Conférence inaugurale. Les marchés locaux dans le monde médiéval : des facteurs communs de développement
p. 19-43
Texte intégral
1Dans cet article, nous analysons la manière dont les marchés périodiques locaux sont nés et les traits communs à leur développement dans l’ensemble du monde médiéval entre les xie et xiiie siècles, offrant ainsi une perspective mondiale et prémoderne sur la thématique abordée dans ce volume1. Comme chacun sait, l’Angleterre du xiiie siècle a vu fleurir des centaines de nouveaux marchés périodiques autorisés par lettre patente dans les petites villes et les villages, du fait du développement du commerce et de la croissance démographique. Si ces nouvelles institutions avaient surtout vocation à répondre à la demande grandissante des paysans en produits agricoles dans un contexte d’accroissement de la population, leur développement était aussi lié aux prélèvements pécuniaires excessifs imposés par les seigneurs et l’État2. Nous allons montrer que l’apparition des marchés locaux – situés en dehors des pôles urbains – suit une tendance similaire dans l’ensemble du monde médiéval monétisé, depuis l’Europe jusqu’au Japon, en passant par l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine. En effet, la multiplication simultanée des marchés locaux est frappante. Vers le xiie ou le xiiie siècle au plus tard, le commerce s’est répandu dans les sociétés rurales, illustrant le mercantilisme croissant des paysans et des seigneurs, voire la transformation des relations et des normes sociales.
2Le développement du commerce au travers des échanges internationaux a, sans aucun doute, joué un rôle fondamental dans la mise en place d’institutions et de pratiques marchandes3. Cependant, les études sur le développement économique dans le monde médiéval – avant ce que certains ont appelé la « grande divergence » – ont peu concerné l’existence d’institutions communes dans la pratique du commerce à une échelle très locale, et ce, bien que les historiens apprécient depuis longtemps de comparer les cultures et les institutions économiques de périodes plus modernes4. Ce point revêt une importance majeure car il témoigne – comme ne peut le faire l’accroissement du commerce international – de l’expansion générale du commerce dans les sociétés médiévales. L’analyse de cette transformation vient éclairer quelques-unes des grandes thématiques de l’histoire économique et sociale, comme le passage des statuts et coutumes aux relations contractuelles, les possibilités de spécialisation économique et d’innovation offertes par le développement du commerce, la prévalence croissante du conflit entre bien commun et intérêt privé, et le développement d’une « économie morale » permettant la gestion de ce conflit par l’autorité publique. En outre, il est généralement admis que la mise en place, puis la sophistication accrue d’institutions et de règles commerciales à l’époque médiévale ont favorisé le développement général de l’économie, en encourageant l’expansion et la spécialisation de la production agricole et en favorisant la croissance démographique dans les villes comme dans les campagnes.
3Le succès des marchés périodiques dans l’ensemble du monde médiéval, dans des contextes politiques, juridiques et culturels pourtant si divers, peut s’expliquer par les avantages que présentaient ces institutions, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. Les marchés étaient un moyen de favoriser les échanges, en réunissant commerçants et chalands en un lieu et à une date déterminés, et donc d’encourager la production de marchandises destinées au commerce. Les coûts de transaction étaient réduits du fait de l’existence même d’institutions marchandes officielles et du caractère familier des cadres réglementaires mis en place. Les marchandises pouvaient être échangées contre du numéraire, à crédit ou par troc. L’équilibre exact entre ces trois modes d’échange reste insuffisamment étudié, et le développement d’institutions marchandes officielles n’est pas incompatible avec un phénomène de monétisation partielle. Il est cependant indéniable que l’utilisation de pièces de monnaie de faible valeur faciale se soit répandue à travers le monde5. En substance, de plus en plus de foyers n’avaient pas d’autre choix que d’acheter et de vendre des marchandises, et le commerce local s’est développé pour soutenir cette tendance. Nombre des échanges avaient lieu sur de petits marchés locaux, et non sur les grands marchés urbains qui concentrent généralement l’attention des historiens6. Les grands centres d’activité marchande étaient d’ailleurs dépendants de la production et de l’organisation des échanges à l’échelle locale.
4Sans les ventes locales de produits agricoles, il ne pouvait y avoir de revenus importants tirés des fermes domaniales, des loyers, des impôts seigneuriaux, des amendes judiciaires et autres taxes, et sans de tels revenus, il ne pouvait y avoir de commerce international7.
I. L’Europe
5Comme l’a montré Chris Wickham, les paysans ont largement participé à la vie des marchés locaux dans les pays développés du bassin méditerranéen entre les xe et xiie siècles. Cette participation s’est accompagnée d’une hausse de la production agricole, de la spécialisation régionale et de la demande paysanne. Une expansion comparable des marchés locaux a ensuite été observée dans le Nord-Ouest de l’Europe. Certes, les paysans veillaient d’abord à assurer leur subsistance, et l’agriculture de pur rapport était encore inconnue, mais nombre d’entre eux vendaient leurs surplus lorsqu’ils avaient accès à des marchés, et permettaient aux ouvriers agricoles et aux citadins de satisfaire leurs besoins8. Si, comme le souligne Chris Wickham, l’importance que devait conserver l’agriculture vivrière a limité le développement des échanges commerciaux, et ce malgré l’augmentation de la main-d’œuvre rurale dans certaines régions, l’économie du bas Moyen Âge a tout de même été en mesure d’instaurer « des systèmes de production et d’échanges raisonnablement efficaces9 ».
6L’institutionnalisation du « marché » en Europe, avant même toute tentative de définition juridique, est attestée par le fait que de nombreuses langues européennes, en mutation, disposaient d’un terme commun pour désigner cette structure marchande. Le latin tardif mercatum a donné non seulement l’italien mercato, le castillan mercado et le catalan mercat, mais aussi le français marché, l’allemand markt, le néerlandais markt, l’anglais market, le gallois marchand et l’irlandais margadh10. L’apparition de ces termes s’est accompagnée d’une véritable prolifération des marchés dans une grande partie de l’Europe à partir du ixe ou xe siècle, avec un pic dans les années 1270-1330. Pour l’Angleterre, cette tendance est attestée par les lettres patentes royales (royal market charters), obligatoires au moins à partir de l’an 1200, dont le nombre indique un triplement des marchés locaux officiels au cours du siècle suivant11. Comme le montrent les exemples de l’Irlande, de l’Écosse et du nord de l’Angleterre, un maillage similaire de petits marchés locaux était même visible dans des régions où il y avait peu de grandes villes marchandes12. Même dans le cas de l’Angleterre, les informations sont rares au sujet du fonctionnement des plus petits marchés connus, certains pouvant avoir été des projets éphémères ou avortés13. Seuls les principaux marchés, correspondant à ce que James Masschaele appelle des « marchés régionaux », semblent avoir perduré14.
7Bien que nous n’ayons, pour une grande partie de l’Europe, ni lettre patente ni d’autre document juridique similaire, de nombreuses études nationales et régionales font état d’une multiplication des marchés au-delà des centres régionaux. Seul l’extrême nord du continent échappe peut-être à cette observation. Il était courant qu’un roi ou ses grands vassaux aient des droits sur la création et le fonctionnement d’un nouveau marché, mais l’étendue de leur pouvoir était variable. Le mot « marché » pouvait également traduire des réalités différentes, ce qui signifie que les institutions marchandes locales ne sont pas strictement comparables. En Pologne, par exemple, c’est la taverne qui détenait le statut reconnu d’« espace d’échanges ». Le pays disposait, vers l’an 1200, d’un vaste réseau de ces centres de commerce15. En France, les xie et xiie siècles ont été marqués par une multiplication des marchés périodiques locaux dans le Nord, et par la création, dans le Sud, d’un réseau de bourgs marchands qui constituaient autant d’espaces d’échanges régionaux sous l’influence desquels florissaient d’autres marchés plus modestes16. À la même époque, le nord de l’Espagne a vu se développer les marchés ruraux17. Dans les régions plus urbanisées de la Flandre et du nord de l’Italie, les villes étaient plus nombreuses et dominaient le commerce, mais de petits marchés apparaissaient également dans leur sillage, comme ceux qui ont essaimé dans le contado de Florence et dans toute la Lombardie18.
8À l’instar de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe centrale, l’Empire byzantin a connu au début du Moyen Âge une rupture dans le domaine des échanges, à laquelle a succédé une période d’expansion commerciale entre les ixe et xiie siècles, accompagnée d’une urbanisation et d’une monétisation accrues19. Les preuves manquent pour attester du développement de petits marchés locaux, mais des voyageurs de l’époque, comme al-Idrisi au xiie siècle, ont relaté l’existence de plusieurs petits centres de commerce dans le Péloponnèse. Il déclarait ainsi que la région comptait cinquante villes « dont seize environ [étaient] importantes et renommées20 ». Des sources littéraires mentionnent également des marchés de petite taille et relativement pauvres, y compris aux abords de Constantinople21. Sans ce développement des petits marchés, tant dans l’arrière-pays que sur le littoral, « il serait impossible d’expliquer la répartition des richesses chez les paysans ou les niveaux élevés de prélèvements pécuniaires exigés par les seigneurs et l’État22 ».
