Présentation

Alain Chatriot

p. 3-42


Texte intégral

1« Il est toujours nécessaire, en utilisant les ouvrages de Keynes, de traduire, si j’ose dire, ses conclusions en rapport avec les circonstances actuelles. C’est une précaution qui est souvent négligée, et cela entraîne des malentendus dangereux que vous devrez éviter. Pour ceux d’entre vous qui n’utiliseront pas directement les livres de Keynes, notamment la Théorie générale dont la lecture est parfois assez difficile, je signale des travaux des économistes qui ont exposé et parfois complété les idées du chef de l’École moderne anglo-saxonne. » Cette parole professorale pourrait sembler assez banale en introduction à un cours d’économie. Elle l’est nettement moins si l’on considère qu’elle est tenue en 1950, devant des élèves de l’École nationale d’administration (ENA) et par Pierre Mendès France. Dès sa première leçon, celui qui n’est pas un universitaire, mais un homme politique place son cours sur les « problèmes économiques et financiers que pose la politique des investissements et de la reconstruction en France » sous les auspices de l’économiste britannique qu’il a lu avant la Seconde Guerre mondiale et qu’il a rencontré lors de la conférence de Bretton Woods aux États-Unis en juillet 1944. En 1950, Mendès France n’est pas encore l’une des figures majeures de la vie politique française, mais sa compétence sur les questions économiques est déjà largement reconnue et démontrée au cours des moments où il a occupé, très jeune, des responsabilités ministérielles.

2Si ce cours de 1950 devant les élèves de l’École nationale d’administration est déjà connu et a été parfois cité partiellement1, il demeurait jusqu’à présent l’un des rares textes inédits de Pierre Mendès France. Il donne pourtant des clés très intéressantes pour comprendre sa trajectoire intellectuelle et politique. Dans cette présentation, on cherche à comprendre pourquoi on a demandé à Pierre Mendès France de dispenser un tel cours devant les élèves de l’ENA et quelles conclusions on peut en tirer pour la compréhension des questions économiques dans la France de la Libération et des débuts de la IVe République. Trois questions vont être ici abordées : qui est Mendès France en 1950, soit avant son expérience de chef du gouvernement entre juin 1954 et février 1955 ? Comment se présente l’École nationale d’administration et ses élèves de la promotion « Europe » qui suivent ce cours ? Et enfin, quelles sont les approches de la théorie économique abordées et quels sont les principaux enjeux d’une France à reconstruire ?

Qui est Pierre Mendès France en 1950 ?

3De nombreuses biographies de Pierre Mendès France ont été publiées et après plusieurs premiers volumes publiés de son vivant2, certains titres ont pu, au cours des trente dernières années, mobiliser de riches archives pour écrire le récit de sa trajectoire et analyser ses engagements3. De plus, on dispose des six précieux volumes d’œuvres4 publiés sous l’égide de l’Institut Pierre Mendès France, auxquels il faut joindre la remarquable édition scientifique de ses écrits de guerre5. Il faut ici restituer sa trajectoire pour comprendre les raisons pour lesquelles un tel cours lui est confié et l’esprit qui peut l’animer en le professant en 1950.

4Né en 1907 à Paris, Pierre Mendès France est issu d’une famille de commerçants d’origine juive. Il s’épanouit lors de ses études supérieures à la faculté de droit et à l’École libre des sciences politiques (ELSP) – l’établissement qui précède l’IEP de Paris, Sciences Po. Il boucle son cycle d’études supérieures jeune puisqu’il est diplômé de Sciences Po à dix-huit ans, licencié en droit à dix-neuf ans et docteur à vingt et un ans. Son passage rue Saint-Guillaume est marqué par de brillantes notes obtenues dans les différentes disciplines, mais particulièrement en économie politique6.

5Le 3 mars 1928, Mendès France soutient sa thèse de doctorat à la faculté de droit de Paris7. Présidée par William Oualid, professeur d’économie politique et membre de la Ligue des droits de l’homme, son sujet porte sur une question contemporaine puisqu’il s’agit de la politique financière menée par le président du Conseil Raymond Poincaré à partir de l’été 19268. S’il y confesse « l’expression sincère de l’admiration qu’[il a] pour la personnalité de M. le président du Conseil9 », sa vision n’en est pas moins très critique et le réquisitoire sévère : « Telle est la thèse, plus facile, moins courageuse, moins juste peut-être aussi, à laquelle M. Poincaré en définitive se rallia. Nous croyons qu’il a eu tort, en équité d’abord, en technique aussi10. » Dans l’historique qu’il fait de la déstabilisation monétaire et financière française après la Première Guerre mondiale, Mendès France a des paroles qui semblent anticiper ses prises de position ultérieures face à la classe politique. Il écrit ainsi : « Il nous arrivera sans doute dans le cours de ce travail de juger avec quelque sévérité nos ministres des Finances ; nous dirons aussi combien leur inexpérience fut préjudiciable à la gestion de nos affaires11. » Cet objet d’études reste sans doute marquant dans la trajectoire de Mendès France12. Outre les articles qu’il publie par la suite sur les questions financières, il consacre un livre complet, édité en mai 1930, à ce sujet en s’intéressant à une toute nouvelle institution internationale : la Banque des règlements internationaux (BRI)13.

6Militant au Parti radical et à la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste (Laurs) dès le milieu des années 1920, devenu avocat stagiaire chez un patron parisien engagé en politique, le radical Georges Bonnet, depuis le 21 octobre 1926, Mendès France a alors un profil qui correspond pour une part à celui des hommes politiques de la IIIe République. Il s’installe finalement à Louviers et y est élu député en 1932 en étant le benjamin de la Chambre des députés. Comme député et représentant d’une circonscription rurale, il s’intéresse aux questions de marchés agricoles14. Réélu député en 1936, il soutient activement le Front populaire. La reconnaissance de sa compétence économique et financière explique son intervention dans le débat sur la dévaluation du franc en septembre. Il plaide que la dévaluation est due aux politiques menées antérieurement. Il parle à ce propos de « l’état de délabrement économique du pays, lorsque le Front populaire est arrivé au pouvoir » et face aux parlementaires de droite qui l’interrompent, il prend des exemples sur les dossiers agricoles qu’il connaît bien : « Faut-il rappeler le blé à 60 francs ? Faut-il rappeler l’avoine à 35 francs ? Faut-il rappeler le litre de lait payé à nos paysans cinq ou six sous ? Faut-il rappeler ces chiffres qu’on a trop tendance à oublier d’un certain côté de l’Assemblée, où l’on veut rejeter la responsabilité de la situation actuelle sur ceux qui sont, en réalité, les syndics de la faillite de la politique de la déflation ? […] Si [le pays] a, aux élections dernières, voté contre le fascisme politique, il a voté aussi contre ce bonapartisme économique qui tendait à faire les affaires de quelques trusts puissants en ruinant le pays tout entier. Il a renversé la vapeur. Il a réclamé plus de justice et plus d’équité dans le partage des sacrifices si lourds qu’impose la crise15. » Mais si Mendès France approuve la dévaluation, il met aussi en garde le gouvernement contre de possibles hausses des prix, et il regrette son caractère tardif : « L’épreuve des prix sera décisive. Il est indispensable que, durant la période d’adaptation pendant laquelle le renouveau économique ne sera pas encore produit, les prix intérieurs français soient maintenus aussi stables que possible. En ce sens, il aurait été préférable que la politique sociale suivie depuis le mois de juin que j’ai approuvée, que j’approuve encore aujourd’hui, se situe après plutôt qu’avant la dévaluation16. »

7L’histoire du deuxième gouvernement Blum est particulièrement courte, mais elle est importante pour Mendès France à plus d’un titre17 : elle constitue à la fois la première expérience au gouvernement et le premier travail commun avec celui qui devient par la suite un ami proche et fidèle, Georges Boris. En mars 1938, le président de la République propose à nouveau à Blum la présidence du Conseil et ce dernier, bien conscient des difficultés de l’heure, prend aussi le portefeuille du Trésor pour lequel il nomme, pour le seconder comme sous-secrétaire d’État, le jeune député de l’Eure – bon connaisseur des questions financières mais surtout radical, équilibrant donc ainsi le ministre socialiste dans ce Gouvernement18. Georges Boris, dont on connaît mieux le parcours grâce à la biographie que lui a consacrée Jean-Louis Crémieux-Brilhac19, est né en 1888 ; après différentes activités économiques, il a lancé avec succès un journal de gauche intitulé La Lumière, puis travaillé avec Blum à l’été 1936. C’est un bon connaisseur de l’expérience américaine menée par le président Franklin D. Roosevelt20.

8Boris et Mendès France s’installent rue de Rivoli où siège alors le ministère des Finances et commencent leur travail en tension avec leur administration. Dans l’hommage qu’il rend à Boris après son décès, Mendès France note à propos de cette courte période rue de Rivoli : « Nous vécûmes dans la fièvre et dans l’indignation des semaines dramatiques21. » Boris et Mendès France préparent donc le texte d’un « projet de loi tendant à donner au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour mettre la nation en état de faire face aux charges qui lui incombent et spécialement aux besoins de sa défense22 ». Mais si le projet passe à la Chambre des députés, le Sénat refuse le vote des pleins pouvoirs économiques à Blum et renverse ce bref cabinet. Mendès France accordait une grande importance à cette expérience et, dans ses archives personnelles, il avait classé et annoté le projet de loi d’une mention, précisant entre autres à propos de ce texte : « Il se signale par le fait que, pour la première fois en France, se trouvent développées dans un document d’origine gouvernementale la théorie du circuit monétaire et les idées keynésiennes qui devaient avoir un plus large succès au cours des vingt années suivantes23. »

9L’expérience de Mendès France durant la Seconde Guerre mondiale est essentielle pour comprendre sa trajectoire. On ne peut cependant ici que la résumer à grands traits24. Comme d’autres parlementaires, il choisit d’abord de s’engager avec l’entrée en guerre. Lieutenant de réserve au bataillon de l’air, il est affecté au Levant à l’automne 1939 et reste au Liban jusqu’en avril 1940 où il obtient une permission de cinquante jours. De retour en métropole, il assiste à l’invasion des troupes allemandes et il décide, comme d’autres parlementaires, d’embarquer sur le Massilia pour le Maroc afin de continuer la lutte armée depuis l’Empire. Le changement de situation politique avec l’armistice demandé par le président du Conseil Philippe Pétain met les passagers du Massilia arrivés au Maroc le 24 juin dans une situation difficile. Mendès France est finalement arrêté le 31 août puis emprisonné à Clermont-Ferrand le 12 octobre. Au terme d’un procès inique, il est condamné par un tribunal militaire. Il finit par s’évader en juin 1941 et traverse la France vers la Suisse puis, en passant par le Portugal, rejoint Londres où il arrive en février 1942. Souhaitant reprendre le combat, Mendès France devient alors aviateur et mène de nombreuses missions dans le ciel de France.

10Appelé à Alger par le général de Gaulle au début de novembre 1943 lors du renouvellement du Comité français de Libération nationale (CFLN), Mendès France devient le commissaire aux Finances. Son action est ainsi résumée dans les Mémoires de guerre du général de Gaulle : « Pierre Mendès France, esprit clair et volonté forte, résout les problèmes apparemment insolubles qui écrasent mes finances d’Alger25. » En février 1944, Mendès France diffuse aux membres du CFLN le « plan économique d’Alger » qu’il a élaboré avec ses collaborateurs et dont le titre officiel donne bien le cadre : « Note sur les questions monétaires et financières (période immédiatement postérieure à la libération)26 ». Ce texte liste les questions sans concession : ravitaillement, résorption de la pléthore monétaire, réalisation progressive de l’équilibre des prix et des traitements. Il est aussi et d’abord un « plan27 ».

11Le travail à Alger de préparation de la Libération n’est pas toujours simple. En mars 1944, Mendès France adresse sa démission au général de Gaulle : il explique qu’il « ne [peut] envisager d’être responsable du développement de l’inflation, [s’il n’a] pas le moyen d’exercer [son] influence sur les décisions qui l’entraînent28 ». Quelques jours après, le discours du général de Gaulle devant l’Assemblée consultative d’Alger soutient ses choix et Mendès France reprend sa démission. Il commente alors la situation dans une lettre à son ami Georges Boris resté à Londres et, lucide sur les enjeux de la Libération, il y note : « Personne ne veut courir le risque de l’impopularité. Que sera-ce quand nous serons sur place29 ? » À partir de mars 1944, toujours installé à Alger, Mendès France travaille avec de jeunes inspecteurs des Finances Roger Goetze30, Jean de Largentaye et celui dont il est le plus proche, Gabriel Ardant31. Mendès France est partisan d’une « ponction monétaire », procédé employé lors de la libération de la Corse, consistant à bloquer les billets existants, à les échanger et à instaurer simultanément un impôt exceptionnel sur la fortune. Nécessitant une masse importante de nouveaux billets ou au moins l’estampillage des anciens, une telle mesure pose des problèmes tant matériels que psychologiques. ­Mendès France exprime alors clairement son choix dans les réunions du Comité économique interministériel32.

12Au printemps 1944, Mendès France reste très attentif aux différents projets qui se préparent à Alger33. Sur la question du ravitaillement, il anticipe les difficultés, et de manière intéressante ; pour éviter la défiance des Français, il propose une forme de contrôle originale : « Il paraît donc essentiel de faire dans ces organisations une place d’action et de contrôle importante aux organisations de résistance et aux organisations ouvrières. La population acceptera d’autant plus facilement les décisions inévitablement sévères qu’elle aura l’assurance que la gestion des services dont il s’agit sera correcte et qu’elle exclura la persistance d’injustices ou de fraudes admissibles34. »

13À la fin du printemps et au début de l’été 1944, Mendès France est à nouveau aux États-Unis. Il négocie d’abord avec Henry Morgenthau, le secrétaire américain au Trésor. Il accompagne de Gaulle pendant le premier voyage que ce dernier effectue aux États-Unis. Puis, il est le chef de la délégation française à la conférence monétaire internationale qui se tient dans le New Hampshire à Bretton Woods35. Les témoignages qu’il envoie depuis ce lieu au général de Gaulle montrent le maintien des préoccupations d’indépendance, par exemple sur la question d’être l’« autorité émettrice » de la monnaie pour la France libérée36. Mendès France participe semble-t-il activement aux négociations sur la création du Fonds monétaire international (FMI)37.

