Les résultats

1Pour étudier les résultats obtenus au cours de la période d’exécution du Plan déjà écoulée, vous devrez utiliser principalement les documents suivants :

• d’abord les comptes rendus semestriels du commissariat général au Plan, et notamment celui de décembre 1949 avec ses deux importants suppléments. Je vous ai dit déjà que le commissariat général au Plan publiait deux fois par an un compte rendu d’exécution qui présente toujours un grand intérêt ;

• ensuite, je vous renvoie, une fois encore, à l’Inventaire financier publié en 1948 et à son supplément publié en décembre 1949 ;

• en troisième lieu, je vous rappelle les rapports de la commission des Investissements et du Conseil national du crédit, ainsi que les rapports trimestriels du Comité interministériel pour la coopération économique.

2Tous ces documents jettent un jour précis sur l’évolution de la production et sur le degré d’exécution du Plan dans les années qui se sont écoulées de 1947 à 1950.

3En ce qui concerne notre examen des résultats du Plan, je le diviserai en deux séries d’observations :

• la première série concernera les résultats obtenus proprement dits ; nous aurons à examiner un certain nombre de secteurs de production, et à rechercher dans quelle mesure les objectifs du Plan ont été exécutés ;

• en second lieu, dans une autre série d’explications, je rechercherai les raisons des écarts constatés entre les réalisations obtenues et les objectifs qui avaient été déterminés.

4En ce qui concerne les niveaux de production, il sera toujours nécessaire pour leur accorder leur valeur propre, de tenir compte des circonstances inattendues qui se sont produites entre 1946, date de préparation du Plan, et 1950. Ces principaux événements sont les suivants :

• l’intégration de la Sarre dans l’économie française, qui n’avait pas été escomptée en 1946, et qui représente une production de 13 millions de tonnes de charbon ;

• ensuite, le plan Marshall, qui n’avait pas non plus été prévu en 1946, et qui nous a fourni un indispensable approvisionnement en denrées dans un premier temps, en matières premières et en matériel par la suite ;

• également, les bonnes récoltes de 1948, 1949 et 1950 ; la récolte de 1947, par contre, a été très mauvaise ;

• enfin, un autre élément auquel j’ai déjà fait allusion est l’inflexion – ou si vous voulez la révision – du Plan qui a eu lieu en 1948 sur la base d’un certain nombre d’éléments nouveaux.

5Voici les facteurs qui, entre 1946 et 1950, ont modifié les perspectives.

6Pour terminer, je vous donnerai maintenant les chiffres globaux de la production en 1950.

7Les promoteurs du Plan espéraient porter l’indice de la production industrielle, comme vous le savez, à 166 en 1950. En réalité, l’indice moyen en 1949 (qui est resté l’indice moyen pour le premier semestre de 1950) n’a été que de 123. L’indice mensuel était de 131 en mai 1949, contre 128 en mai 1950. Donc, nous sommes actuellement en période de piétinement et de stagnation, plutôt que de continuation de l’expansion.

8Dans le secteur agricole, on escomptait pour 1950 un chiffre supérieur à l’indice 100. En réalité, en 1949, et très probablement en 1950, c’est l’indice 86,5 qui caractérise le niveau atteint.

9En face de ces chiffres, le rapport de décembre 1949 du commissariat général au Plan n’a pas hésité à pousser, si j’ose dire, un véritable cri de victoire. Je peux vous lire quatre paragraphes de ce rapport de décembre 1949 :

« Il avait fallu six ans après la Première Guerre mondiale pour que la production nationale retrouvât son maximum antérieur de 1913. Cette fois, il a suffi de moins de quatre ans pour que l’industrie française, grâce à l’exécution du Plan, ait recouvré son niveau maximum d’entre les deux guerres (1929) et l’agriculture sa moyenne des années 1934-1938.
Ce résultat a été obtenu par une augmentation de 300 000 unités des effectifs ouvriers, par un allongement de la durée hebdomadaire du travail de trente-neuf à quarante-cinq heures, ainsi que par une amélioration de la productivité horaire. Celle-ci a rejoint actuellement son taux d’avant-guerre, alors qu’elle lui était encore inférieure de 25 % en 1946.
La progression du revenu national qui en est résulté a permis de relever les niveaux de consommation à ceux de 1939, tout en augmentant les exportations. En outre, un cinquième des disponibilités nationales a été affecté à l’ensemble des investissements bruts.
Le niveau de la productivité a rejoint le niveau d’avant-guerre, en juillet dernier. Le niveau de l’emploi a été et reste élevé, et cela résulte précisément de la politique d’investissements du Plan de modernisation et d’équipement. »

10Tel est le « cri de victoire » qui a été jeté au pays l’hiver dernier par le commissariat général au Plan. Pour nous faire une idée objective de la portée exacte de ce bilan, nous examinerons maintenant les secteurs essentiels de l’économie mondiale, et nous déterminerons les résultats effectivement obtenus dans chacun de ces secteurs par rapport aux objectifs escomptés.

Divers secteurs de production

Houillères

11La production de 1938 n’atteignait pas 48 millions de tonnes de charbon, soit 7 millions de moins que la production des années record, 1929 et 1930. En 1945, la production n’était plus que de 35 millions de tonnes. Le Plan de 1946 tendait à la porter à 65 millions de tonnes en 1950, soit 10 millions de plus que le record atteint dans le passé en 1929. En fait, nous n’avons pas atteint 52 millions de tonnes en 1949, c’est-à-dire que nous ne sommes pas encore, et de loin, au meilleur niveau du passé ; d’après les résultats du premier semestre de l’année en cours, on peut admettre que 1950 donnera un résultat sensiblement équivalent à celui de l’année 1949.

12À vrai dire, si j’ai parlé tout à l’heure de l’objectif fixé par le Plan, soit 65 millions de tonnes pour 1950, je dois rappeler que cet objectif avait été réduit dans l’intervalle. Dès 1948, le but fixé avait été ramené de 65 à 60 millions de tonnes, et l’année de réalisation de cet objectif, fixée primitivement à 1950, avait été reportée à 1952. Et de même que les objectifs étaient réduits, le programme des dépenses d’investissement était comprimé en même temps, notamment dans les bassins à faibles réserves et à prix de revient élevé.