9Grâce aux études menées, on a une connaissance relativement bonne de l’expansion des marchés locaux à travers l’Europe, et l’on comprend de mieux en mieux comment cette évolution a contribué à habituer très largement les populations au commerce et à forger des mentalités marchandes23. De nombreuses régions ont vu émerger un marché de masse auquel participaient la majorité des paysans, qui pouvaient ainsi vendre leurs surplus et recevoir l’argent nécessaire pour payer leurs loyers et leurs impôts24. Mais peut-on observer, au-delà des frontières de l’Europe, des tendances similaires dans l’ensemble du monde médiéval documenté ?
II. L’Afrique du Nord et le Moyen‑Orient
10D’après des géographes arabes, les marchés ruraux étaient également très répandus au Moyen-Orient islamique et en Afrique du Nord vers 1200. Si les grands marchés urbains dominaient généralement leurs récits, l’existence de marchés à une échelle plus locale était fréquemment mentionnée. Al-Idrisi, par exemple, a surtout porté son attention sur des grandes villes comme Fès et Marrakech, mais a aussi rapporté l’existence d’un certain nombre de petits souks très animés lors de son périple à travers l’Afrique du Nord, entre 1154 et 115825. Des marchés locaux se tenaient notamment à Sefrou, au Maroc, où les paysans locaux venaient vendre leur bétail, et dans les villages d’Itrib et de Warwara situés sur les rives du bras oriental du Nil en Égypte. Nombre de ces marchés attiraient des artisans de toutes sortes, comme à Jidwa (Égypte) et dans la cité berbère de Qasr’ Abd al-Karim où, d’après al-Idrisi, tous les métiers étaient représentés26. De même, dans son récit sur le Fayoum dans les années 1240, al-Nabulusi mentionne une série de marchés ruraux en activité depuis plus de cent ans, qui permettaient aux paysans égyptiens d’accéder au commerce local de denrées alimentaires, de vêtements ou de céramique27.
11De même, au milieu du xive siècle, Ibn Battuta a fait la description, au cours de l’un de ses voyages, d’un marché en particulier, différent des « beaux bazars » qu’il dépeignait habituellement :
« La cité de Zagar [Sultanat d’Oman] est située dans une région désertique isolée [golfe Persique] où il n’existe pas un seul village. Elle n’a aucun territoire sous sa dépendance. Le bazar est à l’extérieur de la cité, dans un quartier périphérique dénommé al-Harja. C’est l’un des bazars les plus sales, les plus malodorants et les plus infestés de mouches qu’il m’ait été donné de voir, à cause de la quantité de fruits et de poissons qui y sont vendus… La plupart des vendeuses du bazar sont des esclaves vêtues de noir28.
Dans les souks de Bassora (Irak), comme dans la plupart des marchés préindustriels, les vendeurs au détail faisaient du petit commerce, avec peu de stock et un minimum de frais.
Nombreux sont ceux qui officient derrière des étals ou dans de minuscules boutiques, tandis que d’autres, pas moins nombreux, les vendeurs surtout, se contentent d’étaler une natte sur le sol et d’y exposer leurs marchandises29. »
12De nombreux passants étaient apparemment incommodés par les petits vendeurs ambulants, ce qui a conduit à définir des règles pour superviser leur activité. Le principal objectif de ces marchés locaux était, pour les producteurs comme pour les consommateurs, le commerce de denrées alimentaires. L’écrivain égyptien Ibn Khaldoun (1332-1406) en a fait le constat suivant :
« Il faut savoir que tous les marchés répondent aux besoins de la population. Certains besoins concernent des denrées de base, des aliments comme le blé et l’orge, ou bien des aliments équivalents, comme les haricots, les pois chiches ou les pois et d’autres graines comestibles, ou encore des aliments bons pour la santé, comme les oignons, l’ail, etc. Toutes les autres choses sont des commodités ou des produits de luxe tels que des condiments, des fruits, des vêtements, des ustensiles, des produits artisanaux de toutes sortes, des montures pour se déplacer ou des bâtiments30. »
III. L’Inde
13Les marchés locaux de la région du Tamil Nadu au sud de l’Inde étaient connus sous le nom de nagaram31. Des traces de ces institutions marchandes subsistent dans certaines inscriptions. Celles-ci montrent que les réseaux de marchés anciens ont largement perduré, et que, comme en Europe, leur nombre s’est également accru entre les xe et xiie siècles32. Ainsi, le nombre estimé de villes marchandes au Karnataka a quadruplé entre les viiie et xiie siècles33. Une inscription des Piramalai Kallar du début du xiiie siècle au Ramanathapuram mentionne 18 grandes villes, 32 villes côtières et 64 centres de commerce périodiques supplémentaires, tous supervisés par les marchands eux‑mêmes34.
14Les marchés du sud de l’Inde étaient souvent divisés en différentes zones selon les produits vendus et selon que l’on était résident ou étranger, afin de faciliter la surveillance du marché mais aussi d’aider le chaland dans ses achats. Dans les villes du district de Vijayanagara (sud-ouest de l’Inde), les marchés étaient en outre divisés par castes35. Ayant une incidence sur la répartition du travail, et donc sur l’appartenance à certaines guildes de marchands ou d’artisans, le système des castes exerçait sur les règles commerciales une influence qui ne pouvait avoir de strict équivalent ailleurs36. Le système déterminait qui était chargé du commerce de gros et du commerce de détail, mais aussi qui assumait les différentes activités liées au prêt d’argent. Grâce à certains groupes de marchands, comme les Banjaras, les Baniyas, les Multanis et les Khurasanis, les marchandises circulaient entre les marchés ruraux hebdomadaires, les bazars des villes et les marchés aux grains (mandis)37. Cette circulation était en partie opérée sous la contrainte. Les paysans pouvaient conserver uniquement ce qui était nécessaire à leur subsistance et devaient vendre le reste à des marchands itinérants à prix fixe. Les marchandises se retrouvaient ensuite entre les mains des vendeurs urbains ou dans les greniers à grains du sultanat, servant de réserve en cas de famine38. Ces règles ont véritablement contribué à entraver l’innovation et le développement du commerce à l’échelon local.
IV. La Chine
15Entre les viiie et xe siècles, il existait en Chine un réseau de marchés périodiques (shi) licites et officiels sur lesquels l’État exerçait un contrôle strict ; en témoigne le décret de l’année 707 interdisant la tenue de marchés sans autorisation39. L’analyse des institutions marchandes officielles semble clairement indiquer un maillage commercial relativement clairsemé dans les années 1200, avec seulement un marché pour 1 271 km² environ et 16 000 foyers. Lorsqu’au ixe siècle, un nouveau marché officiellement autorisé de ce type voit le jour à Langzhou, une petite localité de la province du Hunan, Liu Yuxi donne la description suivante de son installation :
« À peine l’ordre de déplacer le marché avait-il été donné que les personnes chargées de tenir le registre de commerce arrivèrent et tracèrent de chaque côté de la route la limite des différents emplacements. Les espaces destinés aux étals furent délimités dans un ordre strictement identique à celui appliqué sur la place de marché fortifiée à l’intérieur de la ville, de gauche à droite et de l’avant vers l’arrière. Des affiches indiquaient le nom des rangées et des emplacements, les prix pratiqués ainsi que le nom des marchandises vendues40. »
16Au-delà de ces marchés officiels placés sous le contrôle strict de l’État chinois, les marchés périodiques ruraux se sont multipliés et étendus et ont vu leur organisation évoluer sous la dynastie des Tang (618-907), tendance qui s’est accélérée sous la dynastie des Song (960-1276). Dans le Fujian, on a vu apparaître une hiérarchisation précise des marchés de la région de Quannan et, en 1077, un fonctionnaire constatait que 30 marchés étaient en activité dont 3 au niveau de la préfecture, 11 au niveau du district et 16 à une échelle plus locale41. Mark Elvin et Hugh Clark ont relevé que la multiplication des marchés ruraux de taille réduite, à propos desquels les informations sont généralement inexistantes, a clairement intensifié la concurrence entre les marchés42. Lors de son voyage dans la province du Fujian à la fin du xiiie siècle, Marco Polo remarquait d’ailleurs au sujet de la relative proximité géographique des marchés : « On traverse nombre de petites localités et de villages où l’on ne cesse de croiser des artisans et des commerçants qui vendent leurs produits43. »
17Si la plupart de ces petits marchés n’étaient en fait pas enregistrés et étaient soumis à une réglementation moins stricte, l’État les tolérait. Progressivement, des boutiques et des auberges y ont été créées afin d’accueillir les commerçants de passage et de faciliter les échanges de marchandises, monétisés ou sous forme de troc, entre les cultivateurs locaux et les négociants, marchands et artisans44. Fang Dazong écrivait au xiiie siècle : « Sur les marchés, on fait habituellement du commerce en échangeant des marchandises contre des ligatures d’un millier de sapèques. Les villageois cèdent leurs produits contre ces ligatures45. » Ces pièces de cuivre percées d’un trou carré semblent avoir été utilisées comme principale monnaie d’échange et avoir même été importées au Japon46. Cependant, malgré le développement du commerce et une monétisation accrue de l’économie chinoise locale, les pénuries de pièces ont pu constituer un problème récurrent47. La monnaie aurait donc été utilisée par intermittence sur les marchés locaux, le troc étant encore largement présent jusqu’aux xiie et xiiie siècles.