14Dans Paris libéré, le nouveau ministre de l’Économie nationale fait un exposé détaillé en Conseil des ministres le 17 novembre 1944 dans lequel il livre tout son programme d’action. Il indique d’abord « l’absence d’informations et de renseignements sur l’économie française » et il annonce « la création de puissants services de recherches et d’études économiques38 ». Il se plaint ensuite du manque de moyens de son ministère (dissocié de l’administration des Finances) ; il fait état de la pénurie et de la nécessité d’établir un plan ; celui-ci est ainsi présenté comme :

« destiné à réaliser l’équilibre nécessaire entre :
– des intérêts qui ne peuvent pas s’accorder spontanément ;
– des besoins innombrables et des ressources limitées ;
– des satisfactions immédiates et la préparation de l’avenir39 ».

15Mendès France plaide ensuite pour une nécessaire « hiérarchie sévère » des priorités et n’hésite pas à annoncer que « les demandes des consommateurs seront fréquemment et inévitablement réduites et limitées40 ».

16Cette clarté l’amène à poser nettement la question « le Pays acceptera-t-il ces sacrifices ? » Sa réponse est positive, mais conditionnée au fait que le pays ait « l’impression de travailler dans l’intérêt collectif et non, comme autrefois, au profit d’intérêts particuliers41 ». Sur ce point, Mendès France détaille un programme qui indique l’ampleur des réformes envisagées : création des comités d’entreprise, nationalisations (à propos desquelles il note : « Toutes ces réformes ont une importance technique évidente, mais aussi une importance psychologique et politique42 »), taxation des profits, échange des billets, politique de blocage des prix, orientation de la consommation. La conclusion est nette et pose son diagnostic : « Existe-t-il une autre solution ? Oui, c’est la solution de la facilité, celle qui consiste à accorder successivement des hausses de plus en plus rapprochées aux salariés, aux agriculteurs, aux industriels. C’est la politique de l’inflation43. »

17De manière intéressante, Mendès France veut inscrire cette action difficile dans une pédagogie politique ; comme ministre de l’Économie nationale entre le 11 novembre 1944 et le 31 mars 1945, il s’adresse alors à la population par la radio44. Il adopte là aussi un ton direct et ne cache rien de la réalité économique : « J’ai la tâche – certains diront “ingrate” – d’avoir à parler de sacrifices. Mais notre pays comprend que s’il lui faut consentir des sacrifices, ils seront bien moindres que ceux qu’impliquait la défaite ; et puis qu’ils sont le prix à payer temporairement et par tous, sans exception, pour une amélioration considérable du bien-être de tous, à une échéance assez proche45. » Il consacre certaines de ces causeries à des groupes sociaux particuliers (paysans, mineurs, fonctionnaires, pensionnés) et globalement commente les situations de pénurie qui perdurent. Il réaffirme surtout son credo en politique économique : « L’inflation, c’est le triomphe de l’immoralité et de l’iniquité sociale46. » Au printemps 1945, Mendès France se consacre au dossier des nationalisations, ô combien sensible dans le contexte de la Libération47. Sur cette question, il s’oppose entre autres aux ministres communistes, dont le discours sur le sujet est d’abord celui de la dénonciation de la trahison des élites économiques.

18Le 18 janvier 1945, Mendès France écrit au général de Gaulle pour lui présenter une nouvelle fois sa démission. La lettre est une longue démonstration au ton ferme et où perce le sentiment d’être désavoué : « Le Gouvernement a pris […] une série de mesures qui sont contradictoires avec la politique que je lui avais proposée48. » La position est nette et martelée : « à la rigueur nécessaire, on a substitué la facilité49 », et il ajoute : « distribuer de l’argent à tout le monde sans en reprendre à personne, c’est entretenir un mirage50 ». Il souligne l’inefficacité de l’emprunt et des comités de confiscation des profits illicites et craint le retard perpétuel de l’opération d’échanges des billets. Mais comme il l’explique, le désaccord n’est pas sur les procédures, mais sur le fond : « Ma critique dépasse celles des modalités inapplicables et inopérantes, qu’on nous propose. Elle touche le principe même et le but de toute la politique monétaire : M. Pleven nous a dit être hostile à une ponction monétaire, alors que j’en suis partisan déterminé51. »

19Mendès France tente d’utiliser des arguments qui pourraient toucher de Gaulle, comme quand il dénonce ces politiques budgétaires de facilité, avec même le retour des « douzièmes provisoires » utilisés sous la IIIe République : « Le manque de courage et d’imagination dans les finances publiques a été, tout autant que les erreurs dans les doctrines militaires, une cause essentielle de la défaite de 194052. » L’interpellation du chef du gouvernement se fait parfois incisive, comme lorsque Mendès France écrit : « J’ai peur, mon général, que par un souci très compréhensible d’arbitrage, vous n’incliniez à faciliter, ou tout au moins à admettre le compromis. Mais il est des matières où la demi-mesure est une contre-mesure ; qui ne le sait mieux que vous53 ? » Toute la lettre développe une rhétorique angoissée face à la situation et Mendès France parle de son « sentiment de tristesse et d’anxiété », de « politique d’abandon », de « spirale » et réclame en contrepartie des « mesures de salut public54 ».

20Enfin, la conclusion de la lettre mêle des éléments politiques à d’autres plus personnels et signale clairement l’attitude politique de Mendès France : « Je décline la responsabilité de lourdes décisions contre lesquelles je me suis élevé vainement. Je ne puis être solidaire de mesures que je juge néfastes. Je vous demande donc de me rendre ma liberté ; je n’ai pas le désir de rester au sein d’un gouvernement où ma présence ne se justifie plus puisque mes efforts obstinés ne réussissent pas à convaincre mes collègues et que je suis impuissant à éviter ce qui m’apparaît comme une série d’erreurs fondamentales. Je me considère dès maintenant comme démissionnaire après quinze mois d’un travail dans lequel je n’ai été soutenu que par la fierté d’être votre collaborateur. Aujourd’hui, j’ai l’impression que je ne puis vous assister utilement dans votre mission. Il est trop clair pour moi que le gouvernement a définitivement choisi une voie qui est à l’opposé de la mienne55. »

21Le général de Gaulle, ayant arbitré pour Pleven, soutenu en cela par la plupart de ses ministres56, demande à Mendès France d’attendre avant de démissionner, ce que ce dernier fait jusqu’au 2 avril 1945 lorsqu’il adresse au Général une brève lettre de démission57. Significativement, cette lettre est publiée dans les annexes des Mémoires de guerre du général de Gaulle, qui la commente ainsi de manière un peu paradoxale : « Comme il est naturel, Pierre Mendès France quitte le gouvernement, sur sa demande, au mois d’avril. Il le fait avec dignité. Aussi gardé-je mon estime à ce collaborateur d’une exceptionnelle valeur. Au demeurant, si je n’adopte pas la politique qu’il préconise, je n’exclus nullement de la faire mienne un jour, les circonstances ayant changé. Mais pour que ­Mendès France soit, éventuellement, en mesure de l’appliquer, il faut qu’il sache rester fidèle à sa doctrine. C’est dans ce sens que, pour un ministre, le départ peut être un service rendu à l’État58. »

22La nomination de Jean Monnet en décembre 1945 comme commissaire général au Plan et non celle de Georges Boris, qu’aurait souhaité Mendès France, est aussi une manière pour de Gaulle de faire un nouveau choix alternatif aux volontés de son ancien ministre de l’Économie59. La différence de conception de la planification s’exprime bien dans un propos ultérieur de Mendès France qui, pour indiquer sa distance, déclare que « Jean Monnet, libéral de tempérament, était certainement antiplaniste60 ». Après la crise ouverte par le départ du général de Gaulle en janvier 1946, le socialiste Félix Gouin qui lui succède consulte Mendès France, qui suit alors très attentivement la crise politique61. Mendès France, dans les mois suivants, reste fidèle à son discours mettant en garde contre l’inflation, comme dans un article de France-Soir qu’il titre « Votre politique fera faillite si vous ne dites pas la vérité au pays62 ».

23Deux choses sont certaines : le choix de la solution Pleven et son emprunt national63 pèsent sur la vie économique de la IVe République64 et Mendès France se construit à travers cet épisode une image de rigueur et de cohérence politique. « Rétrospectivement, Mendès France apparaît comme la personnalité essentielle des débuts de la Libération. Dans le gouvernement de Gaulle, il défendit la cause d’une réforme radicale ; en exigeant des choix, il suscita des oppositions65. » Même en se limitant aux questions économiques, ce jugement de l’historien américain Richard F. Kuisel peut sembler un peu tranché. Mais il a le mérite de souligner que, dans le prolongement de ses positions prises à Alger, Mendès France est l’un des acteurs majeurs des débats de 1944-1945 et que son attitude exigeante marque alors l’ensemble des hommes politiques français.

24Après sa défaite aux élections législatives pour la Constituante de l’automne 1945, il est par contre réélu député de l’Eure à celle de juin 1946 qui renouvelle la Constituante après l’échec du premier référendum. Il est d’ailleurs réélu en novembre 1946 pour les premières élections législatives régies par la nouvelle Constitution de la IVe République, puis en juin 1951. Il retrouve ses mandats locaux : il a été réélu conseiller municipal de Louviers en avril 1945 (tout en refusant au départ d’être à nouveau maire), réélu conseiller général du canton de Pont-de-l’Arche en septembre et élu président du Conseil général le 29 octobre 1945 ; il est par la suite réélu conseiller municipal de Louviers en octobre 1947, puis conseiller général et président du Conseil général de l’Eure en 1951.

25Mais surtout, Mendès France est nommé en mars 1946 executive director pour la France de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), fonction qu’il remplit jusqu’en octobre 1947. Le 6 mars 1946, il est par ailleurs nommé gouverneur pour la France du FMI, poste qu’il occupe jusqu’au 19 janvier 195966. À partir de février 1947, il est enfin délégué permanent de la France au Conseil économique et social de l’Organisation des Nations unies (Ecosoc), où il siège jusqu’en février 1951 et où il retrouve d’ailleurs Georges Boris. En septembre 1948, il est amené à représenter la France à la troisième session du FMI et est même élu président des gouverneurs du Fonds. Il participe, l’année suivante encore, à la quatrième session du FMI. Lors d’une rencontre aux États-Unis avec Michel Debré, ce dernier raconte dans ses mémoires que Mendès France, déçu par la politique française, lui aurait expliqué que « l’avenir est à la fonction publique internationale67 ».

26En mars 1946, la première assemblée du FMI se tient à Savannah aux États-Unis et Mendès France y représente la France. Il trace à la fin de la conférence un bilan pessimiste à son collègue socialiste André Philip68, alors ministre de Finances, et lui explique qu’« il ne faut pas se dissimuler que le crédit de la France a considérablement diminué69 ». Au cours de cette réunion, il rencontre, un mois avant sa mort, l’économiste John Maynard Keynes à la tête de la délégation britannique, dont il souligne le « prestige personnel70 ». Devant la session de l’Ecosoc à Lake Success aux États-Unis en février 1948, Mendès France fait un exposé sur les enjeux économiques contemporains et accorde dans ce contexte une place particulière au « problème allemand71 ». Un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie note d’ailleurs, dans ses mémoires, à propos de Mendès France à la fin des années 1940 et au début des années 1950 : « Ses vraies maisons, c’était en fait l’ONU, son Conseil économique et social, le Fonds monétaire international. Il y représentait un noble visage de la France. On se rappelait la part qu’il avait prise aux fameux débats de Bretton Woods où il avait approché le grand Maynard Keynes. Sa rigueur, sa compétence, son universalisme en avaient fait l’une des grandes figures : il y était populaire et admiré72. »

27Dans ces années d’après-guerre, Mendès France partage ses expériences et son savoir économique. Ainsi fait-il une conférence le 8 janvier 1948 sur la situation économique des États-Unis devant les élèves de la nouvelle École nationale d’administration73. Il s’agit d’un propos descriptif dans lequel il fait état de nombreuses données économiques – il avait d’ailleurs donné une conférence sur une thématique assez proche en décembre 1947 à Lausanne74. L’année suivante, il rédige une assez longue préface pour le livre de son ami Gabriel Ardant intitulé Problèmes financiers contemporains75. Dans cette présentation, Mendès France signale sans ambiguïté son accord sur l’analyse proposée, comme lorsqu’il explique, à propos de l’évocation de la situation française, qu’Ardant « l’a fait en refusant de sacrifier à toutes les facilités : celle qui résulte du recours paresseux à une orthodoxie périmée, celle aussi qui consiste à céder à la démagogie, à laquelle on a fait, hélas !, de si larges concessions dans un passé récent76. » Mendès France, quelques mois avant son cours à l’ENA, affirme déjà que « tout problème financier est un problème de choix, d’arbitrage, c’est-à-dire, dans le sens le plus large, un problème politique77 ». Il insiste également sur le refus d’isoler certains problèmes économiques : « Il n’y a donc pas, comme on le croit parfois, des questions plus ou moins distinctes qui portent sur les finances, la monnaie, le change, le ravitaillement, les prix, le niveau de vie, les lois sociales, la prospérité ou la dépression. Il y a une réalité économique, avec ses aspects étroitement interdépendants. C’est une illusion et une illusion dangereuse que de croire qu’un pays peut évoluer vers le progrès si ses finances sont mal gérées78. »

28De manière postérieure au cours de l’ENA, il écrit encore divers textes sur les questions économiques79 et surtout monétaires, pour lesquelles il fait part des débats qu’il connaît via l’assemblée des gouverneurs du FMI80. En 1951, il donne une conférence sur la monnaie81. L’organisateur note à son propos : « Pierre Mendès France fixa l’attention de son auditoire sur l’aride sujet de la monnaie dans la vie publique. S’il est écouté avec tant d’attention, c’est qu’il ne pense et n’exprime jamais rien d’indifférent. Ce solitaire d’aspect glacé n’inspire pas de sentiments tièdes : il est aimé ou il est détesté82. »

29Alors qu’il est devenu président du Conseil, il publie avec son ami Gabriel Ardant La science économique et l’action83. L’ouvrage est republié avec des modifications84 un peu moins de vingt ans plus tard dans une collection de poche sous le titre Science économique et lucidité politique et alors dédicacé à Jean de Largentaye (1902-1970), collaborateur de Mendès France depuis Alger en 1943, collègue d’Ardant à l’Inspection des Finances et premier traducteur de Keynes en français85. Si le livre est une présentation assez générale des théories économiques et d’expériences historiques – et reprend en fait certains éléments du cours professé à l’ENA par Mendès France86 –, la conclusion de la seconde édition fournit l’une des clés du rapport de Mendès France à la science économique. Les deux auteurs expliquent ainsi : « Le plus difficile, en réalité, n’est pas de faire admettre certaines données fondamentales de l’économie. Le plus difficile c’est de percer le voile de préjugés et de fausse science que trop d’hommes acceptent docilement, passivement, parce qu’il a été accepté pendant des siècles. Le plus difficile c’est d’amener les hommes à se rendre compte que nul ne peut penser pour eux, qu’ils peuvent et doivent exiger des informations complètes, constamment soumises au contrôle de l’opinion et au débat public. Chacun doit juger lui-même les données et les décisions. Le jour où le plus grand nombre apprendra à rejeter les formules toutes faites, il aura enfin la chance de dégager et de réaliser progressivement ce qui est en même temps l’intérêt propre de chacun et l’intérêt commun87. »

Un cours à l’ENA devant la promotion « Europe »

30D’après un document d’archives, on sait que le fait de donner un cours à l’ENA a été proposé à Pierre Mendès France dès février 1946, celui-ci devant porter initialement sur les « problèmes financiers internationaux88 ». On ne connaît hélas ! pas ni la raison de sa non-réalisation, ni celle de la transformation du thème du cours finalement proposé quatre ans après.

