Introduction générale. Émergence de nouveaux marchés : explorations historiques dans la longue durée

Manuela Martini et Catherine Virlouvet

p. 1-16


Texte intégral

1En raison des nombreuses recherches déjà effectuées par les historiens et les historiennes de l’économie sur les nouveaux marchés1, c’est sur le moment particulier de l’apparition de ceux-ci, de leur émergence, que la rencontre dont nous publions les actes a voulu focaliser l’attention. Un moment déclencheur difficile à cerner, et, pour cette raison, moins étudié jusqu’à présent. Car il y a comme un paradoxe à vouloir étudier précisément le temps de l’émergence, l’innovation impliquant souvent une situation de monopole, avec des profits que ses détenteurs cherchent dans un premier temps à préserver, avant que ne se mette en place un processus construisant un marché accompagné de la fixation des prix et de normes. C’est ce moment de basculement que l’on s’est proposé d’analyser.

2Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on met derrière le mot « marché ».

3L’historiographie contribue directement depuis plusieurs années à reconnecter la pratique économique à la définition du marché que l’on peut énoncer en observant plus directement ses mécanismes. À l’encontre de l’écart entre ces pratiques et la rationalisation du marché formulée par l’économie politique entre la fin du xviiie et le début du xixe siècle, que Philippe Steiner avait pointé il y a quelques années2, cette notion empirique de marché est plus incarnée. De ce fait, elle est plus adaptée, plus efficace finalement pour appréhender des transactions qui risquaient autrement d’échapper au filet de l’analyse, et ce non seulement pour les époques anciennes mais également pour celles très contemporaines. Ces marchés sont des espaces socioéconomiques où ont lieu des transactions très affectées par le contexte de leur production. Il s’agit d’espaces dans lesquels les actrices et les acteurs – producteurs, commerçants, consommateurs –, avec des objectifs spécifiques, des caractéristiques ethniques, religieuses ou genrées particulières, maîtrisant un certain nombre d’informations et insérés dans leurs réseaux, ont toute leur place, notamment dans ce moment d’émergence d’un marché nouveau. Sans oublier le rôle des institutions régulatrices qui encadrent l’activité d’échanges et fabriquent les normes. Les rationalisations, ou tout simplement les actes, gestes, décisions de ces institutions et acteurs multiples, doivent être analysés.

4En somme, le terme a été pris dans sa plus large acception3 : à la fois lieu concret et espace socioéconomique au sens plus vaste, il peut être soumis à une autorisation ou être libre, voire même officieux et informel, « noir », ou du moins présenter des zones grises dans ce moment particulier d’émergence et d’éclosion d’un marché nouveau.

5Le parti pris a été aussi d’embrasser large, tant d’un point de vue spatial, en jouant sur des zones géographiques d’échelles variées, que chronologique, en proposant un questionnement sur une longue durée allant de l’Antiquité à la période contemporaine, ce qui n’est pas sans poser de questions quant à l’hétérogénéité des sources à disposition, mais qui s’avère d’un grand potentiel heuristique pour cette même raison.

6Les questions que nous avons posées aux auteurs et autrices des contributions publiées dans cet ouvrage s’organisent autour de la définition de ce phénomène et de ses caractéristiques particulières dans différents contextes économiques : quels sont les critères permettant de qualifier un marché de nouveau ? Comment définir le moment de l’ouverture et quels facteurs concourent à celle-ci ? Une liberté leur a été laissée d’envisager ces questions à partir d’un panel de situations le plus large possible : changement de dimension spatiale, changement de routes commerciales, apparition de nouveaux produits au sens large (financiers, agricoles, industriels, audiovisuels…), nouvelles modalités de distribution, nouveaux modes de consommation, nouvelles politiques favorisant de nouvelles réglementations, nouvelles technologies et leur adaptation… Il leur a été demandé de prêter attention, dans le traitement de ces cas, aux interactions entre les différents facteurs qui, dans la chaîne de causalités, contribuent ou font obstacle à l’émergence d’un nouveau marché.

7Cette ouverture dans le questionnement a contribué à la richesse des études ici présentées, qui se laissent difficilement enfermer dans une seule thématique et analysent le moment de l’émergence sous ses multiples facettes : protagonistes, offre, demande, rôle des pouvoirs publics, influence de la conjoncture locale ou internationale, des progrès techniques et des changements sociaux, pour ne mentionner que les plus abordées dans cet ouvrage.

8C’est donc le marché, dans sa phase d’émergence, sous toutes ses acceptions, que l’on rencontrera chemin faisant : de nouvelles conditions d’échange qui s’ouvrent, par exemple à l’échelle d’un pays, comme le Mexique (Arnaud ­Bartolomei), l’Inde (Séverine Antigone Marin), l’Italie (Silvia A. Conca Messina) ou la France (Églantine Cussac, Pierre-Antoine Dessaux, Mathieu Sadourny) ; un lieu physique de transactions, telle l’agora d’Athènes (Louise Fauchier), les foires ou les marchés des bourgs médiévaux (James Davis) ; un produit de consommation : thé (Camille Neufville), soie (Maria Cecilia D’Ercole, Silvia A. Conca Messina), pain (Federico De Romanis), mangas (Mathieu Sadourny), perles (Giorgio Riello) ; un ensemble plus vaste et parfois plus abstrait : marché financier (Matteo Calabrese), marché de l’énergie ou des transports (Laurent Warlouzet), marché foncier (Louis Bissières).