13Les travaux de modernisation projetés dans les houillères concernaient l’exploitation et l’équipement du fonds, les installations de surface et, point très important, les logements des mineurs. Ils étaient groupés dans ce que l’on appelle des « ensembles », soit 62 grands ensembles : 30 dans le Nord et le Pas-de-Calais, 10 en Lorraine (c’est le bassin le plus rentable) et 22 dans les bassins du Centre et du Midi.

14Sur les 62 opérations projetées, 55 avaient été entreprises avant la fin de 1949, soit 16 avant 1947 (c’est-à-dire avant le Plan), 30 en 1947 (l’année la plus importante pour le lancement de ces grandes opérations), 6 en 1948 et 3 en 1949. Trois grands ensembles sont achevés (Puits Bayard, Decazeville et Brassac), qui correspondent à une possibilité d’extraction nouvelle de 234 000 tonnes.

15L’année 1947, vous l’avez vu, a été celle au cours de laquelle l’effort essentiel a été fait⁴. Il était naturel que le maximum fût fait dès le début dans les ­houillères, considérées comme la première des activités clés, et que les investissements dans ce domaine ralentissent progressivement dans la période suivante.

16Le commissariat général au Plan, dans l’état actuel des choses, estime qu’en 1952, la plupart des travaux d’investissements projetés seront achevés ; dans cette perspective, les possibilités de production pour 1952 devraient atteindre 59 millions de tonnes (soit encore moins que les derniers objectifs révisés en baisse) et 62 millions en 1955. Le commissariat estime que la capacité de production aurait seulement été de 48 millions si aucun travail de rééquipement n’avait été entrepris.

17Je rappelle qu’en 1949, la production a été de 52 à 53 millions de tonnes, contre 55 en 1929 et 48 en 1938. Les objectifs actuels, soit 59 millions de tonnes en 1952, devraient permettre une consommation supérieure et une importation inférieure à celles de l’année en cours.

18Une autre comparaison intéressante est celle qui concerne les logements. Il est nécessaire en effet d’offrir des logements aux mineurs pour les attirer vers un métier qui est dur et pour les y maintenir. Il avait été prévu de construire un grand nombre de logements dans la période 1946-1955. Le commissariat général au Plan envisageait la construction de 29 500 maisons avant 1950. En fait, il n’a été construit que 12 300 logements en dur et 14 200 baraques. Le programme de 1950 porte sur 5 000 logements nouveaux.

19Une autre comparaison concerne la productivité. Le commissariat général au Plan escomptait pour 1950 une amélioration de la productivité de 13 % par rapport à 1938. Le rendement fond et jour devait s’élever à 935 kg en 1950 et 1 070 kg en 1955, contre 831 en 1938. En réalité, le rendement n’a pas dépassé 700 kg en moyenne en 1949, soit seulement 84 % du rendement d’avant-guerre et 75 % de l’objectif qui avait été fixé pour 1950. Sur ce point spécialement important qui commande directement le prix de revient, l’écart est considérable entre les espoirs et les résultats. On espère que le rendement moyen pourra dépasser 750 kg en 1950, ce qui ne ferait encore que 90 % du chiffre de 1938 et 80 % des espérances.

20Je viens de vous dire que la productivité est en rapport avec le prix de revient. Il est difficile de mesurer les résultats obtenus quant à la compression de ce prix de revient. Il serait nécessaire d’étudier de près le bilan des Charbonnages et de tenir compte aussi de la variation des autres fonds industriels dans la même période. Malheureusement, nous ne disposons que d’indications vagues. Nous savons que le charbon a bénéficié de subventions ; il est difficile de savoir dans quelle mesure ces subventions étaient rendues nécessaires par l’évolution de la situation générale, par la politique économique du gouvernement, par l’escompte raisonnable ou non d’une amélioration de la productivité et d’une réduction ultérieure des prix de revient.

21Néanmoins, il semble que, depuis 1947, le prix de revient réel en monnaie stable s’abaisse lentement dans les Charbonnages (ne serait-ce d’ailleurs que par la mise en sommeil d’un certain nombre d’exploitations de mauvais rendement ou de mauvaise qualité). D’après les perspectives officielles actuelles, le prix de revient serait inférieur de 175 francs par tonne en 1952 et de 625 francs par tonne en 1955 ; ces évaluations, au premier abord, paraissent optimistes.

22J’en viens aux dépenses d’investissement qui ont été faites dans les houillères ; elles devaient être les suivantes d’après les évaluations de 1946 :

• travaux de modernisation et d’équipement : 45 milliards ;

• travaux neufs courants : 30 milliards ;

• logements ouvriers : 40 milliards,

soit au total 115 milliards de dépenses (il s’agit de francs de 1946), dont plus de la moitié devait être dépensée avant 1950.

23Quelles ont été les dépenses effectivement réalisées ?

24Pour la modernisation et l’équipement des grands ensembles miniers, environ 46 milliards de francs courants ; vu le changement de la valeur de la monnaie, cela correspond à peu près à 37 % du programme total des dépenses qui avaient été prévues pour la période devant aller jusqu’à 1955.

25Les « travaux neufs courants » représentent une partie importante des investissements : 30 milliards sur 115 selon les prévisions de 1946. Ces travaux neufs courants sont en réalité liés à l’exploitation et se répètent chaque année à une cadence à peu près constante, c’est pourquoi on les appelle « courants ». Ils s’apparentent par conséquent à certains travaux d’entretien et visent surtout à maintenir le potentiel des installations et, seulement pour une faible part, à l’accroître. Pour ces raisons, la charge correspondante devrait être autofinancée ; il est question d’ailleurs d’autofinancer ces travaux à partir de 1950.

26Pour les travaux neufs courants, dont je viens de préciser le caractère, il a été dépensé 35,5 milliards en francs courants (soit à peu près 16 milliards de francs 1946, ou la moitié environ du total initialement prévu). En valeur constante, l’importance de ces dépenses a décliné régulièrement d’année en année.