31Il faut rappeler ici que la création de l’École nationale d’administration a abouti en 1945, portée par des figures de la Résistance après plusieurs projets avortés, en particulier sous le Front populaire89. Pour reprendre l’expression de l’historien Antoine Prost, les débuts de l’École sont d’ailleurs « difficiles90 », car une partie de la haute administration, et particulièrement de ceux que l’on nomme les « grands corps », mais aussi les différents ministères, goûte peu cette réorganisation de la sélection de leurs membres. De ce point de vue, les premières années et promotions sont un peu spécifiques par rapport à la manière dont l’École évolue par la suite91.

32Dans le programme des cours, l’économie occupe une place importante car, comme le note la politiste Sarah Kolopp, « la dénonciation des déficiences de la formation en économie des élites d’avant-guerre, jugée trop théorique et trop libérale, procède du diagnostic que les réformateurs de 1945 (Michel Debré, Jean-Marcel Jeanneney, Roger Grégoire notamment) posent sur la défaite de 1940, qu’ils attribuent notamment au manque de direction économique de l’État92 ». Le cours qui est confié à Mendès France fait donc partie des « cours communs » proposés à l’ensemble des sections93. La spécificité de ses cours est liée à la nature de l’École. Comme le précise le haut fonctionnaire et professeur Bruno Rémond : « En premier lieu l’École n’étant pas et ne se voulant pas être un institut d’études politiques ou une université, il n’était pas souhaitable, surtout sans disposer d’un corps enseignant, de dispenser des enseignements tels qu’ils le sont dans ces institutions. L’offre devait être d’une autre nature, cette exigence étant d’autant plus logique que nécessaire car les élèves, sauf au début, avaient pour la plupart pu suivre, avant de présenter le concours d’entrée, des enseignements universitaires. La prise en compte de cette spécificité était logique puisqu’il ne fallait pas perdre de vue que le but de l’ENA n’était pas de former de futurs chercheurs ou de futurs enseignants, mais des administrateurs94. »

33Grâce à ce travail qui a été effectué sur les cours communs95, on sait quels sont ceux qui furent suivis par les élèves de la promotion « Europe » durant leur deuxième année à Paris. À côté du cours de Mendès France, ils ont ainsi pu assister aux cours :

  • de Pierre Allemane (un colonel) sur « Les problèmes actuels de la Défense nationale » ;

  • de Georges Berlia (alors professeur à la faculté de droit de Caen) intitulé « Lois électorales, représentation de la Nation, structures politiques et sociales » ;

  • de Georges Gayet (inspecteur général de la France d’outre-mer) sur « L’évolution politique récente du Sud-Est asiatique » ;

  • de Roger Grégoire (maître des requêtes au Conseil d’État et directeur de la Fonction publique) sur « Les problèmes de la Fonction publique » ;

  • de Pierre Jacobsen (secrétaire général de l’Organisation internationale pour les réfugiés) sur « Les problèmes des personnes déplacées » ;

  • d’Émile Laffon (président des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais) sur « Les problèmes juridiques, administratifs et sociaux posés par les nationalisations » ;

  • de Pierre Laroque (directeur général de la Sécurité sociale) sur « Le problème ouvrier à l’époque contemporaine aux États-Unis et en Europe » ;

  • de Jacques Lucius (maître des requêtes au Conseil d’État) sur « Les problèmes d’équipement et d’industrialisation de la France d’outre‑mer » ;

  • de Jacques Ratineau (directeur de l’École nationale d’agriculture de Grignon) sur « Les données techniques de l’économie agricole » ;

  • de Louis Armand (directeur général de la SNCF), enfin, sur « Les données techniques de l’économie industrielle ».

34Cette liste montre assez bien l’esprit de ces cours confiés à des praticiens – dont plusieurs ont été de grands résistants et combattants durant la Seconde Guerre mondiale – parmi lesquels Mendès France est le seul homme politique.

35Grâce au travail du Comité d’histoire de l’École nationale d’administration, on connaît précisément la promotion « Europe » qui est amenée à suivre cette série de cours96. La photo de la promotion est significative à différents titres. Il s’agit d’abord d’une petite promotion (moins de quarante personnes), et qui comporte une seule femme, Jeanne Moevus, assise au premier rang aux côtés du directeur, Henri Bourdeau de Fontenay, et des directeurs des études et des stages, respectivement André Bertrand et Pierre Racine. La scolarité s’organisait alors à l’ENA autour d’une première année de stage, puis d’une « année studieuse », la deuxième, les cours étant alors dispensés au 56 rue des Saints-Pères, et enfin d’une troisième année marquée par les épreuves de classement – enjeux majeurs pour déterminer les affectations de sortie – puis un autre stage. Deux concours d’accès (étudiants et fonctionnaires) existaient alors et quatre sections (Administration générale, Administration économique et financière, Administration sociale et Affaires extérieures) à l’ENA. Le concours du 4 octobre 1948 voit 23 reçus sur le premier concours et 14 sur le second, auxquels s’ajoute un ancien élève de l’École polytechnique, Valéry Giscard d’Estaing.

36Nombreux sont les élèves affectés à la section administration économique et financière, et parmi eux les élèves les plus actifs dans les discussions lors du cours de Mendès France – du moins, ce sont ceux qui sont nominativement cités. On retrouve ainsi, dans l’ordre alphabétique : Philippe Dargenton97, André Delion, Jacques Étienne, François Giscard d’Estaing98, Jacques Grangé, Jean Isnard, Jean Labussière99, Michel Massenet, Jacques Mayoux, Justin Rohmer et Dominique Sauvel pour le premier concours ; Joseph Audant, André Chafanel, Pierre Chancel, Gilles Dalimier et Pierre Vigne pour le second concours ; et enfin Valéry Giscard d’Estaing, qui est aussi affecté à cette section100.

37Philippe Dargenton et François Giscard d’Estaing, qui étaient passés par la rue Saint-Guillaume, avaient déjà sans doute pu suivre les cours d’économie alors professés par Jean Marchal (un agrégé des facultés de droit enseignant « Les grands problèmes économiques contemporains ») et Wilfrid ­Baumgartner (un inspecteur général des Finances, pour un cours sobrement intitulé « Finances publiques »). Dargenton avait d’ailleurs fait une très bonne scolarité à l’IEP101.

38Le classement de sortie de la promotion « Europe » voit finalement Marceau Long major, qui choisit le Conseil d’État, comme le deuxième Michel ­Massenet. Les trois suivants dans l’ordre : André Chafanel, Valéry Giscard d’Estaing et Philippe Lacarrière – sont affectés à l’Inspection générale des Finances, comme les 7e et 8e (Jacques Mayoux et Jean Labussière). Jean Mérillon, 6e, a opté pour le ministère des Affaires étrangères ; Jacques Étienne, 9e, pour la Cour des comptes ; André Chandernagor, 10e pour le Conseil d’État. Les 11e (Philippe Dargenton) et 14e (François Giscard d’Estaing) ont pu encore prendre l’Inspection générale des Finances ; les 13e (Étienne Eckert), 16e (Georges Gojat), 17e (Jacques Ratier), 18e (Justin Rohmer) et 19e (Jean-Claude Isnard) la Cour des comptes ; les 15e (Emmanuel Jacquin de Margerie) et 20e (Pierre Roullet de La Bouillerie) ont encore pu accéder au ministère des Affaires étrangères. La seconde partie du classement se partage les autres postes au ministère des Finances (21e Joseph Audant, 22e Gilles Dalimier, 23e Roger Gorse, 24e Pierre Mouterde, 29e Jacques Grangé, 31e Paul Ripoche, 32e Dominique Sauvel, 33e Pierre Chancel, 36e Jeanne Moevus, 37e Pierre Vigne), au contrôle général de la Sécurité sociale (25e Yves Delamotte), au ministère de l’Intérieur (26e André Rochat-Guille, 27e Jean Dusserre, 28e Jean Lalé, 30e Michel Gasnot) et enfin au contrôle civil du Maroc et de Tunisie (34e Paul Rouaze, 35e Francis Boot et 38e Georges Caisson).

39Le public du cours de Mendès ne peut donc être totalement assuré, mais il n’est en tout cas pas possible d’inventer des présents qui n’avaient aucune raison d’y assister102. Plusieurs témoignages concordants semblent indiquer l’intérêt pris par les élèves à ce cours – même si, dans certains témoignages rétrospectifs, des éléments intégrant la trajectoire politique ultérieure de Mendès France peuvent jouer. Le major de la promotion faisant une carrière prestigieuse au Conseil d’État, Marceau Long, se rappelle ainsi avec précision :

« Les cours magistraux éclairaient de belles synthèses les travaux des conférences et séminaires plus spécialisés. Nous avons tous apprécié la richesse des cours de Louis Armand sur “L’économie industrielle” et du directeur de l’École de Grignon, Jacques Ratineau, sur “Les données de l’économie agricole” – l’un et l’autre grands ingénieurs ayant déjà exercé de hautes fonctions de direction à la SNCF pour l’un, au ministère de l’Agriculture pour l’autre. Nous les sentions au contact direct des réalités et des questions qu’elles posaient. Pierre Mendès France – qui n’avait pas été encore président du Conseil, mais avait été ministre de l’Économie nationale du gouvernement provisoire en 1944, puis avait démissionné après le rejet de son plan d’assainissement financier en 1945 – traita dans le cours qu’il fit cette année de “L’épargne et [d]es investissements” ; il était très bon pédagogue ; nos camarades de la section économique l’ont assailli de questions de fond reflétant d’autres conceptions de politiques économiques : y a-t-il des vérités immuables en sciences humaines, des “lois naturelles” en économie103 ? »

40Les témoignages des autres élèves vont pour la plupart dans le même sens et le cours commun de Mendès France semble avoir été un moment assez marquant de cette année de scolarité de la promotion. Ainsi, Georges Gojat se souvient de « l’excellent cours de Louis Armand et de Mendès France104 » ; Jean-Claude Isnard témoigne, à propos des cours magistraux, que l’« on peut citer ceux de Pierre Mendès France sur les mécanismes économiques, de Louis Armand, de Maurice Lauré sur la comptabilité publique, de Jean Dresch sur la géographie de l’Union française, de Boris Mirkine-Guetzévitch sur les Constitutions étrangères. Les deux premiers étaient les plus appréciés, le dernier le plus amusant105. » Pierre Chancel parle à propos des « cours communs » de 1950 de « conférences de stages de très grand prestige106 » et il n’oublie pas de citer Mendès France aux côtés de Louis Armand et de Jacques Ratineau. André Chandernagor cite aussi les cours de Mendès France avec ceux de Pierre Laroque107, tout comme Yves Delamotte108. Philippe Lacarrière est plus précis et se souvient : « M’ont spécialement marqué [les conférences d’information] faites par Louis Armand, qui nous présenta les principales découvertes scientifiques modernes, exposées sans une équation pour les ignares dans le domaine scientifique que nous étions pour la plupart, et de Pierre Mendès France : celui-ci nous convainquit de la possibilité d’une gestion volontariste et efficace de l’économie française109. » Même dans les témoignages plus elliptiques, le cours de Mendès France est souvent cité110 comme faisant partie « des professeurs à la forte personnalité111 », parfois avec une annotation rétrospective un peu ironique : « Pierre Mendès France, sans aucune concession à la facilité, et en nous bourrant de chiffres sur la planification économique, tenait la promotion suspendue à ses lèvres112 ».

41L’absence de documentation conservée dans les archives de l’École nationale d’administration tout comme celle de mention explicite sur le tapuscrit ou dans les archives de Pierre Mendès France ne permettent pas de savoir exactement à quelles dates a eu lieu cette série de leçons – le tapuscrit intercale de plus des discussions en dehors de l’ordre chronologique des leçons. On peut juste regrouper une série d’indices : le cours semble avoir commencé en avril 1950113 et s’être poursuivi en mai114, avant une interruption et une reprise à l’automne115. Certaines leçons semblent s’être enchaînées de manière très rapprochée (en ouverture de la 2e leçon, Mendès France commence en disant : « dans notre leçon d’hier », de même que dans la 4e leçon).

