Les transports marchands au XVIIIe siècle entre régulation et réglementation
p. 135-149
Texte intégral
1C’est dans ces termes que Nicolas Bergasse définit la concurrence pour faire valoir les intérêts des négociants lyonnais face aux prétentions des messageries jugées exorbitantes assimilées à des velléités monopolistiques. Cette réflexion sur la concurrence et son rôle dans la structuration des marchés des transports, qui s’exprime à l’occasion d’un vif contentieux opposant les milieux marchands et les commissionnaires-chargeurs aux messageries royales, rend compte d’une rivalité en termes de prix et de différenciation de qualité de service.
2Si le terme de « concurrence » devient d’un emploi plus fréquent dans la seconde moitié du xviiie siècle à l’occasion des litiges relatifs à l’organisation des transports marchands, celui de « marché » reste assez rare à propos de ce secteur d’activité. Le terme de « marché », qui recouvre alors une pluralité de significations, désigne à la fois un contrat (y compris dans le cas des marchés de transport), un prix auquel est négociée une marchandise ou a fortiori un service et un lieu physique de transactions marchandes ; le marché devient aussi au cours du xviiie siècle la représentation abstraite de l’ensemble des transactions portant sur un bien ou un service, et de la confrontation de l’ensemble des demandes et des offres. Cependant, à cette époque, outre le fait que les auteurs d’économie politique sont peu nombreux à envisager le secteur des transports et son rôle dans l’activation de la circulation marchande, celui-ci n’est pas véritablement pensé en termes de marchés.
3Si l’aménagement des infrastructures relève en grande partie de l’autorité de l’État, l’administration des voies de communication est largement dissociée des activités de service. Dans cette contribution, il s’agit de saisir le rôle de l’État dans la structuration du marché des transports pour construire et ordonner la concurrence entre des services de transport en principe complémentaires dans un contexte marqué par la croissance des circulations marchandes et un élargissement des aires de chalandise. De plus en plus, l’État va s’attacher à promouvoir une concurrence sur le marché plutôt qu’une concurrence pour le marché par l’attribution de positions de monopole. Après avoir envisagé les formes d’encadrement institutionnel du secteur de services de transports, nous nous intéresserons aux formes d’intervention diverses de l’État, puis au rôle de l’État dans la reconfiguration des positions sur le marché des transports avec l’ouverture à la concurrence.
I. Le marché des transports : entre concurrence et monopoles
4Le secteur des transports apparaît sous l’Ancien Régime comme extrêmement segmenté, qu’on l’envisage sous l’angle des modes de déplacement, des types de trafics (selon qu’il s’agit de transports civils ou militaires, ou de l’acheminement du courrier, des voyageurs et du fret) ou encore des espaces de circulation (les circulations urbaines présentent une organisation spécifique par rapport aux transports interrégionaux). Concernant plus spécifiquement les transports marchands, où il est beaucoup plus difficile de saisir les entreprises industrielles ou commerciales qui disposent de leurs propres chevaux et véhicules, nous ne nous intéresserons donc ici qu’aux transports exécutés pour compte d’autrui. Tandis que le transport des petits paquets par la route comme par la voie d’eau de même que certaines liaisons localisées relèvent de services auxquels sont reconnus des privilèges exclusifs, le roulage et la batellerie fonctionnent très largement sur le régime de la liberté au sens de concurrence. Et l’offre potentielle de voituriers disponibles contribue en outre à stimuler la concurrence, tout au moins pour les expéditions par la route.
A. L’État et les opérateurs de transport privilégiés
5Comme un grand nombre d’activités de production et d’échange sous l’Ancien Régime, les transports marchands sont structurés par des privilèges qui définissent une dérogation au droit commun de la liberté et qui prévoient généralement l’exclusivité d’un opérateur.
