Les résultats obtenus

1Les résultats obtenus dans le domaine de la Reconstruction seront examinés sous quatre paragraphes :

1. Résultats obtenus dans les industries productrices de matériaux de construction ;

2. Reconstructions opérées de 1945 à 1948 ;

3. Reconstructions opérées de 1948 à 1950 ;

4. Questions en rapport avec le coût de la construction, le progrès technique et la productivité dans l’industrie du bâtiment.

Les résultats obtenus dans les industries productrices de matériaux de construction

2Le Plan leur avait fixé des objectifs pour le ciment, la chaux, le plâtre, les briques et les tuiles, les moellons, les pierres de taille, le sable, le gravier et les ardoises. Sauf pour la chaux hydraulique, les résultats obtenus ont, partout, été très inférieurs aux buts fixés :

• pour, le ciment, la production est passée de 3 millions de tonnes en 1946 à 6,7 millions en 1949 ; l’objectif pour 1950 était de 15,5 millions de tonnes ; nous n’en sommes par conséquent qu’à 50 % de l’objectif, et cela est d’autant plus regrettable que l’industrie du ciment pourrait être, en France, largement exportatrice ;

• pour le plâtre, la production est restée aux environs de 1 million de tonnes, soit 45 % de l’objectif ;

• pour les briques et tuiles et pour les ardoises, industries exportatrices également, la production est stationnaire et évolue entre 45 et 60 % des buts fixés ;

• pour les sables et graviers, une avance notable a été réalisée ; nous n’en sommes néanmoins qu’à 40 % de l’objectif.

3En définitive, l’indice global pondéré des industries des matériaux de construction, sur la base de 100 en 1938, devait être, en vertu du Plan, de 270 en 1950 ; or, il n’était en 1949 qu’à 120, et même un peu moins au début de 1950, alors qu’il avait atteint 170 en 1929.

4Non seulement nous sommes très loin d’avoir réalisé les objectifs, mais nous restons sensiblement en dessous du niveau atteint en 1929, alors que n’existaient pas les besoins actuels de la Reconstruction.

5On trouve là les raisons, ou du moins l’une des raisons, de l’insuffisance des progrès de la Reconstruction, et l’une des raisons aussi du maintien à un niveau élevé des prix de revient dans le bâtiment.

Les progrès de la Reconstruction de 1945 à 1948

6Les premiers travaux qui s’imposaient avant de commencer à reconstruire effectivement étaient le déminage, le déblaiement, la mise hors d’eau et la remise en état d’habitabilité des bâtiments endommagés, ainsi que la construction de logements provisoires pour les sans-abri. Il s’agissait là de toute une série d’obligations absolument inévitables qui devaient être réalisées généralement d’urgence :

• le déminage a été réalisé très rapidement ; au 31 décembre 1945, il était terminé aux deux tiers, et au début de 1948, il pouvait être considéré comme pratiquement achevé, sous réserve de quelques cas particuliers peu nombreux ;

• les déblaiements et remblaiements furent aussi poussés activement. La réparation des immeubles sinistrés, qu’il s’agisse de mise hors d’eau ou en état provisoire d’habitabilité, se heurtait à de grosses difficultés principalement dues initialement à la rareté des matériaux. Un gros effort fut fait, notamment à partir de 1946 et, au 30 juin environ, 85 % des bâtiments partiellement sinistrés avaient fait l’objet de travaux, 68 % avaient été rendus à l’habitation et 30 % étaient définitivement réparés ;

• enfin, les constructions provisoires furent établies en assez grand nombre, mais dans des conditions de prix de revient et de confort qui ont été parfois critiquées.

7Quant à la construction de maisons nouvelles en remplacement de celles entièrement détruites, elle fut évidemment très peu importante dans cette première période de 1945 à 1948. Au 31 décembre 1947, 20 000 logements seulement étaient en cours de construction, sur lesquels 13 000 étaient édifiés directement par l’État. Au 31 décembre 1947, seulement 4 000 à 5 000 maisons étaient terminées – pratiquement bien peu de chose.

8Les difficultés matérielles à surmonter résultaient de la désorganisation générale du territoire, de l’insuffisance de l’outillage, du recours inévitable à des moyens improvisés et, surtout, de la rareté des matériaux (bois, ciment, acier), dont les contingents réservés à la reconstruction étaient très inférieurs aux besoins. La France devait d’abord reconstituer son outillage et améliorer son équipement afin de songer à pouvoir reconstruire.

9L’ordonnance du 27 octobre 1945¹¹ organisa un premier système de contrôle concernant notamment l’emploi des matériaux, sous forme de l’autorisation préalable des travaux. Ce texte remplaçait par un permis de construire unique les multiples autorisations qui assuraient auparavant le respect de nombreuses prescriptions en vigueur (règlements sanitaires et de sécurité, servitudes diverses résultant du voisinage d’aérodromes ou de monuments classés, projets d’aménagement, prescriptions d’urbanisme, etc.). L’ensemble de ces nécessités faisait donc désormais l’objet d’un contrôle unique et d’une autorisation préalable de travaux unique. Reprenant en partie une réglementation introduite pendant l’Occupation, la législation de 1945 soumettait à l’autorisation tous travaux supérieurs à un montant de 50 000 francs ; tenant compte de la hausse des prix et de la plus grande abondance des matériaux, l’arrêté du 28 juin 1948 a porté ce plafond à 1 million. Enfin, l’arrêté du 13 octobre 1948 a supprimé l’autorisation préalable pour les travaux concernant les immeubles à usage d’habitation.