18Au crépuscule de la dynastie Tang, Du Mu écrivait : « Dans la région du bas Yangzi et de la rivière Huai, les marchés locaux sont tous situés à la confluence de cours d’eau dans des villages où vivent de nombreuses familles riches et puissantes48. » Grâce à des techniques de production et d’acheminement plus efficaces, les fermiers ont commencé à développer un esprit de plus en plus mercantile en produisant pour les marchés locaux et en faisant usage de la monnaie et du contrat. En parallèle, les marchands facilitaient les échanges à l’échelle régionale et l’État tirait des recettes des taxes sur les marchandises49.
19Wu Zimu évoquait ainsi le marché du riz à Lin’an dans la province de Hangzhou : « Les habitants de la ville et de sa périphérie ne mangent pas moins d’un à deux milliers de piculs [entre 60 et 120 tonnes environ] de riz par jour, qu’ils doivent se procurer dans les magasins de riz50. » Quant à Zhu Xi (1130-1200), il déclarait à ce propos : « Dans chaque comté, les villageois apportent leur riz au marché pour le vendre. En chemin, nombre d’entre eux sont arrêtés par des négociants en riz malhonnêtes qui proposent de le vendre à leur place51. » Dans une lettre que Fang Dazong (1183-1247) adressa à Zhao Lun (1164-1222), on découvre que le commerce de riz en vrac était en plein essor le long du littoral : « La population [de la préfecture de Xinghua] guette l’arrivée des barges à riz. Si elles n’apportent pas de riz, son prix grimpe immédiatement sur les marchés52. » Craignant constamment des pénuries, l’État appliquait des mesures restrictives sur la circulation et le prix du riz53. L’objectif était de maintenir un prix raisonnable pour les paysans et d’empêcher les marchands de tirer avantage d’une hausse des prix, même si la spéculation et la thésaurisation restaient des pratiques répandues. À propos de Nankang, dans la province du Jiangxi, Zhu Xi observait ceci : « Les familles puissantes ont acheté la totalité du riz sans en laisser une once au reste de la population. Elles attendent désormais l’année prochaine pour le vendre, lorsque son prix augmentera et qu’elles pourront tirer d’importants profits de leurs réserves54. » Malgré ces critiques, le riz circulait de toute évidence entre les régions et était taxé par l’État qui disposait de postes de douane sur les axes de circulation principaux, souvent à l’emplacement des marchés locaux. Vers 1205, les préfectures de Guangzhou, Zhaoqing et Huizhou, dans la province du Guangdong, comptaient 83 postes de douane installés sur des marchés. Par extrapolation, Mark Elvin en a déduit qu’il y avait jusqu’à 10 000 postes de douane en Chine à cette époque55. Toutes ces informations donnent une idée de l’étendue et du nombre de marchés locaux non officiels qui se tenaient dans les campagnes chinoises.
20La littérature témoigne également du fait que les paysans chinois développaient un esprit de plus en plus mercantile, produisant notamment des légumes, des fruits, des huiles et du chanvre spécialement pour les marchés urbains. D’après le Traité sur l’agriculture rédigé par Chen Fu au début du xiie siècle, la soie était au cœur de l’économie paysanne du comté d’Anji, dans la préfecture de Huzhou56. La croissance des marchés locaux a déclenché une boucle de rétroaction du développement commercial, et ce, malgré leur taille réduite et leur nature périodique. Dans son commentaire d’une peinture du xiiie siècle, Zhou Mi décrivait ainsi une scène de marché :
« Au petit marché,
Des gens portent leur ballot de thé ou de sel,
Des poulets piaillent, des chiens aboient,
Du bois de chauffe est échangé contre du riz,
Des poissons sont troqués contre du vin.
Ici et là,
On aperçoit les drapeaux verts des tavernes,
Où de vieux hommes assis, adossés,
Somnolent à cause de la boisson57. »
21De même qu’en Europe, les femmes sont nombreuses parmi les colporteurs, les commerçants et les chalands présents sur ces marchés périodiques58. Originaire de la province du Zhejiang, Shu Yuexiang dédia quelques vers à celles qui, sous la dynastie des Song, vendaient sur les marchés leurs surplus agricoles :
« Dans les hameaux isolés, les femmes soupirent
Devant le peu d’argent que leur procure la vente de légumes,
Des navets plus doux que le lait maternel,
Et des bulbes aussi dodus que des agneaux.
Sacs à l’épaule, argent à la ceinture,
Elles se rendent au bourg pour acheter de la viande.
Les légumes rapportent bien plus que le riz ;
Elles peuvent acheter du riz, et ne craignent ainsi pas la faim59. »
22D’après ce que Yuan Cai décrit dans ses Préceptes pour la vie en société (Shih fan), œuvre de la fin du xiie siècle, la plupart des marchés étaient fréquentés par des personnes de basse condition et des commerçants, catégories qu’il ne considérait pas comme dignes de confiance :
« Les places de marché, les rues et ruelles, les maisons de thé et les commerces de vin sont des endroits fréquentés par toutes sortes de petites gens60 ; lorsqu’ils essaient de vendre quelque chose, ces gens donnent aux objets usés ou de mauvaise qualité un aspect neuf et beau et aux imitations une impression d’authenticité. Après avoir enduit de colle les étoffes de satin, humidifié le grain, injecté de l’eau dans la viande et remplacé les médicaments par des substituts, ils usent d’un langage astucieux pour les vendre et n’ont aucune considération pour la personne trompée qui s’en servira. Ce sont là des exemples de leur manque de bonne foi61. »
23Les questions soulevées au sujet de la moralité et des pratiques des vendeurs et des acheteurs de basse condition sont très semblables aux critiques du même ordre formulées dans les ouvrages de morale chrétienne62. Liu Yuxi a laissé une description plus détaillée des commerçants d’un petit bourg chinois :
« Certains colporteurs sont assis humblement et respectueusement, d’autres marchent avec empressement. Les cœurs avides de profit s’échauffent. Des yeux cupides observent sans ciller. Soucieux que le commerce ne profite qu’à leur entourage, des groupes de marchands chargés de la conclusion des contrats en signent ici et là afin de faire grimper les prix. Feignant la bienveillance, leurs discours sournois sèment le trouble. Leurs mains rusées faussent la juste pesée. Ils négocient le moindre gramme de différence. Les commérages sifflent aux oreilles. La diffamation et l’escroquerie prospèrent. La perfidie est visible partout63. »
24Dans la Chine confucéenne, la préoccupation paternaliste des autorités pour le bien-être de la population s’accompagnait d’un certain mépris pour le commerce. Cependant, il était également reconnu que les paysans, traditionnellement occupés à cultiver leurs terres, se tournaient de plus en plus vers des activités mercantiles. Dans un extrait du journal de Zhenjiang (Chen-chiang chih), on peut lire à propos de la bourgade de Dingqiao : « Selon la saison, chacun échange ce qu’il a contre ce qu’il n’a pas, augmentant ou diminuant ses prix suivant l’intérêt ou le manque d’enthousiasme témoigné par l’acheteur, de manière à dégager le maximum de profit. Naturellement, c’est ainsi que va le monde en règle générale64. »
V. Le Japon
25Le Japon a connu une croissance sensible du commerce au xiie siècle, en particulier dans les temples bouddhistes. L’objectif était notamment de répondre aux besoins de consommation des élites65. Les marchés étaient fréquemment situés aux abords des temples (monzenmachi), par exemple le temple de Todaiji et celui de Kofukuji dans la ville de Nara, ou non loin du lieu de résidence d’un jito (intendant) ou d’un autre fonctionnaire du shoen (domaine)66. La croissance des pôles urbains dans le Japon médiéval ainsi que le développement d’institutions marchandes, telles que le za (guilde de marchands placée sous la protection de la cour, de l’aristocratie ou des temples, qui bénéficiait de privilèges tels que l’exonération fiscale), et de fonctions réservées aux élites, telles que celle de toimaru (percepteur de droits de péage), ont été accompagnés par le développement des marchés locaux et le renforcement des phénomènes de spécialisation et de monétisation67. La littérature japonaise médiévale donne une image similaire à celles que l’on a déjà évoquées, décrivant des colporteurs à l’époque Muromachi (en particulier entre 1336 et 1392) :
« Moi, c’est Saru Genji,
De la baie d’Akogi.
