont été adoptées comme méthodes dans l’étude du commerce des marchandises à l’époque moderne21. Les historiens de l’économie ont plus rarement proposé des biographies individuelles, devenues populaires dans ce que l’on appelle aujourd’hui la « micro-histoire globale22 ». Dans une étude de cas, nous nous sommes intéressés à Francesco Carletti, premier marchand européen ayant fait le tour du globe entre 1594 et 160223. Son récit de voyage, Ragionamenti, peut se lire comme le roman initiatique d’un commerçant, jeune florentin sans expérience conseillé par son père et devenu une décennie plus tard un homme accompli approchant de la trentaine, défiant son destin mais assuré que sans marchandises il n’est ni marchand, ni homme24. Capturé par des corsaires hollandais près de l’île Sainte-Hélène pendant la dernière étape de son voyage de retour vers l’Europe, à destination de Lisbonne, il se voit confisquer tous ses biens, un si considérable « butin de marchandises et d’objets divers » qu’une partie dut être jetée par-dessus bord pour éviter le naufrage du navire hollandais, ce qu’il raconte dans ce qui constitue l’une des évocations les plus poétiques du commerce à la période moderne : « la mer était toute jonchée de soie en écheveaux et en étoffes, de tapis et d’une infinité d’autres choses25. »
13Carletti a commencé son aventure à Séville et l’a poursuivie à travers les empires espagnol et portugais, les deux couronnes étant alors réunies. Il a voyagé jusqu’au Cap-Vert (y faisant avec son père le commerce d’esclaves) puis a continué son périple en direction de Veracruz, Lima (où il s’est établi dans le négoce de l’argent et du mercure), Mexico et Acapulco. De là, Carletti et son père ont réussi à s’embarquer sur un navire de la flotte qui empruntait chaque année la route de Manille (ville fondée par les Espagnols une vingtaine d’années plus tôt). Ils se sont ensuite rendus au Japon, puis à Macao, où le père de Francesco a trouvé la mort. À Macao, la porcelaine de Chine et la soie occupaient une place essentielle dans l’activité commerciale de Francesco, qui fut ensuite centrée sur les cotonnades à Goa, où le marché était considérablement segmenté.
14Carletti ne raconte pas l’histoire de différentes marchandises envisagées séparément (comme c’est souvent le cas dans ce genre de récits), mais celle de tout un éventail de marchandises (plusieurs dizaines) constitutives du monde matériel dans lequel s’est inscrit l’itinéraire du Florentin : le texte comprend 45 références à des aliments, notamment des céréales (8), des épices (18) et des légumes (7), 14 références à des boissons, notamment des vins (8), 29 références à des fruits, 13 références à des poissons et 33 références à d’autres animaux, notamment des volailles (11) ainsi que du bétail et des chevaux (18). Il contient également des références à des curiosités (5) et substances précieuses (4), à des métaux (21), notamment des matières précieuses (16), en particulier l’or et l’argent, à des essences de bois (6), ainsi qu’à des pierres et des perles (12). Les marchandises le plus souvent citées sont les textiles (23) et la porcelaine (6). Carletti ne cherche pas à catégoriser le monde matériel dans lequel il évolue ; sous sa plume se mêlent le rare et le banal, les objets les plus précieux et les marchandises les plus communes, de même qu’animaux, végétaux et minéraux. Carletti lui-même utilise le terme « mercanzie » pour désigner les biens destinés à être achetés et vendus. Toutefois, Carletti ne s’intéresse pas à tout ce qui se vend. Les biens désignés sous le terme de « marchandises » ont une utilité et une valeur, étant entendu que ces deux notions sont une construction culturelle26.
15Ragionamenti nous offre le récit très personnel d’un intermédiaire au moment où des marchés se constituent et nous montre comment un individu envisage le monde matériel en expansion de la modernité, plus spécifiquement celui des empires espagnol et portugais et des empires terrestres chinois et indien. L’étude d’un point de vue personnel nous permet de nous interroger sur ce que peut être une marchandise et sur ce que peut impliquer le processus de « commodification » « sur le terrain », sujet qui a fait l’objet d’études récentes, en particulier concernant le continent américain27. Le point de vue de Carletti (celui d’un jeune marchand européen) soulève également deux problématiques qui seront développées dans la présente étude. Tout d’abord, comment tenir compte du fait que la plupart des histoires de marchandises sont anthropocentriques (même lorsqu’une histoire n’est pas racontée du point de vue d’un individu ou d’un groupe de personnes, le rôle central est occupé par les acteurs humains, par exemple en tant que consommateurs) ? Par ailleurs, le récit de Carletti reste essentiellement européen. Nombre des sources exploitées par les historiens pour écrire des histoires de marchandises ont été produites par des Européens ou des institutions européennes. Et, très souvent, ces sources s’intéressent à des « choses » dont la trajectoire se termine en Europe, dont les Européens ont fait commerce, ou qui ont été consommées par des Européens28.