10Du point de vue économique, l’aspect le plus préoccupant de cette période résulte de l’accroissement des coûts de production. Les prix de revient devinrent si élevés que le gouvernement s’en préoccupa et son intervention, poursuivie avec des moyens limités et une continuité insuffisante (bien qu’elle prît des formes diverses), fut d’une efficacité réduite. Elle se manifesta par des encouragements donnés à la reconstruction groupée, par la création des associations syndicales de reconstruction constituées par les propriétaires d’un même îlot d’immeubles, par la priorité donnée à la reconstruction de certains îlots importants, et cela même si les propriétaires se trouvaient individuellement dans des situations différentes au point de vue de l’ordre de priorité, par des crédits spéciaux ouverts au budget de 1948 pour permettre le financement d’installations communes (centrales à béton, mécanisation de carrières, etc.) susceptibles de servir à la reconstruction de tout un quartier ou d’une ville.

11Telles sont les caractéristiques d’une époque qu’on peut presque qualifier de « période de dépannage » ; elles ont dominé l’activité de reconstruction, surtout de 1945 à 1948.

Les progrès de la Reconstruction de 1948 à 1950

12Ces caractères ont changé dans la période suivante, que j’aborde maintenant, qui va de 1948 à 1950.

13Les dispositions prises en 1948 – la suppression du contingentement des matériaux de construction, la promulgation de textes législatifs sur les associations syndicales et les sociétés coopératives de reconstruction, ainsi que la liquidation des travaux les plus urgents (qui était fort avancée en 1948 et quelquefois même achevée) – ont permis d’amorcer plus activement la reconstruction immobilière dans la période que nous allons examiner maintenant.

14Dans cette nouvelle période, et conformément à la psychologie de la loi de 1946 sur les dommages de guerre, nous allons constater que la Reconstruction par les soins directs de l’État va progressivement diminuer d’importance, tandis que les sinistrés vont de plus en plus prendre en main leur propre reconstruction.

L’action de l’État

15En 1949, les travaux exécutés directement par l’État ne représentaient plus que 25 % des autorisations de paiement, ce qui correspond à une diminution sensible par rapport aux années antérieures. Parmi ces paiements, certains sont affectés à des avances aux associations syndicales et aux coopératives de reconstruction, ainsi qu’à des immeubles appelés par la suite à être cédés aux sinistrés. Ainsi, même le pourcentage de 25 % dépasse ce qui correspond à une pure et simple reconstruction par l’État.

16Dans cette période, le déminage est terminé, le désobusage également à peu de chose près, de même que le déblaiement. La construction provisoire de bâtiments ne s’impose plus puisque les besoins les plus aigus ont été assurés. Par conséquent, on ne fait plus de constructions provisoires et on se consacre aux reconstructions définitives.

17À partir de 1948, l’État ne se charge plus des nouvelles constructions définitives. Il poursuit les programmes en cours, mais il n’existe désormais plus de nouvelles reconstructions devant rester à la charge de l’État et sous sa responsabilité directe. L’État n’intervient plus que dans des cas particuliers (par exemple, un concours a été lancé pour l’exécution de logements types, de modèles) ; dans ce cas, l’État prend la responsabilité technique et financière, mais c’est une exception.

18Pour ce qui est des procédés de construction, jusqu’alors les recherches ont porté essentiellement sur l’édification des murs. Désormais, les essais s’étendent et s’étendront de plus en plus aux matériaux et aux nouveaux procédés de préfabrication pour les plafonds, les cloisons et les planchers. Toutes ces recherches sont faites dans le but de contribuer à l’abaissement des prix de revient de la construction.

19En dehors de ces travaux, l’État conserve à sa charge tout ce qui concerne la voirie et les réseaux divers, par exemple les distributions d’eau. Dans ce domaine, les travaux continuent à s’intensifier non seulement en raison de leur intérêt urbanistique, mais également pour lancer les opérations de reconstruction qui restent à l’initiative des particuliers ou des groupements de sinistrés.

20L’État continue aussi à assurer les opérations de remembrement des villes sinistrées. Celles-ci portent sur 12 800 îlots répartis dans 1 350 communes. Vous imaginez les difficultés qui peuvent se présenter pour réaliser de pareils remembrements, qui représentent un enchevêtrement inextricable d’intérêts particuliers.

21Enfin, l’État conserve ses attributions dans le domaine public. La Reconstruction y a été active : les ponts, les routes, les bâtiments administratifs et hospitaliers sont déjà, dans une large mesure, réparés. Il reste toutefois beaucoup à faire en ce qui concerne les bâtiments administratifs proprement dits et les bâtiments nécessaires à l’enseignement, qui sont très en retard. Quant aux ponts, sur 7 750 ponts détruits à la Libération, 3 600 – dont les plus importants – étaient reconstruits au 1^er janvier 1950 ; la plupart des autres ont fait l’objet d’installations provisoires.

22L’effort réalisé depuis 1945 a permis de réduire le volume du « budget civil de la reconstruction et de l’équipement » qui est consacré aux travaux de cette nature intéressant le domaine public. Le montant de ce budget, connu généralement sous ses initiales (BRE), ne dépasse pas 141 milliards pour 1950, ce qui, en francs de valeur constante, représente la moitié du montant de 1946. Il est facile de comprendre que, dans ce domaine, il a fallu faire un effort prioritaire et mettre à la disposition des services des crédits considérables. Au fur et à mesure que la reconstruction du domaine public s’opère, un virement se réalise, un effort moindre s’impose à l’État, tandis qu’au contraire un effort de plus en plus important est consacré aux besoins du secteur privé.

Travaux effectués pour les sinistrés dans la période 1948-1950

23Les travaux réalisés pour les sinistrés sont financés essentiellement par les indemnités versées par l’État en vertu de la loi des dommages de guerre et par les avances payées par le Crédit national.

24À cet égard, il faut distinguer les catégories suivantes :

• les dommages aux biens privés, soumis à la législation de droit commun et, notamment, les immeubles d’habitation ainsi que les immeubles agricoles, industriels et commerciaux ;

• les dommages subis en matière de transports maritimes et fluviaux et ceux subis par la flotte de pêche, qui sont régis par un statut spécial ;

• les dommages de la SNCF, qui jouit d’un régime particulier ; dans ce domaine, de manière forfaitaire, l’État paie 80 % de la Reconstruction.