Oyez ! Achetez mes sardines !
Achetez mes sardines, hé68 ! »
26De telles scènes de marché sont également représentées par une peinture sur éventail de l’époque Heian (entre les ixe et xiie siècles), dénommée Ōgimen Hokekyō zōshi. On y voit des étals de poissons et de raviolis, ainsi que des colporteurs portant des paquets sur leur tête69.
VI. L’organisation des marchés
27Tous les marchés locaux étaient généralement accessibles au public et ouverts à des heures fixes. En Chine, un tambour et un gong annonçaient l’ouverture et la fermeture des marchés70, alors qu’en Europe, les cloches de l’église assuraient cette fonction. La périodicité des marchés était variable. Il était par exemple courant qu’il soit hebdomadaire dans les mondes chrétien et musulman71. Al-Idrisi a remarqué qu’en Algérie certains marchés portaient le nom du jour où ils se tenaient, comme Sûq al-Ahad (marché du dimanche), Sûq al-Kamîs (marché du jeudi) ou Sûq al-Ithnayn (marché du lundi)72. D’après Denis Twitchett, les marchés avaient lieu tous les quatre ou tous les six jours dans la Chine des Tang, et tous les deux à six jours dans la Chine des Song73. Au xie siècle, les marchés se tenaient généralement tous les trois jours dans la région de Wu ainsi que dans les provinces du Hubei et du Hunan, mais tous les six jours à Chizhou74. Au Japon, ils pouvaient être moins fréquents, allant parfois jusqu’à dix jours d’intervalle75.
28Les élites ont joué un rôle important dans la création de nombreux marchés, les intérêts de la royauté, de la noblesse et de l’Église étant déterminants non seulement en Europe, du fait des intérêts fiscaux, mais aussi dans l’ensemble du monde médiéval76. Par exemple, les marchés ruraux présents dans le nord de l’Inde ont été « baptisés du nom de souverains […] ou créés par des vassaux77 ». Les marchés étaient administrés dans l’intérêt de l’État et des seigneurs, produisant des impôts et donc des recettes. Dans la Chine des Song, les taxes sur le commerce représentaient une part essentielle des finances impériales78. Les impôts et loyers dont les paysans devaient s’acquitter ont également joué un rôle déterminant pour les inciter à vendre sur les marchés, afin de récolter l’argent nécessaire au paiement de leur dû. De l’Europe jusqu’à la Chine, des éléments attestent qu’au xiie siècle, l’État et les seigneurs intervenaient de plus en plus dans le paysage économique, notamment par une hausse des prélèvements, et que ce phénomène est allé de pair avec l’essor de la marchandisation79. Le développement des marchés ruraux, bien que majoritairement fréquentés par la paysannerie, ne peut pas être dissocié de l’action des élites.
29La proximité géographique et temporelle des marchés était généralement à l’origine d’une âpre rivalité entre les seigneurs. Selon la coutume, la distance acceptable entre deux marchés était d’au moins une dizaine de kilomètres, comme l’explique Henry Bracton dans son traité de droit anglais80. Cela correspond également à la distance qu’un paysan était en mesure de parcourir en une journée pour aller vendre ses produits. Cette pratique était la règle dans l’ensemble du monde médiéval. Une hiérarchie des marchés a ainsi commencé à émerger, laissant apparaître un réseau de plus en plus interdépendant qui s’appuyait, en début de chaîne, sur la participation croissante des paysans aux marchés et, en bout de chaîne, sur les compétences des marchands aux échelles nationale et internationale81.
30Les marchés locaux ont donc favorisé les activités des marchands, commerçants et colporteurs, qu’il s’agisse des foro en Europe, des funduqs et des souks en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, des kasuwa au Soudan, des mandi et des nagaram en Inde, ou des shi en Chine82. Tous ces marchés ont dû se doter de structures administratives dans le but de sécuriser les lieux de commerce, d’encourager les échanges entre vendeurs et acheteurs, et de diminuer certains coûts de transaction83. En effet, les marchés officiels avaient notamment pour avantage majeur d’être administrés par des fonctionnaires et régis par un règlement dont la non-application était sanctionnée. Ce dispositif permettait de susciter la confiance dans les transactions. Par exemple, l’ensemble du monde médiéval reconnaissait la nécessité de normaliser les poids et les mesures afin d’accroître la confiance dans les marchés et de renforcer l’autorité du pouvoir central84. En contrepartie du prélèvement d’impôts et de taxes auprès des vendeurs et des acheteurs, les fonctionnaires responsables des marchés devaient trouver les moyens de protéger la stabilité commerciale. C’est en fait la manière dont les autorités et les fonctionnaires sont parvenus à trouver un équilibre entre les avantages et les inconvénients des marchés périodiques qui a conditionné le succès de ces derniers.
31De nombreuses règles et procédures relatives au commerce ont vu le jour dans les grandes agglomérations urbaines et ont ensuite été reproduites à l’échelle des petits marchés ruraux, par un règlement formel ou par simple imitation, même si ces derniers n’avaient, en définitive, pas besoin d’un contrôle aussi strict85. Il existait bien évidemment des différences dans les modalités d’organisation des marchés, non seulement en raison de leurs différences de taille, mais aussi de l’influence des caractéristiques politiques et religieuses locales sur les activités commerciales. Toutefois, dans l’ensemble du monde médiéval, les États se préoccupaient surtout du prélèvement des impôts et de la réglementation du commerce des principales denrées alimentaires. Bien d’autres aspects liés à l’organisation des marchés étaient laissés entre les mains des fonctionnaires locaux ou parvenaient à se réguler, dans un esprit paternaliste et soucieux du bien commun.
32Les fonctionnaires responsables des marchés étaient souvent issus de familles de commerçants locaux. Dans l’Empire byzantin, le symponos ou l’éparque endossait cette fonction et devait agir dans l’intérêt des acheteurs et des vendeurs86. Dans le monde islamique, le principal fonctionnaire chargé des bazars était le muhtasib, à l’intention duquel un nombre croissant de guides pratiques et de recueils de conseils sont publiés à cette époque87. Ces ouvrages portaient souvent autant sur les petits commerçants et artisans que sur les marchands en gros de taille plus importants. Le muhtasib devait adhérer aux préceptes de la loi islamique et les faire respecter sur les marchés. Il connaissait le principe juridique et moral de la hisba qui consiste à « ordonner le bien et interdire le mal88 ». À Damas, en 1338, le muhtasib ordonna aux juristes d’enseigner aux commerçants ordinaires les fondements du Coran et la manière de prier89. Cette dimension religieuse n’empêchait pas de donner une orientation plus pragmatique à l’application du principe de la hisba90. Les métiers considérés comme sales, tels que les vendeurs de volailles et d’huile d’olive, n’étaient pas autorisés à se regrouper autour de la mosquée91. Le muhtasib avait également la responsabilité de contrôler le respect des poids et mesures, la qualité des produits, les prix et les tentatives de fraude, ainsi que d’attribuer aux commerçants leur emplacement sur le marché et de veiller à la propreté et à l’aménagement des lieux92. Le muhtasib désignait un arif pour lutter contre certaines pratiques frauduleuses93. Comme le suggère Louis Baeck, il est vrai que des traditions réglementaires différentes se sont développées dans les marchés de Damas, de Bagdad, d’Alep, du Caire et de Cordoue94, mais les principes sous-jacents étaient généralement respectés.
33Plus loin, dans l’actuel Nigéria, les Haoussas faisaient une distinction nette entre les commerçants de gros (fatauci) et de détail (ciniki) et les intermédiaires ambulants (yan koli), aussi appelés regraters, qui relevaient tous de l’autorité du sarkin kasuwa, la personne responsable du marché95. En Chine, c’était le shilingsi qui avait la responsabilité de superviser les principaux marchés. Il contrôlait les prix, le respect des poids et mesures ainsi que le paiement des impôts. On pense que des fonctions officielles similaires étaient assumées dans des marchés de taille plus modeste96.