6Outre l’acheminement des voyageurs et de leurs bagages, les messageries, les coches et les diligences assurent par eau comme par terre l’expédition de colis d’un poids inférieur à 50 Lp (soit 25 kg)2. C’est dans les dernières décennies du xviie siècle que se précisent les contours du monopole des messageries récemment rattachées à la Ferme des postes. Le règlement du 25 juin 1678 permet a priori aux messageries et aux rouliers de transporter concurremment des marchandises et des métaux précieux. Un premier arrêt, en date du 8 août 1681, va défendre aux rouliers de transporter des personnes, de prendre en charge des ballots d’un poids supérieur à 50 Lp et d’agréger des colis pour composer des ballots plus lourds. L’arrêt du Conseil du 24 janvier 1684, dont les principales dispositions sont reprises en 1701, réserve aux rouliers le transport du fret d’un poids supérieur à 50 Lp, à condition qu’ils utilisent leurs propres chevaux, qu’ils ne fixent pas de départs réguliers et qu’ils ne disposent pas de bureaux et d’entrepôts propres3. Par ailleurs, il est interdit aux voituriers de transporter du courrier fermé et de prendre en charge des passagers sans permission expresse des messageries. Outre le monopole exercé par la Ferme des messageries sur certains itinéraires, il existe des services localisés de coches et de diligences par terre et par eau, concédés par lettres patentes, qui peuvent assurer le transport de petits ballots de marchandises sur un axe donné. Sur certains cours d’eau, des communautés de voituriers disposent également de l’exclusivité de dessertes. Sur la Somme, les gribanniers détiennent jusqu’en 1724 le monopole du fret transporté en provenance et en direction du port de Saint-Valéry4. Les maîtres bélandriers de Dunkerque et de Condé, chargés de prêter assistance aux navires marchands exposés à un risque de naufrage sur les rivages du Nord, disposent également de privilèges de navigation sur les canaux du Nord de la France5.
7Envisagé du côté de la puissance publique, le privilège est concédé en contrepartie d’une offre de service qui suppose de lourds investissements (composition d’un parc de véhicules, achat et entretien de chevaux notamment). Il est à comprendre comme une récompense pour un entrepreneur qui, en créant un service de coches ou de diligences, contribue au bien-être des sujets en leur offrant une « commodité » utile sinon nécessaire. Le privilège, accordé pour une durée déterminée et susceptible d’être prorogé, constitue une ressource institutionnelle et un levier juridique utilisés par la monarchie pour encourager des entreprises coûteuses et garantir leur rentabilité. Pour que le privilège ne soit pas considéré comme une préférence arbitraire, le roi est en droit de s’assurer de la réalité du service rendu en exigeant en contrepartie une garantie de service, inscrite dans les lettres patentes qui délivrent le privilège. L’État s’attache ainsi à déterminer les caractéristiques de la prestation de transport, en spécifiant l’itinéraire desservi, les horaires, la fréquence des dessertes et la tarification des courses.
B. Liberté et concurrence des transports marchands
8Pour le fret volumineux, les transports marchands opérés par terre comme par eau fonctionnent très largement sur le régime de liberté et de concurrence.
9En matière d’organisation du travail, l’État ne légifère pas sur l’entrée dans la profession de roulier ou de marinier. S’il était difficile de s’improviser batelier, le roulage en revanche pouvait être exercé par quiconque possédait un animal de trait ou une charrette. Des voituriers occasionnels et saisonniers, notamment quand les travaux des champs se ralentissaient ou dans les contrées où l’agriculture était insuffisamment rémunératrice, contribuaient ainsi à aviver la concurrence dans les transports marchands. Leur nombre semble avoir augmenté au cours du xviiie siècle : « Les rouliers se sont multipliés et leur concurrence a établi un prix très modéré dans les transports6. » Il reste toutefois très difficile d’estimer le nombre de voituriers à l’échelle du royaume dans la mesure où ils n’étaient pas soumis à un enregistrement. Certains auteurs se hasardent à avancer le chiffre oscillant entre 16 000 et 20 000 voitures en circulation7. Tout au plus peut-on estimer que les « deux tiers au moins des transports par rouliers se font avec des chevaux ou voitures, qui appartiennent à des cultivateurs, propriétaires ou fermiers, qui ne sont en route que lorsque la culture des terres leur en laisse le loisir8 ». Les variations saisonnières dans cette offre de transporteurs ont une incidence sur les fluctuations des prix de transport.