25Je vous ai entretenu des réalisations en matière de transports ferroviaires, maritimes et fluviaux en même temps que de la modernisation et du rééquipement de ces moyens de transport. Il me reste donc spécialement à vous parler de l’effort entrepris en matière de logement, effort sur lequel il est d’ailleurs assez difficile d’être renseigné de manière très précise ; les chiffres publiés par le MRU appartiennent en effet à des séries qui ne sont pas toutes comparables entre elles, de telle manière qu’elles ne sont pas toujours utilisables. Néanmoins, si l’on s’efforce d’établir le bilan des travaux effectués pour l’ensemble de la reconstruction dans la période en question, voici approximativement les chiffres auxquels on peut aboutir :

1. Le premier effort a porté sur la réparation des bâtiments sinistrés, plus ou moins gravement atteints, afin de les remettre en état d’habitabilité. Cette réparation de bâtiments partiellement sinistrés a porté sur 725 000 logements. On peut dire que la réparation de ces immeubles endommagés pendant la guerre a été définitivement achevée en 1949 et que le travail de réparation, au sens limité du mot, est actuellement terminé ;

2. Il y a ensuite les logements reconstruits directement par le MRU, ou par d’autres ministères, et les reconstructions réalisées par des sinistrés, groupés ou non, et utilisant soit des indemnités de dommages de guerre, soit un préfinancement à valoir sur ces indemnités. L’ensemble de ces travaux de reconstruction terminés au début de l’année atteignait 34 000 logements, chiffre très inférieur à ceux que l’on a publiés à plusieurs reprises. Il concerne exclusivement les travaux de reconstruction proprement dits ; il y a lieu d’y ajouter environ 55 000 logements en chantier à la même date, dont les uns étaient presque terminés, tandis que d’autres étaient à peine commencés. Mais la reconstruction proprement dite n’englobait, au 1^er janvier 1950, que 34 000 logements achevés ;

3. Les constructions provisoires présentent un intérêt parce qu’il s’agit malgré tout de logements qui resteront utilisables pendant un assez grand nombre d’années (selon les cas entre dix et trente ans). Environ 115 000 logements provisoires ont été construits. On ne fait plus de constructions provisoires à l’heure actuelle ;

4. Transformations de bâtiments existants (par exemple l’aménagement de casernes). Cela correspondait, au 1^er janvier, à 16 000 logements ; 2 000 en plus sont en voie d’achèvement ;

5. En dehors de ces travaux qui, à des titres divers, s’apparentent à la reconstruction, il faut mentionner les constructions nouvelles réalisées par l’État, les collectivités publiques, les organismes d’habitation, les houillères, Électricité de France, etc. Elles représentaient au total environ 20 000 logements achevés au 1^er janvier dernier, et autant en cours d’achèvement à cette date.

26De plus, les particuliers utilisant leurs propres ressources, ou avec l’aide du crédit immobilier, avaient construit, au 1^er janvier 1950, 52 000 logements, tandis que 28 000 étaient en voie de construction.

27Au total, nous aboutissons à 960 000 logements réparés, reconstruits ou construits avant le 1^er janvier dernier.

28Il faut prendre garde que cette cadence ne saurait être maintenue. La majeure partie de ces logements (725 000) tombent en effet dans la catégorie des réparations. Or, un certain nombre de ces réparations étaient peu de chose et ont pu être assurées à peu de frais et rapidement ; d’autres, il est vrai, étaient plus importantes. Néanmoins, sur 960 000 logements, 725 000 (c’est-à-dire en gros les trois quarts) n’ont donné lieu qu’à simple réparation ; cela a gonflé le chiffre total, et nous ne pouvons pas escompter la continuation d’une pareille cadence.

29D’autre part, il n’y a plus de nouvelles constructions légères et provisoires : tout l’effort porte désormais sur des constructions permanentes dont l’exécution est à la fois plus coûteuse, plus difficile et plus lente. Dans ce domaine, on a réalisé en 1949 seulement 60 000 logements construits ou reconstruits.

30La capacité de l’industrie du bâtiment est d’ailleurs un peu supérieure, puisqu’elle a été consacrée l’année dernière en partie à l’achèvement des réparations ; or, comme celles-ci ne se poursuivront pas en 1950, la cadence de 60 000 logements pourrait alors être dépassée.

31On peut espérer, malgré certains symptômes de chômage qui apparaissent parfois dans l’industrie du bâtiment, que la capacité de cette industrie sera utilisée en presque totalité en 1950. En effet, d’une part, les crédits accordés au titre de la reconstruction immobilière et des habitations nouvelles sont un peu plus élevés en 1950 qu’en 1949 et, d’autre part, les prix pratiqués sont un peu moindres. Dans l’ensemble, les réalisations devraient donc être supérieures en 1950.

32Pour 1950, les prévisions sont les suivantes :

• 35 000 reconstructions d’immeubles sinistrés, au lieu de 19 300 en 1949 ;

• 45 000 constructions nouvelles, au lieu de 32 100.

33Cette cadence restera néanmoins très inférieure à celle qui avait été proposée par le ministère de la Reconstruction en vue de l’achèvement de la reconstruction des biens privés avant 1960, et qui nécessitait, ainsi que je l’ai dit déjà, au moins 500 milliards par an en francs actuels. Il est impossible de faire un pronostic précis pour 1951, puisque tout dépend des crédits qui pourront être accordés dans le cadre de l’établissement du nouveau budget actuellement en préparation.

La question du coût de la construction, du progrès technique et de la productivité dans l’industrie du bâtiment

34L’amélioration de la cadence de réalisation en matière de reconstruction est en rapport direct avec l’abaissement du coût de la construction ; elle a été l’une des préoccupations principales du ministère de la Reconstruction depuis la Libération.

35D’après les déclarations du ministre de la Reconstruction devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le logement moyen coûte, à l’heure actuelle, environ 1 million et demi, pour trois ou quatre pièces, avec confort moderne.

