Leçon 11
p. 263-279
Texte intégral
Observations générales
1Nous avons achevé hier la première partie de cet enseignement qui était consacré aux questions de principe concernant la politique des investissements et son financement. Nous abordons aujourd’hui la deuxième partie qui sera plus concrète, plus descriptive, parce qu’elle sera consacrée à la politique des investissements, aux actions d’investissement réalisées en France depuis la Libération.
2L’acte principal de cette politique est généralement connu sous le nom de « Plan Monnet ». Et c’est en effet le Plan Monnet qui a défini en 1946, pour la première fois en France, une politique systématique d’investissement1.
Notions historiques
3Dans le passé, il y avait bien eu des programmes de développement, mais limités et consacrés à des initiatives spéciales (tantôt privées et tantôt gouvernementales). Il n’y avait pas eu une politique officielle, systématique, destinée à développer les possibilités d’ensemble de la production du pays. Cela se comprend : dans le système d’économie libérale qui prévalait au xixe siècle, les investissements se décidaient presque toujours au niveau de l’entreprise. Cependant, même à cette époque, l’Administration n’était pas totalement inactive ; elle était préoccupée des besoins de l’économie française, surtout de ceux que ne couvraient pas les initiatives particulières. Elle disposait toutefois de peu de moyens : sa documentation était insuffisante, et elle était pauvre en crédits et en techniciens. Les quelques pouvoirs réglementaires dont elle disposait effectivement lui fournissaient parfois le moyen de s’intéresser à tel ou tel secteur momentanément ou durablement important, ou de rechercher des remèdes au chômage ou au désordre de la production, ou encore, quelquefois, de stériliser certains moyens de production existants et qui pouvaient apparaître momentanément comme excédentaires. Seulement, les interventions administratives, lorsqu’elles se produisaient, avaient toujours le défaut de constituer des actions fragmentaires, dénuées d’une conception d’ensemble.
4Tel a encore été le cas chaque fois qu’un programme d’investissement a été envisagé ou décidé entre les deux dernières guerres. Pour rappeler un ou deux exemples précis, je mentionnerai la loi du 28 novembre 19312 qui ouvrait des crédits destinés à perfectionner l’outillage national et le financement des travaux. C’était le moment où se faisaient sentir en France les effets de la crise mondiale ; on a estimé devoir prendre une initiative pour permettre le perfectionnement de l’outillage national et pour développer des travaux susceptibles d’occuper des chômeurs. Les textes de cette époque ont créé une Caisse de crédit aux départements et aux communes pour le perfectionnement de l’outillage national, départemental et communal. Cet organe, supprimé seulement en 1942, n’a joué dans l’intervalle qu’un rôle très limité, et sans se soucier d’adapter son action aux fluctuations de la conjoncture. De même, le décret-loi du 15 mai 19343 avait prévu l’exécution d’un second programme de travaux financé par les disponibilités des caisses d’assurances sociales ; ce texte a été modifié à plusieurs reprises. La législation autorisa finalement les départements, communes et établissements publics à affecter certaines économies (qu’on les avait obligés à réaliser par le prélèvement de 10 dollars sur les dépenses publiques) pour le service d’emprunts contractés en vue de la réalisation de travaux locaux. Plus tard, le 1er août 1936, une nouvelle série de travaux fut décidée qui devait être exécutée en trois ans ; cette fois, le but proclamé, officiel, était de combattre le chômage et d’améliorer l’équipement du pays. Enfin, en 1938, une autre série de travaux fut décidée, spécialement au profit des travaux ruraux.
5Aucune de ces initiatives ne constituait autre chose qu’une décision empirique basée sur des circonstances passagères, qu’on n’essayait même pas d’interpréter du point de vue de l’économie générale du pays ou de l’évolution de la conjoncture mondiale.
6La notion de « plan » apparut pour la première fois dans un texte légal en 1931. La loi du 28 décembre 19314 institua en effet un Comité consultatif du perfectionnement de l’outillage national présidé par le président du Conseil national économique. Vous savez que le Conseil national économique de la IIIe République était un organe consultatif dont les travaux ne manquaient certes pas d’intérêt, mais qui n’exerçait aucune influence réelle5. Le seul fait que le nouveau Comité consultatif du perfectionnement de l’outillage national était placé sous la direction du président du Conseil national économique montre qu’il ne s’agissait pas d’un organe d’exécution actif.
7Il faut arriver à l’acte dit loi6 du 6 avril 1941 relatif à l’équipement national pour trouver enfin l’idée d’un plan d’équipement conçu et organisé à l’échelon gouvernemental et exécutif. En effet, ce texte créait une administration nouvelle sous le titre de Délégation générale à l’équipement national7 ; cette délégation générale préfigurait l’actuel commissariat général au Plan et était déjà dotée de certains pouvoirs effectifs. Aucun crédit ne pouvait ainsi être accordé aux collectivités publiques dans la métropole ou dans la France d’outre-mer pour l’exécution de travaux ou d’investissements sans qu’ait été recueilli l’avis conforme du délégué à l’équipement national. Voici donc, pour la première fois, l’idée d’une coordination des actes d’investissement et d’équipement, quel que soit le lieu où ils sont opérés et quelle que soit l’autorité qui les a décidés.