VII. La culture marchande
34Les autorités devaient contrôler, dans une certaine mesure, le système émergent des marchés, car la production relativement faible, les difficultés d’acheminement, les mauvaises récoltes fréquentes, l’intégration rudimentaire et l’asymétrie de l’information entraînaient une fluctuation des prix et de la qualité des produits. L’instabilité de l’offre et des prix, surtout en matière de denrées alimentaires, pouvait aussi susciter des préoccupations plus générales concernant le bien-être de la population et l’ordre social. Nombre de problèmes de cette nature ont influencé le développement des marchés de l’époque prémoderne et en ont posé les limites. Notons que dans l’ensemble du monde médiéval, les cadres réglementaires et les contraintes imposés par les autorités sur les marchés étaient particulièrement cohérents. Des règles similaires ont manifestement été appliquées sur les marchés en ce qui concerne les prix, les bénéfices, les poids et mesures, les activités d’intermédiaire, le crédit, l’hygiène, la qualité des produits et la fraude. Il ne faut toutefois pas oublier de rendre compte de la diversité du contexte social, culturel et politique. Dans quelle mesure retrouve-t-on les mêmes règles et les mêmes pratiques morales sur les marchés de l’Europe chrétienne, du Proche-Orient islamique ou de la Chine confucéenne ? Le système des marchés ainsi que leur réglementation ont été acceptés et leur développement favorisé en grande partie grâce à un socle de valeurs morales communes. Pour instaurer la confiance dans les institutions marchandes en expansion, toute la population devait montrer qu’elle respectait les contraintes informelles d’un cadre éthique commun. Par conséquent, les règles relatives aux marchés et les comportements à l’égard du commerce dans une région donnée ont pu être marqués par certaines préoccupations religieuses et culturelles propres à cette région. Les éléments qui suivent donnent seulement un aperçu d’un sujet potentiellement vaste.
35La volatilité des prix des denrées de première nécessité, bien plus répandue à l’époque médiévale qu’aujourd’hui, était partout la principale origine des difficultés récurrentes rencontrées dans l’organisation des marchés. Toutes les autorités se heurtèrent donc au même problème. D’un côté, elles admettaient le caractère essentiel du service que les commerçants rendaient en apportant des produits sur les marchés ; de l’autre, elles avaient parfaitement conscience que, lors des pénuries ou des famines en particulier, les pratiques commerciales abusives proliféraient au détriment des acheteurs, et que le seul fait de soupçonner de telles pratiques pouvait gravement troubler l’ordre social. La pensée médiévale était marquée par une nette tendance à considérer que les autorités publiques devaient contrôler le commerce, et ce, à la fois au profit du bien commun et du bien des âmes. En Chine, où le nombre de citadins était le plus élevé du monde, des observateurs ont indiqué que la vie de centaines de milliers d’habitants de Jiankang au début des années 1260 dépendait de la navigation sur le Yangzi, « tandis que le pouvoir d’augmenter ou de diminuer le prix du riz [était] tombé entre les mains des négociants97 ».
36Cependant, le commerce étant manifestement nécessaire, les pourvoyeurs des marchés, notamment les intermédiaires, ont finalement pu être considérés avec respect. L’idée selon laquelle un marchand agissant avec honnêteté pouvait prétendre à réaliser des bénéfices raisonnables et à obtenir ainsi des moyens de subsistance s’est répandue dans le monde entier98. Les intellectuels chinois admettaient par exemple qu’un pourvoyeur tire avantage des conditions du marché pour réaliser des bénéfices, s’il agissait avec probité et pour sa propre subsistance. Malgré tout, nombre de commerçants étaient encore perçus comme recourant à des pratiques trompeuses et frauduleuses ainsi qu’à la manipulation pour escroquer. Comme l’observait un fonctionnaire de Nanjing : « Ceux qui ont du riz à vendre sont avides du moindre profit99. » Li Chiyan écrivait à son tour au xiiie siècle :
« La rentabilité n’est absolument pas préjudiciable, c’est pourquoi il y a du bon à faire du profit. Qui plus est, dans ce monde, la recherche du profit est impossible à éviter si l’on veut gagner sa vie. C’est la richesse acquise au mépris de la fraternité qu’il convient d’éviter. Dans ce domaine, être capable de modérer ses ambitions et de se contenter de peu permet d’approcher la perfection100. »
37De façon comparable, selon le principe islamique d’équité, les profits étaient « gagnés », alors que les pertes étaient « méritées ». Un profit était considéré comme un don que le Ciel accordait aux commerçants honnêtes. Aucun profit ne devait être réalisé de façon illicite par le biais de la fraude, de la dissimulation, de poids et mesures falsifiés ou d’un abus de faiblesse101. Lors d’une transaction, seul un prix juste devait être réclamé, sans chercher à réaliser un profit excessif. Al-Ghazali († 1111) affirmait que le commerce était légitime et que les transactions devaient être effectuées avec équité et dans un esprit miséricordieux, comme l’exige la foi. Il entendait par là un commerce de petite échelle destiné à gagner sa vie, et citait ainsi le Prophète : « Si, dans le but de ne rien demander à la communauté, il va [au bazar] pour subvenir à ses besoins ou à ceux de son père et sa mère ou de son épouse et ses enfants, il adore Dieu ; mais s’il y va pour se complaire, se glorifier ou s’enrichir, il adore le diable102. »
38Le fait que la morale ait pénétré de nombreuses règles relatives aux marchés n’était pas considéré comme incompatible avec le contrôle pratique des marchés. En outre, dans la pensée politique islamique, le besoin de contrôler le commerce était moins prononcé que beaucoup ne le supposaient. De même qu’en Europe, les intellectuels musulmans affirmaient que le commerce était précieux et utile, et les commerçants étaient généralement acceptés. La Mecque et Médine ont été deux pôles importants à la fois pour le commerce et la religion. Mahomet en personne a exercé des activités de marchand pendant un certain temps, et Abou Bakr, le premier calife, était un homme d’affaires103. Les commerçants étaient donc censés respecter certaines normes morales pour le bien des acheteurs et de leur propre subsistance. En Chine, les guildes exigeaient aussi de leurs membres qu’ils soient intègres. Marco Polo indiquait d’ailleurs qu’« aussi bien dans les transactions commerciales que dans leurs activités de production, ils [les commerçants chinois] se montrent profondément honnêtes et dignes de confiance104 ». Des observateurs formulèrent des remarques similaires au sujet des commerçants indiens et de leur attachement à préserver leur réputation d’honnêteté105. Quant aux guildes ottomanes, elles insistaient sur le respect des principes éthiques de générosité et de discipline des futuwwa106. C’est un travail de longue haleine que les commerçants des marchés ont dû accomplir pour être considérés comme des personnes honnêtes et équitables, alors même que les représentations culturelles dominantes dévaluaient constamment leur image.
39L’hétérogénéité et la complexité des systèmes de marchés, des contrôles exercés et des réglementations appliquées témoignent de l’influence de facteurs non économiques. Cependant, le jeu complexe des influences locales et régionales cachait souvent des préoccupations, des craintes et des aspirations économiques plus courantes dans l’ensemble du monde médiéval. Si cette concordance est frappante, les réponses apportées ont pu différer selon le contexte local et les différences culturelles. Les fonctionnaires responsables des marchés se heurtaient tous aux mêmes difficultés, qu’ils démêlaient généralement de façon similaire : le souci majeur du bien commun, la protection du caractère ouvert des marchés pour la pratique de prix compétitifs (« justes ») et une aversion pour la manipulation des prix par des personnes plus fortunées ou en possession d’informations privilégiées. Sans aucun doute, certains marchés pouvaient être sous l’emprise de groupes d’intérêts particuliers dont les prérogatives étaient protégées. Cette domination restait toutefois conciliable avec la préoccupation universelle de protection de l’acheteur, en particulier dans le commerce de denrées alimentaires. Ce qui précède n’est qu’une analyse succincte des cultures et des pratiques marchandes, mais devant la similitude des difficultés communément rencontrées, les principes moraux appliqués aux marchés dans l’ensemble du monde médiéval ont souvent débouché sur des approches analogues107.
Conclusion
40Dans le cadre du présent article, on a brièvement passé en revue et comparé les principaux systèmes de marchés locaux qui ont émergé dans le monde médiéval avant le xiiie siècle. Il serait assurément utile d’approfondir le sujet en effectuant une étude comparative générale. Les échanges locaux ont constitué un vecteur essentiel de croissance économique, et la multiplication simultanée des marchés ruraux est frappante. Des marchés locaux étaient manifestement nécessaires pour répondre à la demande paysanne, laquelle trouvait son origine dans la croissance démographique et le renforcement des prélèvements pécuniaires imposés par les seigneurs et les États. Le phénomène de marchandisation, suscité d’abord par la classe marchande, s’est diffusé dans toutes les couches de la société et a conduit à un mercantilisme accru de la population dans son ensemble, voire à de nouvelles normes sociales.
41La culture des marchés médiévaux était imprégnée de principes religieux et culturels, dont la population à cette époque n’aurait certainement pas cherché à se départir, car de tels cadres moraux étaient indispensables au succès des marchés. Des contextes sociaux, politiques, religieux et économiques différents ont abouti à cette même conclusion : les marchés devaient être soumis à un certain contrôle, dans un esprit paternaliste. Des valeurs morales communes ont servi à l’élaboration de normes économiques et ont sensiblement contribué à favoriser la mise en œuvre de règles relatives aux marchés et à les faire accepter. Toute la population devait respecter un cadre éthique commun, ce qui permettait de susciter la confiance dans les transactions effectuées sur les marchés et, ainsi, de diminuer les coûts de transaction pour tous les acteurs du marché. Malgré des environnements culturels et politiques différents, l’objectif des autorités était de veiller à ce que les marchés soient bien administrés, au profit des chalands comme des commerçants, mais aussi de favoriser les prélèvements pécuniaires. Du continent européen jusqu’au Japon en passant par le Moyen-Orient et la Chine, une approche globale peut nous permettre de repenser notre compréhension des facteurs inhérents à l’émergence des marchés locaux et ruraux à l’époque médiévale.