27Quant aux logements, les dépenses se sont élevées à 31 milliards en francs courants, ce qui correspond aux deux cinquièmes seulement de ce qui était prévu au début de la période. La dépense de 1950 ne dépassera pas 4,5 milliards et correspond, comme je l’ai dit tout à l’heure, à 5 000 logements neufs, contre 8 000 l’année dernière. Là encore, nous constatons un ralentissement continuel de l’effort entrepris.

28Au total, en ramenant les sommes à une unité de valeur constante et en considérant la période qui s’achève en 1950, on peut dire qu’il a été dépensé environ les cinq quarts des crédits prévus, pour un résultat qui est grossièrement de l’ordre des trois quarts des objectifs, ou même moins.

29Je voudrais maintenant évoquer, après les problèmes de quantité, les problèmes de qualité du charbon. Les études n’ont jamais été poussées très loin en France à ce sujet, sauf peut-être dans ces toutes dernières années ; mais elles ont fait l’objet de travaux très détaillés, soit en Grande-Bretagne, soit au sein de la commission économique des Nations unies pour l’Europe qui siège à Genève.

30Le problème français se présente de la manière suivante : nous disposons de quantités importantes de charbons flambants extraits en Lorraine et en Sarre. En ce qui concerne ces charbons flambants, la capacité de production dépasse sensiblement les besoins. Nous manquons, par contre, de charbons maigres qui sont utilisés pour le chauffage domestique ; nous manquons de fines à coke, et nous manquons de charbons gras cokéfiables qui sont nécessaires à la SNCF, à la sidérurgie, et, de manière plus générale, à l’industrie. Notre problème consiste donc à substituer les flambants excédentaires aux qualités qui nous manquent par ailleurs. La SNCF a fait un gros effort dans cette direction afin d’utiliser, de plus en plus, les charbons flambants et de réduire nos besoins d’importation de fines à coke ou de charbons gras cokéfiables. D’autre part, des expériences sont en cours en Lorraine (avec une lenteur regrettable) en vue de réaliser dans de meilleures conditions techniques la cokéfaction des charbons flambants produits en France. Cela pose des problèmes techniques qui n’ont pas été poussés avec l’énergie voulue dès la Libération. Les résultats actuels sont encourageants, mais nous aurions dû aller de l’avant plus rapidement afin d’utiliser plus largement les charbons flambants d’origine française et de remplacer ainsi les qualités de haute valeur difficiles à se procurer sur le marché international.

31Vous avez entendu parler, il y a quelques mois, d’une soi-disant surproduction du charbon. Cela a dû vous surprendre après l’extrême pénurie qui a régné pendant tant d’années. Vous avez également entendu parler de certaines périodes durant lesquelles on avait dû mettre des mineurs au chômage alors que, dans le même temps, il y avait des importations. Comment ces contradictions apparentes s’expliquent-elles ? D’abord, dans une très large mesure, par les problèmes de qualité auxquels je viens de faire allusion. Nous sommes surproducteurs de certaines qualités médiocres, tandis que nous manquons d’autres variétés indispensables ; voilà pourquoi les importations doivent se poursuivre alors même que la production est parfois arrêtée. Bien entendu, les importations doivent porter en principe sur les qualités déficitaires. D’un autre côté, les difficultés qui se sont produites par moments dans les régions minières s’expliquent par le fait que le charbon est un produit de grand volume et très encombrant. Si le charbon n’est pas évacué rapidement, l’encombrement des puits de mine devient tout de suite extrêmement gênant et on est obligé très vite de mettre des mineurs au chômage.

32La situation a évolué ces derniers temps. En effet, le marché international connaît de nouveau des difficultés d’approvisionnement : les Anglais réduisent considérablement leurs exportations, les organes de répartition européenne du charbon – qui étaient plus ou moins en sommeil – semblent devoir reprendre leur activité à Genève et il n’est pas exclu que, dans les prochains mois, nous connaissions de nouveau des difficultés d’approvisionnement, au moins pour certaines qualités de charbon. D’ores et déjà, diverses industries ont quelque peine à se procurer les quantités qui leur sont indispensables.

33C’est donc un fait regrettable que notre production de charbon n’ait pas été poussée plus énergiquement ces dernières années, malgré la soi-disant surproduction dont on a parlé si légèrement. C’est un autre fait regrettable que les expériences de cokéfaction des charbons d’origine française n’aient pas non plus été poussées plus rapidement et énergiquement.

Industries de la houille (coke et gaz)

34Je voudrais dire un mot maintenant des industries de la houille, c’est-à-dire du coke et du gaz.

35L’importance des besoins en coke est pleinement apparue après la Libération, et c’est pourquoi la commission de Carbonisation du ministère de la Production industrielle a défini, au moment de l’établissement du Plan, les grandes lignes des mesures à prendre aussi bien pour les usines à gaz que pour les cokeries. Il s’agissait, en dix ans :

• de construire 25 batteries de fours à coke d’une capacité journalière d’enfournement de 1 500 tonnes de houille ;

• d’achever l’usine de carbonisation à basse température de Marienau en Moselle, destinée à traiter des fines flambantes du bassin de la Moselle et d’une capacité annuelle d’enfournement d’un million de tonnes ;

• de construire une usine de gazéification pour traiter les lignites de Fuveau ;

• d’assurer la réfection et l’aménagement des usines à gaz ainsi que l’expansion du réseau de feeders de distribution de gaz.

36Ce programme, qui doit porter la production de coke sidérurgique de 7,5 millions de tonnes en 1938 à plus de 10 millions en 1952 (Sarre non comprise) et rénover les installations existantes, est maintenant largement engagé ; il a coûté plus de 20 milliards en 1949. Sa réalisation, originairement prévue en dix ans, a été étalée, et on estime qu’il faudra encore une dizaine d’années (soit donc quinze ans en tout) pour le mener à bien.

37Quant au gaz, sa consommation est passée de 1 770 millions de m³ en 1938 à 2 720 millions en 1948, soit 53,5 % d’augmentation ; les prévisions pour 1952-1953 s’élèvent à 3 180 millions de m³.