II. Agentivité non humaine
16On pourrait comprendre qu’aux yeux de certains, les récents travaux de recherche apparaissent comme culturellement orientés et teintés d’anthropocentrisme, l’histoire économique globale plaçant des marchands et des intermédiaires commerciaux sur le devant de la scène. C’est peut-être le cas. Mais l’histoire des marchandises s’appuie sur une tradition différente, dans laquelle les aspects non humains, et plus précisément les aspects matériels et environnementaux, représentent à la fois des dynamiques centrales et des facteurs explicatifs majeurs. Cela devient évident lorsqu’on s’intéresse, par exemple, à des marchandises qui ne peuvent être extraites ou produites qu’à partir d’écosystèmes très spécifiques : la noix de muscade dans les îles aux épices, les diamants dans un petit nombre de régions du globe, ou encore le minerai d’argent dans les immenses réserves de Potosí. Nous concentrerons ici notre propos sur les facteurs environnementaux – leurs explications et leurs conséquences – pour mettre en lumière une sensibilité nouvelle qui fait écho aux préoccupations actuelles, lesquelles portent autant sur le développement durable et la protection de l’environnement que sur les phénomènes concomitants d’épuisement des ressources et de dégradation de la nature, ou encore sur les logiques économiques et commerciales extractivistes.
17La naissance d’une conscience environnementale n’est pas aussi récente que certains historiens le prétendent. Les historiens spécialistes de l’époque moderne sont invités à réfléchir aux processus de marchandisation à l’échelle des océans, voire de la planète, à travers l’exemple des plantes cultivées, des espèces animales et des maladies, au moins depuis la publication des ouvrages d’Alfred Crosby, Columbian Exchange: Biological and Cultural Consequences of 1492 au début des années 1970, puis Ecologic Imperialism: The Biological Expansion of Europe, 900-1900 une décennie plus tard29. Crosby et d’autres auteurs après lui ont présenté un récit irrésistible, rassemblant ce que nous appelons aujourd’hui des « marchandises » et d’autres « choses » que les humains n’étaient pas aussi désireux d’échanger – des maladies vénériennes, par exemple – ou des espèces animales, ce point étant illustré de manière célèbre par l’épisode de l’introduction des lapins aux Caraïbes et du cataclysme qui s’est ensuivi lorsque ces derniers dévorèrent tout sur leur passage30. Ces travaux novateurs ont été à l’origine d’une série de nouvelles recherches explorant les connexions entre marchandises (et marchandisation), pouvoir et environnement, aussi bien à l’époque moderne que contemporaine31.
18Des questions telles que la production de marchandises et de matières premières (comme l’extraction minière) nous ont permis de rapprocher l’histoire environnementale de l’histoire économique, un processus qui n’est pas encore tout à fait achevé. Cette tendance s’est d’abord exprimée sous la forme d’analyses historiques des ressources naturelles, à l’instar de la démarche proposée par Sasha Etkind dans son récent ouvrage Nature’s Evil32. Ces ressources naturelles jouent un rôle fondamental dans la production de marchandises mais aussi dans les systèmes énergétiques, comme l’illustrent les travaux d’Alessandro Stanziani et de Vaclav Smil33. La deuxième vague de recherches a porté sur les cataclysmes : on n’étudiait pas l’histoire de la croissance ou des transformations économiques, mais celle des désastres, plus particulièrement environnementaux. Cela inclut bien entendu des récits tels que celui du « petit âge glaciaire », mais aussi ce que certains chercheurs ont qualifié d’« anthropocène organique » de l’époque moderne34. À la croisée de l’histoire des sciences, des technologies, de l’environnement et de l’économie, ces travaux postulent que le rôle des êtres humains en tant que force géologique n’a pas débuté avec la Révolution industrielle ou l’âge d’or de l’après-guerre, mais à l’époque moderne. Les marchandises et leur régime de production intensif jouent un rôle déterminant pour expliquer les différentes trajectoires du capitalisme au cours des périodes dénommées « plantationocène », « capitalocène » ou encore « capitalisme fossile35 ». Ce rôle est particulièrement important en Amérique, où les marchés, qui furent globalisés dès le début du xvie siècle, s’épuisèrent au cours des deux siècles suivants du fait de la surexploitation des ressources, tant humaines qu’environnementales.