8Après la Libération, l’ordonnance du 23 novembre 1944 confia au ministre de l’Économie nationale la préparation du Plan (le mot « plan » apparaît enfin dans la loi) et le contrôle d’exécution de ce Plan. Pour permettre au ministre de l’Économie nationale d’accomplir cette tâche, il fut chargé en principe de contrôler l’action des autres ministres responsables de l’économie du pays, et l’article 6 de l’ordonnance du 23 novembre 1944 précisa que seraient soumis au contreseing du ministre de l’Économie nationale tous les textes susceptibles d’avoir une répercussion sur la politique économique, et notamment sur l’équipement industriel, agricole ou immobilier. Une direction du Plan fut créée au ministère de l’Économie nationale. Cette tentative, vous le savez, échoua dès 1945 ; l’autorité du ministre de l’Économie nationale n’ayant pu être assurée effectivement, il ne put pas jouer le rôle centralisateur et coordinateur, le rôle de discipline qui aurait dû être le sien, et c’est ainsi qu’un temps précieux fut perdu.
9La Constitution de la IVe République du 27 octobre 1946 traite du Plan dans son article 25 à propos des attributions du Conseil économique, qui « doit être obligatoirement consulté par le gouvernement sur l’établissement d’un plan économique national ayant pour objet le plein-emploi des hommes et l’utilisation rationnelle des ressources matérielles ». La discussion de cet article de la Constitution donna lieu au Parlement à un débat intéressant, auquel je vous renvoie. Vous le trouverez au Journal officiel (Débats parlementaires de 1946, p. 3189)8.
10Enfin, nous arrivons au décret du 3 janvier 19469, qui a prescrit l’établissement – je cite – « d’un premier plan d’ensemble pour la modernisation de l’équipement économique de la métropole et des territoires d’outre-mer […]. Devant l’énormité, est-il dit, des besoins, et la pénurie des ressources, il a été admis que ces dernières devraient être utilisées d’après un ordre d’urgence qui correspond à la hiérarchie des tâches. L’économie française vivra et progressera dans un régime de priorités requérant d’incessants arbitrages ».
Les organes de la politique d’investissements
11La notion de Plan est affirmée de manière très claire. À partir de ce moment, divers organes ont été constitués pour orienter et diriger la politique française des investissements. Je vais les énumérer. Certes, je n’aurai pas à vous décrire, et je le regrette, une administration logiquement conçue, partant d’un certain nombre de données de principe, dont on aurait tiré des conclusions raisonnées. Il s’agit plutôt de commissions chargées de coordonner ou d’arbitrer, ou encore de services spécialement chargés de telle ou telle responsabilité particulière. En gros, les organes en question peuvent être regroupés en trois séries.
12Tout d’abord, les tâches de conception et d’études générales incombent en principe au Conseil du Plan et au commissariat général au Plan.
13Deuxièmement, il y a la transformation des directives économiques qui émanent du commissariat général au Plan, directives financières, la traduction en langage financier et en décisions financières des décisions économiques prises à l’échelon du Plan. Ces tâches relèvent de deux organismes dont les attributions sont d’ailleurs extrêmement voisines sur certains points : la commission des Investissements, d’une part, et le Conseil national du crédit, d’autre part.
14Troisièmement, l’exécution, qui comporte l’intervention de deux nouveaux organes : la Caisse autonome de la reconstruction et le Fonds de modernisation et d’équipement.
15Ces diverses institutions (commissariat général au Plan, commission des Investissements, Conseil national du crédit, Caisse autonome de la reconstruction, Fonds de modernisation et d’équipement) chevauchent inévitablement les administrations préexistantes, et notamment les ministères ayant des responsabilités financières ou économiques. Il en est résulté bien souvent des conflits d’attributions, et même des décisions contradictoires, ce qui n’a pas été sans présenter de sérieux inconvénients.
Le Conseil du Plan et le commissariat général au Plan
16Je vous parlerai en premier lieu du Conseil du Plan et du commissariat général au Plan. L’un et l’autre ont été créés par le décret du 3 janvier 1946, lequel a ordonné l’établissement d’un premier plan d’ensemble pour la modernisation et l’équipement économique de la métropole et des territoires d’outre-mer. En vertu de ce texte, le Plan doit avoir pour objet :
d’accroître la production et les échanges extérieurs ;
de porter le rendement du travail à un niveau plus élevé ;
d’assurer le plein-emploi de la main-d’œuvre ;
d’élever le niveau de vie ;
d’améliorer les conditions de l’habitat et de la vie collective.
17On ajoute, par ailleurs, que le Plan prévu devra s’étendre à la reconstruction des outillages et des équipements publics et privés endommagés ou détruits par les événements de guerre.
18Les différents objets ainsi énumérés dans le texte qui a créé le commissariat général au Plan manquent évidemment de précision ; il apparaît que les rédacteurs du décret du 3 janvier 1946 n’avaient pas à l’esprit une vue très nette des impératifs de la politique économique française ; les choses se sont un peu précisées par la suite.
19Pour poursuivre ces divers objectifs, le décret du 3 janvier 1946 a créé un Conseil du Plan chargé de soumettre toutes propositions utiles au gouvernement. Le Conseil du Plan est présidé par le chef du gouvernement. Tous les ministres économiques en font partie, ainsi qu’une quinzaine de personnalités choisies en raison de leur compétence, parmi lesquelles un haut fonctionnaire spécialement créé dans cette circonstance et qui prend le titre de « commissaire général au Plan ».