9La dimension politique du phénomène est analysée en contexte de décolonisation, par exemple au Mexique en 1821 (Arnaud Bartolomei) ou en Inde au début du xxe siècle (Séverine Antigone Marin), mais aussi dans le cadre très contemporain de l’ouverture des marchés occasionnée par la fin des monopoles nationaux en Europe depuis la fin du xxe siècle (Laurent Warlouzet). On saisit également le rôle de l’action politique et institutionnelle dans le moment de l’émergence conçue et promue par les autorités publiques. Ainsi, l’attribution de privilèges peut structurer un nouvel espace de marché en le sécurisant, ce qui permet de mobiliser des capitaux (Anne Conchon). C’est vraisemblablement aussi l’action politique qu’il faut soupçonner derrière l’apparition, entre la fin du vie et le début du ve siècle av. J.-C., du marché du Céramique à Athènes, en tant que lieu pour vendre et acheter encadré et réglementé par les autorités de la cité (Louise Fauchier). On rencontre aussi l’importance des régulations, normes et standardisations voulues par l’État, entre autres dans une perspective hygiéniste, quand on cherche à comprendre pourquoi et comment le thé est devenu – dans un processus assez lent, d’ailleurs – une boisson nationale pour les Russes (Camille Neufville).

10En se tournant davantage du côté des actrices et des acteurs du marché que sont les productrices, les producteurs et les intermédiaires de vente, d’une part, et les acheteuses et acheteurs potentiels, de l’autre, se pose la question du mécanisme qui permet d’identifier ou de créer une demande nouvelle. Le livre envisage les difficultés d’un tel processus, qui peut confiner à une forme d’échec (Louis Bissières) ou se heurter à des verrous culturels, phénomène illustré par la difficile émergence en France du marché du fast-food (Pierre-Antoine Dessaux) ou de celui des mangas (Mathieu Sadourny). Il montre ainsi que la phase de l’émergence peut se révéler plus complexe et finalement moins linéaire par rapport aux développements postérieurs d’un marché. La concurrence qu’il faut affronter ou avec laquelle il faut du moins composer engendre des luttes qui peuvent se révéler fatales4. Cet ouvrage se penche également sur l’évolution des techniques de vente permettant de faire naître des besoins nouveaux : directeurs commerciaux, voyageurs et représentants de commerce, publicité jouent ainsi un rôle important, analysé dans le cadre du lancement, dans la France des années 1920-1930, de la caméra « familiale » Pathé-Baby qui prend pour cible un (nouveau) public féminin (Églantine Cussac) ou dans celui de la Russie du début du xxe siècle pour susciter l’augmentation de la consommation de thé (Camille Neufville).

11Pris dans leur ensemble, ces travaux menés à partir de cas précis posent en définitive la question des facteurs permettant d’expliquer l’apparition de nouveaux marchés. Facteurs politiques et facteurs économiques se combinent. L’enrichissement des élites impériales et la conquête romaine de l’Égypte, dont les ports permirent l’ouverture vers l’Orient, furent essentiels dans l’apparition de la soie orientale (Maria Cecilia D’Ercole). La construction européenne est intimement liée dans son processus à la création successive de nouveaux espaces commerciaux et industriels (Laurent Warlouzet). Des facteurs à la fois culturels et socioéconomiques révèlent toute leur place également dans l’éclosion de ces nouveaux marchés. Dans la Rome du iiie siècle avant notre ère, c’est la croissance de la population des villes, combinée à la découverte, par la conquête, de territoires cultivant le blé dur et du savoir-faire culinaire des populations moyen-orientales qui explique le passage de la consommation de bouillie à celle de pain (Federico De Romanis). C’est encore la croissance démographique et le passage à la monétarisation qui président à la création de marchés dans les bourgs de petite et moyenne dimension à la période médiévale (James Davis). Par ailleurs, des modes de consommation et des cultures générationnelles spécifiques sont sous-jacents au développement des marchés des mangas ou du fast-food (Mathieu Sadourny, Pierre-Antoine Dessaux). De même, la mode des parures ornées de perles ou des broderies dans les habits d’apparat est le fruit d’une construction du goût qui traverse les aristocraties européennes à partir du xve siècle (Giorgio Riello).

12Dans les contributions ici réunies sont étudiés les effets du croisement de ces facteurs et le poids que peut prendre l’un d’entre eux dans certaines circonstances. L’explication multifocale est souvent mobilisée en toile de fond, même si chaque contribution met plus particulièrement l’accent sur l’une de ces dimensions, ce qui a guidé leur regroupement en quatre sections : « Géo­politique et nouveaux marchés » ; « Le rôle des réglementations » ; « Les acteurs du changement, entre opportunités et résistances » ; « Nouveaux produits et nouveaux lieux ».

13L’ouvrage s’ouvre par l’étude de James Davis qui, par son ampleur, constitue un excellent préambule au sujet : entre le xie et le xiiie siècle, des îles britanniques au Japon, en passant par l’Occident, les deux rives de la ­Méditerranée, l’Empire byzantin, le Moyen-Orient et la Chine, l’auteur met en évidence un mouvement convergent d’émergence des marchés locaux avec une même volonté de la part des autorités de contrôler le commerce des biens dans un souci de politique économique non dépourvu de dimension éthique.