19La conquête de nouveaux territoires (frontier expansion) pour la production agricole, la déforestation, le défrichement des terres, la bioprospection et la destruction généralisée de l’environnement semblent avoir été autant de conséquences de la production des nombreuses marchandises mondiales que nous avons évoquées jusqu’à présent36. Ce constat nous est familier pour les xxe et xxie siècles, mais des recherches récentes ont montré que les processus de dégradation de l’environnement ont débuté bien avant la Révolution industrielle et l’utilisation des combustibles fossiles. Le cas des perles illustre bien cette réalité. Ces objets naturels décoratifs relativement innocents représentent le tout premier exemple d’appauvrissement de l’environnement provoqué par l’exploitation d’une ressource naturelle par les Européens, en particulier sur le continent américain37.
20Avant l’introduction de la perliculture, les perles étaient issues des eaux tropicales chaudes d’Asie et d’Amérique. Au cours du Moyen Âge européen, elles étaient utilisées pour orner les bijoux mais également les vêtements, les gants et les chapeaux des empereurs, des rois et des nobles. Les musées et galeries regorgent de portraits montrant des personnages riches et puissants littéralement couverts de perles. La reine Élisabeth Ire en portait par milliers, tout comme ses contemporains, l’empereur moghol Akbar et l’empereur Wanli de la dynastie des Ming. En Europe, les perles devinrent particulièrement à la mode au xvie siècle après la découverte de nouveaux gisements très abondants en Amérique. Lors de son troisième voyage, Christophe Colomb était déjà convaincu du potentiel de cette précieuse marchandise.
21Les Espagnols furent attirés par les profits substantiels qu’ils pouvaient tirer de la pêche des perles, en particulier sur la partie du littoral vénézuélien dénommée la « côte des perles38 ». L’ampleur de la production était stupéfiante, ce qui explique les portraits tels que celui de George Villiers, premier duc de Buckingham. On rapporte qu’un navire employant six plongeurs pouvait récolter jusqu’à 35 000 huîtres perlières en deux à trois semaines. À partir de ce chiffre, les historiens ont estimé qu’entre 1515 et 1542, au moins onze quintaux et demi (1 150 kg) de perles ont été expédiés en Espagne depuis le continent américain. En à peine trente ans, pas moins de 120 millions de perles ont voyagé des Amériques vers l’Europe, un chiffre important qui nous aide à comprendre l’ampleur de la consommation de cette marchandise, mais aussi à évaluer l’impact écologique de la pêche. Vingt ans seulement après le début de l’exploitation intensive, les premiers signes d’épuisement de la ressource perlière étaient déjà visibles. Pour permettre la régénération des huîtres, une rotation de la pêche fut instaurée en 1533 entre les trois principales îles. Deux ans plus tard, les huîtres devaient être pêchées à des profondeurs toujours plus importantes. Le déclin de la côte des perles vénézuélienne fut aussi rapide que son essor : en 1537, il n’y avait plus qu’un seul plongeur autorisé par navire pour préserver la ressource et permettre aux huîtres de se reproduire ; deux ans plus tard, il ne restait plus qu’une cinquantaine de personnes sur l’île.
22Il semble que la dégradation de l’environnement et l’épuisement des ressources soient allés de pair avec l’exploitation d’une main-d’œuvre servile. Au départ, les populations locales – les indiens Guaiqueri – furent employées comme pêcheurs. Cependant, la violence et les épidémies décimèrent les autochtones, ce qui obligea les Espagnols à chercher de la main-d’œuvre ailleurs. Dès 1508, les Amérindiens des Bahamas furent déplacés de force par les Espagnols pour travailler dans les pêcheries de perles de Cubagua. Dix ans plus tard, la population indigène des Bahamas, qui comptait à l’origine 60 000 habitants, était quasiment réduite à néant. Après l’annihilation des populations locales et des indigènes des Bahamas, les Espagnols commencèrent en 1527 à recourir aux esclaves africains, réputés plus coûteux mais excellents plongeurs : une véritable stratégie d’avant-garde en matière de main‑d’œuvre.
III. Marchandises et eurocentrisme
23Comme les Espagnols avant eux, les Portugais puis, plus tard, les Hollandais et les Britanniques, se lancèrent avec enthousiasme dans la pêche des perles. Cependant, contrairement aux Espagnols, ils dirigèrent leur attention vers la région du golfe Persique et le golfe de Mannar, entre l’Inde du Sud et le Sri Lanka, où ils récoltèrent à partir du début du xviie siècle d’énormes quantités de perles. À la différence de ceux des côtes américaines, les bancs d’huîtres de ces deux régions asiatiques ne furent pas rapidement épuisés, mais continuèrent à produire pendant de nombreuses années grâce à de minutieux calculs de rentabilité et à l’attention portée à la durabilité de l’activité39. Cela étant, dans les Amériques comme en Asie, les perles illustrent le rôle clé des Européens en tant qu’« agents » d’une histoire globale des intrications entre pouvoir, commerce, colonialisme et exploitation des ressources naturelles.