20Le commissaire général au Plan est la cheville ouvrière de la nouvelle organisation. Il est chargé de préparer toutes les études nécessaires au Conseil du Plan et de lui soumettre toutes propositions ou suggestions. Il est le délégué du chef du gouvernement auprès des départements ministériels pour tout ce qui concerne l’établissement du Plan. Ainsi que vous le savez, depuis l’origine, c’est M. Jean Monnet qui occupe ces importantes fonctions ; il a donné son nom au Plan qui a été établi par la suite sous son impulsion. Il a dirigé le commissariat avec des qualités personnelles indéniables, et un sens de la diplomatie qui lui a permis souvent de concilier les intérêts des administrations concurrentes ou rivales. Il n’est pas douteux que le commissariat général au Plan et plus spécialement M. Jean Monnet aient exercé une influence considérable sur la politique économique qui a été suivie dans toute cette période. Cependant, malgré ses mérites indiscutables, M. Jean Monnet n’a pu surmonter totalement les inconvénients qui résultent de la situation hybride et imprécise de ses fonctions ; de cette situation découlent fréquemment des chevauchements entre ministres économiques, d’une part, et commissariat général au Plan, d’autre part. Par ailleurs, les conflits ont été à peu près constants entre le commissariat général au Plan et le ministère des Finances depuis 1946.
21L’article 4, alinéa 4 du décret du 3 janvier 1946 déclare qu’« À compter de la publication du présent décret, tous les programmes affectant l’activité économique du pays, relatifs notamment à la production, à la reconstruction, à l’armement, à l’équipement, au commerce extérieur et aux prélèvements de biens ennemis au titre des réparations, préparés par les départements ministériels compétents seront communiqués au commissaire général. Le commissaire général sera tenu au courant des projets en cours d’élaboration. »
22Ce texte prévoit une sorte de procédure consultative, un certain nombre d’actes ou un certain nombre de projets devant être seulement soumis au commissaire général au Plan. Mais il n’apparaît pas que c’est le commissaire général au Plan qui est chargé des responsabilités d’action et d’exécution. En fait, ce texte s’est révélé insuffisant, et il a été renforcé par le décret du 16 janvier 1947, lequel distingue la préparation des programmes, l’exécution et l’adaptation des programmes et les comptes rendus d’exécution.
23La préparation des programmes est visée à l’article 2. L’exécution et l’adaptation des programmes en cours de route sont visées aux articles 3 et 4, et les comptes rendus des exécutions sont visés à l’article 4.
241. D’abord, la préparation des programmes visée à l’article 2. Il y est dit ceci : « Le Conseil du Plan propose au gouvernement » (par conséquent, il s’agit maintenant d’une initiative du commissariat général au Plan) « pour l’ensemble de l’Union française, les programmes annuels de production, de répartition des matières essentielles, de reconstruction, d’investissements, d’importation et d’exportation. »
25En vertu de cet article 2, l’initiative appartient bien au commissariat général au Plan.
262. Nous passons ensuite à l’exécution, qui est visée aux articles 3 et 4. Le décret déclare que « Le commissaire général est chargé de veiller à l’exécution du Plan. S’il juge que cette exécution peut être compromise pour une raison quelconque, il saisit de la question les ministres compétents ».
27Il prend donc de nouveau des initiatives. Il porte éventuellement les questions devant le président du Conseil, ou devant le Comité économique interministériel composé de tous les ministres chargés de gérer les départements économiques.
28Nous voyons bien le mécanisme : en cours de route, le commissaire général veille à l’exécution ; il saisit le ministre compétent, et – c’est ce que l’on peut lire entre les lignes – s’il ne persuade pas ce dernier des modifications qui lui paraissent nécessaires, il saisit le chef du gouvernement et le Comité économique interministériel.
29Les décisions importantes intéressant l’exécution du Plan ou son adaptation en cours d’exercice, notamment la répartition des matières essentielles, sont préparées par les organismes compétents, mais en accord avec les services du Plan.
30Les articles 3 et 4 du décret de 1947 donnent au commissaire général une responsabilité étendue en ce qui concerne l’exécution du Plan et son adaptation en cours de route aux nécessités nouvelles qui peuvent apparaître.
313. Enfin, l’article 4 du décret du 16 janvier 1947 prévoit que le commissaire présentera tous les six mois un rapport sur les résultats obtenus ; c’est donc le compte rendu d’exécution. À cette occasion, il suggère les modifications importantes qu’il y a lieu d’apporter aux programmes annuels.
32Je vous conseille de vous procurer les comptes rendus semestriels d’exécution du Plan qui ont été établis par le commissaire général. Cette série de fascicules présente en effet un intérêt documentaire de premier ordre.
33L’élaboration du Plan et les rectifications se sont faites constamment, au sein des administrations techniques et du commissariat général au Plan, les décisions finales appartenant, en principe, au Conseil du Plan, et plus exactement au commissaire général au Plan. Toutes ces décisions sont intervenues jusqu’ici en dehors de tout contrôle parlementaire. Pour pallier cette situation, l’article 4 de la loi du 17 août 1948, article d’initiative parlementaire – ce qui montre la volonté du Parlement de participer à des tâches dont il a été exclu jusqu’à maintenant – dispose qu’avant le premier janvier 1950, le gouvernement prendra les dispositions nécessaires en vue de soumettre à l’avis du Conseil économique et de l’Assemblée de l’Union française, et à l’approbation du Parlement, le Plan de modernisation de la métropole et des territoires de l’Union française, définissant pour quatre années les objectifs de production à atteindre pour développer la production nationale et assurer l’équilibre de la balance des comptes. Ainsi, dans la loi du 17 août 1948, le Parlement exprime la volonté d’être réintroduit dans le circuit d’élaboration et de préparation du Plan ; il fait une obligation au gouvernement de lui soumettre avant le 1er janvier 1950 un plan de quatre ans. La même idée apparaît dans l’article 4 de la loi de finances du 31 janvier 1950 qui annonce qu’une loi à intervenir avant le 1er juillet 1950 fixera les objectifs à atteindre après le premier juillet 1952, c’est-à-dire dans la période qui suivra l’exécution du plan Marshall.