I. Géopolitique et nouveaux marchés

14Trois contributions illustrent le rôle de la géopolitique dans l’émergence des marchés. Traitant de l’ouverture du marché mexicain après la proclamation de la République en 1821 qui mit fin à la clause d’exclusivité existant sous domination espagnole, Arnaud Bartolomei centre son propos en particulier sur l’arrivée des petits commerçants français et le développement rapide de leurs activités qui plaça le Mexique au quatrième rang des exportations étrangères de la France une douzaine d’années plus tard.

15L’article de Séverine Antigone Marin s’intéresse à un moment (les années 1920) au cours duquel les indépendantistes indiens cherchèrent à sortir de la relation exclusive avec l’Angleterre pour nouer des partenariats, entre autres commerciaux, avec d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne. Elle montre les limites de ce mouvement, qui a concerné en fait bien plus des ­entreprises, en compétition de plus longue date, que des nationalités.

16Enfin, Laurent Warlouzet s’intéresse à l’apparition, dans l’Europe des années 1980-1990, de nouveaux marchés dans des secteurs d’activité – transports, poste et télécommunications, énergie – auparavant exploités sous forme de monopoles nationaux. Il montre que cette évolution n’est pas seulement imputable aux innovations technologiques qui ont touché en partie ces secteurs, mais s’explique aussi par le succès de l’idéologie néolibérale dans les politiques européennes à partir de l’ère Thatcher en Angleterre. Contribuant au développement des trafics, l’ouverture de ces nouveaux marchés a amené en outre une augmentation structurelle de la pollution qui suscita à son tour des mesures de régulation environnementale avec lesquelles ces marchés devaient désormais compter.

II. Le rôle des réglementations

17Si le privilège constitue initialement un moyen pour éviter les problèmes de pénurie, son fonctionnement observé au niveau provincial et local par Anne Conchon apparaît toutefois rapidement moins dépendant de ce cadre que ce qui était escompté. Davantage que des innovations liées aux procédés de conservation ou de production de la glace, ce sont surtout des choix effectués par les autorités visant, par des privilèges, à organiser le marché face à une demande croissante de ce produit qui définissent les conditions de son essor.

18La concurrence entre corporations et la capacité des épiciers à accaparer les privilèges pour certains produits (café, thé, chocolat, sorbets, couleurs, eaux-de-vie et liqueurs, fruits confits, graines et légumes secs) sont au cœur de l’ouverture d’une nouvelle configuration commerciale sur la place parisienne. Clémence Pailha insiste sur les stratégies mises en place pour capter le monopole de parts de marché détenues par d’autres corporations, monopole essentiel dans l’élargissement de leurs débouchés commerciaux.

19La fonction de nouvelles institutions est essentielle dans la restructuration du marché de la soie en Lombardie, l’une des régions principales en Europe au xixe siècle, tant pour la production que pour le commerce de soie grège et semi-finie. Après un choc exogène, dû à la maladie du ver à soie qui interrompt la production du fil de soie localement, la reprise de la sériciculture et la régulation du marché de la soie apparaissent clairement comme un nouveau marché comme le montre Silvia A. Conca Messina. Cela va de pair avec la montée en puissance des fabricants, nouveaux acteurs forts face aux grands propriétaires fonciers. Cet équilibre renouvelé représente une vraie rupture dans les rapports de force au sein d’un univers économique dans lequel les grands propriétaires terriens font partie de l’aristocratie, impliquée traditionnellement dans les fonctions de gouvernement sous l’Empire austro-hongrois et l’État italien après 1861. Le marché qui se profile est nouveau de trois points de vue : qualitatif (baisse de la qualité), quantitatif (augmentation massive du volume de la production) et géographique (importance croissante de l’Asie). Les protagonistes changent sur la scène commerciale, ce qui incite à s’interroger sur leurs spécificités socioculturelles.

III. Les acteurs du changement, entre opportunités et résistances

20Giorgio Riello, en ouverture de cette section, pose la question essentielle de la signification de la valeur monétaire et symbolique des objets dans leurs contextes de production et de consommation. Cette approche centrée sur les commodities insiste sur la dimension anthropologique des marchés, tant du point de vue micro-individuel des acteurs qu’au niveau collectif, celui des sociétés. Des sociétés qui s’ouvrent davantage à l’époque moderne, grâce à la circulation d’objets ou artefacts nouveaux ailleurs que dans les lieux de production, dans des espaces économiquement, culturellement et géographiquement distants, à l’instar des perles récoltées principalement dans les Amériques aux xvie et xviie siècles ou du coton produit en Inde et consommé dans l’espace européen.

21Le succès ou l’échec de l’ouverture de ces marchés tient à l’habileté des acteurs connectant ces espaces. On entrevoit cette logique à l’œuvre dans la maîtrise du marché de la terre dans l’Ohio du xviiie siècle, région pour laquelle Louis Bissières décrit l’opposition entre deux types d’entrepreneurs : Levi Hollingsworth, un marchand de calibre moyen, intermédiaire de farines de Philadelphie inséré dans le réseau de transport de marchandises entre Baltimore et Philadelphie, et Robert Morris, un grand marchand foncier détenant les capitaux qui lui permettent d’acheter les terres du premier pour se garantir ensuite une position de monopole. Qui plus est, ces mouvements de capitaux ont lieu dans un contexte de fragmentation du marché foncier états-unien, dont l’une des difficultés pour Hollingsworth est celle d’atteindre ses clients potentiels.