10Les milieux marchands, résolus à bénéficier des prix de transport les plus intéressants, sont fermement attachés à des négociations de gré à gré avec un transporteur de leur choix ou un commissionnaire susceptible de faire jouer la concurrence entre plusieurs voituriers. Quand les marchés de voiture ne sont pas contractés directement entre un expéditeur et un voiturier, c’est en effet un commissionnaire qui se charge de trouver pour le compte de leurs mandataires des transporteurs en quête d’un chargement ou d’un complément de cargaison. Ces commissionnaires assurent des fonctions logistiques essentielles à l’organisation des transports, en réalisant des opérations de groupage (de plusieurs envois pour une même ville), en supervisant le chargement, l’expédition ou la réexpédition des marchandises, et en établissant les itinéraires d’acheminement. Il leur revient aussi de constater le poids des expéditions au départ, de fixer le prix de voiture et de vérifier l’état des marchandises à l’arrivée9. Tout au long du xviiie siècle, les marchands, avec l’appui des chambres de commerce et du bureau de commerce, ont fait front contre les tentatives d’imposer des privilèges sur le roulage et sur l’entrepôt de marchandises. Outre les soumissions de François Rochefort en 1723 puis de Jean-François Ricard en 1751 contre lesquels se sont mobilisés les milieux marchands10, d’autres projets moins connus, tels que la demande de privilège exclusif portée par MM. Billon et Antoine Jullien sur les expéditions marchandes de Marseille à destination d’autres villes dans le royaume ou à l’étranger, ou encore celle d’Armand Aubergy père et fils, négociants à Marseille désireux de disposer d’un privilège exclusif d’entrepôt en échange de l’entretien d’équipage de transporteurs11. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le roulage et le transport fluvial vont cependant continuer à fonctionner très largement sous le régime de la liberté12.
11La circulation des marchandises fonctionne donc au xviiie siècle sur un partage strict des prestations – fondées sur un critère de poids – assurées par des opérateurs qui en principe ne sont pas en situation de concurrence. Elle n’est censée s’exercer que dans le cadre des contrats que passent les marchands expéditeurs avec des voituriers ou avec des commissionnaires pour le transport par terre ou par eau des cargaisons les plus volumineuses. Les logiques d’acteurs ou d’entreprises, autant qu’on puisse les saisir, s’affranchissent toutefois des lignes de partage que le privilège est censé instaurer entre les prestations de transport. Plusieurs entrepreneurs exercent ainsi une activité de roulage en même temps qu’ils exploitent une ligne de messagerie ou de coche13. Cela invite à envisager de façon plus approfondie la manière dont se réalise concrètement la construction socio-économique de la concurrence.
II. L’État et la régulation de la concurrence
12Soucieux de développer la circulation marchande, l’État va multiplier ses interventions à la fois pour réglementer l’usage des infrastructures qui relèvent de son autorité et dont le financement lui incombe et pour réguler les opérateurs du secteur des transports. C’est aux intendants qu’échoit de plus en plus la juridiction des routes et de la navigation au détriment des institutions traditionnelles. Toute une série de mesures réglementaires participent en outre à l’encadrement de la concurrence des différents opérateurs.
A. Équilibre modal et réglementation des usages
13Dans la mesure où les eaux navigables et les principales routes relèvent du domaine public, il revient à l’État de prendre en charge les infrastructures et d’en réglementer l’usage.
14C’est au cours du xviiie siècle que la monarchie va affirmer résolument ses prérogatives en matière de transports indispensables non seulement à la transmission des décisions royales et aux impératifs stratégiques, mais aussi au dynamisme des échanges et à l’intégration des marchés intérieurs. Après avoir fait porter d’abord son effort sur l’extension et l’amélioration des communications routières, la monarchie, à compter des années 1760, s’est attachée à développer la navigation fluviale qui assure alors une part significative des transports marchands14. Comme l’avait montré Bernard Lepetit, les chemins de terre et voies d’eau sont largement complémentaires, notamment sur de longs itinéraires : dans de nombreux cas, transports par eau et transports par terre sont exclusifs l’un de l’autre, de sorte que les espaces où ils sont en concurrence effective restent relativement circonscrits. La distribution de produits dans un rayon limité constitue par excellence le domaine des transports routiers qui présentent un pouvoir de pénétration plus fort que les cours d’eau15. Le choix entre l’un ou l’autre mode de transport est aussi fortement déterminé par la nature des produits : par eau circulent surtout des grains, des pondéreux, des matériaux de construction et des articles lourds… Pour les marchands, le temps de trajet, la sécurité de l’expédition et le prix de transport constituent des critères déterminants dans le choix qu’ils font pour l’expédition de leurs cargaisons. Il n’en reste pas moins que l’amélioration du réseau routier, la densification des dessertes réglées et l’offre potentielle de voituriers ont sans doute contribué à opérer le transfert d’une partie du trafic marchand au profit du roulage sur quelques axes et dans certaines directions. Face à cette concurrence accrue du roulage, et dont il importerait de mesurer l’ampleur, les bateliers vont répondre par des dispositions tarifaires. Pour soutenir la concurrence du roulage sur certaines marchandises, notamment à la remontée, les bateliers n’hésitent pas non plus à proposer des tarifs avantageux : « La voiture des marchandises qui sont transportées de Marseille à Lyon par les coches du Rhône, ce prix de voiture a toujours été réglé à 10 sols par quintal plus bas que celui des marchandises voiturées par rouliers16. » Face à la croissance des circulations routières, l’État se préoccupe aussi de ménager un équilibre relativement concurrentiel entre les deux modes de transport en impulsant des travaux d’aménagement en matière de navigations naturelles et artificielles.