34Tous ces textes sont restés lettre morte, et à ce jour le Parlement n’a jamais été saisi d’un projet de plan. La planification a été constamment préparée, suivie et adaptée au sein du commissariat général au Plan.
35Quant à la structure intérieure du commissariat général au Plan, je dirai peu de choses. Cet organisme a pris une forme administrative originale. Ses effectifs sont réduits puisqu’ils ne dépassent pas 125 unités. Il comporte quatre divisions spécialisées et 25 commissions de modernisation qui associent, pour chacune des principales branches d’activité, des représentants de l’administration, des membres qualifiés des organisations patronales et ouvrières, et des experts indépendants. Les commissions de modernisation groupent donc les parties les plus intéressées au progrès d’une industrie ou d’une production déterminée ; plus de mille personnes ont participé à leurs travaux jusqu’ici. La grande différence entre les commissions de modernisation dont je viens de parler et les commissions techniques constituées antérieurement tient à la nature de leur rôle. Dans le passé, les commissions d’experts ou les commissions tripartites avaient un rôle purement consultatif et un peu académique. Celui des commissions de modernisation est, en principe, délibératif. Tous leurs membres (représentants de l’administration y compris) travaillent collectivement en vue d’un objectif commun, mais en toute indépendance et uniquement sur la base de leur compétence et de leur expérience personnelles. La connaissance des problèmes découverts en commun facilite grandement leur compréhension par tous, et l’application des mesures qui en découlent dans un grand nombre de cas a été facile, parce qu’il a suffi d’appeler l’attention des intéressés sur tel ou tel aspect d’un problème technique pour que les actions se déclenchent presque spontanément et découlent, pour ainsi dire, de la consultation elle-même, soit du côté patronal, soit du côté technicien, soit du côté administratif, soit du côté des syndicats ouvriers.
36Les rapports des commissions de modernisation sont très inégaux : certains constituent des œuvres de premier ordre, d’autres sont relativement médiocres. Ils constituent en tout cas une collection intéressante que je vous conseille de feuilleter lorsque vous en aurez le loisir.
37Au-dessus de ces commissions de modernisation qui explorent chacune un domaine spécial de l’activité économique, le commissariat général au Plan est chargé de grouper leurs conclusions dans une vue synthétique, d’harmoniser leurs objectifs et de les ajuster aux possibilités d’ensemble. Pour ne donner qu’un exemple, le commissariat, sur la vue des rapports des commissions, a pu établir en 1947 (malheureusement, ce travail ne s’est pas poursuivi depuis) un bilan global approximatif des besoins de la France en main-d’œuvre, en énergie et en moyens de transport. Grâce à ce bilan, la commission de la Main-d’œuvre ainsi que les autorités qualifiées publiques et privées en matière de charbon, d’électricité, de carburants liquides et de moyens de transport ont pu définir les mesures nécessaires soit dans l’immédiat, soit dans l’avenir proche. Il est fâcheux que ce travail de synthèse (entrepris en 1947 dans des conditions difficiles et dont les résultats ne pouvaient qu’être par conséquent très approximatifs) n’ait pas été mis à jour sur la base de l’évolution économique postérieure.
38Deux derniers points doivent être mentionnés rapidement. Le commissaire au Plan intervient dans la distribution des crédits du Fonds de modernisation et d’équipement, dont je parlerai plus en détail par la suite. Les crédits, avances et prêts ne peuvent être accordés aux bénéficiaires que sur avis du commissaire au Plan, lequel peut, à cet effet, demander toutes informations aux ministres intéressés – l’octroi ou le refus de crédits étant l’un des moyens les plus puissants par lesquels on peut agir (notamment sur le secteur privé, mais également sur le secteur public ou nationalisé). L’intervention du commissaire au Plan constitue donc une arme efficace pour faire respecter ses directives.
39Enfin, dernier point, le commissariat général au Plan a joué un rôle important dans les travaux d’évaluation du revenu national. En 1947, il a établi un bilan national, c’est-à-dire une prévision des ressources et des besoins de l’économie française pour 1948. Ce travail a été remis à jour depuis et très utilement, tous les six mois, dans des conditions qui sont sans précédent en France. Je ne saurais trop vous conseiller – je l’ai d’ailleurs déjà fait – de prendre connaissance de cette collection d’études sur le revenu national qui donne une idée claire, semestre par semestre, de l’évolution de l’économie française depuis 1947. Malheureusement, depuis un an environ, la publication de cette série d’études a été interrompue ; on ne dispose plus d’aucun document officiel sur l’évaluation et l’évolution du revenu national depuis l’année dernière.
La commission des Investissements
40Je dirai maintenant quelques mots, mais beaucoup plus rapides, sur la commission des Investissements.
41La commission des Investissements a été créée par le décret du 10 juin 1948. Elle est présidée par le ministre des Finances et comprend le commissaire au Plan, le gouverneur de la Banque de France, un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère des Finances et des représentants des ministères économiques. C’est par conséquent une commission purement gouvernementale et administrative.
42La compétence de la commission des Investissements s’étend au secteur public et au secteur privé, mais dans une mesure très différente.