22L’action entrepreneuriale est également l’une des conditions de la construction du marché du fast-food en France. Pierre-Antoine Dessaux montre en effet que les entreprises pionnières du fast-food sont marquées par la personnalité de leurs chefs. À partir de cette forme originale et alternative à la restauration classique se forme un milieu entrepreneurial s’inspirant de modèles allogènes depuis les années 1960. Le décryptage de leurs stratégies, peu ou prou gagnantes dans l’étape initiale de développement de cette branche, montre que, dans cette phase embryonnaire, on expérimente et on teste non seulement en termes de produit mais aussi en termes d’organisation.

23L’émergence du nouveau marché des fonds d’investissement au Luxembourg est également le fruit de l’action d’acteurs avertis dans des conditions favorables du point de vue institutionnel. Elle découle de la capacité à saisir et à promouvoir des opportunités du point de vue fiscal par des groupes dynamiques d’intermédiaires financiers locaux, principalement des avocats d’affaires et des banques actives sur le marché de fonds d’investissement ou des banques dépositaires de ces fonds. Matteo Calabrese montre que ces groupes, en lien étroit avec des intermédiaires extérieurs, ont amené en quelques décennies le Luxembourg à se transformer en hub financier incontournable en Europe.

24Un autre type de figure intermédiaire essentielle dans l’émergence d’un marché est celui des agents de commerce opérant sur le terrain. Églantine Cussac reconstruit la création de toutes pièces d’un marché par Pathé pour la caméra Pathé-Baby après l’échec du projecteur KOK en 1912 et insiste sur le rôle central de voyageurs de commerce formés techniquement afin de viser une clientèle issue des classes moyennes dont les femmes deviennent une cible spécifique.

IV. Nouveaux produits et nouveaux lieux

25En ouverture de cette partie, Federico De Romanis s’interroge sur les raisons d’un changement majeur dans le marché de l’approvisionnement romain en céréales, dont il retrace les étapes : le passage, dans les derniers siècles avant notre ère, de la consommation de bouillies, à base d’amidonnier, à celle de pain, fabriqué à partir de blé dur, qui entraîna le développement de la boulangerie. Cette transformation, qui répondait à une nécessité liée à l’augmentation importante de la population urbaine à cette époque (le blé dur a un meilleur rendement), fut permise par la conquête de territoires produisant ce type de céréales et par l’entrée dans la sphère d’influence romaine de populations orientales en possession d’un savoir-faire ancien dans les techniques de meunerie.

26Centré sur un lieu, le marché du Céramique dans l’Athènes classique, et s’interrogeant à la fois sur le moment et le contexte de son apparition, l’article de Louise Fauchier aborde le sujet complexe de la relation entre organisation du marché et agora civique dans la Grèce antique. Elle s’interroge sur la corrélation, à partir de la fin du vie et du début du ve siècle avant notre ère, entre l’établissement des institutions civiques de l’agora et le développement des activités marchandes dans ce même espace. Un faisceau d’indices permet de situer à l’époque du législateur Solon la naissance du marché comme espace institutionnel d’échanges, en même temps que se construisait l’espace politique de la cité.

27C’est à l’essor du marché de la soie impériale dans l’Empire romain que s’intéresse l’article suivant, sous la plume de Maria Cecilia D’Ercole : au tournant de notre ère, entre les années 20 av. et apr. J.-C., la mode des serica, les soies d’Orient, explose et devance les autres types de soies connues en ­Méditerranée, notamment celle de Cos depuis le ive siècle avant notre ère. Si les sources antiques ne permettent pas de localiser précisément le pays des Sères, d’où les serica tirent leur nom, qui pourrait être la Chine ou l’Inde, il est cependant certain que le développement d’un commerce sur d’aussi longues distances tient à la consolidation même, à cette époque, d’un vaste empire territorial pacifié sous la domination de Rome ; l’Égypte et ses ports, désormais en la possession des Romains, jouèrent en effet leur rôle dans ces nouveaux échanges auxquels prirent part de nombreux intermédiaires, marchands ou royaumes.

28La contribution de Camille Neufville porte pour sa part sur les conditions du développement, tant quantitatif que qualitatif, de la commercialisation de masse du thé dans l’Empire russe au tournant des xixe et xxe siècles. L’exemple est emblématique du degré d’insertion des acteurs économiques et politiques dans des réseaux à grande échelle, mais aussi des limites de cette insertion qui tiennent à ce qu’il est convenu d’appeler l’« arriération économique » russe, une question classique que l’auteure aborde à la lumière des nouvelles problématiques. Elle montre la segmentation spatiale, sociale et ethnique du marché du thé, en dépit d’une tendance à long terme à l’unification, favorisée par le régime tsariste autant que par les stratégies d’un groupe restreint de marchands qui suscitèrent longtemps la méfiance des autres acteurs économiques.