38L’industrie du gaz subit une profonde transformation : elle sort du plan local pour s’étendre au plan régional, par la constitution d’un certain nombre de centres de production massifs et la distribution par feeders. Il doit en résulter un abaissement du prix de revient qui serait de l’ordre de 15 % en 1952, compte tenu des charges financières.

39La dépense effectuée pour les investissements de Gaz de France à la fin 1949 a été de 10 milliards de francs actuels. Il reste à dépenser environ 25 milliards d’ici fin 1952 ; le coût total du programme serait de l’ordre de 35 milliards.

Carburants

40J’en arrive aux carburants. Les objectifs fixés tendaient à faire passer le volume des produits raffinés en France de 2,8 millions de tonnes en 1946 à plus de 8 millions de tonnes en 1951. En 1938, l’emploi du pétrole dépassait 7 millions de tonnes de produits, dont 6 provenaient du traitement du pétrole brut dans 15 raffineries situées en France, le surplus étant importé. Le stockage était assuré par un ensemble de dépôts dont la capacité dépassait 3,3 millions de m³. À la Libération, la capacité de traitement de nos raffineries était réduite à 1,5 million de m³, de même que nos moyens de stockage.

41L’action entreprise dans le cadre du Plan tendait à réparer les dommages et à accroître la capacité de raffinage afin de réaliser des économies en devises et de développer parallèlement les installations de stockage ainsi que leurs moyens d’alimentation. De plus, on devait constituer un système moderne de transport et de distribution des combustibles liquides. On devait enfin intensifier l’effort de prospection et de forage dans la métropole et dans les territoires de l’Union française, et développer au maximum les intérêts français dans l’exploitation des gisements étrangers.

42Quels ont été les résultats ? L’effort destiné à restaurer et à accroître la capacité de raffinage a donné des résultats substantiels. De moins de 4 millions de tonnes annuelles, les aides en services réalisées ont eu l’effet de porter la capacité annuelle de raffinage à 13 millions de tonnes, soit 60 % de plus qu’avant la guerre. Les quantités de pétrole raffinées en 1948 ont été égales à celles qui avaient été fixées comme objectif pour 1950. Ici, nous avons donc dépassé le programme primitif ; il y en a peu d’autres exemples.

43En 1949, 12 millions de tonnes ont été raffinées, ce qui correspond environ à 150 % de l’objectif de 1950. Toutefois, nous sommes encore loin du nouvel objectif fixé pour 1952-1953, soit 18,7 millions de tonnes. Pour 1950, on escompte 13 millions de tonnes.

44En ce qui concerne la capacité de stockage, elle a été portée dès maintenant de 1,5 million de m³ à 2,2.

45En ce qui concerne les transports intérieurs, le parc de chalands-citernes est déjà porté actuellement en nombre au niveau jugé nécessaire pour 1952 (soit environ 450 unités). Quant aux wagons-citernes et aux camions-citernes gros porteurs, leur nombre doit être porté à 10 000 et à 800 à 1952.

46Enfin, une opération importante est à signaler, bien qu’elle fasse l’objet de polémiques et de contestations : la construction du pipeline Le Havre-Paris⁵. En principe, cette canalisation devait être achevée en 1952 ; elle permettra d’amener 1,5 million de tonnes d’essence et de gasoil des raffineries de la Basse-Seine à la région parisienne, moyennant un prix de transport inférieur au prix de revient des autres moyens.

47Quant aux travaux de prospection et de forage, notre pays ne disposait à la Libération que de 23 appareils de forage pour les recherches de pétrole et de gaz. Il y en a maintenant 68 en service, soit trois fois plus, tant dans la métropole qu’en Afrique du Nord et dans les territoires d’outre-mer. Des indices nombreux ont conduit à des forages en France, notamment dans l’Aquitaine et dans le Languedoc, ainsi qu’en Algérie et au Gabon. De plus, nous avons poursuivi notre programme d’investissements à l’étranger. La Compagnie française des pétroles (fondée, ainsi que vous le savez, pour mettre en valeur la part des exploitations du Moyen-Orient attribuée à la France par les accords de 1920⁶) a réalisé et poursuit sa participation dans les investissements du Moyen-Orient (et aussi au Venezuela) pour un total qui dépasse 21 milliards de francs courants pour la période 1947-1952.

48Les dépenses prévues en 1946 pour l’extension du programme établi dans le secteur des carburants s’élevaient à 40 milliards de francs de 1946, soit environ 144 milliards de francs de 1949. Toutefois, dans ce domaine, les programmes ont été considérablement amplifiés dans l’intervalle – et le volume des sommes à dépenser également. À la fin de l’année dernière, il avait ainsi été dépensé 73 milliards de francs courants, soit, après réévaluation, 96 milliards de 1949, c’est-à-dire les deux tiers de la somme prévue à l’origine. Pour achever les opérations en cours en matière de raffinage, de stockage, et de transports, et pour poursuivre les recherches et faire face aux investissements à l’étranger, les dépenses à effectuer d’ici 1952 se montent à 117 milliards. En conséquence, le total s’élèvera à 208 milliards de francs de 1949. Nous sommes donc parvenus grosso modo à la moitié de l’effort projeté après la révision du programme.

49Moyennant cette dépense, les opérations en cours devront donner les résultats suivants en 1952 :

• capacité de raffinage non seulement reconstituée par rapport à l’avant-guerre, mais amplifiée et portée de 8 millions de tonnes à 18,7 millions de tonnes, ce qui permettra de couvrir la quasi-totalité des besoins de l’Union française tout en améliorant la qualité des produits ;

• capacité de stockage et de transport à la mesure de l’accroissement de la production ;

• réalisation de la canalisation Le Havre-Paris ;

• intensification des prospections et des forages en France et en outre‑mer ;

• développement des intérêts français dans les gisements étrangers.

50Dès maintenant, l’accroissement de la production a permis de faire face aux besoins courants, qui comprennent notamment les éléments suivants :

• d’abord, les besoins de la circulation routière, lesquels ne sont plus soumis à aucun rationnement ;

• ensuite, les besoins nouveaux résultant de la motorisation de l’agriculture, laquelle n’en est qu’à ses débuts, mais a pris déjà une extension assez importante et constitue un surcroît de demande de combustibles liquides déjà très sensible ;

• enfin, les besoins industriels, eux aussi en rapide progrès.