24Le monde qui prévaut à l’époque dite du « premier âge global » (first global age) est un monde de production de marchandises fondé sur le déplacement des populations (esclaves, colons) et la diffusion du savoir (au sujet des plantations, des circuits d’approvisionnement, des prix et des conditions de marché) autant que sur la circulation des biens. À partir des années 1500, l’Europe est devenue un acteur clé du processus de mondialisation de l’économie, principalement grâce au commerce au long cours des différentes compagnies des Indes orientales européennes avec l’Asie et à la structuration des échanges sur les océans Atlantique et Pacifique par les divers empires maritimes. La transformation des habitudes de consommation en Europe est un sujet bien étudié, celle-ci ayant été qualifiée à la fois de cause et de conséquence de l’accroissement du commerce mondial. Plus récemment, ces récits d’« expansion » ont été nuancés par l’interprétation des processus capitalistiques qui sous-tendent les actes de violence et d’agression ayant caractérisé le pouvoir européen. La quête de marchandises et les processus de marchandisation ont défiguré non seulement la nature sur l’ensemble du globe, mais également les sociétés et les individus, entraînant dans leur sillage colonialisme, esclavage, massacres et annihilation de populations entières.
25La « nouvelle histoire du capitalisme », en particulier, a placé l’esclavage au centre de l’attention, en arguant que la réduction en esclavage de millions d’individus – surtout d’origine africaine – avait joué un rôle central dans la production de nouvelles denrées agricoles (sucre, mais aussi cacao et tabac) et matières premières (plus particulièrement le coton américain) destinées au commerce international. Les immenses réserves de terres disponibles dans les Amériques (après l’annihilation des populations indigènes du continent) nécessitaient des quantités de main-d’œuvre tout aussi énormes pour développer le système des plantations40. Les vastes marchés de main-d’œuvre servile et de marchandises produites par cette dernière qui ont été mis en place ont façonné le capitalisme mondial des temps modernes. Trevor Burnard et moi-même avons admis la validité de cette hypothèse et considéré que l’esclavage était en effet un rouage important dans l’histoire du capitalisme comme dans celle de la création des marchandises à l’époque moderne. Cependant, nous devons nous garder de toute explication réductrice41. L’histoire globale des marchandises suggère qu’il existe une pluralité de trajectoires capitalistes à cette époque : des marchandises différentes ont entraîné des connexions variées et des processus de transformation économique diversifiés. Prenons l’exemple de la cochenille, une teinture essentielle produite au Mexique dans un écosystème spécifique très restreint, une caractéristique que cette marchandise a conservée tout au long de l’époque moderne. Il s’agissait d’une « culture » qui ne nécessitait pas de recourir à une main-d’œuvre servile, car elle reposait sur l’expertise de cultivateurs locaux. Sa fabrication demeura également un secret bien gardé pendant des siècles – certains s’interrogeaient même sur l’origine animale ou végétale de cette substance –, un secret protégé par décret impérial42. La production et le commerce de cette marchandise furent strictement réglementés par la Couronne espagnole, qui en tira un revenu important pendant toute l’époque moderne grâce à la taxe – le quinto real – prélevée sur les importations43.
26L’exemple de la cochenille ne vient pas démentir l’agentivité des Européens. Il nous propose toutefois de diriger notre attention par-delà la thématique de l’exploitation (de la main-d’œuvre et des ressources) pour intégrer les récits des tentatives infructueuses de transplantation vers d’autres parties du monde et de reconfiguration de la production de cette marchandise précieuse. Tous les efforts pour produire la teinture de cochenille en Europe et en Inde restèrent vains pendant de nombreuses années, ce qui nous montre que la démarche d’essais-erreurs et l’échec pur et simple n’étaient pas rares44. Les États, les marchands, les scientifiques et les « faiseurs de projets » (projectors) européens ont certes tous joué un rôle important dans ces dynamiques, mais cela s’est produit en interaction avec les compétences des experts locaux, les savoirs vernaculaires et les représentations profondément ancrées de l’environnement et des systèmes productifs45. En relativisant l’agentivité des Européens et leur intentionnalité, les chercheurs en histoire économique sont désormais plus sensibles à la multiplicité des mécanismes à l’œuvre dans la transformation de simples « choses » en marchandises. Un regard plus global sur la production des teintures à l’époque moderne montre que les nouveaux colorants échangés à l’échelle mondiale (cochenille mais aussi bois de Pernambouc et indigo) n’ont pas nécessairement supplanté les teintures végétales produites localement de longue date, en Europe ou ailleurs46.