15Avec l’accroissement des flux de voyageurs et de marchandises et l’accélération des trafics, la codification des circulations participe de cette politique des transports au xviiie siècle. Toute une série de dispositions réglementaires vont alors contribuer à discipliner les pratiques de roulage et à élaborer un ordre de la circulation justifié par les exigences impérieuses de l’intérêt général. Le terme de « police » en matière de roulage supposait l’intervention de l’État au nom de l’intérêt commun, pour conserver les chaussées, garantir la circulation sur les voies publiques et assurer la sécurité des transports. Tout au long du xviiie siècle, la monarchie, soucieuse d’économiser les infrastructures routières, s’est donc efforcée de définir les conditions de leur utilisation17. À l’époque, la police du roulage se distingue de la police des routes, qui a vocation à réprimer les stationnements gênants pour la fluidité du trafic, la circulation au milieu de la voie, le dépôt de matières encombrantes sur les chaussées, le vol de matériaux sur les chantiers routiers ou encore le prélèvement de terres ou de pierres sur les accotements. On retrouve d’ailleurs la même distinction pour la navigation fluviale entre le contrôle des circulations et la régulation des différents usages sui coexistent sur les cours d’eau. En matière de police du roulage, les mesures édictées à compter de 1724 visent à restreindre le nombre de bêtes composant l’attelage, agrandir la largeur des jantes et imposer l’immatriculation des voitures.
16À l’occasion de la mise en œuvre du règlement sur le roulage du 28 décembre 1783, est explicitement posée la question de la concurrence. C’est l’objet du troisième item du questionnaire adressé par le Contrôle général aux intendants, qui l’ont eux-mêmes transmis à leurs subdélégués : « S’il n’y a pas lieu d’attendre que la concurrence rétablisse incessamment les prix au pont où ils doivent se maintenir par la suite18 ». Des différentes réponses reçues par l’intendant du Hainaut se dégage un constat assez unanime de la part des subdélégués sur les difficultés potentielles de nombre de voituriers à supporter les coûts induits par la nouvelle législation. Son incidence sur l’offre de transporteurs et sur la conjoncture des prix de transport fait en revanche l’objet d’appréciations plus contrastées. Pour le subdélégué de Maubeuge, « la concurrence se trouvant gênée n’opérera pas de rabais dans le prix de transport, ces prix établis d’après de nouveaux calculs et de nouvelles spéculations que les dispositions de ces nouveaux règlements occasionneront, resteront et d’autant plus, que la concurrence diminuera par cette espèce d’entrave mise au commerce19 ». Celui de Givet estime de la même façon que plusieurs voituriers risquent à plus ou moins brève échéance de cesser leur activité. A contrario, le subdélégué de Cambrai estime que « le Cambrésis n’étant pas le centre d’un commerce considérable, il n’y a pas lieu d’attendre que la concurrence y changera le prix ordinaire des transports, qui à l’égard de cette petite province se font presque tous par les messageries, diligences et chariots publics, à l’exception des denrées que les fermiers eux-mêmes amènent des villages20 ». De la même façon, celui de Bouchain tend à minimiser les effets de la concurrence en raison des ententes entre les opérateurs pour la fixation des prix : « Dès que cette augmentation de prix sera une fois établie, on ne doit pas s’attendre qu’aucune concurrence puisse contribuer à la faire diminuer : les rouliers sont comme les bateliers, ils s’entendent ensemble et ne s’entrenuisent jamais21. »
17L’intervention de l’État, si elle se traduit par un souci croissant de ménager une concurrence équilibrée entre les modes de transport, s’exprime aussi à travers le règlement des litiges.