51En effet, un grand nombre d’établissements, surtout petits et moyens, se sont équipés depuis la guerre pour utiliser des moteurs à base de combustibles liquides au lieu de charbon ou d’électricité.

Électricité

52J’en arrive maintenant à l’électricité⁷. Le programme d’équipement défini en 1946 visait à élever le potentiel de la France de 23,5 milliards de kWh en 1946 à 33 milliards en 1949 et à 39,5 milliards de kWh en 1951. Par la suite, un certain nombre d’autres opérations ont été envisagées afin d’étaler légèrement l’exécution du programme ; finalement, l’objectif a été fixé à 40 milliards de kWh en 1952, dont 22 milliards d’origine hydraulique.

53Ce programme portait :

1. Sur l’équipement hydraulique ;

2. Sur l’équipement thermique ;

3. Sur le transport de force ;

4. Sur la répartition et la distribution.

54Je parlerai d’abord de l’équipement hydraulique. À la fin de 1949, le nouvel équipement hydraulique a permis d’accroître la capacité de production de 3 milliards de kWh par rapport au taux prévu en 1947 et de la porter aux environs de 17 milliards de kWh. L’objectif fixé pour 1949 est atteint, par conséquent, dans la proportion de 89 %. La production hydraulique s’élève à 147 % de la production de 1938. L’ensemble des opérations en cours correspond à une nouvelle augmentation de la capacité de production d’environ 10 milliards de kWh, dont 7,4 ressortissent à des opérations menées par Électricité de France et 2 à des opérations de la Compagnie nationale du Rhône. La totalité des résultats doit être acquise au plus tard en 1953.

55En second lieu, évoquons l’équipement thermique. De 1947 à 1949, la puissance thermique installée a été augmentée de 690 000 kWh seulement, dont près de 340 000 dans les centrales de régularisation d’Électricité de France et 350 000 environ dans les centrales minières. 70 % de ces mises en service sont intervenues en 1949, qui a été une année importante en ce qui concerne les progrès réalisés en matière d’équipement thermique. Malgré ce progrès, il faut noter que, dans ce domaine, on n’atteint que 20 % des améliorations qui avaient été escomptées.

56Au regard des 14 milliards de kWh prévus, la capacité de production de 1949, soit 12,2 milliards de kWh, représente seulement 87 %. Ce niveau correspond toutefois à 133 % de celui de 1938.

57Vous voyez apparaître ici une distorsion assez nette entre les progrès par rapport à l’avant-guerre réalisés en matière hydraulique (bien que les objectifs n’y soient pas atteints) et ceux de l’équipement thermique, qui sont demeurés relativement plus lents.

58La production globale hydraulique et thermique additionnée de 1949, malgré une hydraulicité extraordinairement défavorable, a approché de 30 milliards de kWh, soit près d’un tiers de plus qu’en 1946, mais 10 % de moins que l’objectif global primitivement fixé. L’objectif actuel pour 1952-1953 est de 43 milliards de kWh.

59La succession d’années anormalement sèches – en particulier la chute de l’hydraulicité en 1949 à un niveau inférieur à celui de l’année 1921, jusqu’ici considérée comme une exception – et le développement des besoins divers à un rythme supérieur à ce qui était prévu ont amené les pouvoirs publics, dès la fin de 1949, à engager un programme thermique complémentaire portant sur 820 000 kWh. On s’efforce donc actuellement de faire un nouveau progrès dans la production thermique pour améliorer la proportion primitivement réalisée entre le thermique et l’hydraulique, en vue de relever la proportion réservée au thermique.

60Malgré ce programme complémentaire, et en raison du développement rapide de la consommation, la situation restera précaire au cours des prochaines années, c’est-à-dire relativement supportable en année d’hydraulicité favorable, mais défectueuse en année d’hydraulicité médiocre.

61En ce qui concerne le programme du transport, environ 4 200 km de lignes aériennes et de câbles souterrains ainsi que des transformateurs réalisant une puissance totale correspondante ont été installés en 1947, 1948 et 1949. Quant aux réseaux de répartition à moyenne et basse tension, ils doivent être également étendus et renforcés pour assurer l’augmentation de la consommation des divers utilisateurs industriels et domestiques, urbains et ruraux. Les travaux correspondants s’exécuteront pour un montant de 20 milliards en 1950, et devraient être progressivement portés à une trentaine de milliards par an, si toutefois l’évolution de la situation financière permet de doter ces travaux suffisamment.

62Quant aux dépenses du programme d’investissement de l’électricité dans son ensemble, la commission de Modernisation avait prévu à l’origine un volume de travaux de 198 milliards de francs de 1946, à réaliser entre 1947 et 1954. Près de la moitié était destinée aux ouvrages de distribution, et une somme presque aussi considérable aux aménagements hydrauliques. Le reste était affecté aux centrales minières, aux centrales sidérurgiques, aux centrales de régularisation ainsi qu’à la construction de lignes de transport et de postes de transformation.

63En raison de certaines modifications apportées au programme et de la variation de la valeur de la monnaie, les dépenses dans ce domaine ont été très supérieures aux prévisions, notamment en 1948 et 1949.

64Pour la seule Électricité de France, les opérations achevées et en cours représentent 600 milliards de francs 1949 pour la période s’écoulant de 1946 à 1953. Il a déjà été dépensé 275 milliards ; par conséquent, nous sommes à un peu moins de la moitié de l’effort financier prévu ; mais cette proportion est largement dépassée pour les opérations du grand équipement hydraulique et thermique.

65Ces investissements, en y ajoutant ceux qu’exécutent les autres entreprises, représentent un effort quatre fois et demie plus important que celui d’avant-guerre pour l’équipement hydraulique et une fois et demie pour l’équipement thermique.