Notes de bas de page
1Certaines parties de cet article ont été produites en collaboration avec le professeur Richard H. Britnell avant son décès en 2013.
2Richard H. Britnell, The Commercialisation of English Society, 1000-1500, 2e éd., Manchester, Manchester University Press, 1996 (1re éd. 1993).
3Robert S. Lopez, The Commercial Revolution of the Middle Ages, 950-1350, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; Peter Spufford, Power and Profit: The Merchant in Medieval Europe, Londres, Thames & Hudson, 2002.
4Des analyses intéressantes sur la « grande divergence » à l’époque moderne sont disponibles dans les ouvrages suivants : Eric L. Jones, The European Miracle, Cambridge, Cambridge University Press, 1981 ; Kenneth Pomeranz, Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Paris, Albin Michel-Maison des sciences de l’homme, 2010 (1re éd. 2000) ; Stephen Broadberry et Bishnupriya Gupta, « The Early Modern Great Divergence: Wages, Prices and Economic Development in Europe and Asia », Economic History Review, vol. 59, n° 1, 2006, p. 2‑31.
5Brajadulal Chattopadhyaya, « Markets and Merchants in Early Medieval Rajasthan », dans Ranabir Chakravarti (dir.), Trade in Early India, Delhi, Oxford University Press, 2001, p. 306-308 ; Shiba Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, Ann Arbor, University of Michigan, 1992, trad. Mark Elvin, p. 145.
6David Abulafia, « Asia, Africa and the trade of medieval Europe », dans Michael M. Postan, Edward Miller et Cynthia Postan (dir.), Cambridge Economic History of Europe, II, Trade and Industry in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 402-473 ; Janet L. Abu-Lughod, Before European Hegemony: The World System AD 1250-1350, New York et Oxford, Oxford University Press, 1989 ; R. S. Lopez et Irving W. Raymond, Medieval Trade in the Mediterranean World, New York, Columbia University Press, 2001 ; Avner Greif, Institutions and the Path to the Modern Economy: Lessons from Medieval Trade, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Alfred E. Lieber, « Eastern Business Practices and Medieval European Commerce », Economic History Review, vol. 21, n° 2, 1968, p. 230‑243.
7James Davis et R. H. Britnell, « Introduction », dans J. Davis (dir.), A Cultural History of Shopping in the Middle Ages, Londres, Bloomsbury, 2022, p. 5 ; R. H. Britnell, « Local Trade, Remote Trade: Institutions, Information and Market Integration, 1050-1330 », dans Simonetta Cavaciocchi (dir.), Fiere e mercati nella integrazione delle economie europee, secc. xiii-xviii, Prato, Istituto internazionale di storia economica F. Datini, Florence, Le Monnier, 2001, p. 185‑203.
8Chris Wickham, « How did the Feudal Economy Work? The Economic Logic of Medieval Societies », Past and Present, vol. 251, n° 1, 2021, p. 3‑40.
9C. Wickham, The Donkey and the Boat: Reinterpreting the Mediterranean Economy, 950-1180, Oxford, Oxford University Press, 2023, p. 680. Pour un exemple de débat au sujet des limites qu’a fait peser la demande des élites et des paysans sur la demande en marchandises, et des périodes au cours desquelles la participation des paysans au commerce s’est accrue, voir : Shami Ghosh, « Chris Wickham on “The Economic Logic of Medieval Societies”: A Response », Past and Present, vol. 260, n° 1, 2023, p. 269-286 ; C. Wickham, « A Reply to Shami Ghosh », Past and Present, vol. 260, n° 1, 2023, p. 287-296. Toutefois, les deux chercheurs s’accordent à dire que la plus grande partie de l’Eurasie a connu un essor de l’économie marchande rurale avant le xiie siècle.
10Max Vassmer, Russisches etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Winter, 1953-1958, t. 3, p. 123‑124.
11Samantha Letters, Gazetteer of Markets and Fairs in England and Wales to 1516, 2 parties, Londres, List and Index Society, 2003, 1re partie, p. 19-20 ; R. H. Britnell, « The Proliferation of Markets in England, 1200-1349 », Economic History Review, vol. 34, n° 2, 1981, p. 219-221 ; James Masschaele, Peasants, Merchants and Markets: Inland Trade in Medieval England, 1150-1350, New York, St. Martin’s Press, 1997, p. 165‑188.
12R. H. Britnell, « Les marchés hebdomadaires dans les îles Britanniques avant 1200 », dans Christian Desplat (dir.), Foires et marchés dans les campagnes de l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997, p. 32-40, 43-46 ; John Bradley, « Planned Anglo-Norman Towns in Ireland », dans Howard B. Clarke et Anngret Simms (dir.), The Comparative History of Urban Origins in Non-Roman Europe, 2 tomes, Oxford, British Archaeological Reports, 1985, t. 2, p. 411‑467.
13J. Davis, « A Reassessment of Village Markets in Late Medieval England », dans Maryanne Kowaleski, John Langdon et Phillipp Schofield (dir.), Peasants and Lords in the Medieval English Economy, Turnhout, Brepols, 2015, p. 273‑296.
14J. Masschaele, Peasants, Merchants and Markets…, op. cit., p. 165‑188.
15Piotr Górecki, Economy, Society and Lordship in Medieval Poland, 1100-1250, New York, Holmes and Meier, 1992, p. 51 ; Tadeusz Lälik, « Märkte des 12. Jahrhunderts in Polen », Ergon, n° 3, 1963, p. 364-367 ; Richard C. Hoffmann, Land, Liberties and Lordship in a Late Medieval Countryside: Agrarian Structures and Change in the Duchy of Wrocław, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1989, p. 56, 259‑261.
16Robert Fossier, « Le problème des marchés locaux en Picardie aux xie et xiie siècles », dans C. Desplat (dir.), Foires et marchés…, op. cit., p. 15-25 ; Étienne Fournial, Les villes et l’économie d’échange en Forez aux xiiie et xive siècles, Paris, Presses du Palais-Royal, 1967, p. 84, 157‑161.
17Pascual Martinez Sopena, « Foires et marchés ruraux dans les pays de la couronne de Castille et Léon du xe au xiiie siècle », dans C. Desplat (dir.), Foires et marchés…, op. cit., p. 47‑69.
18Charles M. de La Roncière, Florence. Centre économique régional au xive siècle, 5 tomes, Aix-en-Provence, Sodeb, 1976, t. 3, p. 951-1013, et t. 4, p. 343-344 ; C. Wickham, The Donkey and the Boat…, op. cit., p. 499, 586 et 605‑606.
19Angeliki E. Laiou, « The Byzantine Economy: An Overview », dans A. E. Laiou (dir.), The Economic History of Byzantium from the Seventh Through the Fifteenth Century, 3 tomes, Washington DC, Dumbarton Oaks, 2002, t. 3, p. 1147-1156 ; A. E. Laiou et Cécile Morrisson, The Byzantine Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 104‑115.
20A. E. Laiou, « Exchange and Trade, Seventh-Twelfth Centuries », dans A. E. Laiou (dir.), The Economic History of Byzantium…, op. cit., t. 2, p. 748 ; Henri Bresc et Annliese Nef (dir.), Idrîsî, La première géographie de l’Occident, Paris, Flammarion, 1999, p. 346‑348.
21Klaus-Peter Matschke, « The Late Byzantine Urban Economy, Thirteenth-Fifteenth Centuries », dans A. E. Laiou (dir.), The Economic History of Byzantium…, op. cit., t. 1, p. 469 ; Nicholas Oikonomides, « The Economic Region of Constantinople: From Directed Economy to Free Economy, and the Role of the Italians », dans Girolamo Arnaldi et Guglielmo Cavallo (dir.), Europa medievale e mondo bizantino, Rome, Istituto storico italiano per il Medioevo, 1995, p. 228‑229.
22J. Davis et R. H. Britnell, « Introduction », art. cité, p. 8 ; Michel Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du vie au xie siècle, Paris, La Sorbonne, 1992, p. 464-465, 496-499, 501-503 ; A. E. Laiou, « The Agrarian Economy, Thirteenth-Fifteenth Centuries », dans A. E. Laiou (dir.), The Economic History of Byzantium…, op. cit., t. 1, p. 319, 346‑348.