29Enfin, Mathieu Sadourny analyse l’irruption des mangas japonais sur le marché français à partir des années 2000, en montrant les difficultés de leur implantation dans les années 1980-1990. Pour ce faire, il s’appuie sur la notion de biens « singuliers » forgée par Lucien Karpik5. Les années 1980 se caractérisent par ce qu’il appelle une « émergence avortée », avec des parutions sans lendemain. Dans la décennie suivante, quelques éditeurs se lancent dans la publication des mangas, non sans mal en dépit de rares succès. L’émergence se confirme depuis le début du siècle, même si le marché reste fragile. Le genre fait en effet l’objet, dans l’Hexagone, de critiques incessantes qui peinent à distinguer les « bons » mangas des mauvais et le système dépend d’achats de droits auprès des ayants droit nippons qui ne sont pas toujours garantis.

Conclusion : Leviers et freins à l’apparition de nouveaux marchés

30Quels enseignements tirer de cette moisson d’études spécifiques ? Ces contributions couvrent des époques et des aires géographiques tellement différentes et vastes que cet ouvrage pourrait, au premier coup d’œil, ressembler davantage à un répertoire anthologique de cas exemplaires qu’à une réflexion construite sur le moment d’émergence des marchés. Nous avons fait le pari que cette variété peut précisément apporter des éléments de connaissance dans la longue durée, rarement réunis simultanément et permettant de dégager des traits communs par la lecture en continu du volume, au-delà d’une consultation ponctuelle de tel ou tel article.

31Tout d’abord, cet ouvrage montre que les périodes anciennes ont pleinement leur place dans ce champ de recherche. Si l’existence même d’un « marché » dans le monde antique a été mise en doute dans la foulée des travaux de Finley dans les années 1960-1970, les recherches des dernières décennies du xxe et du début du xxie siècle ont permis de dépasser ce que l’on a parfois appelé, de manière polémique, l’opposition entre « primitivistes » et « modernistes ». Pour la période gréco-romaine, si l’on doit reconnaître l’absence d’homogénéité dans l’évolution économique des territoires et des populations autour du bassin méditerranéen, les recherches récentes ont confirmé que dans certaines régions – proches de la mer ou d’un cours d’eau, avec des villes ou des agglomérations militaires –, le stade de l’économie domestique avait été largement dépassé. Jean Andreau parle ainsi d’« empire-monde » pour qualifier le stade atteint par les activités économiques à la période hellénistico-romaine, en écho à l’« économie monde » décrite autrefois par Fernand Braudel pour la Méditerranée du xvie siècle6. Sous la domination de Rome en particulier, le développement du commerce permit la création de circuits et de réseaux auxquels participèrent des territoires fort éloignés les uns des autres. Dans ce contexte, et en dépit de la rareté et de la discontinuité des sources pour ces périodes, le livre présente, on l’a vu, des exemples dans lesquels on peut cerner l’émergence de marchés.

32Le primat du politique dans l’apparition des nouveaux marchés apparaît dans ce volume comme une constante sur le très long terme. Les changements géopolitiques permettent en effet l’ouverture de marchés : l’État romain, parce qu’il préside au développement d’infrastructures facilitant les échanges au sein d’un empire d’une ampleur inédite, favorise la diffusion de nouvelles pratiques de consommation ; les indépendances du Mexique, de l’Inde, mais aussi des États-Unis avec la fin de l’interdiction britannique de colonisation des terres de l’Ouest après la guerre d’Indépendance, ouvrent de nouvelles perspectives de marchés.

33Au-delà, il faut souligner plus largement l’importance de la volonté politique de contrôle par les autorités qui préside ou accompagne l’émergence de marchés. Au Moyen Âge, les marchés locaux, voulus par les autorités pour mieux contrôler le commerce, ou, dans la Russie tsariste, le rôle du pouvoir autocratique dans le développement de la consommation de thé en sont des exemples. L’intromission du politique dans le processus d’émergence de nouveaux marchés obéit également à des considérations éthiques, que l’on voit bien à l’œuvre au Moyen Âge ou dans le désir affiché par le pouvoir tsariste au xixe siècle de populariser le thé auprès des catégories modestes de la population russe pour lutter contre les ravages de l’alcoolisme. Le livre éclaire aussi le poids des choix politiques dans l’adoption de telle ou telle théorie économique : le libéralisme érigé en doctrine par l’Europe, qui suivit sur ce point l’Angleterre thatchérienne, généra au tournant des xxe et xxie siècles l’ouverture au marché de secteurs autrefois monopoles d’État.

34Le volume dans son ensemble attire également l’attention sur le rôle des institutions et le levier que représente leur action. Plusieurs contributions abordent la place centrale du cadre institutionnel non seulement dans la régulation mais aussi dans le façonnement d’un nouveau marché. La force des institutions est redoutable, fussent-elles déjà fermement installées ou plus instables, lorsqu’elles-mêmes émanent de ce marché ou s’organisent dans l’urgence face à l’émergence de nouveaux groupes formés parallèlement à son apparition et des problèmes inédits qu’il fait surgir. Les institutions garantissent tout d’abord des avantages. Les privilèges et des prérogatives de vente réservées à des individus ou des corporations sont des outils puissants pour garantir le commerce de la glace et son organisation au niveau local ainsi que l’élargissement des débouchés commerciaux de l’épicerie parisienne au xviiie siècle. L’apparat législatif et la mise en place d’un environnement fiscal propice contribuent au succès des fonds d’investissement fermés puis des fonds ouverts dans le Luxembourg du xxe siècle. Les institutions peuvent s’ériger en arbitres, tout en étant parfois partisanes, dans la résolution des conflits, comme cela fut également le cas face aux réactions suscitées par l’arrivée impromptue de concurrents menaçant les notables locaux au Mexique.