43En ce qui concerne le secteur public, le domaine public et les entreprises nationalisées, la commission des Investissements examine les programmes de reconstruction et d’équipement à exécuter ainsi que tout programme susceptible d’être financé avec le concours direct ou indirect de l’État (sont visés ici les entreprises semi-publiques et même le secteur privé, lorsqu’il a recours à l’aide financière de l’État). Compte tenu de la situation des finances publiques, des ressources du marché et des disponibilités en matières premières, en main-d’œuvre et en devises, la commission des Investissements propose les ajustements à opérer pour maintenir la demande dans les limites des ressources ; elle donne son avis sur les ordres de priorité et sur le rythme de l’exécution des travaux projetés, ainsi que sur le mode de financement applicable à ces travaux. Vous voyez que, dans une large mesure, ses attributions font double emploi avec celles qui appartiennent aussi au commissariat général au Plan.
44Les attributions de la commission des Investissements à l’égard du secteur privé proprement dit, c’est-à-dire de celui qui ne bénéficie d’aucun financement étatique, sont inévitablement moins précises. Elle est chargée, dans ce domaine, de faire des propositions sur les directives à donner aux organismes chargés du contrôle des émissions d’actions et d’obligations sur le marché, des prêts d’équipement à moyen et long terme et des investissements privés de toute nature. Ceci est assez peu précis. Néanmoins, pour remplir cette tâche, la commission a créé des comités spéciaux qui suivent les émissions sur le marché, les appels au crédit bancaire ordinaire et les appels aux crédits spéciaux à moyen terme.
45Une fois par an, la commission des Investissements est saisie du programme des travaux dont l’exécution doit s’effectuer l’année suivante ; elle examine en cours d’année les projets de révision de ces programmes. En fait, la commission n’a jamais pu réellement contenir les demandes dans la limite des ressources selon les termes de l’article 2 du décret du 10 juin 1948. Néanmoins, elle a publié deux importants rapports annuels qui font assez bien le point des problèmes qu’a posés au cours des années considérées la traduction – pour reprendre le langage employé tout à l’heure – dans le domaine financier des directives déterminées par le commissariat général au Plan pour le domaine économique.
Le Conseil national du crédit
46J’en arrive maintenant au Conseil national du crédit.
47Si le Conseil national du crédit n’est pas exclusivement chargé de surveiller les investissements, il joue néanmoins un rôle très important dans ce domaine. Le Conseil national du crédit a été créé par la loi du 2 décembre 1945 portant nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques et organismes de crédit. Le titre V de cette loi constitue le Conseil national du crédit, lequel est présidé par un ministre (en fait, le ministre des Finances), le vice-président étant le gouverneur de la Banque de France, qui exerce en réalité les pouvoirs du Président. Il comporte par ailleurs 38 membres que je n’énumérerai pas ; il y a là des représentants de la CGA10, des représentations d’organisations coopératives, commerciales, industrielles, des chambres de commerce, maritimes et industrielles, d’organisations ouvrières ; il y a également des hauts fonctionnaires, des représentants des banques nationalisées ou non, etc. Un pareil organisme est inévitablement très lourd ; aussi a-t-on créé quatre comités qui sont spécialement chargés :
Des dépôts ;
Des prêts à court terme ;
Des prêts à moyen et long terme ;
Du commerce extérieur.
48Vous retrouvez là un certain nombre des attributions de la commission des Investissements et de ses comités ; ainsi se confirme ce caractère composite et illogique de ces divers organes créés pour suivre l’exécution de la politique gouvernementale en matière d’investissements.
49Le Conseil national du crédit recommande au ministère des Finances toutes mesures ayant pour objet les dépôts en banque ou dans les caisses d’épargne, tendant à diminuer la thésaurisation, à développer la monnaie scripturale et à collecter les disponibilités du public dans l’intérêt général. Le Conseil s’occupe aussi de tous projets ayant pour but la concentration bancaire et l’ensemble des activités bancaires et des questions touchant les dépôts et leur sécurité. Il propose au ministre des Finances la répartition des disponibilités entre les besoins du Trésor, les émissions des collectivités, les besoins des territoires d’outre-mer et les autres besoins de crédit. Le Conseil est consulté sur la politique générale du crédit, sur le financement de la Reconstruction, sur le financement du Plan de modernisation et des plans d’importation et d’exportation. Il établit, en conséquence, des plans d’investissement et détermine les priorités à réserver à certaines émissions.
50Le Conseil national du crédit se réunit une fois par mois, et il adresse au gouvernement au moins une fois par an un rapport sur la situation du crédit.
51Il est complété, d’une part, par le Comité consultatif sarrois du crédit, qui est en quelque sorte son organe régional dans la Sarre et, d’autre part, par le Conseil algérien du crédit, qui joue le même rôle en Algérie.
52Depuis 1947, le Conseil national du crédit a fonctionné régulièrement, et publié une série de rapports qui exposent l’évolution du crédit et de l’épargne dans cette période.
La Caisse autonome de la reconstruction
53J’en arrive maintenant à la Caisse autonome de la reconstruction, qui a été constituée définitivement par la loi du 21 mars 1948 pour faire face aux dépenses qui incombent à l’État en vertu de la législation sur les dommages de guerre et sur la Reconstruction. Cette législation (notamment la loi organique du 28 octobre 1946) avait prévu qu’une Caisse autonome serait créée ; mais – et vous voyez que nous ne sommes pas à un illogisme près – la Caisse n’avait pas encore été constituée lorsque les deux lois du 7 janvier 1948 sur le prélèvement exceptionnel contre l’inflation lui attribuèrent ses premières ressources !