36L’indice du prix de la construction au mètre carré était, à la fin de 1949, au coefficient 18. Compte tenu de l’amélioration de la qualité de la construction, du point de vue de l’hygiène et de la sécurité, cet indice n’est pas supérieur – et même un peu inférieur – à celui qui caractérise, en général, l’évolution du coût de la vie. Mais la construction française doit parvenir à être beaucoup moins coûteuse qu’avant la guerre, si l’on met en œuvre des moyens perfectionnés et modernes, et si l’on tient compte de l’importance de son programme de travail, lequel justifie et permet en même temps un effort dans la compression des prix de revient.

37Des instructions sévères ont été données par l’Administration, tout d’abord pour déjouer toute coalition entre entrepreneurs au moment où les marchés de reconstruction sont passés ; l’adjudication est ainsi la règle générale pour les travaux entrepris par les associations syndicales de reconstruction. D’autre part, l’existence d’un bordereau général des prix forfaitaires permet de contrôler les résultats des adjudications ; il est tenu à jour constamment pour tenir compte des variations de prix, et il permet de se rendre compte du prix approximatif d’ouvrages courants auxquels doivent normalement atteindre les adjudications.

38Toutefois, il n’est pas certain que ces précautions soient suffisantes. D’une part, le contrôle est certainement assuré de manière insuffisamment efficace et, d’autre part, la réglementation et la législation sont orientées de telle manière que trop d’éléments qui interviennent dans les décisions ont intérêt à gonfler les prix, tandis qu’aucune influence n’intervient en sens contraire.

39L’abaissement des prix de revient ne dépend pas seulement des contrôles administratifs, mais aussi de diverses conditions techniques. L’administration s’est efforcée de développer la construction groupée, comme je l’ai déjà dit. Elle a pris la décision de n’accepter en principe de nouveaux programmes d’habitations à bon marché que pour les chantiers comportant au moins 100 logements à la fois. Le même résultat a été poursuivi par la création des associations syndicales de reconstruction et les coopératives de reconstruction. Grâce à de telles décisions, on espère obtenir, peu à peu, une meilleure rationalisation des entreprises du bâtiment.

40C’est à ces conditions seulement que pourront s’accélérer les progrès techniques, le recours plus poussé aux moyens mécaniques, la normalisation des éléments de construction, la simplification des types de fabrication et l’utilisation systématique de matériaux modernes et économiques. Cet effort technique est spécialement suivi sur les chantiers expérimentaux dont j’ai parlé, où l’État reste maître de l’œuvre et où il s’efforce de promouvoir les procédés, plus ou moins explorés jusqu’à maintenant, qui permettent d’aboutir à des réalisations à meilleur compte. Par exemple, la normalisation des portes et des croisées permettrait un abaissement des prix de revient par la construction en grande série. Seulement, en vertu des bases de la législation trop individualiste, cette rationalisation ne peut pas être imposée dans le secteur privé ; elle n’est d’ailleurs pas toujours recherchée, dans le secteur même de l’État, par des administrations souvent individualistes elles aussi. De même, il suffit de visiter des chantiers de reconstruction pour constater que le recours aux techniques modernes est encore trop rare.

41Là encore, le caractère de dispersion qui résulte de la loi de 1946 sur les dommages de guerre n’est pas sans entraîner des conséquences fâcheuses qui alourdissent le coût global de la reconstruction.

42Malgré ces inconvénients, en raison des progrès techniques réalisés peu à peu et, surtout, de la conjoncture générale qui prévalait en France il y a quelques mois, les rabais obtenus lors des adjudications ont été assez importants depuis l’été 1949 jusqu’à l’été 1950. Ces rabais étaient en effet fréquemment de 30 %, alors qu’ils ne dépassaient pas 5 % en général en 1946.

Le financement de la reconstruction

43Cette question du financement fera l’objet de trois paragraphes, à savoir :

1. Le précédent du financement de la réparation des dommages après la Première Guerre mondiale ;

2. Les sommes dépensées à ce jour pour la Reconstruction après la Seconde Guerre mondiale ;

3. Les sources du financement de la Reconstruction dans ces cinq dernières années.

Le financement de la réparation des dommages de guerre après la Première Guerre mondiale

44La loi du 17 avril 1919 permit d’effacer en peu d’années les destructions de la guerre, mais ses répercussions financières furent lourdes. L’ensemble des paiements au titre des dommages de guerre et de la reconstruction publique et privée s’est élevé, selon les indications fournies par le Crédit national, à 103 milliards de francs, dont 9 milliards payés de 1914 à 1919 et 11 milliards de 1929 à 1938, soit 20 milliards sur 103. Par conséquent, les quatre cinquièmes du coût de la reconstruction ont été payés de 1920 à 1928. C’est la période caractéristique de la reconstruction après la Première Guerre mondiale.

45Ces 103 milliards de francs courants représentaient un peu plus de 20 milliards de francs or, soit 6,6 % de la fortune privée de la France en 1913 (évaluée à 300 milliards).

46Des éléments très importants du patrimoine national étaient heureusement restés à peu près intacts : les ports par exemple ; si une partie du réseau du Nord et de l’Est avait été sinistrée, les destructions n’avaient nullement pris un caractère systématique. Les livraisons de matériel roulant, au titre de l’armistice et des réparations, conjurèrent assez rapidement une crise de transports qui n’eut que le temps de s’esquisser. L’industrie, à laquelle les fabrications de guerre avaient donné un puissant essor entre 1914 et 1919, s’adapta très vite aux besoins de la Reconstruction. Les mines de la Sarre parèrent au déficit momentané de la production du charbon et ainsi la reconstruction française s’opéra dans un climat d’abondance.

47Malheureusement, de nombreux abus marquèrent l’application de la législation. La libéralité excessive des commissions cantonales chargées de constater et d’évaluer les dommages de guerre contraignit, dans un grand nombre de cas, à réviser les indemnités déjà versées.