35La circulation de l’information, comme sa maîtrise, apparaît en outre comme une condition sine qua non pour l’affirmation des protagonistes de la phase initiale d’un marché ; elle pourrait ainsi, à plusieurs titres, être considérée comme un fil rouge qui rapproche la plupart des cas étudiés ici. De ce point de vue, l’échec de Levi Hollingsworth peut être attribué à la faible connaissance de sa clientèle potentielle pour le marché de la terre dans l’Ohio à la fin du xviiie siècle. Plus proche de nous, le rôle des représentants de commerce est primordial dans la transmission des informations techniques indispensables pour rendre accessible une nouvelle caméra portable au début du xxe siècle. Dans l’Antiquité, l’information passe par les ports et les marchands, mais aussi (on reboucle ainsi sur le premier fil rouge) par les armées et le personnel administratif dans les provinces. Il ne faut pas sous-estimer la mobilité des populations antiques, comme on l’a longtemps fait ; en effet, même si les délais de transmission sont évidemment sans comparaison avec ceux de notre époque, ils peuvent néanmoins être rapprochés de ceux des périodes médiévales et même modernes.

36Si la circulation de l’information peut créer les conditions d’apparition d’un marché, il n’est pas toujours aisé de cerner les canaux par lesquels elle passe. Un exemple emprunté à l’Antiquité romaine, celui du marché du limes rhénan, offre un complément aux apports de ce livre sur la manière dont se combinent les initiatives politiques et l’information des producteurs et des marchands. On sait que les campagnes en Germanie des règnes d’Auguste et de son successeur Tibère entraînèrent la fixation durable de camps sur le Rhin, engendrant vers cette région des courants commerciaux depuis la Méditerranée, essentiellement par une remontée du Rhône jusqu’à Lyon puis par un itinéraire mixte, fluvial et terrestre, suivant l’axe Saône-Moselle-Rhin. Le légionnaire retrouvait ainsi sur sa table les produits qu’il avait l’habitude de consommer, et la présence des armées dans cette partie de l’Empire entraîna l’importation de très grandes quantités de vin, d’huile, de salaisons de poissons, etc., provenant surtout de la péninsule Ibérique.

37Une chose frappe dans l’apparition de ce circuit commercial majeur dans l’histoire économique de la Gaule romaine, c’est la rapidité de son implantation. Le riche matériel céramique provenant de la fouille du grand camp militaire d’Oberaden, sur la Lippe, qui abritait sans doute deux légions, soit au moins une dizaine de milliers d’hommes, permet d’en prendre la mesure : le camp a été implanté en 11 av. J.-C., au tout début des campagnes augustéennes en Germanie, et abandonné dès 8-7 av. J.-C., à la suite probablement de la mort du général en charge de conduire les opérations militaires dans cette région, Drusus l’Ancien, le frère de Tibère. Il n’a jamais été réoccupé par la suite en raison des revers que les populations de l’est du Rhin firent subir aux légions dans cette zone. On peut donc – fait rare pour cette période – cerner assez finement la chronologie des découvertes. Or, on trouve dès l’origine des contenants (amphores surtout) témoignant de l’importation des produits en provenance de Méditerranée, essentiellement de Bétique (l’actuelle Andalousie).

38Comment les producteurs, les commerçants et les transporteurs ont-ils su aussi vite que s’ouvrait à des milliers de kilomètres plus au nord un nouveau marché de consommateurs de produits méditerranéens ? S’agit-il d’une réaction spontanée de leur part, ou doit-on supposer qu’ils ont été contraints par l’administration responsable de la logistique de la conquête ? Pour plus commode qu’elle paraisse, l’hypothèse longtemps défendue d’une prise en main du ravitaillement des soldats en huile ou autres denrées par l’administration impériale, à partir d’un tribut en nature livré par la Bétique et acheminé par des naviculaires privés rémunérés par l’État, ne repose sur aucune source. Le préfet de l’Annone n’était à cette époque, et pour longtemps encore, en charge que de l’approvisionnement en blé de la ville de Rome et des armées, et rien ne permet de penser que la Bétique payait l’impôt en nature. On a pu montrer en fait que la production d’huile avait beaucoup augmenté dans cette province dès la fin du ier siècle avant notre ère et qu’on l’exportait déjà à cette époque vers l’Italie, et même vers la nouvelle colonie romaine de Lugdunum (Lyon). Par ailleurs, il faut souligner le rôle qu’a pu jouer la puissante famille des Balbi, originaire de Gadès (Cadix). Ces membres de l’élite espagnole, dont les ancêtres avaient reçu la citoyenneté romaine de Pompée en récompense de leur collaboration avec les Romains dans l’entreprise de pacification de l’Espagne, donnèrent un consul à Rome sous le règne d’Auguste ; ils pratiquaient l’évergétisme envers leur communauté d’origine et avaient fait aménager le port de Gadès ; enfin, ils possédaient eux-mêmes de grands domaines en Andalousie. L’information pourrait donc bien avoir circulé par l’intermédiaire des élites gaditaines et de leur entourage, et l’initiative résulter de l’appréciation par les gros propriétaires terriens espagnols de l’opportunité d’ouverture d’un nouveau marché à la consommation de leurs productions.