54La Caisse autonome de la reconstruction est administrée par un conseil d’administration composé de députés, de sénateurs, de membres du Conseil de l’Union française, du commissaire au Plan, de représentants du Conseil national du crédit, du gouverneur de la Banque de France, du président du Crédit national et de représentants des sinistrés. Ce sont toujours, avec des variantes, à peu près les mêmes hommes que nous retrouvons au sein des divers organes. Le conseil d’administration, qui est très nombreux, peut déléguer ses pouvoirs à une commission permanente, qui est en fait son organe d’action ordinaire. Mais les services et les fonds de la Caisse autonome sont gérés par le Crédit national, dont le directeur général est en même temps directeur général de la Caisse autonome de la reconstruction.
55Les ressources de la Caisse sont constituées :
Par le produit des emprunts émis pour les besoins de la Reconstruction ;
Par le montant des réparations versées par les anciens pays ennemis ;
Par les ressources votées par le Parlement au profit de la Reconstruction, notamment des ressources fiscales ;
Par des avances du Trésor (nous y reviendrons).
56D’autre part, la Caisse est dépositaire à titre provisoire du produit des emprunts émis par des groupements de sinistrés.
57Je vous signale, pour terminer sur ce point, qu’ont été maintenues en dehors de l’activité de la Caisse les opérations de reconstruction qui ne relèvent pas du MRU11 et qui obéissent à des règles juridiques propres, telles que la reconstitution du réseau de la SNCF, de la flotte de commerce, de la flotte de pêche et de la flotte rhénane.
Le Fonds de modernisation et d’équipement
58Le dernier organe dont je dois parler ce matin est le Fonds de modernisation et d’équipement.
59La création de ce fonds a été annoncée par les deux lois du 7 janvier 1948 qui, en ordonnant le prélèvement exceptionnel contre l’inflation, ont décidé que son produit serait affecté pour deux tiers à la reconstruction et pour un tiers aux travaux d’équipement rural et industriel. Les sommes correspondantes devaient être versées, d’une part, à la Caisse autonome de la reconstruction et, d’autre part, à un Fonds national de modernisation et d’équipement qui n’existait pas encore, mais dont il était dit qu’il serait doté de l’autonomie nécessaire à la réalisation de ses objectifs. En réalité, lorsque ce fonds a été créé par la suite, son autonomie financière a été réduite à peu de chose ; le Fonds de modernisation fonctionne somme un compte spécial du Trésor.
60Les ressources du Fonds de modernisation et d’équipement ont été jusqu’ici de nature très diverse, dans l’ordre chronologique :
Le tiers du produit du prélèvement exceptionnel contre l’inflation et le tiers du produit de l’emprunt libératoire du prélèvement. En 1948, cela a représenté une recette de 33 milliards. Cette recette a pratiquement disparu puisque le prélèvement exceptionnel contre l’inflation était, comme son nom l’indique, un impôt exceptionnel non renouvelable ;
Le Fonds a reçu des ressources affectées à la suite d’accords intervenus entre le gouvernement français et l’administration américaine de coopération économique, généralement connue sous ses initiales ECA12. Il s’agit de la contre-valeur de l’aide américaine du plan Marshall, dont la principale partie est donc versée au Fonds de modernisation et d’équipement ;
Le Fonds a également bénéficié d’avances du Trésor, environ 30 milliards en 1948 et une centaine de milliards en 1949 ;
Le Fonds, venant en aide aux entreprises privées sous forme d’avances et de prêts, reçoit de la part de celles-ci des versements d’intérêt et d’amortissement. Ces intérêts et ces amortissements constituent pour le Fonds des ressources disponibles pour de nouvelles opérations. Cela représente des recettes qui sont loin d’être négligeables ; en 1950, elles s’élèveront à 18 milliards.
61Les ressources du Fonds sont gérées par le Trésor, puisqu’il n’est rien d’autre qu’un compte spécial du Trésor. On peut dès lors se demander à quel mobile correspond la création de cet organisme qui reçoit ses fonds du Trésor, ou par l’intermédiaire du Trésor, et qui les reverse ensuite au Trésor. Il en est de même d’ailleurs de la Caisse autonome de la reconstruction. En fait, le but poursuivi est de préserver certaines recettes affectées en vue d’une utilisation déterminée. Il s’agit, par exemple, de garantir au gouvernement américain que la contre-valeur de l’aide Marshall ne servira pas à d’autres usages qu’à l’équipement ou à la modernisation de notre économie ; les sommes en question sont spécialisées, sont cantonnées par le moyen de ce fonds autonome, ou plutôt par le moyen de sa comptabilité distincte. De même, on désire garantir aux sinistrés et aux souscripteurs des emprunts destinés à la reconstruction que le produit de ces emprunts ne servira pas à d’autres usages qu’à l’usage prévu, c’est-à-dire à la Reconstruction ; d’où la création de la Caisse autonome. À dire vrai, ce sont des satisfactions de pure forme que l’on donne aux intéressés ; les recettes de la Caisse de reconstruction et du Fonds de modernisation, quand elles sont versées au Trésor, sont momentanément employées par lui pour les besoins généraux. Mais surtout, la Caisse et le Fonds n’ayant finalement que des ressources propres inférieures à leurs besoins, ils reçoivent constamment des avances du Trésor, et c’est en fait le Trésor qui les alimente. Je vous ai déjà signalé que le Fonds de modernisation avait reçu une centaine de milliards d’avances du Trésor rien que pour l’année 1949.