48L’État utilisa, après la Première Guerre mondiale, divers procédés de paiement :

1. Paiement en nature sous forme de travaux et de fournitures ;

2. Règlement par compensation avec certains impôts dus par les sinistrés ;

3. Paiement en espèces ;

4. Paiement par remise de fonds publics : rentes, obligations du Trésor, titres remboursables par annuité (procédé obligatoire pour les grosses indemnités) ;

5. Paiement par personne interposée, qui empruntait les sommes requises pour le règlement de l’indemnité et recevait de l’État des annuités d’intérêt et d’amortissement. Ce dernier mode de paiement était celui employé pour les groupements de sinistrés qui se formèrent par affinités géographiques ou professionnelles et qui mirent leur crédit particulier au service de la Reconstruction ;

6. Un dernier mode de paiement se faisait par l’intermédiaire du Crédit national. Cet établissement a ainsi aidé l’État à financer les dommages de guerre en se procurant les fonds nécessaires par émission d’emprunts garantis par des annuités.

49Quel que soit le procédé adopté, tous les paiements représentaient pour l’État de très lourdes charges et, directement ou indirectement, l’emprunt permettait toujours de pourvoir à ces charges. Or, dans certaines circonstances, l’emprunt est un moyen de financement qui présente de graves dangers inflationnistes.

50Dans la première période de l’après-Première Guerre mondiale, les emprunts se sont placés facilement et on a pu croire que le financement ne poserait pas de difficultés. Le développement colossal de ces emprunts est un précédent intéressant, car bien que les emprunts aient pu être placés facilement, la tendance inflationniste n’a pas cessé de prévaloir.

51Il en résulte une pression très forte sur la monnaie, d’autant que, par ailleurs, aucune mesure n’était prise pour empêcher la dépréciation de la monnaie nationale. La mauvaise gestion des finances publiques, le déficit budgétaire plus ou moins dissimulé par la division du budget en plusieurs budgets dits « extraordinaires », ou des dépenses recouvrables, déclenchèrent peu à peu une spéculation à la baisse du franc, d’où résulta un avilissement du pouvoir d’achat extérieur de la monnaie et la hausse des prix à l’intérieur – ce qui détourna les disponibilités du public vers des emplois spéculatifs de leurs épargnes, ou de leurs ressources, ou encore de leurs revenus, plutôt que vers des placements utiles à la collectivité.

52Les emprunts publics à long terme furent lancés à des taux de plus en plus élevés et représentèrent pour l’État des charges de plus en plus lourdes, sans fournir des moyens de financement sans danger.

53Au surplus, le produit de ces emprunts ne suffisait pas aux dépenses d’investissement qui furent financées, pour une large part, par le moyen d’autres émissions : celles des bons et obligations du Trésor à court terme. La dette flottante se développant considérablement, il en résulta, notamment entre 1924 et 1926, des difficultés aiguës, car, en raison de la hausse continuelle des prix et du manque de disponibilités des particuliers pour leur trésorerie, le renouvellement des bons à court terme ne s’opérait plus régulièrement.

54Après la crise de 1926, la consolidation de la dette flottante imposa une charge très lourde à la Caisse d’amortissement¹², et il fallut de nombreuses années avant que le danger représenté par le volume de cette dette flottante en période d’inflation s’atténue effectivement.

55En résumé, la réparation rapide et intégrale de tous les dommages de guerre – accompagnée, par ailleurs, de lourdes dépenses militaires – n’étant pas compensée, sur le niveau de la consommation et des investissements privés, par un contrôle suffisant et énergique, il en résulta des difficultés financières qui caractérisèrent la période qui va de 1919 à 1939.

56Il serait prématuré de dire que cette leçon a servi.

La Seconde Guerre mondiale

57J’examinerai tout d’abord le volume des sommes qui ont été dépensées.

58Pour calculer les dépenses d’ores et déjà engagées pour la Reconstruction, nous sommes amenés à additionner des dépenses effectuées entre 1945 et 1950, en francs de valeurs différentes. Le franc de 1940 correspondait à 23,34 mg d’or, il n’en vaut plus que 2,87 mg. Le cours du dollar était de 43,80 francs en 1940 et celui de la livre 176,33 francs ; le dollar vaut aujourd’hui 350 francs et la livre environ 1 000 francs.

59Une autre difficulté provient du fait que les dépenses afférentes à la réparation des dommages de guerre sont ordonnancées par divers ministères, bien que le MRU dispose des crédits les plus importants.

60De 1946 à 1949, les autorisations de paiement au titre des indemnités ou avances aux sinistrés sont passées de 32 milliards à 215 ; leur montant annuel a donc été multiplié par 7 en quatre ans. Les indemnités destinées à la reconstruction des immeubles ont augmenté le plus, en vertu d’une évolution déjà signalée. Les sommes qui leur ont été affectées en 1949 sont 12 fois supérieures aux sommes correspondantes de 1946, puisqu’elles sont passées de 12 milliards à 150.

61À cela, il faut ajouter les dépenses pour des travaux directement effectués par l’État (constructions provisoires, voirie, eau, gaz, électricité, constructions expérimentales, réparations d’urgence), dont le total a décliné de 54 milliards à 49. Les travaux collectifs et de première urgence font place de plus en plus aux travaux d’intérêt privé, financés toutefois par les indemnités versées par l’État.

62Sur le total des autorisations de dépense, les travaux de reconstruction directement exécutés par l’État ont décliné de la manière suivante :

• en 1946, ils s’élevaient à 62 %, soit presque les deux tiers ;

• en 1947, ils tombaient à moins de la moitié ;

• en 1948, à moins du tiers, 30 % ;

• en 1949 à… 13 %.

63Par ailleurs, la participation de la France à la reconstruction des territoires d’outre-mer s’est élevée progressivement, passant de 1 800 millions en 1947 à 6 milliards en 1949.