B. Le contentieux pour concurrence déloyale
18Au cours du xviiie siècle, la monarchie est amenée à déterminer les conditions de la concurrence des opérateurs en creux de l’attribution des monopoles, et à arbitrer entre les intérêts catégoriels des services de transport en principe complémentaires, mais de fait souvent concurrents22. Des juridictions locales ou spécialisées ont également pu être sollicitées pour trancher des litiges opposant différents opérateurs. La vicomté de l’eau de Rouen est ainsi saisie du contentieux qui oppose les voituriers de la Seine au duc de Luxembourg, propriétaire d’un privilège de navigation rapide entre Rouen et Paris23. De son côté, la Ferme générale des postes, à laquelle sont rattachées les messageries jusqu’en 1775, engage de nombreuses procédures pour préserver l’intégrité de leur privilège d’atteintes susceptibles de léser les fermiers et leurs sous-fermiers et de faire diminuer le prix des baux. Particulièrement vétilleuses pour défendre leur privilège, les messageries n’hésitent pas à engager des poursuites contre des voituriers transportant des ballots d’un poids inférieur à 50 Lp24. Une trentaine de contentieux opposant les messageries à des voituriers sont ainsi signalés dans le code voiturin entre 1678 et 174725. Sur les routes, la Ferme des messageries dispose de contrôleurs ambulants qui n’hésitent pas à arraisonner les voitures suspectes. Le cas de Jean Flachot, voiturier et marchand de Beaune, est exemplaire de cette vigilance des messageries à défendre leur privilège. En 1778, il est arrêté une première fois en infraction au privilège des messageries publiques. En juillet 1783, à l’issue de la perquisition de sa voiture, sont trouvés, parmi d’autres ballots d’un poids supérieur à 50 Lp, deux paquets, respectivement de 25 à 30 Lt et d’environ 20 Lp. Alors qu’il encourt une amende de 500 Lt, il se défend en arguant du fait que ces deux paquets n’auraient pas pu être confiés à la diligence de Beaune en raison de la faible valeur de leur contenu : il s’agit de hardes appartenant au frère de son domestique pour lui éviter à lui et à sa fille de les porter sur leur dos. Les messageries ne s’en laissent pas conter : elles ne se satisfont pas de l’argument du service rendu à un domestique qui ouvre la porte à toutes fraudes possibles. Elles rappellent en outre que Jean Flachot est doublement en infraction, pour avoir par ailleurs groupé 10 ballots de façon à composer une charge, alors que la réglementation interdit de faire un paquet à partir de plusieurs petits. Si les messageries incitent l’intendant à engager des poursuites contre le voiturier, on ne connaît malheureusement pas l’issue de la procédure.
19Par la réglementation comme par la régulation des usages, l’État joue donc un rôle essentiel dans l’organisation de la concurrence de façon à garantir un fonctionnement équilibré entre modes et opérateurs de transport. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, l’État va cependant affirmer sa préférence pour un régime concurrentiel susceptible de comprimer les prix de transport et de stimuler la circulation marchande.
III. L’ouverture à la concurrence sur des segments de marché
20Au xviiie siècle, l’État impulse toute une série de réformes visant à stimuler les transports marchands. Il s’attache d’abord, avec la création de la commission des péages en 1724, puis avec le projet de reculement des traites aux frontières du royaume, à réduire le poids des droits exigés sur la circulation marchande, accusés de renchérir les prix de transport, principalement pour le fret à longues distances. L’État va également s’efforcer, par une politique de mise en concurrence, de développer l’offre de transporteurs de façon à stimuler la circulation marchande.
A. Le courtage du roulage
21Tout au long du xviiie siècle, les messageries contestent les prétentions des commissionnaires de transport à l’exclusivité de la faculté d’entrepôt que leur reconnaît l’arrêt de 1684. La concurrence va se déplacer dans les dernières décennies du xviiie siècle sur la question du courtage, c’est-à-dire le fait de rechercher du fret et d’organiser la chaîne des transports marchands, qui constitue le cœur de l’activité des commissionnaires26.