23C. Desplat (dir.), Foires et marchés…, op. cit. ; R. H. Britnell, The Commercialisation of English Society…, op. cit. ; J. Masschaele, Peasants, Merchants and Markets…, op. cit. ; Jessica Dijkman, Shaping Medieval Markets: The Organisation of Commodity Markets in Holland, c. 1200-c. 1450, Leyde, Brill, 2011 ; Bas van Bavel, Manors and Market: Economy and Society in the Low Countries, 500-1600, Oxford, Oxford, University Press, 2010 ; Peter Stabel, Dwarfs Among Giants: The Flemish Urban Network in the Late Middle Ages, Louvain, Garant, 1997 ; Gregory B. Milton, Market Power: Lordship, Society, and Economy in Medieval Catalonia, 1276-1313, New York, Palgrave, 2012 ; J. Davis, Medieval Market Morality: Life, Law and Ethics in the English Marketplace, 1200-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
24C. Wickham, The Donkey and the Boat…, op. cit., p. 66-67.
25H. Bresc et A. Nef (dir.), Idrîsî…, op. cit., p. 223.
26Ibid., p. 96 (non identifié), p. 150 (Sefrou), p. 153 (Qasr’Abd al-Karim), p. 231-233 (Itrib, Warwara, Jidwa).
27C. Wickham, The Donkey and the Boat…, op. cit., p. 55-56, 61, 66, 118, 125-126 et 650.
28Tim Mackintosh-Smith (dir.), The Travels of Ibn Battutah, Londres, Picador, 2002, p. 91.
29A. J. Naji et Y. N. Ali, « The Suqs of Basrah: Commercial Organization and Activity in a Medieval Islamic City », Journal of the Economic and Social History of the Orient, vol. 24, n° 3, 1981, p. 300.
30Franz Rosenthal (dir.), Ibn Khaldûn: The Muqaddimah: An Introduction to History, 3 tomes, Londres, Pantheon, 1958, t. 2, p. 276.
31Kenneth R. Hall, « Price-Making and Market Hierarchy in Early Medieval South India », dans Sanjay Subrahmanyam (dir.), Money and the Market in India, 1100-1700, New Delhi, Oxford University Press, 1994, p. 70‑71.
32Radha Champakalakshmi, Trade, Ideology and Urbanization: South India 300 BC to AD 1300, New Delhi, Oxford University Press, 1996, p. 44-45, 240-245 ; Burton Stein, Peasant State and Society in Medieval South India, New Delhi, Oxford University Press, 1994, p. 250-251 ; K. R. Hall, « Price-Making and Market Hierarchy… », art. cité, p. 72, 83.
33B. Chattopadhyaya, The Making of Early Medieval India, New Delhi, Oxford University Press, 1994, p. 180.
34R. Champakalakshmi, Trade, Ideology and Urbanization…, op. cit., p. 224-225, 324-325 ; K. R. Hall, « Price-Making and Market Hierarchy… », art. cité, p. 77-78 ; B. Stein, Peasant State and Society…, op. cit., p. 123, 251.
35Tapan Raychaudhuri et Irfan Habib (dir.), The Cambridge Economic History of India, I, c. 1200-c. 1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 120‑121.
36R. Champakalakshmi, Trade, Ideology and Urbanization…, op. cit., p. 310-311 ; B. Stein, Peasant State and Society…, op. cit., p. 249‑251.
37Krishnaji N. Chitnis, Socio-Economic History of Medieval India, Delhi, Pune, 1979, p. 287-288 et 334-340. Voir aussi T. Raychaudhuri et I. Habib (dir.), The Cambridge Economic History of India…, op. cit., p. 325‑359.
38K. N. Chitnis, Socio-economic History of Medieval India, op. cit., p. 290‑292.
39S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 141‑142.
40Mark Elvin, The Pattern of the Chinese Past, Stanford, Stanford University Press, 1973, p. 165.
41Hugh R. Clark, Community, Trade and Networks: Southern Fujian Province from the Third to the Thirteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 112, 170.
42M. Elvin, The Pattern of the Chinese past, op. cit. ; H. R. Clark, Community, Trade and Networks…, op. cit., p. 112-119 ; S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 149‑150.
43Henry Yule et Henri Cordier (dir.), The Book of Ser Marco Polo, Londres, John Murray, 1903, t. 2, p. 226 et 229.
44Denis Twitchett, « Merchant, Trade and Government in Late T’ang », Asia Major, vol. 14, n° 1, 1968, p. 77 ; H. R. Clark, Community, Trade and Networks…, op. cit., p. 110‑119.
45Ibid., p. 149.
46Jacques Gernet, Daily Life in China on the Eve of the Mongol Invasion, 1250-1276, Londres, George Allen & Unwin, 1962, p. 78-79 (1re éd. La vie quotidienne en Chine à la veille de l’invasion mongole, 1250-1276, Paris, Hachette, 1959) ; Kozo Yamamura (dir.), The Cambridge History of Japan, vol. 3, Medieval Japan, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 328.
47M. Elvin, The Pattern of the Chinese Past, op. cit., p. 147.
48Ibid., p. 166.
49Valerie Hansen, Negotiating Daily Life in Traditional China, New Haven et Londres, Yale University Press, 1995, p. 1‑2.
50S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 75 (un picul est égal à 60-90 l ou 72 kg, V. Hansen, Negotiating Daily Life in Traditional China, op. cit., p. xiii).
51S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 68.
52H. R. Clark, Community, Trade and Networks…, op. cit., p. 146‑148.
53S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 50.
54Ibid., p. 71.
55M. Elvin, The Pattern of the Chinese Past, op. cit., p. 166‑167.
56Ibid., p. 167-168.
57Ibid., p. 169.
58S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 152, 187.
59Ibid., p. 85-86.
60Patricia B. Ebrey (dir.), Family and Property in Sung China: Yüan Ts’ai’s Precepts for Social Life, Princeton, Princeton University Press, 1984, p. 258.
61Ibid., p. 151, 255-256.
62J. Davis, Medieval Market Morality…, op. cit., chap. 1.
63D. Twitchett, « Merchant, Trade and Government… », art. cité, p. 87‑89.
64S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 129.
65Mikael S. Adolphson, « Social Change and Contained Transformations: Warriors and Merchants in Japan, 1000-1300 », dans Johann P. Arnason et Björn Wittrock (dir.), Eurasian Transformations, Tenth to Thirteenth Centuries: Crystallizations, Divergences, Renaissances, Leyde, Brill, 2004, p. 323‑324.
66K. Yamamura (dir.), The Cambridge History of Japan…, op. cit., p. 327, 356.
67Ibid., p. 351-353, 360-363, 380-381, 394 ; K. Yamamura, « The Development of Za in Medieval Japan », Business History Review, vol. 47, n° 4, 1973, p. 438‑465.
68« Saru Genji soshi », dans K. Yamamura, The Cambridge History of Japan, op. cit., p. 511.
69K. Yamamura (dir.), The Cambridge History of Japan…, op. cit., p. 511‑512.
70D. Twitchett, « The T’ang Market System », Asia Major, n° 12, 1966, p. 247.
71Robert Latouche, The Birth of Western Economy: Economic Aspects of the Dark Ages, Londres, Methuen, 1961, p. 158-159 (1re éd. R. Latouche, Les origines de l’économie occidentale, ive-xie siècle, Paris, Albin Michel, 1956) ; Adriaan Verhulst, The Carolingian Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 97 ; Traute Endemann, Markturkunde und Markt in Frankreich und Burgund vom 9. bis 11. Jahrhundert, Stuttgart, Thorbecke, 1964, p. 192‑193.
72H. Bresc et A. Nef (dir.), Idrîsî…, op. cit., p. 137 (Niffis al-Jabal), 152 (Qasr Abî Mûsâ), 158 (Gaza), 160 (Ashîr Zîrî, Djendel et Righa), 167 (Sûq al-Ahad, Sûq al-Kamîs, Sûq al-Ithnayn), 232 (Duqadûs).
73D. Twitchett, « Merchant, Trade and Government… », art. cité, p. 77 ; D. Twitchett, « The T’ang Market System… », art. cité, p. 234.
74S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 143‑146.
75Pierre F. Souyri, The World Turned Upside Down: Medieval Japanese Society, trad. Kathe Roth, New York, Columbia University Press, 2001, p. 88 (version française : P. F. Souyri, Histoire du Japon médiéval. Le monde à l’envers, Paris, Perrin, 2013).
76Dominique Barthélemy, L’ordre seigneurial, xie-xiie siècle, Paris, Seuil, 1990, p. 99-103 ; R. H. Britnell, « Royal Initiative and Scottish Burghs, 1100-1400 », dans Philipp R. Rössner (dir.), Cities-Coins-Commerce, Stuttgart, Franz Steiner, 2012, p. 25-42 ; J. Dijkman, Shaping Medieval Markets…, op. cit. ; Georges Duby, The Early Growth of the European Economy, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1974, p. 235-236, 251-253 (1re éd. G. Duby, Guerriers et paysans, viie-xiie siècle. Premier essor de l’économie européenne, Paris, Gallimard, 1973) ; Edith Ennen, Die Europäische Stadt des Mittelalters, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, p. 63-64 ; Rodney H. Hilton, English and French Towns in Feudal Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 18, 25‑52.