62Il me faut enfin vous indiquer, après avoir énuméré les ressources du Fonds de modernisation, comment il utilise ces ressources au profit des ayants droit soit du domaine public, soit du secteur privé. L’absence d’un plan officiellement adopté par le Parlement, et qui comporterait des directives obligatoires pour le Fonds de modernisation, a eu comme conséquence une organisation relativement complexe, laquelle comporte principalement un certain nombre de démultiplications pour la répartition, ou plutôt la sous-répartition, des prêts et des avances que peut consentir le Fonds. Cette question est réglée, au moins à titre provisoire, par les décrets du 1er octobre 1948 et du 17 mai 1949 ; en vertu de ces textes, des avances et des prêts sont accordés par le Fonds par arrêté du ministre des Finances après avis du commissaire au Plan et de la commission des Investissements. Ces avances et ces prêts sont faits, en principe, à des établissements spécialisés qui en surveillent les affectations finales. Dans quelques cas particuliers, le Fonds consent des prêts directs aux utilisateurs. Cela s’est produit soit au profit d’entreprises nationalisées, soit même parfois dans le secteur privé, par exemple pour le financement de la construction de deux trains de laminoirs par deux sociétés créées à cette fin sous les noms de Usinor et Sollac. En dehors de ces deux cas et de quelques autres, notamment dans le secteur étatique et paraétatique, le Fonds de modernisation ne fait pas d’avances aux utilisateurs, mais seulement à des institutions spécialisées qui reçoivent les fonds par grandes masses, et qui assurent la sous-répartition au profit des bénéficiaires finaux.
63Ces bénéficiaires finaux des avances du Fonds de modernisation peuvent être classés en trois catégories : il y a d’abord les entreprises nationales, puis les autres entreprises industrielles et agricoles, et enfin les territoires extra-métropolitains.
641. Les entreprises nationales (telles que Charbonnages de France, SNCF, etc.) peuvent bénéficier d’avances et de prêts directs du Fonds de modernisation pour leurs besoins d’investissements. Il y a toutefois une exception en ce qui concerne le gaz et l’électricité : là, le Fonds ne consent d’avances et de prêts qu’à un organisme spécialement créé, la Caisse nationale d’équipement de l’électricité et du gaz. Cette Caisse reçoit du Fonds de modernisation des dotations annuelles globales, et se charge de la répartition entre les utilisateurs, à savoir Électricité de France, Gaz de France, la Compagnie nationale du Rhône, les Houillères (pour leurs centrales thermiques), etc. En dehors de cette exception, les entreprises nationales qui constituent la première catégorie de bénéficiaires d’avances et de prêts du Fonds peuvent s’adresser à lui directement pour obtenir ces avances ou ces prêts.
652. Il y a ensuite les autres entreprises industrielles et agricoles ; celles-ci ne peuvent pas en principe recevoir de prêts ou d’avances directement du Fonds, et elles doivent s’adresser à des établissements financiers qui servent de relais ou d’intermédiaires. Ces établissements intermédiaires sont les suivants :
le Crédit national, la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse centrale de crédit hôtelier industriel et commercial, qui consentent des prêts aux entreprises industrielles exerçant les activités de base du Plan ou produisant des équipements ou des moyens de production pour l’agriculture ;
le Crédit foncier, la Caisse nationale de crédit agricole et la Caisse des dépôts et consignations, qui consentent des prêts aux collectivités locales et aux organismes et exploitations réalisant des travaux d’équipement rural.
66En définitive, il y a deux catégories de relais :
les premiers, destinés aux entreprises industrielles exerçant les activités de base du Plan, produisant des équipements ou des moyens de production pour l’agriculture ;
les seconds, destinés aux collectivités locales (personnes publiques) et aux organismes ou exploitations privées réalisant des travaux d’équipement rural.
673. Enfin, la troisième catégorie de bénéficiaires concerne les territoires extra-métropolitains. Le Fonds de modernisation leur fournit des ressources par divers intermédiaires :
la Caisse centrale de la France d’outre-mer, d’abord, pour que cet établissement vienne en aide lui-même aux collectivités, organismes ou entreprises privées de la France d’outre‑mer ;
l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Sarre, d’autre part, pour les dépenses de travaux neufs exécutés par les autorités qui les administrent ou par des entreprises, organisations ou établissements publics ;
l’Indochine, enfin, dans des conditions qui ne sont pas encore définitivement arrêtées et qui doivent faire l’objet de décisions ultérieures des ministres des Finances et de la France d’outre‑mer.
68L’idée essentielle est que les établissements spécialisés ou les administrations qui servent d’intermédiaires ou de relais pour les opérations du Fonds de modernisation et d’équipement utilisent les sommes mises à leur disposition, en principe, aux conditions de leurs prêts ordinaires et moyennant les mêmes taux d’intérêt. Autrement dit, le Crédit national, le Crédit foncier, le Crédit agricole, par exemple, utilisent les sommes que le Fonds de modernisation met à leur disposition dans les conditions de leurs opérations habituelles et moyennant les taux d’intérêt qui sont leurs taux d’intérêt ordinaires. Il peut y avoir quelques exceptions à cette règle ; elles sont rares. Cependant, le Fonds de modernisation peut toujours assortir les avances et les prêts réalisés avec ses ressources de conditions particulières, de même qu’il peut se faire rendre compte des opérations qui ont été faites avec les sommes qu’il a prêtées. Enfin, les établissements intermédiaires conservent les risques financiers des opérations réalisées et restent responsables des sommes qu’ils ont reçues du Fonds de modernisation. C’est à eux qu’il appartient d’en assurer le remboursement.