42Tel que le tapuscrit du cours le restitue, le cours de Pierre Mendès France est organisé en 19 leçons116, avec une série d’annexes irrégulières suivant les leçons qui réunissent des discussions avec les élèves, certaines de celles-ci étant préparées par des notes remises par certains d’entre eux – Mendès France précise, lors de sa 3e leçon, comment il compte organiser ce travail : « ainsi que c’est l’usage à l’École, nous aurons deux ou trois fois, selon le désir que vous en manifesterez, ou l’intérêt que vous y prendrez, des débats, des discussions, des échanges de vues, qui vous donneront l’occasion de poser des questions sur les points qui vous paraîtraient obscurs, de présenter des critiques, ou même de développer des opinions différentes de celles du professeur. […] Je vous demande de noter, à l’issue de chacune des leçons, un résumé des questions qui vous paraîtront devoir être relevées, qui auraient pu comporter des obscurités ou mériteraient à votre avis des discussions plus approfondies, et de préparer des notes sur chacun de ces points, notes que vous pourrez me remettre soit au début, soit à la fin de notre prochaine séance. Vous pourrez les libeller soit en deux lignes sous forme de questions pures et simples, soit, si vous le préférez, en 10 ou 20 lignes, c’est-à-dire sous forme d’un commencement de développement. »

43Le cadre du cours est clairement posé dès la première leçon et Mendès France explique : « Au cours de nos entretiens, je m’efforcerai d’associer deux éclairages très différents pour l’étude de ce problème. D’une part, je crois utile de l’examiner dans le cadre des larges conceptions économiques qui doivent tout à la fois faciliter sa compréhension, et permettre de discerner les dangers de certaines erreurs, et les directions des solutions possibles. » Il précise même sa position par rapport aux approches trop théoriques : « Il me faudra pour cela évoquer, dans les premières leçons tout au moins, des théories économiques dont nous trouverons ensuite des cas d’application concrets. Je rappellerai ces théories, non par vain souci d’abstraction ou de doctrine, mais, et j’espère vous en convaincre plus complètement par la suite, parce que les erreurs théoriques, ainsi que l’expérience récente l’a sévèrement confirmé, peuvent entraîner les plus graves mécomptes sur le plan de l’action. »

44Il ouvre d’ailleurs sa 11e leçon en indiquant le changement de type de présentation dans le déroulé du cours : « Nous avons achevé hier la première partie de cet enseignement qui était consacré aux questions de principe concernant la politique des investissements et son financement. Nous abordons aujourd’hui la deuxième partie qui sera plus concrète, plus descriptive, parce qu’elle sera consacrée à la politique des investissements, aux actions d’investissement réalisées en France depuis la Libération. » Il ne nie d’ailleurs pas les limites inhérentes à cette seconde moitié du cours et explique en ouverture de la 16e leçon : « J’en aurai terminé ensuite avec cette revue un peu fastidieuse des secteurs principaux couverts par le Plan. »

45Sur le choix du titre donné au cours et à son périmètre, Mendès France précise dès le début de son enseignement la forme d’accord établi avec la direction de l’École : « la politique de reconstruction n’est qu’une variante, une partie, de la politique générale des investissements. En ce sens, le titre de ce cours aurait pu mentionner seulement le financement des investissements ; et en employant cette formule, la reconstruction y était automatiquement incluse. Il a paru préférable, pour que les intentions de la direction de l’École et du professeur fussent plus claires, de faire une concession à la manière habituelle de s’exprimer. »

46Les deux premières leçons sont clairement consacrées aux définitions et Mendès France insiste sur des enjeux terminologiques : « Dans notre leçon d’hier, nous avons en quelque sorte éclairé notre lanterne ou, pour employer une métaphore plus exacte, nous avons fait l’inventaire de nos outils de travail qui sont constitués par les éléments de vocabulaire, par les mots que nous aurons à utiliser au cours de nos entretiens » (2e leçon).

47Sur la méthode, le tapuscrit du cours regroupe régulièrement des moments de discussion sur certains points abordés dans le cours. Dans ses moments de dialogue, Mendès France interpelle souvent l’ensemble des élèves (« Qui veut donner son avis ? » dans l’annexe de la première leçon ; « Personne n’a une idée sur cette opération ? » dans la seconde annexe de la 8e leçon ; « Est-ce que quelqu’un a une opinion sur la question ? » dans l’annexe de la 10e leçon ; « Qui désire dire un mot sur ce sujet intéressant ? » dans l’annexe de la 17e leçon) et il cherche parfois à clarifier une interrogation ou même à préciser son interprétation (« Dans l’opinion que vient d’exprimer votre camarade, une partie est justifiée », dans l’annexe de la 3e leçon ; « Ce qui a été dit par les uns et par les autres est exact dans l’ensemble. Toutefois, il faut poser le problème en termes peut-être plus clairs », dans l’annexe de la 17e leçon). Il le fait parfois avec une certaine sévérité (ainsi lorsqu’il commence comme suit sa réponse : « C’est exact, ce que vous venez de dire est même une lapalissade », dans la première annexe de la 5e leçon, ou quand il précise : « Ce qui m’a d’abord étonné dans la note de M. Giscard d’Estaing, c’est qu’il a écrit ceci : “En période de stabilité monétaire, la thésaurisation est très limitée”. C’est une chose que l’on ne peut pas dire, au moins en France. », dans la seconde annexe de la 5e leçon). Il ne rechigne jamais à poursuivre la discussion, même s’il lui arrive de constater la difficulté à gérer le temps (« Vous avez posé un très grand nombre de questions. Il est trop tard pour que je réponde à toutes. Mais sur un point particulier je voudrais appeler votre attention, parce qu’il est essentiel. », dans la première annexe de la 5e leçon).

48Mendès France sait aussi être parfois prudent dans ce qu’il avance, comme lorsqu’il répond, lors d’un débat sur la difficulté des chiffres présentés : « Vous m’embarrassez, je l’avoue, et il serait sans doute malhonnête que je vous réponde par un chiffre. Certaines des évaluations que je viens de rappeler sont probablement beaucoup plus rapprochées de la vérité que d’autres. Certains de ces chiffres ont été établis de manière assez précise ; d’autres, au contraire, reposent sur des bases assez contestables. » (annexe de la 3e leçon).

49Dans ces discussions, Mendès France s’interroge parfois sur le périmètre de son enseignement. Il répond une fois qu’il « ne [croit] pas qu’il soit dans la nature de ce cours de creuser le détail de ces questions de méthode » (annexe de la 3e leçon) ; une autre fois, sans refuser la discussion, il tente de la borner quelque peu : « Je ne sais pas dans quelle mesure vos questions relèvent de ce cours ; je crois que nous en sortons un peu. Néanmoins, essayons de voir de plus près comment s’analysent les opérations financières qui vous ont intrigués » (seconde annexe de la 8e leçon). Sur certains points, il n’hésite pas à clairement interpeller son public et l’un des derniers cours s’achève sur cette forte parole : « Ce sont des choses que de jeunes hommes comme vous, de futurs administrateurs comme vous, ne doivent pas oublier. L’investissement, c’est l’avenir. Et, comme l’écrivait fortement Richelieu : “Les intérêts qui regardent l’avenir doivent, par raison, être préférés à ceux du présent” » (conclusion de la 17e leçon)117.

50Ce cours, sans être donc classiquement professoral, permet cependant de bénéficier d’un témoignage assez exceptionnel à la fois sur les idées, les expériences et les convictions en termes de politique économique de Pierre Mendès France. Il constitue également une présentation passionnante de l’« outillage mental » des jeunes hauts fonctionnaires formés au tout début des années 1950 et peut être ainsi rapproché d’autres cours dispensés à la même époque, tels ceux de Pierre Laroque sur les questions sociales118. Ce cours rappelle aussi l’inscription de Mendès France dans un cadre plus large souvent vu comme celui des « modernisateurs » de l’après-guerre119. Pris par l’activité politique, Mendès France, figure importante pour certains étudiants de Sciences Po et de l’ENA du milieu des années 1950 et des années 1960, ne redonne pas de cours de ce type à l’École nationale d’administration et la revue liée à son milieu politique, Courrier de la République, publie même une critique acerbe des hauts fonctionnaires au début de la Ve République – le poids du contexte institutionnel jouant ici son rôle120.

Des débats de politiques économiques

51Le cours de Mendès France n’est certainement pas un cours neutre et il exprime régulièrement des positions personnelles sur des controverses de politique économique nées de ses convictions et de son expérience politique. Il ne peut s’agir ici de dresser un tableau complet des enseignements d’économie dans la France de l’après-guerre121, mais il faut préciser quelques points pour mieux comprendre l’originalité du cours de Mendès France à l’ENA, et d’abord son rapport à Keynes122.

52La complexe réception de l’œuvre théorique de Keynes en France est aujourd’hui mieux connue123. Keynes y avait d’abord été considéré durant les années 1920, mais surtout en lien avec ses écrits sur les réparations et les « conséquences économiques de la paix ». Mendès France semble avoir connu la Théorie générale de Keynes en langue anglaise, et cela durant la première moitié de l’année 1937124, comme son ami Georges Boris. Le texte n’est traduit que sur une initiative personnelle de Jean de Largentaye, un inspecteur des Finances125. Commencée en 1938, la traduction est achevée en 1939, mais la publication n’en est faite qu’en 1942 chez Payot126. Si les économistes français, souvent alors en poste dans les facultés de droit, ont peu commenté la Théorie lors de sa publication en langue anglaise – certains, tels Charles Rist, s’étant même montrés hostiles127 –, des travaux existent durant l’Occupation, tels ceux de Robert Marjolin128 ou de Jean Domarchi129, ou encore ceux de François Perroux à la Fondation française pour l’étude des problèmes humains. À la Libération, la situation est assez différente, puisqu’en 1945 puis en 1947, la Revue d’économie politique consacre plusieurs articles à Keynes ; Perroux enseigne Keynes à l’IEP de Paris en 1946-1947130, tout comme Jean Marchal la même année131 ; enfin, René ­Courtin commente aussi Keynes dans ses cours de doctorat en théorie économique à l’université de Paris132. Les ingénieurs économistes français débattent aussi alors de l’œuvre de Keynes, y compris parfois de manière critique (on peut penser à Jacques Rueff, Maurice Allais, mais aussi Pierre Massé ou Claude Gruson)133.

53Bien des années après, Mendès France insiste sur son rapport à Keynes : « c’est un homme que j’ai beaucoup admiré, pour sa finesse, son esprit, et surtout pour sa conception extraordinairement clairvoyante des problèmes économiques ; il a interprété la grande crise des années 1930, l’effort de guerre, la Reconstruction, le nouveau fonctionnement monétaire avec une lucidité qu’on n’a pas assez comprise à cette époque134 ».

54Un auteur qui a étudié l’ensemble des économistes français en 1950 a souligné qu’aussi bien les néo-marginalistes que les keynésiens étaient alors « hors de l’université135 ». Pierre Rosanvallon, dans son étude pionnière, insistait même en expliquant qu’« à l’exception de quelques figures isolées comme Alain Barrière et Jean Marchal, les milieux académiques sont déphasés par rapport à l’extraordinaire activité intellectuelle qui caractérise alors tout un noyau de jeunes hauts fonctionnaires : Bloch-Lainé, Marjolin, Nora, Gruson, Serisé, Lauré, Uri, Denizet, Delouvrier, Ardant. […] La pénétration des idées keynésiennes dans ce milieu est inséparable de la tâche de construction de tout un nouvel appareil d’information économique. […] On peut parler en ce sens de la formation d’un keynésianisme pratique dans la France du début des années cinquante : la pénétration de son œuvre est indissociable de la transformation du rapport de l’État à la société136. »

55Au-delà du keynésianisme, un point retient l’attention dans les réflexions de Mendès France depuis toujours, c’est la monnaie137. Parmi ses rares prises de parole à l’Assemblée nationale entre 1946-1951, Mendès France s’exprime régulièrement sur l’inflation. Il retrouve ainsi le sujet qui l’animait tant déjà en 1944-1945138. En mars 1947, dans le débat budgétaire, il rappelle ses positions avec netteté : « La monnaie malade, l’inflation, entraînent toujours le développement des injustices sociales139. » À la fin de la même année, il reproche aux gouvernements successifs de ne pas avoir réalisé la réforme fiscale et il critique ouvertement les politiques menées : « Chacune de ces promesses était démagogique, car on ne pouvait pas, car on ne peut pas faire tout cela à la fois, donner à chacun et donner à tout le monde, sans rien retirer à personne140. » Il participe d’ailleurs à la commission de la Réforme fiscale créée à l’Assemblée qui siège du 24 novembre au 6 décembre 1948141. En mai 1949, se félicitant du redressement économique, il met en garde contre « la politique des renoncements et de la facilité142 ».

56Lorsque Mendès France intervient fin décembre 1950 dans le débat budgétaire sur la question du réarmement, il ne se départit pas de son discours réaliste sur l’état des finances et explique ainsi : « Je suis fidèle, pour ma part, à la tradition jacobine de la défense nationale. Je n’ignore pas les périls. Je ne veux ni une France désarmée, ni une France absente, ni une France neutre. Mais j’ai les yeux fixés sur les réalités et je réprouve les programmes vains et les promesses fallacieuses qui, loin d’assurer mieux notre indépendance et notre sécurité, nous affaiblissent et nous discréditent même aux yeux de l’étranger. Car seule une gestion saine, clairvoyante et courageuse de la chose publique fera de la France une nation forte et respectée143. » Il réitère fermement le même type de position l’année suivante contre le projet de loi d’équilibre financier du gouvernement Pleven et insiste sur la nécessité de faire des choix. Mendès France remonte à la tribune de la chambre avec un discours constant dans ses éléments. Il accuse à la fois les gouvernements de mauvaise gestion, en ne tenant par exemple pas compte du travail de la commission d’enquête du coût et du rendement des services publics. Dans ce débat budgétaire, il intervient sur le financement de la Sécurité sociale et dénonce à nouveau les risques de l’inflation :

« Il ne s’agit pas de remettre en cause les principes de base d’une législation généreuse qui a déjà rendu d’immenses services. Mais j’affirme que l’on trompe la classe ouvrière lorsqu’on maintient, sans l’adapter aux véritables besoins présents, une institution comme la Sécurité sociale, si ses modalités d’application freinent la production et accroissent l’inflation. Il n’y a pas d’exemple dans le passé, ni en France ni à l’étranger, d’une classe ouvrière recevant sa juste part en période d’inflation. Ce qui est inflationniste est antiouvrier, même si cela prend l’apparence d’un progrès social. Dans une période d’inflation, la classe ouvrière est toujours spoliée et c’est la protéger que de combattre l’inflation144. »

57Dans sa conférence de novembre 1952 sur la monnaie, Mendès France insiste encore sur les enjeux politiques de l’inflation :

« Il y a vingt ans, les troubles monétaires, tous les exemples le prouvent, favorisaient le fascisme. Aujourd’hui, c’est plutôt le communisme qui en profite. Regardez une carte d’Europe. Les pays où le communisme est puissant, l’Italie, la France, l’Espagne, la Grèce, sont les pays qui ont cédé plus ou moins à l’inflation, la plupart d’entre eux depuis quatre ou cinq décades. Les pays qui ont résisté à l’inflation, l’Angleterre, la Hollande, la Belgique, la Suisse, les pays scandinaves, sont aussi ceux où il n’y a pas de communisme. Ce rapprochement n’est-il pas éloquent et n’en découle-t-il pas pour nous tous une grande leçon et un avertissement solennel145 ? »