Conclusion
27Les nouvelles approches de l’histoire des marchandises utilisent deux types de source de manière créative, afin de recueillir des histoires dans lesquelles l’agentivité n’est pas nécessairement du côté des Européens ou des Nord-Américains. Pour ce faire, elles recourent à des sources européennes (abondantes) et non européennes (moins nombreuses), afin de montrer comment des récits structurés autour des marchandises peuvent ouvrir de nouvelles perspectives dans la manière de penser l’histoire globale47. Dans cette brève analyse, nous suggérons aussi que l’histoire économique devrait s’intéresser de plus près et de façon plus systématique aux moyens de faire jouer aux variables environnementales un rôle plus structurel dans la compréhension des marchandises et de leurs marchés mondiaux.
Notes de bas de page
1Cette étude est financée par l’Union européenne (Conseil européen de la recherche [CER], Capasia, convention de subvention n° 101054345). Toutefois, les opinions exprimées sont celles de l’auteur ou des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive du CER. Ni l’Union européenne ni l’autorité d’octroi ne peuvent en être tenues responsables.
Nous nous appuyons ici sur des études publiées principalement en anglais, mais le sujet suscite un intérêt croissant dans d’autres langues. Le terme anglais « commodity » est traduit en français par « marchandise » dans la présente communication. Le terme « commodity » fait techniquement référence aux matières premières et aux produits agricoles, mais dans la recherche historique récente il a été utilisé dans un sens plus large, incluant toutes les choses matérielles qui sont utiles ou de valeur pour les humains, qu’il s’agisse d’intrants primaires, de produits semi-finis ou de produits manufacturés.
2Voir par ex. Anne Gerritsen et Giorgio Riello (dir.), The Global Lives of Things: The Material Culture of Connections in the Early Modern World, Londres, Routledge, 2015 ; Maxine Berg, Felicia Gottmann, Hanna Hodacs et Chris Nierstrasz (dir.), Goods from the East: Trading Eurasia, 1600-1800, Basingstoke, Palgrave, 2015 ; Ina Baghdiantz McCabe, A History of Global Consumption, 1500-1800, Londres, Routledge, 2015 ; Karin Hofmeester et Bernd-Stefan Grewe (dir.), Luxury in a Global Perspective: Commodities and Practices, 1600-2000, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 ; Beverly Lemire, Global Trade and the Transformation of Consumer Cultures: The Material World Remade, c. 1500-1820, Cambridge, Cambridge University Press, 2018.
3À propos du coton, voir : G. Riello et Prasannan Parthasarathi (dir.), The Spinning World: A Global History of Cotton Textiles, 1200-1850, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; G. Riello et Tirthankar Roy (dir.), How India Clothed the World: The World of South Asian Textiles, 1500-1850, Leyde, Brill, 2009 ; G. Riello, Cotton: The Fabric that Made the Modern World, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
4L’expression est tirée de notre livre Cotton: The Fabric that Made the Modern World, op. cit. À propos de la soie, voir : Dagmar Schaefer, G. Riello et Luca Molà (dir.), Threads of Global Desire: Silk in the Pre-modern World, Woodbridge, Boydell and Brewer, 2018, ainsi que le livre très complet de Zhao Feng et Marie-Louise Nosch (dir.), Textiles and Dress Cultures along the Silk Roads, Pékin, Unesco, 2022.
5Paul Freedman, Out of the East: Spices and the Medieval Imagination, New Haven, Yale University Press, 2008 ; Gary Paul Nabhan, Cumin, Camels, and Caravans: A Spice Odyssey, Berkeley, University of California Press, 2014.
6Amitav Ghosh, The Nutmeg’s Curse: Parables for a Planet in Crisis, Londres, John Murray, 2022.
7A. Gerritsen, The City of Blue and White: Chinese Porcelain and the Early Modern World, Cambridge, Cambridge University Press, 2020 ; Michael Bycroft et Sven Dupré (dir.), Gems in the Early Modern World: Materials, Knowledge and Global Trade, 1450-1800, Londres, Palgrave, 2019 ; Kris Lane, Colour of Paradise: The Emerald in the Age of Gunpowder Empires, New Haven, Yale University Press, 2010 ; Kathryn James et Phil Withington, « Introduction to Intoxicants and Early Modern European Globalization », Historical Journal, vol. 65, n° 1, 2022, p. 1‑11.