66En ce qui concerne l’incidence des investissements sur le prix de revient de l’énergie produite, les études qui ont été faites montrent que le prix moyen ne semble pas devoir s’abaisser en raison de l’accroissement des charges d’amortissement qui résultent de l’exécution d’investissements extrêmement coûteux, et même de plus en plus coûteux (car on a entrepris d’abord les ouvrages les plus rentables et les plus avantageux).

67Quant aux programmes d’avenir, ils sont probablement appelés à être révisés encore, précisément en raison du coût élevé des centrales hydrauliques et des péripéties de la querelle classique des hydrauliciens et des thermiciens. Toutefois, la construction de centrales minières se poursuivra sans aucun doute car elle ne présente que des avantages⁸, compte tenu de l’évolution de la production charbonnière, en qualités et en quantités. Vous savez qu’on utilise dans les centrales minières des charbons de basse qualité qui n’ont souvent pas d’autre débouché rentable.

Ressources énergétiques totales

68Après vous avoir successivement parlé de la réalisation du Plan en ce qui concerne la houille, les carburants, l’électricité, et pour conclure sur ce chapitre, je voudrais regrouper les renseignements que je viens de vous donner afin de préciser vos idées quant à l’évolution de nos ressources totales en énergie. Il est d’usage, dans ce but, de ramener la totalité des ressources d’énergie à leur équivalence en tonnes de charbon.

69Production et importations réunies, en additionnant la houille, les combustibles liquides, l’électricité, le gaz, etc., les ressources totales correspondent à 82,3 millions de tonnes de charbon en 1938, à 70 millions de tonnes en 1946 et à 90 millions de tonnes en 1949. Vous voyez que le pourcentage d’augmentation réelle d’énergie disponible entre 1938 et 1949 n’est que de 9 %, tandis que le chemin qui reste à parcourir de 1949 à 1952 pour réaliser les objectifs (d’ailleurs réduits) s’élève à 20 %. Ainsi, nous ne sommes même pas au tiers du programme cependant comprimé. Or, voici quelques mois, le ministre de l’Industrie a annoncé un nouveau freinage des travaux et leur étalement dans le temps pour des raisons financières. Il y a tout lieu de supposer qu’à l’occasion du vote du prochain budget, une nouvelle compression des chiffres et un étalement encore plus long seront imposés. Les perspectives générales de nos ressources énergétiques ne sont donc pas satisfaisantes. Si, après avoir examiné les ressources énergétiques globales, nous observons leur répartition, on constate une évolution intéressante : la contribution du charbon à nos disponibilités globales reste prépondérante et le charbon demeure la source d’énergie la plus importante, même si elle a perdu de son importance relative. Par contre, les progrès de l’électricité et, plus encore, ceux des produits pétroliers ont été rapides, et ils se poursuivent à l’heure actuelle.

Sidérurgie

70Après avoir parlé de la réalisation du Plan en matière d’énergie, il me faut maintenant examiner la situation de la sidérurgie.

71La production, d’après le Plan, devait progressivement aller jusqu’à 16 millions de tonnes pour l’acier et 3 pour la fonte de moulage. Elle devait, en 1950, atteindre 11 millions de tonnes pour l’acier et 2,7 pour la fonte de moulage. Le rendement par ouvrier et par an devait passer de 44 tonnes en 1938 à 80 tonnes (presque le double) en 1950, et 94 tonnes ultérieurement. Le Plan prévoyait que 1,9 million de tonnes de produits sidérurgiques seraient exportées en 1950, contre 1,5 en 1938.

72Or, bien que les dépenses faites aient été très supérieures aux prévisions en francs de valeur constante, les réalisations leur ont été constamment inférieures. En moyenne, pour les premières années, elles n’ont jamais atteint 80 % des objectifs, et aujourd’hui nous sommes encore en dessous, ce qui est spécialement grave dans une industrie qui constitue la base de toute l’économie moderne.

73La production record depuis la Libération a été de 9 millions de tonnes d’acier en 1949, et de 900 000 tonnes de fonte de moulage, ce qui correspond à 143 % de la production médiocre de 1938, mais à 87 % seulement de la production de 1929 et à 79 % de l’objectif fixé pour 1949.

74La production d’acier en 1950 s’élèvera à 8,5 ou 9 millions de tonnes ; on observe un léger progrès ces dernières semaines. Tous ces chiffres s’entendent Sarre non comprise. La Sarre nous fournit environ un million de tonnes supplémentaires.

75Certains pays voisins sont allés de l’avant beaucoup plus rapidement que nous. L’Angleterre a ainsi déjà réalisé 92 ou 93 % de son objectif de 1952.

76Cette situation est d’autant plus préoccupante que la question de l’acier se pose maintenant sur le plan international en vertu de certains accords gouvernementaux ou privés, accords qui doivent éventuellement prendre une importance plus grande dans le cadre de ce que l’on a appelé le « plan ­Schuman ». Dans l’état actuel du marché international des produits sidérurgiques, les organismes internationaux sont enclins à tenir compte, pour la planification européenne, des niveaux de production actuels et des capacités de production disponibles, par exemple en Allemagne ou en Angleterre. Cela incite les organismes internationaux, notamment l’OECE, à décourager le développement de la puissance de production dans les pays les moins avancés dans la voie du rééquipement de l’industrie lourde, au profit des pays qui disposent d’ores et déjà d’un grand potentiel, parfois partiellement inemployé (par exemple l’Allemagne de l’Ouest).

77C’est ce qui explique la révision des objectifs français, pratiquement ramenée par le commissariat général au Plan pour 1953 à un niveau qui ne correspond plus qu’aux besoins probables en France et dans l’Union française, avec une très faible marge d’exportation, alors que nos ressources en minerai de fer et nos droits éventuels sur les charbons allemands auraient dû justifier une politique plus ambitieuse. L’objectif révisé pour 1952-1953 ne dépasse pas 12,5 millions de tonnes, au lieu des 15 millions primitivement prévus. C’est l’une des décisions les plus significatives parmi celles prises depuis 1946 pour réviser le Plan. Encore y a-t-il lieu de se demander si le nouvel objectif de 12,5 millions de tonnes sera effectivement réalisé.