58Quelques années après le cours à l’ENA, mais avant son exercice des responsabilités comme président du Conseil, il commente encore longuement « l’inflation et ses ravages » dans un texte publié en juin 1953 dans la revue La Nef, dont s’occupe Lucie Faure, sous le titre « Équilibre économique et progrès social146 ». Il aborde aussi la question du « plein-emploi » et réfléchit à l’adaptation de la politique économique en fonction de la conjoncture. Il trace dans ce texte un programme « de ce que devrait être l’action économique du Gouvernement147 ». Il insiste sur la lutte contre la fraude fiscale, contre les limitations de la concurrence et sur la nécessité de « reconversions » pour certains secteurs économiques. Comme toujours chez Mendès France, le raisonnement économique a des conséquences politiques, et il l’explique nettement : « Pour parler plus nettement, les partis de gauche n’ont chance de réaliser leur idéal que s’ils s’obligent à plus de rigueur financière que les partis de droite. Les erreurs leur sont moins permises qu’à ceux-ci, car elles risquent de compromettre durablement leurs efforts et de sacrifier le sort de ceux-là mêmes que la gauche prétend défendre148. »

59Le keynésianisme, compris dans une logique favorable à des choix d’investissements, et la lutte contre l’inflation sont deux éléments centraux des convictions de Mendès France ; ils s’expriment tout au long d’un cours dans lequel le professeur n’hésite jamais à dire clairement sa pensée sur la situation alors présente et les quelques années précédentes. Dans la discussion rapportée en annexe de la première leçon, il s’exprime ainsi : « La question posée est importante et elle n’est pas sans rapport avec ce que nous avons vécu ces dernières années. Je crois bien qu’après la Libération, un certain nombre d’hommes, par exemple au commissariat général au Plan, étaient tellement fanatiquement attachés à l’idée qu’il fallait coûte que coûte réaliser des investissements qu’ils en sont venus à l’opinion que les moyens importaient peu, et que du moment que l’investissement entraînait une épargne forcée, “on pouvait y aller”. » À l’opposé, il faut pour Mendès France faire des choix, comme il le martèle au début de la 2e leçon :

« L’idée du choix est une idée sur laquelle j’aurai constamment à revenir. […] Au total, les pouvoirs publics sont obligés de limiter les investissements et donc de choisir parmi ceux qui sont souhaitables ; et de limiter la consommation et donc, là encore, de choisir parmi les consommations qui sont désirées par la population. Et cela me ramène à cette idée, qui reviendra très souvent dans la suite de ce cours : l’idée du choix. […] Ainsi, la gestion d’un pays exige à chaque instant, de la part de ceux qui en sont responsables, des décisions, des arbitrages qui constituent de véritables prises de position politiques, en donnant à ce mot son sens le plus large et le plus élevé. Ce ne sont pas uniquement des questions techniques, ce sont des questions dans lesquelles des éléments d’appréciation subjectifs interviennent ; c’est pourquoi ce sont des prises de position politiques fondamentales. »

60Tel un quasi-mantra, il ouvre encore la 3e leçon sur le même thème en indiquant que, pour lui, le Plan doit être une manière de choisir et de hiérarchiser des priorités :

« J’ai déjà, à plusieurs reprises, employé le mot de “plan”. J’ai aussi parlé de choix, d’arbitrages ou d’options ; notamment, j’ai mentionné à plusieurs reprises l’option nécessaire entre la consommation et les investissements. Eh bien le plan, c’est le choix, et le choix conscient par une autorité publique responsable. […] Si telle est la notion large et extensive du plan, on peut se demander si le “plan français de 1946” a effectivement droit à ce nom. Il peut y avoir une discussion sur ce point ; ce qui est certain, c’est que l’évolution qu’a subie le plan français, le Plan Monnet, ces dernières années, a eu pour effet d’en altérer grandement le caractère général, ainsi que je le démontrerai lorsque je l’examinerai devant vous en détail ; à l’heure actuelle, ce que l’on appelle le “Plan Monnet” ne correspond plus qu’à une série de programmes particulière, concernant un certain nombre de domaines importants, et il semble que le nom de “plan” ne lui convient pas, ou ne lui convient plus. Il m’arrivera, pour sacrifier à l’usage établi, de continuer à utiliser le mot de “plan” pour viser les travaux orientés par le commissariat général au Plan. Mais dès maintenant, je vous demande de conserver présent à l’esprit que la notion précise – et en quelque sorte scientifique – de “plan” ne doit plus s’appliquer à partir du moment où un programme de travaux ne comporte plus que des définitions ou des déterminations d’objectifs dans un certain nombre de domaines particuliers, sans qu’une liaison précise et organique soit constamment respectée entre eux. […] Beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas encore que tout n’est pas possible à la fois, qu’à un niveau donné de production correspond un niveau limité de consommation et d’investissement, qu’on peut réduire l’une au profit de l’autre – ou réciproquement –, mais que l’on ne peut pas accroître en même temps – comme la démagogie le propose trop souvent – la consommation (c’est-à-dire le niveau de vie présent) et les investissements (c’est-à-dire la préparation du niveau de vie futur). »

61Dans ce type de développement, Mendès France revient souvent plus ou moins implicitement sur le fait que la politique qu’il préconisait en 1944 et 1945 n’a pas été suivie. Il en va ainsi lorsqu’il précise :

« À la Libération, les pouvoirs publics auraient dû présenter à l’opinion publique le schéma de l’effort que l’on demandait au pays en disant : “Pendant une première période, pendant un nombre d’années déterminé, nous allons continuer à supporter des sacrifices comparables, quoiqu’inférieurs, à ceux qu’il a supportés pendant la guerre, moyennant quoi des ressources seront dégagées en vue d’un investissement qui permettra plus tard d’améliorer le niveau de vie”. M. Fourastié a fait des calculs d’où il résulte que si pendant les quatre premières années d’après-guerre, le volume de la consommation globale était resté inférieur de 5 % à ce qu’il a été – ce qui aurait comporté une réduction du niveau de vie relativement faible par rapport à ce qui a été réalisé –, nous aurions aujourd’hui un niveau de production supérieur de 20 %. Ç’aurait donc été une opération avantageuse à la longue. » (première annexe de la 5e leçon).

62Il revient avec force sur ce point à la 10e leçon :

« Cette politique de rigueur financière n’a pas été suivie avec la sévérité nécessaire depuis la Libération. Les pouvoirs publics et l’opinion n’ont pas suffisamment compris que tout n’était pas possible dans le cadre de ressources financières limitées. Il en est résulté une situation inflationniste, à la faveur de laquelle des dépenses secondaires, des dépenses de luxe ou d’investissement spéculatif ou somptuaire ont été trop souvent réalisées au détriment d’investissements plus utiles. »

63Sur les critiques envers les politiques menées par les gouvernements successifs, Mendès France est même parfois très incisif, comme lorsqu’il commente dans la 8e leçon un emprunt de la SNCF contracté en francs suisses : il parle d’abord d’un « caractère insolite », dénonce une « pression inflationniste » et à une question d’un élève, il conclut : « Cela paraît en effet invraisemblable ! » (première annexe de la 8e leçon). Devant les élèves de l’ENA, il assume aussi ses désaccords pas seulement avec les hommes politiques, mais aussi avec certains hauts fonctionnaires ; il explique ainsi, sur un point technique, que « Ce point de vue est assez répandu dans les milieux officiels et au ministère des Finances. Cependant, je ne suis pas convaincu de la portée de cette tentative de justification, et cela pour plusieurs raisons. […] Ces dernières années, la gestion de nos finances n’a pas été satisfaisante dans l’ensemble » (seconde annexe de la 8e leçon).

64De la même manière, dans une présentation très détaillée, Mendès France critique les formes prises par la planification et est assez explicite sur son désaccord avec Jean Monnet. Ce passage mérite d’être cité ici longuement :

« Une direction du Plan fut créée au ministère de l’Économie nationale. Cette tentative, vous le savez, échoua dès 1945 ; l’autorité du ministre de l’Économie nationale n’ayant pu être assurée effectivement, il ne put pas jouer le rôle centralisateur et coordinateur, le rôle de discipline qui aurait dû être le sien, et c’est ainsi qu’un temps précieux fut perdu. […] Ces diverses institutions (commissariat général au Plan, commission des Investissements, Conseil national du crédit, Caisse autonome de la reconstruction, Fonds de modernisation et d’équipement) chevauchent inévitablement les administrations préexistantes, et notamment les ministères ayant des responsabilités financières ou économiques. Il en est résulté bien souvent des conflits d’attributions, et même des décisions contradictoires, ce qui n’a pas été sans présenter de sérieux inconvénients. […] M. Jean Monnet […] occupe ces importantes fonctions ; il a donné son nom au Plan qui a été établi par la suite sous son impulsion. Il a dirigé le commissariat avec des qualités personnelles indéniables, et un sens de la diplomatie qui lui a permis souvent de concilier les intérêts des administrations concurrentes ou rivales. Il n’est pas douteux que le commissariat général au Plan et plus spécialement M. Jean Monnet aient exercé une influence considérable sur la politique économique qui a été suivie dans toute cette période. Cependant, malgré ses mérites indiscutables, M. Jean Monnet n’a pu surmonter totalement les inconvénients qui résultent de la situation hybride et imprécise de ses fonctions ; de cette situation découlent fréquemment des chevauchements entre ministres économiques, d’une part, et commissariat général au Plan, d’autre part. Par ailleurs, les conflits ont été à peu près constants entre le commissariat général au Plan et le ministère des Finances depuis 1946. […] Tous ces textes sont restés lettre morte, et à ce jour le Parlement n’a jamais été saisi d’un projet de plan. La planification a été constamment préparée, suivie, et adaptée au sein du commissariat général au Plan. […] Les rapports des commissions de modernisation sont très inégaux : certains constituent des œuvres de premier ordre, d’autres sont relativement médiocres. Ils constituent en tout cas une collection intéressante que je vous conseille de feuilleter lorsque vous en aurez le loisir. » (11e leçon).

65Il récapitule sévèrement, dans une leçon ultérieure (17e leçon) :

« a. Connaissance insuffisante des données de base du Plan ;
b. Optimisme excessif des objectifs ;
c. Inadaptation de l’organisation administrative et politique aux besoins de la planification et à son exécution.
[…] Là encore, l’organisation des services n’était pas satisfaisante […] ».

66La conclusion d’un des derniers cours insiste encore sur le lien entre les choix de politiques économiques et ceux, plus généraux, en matière de politique. Mendès France explique :

« Si le pays a été amené, surtout ces derniers temps, à relâcher son effort d’investissement, je crois qu’il l’a fait en raison d’une fausse interprétation de sa situation financière, en raison d’un manque d’audace dans la répartition du revenu et aussi en raison des séquelles d’un esprit malthusien qui reste profondément enraciné dans l’esprit de beaucoup de Français ; les craintes de surproduction, de surinvestissement, les craintes de mévente, de chômage sont tellement répandues chez un grand nombre de Français que nous voyons nos compatriotes s’orienter, comme instinctivement, vers des mesures malthusiennes qui portent atteinte aux besoins d’expansion, de progrès, de dynamisme indispensables dans un grand pays moderne, surtout s’il veut se rajeunir après des décades de piétinement.
On comprend très bien la résistance à une politique d’investissement, à une politique qui envisage l’avenir dans un sens audacieux et nouveau, de ceux qui craignent, par exemple, d’être lésés par des charges supplémentaires, par des impôts consécutifs à un effort d’investissement ; mais on doit regretter – je le dis, de toute ma conviction – l’apathie de ceux qui seraient les bénéficiaires durables d’une politique d’équipement bien conduite, c’est-à-dire de tous ceux dont le niveau de vie doit être amélioré. Notre niveau de vie, en France, reste inférieur – et de loin – à ce qu’il est dans un grand nombre d’autres pays. Des progrès sont devant nous, possibles. On doit regretter l’incompréhension d’un pays qui n’a pas été assez informé et renseigné dans ce domaine, et surtout de ceux qui désirent vivre libres dans le progrès et dans la prospérité d’un grand pays moderne. » (conclusion de la 17e leçon).

67Inflation, planification défaillante, mauvaise qualité de l’information économique, à toutes ces critiques, Mendès France ajoute même des remarques sévères sur certains secteurs, comme lorsqu’il mentionne les carences en termes de logement en cette période de Reconstruction – la question est alors particulièrement sensible149 – : « Ce que l’on peut dire, cependant, c’est que l’État n’a pas tiré de l’amplitude de sa participation financière dans la Reconstruction les avantages qui auraient pu en découler, afin de discipliner et d’ordonner la politique de l’habitat, en France, dans un sens plus conforme à l’intérêt général. » (conclusion de la 19e leçon). Ce dont témoigne le cours de Mendès France, c’est d’abord qu’il lie les raisonnements économiques aux choix nécessaires pour la Reconstruction du pays, démarche qui n’est pas alors la plus courante dans le milieu politique de la IVe République150.

68Mendès France cite peu les noms des acteurs politiques, administratifs et financiers, mais est par contre très précis sur les différentes institutions. Ainsi, sur les questions de financement, il détaille à plusieurs reprises l’action du Crédit national sans mentionner celui qui est à sa tête, Wilfrid Baumgartner151, et de la même manière pour le Trésor, sans citer François Bloch-Lainé152. Mendès France détaille évidemment les améliorations de l’appareil statistique permettant de mieux connaître l’économie française et les différentes initiatives sur ce point, qu’elles soient prises par le ministère des Finances153 ou le Plan.