8Dennis O. Flynn, Arturo Giráldez et Richard von Glahn (dir.), Monetary History in Global Perspective, 1470-1800, Aldershot, Ashgate Press, 2003 ; K. Lane, Potosí: The Silver City That Changed the World, Berkeley, University of California Press, 2019.
9À propos de l’Amérique, voir : Bethany Aram et Bartolomé Yun-Casalilla (dir.), Global Goods and the Spanish Empire, 1492-1824, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014 ; Meha Priyadarshini, Chinese Porcelain in Colonial Mexico: The Material Worlds of an Early Modern Trade, Basingstoke, Palgrave, 2018 ; José Luis Gasch-Tomás, The Atlantic World and the Manila Galleons: Circulation, Market, and Consumption of Asian Goods in the Spanish Empire, 1565-1650, Leyde, Brill, 2019 ; B. Yun-Casalilla, Ilaria Berti et Pedro Omar Svriz-Wucherer (dir.), American Globalization, 1492-1850: Trans-cultural Consumption in Spanish Latin America, New York, Routledge, 2022 ; P. O. Svriz-Wucherer, Jesuits and Asian Goods in the Iberian Empires, 1580-1700, Singapour, Springer-Palgrave Macmillan, 2023. À propos de l’Afrique : Robert DuPlessis, The Material Atlantic: Clothing, Commerce, and Colonization in the Atlantic World, 1650-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Kazuo Kobayashi, Indian Cotton Textiles in West Africa: African Agency, Consumer Demand, and the Making of the Global Economy, 1750-1850, Londres, Palgrave, 2019.
10G. Riello, « The “Material Turn” in World and Global History », Journal of World History, vol. 33, n° 2, 2022, p. 193‑232.
11Clare Griffin, Mixing Medicines: The Global Drug Trade and Early Modern Russia, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2022, p. 19.
12Voir par ex. le très intéressant projet de recherche « Commodities of Empire » de la British Academy, https://commoditiesofempire.org.uk. Voir aussi Jon Curry-Machado (dir.), Global Histories, Imperial Commodities, Local Interactions, Londres, Palgrave, 2013 ; Sandip Hazareesingh et Harro Maat, Local Subversion of Colonial Cultures: Commodities and Anticommodities in Global History, Londres, Palgrave Macmillan, 2016.
13Gary Gereffi et Miguel Korzeniewicz (dir.), Commodity Chains and Global Capitalism, Westport (CT), Praeger, 1994 ; Steven Topik, Carlos Marichal et Zephyr Frank (dir.), From Silver to Cocaine: Latin American Commodity Chains and the Building of the World Economy, 1500-2000, Durham (NY), Duke University Press, 2006 ; Jennifer Bair (dir.), Frontiers of Commodity Chain Research, Stanford, Stanford University Press, 2008 ; Andrea Komlosy et Goran Musić (dir.), Global Commodity Chains and Labor Relations, Leyde, Brill, 2021. À propos des frontières, voir Sven Beckert, Ulbe Bosma, Mindi Schneider et Eric Vanhaute, « Commodity Frontier and the Transformation of the Global Countryside: A Research Agenda », Journal of Global History, vol. 16, n° 3, 2021, p. 435‑450.
14Peter McNeil et G. Riello, Luxury: A Rich History, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 4.
15G. Riello, Cotton: The Fabric…, op. cit.
16Kevin H. O’Rourke et Jeffrey G. Williamson, Globalization and History: The Evolution of a Nineteenth-Century Atlantic Economy, Cambridge (MA), MIT Press, 2001.
17Jan de Vries, « The Limits of Globalisation in the Early Modern World », Economic History Review, vol. 63, n° 3, 2010, p. 710‑733.
18Pim de Zwart, « Globalization in the Early Modern Era: New Evidence from the Dutch-Asiatic Trade, c. 1600-1800 », Journal of Economic History, vol. 76, n° 2, 2016, p. 520‑558.
19Pierre Gervais, « Capitalism and (or) Age of Commerce: The Peculiarities of Market Exchange in the Early Modern Era », XVII-XVIII, vol. 77, 2020, https://journals.openedition.org/1718/5818, § 4.
20Voir par ex. les travaux sur le bois à l’époque moderne : Paul Warde, « Fear of Wood Shortage and the Reality of the Woodland in Europe, c. 1450-1850 », History Workshop Journal, vol. 62, n° 1, 2006, p. 28-57 ; Joachim Radkau, Wood: A History, Cambridge, Polity, 2012 ; Álvaro Aragón Ruano, « “Ríos de madera”. Recursos forestales e hídricos para la Real Armada durante el siglo XVIII en Guipúzcoa y Navarra », Tiempos Modernos, vol. 9, n° 39, 2019, p. 426-455, www.tiemposmodernos.org/tm3/index.php/tm/article/view/5412.