39Cependant, il est certain que les marchands de Bétique ont dû profiter des aménagements réalisés par la puissance publique pour les besoins de l’armée. Auguste séjourna beaucoup à Lyon entre 16 et 13 avant notre ère pour préparer les campagnes de Germanie, et il décida de l’établissement d’un emporium, c’est-à-dire d’une place de commerce, dans la capitale des Gaules. Toujours en vue de cette campagne et du transport des troupes, l’armée améliora la circulation par la construction et l’entretien des routes. Ainsi, même si l’émergence de ce nouveau marché n’obéit probablement pas à une configuration dirigiste, cela n’empêche pas de mesurer à sa juste valeur la part que l’État prit dans ce processus7.

40À travers ce livre, on entrevoit enfin le poids que peut revêtir l’introduction de nouvelles techniques et procédés innovants. Les innovations peuvent se situer aussi bien au niveau de la production que de l’organisation. Le succès du Pathé-Baby est tout autant le fruit de sa maniabilité que de ses spécificités technologiques. En filigrane de la diffusion à grande échelle du fast-food se dressent de nouvelles modalités de production et distribution des repas qui concernent également d’autres formes de restauration collective, telles les cantines des usines, des écoles ou des hôpitaux.

41D’autres exemples corroborent et étayent cet aspect incontournable que les contributions de ce volume n’abordent pas de front.

42Par la rapidité de sa diffusion et la localisation de la production dans des pôles textiles spécialisés de l’espace industriel européen, le nouveau marché du tulle et de la dentelle mécanique qui se développe entre les années 1820 et les années 1860 dans l’Europe de la première industrialisation est un terrain d’observation privilégié. Il permet de mettre au jour la dynamique qui peut s’enclencher entre l’émergence d’un nouveau marché, ses effets sur la diffusion de l’innovation industrielle et le façonnement de ce marché émergent par de nouveaux débouchés en termes de produits que cette innovation industrielle entraîne.

43La consommation croissante de produits de semi-luxe au niveau européen dans les premières décennies du xixe siècle explique l’essor soudain du marché du tulle mécanique. L’une des conditions de cet accroissement de la demande est la qualité du tulle puis de la dentelle mécanique, produits grâce à une innovation technologique – l’application au métier à tisser bobbin du système du technicien britannique John Heathcoat – adoptée d’abord à Nottingham en Angleterre. Le transfert en France de métiers à tisser bobbin à bras pour produire du tulle en coton dans la première décennie du xixe s’est accompagné de mécaniciens et tisseurs britanniques qui, très rapidement, implantèrent eux-mêmes ou fournirent la main-d’œuvre indispensable à l’implantation de manufactures concentrant plusieurs métiers à tisser, en particulier autour de Saint-Pierre de Calais.

44Un premier tournant dans cette histoire de circulation de technologies et de personnes est lié au développement d’un marché de niche lorsque le marchand-fabricant lyonnais Jean-Claude Dognin parvient, au début des années 1820, à remplacer le coton par la soie dans la fabrication d’abord d’un tulle épais et résistant, appelé tulle « grenadine ». L’amélioration par la suite sur place de métiers bobbin conçus pour le coton et leur adaptation à des fils plus fins lui permettront de produire, quelques années plus tard, des tulles plus légers appelés « zéphyr » et « illusion ». Ces produits jouiront d’une grande renommée en Europe et façonneront le marché émergent en orientant la demande vers la consommation de nouveaux produits, tels les tulles « grenadine » brodés à la main, les voilettes ou les châles en dentelle mécanique.

45L’application de la mécanique Jacquard au tissage du tulle depuis les années 1850, d’abord dans des métiers à bras puis des métiers à tisser actionnés par des mécaniques à vapeur, marque un nouveau tournant dans la diffusion d’une véritable dentelle mécanique. Cette adaptation réussie consolide l’entreprise Dognin et jette les bases d’une alliance d’abord productive et commerciale, puis aussi familiale, entre les deux pôles industriels du tulle et de la dentelle mécanique, Calais et Lyon. L’association du fils de Jean-Claude Dognin, Camille, et d’un commis négociant de Calais intéressé à la technique, Augustin Isaac, débouche en 1854-1855 sur la création d’une entreprise associant aussi les frères Roque, des marchands-fabricants tullistes possédant un atelier à la Croix-Rousse, et un commerçant juif de Francfort, Simon Haas, auquel est confiée la commercialisation des produits dans le Sentier à Paris. La « dentelle de Lyon », plate et aux contours du dessin brodés, sera désormais produite à la Croix-Rousse et à Calais et brodée manuellement à domicile, à Lyon, et de plus en plus souvent dans les campagnes environnantes – notamment à Condrieu, dans la Vienne, qui deviendra pendant des décennies l’un des sites les plus réputés en broderie de la constellation industrielle lyonnaise. L’ouverture de succursales pour la commercialisation des dentelles de Lyon à Londres et à Nottingham clôt par la suite le cycle des transferts commencé dans les années 1810-18208. Un marché initialement de niche se transforme en quelques décennies en un vaste marché national et international de produits de semi-luxe. Ce processus n’est pas sans rappeler les marchés de niche qui s’affirment aujourd’hui dans le domaine de l’industrie textile, à l’instar des tissus dit « techniques » ou « intelligents » à haute technologique pour le sport ou des produits textiles écoresponsables s’adressant à de nouveaux segments de marché, pensés comme ils sont pour les jeunes générations adeptes de la consommation avertie du point de vue environnemental.