69On peut noter que l’Empire colonial français, s’il n’est pas absent du cours, n’y occupe pas pour autant une place très importante, et que Mendès France tient un discours assez neutre sur ce point154. Seul le sujet du coût des dépenses militaires est évoqué à plusieurs reprises155, comme lorsqu’il rappelle que « parmi les dépenses publiques considérées comme des consommations collectives, il faut mentionner la fraction qui a été consacrée aux besoins militaires. En gros, mises à part naturellement les années de guerre et les années de préparation intensive à la guerre comme 1937 et 1938, on peut dire que la France a consacré ces dernières années une fraction de ses ressources plus considérable que par le passé aux dépenses militaires. Ces dépenses, qui sont improductives par leur nature, pèsent évidemment sur le bilan global ; elles constituent une consommation et elles détournent pour une fin improductive des ressources qui auraient pu autrement être disponibles pour l’investissement156. »

70Cette question devient importante dans les prises de parole de Mendès France à la Chambre pour dénoncer la guerre en Indochine157. En octobre et novembre 1950, il prend longuement la parole pour des interventions marquantes qui s’inscrivent dans la continuité des raisonnements tenus devant les élèves de l’ENA : « Aujourd’hui, parlant ici en mon nom personnel, je veux affirmer qu’à mon avis il est devenu plus dangereux de taire la vérité au pays, de le leurrer encore et de le laisser juger sur ses nerfs ou sur ses passions ce qui doit être jugé à la lumière d’une situation générale, intérieure et internationale de plus en plus préoccupante. Avouons-le franchement, les yeux dans les yeux : il y a des raisons pressantes et angoissantes aussi bien pour nous recommander de persévérer en Indochine que pour nous inciter à nous dégager de cette terrible charge politique, militaire, économique et financière158. » Le mois suivant, il retrouve la centralité de l’action politique dans le fait de faire des choix et, pour lui, celui de la surenchère militaire en Indochine n’est pas tenable : « Il faut choisir. Choisir, c’est bien ce qui est le plus difficile à nous, Français, surtout depuis que des formations politiques et des gouvernements promettent tout, à tout le monde, en même temps : la Reconstruction, le niveau de vie, les lois sociales, l’armement, les dégrèvements, l’Empire… Au lieu d’expliquer au pays loyalement que tout n’est pas possible en même temps159. » L’année suivante, il insiste encore à la tribune : « Ne voyez-vous donc pas que la continuation de l’hémorragie indochinoise, c’est ce que souhaitent tous ceux qui spéculent sur la faiblesse économique, politique et militaire de la France160 ? »

71Au début des années 1980, l’historien Jean Bouvier proposait une analyse en écho à la démonstration de Mendès France sur la complexité des procédures pour l’investissement public : « Disons enfin, pour montrer la complexité des bases du financement de l’investissement, que les “fonds publics” le sont bien par le lieu de leur centralisation et de leur redistribution (l’État) ; mais les ressources de l’État (d’impôts ; d’emprunts, et de dépôts divers, par exemple ceux des “correspondants du Trésor”) proviennent bien, en dernière analyse, des revenus et épargnes des divers “agents” opérant sur le marché. Toutes les ressources de l’État sont issues du revenu national et toutes ses dépenses vont au produit national. Cette élémentaire considération n’enlève pas de son importance au financement public de l’investissement. L’épithète, ici, désigne le milieu où se formulait la décision d’investir. Mais ce milieu lui-même (surtout à l’époque du fonctionnement réel des “commissions de modernisation” du Plan) était autant public que mixte161. » La réflexion suivante de François Bloch-Lainé : « Choisir, le maître-mot d’un maître à penser, Pierre Mendès France, a obsédé un bon nombre “d’acteurs” de ma génération et de ses voisines162 » est partagée par Jean Bouvier, qui surenchérit : « Choix (au singulier) pour la modernisation ; un impératif, une évidence. Mais, ce qui l’est moins, choix (au pluriel) entre les voies et les moyens. Surtout, autre obsession de l’acteur et de l’historien : était-il possible de faire d’autres choix, de prendre d’autres partis en décisions économiques que ceux alors pris ? Puisque gouverner c’est choisir, répétait PMF, c’est-à-dire, entre plusieurs solutions, distinguer et écarter, retrancher ici, ajouter ailleurs, sous diverses contraintes, en fonction d’un ensemble de conditions (économiques et sociopolitiques ; intérieures et internationales) qui tenaient lieu à la fois de décor, de terrain, de cadre, de limites, de buttoirs aux décisions économiques163 ? »

72Le cours de l’ENA de 1950 apparaît donc comme une étape signifiante dans la trajectoire politique de Mendès France et dans l’énonciation des convictions économiques qui font de lui l’une des figures majeures de cette période de la reconstruction164. Il entre aussi en résonance avec l’action que Mendès France a tenté d’impulser comme chef du gouvernement, même si les dossiers internationaux (Indochine, Communauté européenne de défense et Tunisie) l’accaparent en grande partie165. Il reste, dans la suite de sa vie politique, toujours intéressé aux questions économiques et en écho à ses critiques du Plan piloté par Jean Monnet, il faut souligner que son intérêt pour l’enjeu d’une planification démocratique se maintient d’ailleurs tout au long des années 1960166.

Notes de bas de page

1 Le cours avait été principalement cité par Michel Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie. Pensée et action, Paris, Odile Jacob, 1989, qui en avait publié un court extrait p. 108‑113 ; Michel Hollard, « Comment Pierre Mendès France s’informait sur l’économie ? », dans M. Hollard et Guy Saez (dir.), Politique, science et action publique. La référence à Pierre Mendès France et les débats actuels, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2010, p. 67‑102, spéc. p. 90‑92, et dans le numéro spécial « Former pour reconstruire la France. Les cours communs à l’ENA, 1946-1951 », Cahiers pour une histoire de l’ENA, mars 2019.

2 La plus célèbre biographie est longtemps restée celle proposée par Jean Lacouture, Pierre Mendès France, Paris, Seuil, 1981, réimpression en Points Seuil, 2003. Elle faisait suite à des livres plus anciens : Donald McCormick, Mr. France. The Life and Times of France’s Dynamic Post-War Premier, Londres, Jarrolds, 1955 ; Alexander Werth, The Strange History of Pierre Mendès France and the Great Conflict over French North Africa, Londres, Barrie, 1957 ; Jacques Nantet, Pierre Mendès France, Paris, Éd. du Centurion, 1967 ; Alain Gourdon, Mendès France ou le rêve français, Paris, Ramsay, 1977.

3 Sans exhaustivité, on peut citer : Jean-Louis Rizzo, Pierre Mendès France, Paris, La Découverte, 1994 ; Michel Winock, Pierre Mendès France, Paris, Bayard, 2005 ; Éric Roussel, Pierre Mendès France, Paris, Gallimard, 2007 ; Françoise Chapron, Pierre Mendès France, la République en action, Orléans, Éd. Infimes, 2016 ; Michel Beck, Pierre Mendès France, un homme d’avenir, Saint-Denis, Société des écrivains, 2017 ; Frédéric Potier, Pierre Mendès France. La foi démocratique, Paris, Bouquins, 2021. Enfin, on se permet de renvoyer à Alain Chatriot, Pierre Mendès France. Pour une République moderne, Paris, Armand Colin, 2015, dont on reprend ici divers éléments pour la présentation de la trajectoire de Mendès France avant 1950.

4 Pour l’édition scientifique de ce cours, on note surtout tous les éléments contenus dans le second volume : Pierre Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, Une politique de l’économie, 1943-1955, Paris, Gallimard, 1986.

5 P. Mendès France, Écrits de résistance, Paris, CNRS Éd., 2018, édition établie par Vincent Duclert, avec la collaboration de Joan et Michel Mendès France, et de Simone Gros.

6 Un des examinateurs d’un oral en histoire diplomatique note à son propos : « Très intelligent, esprit original […] grande habitude de la parole, ambitieux, réussira » ; dossier d’élève de P. Mendès France, promotion 1925, Archives de Sciences Po. Je remercie ma collègue historienne Marie Scot de m’avoir permis d’accéder à l’ensemble du dossier. Le dossier conserve deux copies complètes de P. Mendès France sur les sujets suivants : « Exposez en les comparant dans quelles circonstances ont été promulguées les Constitutions allemandes de 1871 et de 1919. Quelles en sont les idées directrices et les dispositions essentielles ? » et « Histoire de la liberté de la presse ».

7 Pierre Saly, « Pierre Mendès France critique de Raymond Poincaré », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 21‑35.

8 La thèse fut d’abord publiée pour la soutenance, puis fut rééditée avec un avant-propos modifié et une préface de Georges Bonnet, figure du Parti radical et ancien ministre du Budget : P. Mendès France, « Le redressement financier français en 1926 et 1927 », thèse de doctorat en droit, université de Paris et L’œuvre financière du Gouvernement Poincaré, Paris, LGDJ, 1928, préface de Georges Bonnet. Le texte en est repris partiellement dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, S’engager, 1922-1943, Paris, Gallimard, 1984.

9 P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 46.

10 Ibid., p. 47.

11 P. Mendès France, « Le redressement financier… », thèse citée, p. 5.

12 L’historien Olivier Feiertag, dans un parallèle des trajectoires de Wilfrid Baumgartner et Pierre Mendès France, note d’ailleurs, au-delà de leurs différences, qu’ils « sont entrés dans la carrière au moment où la stabilisation Poincaré mettait fin à l’expérience nouvelle et traumatisante de l’inflation des années 1920. Tous les deux ont commencé à prendre des décisions dans le contexte de la grande dépression économique, du déficit chronique des finances publiques et de l’atonie de l’investissement privé. Les humiliations de la défaite et de l’Occupation enfin, à eux comme à beaucoup d’autres, leur sont imposées, agissant sur l’idée qu’ils se faisaient, chacun à leur manière, d’une certaine grandeur perdue de la France. » Olivier Feiertag, Wilfrid Baumgartner. Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs, 1902-1978, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2006, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1013, p. 478.

13 P. Mendès France, La Banque internationale. Contribution à l’étude du problème des États-Unis d’Europe, Paris, Librairie Valois, 1930.

14 On se permet de renvoyer à A. Chatriot, La politique du blé. Crises et régulations d’un marché dans la France de l’entre-deux-guerres, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/4171, 2016, p. 145‑148.

15 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Chambre des députés, Séance du 28 septembre 1936, p. 2792.

16 Ibid., p. 2793.

17 On doit rappeler ici l’admiration de Mendès France pour Blum, dont témoigne entre autres son texte « Léon Blum », dans P. Mendès France, La vérité guidait leurs pas, Paris, Gallimard, 2022 (1re éd. 1976), p. 185‑201.

18 D’après le témoignage même de Mendès France, cité dans J. Lacouture, Pierre Mendès France, op. cit., p. 125‑126.

19 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris. Trente ans d’influence, Paris, Gallimard, 2010.

20 Marie-France Toinet, « Pierre Mendès France et Georges Boris », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 37‑55.

21 P. Mendès France, « Présentation », dans Georges Boris, Servir la République, Paris, René Julliard, 1963, p. 7‑18, p. 14.

22 Projet de loi n° 3936, annexe au procès-verbal de la séance du 5 avril 1938, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 797‑821.

23 P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 797.

24 On doit se reporter sur le sujet à la remarquable édition scientifique : P. Mendès France, Écrits de résistance, op. cit.

25 Charles de Gaulle, Mémoires, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2000, p. 438.

26 Reproduit en annexe 1, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 561‑572.

27 O. Feiertag, « Pierre Mendès France acteur et témoin de la planification française, 1943-1962 », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 365‑402.

28 Lettre au général de Gaulle, 15 mars 1944, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 33.

29 Lettre à Georges Boris, 30 mars 1944, ibid., p. 35‑36 ; lettre commentée par Philippe Mioche, « La planification comme “Réforme de structure” : l’action de Pierre Mendès France, de 1943 à 1945 », Histoire, économie et société, vol. 1, n° 3, 1982, p. 471‑488.

30 Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances. Rivoli-Alger-Rivoli, 1937-1958, texte établi, annoté et présenté par Nathalie Carré de Malberg, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/3000, p. 129‑139.

31 Cf. leurs notices respectives dans Fabien Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, 1801-2009, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2012, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/3568.

32 Cf. Richard F. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au xxe siècle, Paris, Gallimard, 1984 (1re éd. en anglais 1981), p. 307‑309 et M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, 1932-1952, 2 vol., Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991, consultables en ligne, https://books.openedition.org/igpde/2276 et https://books.openedition.org/igpde/2320, 2e vol., p. 745‑751.

33 Il accepte de parler de cette expérience à deux reprises à des historiens à la fin de 1978, donnant lieu à une publication de la commission d’Histoire économique et sociale du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale : P. Mendès France, Documents, 1944-1945, ronéoté (conservé dans les archives familiales). Le volume s’ouvre sur un propos de l’historien Jean Bouvier, qui préside cette commission, et dont la fin mérite d’être citée : « Qu’il nous soit permis de marquer notre reconnaissance envers un acteur de la chose publique qui est allé au-devant de notre attente et nous a ainsi aidés à faire notre “métier d’historien”. »

34 Directives sur le ravitaillement, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 36.

35 Cf. La France et les institutions de Bretton Woods, 1944-1994, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998 et Pierre du Bois, « Des accords de Bretton Woods à l’accord sur l’Union européenne des paiements (1944-1950). L’Europe des monnaies entre universalisme et régionalisme », Relations internationales, n° 124, 2005/4, p. 17‑27.

36 Télégramme au général de Gaulle du 12 juillet 1944, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 44.

37 Cf. Christian Valensi, Un témoin sur l’autre rive. Washington, 1943-1949, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.

38 P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 55.

39 Ibid., p. 57.

40 Ibid., p. 59.

41 Ibid., p. 60.

42 Ibid., p. 61.

43 Ibid., p. 71.

44 « Les causeries radiophoniques », dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 73‑113.

45 Troisième émission, 25 novembre 1944, ibid., p. 78.

46 Vingtième émission, 31 mars 1945, ibid., p. 112.

47 Claire Andrieu, Lucette Le Van et Antoine Prost (dir.), Les nationalisations de la Libération. De l’utopie au compromis, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1987 et Andrew Shennan, Rethinking France: Plans for Renewal, 1940-1946, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 252‑255.

48 Lettre de démission au général de Gaulle, 18 janvier 1945, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 116.

49 Ibid., p. 117.

50 Ibid., p. 120.

51 Ibid., p. 119.

52 Ibid., p. 120.

53 Ibid., p. 122.

54 Ibid., p. 122‑124.

55 Ibid., p. 124‑125.

56 L’historien Michel-Pierre Chélini présente le programme de Mendès France comme « indivisible et spartiate » (p. 262) et parle du « choix libéral du général de Gaulle : le choix de l’opinion » (p. 274), dans Michel-Pierre Chélini, Inflation, État et opinion en France de 1944 à 1952, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/2555. Cf. aussi le témoignage de Pleven dans J. Lacouture, Pierre Mendès France, op. cit., p. 226‑227. Plusieurs économistes s’expriment aussi alors, désapprouvant la solution envisagée par Mendès France ; cf. un article synthétique de l’époque sur ces débats : Gaëtan Pirou, « Le problème monétaire en France depuis la Libération », Revue d’économie politique, vol. 55, n° 1‑2, 1945, p. 12‑49.