69Ce système est assez compliqué en raison de l’existence des échelons intermédiaires. Il est aussi parfois un peu lent. Néanmoins, il a pour effet de donner à des organismes existants, qui disposent d’une bonne expérience technique, les moyens d’agir dans leurs domaines respectifs et il y a lieu de supposer que la structure générale que je viens de vous exposer subsistera.
70Il est important de se souvenir que les crédits consentis par le Fonds de modernisation ne pouvant pas suffire au financement de tous les investissements privés qui sont nécessaires ou souhaitables ont un caractère d’appoint et qu’ils sont destinés seulement à pallier l’insuffisance des autres moyens de financement. Dès lors, les crédits ne doivent pas être distribués en considérant seulement l’importance de tel ou tel investissement envisagé. Dans chaque cas, le Fonds de modernisation ou les organes qui agissent pour lui doivent rechercher si un autre moyen de financement (émission sur le marché, avance bancaire, autofinancement, etc.) n’aurait pas pu satisfaire aux besoins considérés ; le Fonds de modernisation n’intervient en principe que dans la mesure où, compte tenu de ces diverses ressources disponibles, le problème du financement resterait incomplètement résolu.
71Je vous rappelle enfin pour terminer que la loi de finances du 31 janvier 1950, dans son article 36, a prévu diverses dispositions destinées à assurer un meilleur contrôle de l’emploi qui est fait par les entreprises bénéficiaires des avances et des prêts du Fonds d’investissement. En vertu de ce texte, tout établissement, organisme ou entreprise publique ou privée qui reçoit des avances supérieures à 5 millions de francs doit ouvrir un compte spécial, dit « compte de modernisation et d’équipement », qui permettra de suivre l’emploi des avances dont il a bénéficié. Il inscrira au crédit les avances du Fonds de modernisation, les emprunts qu’il a pu contracter pour des besoins d’équipement ainsi que les ressources d’autofinancement qui auront pu être autorisées ; il inscrira au débit les dépenses d’investissement, d’équipement ou d’outillage auxquelles il aura pu procéder grâce à ces ressources, qui sont ainsi des ressources affectées.
72La loi du 31 janvier 1950 prescrit bien que les prêts consentis par le Fonds de modernisation ne pourront en aucun cas être employés à faire face aux charges normales de l’exploitation, ou même à la simple conservation des moyens de production. Il n’est pas sûr que le principe, affirmé par la loi en termes catégoriques, ait toujours été absolument respecté. Mais il serait trop long de s’étendre ici sur ce point.
Notes de bas de page
1 Cf. Philippe Mioche, Le Plan Monnet. Genèse et élaboration, 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987.
2 Il s’agit en fait de la loi du 28 décembre 1931 (et non novembre) tendant à la réalisation immédiate de certains travaux relatifs au perfectionnement de l’outillage national et à la création d’une Caisse de crédit aux départements et aux communes pour le perfectionnement de l’outillage national, départemental et communal, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 29 décembre 1931, p. 13254‑13257.
3 Décrets-lois du 15 mai 1934 sur la commission nationale des Grands travaux contre le chômage et sur la réalisation d’un plan de grands travaux contre le chômage au moyen des disponibilités des caisses d’assurances sociales, Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 16 mai 1934, p. 4808‑4809. Ce texte est associé au programme de celui qui est alors ministre du Travail, Adrien Marquet.
4 Loi du 28 décembre 1931 (et non novembre).
5 Le jugement est ici sévère et un peu rapide sur le Conseil national économique. Sur l’histoire de cette institution, on se permet de renvoyer à Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002.
6 Mendès France, en strict républicain, est attentif au fait de ne pas parler de « lois » pour le régime du maréchal Pétain, mais bien d’« actes dits lois ».
7 La direction générale de l’Équipement national (DGEN) est une institution originale mise en place par le gouvernement du maréchal Pétain. Pour une mise en contexte, cf. François Denord, Paul-André Rosental, « Comment lier l’économique et le social ? Une analyse structurale des lieux d’expertise sous le régime de Vichy », Gouvernement et action publique, vol. 2, n° 2, 2013, p. 183‑219.
8 Sur le Conseil économique sous la IVe République, on se permet de renvoyer à A. Chatriot, « Renouveaux et permanence d’une institution représentative. Le Conseil économique sous la IVe République », dans Laurent Duclos, Guy Groux et Olivier Mériaux (dir.), Les nouvelles dimensions du politique. Relations professionnelles et régulations sociales, Paris, LGDJ, 2009, p. 55‑68. Et pour une présentation de l’ensemble des débats constitutionnels de 1946, cf. Jeannette Bougrab, Aux origines de la Constitution de la IVe République, Paris, Dalloz, 2002.
9 Décret n° 46‑2 du 3 janvier 1946 portant création à la présidence du gouvernement d’un Conseil du Plan de modernisation et d’équipement et fixant les attributions du commissaire général du Plan, Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 4 janvier 1946, p. 130‑131. À noter toutefois que les deux dernières phrases citées (« Devant l’énormité […] d’incessants arbitrages ») ne font pas partie du texte du décret.
10 La Confédération générale de l’agriculture (CGA) est créée à la Libération pour succéder à la Corporation paysanne, organisme voulu par le régime du maréchal Pétain. La CGA est progressivement vidée de sa substance avec la montée en puissance de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
11 L’abréviation MRU renvoie au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme créé en octobre 1944.
12 Pour Economic Cooperation Administration.
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