21Igor Kopytoff, « The Cultural Biography of Things: Commodification as Process », dans Arjun Appadurai (dir.), The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 64‑94.
22Nous pensons ici à l’ouvrage d’Elizabeth Lambourn, Abraham’s Luggage: A Social Life of Things in the Medieval Indian Ocean World, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, comme exemple d’une méthode qui n’est pas utilisée par les historiens de l’économie. À propos de la micro-histoire globale, voir : Romain Bertrand et Guillaume Calafat (dir.), « Micro-analyse et histoire globale », Annales HSS, vol. 73, n° 1, 2018 ; John-Paul Ghobrial (dir.), « Global History and Microhistory », Past & Present, vol. 242, supplément n° 14, 2019 ; M. Berg (dir.), « Global Microhistory of the Local and the Global », Journal of Early Modern History, vol. 27, n° 1, 2023.
23Carletti est au centre d’un projet mené sur plusieurs années par le European University Institute, Stanford, Syracuse, Warwick et Villa I Tatti (Harvard), prévoyant la publication d’un ouvrage en 2024 : Brian Brege, Paula Findlen, L. Molà et G. Riello (dir.), Trading at the Edge of Empires: Francesco Carletti’s World, ca. 1600, Cambridge (MA), Harvard University Press-Villa I Tatti.
24Francesco Carletti, My Voyage Around the World, New York, Random House, 1964, trad. Herbert Weinstock, p. 243. La publication d’une nouvelle édition en anglais par Brian Brege et al. est prévue (voir note précédente).
25Ibid., p. 243.
26G. Riello, « Commodifying the World: Carletti’s Global Cargoes », dans B. Brege, P. Findlen, L. Molà et G. Riello (dir.), Trading at the Edge of Empires…, op. cit.
27Voir par ex. Ralph Bauera et Marcy Norton, « Introduction. Entangled Trajectories: Indigenous and European Histories », Colonial Latin American Review, vol. 26, n° 1, 2017, p. 1-17 ; Benjamin Breen, The Age of Intoxication: Origins of the Global Drug Trade, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2019 ; idem, « The Failed Globalization of Psychedelic Drugs in the Early Modern World », Historical Journal, vol. 65, n° 1, 2022, p. 12‑29.
28G. Riello, « The “Material Turn” in… », art. cité, p. 205.
29Alfred W. Crosby, Columbian Exchange: Biological and Cultural Consequences of 1492, Westport (CO), Greenwood Press, 1972 ; idem, Ecological Imperialism: The Biological Expansion of Europe, 900-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.
30A. Crosby, Columbian Exchange…, op. cit., p. 56.
31Voir par ex. : Richard Grove, Green Imperialism: Colonial Expansion, Tropical Island Edens, and The Origins of Environmentalism, 1600-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; John R. McNeill, Mosquito Empires: Ecology and War in the Greater Caribbean, New York, Cambridge University Press, 2010. Pour l’Asie, voir : John F. Richards, The Unending Frontier: An Environmental History of the Early Modern World, Berkeley, University of California Press, 2003 ; Mark Elvin, The Retreat of the Elephants: An Environmental History of China, New Haven, Yale University Press, 2004.
32Aleksandr Ėtkind, Nature’s Evil: A Cultural History of Natural Resources, Cambridge, Polity, 2021.
33Alessandro Stanziani, Capital terre. Une histoire longue du monde d’après, xiie-xxie siècle, Paris, Payot, 2021.
34John L. Brooke et Christopher Otter, « Concluding Remarks: The Organic Anthropocene », Eighteenth-Century Studies, vol. 49, n° spécial « Humans and the Environment », 2016, p. 281‑302.
35Donna Harraway, « Anthropocene, Capitalocene, Plantationocene, Chthulucene: Making Kin », Environmental Humanities, vol. 6, n° 1, 2015, p. 159-165 ; Andreas Malm, Fossil Capital: The Rise of Steam-power and the Roots of Global Warming, Londres-Brooklyn (NY), Verso, 2015 ; Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil, The Shock of the Anthropocene: The Earth, History and Us, Londres, Verso, 2016.
36Londa Schiebinger et Claudia Swan (dir.), Colonial Botany: Colonial Botany Science, Commerce, and Politics in the Early Modern World, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2005.
37Maria Giuseppina Muzzarelli, L. Molà et G. Riello, Tutte le perle del mondo. Storie di viaggi, scambi e magnifici ornamenti, Bologne, Il Mulino, 2023.