77B. Chattopadhyaya, The Making of Early Medieval India, op. cit., p. 149.
78M. Elvin, The Pattern of the Chinese Past, op. cit., p. 165-167, 169-170 ; Frederick W. Mote, Imperial China, 900-1800, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 362. Pour une illustration concrète de l’action des autorités impériales, voir la pièce de théâtre « Ch’en-Chou T’iao Mi », dans George A. Hayden, Crime and Punishment in Medieval Chinese Drama: Three Judge Pao Plays, Cambridge, Harvard University Press, 1978, p. 33‑78.
79C. Wickham, The Donkey and the Boat…, op. cit., p. 67, 500, 586, 632, 674.
80Henry Bracton, De legibus et consuetudinibus Angliae, George E. Woodbine (dir.), 4 vol., New Haven, Yale University Press, 1915-1942, t. 3, p. 198.
81M. Elvin, The Pattern of the Chinese Past, op. cit., p. 171‑172.
82J. Gernet, La vie quotidienne en Chine…, op. cit., p. 94-95 ; Lallanji Gopal, The Economic Life of Northern India AD 700-1200, New Delhi, Motilal Banarsidass, 1965, p. 98 ; K. Yamamura (dir.), The Cambridge History of Japan…, op. cit., p. 383, 511-516 ; S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 68, 85-86, 152 et 187 ; A. J. Naji et Y. N. Ali, « The Suqs of Basrah… », art. cité, p. 300-309 ; Mahdi Adamu, « The Hausa and their Neighbours in the Central Sudan », dans Djibril T. Niane (dir.), General History of Africa, IV, Africa from the Twelfth to the Sixteenth Century, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 297.
83M. Kowaleski, Local Markets and Regional Trade in Medieval Exeter, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 179‑221.
84R. H. Britnell, The Commercialisation of English Society…, op. cit., p. 90-97 ; Witold Kula, Measures and Men, New Jersey, Princeton University Press, 1986 ; Philip Jones, The Italian City State: From Commune to Signoria, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 490-495, 517-518 ; K. Yamamura (dir.), The Cambridge History of Japan…, op. cit., p. 392-393 ; Bernard Lewis, « Sources for the Economic History of the Middle East », dans Michael A. Cook (dir.), Studies in the Economic History of the Middle East from the Rise of Islam to the Present Day, Oxford, Oxford University Press, 1970, p. 86-89 ; K. R. Hall, « Price-Making and Market Hierarchy… », art. cité, p. 65-66 ; Subhi Y. Labib, « Capitalism in Medieval Islam », Journal of Economic History, vol. 29, n° 1, 1969, p. 92 ; D. Twitchett, « The T’ang Market System… », art. cité, p. 243‑244.
85J. Davis et R. H. Britnell, « Introduction », art. cité, p. 14‑15.
86N. Oikonomides, « The Economic Region of Constantinople… », art. cité, p. 225 ; Eleutheria Papagianni, « Byzantine Legislation on Economic Activity Relative to Social Class », dans A. E. Laiou (dir.), The Economic History of Byzantium…, op. cit., t. 3, p. 1085.
87Ann K. S. Lambton, « The Merchant in Medieval Islam », dans Walter B. Henning et Ehsan Yarshater (dir.), A Locust’s Leg: Studies in Honour of S. H. Taqizadeh, Londres, Percy Lund, 1962, p. 121-130 ; B. Lewis, « Sources for the Economic History… », art. cité, p. 86‑89.
88Thomas F. Glick, « Muhtasib and Mustasaf: A Case Study of Institutional Diffusion », Viator: Medieval and Renaissance Studies, vol. 2, 1971, p. 66 ; Ronald P. Buckley, « The Muhtasib », Arabica, vol. 39, n° 1, 1992, p. 59-117 ; Benjamin R. Foster, « Agoranomos and Muhtasib », Journal of the Economic and Social History of the Orient, vol. 13, n° 2, 1970, p. 140-141 ; Olivia R. Constable, Trade and Traders in Muslim Spain: The Commercial Realignment of the Iberian Peninsula 900-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 113-121. Pour une illustration du principe de la hisba, voir un guide pratique tel que R. P. Buckley (dir.), The Book of the Islamic Market Inspector: Nihāyat al-Rutba fī Talab al-Hisba (The Utmost Authority in the Pursuit of Hisba) by ’Abd al-Rahmān b. Nasr al-Shayzarī, Oxford, Oxford University Press, 1999.
89Ira M. Lapidus, Muslim Cities in the Later Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 103.
90R. Stephen Humphreys, Islamic History: A Framework for Inquiry, New York, Princeton University Press, 1991, p. 217.
91R. P. Buckley (dir.), The Book of the Islamic Market Inspector…, op. cit., p. 15-39 ; O. R. Constable, Medieval Iberia: Readings from Christian, Muslim, and Jewish Sources, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, n° 32, 1997, p. 175.
92R. P. Buckley, « The Muhtasib », art. cité ; Amin Haji, « Institutions of Justice in Fatimid Egypt, 358-567/969-1171 », dans Aziz Al-Azmeh (dir.), Islamic law: Social and Historical Contexts, Londres, Routledge, 1988, p. 200, 207-208 ; R. P. Buckley (dir.), The Book of the Islamic Market Inspector…, op. cit., p. 15-19, 176, 192-193, 196.
93R. P. Buckley (dir.), The Book of the Islamic Market Inspector…, op. cit., p. 36-37.
94Louis Baeck, The Mediterranean Tradition in Economic Thought, Londres, Routledge, 1994, p. 101‑102.
95M. Adamu, « The Hausa and Their Neighbours… », art. cité, p. 297‑298.
96S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 156 ; D. Twitchett, « The T’ang Market System… », art. cité, p. 212‑213.
97S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 75.
98J. Davis, « The Ethics of Arbitrage and Forestalling Across the Late Medieval World », dans Simon Middleton et James Shaw (dir.), Market Ethics and Practices, c. 1300-1850, Abingdon, Routledge, 2018, p. 23‑45.
99S. Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, op. cit., p. 63-64, 75.
100Ibid., p. 185, 194, 212.
101Shelomo D. Goitein, Studies in Islamic History and Institutions, Leyde, Brill, 1966, p. 227‑229.
102A. K. S. Lambton, « The Merchant in Medieval Islam », art. cité, p. 122‑124.
103A. E. Lieber, « Eastern Business Practices… », art. cité, p. 230 ; O. R. Constable, Trade and Traders in Muslim Spain…, op. cit., p. 55‑56.
104J. Gernet, La vie quotidienne en Chine…, op. cit., p. 88.
105T. Raychaudhuri et I. Habib (dir.), The Cambridge Economic History of India…, op. cit., p. 325‑359.
106Halil Inalcik, The Ottoman Empire: The Classical Age, 1300-1600, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1973, p. 151‑154, 161‑162.
107De plus en plus d’ouvrages portant sur la culture et les pratiques marchandes sont publiés, voir par ex. : Kathryn L. Reyerson, The Art of the Deal: Intermediaries of Trade in Medieval Montpellier, Leyde, Brill, 2002 ; Bruno Blondé, P. Stabel, Jon Stobart et Ilja Van Damme (dir.), Buyers and Sellers: Retail Circuits and Practices in Medieval and Early Modern Europe, Turnhout, Brepols, 2006 ; Marcelo Candido da Silva, « L’économie morale carolingienne, fin viiie-début ixe siècle », Médiévales : Langues, textes, histoire, n° 66, 2014, p. 159-178 ; John Dotson, Merchant Culture in Fourteenth-Century Venice: The Zibaldone da Canal, Binghamton, Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1994 ; Giampiero Nigro (dir.), Il commercio al minute. Domanda e offerta tra economia formale e informale, Florence, Firenze University Press ; J. Davis, Medieval Market Morality…, op. cit. ; J. Dijkman, Shaping Medieval Markets…, op. cit. ; Martha Howell, Commerce Before Capitalism in Europe, 1300-1600, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 ; Joel Kaye, Economy and Nature in the Fourteenth Century: Money, Market Exchange and the Emergence of Scientific Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; Dennis Romano, Markets and Marketplaces in Medieval Italy, c. 1100-c. 1440, New Haven, Yale University Press, 2015.
Auteur
Docteur de l’université de Cambridge, professeur d’histoire médiévale à la Queen’s University Belfast, James Davis étudie l’histoire urbaine, économique et culturelle de l’Angleterre et de l’Europe à la fin du Moyen Âge. Il a publié de nombreux articles sur les marchés médiévaux, les commerçants et l’éthique économique dans des revues telles que Economic History Review et Journal of Historical Research in Marketing, ainsi que des ouvrages, en particulier : Medieval Market Morality: Life, Law and Ethics in the English Marketplace, 1200-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 et A Cultural History of Shopping in the Middle Ages, Londres, Bloomsbury, 2022.
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