64Au total, de 1946 à 1950, le MRU a autorisé des programmes de travaux pour 893 milliards. Les paiements, qui sont moins élevés (les paiements s’échelonnant sur plusieurs années après le lancement d’un programme), ont été les suivants :

• en 1946, 86 milliards ;

• en 1947, 127,5 milliards ;

• en 1948, 183 milliards ;

• en 1949, 270 milliards,

soit 667 milliards de paiements pour 893 milliards d’autorisations de programmes.

65Le ministre de la Reconstruction a déclaré récemment que l’évaluation définitive des dommages de guerre ne serait achevée qu’à la fin de l’année 1950. Il n’a pu donner qu’une évaluation provisoire (qui a tout de même une valeur indicative) en ce qui concerne les dommages que son propre département ministériel prend en charge, soit :

• pour le patrimoine immobilier privé, 4 300 milliards ;

• pour le patrimoine mobilier, 670 milliards¹³ ;

soit au total 4 970 milliards.

66L’évaluation provisoire conduit à dire que le ministère de la Reconstruction, pour ses obligations propres (qui concernent le secteur privé), aura à payer 4 970 milliards.

67Si l’on compare ce chiffre total aux dépenses qui ont été engagées et que j’ai déjà chiffrées tout à l’heure (893 milliards de programme et 667 de paiement), on constate que, de 1946 à 1949, le MRU a engagé 18 % seulement des travaux, et qu’il a assuré le paiement de 13 % des sommes correspondantes. Nous avons encore devant nous un programme considérable de l’ordre des quatre cinquièmes au total.

68Tout ceci concerne, je le rappelle, le seul secteur privé.

69Les départements ministériels autres que le MRU engagent, eux aussi, des dépenses au titre de la Reconstruction. Il s’agit principalement de dommages subis par le domaine public (chaque ministère assure la tutelle de tel ou tel secteur du domaine public, et j’ai déjà indiqué que les sommes correspondantes se trouvaient initialement dans le budget civil et qu’elles sont aujourd’hui regroupées dans le budget civil de reconstruction et d’équipement). Il existe toutefois deux cas à rappeler : d’une part, la reconstruction de la flotte de commerce et de pêche et, d’autre part, les dépenses de reconstruction de la SNCF ; en ce qui concerne celles-ci, le capital n’appartient à l’État qu’à concurrence de 51 %, mais la reconstruction lui incombe dans la proportion de 80 %.

70De 1946 à 1949, les dépenses de reconstruction de la SNCF et de la flotte ont été les suivantes :

• SNCF : sommes décroissantes d’années en année, au total 161 milliards ;

• flotte : 118 milliards.

71Ces sommes figurent au budget civil de reconstruction et d’équipement.

72Si nous voulons avoir une idée totale des dépenses de reconstruction qui ont été effectuées de 1946 à 1949, il faut additionner les diverses dépenses qui viennent d’être examinées, soit :

• MRU : 667 milliards de paiement ;

• autres ministères divers : 120 milliards ;

• flotte et SNCF : 279 milliards,

soit un total de 1 066 milliards.

73Pour les années écoulées de 1946 compris à 1949 compris, le montant global n’a cessé de croître ; il était ainsi de :

• 151 milliards en 1946 ;

• 221 milliards en 1947 ;

• 306 milliards en 1948 ;

• 388 milliards en 1949.

74Une question intéressante mais délicate serait celle qui tendrait à ventiler les dépenses selon le secteur bénéficiaire (secteur privé ou secteur public). Pour cela, il faudrait déterminer tout d’abord où doivent être classées la SNCF et la flotte de commerce (qui relève de sociétés dont les unes sont privées, les autres mixtes, et d’autres enfin nationalisées). Pour simplifier, nous pouvons placer, de manière sommaire, la SNCF dans le secteur public et la flotte de commerce dans le secteur privé. Si l’on admet ce classement (et je reconnais qu’il est discutable), on aboutit aux pourcentages suivants :

• en 1946, 59 % de la reconstruction totale ont été opérés dans le secteur privé ;

• en 1947, 70 % ;

• en 1948, 74 % ;

• en 1949, 80 %.

75Ainsi, la proportion des dépenses de reconstruction dans le secteur privé a été constamment croissante. Cela est d’ailleurs facile à comprendre, car il a fallu agir d’abord dans les domaines essentiels de la vie économique, qui étaient ceux du domaine public et des transports ferroviaires ; au fur et à mesure que ces travaux sont réalisés, l’effort porte de plus en plus dans le secteur privé.

Les sources du financement de la Reconstruction de 1945 à 1950

76Elles sont, à vrai dire, assez faciles à déterminer. On peut dire, en gros, que la Reconstruction a eu recours, d’une part, aux ressources générales de l’État, du Trésor et, d’autre part, aux ressources des particuliers.

Ressources de l’État, du Trésor et d’organismes publics

77Ce sont des ressources affectées légalement ou juridiquement aux besoins de la Reconstruction. Un certain nombre de crédits ont été accordés directement pour faire face aux besoins de la Reconstruction. Ce sont les suivants :

• d’abord, les deux tiers du produit de l’emprunt libératoire du prélèvement exceptionnel de lutte contre l’inflation, affectés par la loi à la Reconstruction, soit 72,5 milliards ;

• lorsque le gouvernement français a contracté un emprunt de 250 millions de dollars auprès de la Banque Internationale pour la reconstruction, une tranche (à vrai dire faible) de 2 700 millions a été affectée à la Reconstruction ;

• l’emprunt 5 % de mars 1949 a produit 108 milliards affectés à la Reconstruction.

78Il faut ajouter :

• les bons de la Reconstruction, émis pour 9 milliards ;

• puis la contrepartie de l’aide américaine, dans la mesure où elle a été affectée à la Reconstruction, soit 47,5 milliards ;

• puis encore les titres émis par la Caisse autonome de la reconstruction pour payer une partie de la Reconstruction, en vertu de la loi qui veut qu’une partie soit payée en titres et non en espèces, soit 22 milliards ;

• enfin, la plus grosse ressource, soit 726 milliards, est baptisée « Ressources générales du Trésor et prêts des organismes spécialisés » (Caisse des dépôts et consignations principalement). Vous connaissez les graves problèmes financiers qu’évoque cet alinéa.