57 Lettre de démission…, op. cit., p. 147. Le 4 avril, Mendès France envoie une lettre à Pleven pour lui détailler sa divergence (p. 148‑150).

58 C. de Gaulle, Mémoires, op. cit., p. 708.

59 É. Roussel, Jean Monnet, 1888-1979, Paris, Fayard, 1996, p. 432‑443 ; M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie…, op. cit., 2e vol., p. 803‑805.

60 P. Mioche, entretien avec P. Mendès France, 30 octobre 1981, cité dans P. Mioche, « La planification… », art. cité, p. 488. Cf. pour une transcription des notes de cet entretien : P. Mioche, Le plan Monnet. Genèse et élaboration, 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987, p. 286‑288. Pour une perspective complémentaire, cf. Luc-André Brunet, « The Creation of the Monnet Plan, 1945-1946: A Critical Re-Evaluation », Contemporary European History, vol. 27, n° 1, 2018, p. 23‑41.

61 Il avait constitué un dossier de ses archives personnelles sur le sujet, cf. P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 163‑185.

62 France-Soir, 29 juin 1946, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 187‑192.

63 M.-P. Chélini, « L’emprunt de libération nationale en France (automne 1944). Solution budgétaire ou amnistie monétaire ? », Revue historique, n° 583, juillet-septembre 1992, p. 157‑179.

64 Cf. François Caron, « Le plan Mayer : un retour aux réalités », Histoire, économie et société, vol. 1, n° 3, 1982, p. 423‑437.

65 R. F. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France…, op. cit., p. 321‑322.

66 Il adresse une lettre à Antoine Pinay pour lui présenter sa démission le 17 décembre 1958, constatant son désaccord avec le nouveau régime, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 4, Pour une République moderne, Paris, Gallimard, 1987, p. 475. Cf. les précisions sur ses fonctions au FMI, dans É. Roussel, Pierre Mendès France, op. cit., p. 543, note 18.

67 Michel Debré, Mémoires, t. 2, 1946-1958, Paris, Albin Michel, 1988, p. 34.

68 Christian Chevandier, Gilles Morin (dir.), André Philip, socialiste, patriote, chrétien, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.

69 Lettre à André Philip, 16 mars 1946, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 194.

70 Il lui rend d’ailleurs par la suite hommage lors de la 8e session de l’Ecosoc en février 1949, cf. P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 255‑257 ; il parle ainsi du « rayonnement de l’École doctrinale dont Lord Keynes a été le fondateur » (p. 256).

71 « Le problème allemand », dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 226‑228.

72 Louis Franck, 697 ministres. Souvenirs d’un directeur général des prix, 1947-1962, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990, p. 91. Le témoignage est confirmé par Alain Mantez, « Pierre Mendès France, expert international, 1944-1953 », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 119‑141. Son intérêt pour ces institutions explique la préface qu’il donne à une thèse de droit : P. Mendès France, « Préface », dans Catherine Labeyrie-Menahem, Des institutions spécialisées. Problèmes juridiques et diplomatiques de l’administration internationale, Paris, Pedone, 1953, p. 7‑8.

73 Le texte en est d’abord publié dans la revue des anciens élèves de l’ENA Promotions, n° 10, 1948, puis repris sous le titre « Prospérité ou crise aux USA », La Nef, n° 44, juillet 1948, dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 216‑220.

74 P. Mendès France, « La situation économique des États-Unis et le plan Marshall », Revue économique et sociale, n° 6, 1948, p. 227‑241.

75 Le volume d’Ardant est organisé en sept chapitres (« Le problème budgétaire et les dépenses publiques » ; « Le problème fiscal » ; « Investissement. Reconstruction. Épargne » ; « Le problème du crédit » ; « Les problèmes de trésorerie » ; « Problèmes de la balance des paiements » et « Le problème monétaire ») dans Gabriel Ardant, Problèmes financiers contemporains, Paris, Hatier, 1949.

76 P. Mendès France, « Préface », dans G. Ardant, Problèmes financiers contemporains, op. cit., p. 5‑21, p. 5 pour la citation. Il est précisé dans l’édition que la préface a été rédigée le 15 août 1948.

77 Ibid., p. 6.

78 Ibid., p. 20.

79 P. Mendès France, « Les échanges commerciaux entre Amérique latine, Amérique du Nord et Europe occidentale », Politique étrangère, n° 5‑6, 1950, p. 515‑522.

80 P. Mendès France, « La convertibilité internationale des monnaies », Revue économique, vol. 4, n° 6, 1953, p. 847‑851.

81 P. Mendès France, La monnaie dans la vie publique, conférence des ambassadeurs du 20 septembre 1951, Paris, SPIG, 1951.

82 André David, Paroles d’or. Les coulisses des « conférences des ambassadeurs », Paris, La Table ronde, 1969, p. 216.

83 P. Mendès France et G. Ardant, La science économique et l’action, Paris, UNESCO-Julliard, 1954. À son propos, un économiste ouvre sa recension de l’ouvrage par ces termes : « Il n’est certes pas fréquent qu’un auteur inscrive son nom en tête d’un ouvrage en mentionnant comme qualité : président du Conseil. Moins fréquent encore que l’ouvrage en question soit l’expression d’une doctrine, et de celle-là même qu’il prétend appliquer. » (Jean Lhomme, Notes bibliographiques, Revue économique, vol. 6, n° 3, 1955, p. 503‑505, p. 503 pour la citation). Le haut fonctionnaire François Bloch-Lainé souligne aussi son étonnement : « Qu’un homme d’État et un haut fonctionnaire publient, sur les questions économiques, un ouvrage de vulgarisation, que des personnalités si éminentes prennent la plume et se signalent à l’attention pour exposer des théories déjà anciennes, voilà qui peut déconcerter les économistes. Ceux-ci diront peut-être de ce livre qu’il n’apporte rien de nouveau. Pourtant il vient combler une véritable lacune et nous donne un grand exemple » (Revue française de science politique, vol. 5, n° 1, 1955, p. 167‑169, p. 167 pour la citation).

84 Cf. la comparaison proposée par O. Feiertag, « Pierre Mendès France acteur et témoin… », art. cité, p. 397‑400.

85 P. Mendès France et G. Ardant, Science économique et lucidité politique, Paris, Gallimard, 1973. Cf. pour une mise en perspective des deux éditions : Ludovic Frobert, « Action économique et lucidité politique. L’économie en République chez Gabriel Ardant et Pierre Mendès France, 1954 et 1973 », Revue d’histoire de la pensée économique, n° 12, 2021/2, p. 273‑297 et sur Jean de Largentaye : Hélène de Largentaye, avec la collaboration d’Antoine Jourdan, Jean de Largentaye, économiste non conformiste, Paris, Classiques Garnier, 2023.

86 Le plan du livre en 1954 est organisé plus simplement que le volume d’Ardant de 1949 en deux parties : « Le problème de l’équilibre » et « Le problème du choix ». L’introduction du volume explique clairement les choix, comme lorsque les auteurs écrivent que « l’objet de cet ouvrage » est de « démontrer par des exemples concrets empruntés à l’histoire de ces trente dernières années l’importance de la science économique » (P. Mendès France et G. Ardant, La science économique et l’action…, op. cit., p. 11).

87 Ibid., p. 380‑381.

88 Arrêté du 25 février 1946 signé par Félix Gouin, président du gouvernement provisoire de la République française, Archives familiales Mendès France. Mendès France, présenté comme « membre de l’Assemblée nationale constituante », y est « nommé professeur à l’École nationale d’administration, pour l’enseignement donné à la première promotion ; il est à ce titre chargé du cours : “Problèmes financiers internationaux” » (article 1er de l’arrêté).

89 Cf. Michel Debré, « Un projet d’école d’administration », Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz, n° 7, 1938, chronique IV, p. 17‑20 et pour une présentation du projet porté par le ministre de l’Instruction publique Jean Zay, cf. Pascal Ory, « La politique culturelle du Front populaire français, 1935-1938 », thèse de doctorat en histoire sous la direction de René Rémond, université de Paris X, 1990, 5 vol. (les pages sur le projet d’école d’administration n’ont hélas ! pas été reprises dans le volume publié) et Philippe Labastie, « Former des fonctionnaires républicains ? Genèse et échec d’un projet de création d’une École nationale d’administration sous le Front populaire, 1936-1939 », mémoire pour le diplôme de l’EHESS sous la direction de Marc Olivier Baruch, 2012.

90 A. Prost, « Les débuts difficiles de l’École nationale d’administration, 1945-1958 », Vingtième Siècle, n° 134, 2017/2, p. 65‑83.

91 Cf. Jean-Michel Eymeri, La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001.

92 Sarah Kolopp, « De la modernisation à la raison économique. La formation en économie à l’ENA et les déplacements des lieux communs de l’action publique, 1945-1984 », Genèses, n° 93, 2013/4, p. 53‑75, p. 56‑57 pour la citation. La politiste prend entre autres pour exemple d’études les cours suivis par la promotion « Giraudoux » (1950-1952), qui succède à la promotion « Europe » (1949-1951). La comparaison est élargie à d’autres promotions sur une plus longue période dans un autre article, cf. Émilie Biland et Sarah Kolopp, « La fabrique de la pensée d’État. Luttes d’institutions et arrangements cognitifs à l’ENA, 1945-1982 », Gouvernement et action publique, vol. 2, 2013/2, p. 221‑248.

93 Cf. numéro spécial « Former pour reconstruire la France. Les cours communs à l’ENA, 1946-1951 », Cahiers pour une histoire de l’ENA, mars 2019.

94 Ibid., p. 12. L’auteur commente les professeurs réunis pour ces premières promotions : « Quelle pléiade de grands noms en effet ! Louis Armand, Raymond Aron, Wilfrid Baumgartner, Paul Durand, Jean Fourastié, Roger Grégoire, André Hauriou, Charles-André Julien, Pierre Laroque, Pierre Mendès France, Lucien Paye, Jean Rivero, Alfred Sauvy, Yves Ullmo, Pierre Uri, Georges Vedel. La direction de l’École a eu incontestablement la main heureuse, car nombre de ses enseignants n’étaient pas déjà, au moment où ils ont été pressentis, les célébrités qu’ils devinrent ultérieurement. En tout cas, un tel aréopage a eu de quoi faire rêver de nombreuses promotions ultérieures… » (p. 18).

95 La liste intégrale des cours communs des premières promotions est reproduite en annexes, pour la promotion « Europe », ibid., p. 70‑71.

96 « Promotion Europe janvier 1949-décembre 1951 », Cahiers pour une histoire de l’ENA, n° 9, 2016. Je suis très reconnaissant à Marc Olivier Baruch de m’avoir permis un accès facilité à ce volume.

97 Philippe Dargenton (1927-2012), fils d’un ingénieur des Ponts et Chaussées, licencié en droit, diplômé de l’IEP de Paris ; il sort de l’ENA à l’Inspection des Finances et fait une carrière marquée par des postes de conseiller en cabinet ministériel puis par des directions et à partir des années 1970 comme dirigeant de la Compagnie générale d’électricité. Cf. sa notice dans F. Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, op. cit., p. 605.

98 François Giscard d’Estaing (1926-2003), fils d’un conseiller d’État, licencié en droit, diplômé de l’IEP de Paris ; il sort de l’ENA à l’Inspection des Finances et fait une carrière marquée par des postes de conseiller en cabinet ministériel puis en Afrique et, dans les années 1970, à la Banque française du commerce extérieur. Cf. sa notice ibid., p. 690.

99 Jean Labussière (1925-1971), fils de petits commerçants, licencié ès lettres ; il sort de l’ENA à l’Inspection des Finances, il est conseiller technique dans de nombreux cabinets ministériels ; cf. sur sa trajectoire : Cahiers pour une histoire de l’ENA, n° 9, 2016, p. 231, cf. sa notice dans F. Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, op. cit., p. 746‑747.

100 Au-delà de ce qui a parfois été écrit, on ne peut savoir ce que le futur président de la République a pensé du cours dispensé par Mendès France. Comme on l’indique dans l’annotation du manuscrit, il semble que ce soit bien son cousin et non lui qui prenne part à plusieurs reprises à la discussion du cours. La tonalité des politiques suivies par Valéry Giscard d’Estaing au ministère des Finances puis à la présidence de la République apparaît en tout cas bien différente des éléments exposés dans le cours de Mendès France.

101 Cf. son dossier d’élève, dans lequel Raymond Odent parle d’un « sujet d’élite » et est élogieux. Il obtient un 19 en économie politique et un 18 en problèmes monétaires. Je remercie les Archives de Sciences Po, et au premier titre Odile Gaultier-Voituriez, de m’avoir permis la consultation de ce dossier.

102 Plusieurs auteurs dressent parfois des listes déconnectées de celle des élèves de la promotion « Europe ». Cf. par exemple : M. Beck, Pierre Mendès France, un homme d’avenir…, op. cit., p. 158‑159.

103 Marceau Long, « Mes regards sur l’ENA, 1949-1995. De l’élève au président du conseil d’administration », Cahiers pour une histoire de l’ENA, n° 2, 2015, p. 22.

104 Cahiers pour une histoire de l’ENA, n° 9, 2016, p. 134.

105 Ibid., p. 143.

106 Ibid., p. 111.

107 Ibid., p. 119.

108 Ibid., p. 122.

109 Ibid., p. 150.

110 Cf. celui de Jean Mérillon, ibid., p. 182 ou celui de Jacques Ratier, ibid., p. 204 ou encore Justin Rohmer, ibid., p. 207.

111 Cf. Pierre Mouterde, ibid., p. 197.

112 Témoignage de Jeanne Moevus, ibid., p. 189.

113 Lors de la 5e leçon, Mendès France cite un livre et salue la mémoire du professeur Bertrand Nogaro, décédé le 7 avril, en indiquant à son propos qu’il « vient de mourir il y a quelques jours ».