38Molly A. Warsh, American Baroque: Pearls and the Nature of Empire, 1492-1700, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2018.
39M. G. Muzzarelli, L. Molà et G. Riello, Tutte le perle del mondo…, op. cit., chap. 6 ; Sanjay Subrahmanyam, « Noble Harvest from the Sea: Managing the Pearl Fishery of Mannar, 1500-1925 », dans Burton Stein et S. Subrahmanyam (dir.), Institutions and Economic Change in South Asia, Delhi, Oxford University Press, 1996, p. 134-172 ; Pedro Machado, Steve Mullins et Joseph Christensen (dir.), Pearls, People, and Power: Pearling and Indian Ocean Worlds, Athens (OH), Ohio University Press, 2019.
40S. Beckert, Empire of Cotton: A New History of Global Capitalism, Londres, Penguin, 2014.
41Trevor Burnard et G. Riello, « Slavery and the New History of Capitalism », Journal of Global History, vol. 15, n° 2, 2020, p. 225‑244.
42Parmi les récents travaux de recherche sur la cochenille, voir Georges Roque, La cochenille, de la teinture à la peinture. Une histoire matérielle de la couleur, Paris, Gallimard, 2021, ainsi que Danielle Trichaud-Buti et Gilbert Buti, Rouge Cochenille. Historie d’un insecte qui colora le monde, xvie-xxie siècle, Paris, CNRS Éd., 2021.
43G. Riello, « The Colour of Empire: Cochineal and Indigo in the Pre-modern World », dans Maria Hayward, G. Riello et Ulinka Rublack (dir.), A Revolution in Colour: Natural Dyes and Dress in Europe, c. 1400-1800, Londres, Bloomsbury, 2024.
44Deirdre Moore, « The Heart of Red: Cochineal in Colonial Mexico and India », thèse de doctorat, Harvard University Graduate School of Arts and Sciences, 2021.
45Neil Safier, « Spies, Dyes and Leaves: Agro-intermediaries, Luso-Brazilian Couriers, and the Worlds they Sowed », dans Simon Schaffer, Lissa Roberts, Kapil Raj et James Delbourgo (dir.), The Brokered World: Go-between and Global Intelligence, 1770-1820, Sagamore Beach, Watson Publishing, 2009, p. 239-269 ; James W. Frey, « Prickly Pears and Pagodas: The East India Company’s Failure to Establish a Cochineal Industry in Early Colonial India », The Historian, vol. 74, n° 2, 2012, p. 241-266. Voir aussi M. Norton, « Subaltern Technologies and Early Modernity in the Atlantic World », Colonial Latin American Review, vol. 26, n° 1, 2017, p. 18‑38.
46M. Hayward, G. Riello et U. Rublack, « Introduction. A Revolution in Colour in Late Medieval and Early Modern Europe », dans M. Hayward, G. Riello et U. Rublack (dir.), A Revolution in Colour…, op. cit.
47C’est le cas par exemple d’une étude portant sur le savoir et les plantes médicinales. Voir : Samir Boumediene, La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde, 1492-1750, Paris, Éd. des mondes à faire, 2016 ; S. Boumediene et Valentina Pugliano, « La route des succédanés. Les remèdes exotiques, l’innovation médicale et le marché des substituts au xvie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 66, n° 3, 2019, p. 24‑54.
Auteur
Professeur d’histoire globale de la première modernité à l’European University Institute et professeur d’histoire et de culture globales à l’université de Warwick, Giorgio Riello a publié de nombreuses études sur le commerce entre l’Europe et l’Asie, et sur la culture matérielle durant la première modernité. Il est notamment l’auteur de Cotton: The Fabric that Made the Modern World, Cambridge, Cambridge University Press, 2013 ; avec Peter McNeil, Luxury: A Rich History, Oxford, Oxford University Press, 2016 ; Back in Fashion: Western Fashion from the Middle Ages to the Present, New Haven (CT), Yale University Press, 2020 ; et, avec Maria Giuseppina Muzzarelli et Luca Molà, Tutte le perle del mondo, Bologne, Il Mulino, 2023. Il a également codirigé récemment The Right to Dress: Sumptuary in a Global Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2019 ; Dressing Global Bodies, Londres, Routledge, 2020 et The Cambridge Global History of Fashion, Cambridge, Cambridge University Press, 2023, 2 vol. Il termine actuellement un ouvrage, avec Dagmar Schaefer, intitulé Cultures of Innovation: Silk in Pre-Modern Eurasia. Il est enfin principal investigator (PI) de l’Advanced ERC-funded project « CAPASIA: the Asian Origins of Global Capitalism, 1500-1800 ».
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