Ressources des particuliers

79Les textes en vigueur prévoient, dans certains cas, que les sinistrés conservent à leur charge une part du coût de la Reconstruction. La participation de l’État dépend non seulement du montant des travaux de reconstruction, mais aussi, dans un certain nombre de cas, de la vétusté des biens sinistrés. Une tranche des travaux peut donc incomber aux particuliers. D’autre part, au-dessus de 5 millions, l’État ne fournit que 70 % de l’indemnité due, le reste étant provisoirement ajourné. Enfin, lorsque la Reconstruction s’accompagne d’une modernisation ou d’un agrandissement des éléments détruits ou endommagés, elle est financée, pour ces éléments nouveaux, par les sinistrés eux‑mêmes.

80Il est difficile d’indiquer le montant des sommes que les sinistrés ont dû finalement payer, définitivement ou non. En tout cas, elles sont restées faibles, et cela pour les raisons que l’on connaît : la législation des loyers depuis 1914, la chute des moyens d’épargne privée, etc. Il en est résulté une sorte d’hésitation chez les particuliers à consacrer leurs ressources à la construction ou même à la reconstruction, sauf peut-être dans certains secteurs industriels.

L’aide des pouvoirs publics à la construction des logements

81L’aide à la construction est fournie sous diverses formes, que l’on peut regrouper sous quatre têtes de chapitre :

1. Le système des « habitations à loyer modéré » (HLM), autrefois connu sous le nom d’« habitations à bon marché » (HBM) ;

2. La mutualité immobilière ;

3. L’aide fournie par le Fonds de modernisation et d’équipement ;

4. Le système des bonifications d’intérêts.

82À quoi l’on pourrait ajouter quelques formes supplémentaires sur lesquelles je ne m’étendrai pas : dégrèvements fiscaux, dispositions diverses de la législation générale des loyers, allocations logement, etc.

83Le système des habitations à loyers modérés trouve son origine dans diverses lois qui prévoient l’octroi de prêts pour la construction de ce que l’on appelait autrefois des « habitations à bon marché ». Des sociétés ont été créées, notamment des sociétés de crédit immobilier, pour favoriser l’accès à la propriété individuelle. L’activité de ces sociétés a été malheureusement ralentie par l’insuffisance des crédits mis à leur disposition (en 1950, un milliard).

84Ces organismes consentent des prêts à 2,75 % d’un montant maximum de 1,5 million, amortissables en trente ans. À la fin de l’année 1949, les organismes d’HBM avaient construit ou avaient en chantier 26 000 logements destinés à la location et 6 000 financés au titre de l’accession à la petite propriété. La majeure partie des ressources avaient été fournies par la Caisse des dépôts et consignations.

85En second lieu, j’ai mentionné la mutualité immobilière. Le principe de la mutualité est appliqué par une centaine de sociétés privées de crédit mutuel immobilier dans des conditions qui ont souvent été critiquées par la presse et par le Parlement. Un projet de loi a été déposé en juillet 1949 pour réglementer et contrôler l’activité de ces sociétés, dont on pourrait attendre beaucoup si elles fonctionnaient de manière correcte. En dehors d’initiatives critiquables, il faut mentionner des actions extrêmement utiles qui seront développées dans le cadre de la mutualité. Je vous signale notamment que, sur l’initiative patronale et ensuite sur l’initiative des centres paritaires interprofessionnels du logement, on a développé des mutuelles immobilières (dont la plus connue est celle de Roubaix-Tourcoing) au profit du logement ouvrier dans le secteur privé ; c’est le cas par exemple dans l’industrie sidérurgique, où une taxe spéciale est incorporée dans les prix en vue de la construction de logements.

86J’ai évoqué aussi l’aide du Fonds de modernisation et d’équipement dans le secteur nationalisé. Je me contente de rappeler ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire : le Fonds de modernisation et d’équipement a consenti des prêts et des avances aux Charbonnages, à la SNCF et à Électricité de France en vue de la construction de logements ouvriers. Près de 15 000 logements ont été construits de cette manière. À l’heure actuelle, la tendance est toutefois de réduire cette intervention du Fonds de modernisation et d’équipement et d’orienter la construction de logements, même pour le secteur nationalisé, dans le cadre de la législation des habitations à loyer modéré.

87Enfin, voici quelques indications sur les bonifications d’intérêt.

88Il est malaisé de trouver des capitaux pour construire ; par contre, il est plus facile de faire baisser le taux, tout au moins les taux apparents, à l’aide de bonifications d’intérêts. Certaines entreprises publiques ou privées, des départements, des communes et des groupements professionnels ont ainsi décidé de fournir des bonifications d’intérêts à ceux qui construisent, généralement par l’intermédiaire des sociétés de crédit immobilier. L’État avait ainsi agi en ce sens dès 1938 et 1939 en prenant à sa charge une part de l’intérêt des capitaux investis. Une utilisation plus large du Fonds de l’habitat, alimenté par un prélèvement de 5 % sur le montant des loyers, doit favoriser les opérations de ce genre, notamment en vue de la réparation des immeubles anciens et aussi de la construction d’immeubles nouveaux destinés à l’habitation.

89Je vous signale que la loi du 31 juillet 1950 et le décret d’application paru au Journal officiel du 3 août ont coordonné les différentes formes d’aide à la construction en les élargissant¹⁴.

90En bref, en dehors de certaines initiatives auxquelles je faisais allusion tout à l’heure, notamment les avantages fiscaux et l’allocation logement, les deux principales formes d’aides prévues par la loi du 31 juillet 1950¹⁵ sont constituées par les prêts à la construction et les primes à la construction.