78Quant à la structure même de l’industrie, le programme qui avait été établi en 1946 et 1947 par la commission de Modernisation de la sidérurgie consistait essentiellement dans la rénovation des installations existantes. Les actions prévues portaient sur les trois points suivants :

• la construction d’unités de production à grande capacité (hauts-fourneaux et fours Martin) ;

• l’amélioration du bilan thermique des installations par la généralisation des techniques permettant de réaliser des économies de charbon et de coke ;

• enfin, la modernisation générale des installations (électrification, mécanisation, etc.).

79Toutes ces actions tendent à l’abaissement des prix de revient par l’augmentation de la productivité et par la diminution de la consommation de combustible. Cet effort n’a pratiquement été engagé qu’à la fin de 1947 et les délais de réalisation des opérations importantes sont souvent de l’ordre de trois ou quatre ans. C’est ce qui explique que les opérations terminées soient peu nombreuses.

80Les principales sont les suivantes :

• hauts-fourneaux : deux hauts-fourneaux modernes à grande capacité ont été construits et de nombreuses réfections d’unités anciennes effectuées ;

• préparation des charges : un concassage a été mis en service et une installation de préparation des charges est en cours d’achèvement ;

• aciéries Thomas : la construction d’une soufflante, d’un convertisseur et d’un mélangeur va être achevée dans deux usines ; une autre usine a procédé à l’augmentation de capacité de ses convertisseurs ;

• aciéries électriques : un four de 25 tonnes a été mis en service ;

• laminoirs : l’électrification d’un blooming et d’un train à billettes est terminée. En ce qui concerne la production de tôles fines, l’effort de modernisation a porté, en attendant l’achèvement des deux trains continus à larges bandes, sur la mécanisation des laminoirs ; ces opérations sont terminées dans cinq usines, et des trains réversibles à froid sont achevés dans deux autres usines. Enfin, les installations de laminage à froid du train à bandes du Nord sont en cours.

81Il faut faire une place à part à la construction de deux laminoirs continus par les deux sociétés Usinor et Sollac, qui représente un progrès massif dans un domaine où nous étions, jusqu’ici, particulièrement en retard. L’inauguration du laminoir Usinor a eu lieu en février 1950, celle de Sollac est prévue pour 1951. Ces installations doivent fournir une quantité supplémentaire de tôles minces et de fer-blanc qui sont de plus en plus demandées en raison de l’évolution de la technique, qui s’oriente vers l’utilisation croissante de produits très élaborés.

82On a beaucoup parlé, voici un an, de surproduction en matière d’acier, notamment à la suite d’un rapport retentissant publié par la commission économique des Nations unies pour l’Europe, et de divers symptômes de ralentissement qui se sont manifestés après une période d’expansion relativement rapide. Il s’agit d’une question technique sur laquelle je n’ai pas l’intention de m’appesantir ici. Qu’il me suffise de dire qu’une surproduction effective et durable d’acier est peu vraisemblable en France, alors que tant de besoins subsistent. Non seulement la Reconstruction est à achever, mais la rénovation de l’habitat français est nécessaire, et vous savez que la reconstruction immobilière utilise maintenant de plus en plus d’acier. D’autre part, la SNCF a ajourné la plus grande partie de son programme de modernisation, et a renoncé notamment à des commandes de matériel roulant. Là encore, une demande potentielle subsiste, qui s’échelonnera sur un grand nombre d’années. Il y a aussi les besoins d’équipement des territoires d’outre-mer. Enfin, ce serait une erreur pour la France de renoncer à exporter des quantités importantes de produits sidérurgiques, alors que l’industrie lourde constitue l’un des domaines dans lesquels elle est sans doute en état d’affronter les marchés extérieurs dans d’assez bonnes conditions. Jusqu’ici, nos exportations de fonte et d’acier ont progressé, mais elles restent dans l’ensemble relativement faibles. Elles pourraient être plus fortes, le prix de revient actuel de l’acier français étant devenu inférieur au prix de revient du principal producteur, le producteur américain.

83Ce qu’il faut retenir des travaux de la commission économique des Nations unies pour l’Europe, c’est la nécessité de se préoccuper non seulement de la production d’acier, mais de l’écoulement de cette production. Il est possible que, dans quelques années, surtout si les besoins du réarmement viennent à s’atténuer, nous assistions non pas à une véritable surproduction, au moins en France, mais à l’apparition d’une sorte de goulet d’étranglement résultant de l’insuffisance des possibilités d’absorption des industries utilisatrices. Il faudrait donc développer ces industries utilisatrices (l’automobile, les machines-outils, les fournitures pour bâtiments, etc.) à une cadence qui soit constamment en rapport avec les progrès de la production de base. Ceci est l’idée même de la planification : il faut toujours s’occuper de développer de manière parallèle les industries qui produisent les matières premières fondamentales et celles qui sont appelées à les transformer.

84En tout cas, l’expérience des cent cinquante dernières années montre qu’il existe un parallélisme frappant entre l’expansion économique en général et la consommation moyenne de produits métallurgiques par habitant. Cette consommation est aujourd’hui en France très inférieure à ce qu’elle était avant la guerre dans les pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, et, bien entendu, les États‑Unis.

85À vrai dire, cette question est maintenant dominée par les circonstances nouvelles résultant des besoins du réarmement dans la plupart des pays ; quelle que soit l’évolution de ces besoins, nous devons garder à l’esprit les perspectives du marché lorsque les besoins militaires seront réduits.

Ciment

86J’en arrive maintenant à l’industrie du ciment.

87En 1939, la capacité de production de l’industrie du ciment, soit 8 millions de tonnes environ, était utilisée de façon très incomplète. La production était toujours inférieure à la capacité de production. La production maximum, celle de 1929, avait légèrement dépassé 6 millions de tonnes. Les objectifs fixés en 1946 étaient de 11,5 millions de tonnes pour 1949 et de 13,5 millions pour 1950. Ils avaient été fixés en considération des besoins de la Reconstruction. Mais, dès 1948, on procéda à une nouvelle appréciation des besoins et il fut admis qu’une capacité de 8 millions de tonnes, c’est-à-dire la capacité d’avant-guerre, suffirait pour les prochaines années. L’effort fut donc surtout orienté vers une augmentation de la productivité et vers des économies de combustible obtenues par certaines techniques modernes.