114 Lors de la 3e leçon, Mendès France évoque la possibilité de fixer des discussions avec les élèves le 5 ou 11 mai et dit précisément : « Ainsi que vous le savez, ce cours doit se prolonger pendant le mois de mai ; il sera ensuite interrompu, et il s’achèvera après la rentrée. »

115 La 9e leçon débute par une phrase évoquant « quelques semaines d’interruption » et signale l’existence du plan Schuman pour le charbon qui est intervenu entre-temps, en l’occurrence le 9 mai. En plus de ses activités de parlementaire et d’élu local – d’après des éléments d’agenda reconstitué, il est ainsi très présent pour des manifestations diverses dans l’Eure en avril et en mai 1950 –, Mendès France participe à plusieurs rencontres internationales cette année-là, comme en témoigne son discours devant la commission économique et sociale des Nations unies le 9 juin ou celui devant le FMI à Paris le 14 septembre. Il a de plus voyagé entre le 23 mai et le 20 juin à Dakar et dans différents pays d’Amérique du Sud (Brésil, Uruguay, Chili).

116 Cela semble contradictoire, tout comme le volume du tapuscrit, avec la mention parfois retrouvée d’un cours qui aurait été fait sur une douzaine d’heures (cf. y compris dans Cahiers pour une histoire de l’ENA, n° 9, 2016, p. 247). La densité de l’information et des discussions laisse supposer un temps plus important.

117 Les années précédentes, dans des conférences devant les élèves de l’ENA, Gabriel Ardant insistait aussi sur le rôle futur à jouer par les élèves. L’historienne Florence Descamps le cite : « Ardant, bien conscient des freins au changement, parle “d’incompréhension, de révolte et de scandale” de la part des responsables de l’Administration ; désabusé, il place son espoir dans les nouvelles générations de hauts fonctionnaires formés à l’ENA. », Florence Descamps, « Gabriel Ardant et le Comité central d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics. Vers une évaluation des résultats de l’action administrative », dans Philippe Bezes, F. Descamps, Sébastien Kott et Lucile Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics, 1914-1967, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2013, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1693, p. 253‑301, note 141, p. 284 pour la citation.

118 On dispose par chance d’une réédition présentée de ce cours que Laroque, sous différents formats, donne à l’ELSP puis à l’IEP de Paris et à l’ENA, cf. Marie Scot, « Postface. Pierre Laroque, maître à penser des questions sociales à Sciences Po », dans Pierre Laroque, Les grands problèmes sociaux. Cours fondamental de Sciences Po, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 2018, p. 517‑534.

119 Brigitte Gaïti, « Les modernisateurs dans l’administration d’après-guerre. L’écriture d’une histoire héroïque », Revue française d’administration publique, n° 102, 2002/2, p. 295‑306. Cf. également François Fourquet, Les comptes de la puissance. Histoire de la comptabilité nationale et du Plan, Paris, Recherches, 1980.

120 Le dossier est titré : « La Ve République et la haute administration ou le règne des “jeunes messieurs” », Courrier de la République, n° 34, novembre 1965. Pour une analyse de ce texte, cf. Gilles Le Béguec, « Pierre Mendès France et la technocratie », dans « Pierre Mendès France et la modernité », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 63‑64, juillet-décembre 2001, p. 112‑118.

121 Cf. L. Le Van-Lemesle, Le juste ou le riche. L’enseignement de l’économie politique, 1815-1950, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/2584, et Marion Fourcade, Economists and Societies: Discipline and Profession in the United States, Britain and France, 1890s to 1990s, Princeton, Princeton University Press, 2009.

122 On ne s’intéresse pas ici à savoir si Mendès France a bien compris ou non l’œuvre de Keynes, un économiste a écrit sur ce point en concluant : « N’a-t-on pas affaire à Keynes relu par un Poincaré moderne qui tenterait d’utiliser, avec rigueur et scrupule, les concepts keynésiens dans une tradition classique, en quelque sorte revisitée et modernisée ? », cf. Robert Salais, « L’interprétation de Keynes par Pierre Mendès France », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 103‑108, p. 103‑104 pour la citation.

123 On doit ici rappeler l’étude pionnière de Pierre Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d’économie, vol. II, n° 4, automne 1987, p. 22‑56, et également « The Development of Keynesianism in France », dans Peter A. Hall (dir.), The Political Power of Economic Ideas: Keynesianism across Nations, Princeton, Princeton University Press, 1989, p. 171‑193 ; puis les publications d’Olivier Dard, « Économie et économistes des années trente aux années cinquante : un tournant keynésien ? », Historiens et géographes, n° 361, mars-avril 1998, p. 173‑196 et « Théoriciens et praticiens de l’économie : un changement de paradigme », dans Serge Berstein et Pierre Milza (dir.), L’Année 1947, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p. 75‑114.

124 Dans le premier volume des Œuvres, la chronologie précise : « PMF lit la théorie générale de Keynes » « début 1937 », dans P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 28. Pour une datation plus tardive à l’hiver, 1937-1938, cf. les remarques de Philippe Wolff, « Pierre Mendès France et John Maynard Keynes : un premier repérage », dans M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie…, op. cit., p. 57‑72.

125 Jean Rioust de Largentaye (1903-1970) est un polytechnicien, entré à l’Inspection des Finances en 1931 ; il est entre autres chef de service au commissariat aux Finances du Comité français de Libération nationale d’Alger entre mai 1943 et juin 1944. On peut noter que Jean de Largentaye fait partie de la délégation française présidée par Mendès France lors de la conférence de Bretton Woods en juillet 1944 (on retrouve aussi dans la délégation André Istel, Raoul Aglion, André Paul Maury et Robert Mossé, que Mendès France cite dans son cours) ; cf. sa notice dans F. Cardoni, N. Carré de Malberg, M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances, op. cit., p. 894‑895.

126 L’origine de cette traduction est aujourd’hui bien connue grâce à l’enquête minutieuse d’Hélène, Armand et Bertrand de Largentaye, cf. le dossier « La Théorie générale de J. M. Keynes, une traduction française révélatrice », Revue d’histoire de la pensée économique, n° 12, 2021‑2, avec entre autres : Armand de Largentaye, « Jean de Largentaye, l’ardent traducteur de The General Theory », p. 33‑55 et H. de Largentaye, « Jean de Largentaye et Payot, 1938-1942, quatre ans d’échanges entre le traducteur et l’éditeur de la Théorie générale de Keynes », p. 57‑63.

127 Jean-François Renaud, « J. M. Keynes et les économistes français dans l’entre-deux-guerres : quelques éléments explicatifs d’une révolution introuvable », dans Pierre Dockès, Ludovic Frobert, Gérard Klotz, Jean-Pierre Potier et al. (dir.), Les traditions économiques françaises, 1834-1939, Paris, CNRS Éd., 2000, p. 925‑937.

128 Robert Marjolin, Prix, monnaie et production. Essai sur les mouvements économiques de longue durée, thèse, Paris, Alcan, Presses universitaires de France, 1941.

129 Jean Domarchi, La pensée économique de John Maynard Keynes et son influence en Angleterre, thèse, Paris, J. Loviton, 1943.

130 Ramon Tortajada, « The General Theory, Keynes et les économistes français de sa traduction à l’immédiat après-guerre », Revue d’histoire de la pensée économique, n° 12, 2021‑2, p. 137‑179. Si cet article est très précis, on ne comprend pas bien la notation p. 170 d’un double cours de Mendès France à l’ENA.

131 Assez critique de Keynes sur certains points, comme le rappelait O. Dard, « Théoriciens et praticiens de l’économie… », art. cité, p. 81‑82.

132 Cités dans Gilbert Abraham-Frois et Françoise Larbre, « La diffusion de la théorie générale dans le milieu universitaire français : retard ou spécificité ? », Revue d’économie politique, vol. 108, n° 1, 1998, p. 109‑127.

133 Alain Béraud, « Les ingénieurs économistes français et la Théorie générale de Keynes (1945-1952) », Revue d’histoire de la pensée économique, n° 13, 2022‑1, p. 355‑421.

134 P. Mendès France, Choisir, conversations avec Jean Bothorel, Paris, Stock, 1974, rééd. Fayard, 2006, p. 39‑40.

135 Richard Arena, « Les économistes français en 1950 », Revue économique, n° 51, 2000/5, p. 969‑1007, p. 989 pour la citation. Arena commente surtout les travaux de Robert Marjolin et Claude Gruson comme keynésiens français. Il conclut : « Le courant keynésien n’existe pas en tant que tel. C’est dans les années 1950 que le véritable impact de la pensée keynésienne se fait sentir en France, donnant lieu à de nombreux débats. » (p. 998).

136 P. Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », art. cité, p. 41.

137 Nicolas Baverez, « Gouverner la monnaie », dans « Pierre Mendès France et la modernité », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 63‑64, juillet-décembre 2001, p. 35‑42.

138 Cf. à ce propos l’analyse de l’historien Michel-Pierre Chélini, qui écrit : « On peut considérer avec une faible marge d’erreur que Mendès France, alors jeune ministre de trente-sept ans, se lance fougueusement dans le débat politique avec des résultats ambivalents. Ses projets anti-inflationnistes prennent source dans la culture politique de l’entre-deux-guerres aussi bien que dans les contacts avec les keynésiens anglo-saxons. L’action et la réflexion de Mendès France, avant les crises de décolonisation, seront tout à la fois favorisées et limitées par cette “inflation” dont il harcèle ses collègues comme une menace permanente. », M.-P. Chélini, Inflation, État et opinion en France…, op. cit., p. 157.

139 P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 204.

140 Ibid., p. 215. Mendès France, dans ce discours, cite largement un rapport de Jean Monnet.

141 Frédéric Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1636, p. 130‑135.

142 P. Mendès France, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 259. Il intervient aussi dans une lettre au journal Le Monde publiée en indiquant : « Ce n’est pas en adoptant une politique de relâchement économique et de facilité financière qu’un pays comme la France peut reprendre son rang. » (Le Monde, 17‑18 décembre 1950), ibid., p. 308.

143 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 27 décembre 1950, p. 9685.

144 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 30 décembre 1951, p. 10209.

145 P. Mendès France, La monnaie dans la vie publique…, op. cit., p. 23.

146 P. Mendès France, « Équilibre économique et progrès social », La Nef, nouvelle série, cahier n° 3, « La France, mythe et réalité », juin 1953, p. 209‑240, p. 210. Le texte est repris en anglais : « Economic Equilibrium and Social Progress », Yale French Studies, n° 15, 1955, p. 68‑88. L’article s’achève sur la nécessité de « réorganiser et de moderniser les études économiques en France » (p. 240).

147 Ibid., p. 235.

148 Ibid., p. 237‑238.

149 Danièle Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique, Paris, L’Harmattan, 1997.

150 Pour une bonne présentation des débats qui traversent les socialistes de la SFIO à la même époque, cf. Mathieu Fulla, Les socialistes français et l’économie, 1944-1981, Paris, Presses de Sciences Po, 2016, p. 67‑93.

151 O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner…, op. cit. ; et sur ce point, v. spéc. chap. V, p. 271‑310 et chap. VI, p. 321‑364 pour la période contemporaine du cours de Mendès France où Baumgartner est gouverneur de la Banque de France.

152 Laure Quennouëlle-Corre, La direction du Trésor, 1947-1967. L’État-banquier et la croissance, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1937 et M. Margairaz (dir.), François Bloch-Lainé, fonctionnaire, financier, citoyen. Journée d’étude tenue à Bercy le 25 février 2003, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/5340.

153 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2003, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1470.

154 Frédéric Turpin et Jacques Frémeaux (dir.), Pierre Mendès France et les outre-mers, Paris, Les Indes savantes, 2012.

155 Dès la conclusion de la 3e leçon, la question est clairement posée : « L’État dispose de moyens d’intervention qui lui permettent, par exemple, de développer les investissements ou les dépenses militaires ou les lois sociales. À lui de savoir exactement dans quel sens il veut s’orienter. C’est une question préalable et de nature politique. »

156 Citation extraite de la 17e leçon.

157 Cf. Hugues Tertrais, La piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine, 1945-1954, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, consultable en ligne https://books.openedition.org/igpde/3310.

158 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 19 octobre 1950, p. 7002.

159 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 22 novembre 1950, p. 8045.

160 Journal officiel de la République française, Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 30 décembre 1951, p. 10216.

161 Jean Bouvier, « L’investissement et son financement en France, 1946-1952 », dans J. Bouvier, L’historien sur son métier. Études économiques, xixe-xxe siècle, Paris, Éd. des Archives contemporaines, 1989 (1re éd. 1981), p. 431‑458, p. 449‑450 pour la citation. Bouvier, dans ce texte subtil, insiste : « Il n’est donc pas question de sacraliser l’investissement public de l’après-Libération, ni de lui prêter plus qu’il ne voulait (et ne pouvait) lui-même donner » (p. 435).

162 François Bloch-Lainé, J. Bouvier, La France restaurée, 1944-1954. Dialogue sur le choix d’une modernisation, Paris, Fayard, 1986, p. 7.

163 Ibid., p. 11.

164 Il est d’ailleurs une figure centrale des deux excellents livres écrits par des historiens américains sur le sujet. Cf. Philip G. Nord, Le New Deal français, Paris, Perrin, 2016 (1re éd. en anglais 2010) et Herrick Chapman, La longue reconstruction de la France. À la recherche de la République moderne, Paris, Presses de Sciences Po, 2021 (1re éd. en anglais 2018).

165 Cf. sur ce point, en plus des biographies citées au début de cette présentation : Jacques Wolff, « Pierre Mendès France, une politique économique, 1953-1955 », Les Cahiers de l’Institut d’histoire du temps présent, n° 1, 1985, p. 1‑88.

166 P. Mendès France, « Une planification démocratique », La Nef, cahier n° 6, « Les formes nouvelles de la démocratie », avril-juin 1961, p. 81‑83. Cf. Gérard Pogorel, « Le Plan dans le débat politique français, 1946-1965 », dans H. Rousso (dir.), De Monnet à Massé. Enjeux politiques et objectifs économiques dans le cadre des quatre premiers Plans, 1946-1965, Paris, CNRS Éd., 1986, p. 133‑195. Mendès France se distingue alors de la planification telle qu’elle est comprise par le général de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 ; on se permet de renvoyer à A. Chatriot, « Le progrès social et la solidarité », dans Robert Frank et É. Roussel (dir.), Deux passions françaises. Pierre Mendès France et Charles de Gaulle, Paris, CNRS Éd., 2014, p. 213‑237.


Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.