91Les prêts à la construction ne constituent pas une forme absolument originale de soutien ; ils font intervenir le Crédit foncier, le Sous-comptoir des entrepreneurs, les sociétés de crédit immobilier, les coopératives d’habitations à loyer modéré et permettent à des particuliers de recevoir des avances qui peuvent, dans certains cas, aller jusqu’à 80 ou 90 % des sommes nécessaires à la construction.

92La formule des primes à la construction est plus originale, puisqu’elle consiste à fournir aux individus ou aux collectivités privées ou publiques qui construisent des immeubles nouveaux en vue de l’habitation ou qui agrandissent ou réparent des immeubles anciens, des primes annuelles d’un montant substantiel. Ces primes sont fournies soit à ceux qui construisent pour leurs propres besoins, pour y habiter, soit à ceux qui construisent pour louer, soit même à ceux qui construisent pour revendre.

93L’aide a donc un caractère très général ; mais elle est destinée seulement à l’habitation, au logement proprement dit. Elle exclut, d’une part, les logements d’une trop grande ampleur (c’est-à-dire tout ce qui a un caractère somptuaire ou trop ample, trop large) et, d’autre part, tout ce qui est au contraire insuffisant (on ne subventionne pas la construction de taudis). Les primes sont calculées de telle manière qu’elles contribuent substantiellement à tendre vers l’équilibre financier des opérations de construction.

94Dans un certain nombre de cas, les prêts à la construction et les primes à la construction peuvent se cumuler et les bénéficiaires des primes annuelles, qui s’échelonnent sur un grand nombre d’années, peuvent trouver par le moyen des primes les sommes qui leur permettront de payer les amortissements et intérêts des prêts contractés par ailleurs.

Conclusion

95Pour résumer le dernier chapitre de notre cours, je dirai que, de 1946 à 1950, le pays a relevé une partie des ruines laissées par la guerre, que les réalisations ont été surtout importantes dans le domaine des services généraux (comme les transports) et dans le secteur des activités industrielles. Par contre, l’œuvre reste très limitée en ce qui concerne la reconstruction de logements nouveaux ainsi que la construction.

96Malgré les ruines qui subsistent, malgré le vieillissement et l’insuffisance du capital immobilier, l’industrie du bâtiment est encore peu active actuellement. Or, ce n’est pas la pénurie des matériaux qui freine son essor, comme ce fut le cas jusqu’en 1948, c’est l’insuffisance des capitaux disponibles, c’est-à-dire de l’épargne investie dans la construction de logements. Vous en connaissez les causes.

97Le problème du financement d’un programme plus étendu de reconstruction et de construction est un aspect important du problème général du financement des investissements.

98L’État étant absorbé par ses tâches de reconstruction et d’équipement, l’effort nécessaire pour développer les constructions neuves doit être encouragé au maximum dans le secteur privé, ce qui ne veut pas dire que les pouvoirs publics doivent s’en désintéresser. La nouvelle législation des loyers constitue, d’ailleurs, un stimulant encore faible mais appréciable, orienté dans la bonne direction.

99En règle générale, on peut dire que tout ce qui favorise l’épargne en général, et l’investissement de cette épargne, peut, directement ou indirectement, rendre moins difficile le problème de la reconstitution de notre capital immobilier.

100Malgré les progrès faits récemment par l’industrie du bâtiment, dont l’activité est bien supérieure à ce qu’elle était avant la guerre, notre indice, dans ce domaine, est très en dessous de celui des grands pays modernes. Cet indice est établi, comme vous le savez sans doute, d’après le nombre de logements terminés par rapport à la population en milliers d’habitants. On compare l’importance de la population en milliers d’habitants avec le nombre de logements terminés dans une année. Cet indice pour la France est de 1,25. Le chiffre correspondant est de 6 au Canada et presque 7 aux États-Unis ; ces pays n’ont pas subi les effets les plus directs de la guerre.

101Mais, chose frappante, cet indice est de 5 en Angleterre, c’est-à-dire qu’il est quatre fois plus fort en Angleterre qu’en France alors que la Grande-Bretagne a subi les conséquences de la guerre dans des conditions comparables à celles que nous avons subies nous-mêmes. Une fraction importante du financement de la construction et de la reconstruction en Angleterre est supportée par l’épargne privée, tandis que la majeure partie de la charge, en France, incombe à l’État, c’est-à-dire en fait à l’épargne obligatoire.

102Le retard important que nous avons à rattraper dans le domaine immobilier explique, dans une certaine mesure, cette situation et, par voie de conséquence, explique lui aussi le caractère très large, sur lequel j’ai déjà appelé votre attention, de la législation française des dommages de guerre. Pour justifier la législation généreuse qui a été adoptée en France en matière de dommages de guerre, on a fait valoir qu’elle doit contribuer à arrêter la décadence du capital immobilier. On serait alors en présence non pas très exactement d’une législation de la Reconstruction, mais d’une sorte de politique nationale du logement, réalisée à l’occasion ou sous le prétexte de la Reconstruction. Cela explique certaines dispositions, par exemple celles qui permettent de reconstruire plus large que ce qui existait auparavant, ou celles qui autorisent la reconstruction au profit de non-sinistrés par le moyen de transferts de dommages de guerre. Aucun pays étranger, à ce jour, n’a adopté, au profit de ses sinistrés, une législation aussi extensive que la nôtre. Mais aucun pays étranger n’avait besoin d’aller aussi loin que nous, car aucun n’avait à remédier à une décadence immobilière semblable à la nôtre. À défaut d’une loi de réparation des dommages de guerre aussi large que la nôtre, il n’y aurait peut-être aujourd’hui en France ni reconstruction, ni construction tout court.

103Ce que l’on peut dire, cependant, c’est que l’État n’a pas tiré de l’amplitude de sa participation financière dans la Reconstruction les avantages qui auraient pu en découler, afin de discipliner et d’ordonner la politique de l’habitat, en France, dans un sens plus conforme à l’intérêt général.