46Autant de pistes de réflexion qui ouvrent des perspectives encore largement à explorer sur ce moment si crucial et toujours marqué par la créativité de la dynamique des marchés.

Notes de bas de page

1Parmi ces travaux, deux publications récentes sont issues du programme du Comité d’histoire économique et financière de la France sur l’histoire des marchés : Françoise Bayard, Patrick Fridenson et Albert Rigaudière (dir.), Genèse des marchés, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2015, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/3889 ; P. Fridenson, François Monnier et A. Rigaudière (dir.), Concurrence et marchés. Droit et institutions du Moyen Âge à nos jours, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2023, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/16840.

2Philippe Steiner, « Théories et pratiques du marché : une approche de sociologie économique historique », l’article de Steiner se trouve dans F. Bayard, P. Fridenson et A. Rigaudière (dir.), Genèse des marchés, op. cit., p. 195-196 : « Elle soulève des questions étrangères à la pratique des acteurs présents sur le marché, parce que les rationalisations intellectuelles et pratiques à l’œuvre dans le monde académique et dans le monde marchand ne sont pas les mêmes et parce que, l’enseignement de l’économie étant devenu une profession à part entière, l’économiste est moins directement confronté à la pratique marchande. »

3S’agissant de saisir le moment de l’émergence de nouveaux marchés, il sera davantage question ici de logiques et d’organisations concrètes, plus que du marché comme principe, quoique cette dimension ne soit pas absente dans de nombreux papiers, répondant à la juste remarque de Laurence Fontaine sur l’importance de ne pas cloisonner les deux versants de la question, dans son compte rendu du volume de 2015 cité à la note 1 (Laurence Fontaine, « Genèse des marchés », H-France Review, vol. 16, n° 131, juillet 2016, p. 1‑5).

4L’historiographie sur ce point est particulièrement riche, voir P. Fridenson, « Concurrence, régulations privées et régulations publiques dans l’histoire de la France et de son insertion internationale : le pouvoir de marché à l’épreuve », dans P. Fridenson, F. Monnier et A. Rigaudière (dir.), Concurrence et marchés…, op. cit., p. 1‑22.

5Lucien Karpik, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.

6Sur ces questions touchant à l’économie antique, qui ont fait couler beaucoup d’encre, on consultera avec profit, parmi les publications récentes : Jean Andreau, L’économie du monde romain, Paris, Ellipses, 2010 ; Véronique Chankowski, Xavier Lafon et Catherine Virlouvet (dir.), Entrepôts et circuits de distribution en Méditerranée antique, Athènes, Éd. de l’École française d’Athènes, BCH Suppl. n° 58, 2018 ; Raymond Descat, « Le marché dans l’économie de la Grèce antique », Revue de synthèse, n° 2, 2006, dossier « Le marché dans son histoire », p. 253-272 ; François Lerouxel et Julien Zurbach (dir.), Le changement dans les économies antiques, Pessac, Ausonius Éd., 2020 ; Brigitte Marin et C. Virlouvet (dir.), Entrepôts et trafics annonaires en Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Rome, Publications de l’École française de Rome, CEFR n° 522, 2016 ; Yves Roman et Julie Dalaison (dir.), L’économie antique, une économie de marché ?, Paris, De Boccard, 2008.

7C’est à propos de ce marché du limes rhénan qu’André Tchernia a employé l’expression de « commerce imbriqué », pour dépasser l’opposition entre la thèse du primat d’un marché « libre » et celle d’une administration impériale dirigiste. Voir André Tchernia, « L’arrivée de l’huile de Bétique sur le limes germanique : Wierschowski contre Remesal », dans Lucien Rivet et Martine Sciallano (dir.), Vivre, produire et échanger : reflets méditerranéens. Mélanges offerts à Bernard Liou, Montagnac, Éd. M. Mergoil, 2002, repris dans A. Tchernia, Les Romains et le commerce, Naples, BiAMA, 2011, p. 326‑327.

8Pour plus de détails sur l’industrie du tulle lyonnais, voir Manuela Martini, « Urban Industrial Districts and Subcontracting Chains in Textile Industry in 19th Century France », Rekishi to keizai, 2024, en cours de publication. Sur Auguste Isaac et sa famille, voir Hervé Joly, Auguste Isaac. Journal d’un notable lyonnais, 1906-1933, Lyon, Éd. BGA Permezel, 2002, p. 14. Pour la diffusion de la dentelle en coton mécanique à Calais, voir Benoît Noël, « Les Anglais et l’origine de la dentelle de Calais », Revue du Nord, vol. 364, n° 1, 2006, p. 67-88 et Fabrice Bensimon, « De Nottingham à Calais, le genre de la dentelle mécanique à l’épreuve des migrations, 1810-1860 », Le Mouvement social, vol. 276, n° 3, 2021, p. 47‑69.


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