88Les actions prévues consistaient essentiellement dans la Reconstruction des usines sinistrées en tenant compte, autant que possible, de la nouvelle localisation de la demande dans l’équipement et la modernisation des installations existantes, et dans le développement de la production du ciment de laitier.

89La production de ciment (toutes catégories) a été la suivante :

• en 1947, 3,8 millions de tonnes ;

• en 1948, 5,4 millions de tonnes ;

• en 1949, 6,5 millions de tonnes,

contre 11,5 millions pour le premier objectif, et 8 millions pour l’objectif rectifié.

90La production moyenne annuelle sur la base du premier semestre 1950 est de 6,7 millions de tonnes. Ainsi, en 1949 et en 1950, la production sera de l’ordre de 55 % des objectifs initiaux et de 80 % des objectifs révisés – ce qui correspond toutefois à environ 123 % de la production de 1929, production record du passé.

91De 1947 à 1949, il a été dépensé l’équivalent de 8,5 milliards de francs de 1949, soit le quart des sommes prévues à l’origine pour la modernisation de l’industrie du ciment. On ne dispose à l’heure actuelle d’aucune information en ce qui concerne la réduction des prix de revient, ce qui est spécialement fâcheux pour une industrie qui pourrait devenir très exportatrice.

Machinisme agricole

92Je dirai maintenant quelques mots du machinisme agricole. En 1946, lors de la publication du Plan, la commission du Machinisme agricole n’avait pas terminé ses travaux ; des objectifs précis furent seulement assignés en 1948. Cette industrie était très peu développée avant la guerre, et on peut dire qu’il s’agissait de la créer de toutes pièces.

93Le parc de tracteurs nécessaire à la réalisation des objectifs du Plan fut fixé à 210 000 unités, et l’approvisionnement prévu pour atteindre ce chiffre était de l’ordre de 170 000 tracteurs (compte tenu du parc en service en 1947 et des éliminations pour vétusté qui étaient inévitables). L’approvisionnement échelonné sur quatre ans, suivant une progression constante, prévoyait pour 1949 une fourniture de l’ordre de 35 000 tracteurs. Les réalisations ont été très inférieures.

94Le déficit résulte à la fois du non-accomplissement des programmes de production et d’importation et aussi, pour la dernière période, de la constitution de stocks d’invendus du fait de la réduction de la demande des agriculteurs. Toutefois, on peut dire dès maintenant que l’accroissement du parc de tracteurs en service a déjà permis à l’agriculture de disposer d’un supplément appréciable de moyens de production. Le parc de tracteurs en service, qui était de 80 000 unités à la fin de 1948, a atteint 105 000 à la fin de 1949, ce qui correspond à 50 % du programme initial.

95Le programme de 1950 met surtout l’accent sur la fabrication des tracteurs légers adaptés aux besoins des exploitations moyennes où l’utilisation de machines puissantes n’est pas recommandée.

96Les programmes de fabrication de motoculteurs prévoyaient à partir de 1949 la sortie de 10 000 unités par an. Mais la mévente a durement frappé cette branche de l’industrie, et les chiffres sont très inférieurs. Le parc ne progresse guère que de 3 000 engins par an, soit 30 % des prévisions. Il est de 35 000 engins fin 1949.

97Quant au matériel de motoculture, le tonnage nécessaire à l’emploi rationnel du parc de tracteurs avait été évalué par le commissariat général au Plan, lors de la révision des objectifs pour 1952, à 450 000 tonnes, ce qui nécessitait une fourniture moyenne annuelle de 110 000 tonnes environ. Cette moyenne n’a été respectée au cours des deux dernières années que pour la moitié environ ; nous n’en sommes actuellement qu’aux deux tiers environ de l’accomplissement des objectifs de 1952.

98Mais le retard qui reste à rattraper est très inégal suivant les catégories de matériels. En effet, on constate une insuffisance très nette de machines de récoltes. Par contre, l’augmentation de production enregistrée pour les machines de préparation du sol est très satisfaisante, eu égard à la production des tracteurs.

99D’autre part, les prévisions du commissariat général au Plan avaient été basées sur un approvisionnement de 17 000⁹ tracteurs en quatre ans. Or, les ventes effectives seront très inférieures à ce chiffre. Dans ces conditions, le retard constaté en matière d’instruments de motoculture est relativement moins grave.

100En tout état de cause, l’année 1949 a marqué un progrès sensible dans la fourniture d’instruments de motoculture aux agriculteurs par rapport à 1948. Il en résulte que le travail effectué en 1949 par les tracteurs aura été beaucoup plus efficace qu’en 1948.

101Enfin, en ce qui concerne les matériels agricoles divers, l’objectif de 1952 avait été fixé approximativement à 1 million de tonnes, ce qui nécessitait environ 250 000 tonnes de production moyenne par an. Les réalisations ont été de l’ordre de 70 %.

102Dans cette catégorie de matériels, il y a lieu de signaler particulièrement les véhicules agraires où la mévente se fait sentir. En effet, les stocks invendus s’élevaient en septembre 1949 à 10 000 unités ; la production reste sensiblement inférieure aux prévisions.

103Les dépenses globales d’investissement faites avant le 1^er juin 1950 dans l’industrie du machinisme agricole se sont élevées environ à 5,5 milliards de francs courants, soit, après réévaluation, à près de 7 milliards de francs 1949. Il reste à dépenser près de 9 milliards. Nous sommes par conséquent à 40 % de l’effort total prévu.

104Moyennant la dépense projetée, si elle peut être réalisée, la France devrait être dotée en 1952 d’une industrie du tracteur créée de toutes pièces et à la mesure de ses besoins. Elle aurait modernisé toute son industrie du machinisme agricole.

105Mais dans le domaine du machinisme agricole comme dans celui des machines-outils ou de l’automobile, tout dépend d’un approvisionnement convenable en produits sidérurgiques en quantités, en qualités et en prix. Cela confirme à quel point il est essentiel que la production sidérurgique soit placée à un niveau satisfaisant.