22Entre août et décembre 1775, à l’initiative de Turgot, la monarchie décide la réunion au Domaine royal de « tous les privilèges concédés pour droit de messagerie et diligence » par terre comme par eau, et de les faire gérer en régie intéressée (attribuée à Denis Bergaut) dans l’attente d’une ouverture ultérieure à la concurrence27. La circulaire adressée aux intendants le 9 septembre 1775 justifie cette mesure par la volonté politique de donner « une nouvelle branche de revenu à l’État », mais aussi de procurer « plus de commodités aux voyageurs et plus de célérité aux opérations du commerce28 ». Après la suppression de cette régie en septembre 1776, la Ferme des messageries va se voir doter de prérogatives étendues. L’arrêt du Conseil du 17 août 1776 accorde en effet à la Ferme des messageries le privilège non exclusif du courtage (art. 9)29. Le tarif fixé ultérieurement par arrêt du 22 juin 1777, tout en confirmant les marchands dans la liberté de choisir leurs transporteurs (art. 4), prévoyait une commission de deux sous par livre sur le prix des transports, et réglait le tarif pour l’expédition des marchandises en provenance (1 s. 6 d. par quintal et par lieue de poste) ou à destination de Paris (2 sols par quintal et par lieue)30. En août 1781, la Ferme des messageries se voyait encore attribuer le privilège exclusif du transport routier et fluvial des marchandises admises en transit, c’est-à-dire les produits importés ou provenant des colonies qui « passent debout » pour l’étranger. Face à l’hostilité des négociants qui dénoncent une mesure tyrannique et attentatoire à la liberté du commerce, la monarchie dut revenir dès l’année suivante sur cette décision31. En août 1783, le fermier des messageries sous-loua le privilège non exclusif de courtage à une compagnie représentée par Jean-Baptiste Fanuel, prête-nom de MM. de Beaumont et Amavet32. Quel intérêt les messageries avaient-elles à faire valoir un privilège non exclusif sur le courtage du roulage ? Comme l’indiquent très justement les marchands de Tours, « un privilège non exclusif cesse d’être un privilège » dans la mesure où il s’agit d’un « droit dont tout individu jouissoit sans contradiction33 ». En fait, les messageries entendaient disputer aux commissionnaires de transport leur rôle dans la coordination de la chaîne de transport et dans les opérations d’affrètement (réceptionner et contrôler les marchandises, les entreposer, procéder aux démarches douanières et réexpédier les cargaisons).
23L’extension des prérogatives des messageries en matière de roulage dans les deux dernières décennies du xviiie siècle va immanquablement mobiliser les milieux marchands contre une concurrence qu’ils jugent déloyale et dénoncée comme un abus de position dominante de la part d’opérateurs privilégiés34. Les mémoires qui sont alors adressés au Bureau de commerce contre les prétentions des messageries déploient alors toute une série d’arguments rhétoriques contre l’oppression du privilège pour dénoncer une mise en concurrence qui dans les faits se traduirait par un abus de position dominante. Alors que les messageries se prévalent de servir l’intérêt du commerce en offrant une meilleure garantie aux cargaisons transportées et en œuvrant à une uniformisation des prix de voiture, les marchands, par la voix de leurs représentants aux chambres de commerce, dénoncent quant à eux les préjudices économiques qui, à plus ou moins long terme, résulteraient de cette position dominante. Selon eux, la concurrence entre roulage et messagerie se trouverait nécessairement faussée dans la mesure où le monopole profiterait au fermier des messageries, qui pouvait se prévaloir d’une position dominante en termes de crédit et de réseau et qui disposait de moyens bien supérieurs à ceux de ses rivaux35. Le privilège non exclusif, qui en droit consacrait une ouverture à la concurrence, ne tarderait pas selon eux à s’apparenter à un monopole dans les faits et à mettre sous sa coupe tous les transports, dans la mesure où les messageries pourraient s’appuyer sur un réseau à la fois technique et logistique et sur le concours des maîtres de poste. Selon les marchands expéditeurs et leurs agents, l’empire des messageries sur l’économie du fret ne pourrait qu’entraîner un renchérissement des prix de transport et le ralentissement des expéditions36. Alors que les différentes pétitions adressées au Bureau de commerce mettent en avant le chômage qui menacerait un grand nombre de modestes voituriers, ce sont en fait les commissionnaires de transport qui avaient le plus à pâtir de cette ouverture à la concurrence, dans la mesure où les bureaux de roulage étaient censés assurer une fonction de groupage des marchandises, afin d’utiliser au mieux les capacités de transport des véhicules et d’organiser les expéditions en jouant sur la complémentarité de flux hétérogènes. Face aux inquiétudes des milieux marchands, la monarchie, soucieuse de ne pas briser la croissance de la circulation, décide finalement, par l’arrêt du Conseil du 5 mai 1784, de ménager une saine concurrence entre les messageries autorisées à se livrer au courtage et à l’entrepôt et les commissionnaires enregistrés au greffe du siège de la police le plus proche de leur lieu de domicile en les autorisant à disposer d’entrepôts37.
B. La remise en cause des privilèges
24Dans la seconde moitié du xviiie siècle, les privilèges exclusifs, et parmi eux ceux liés au transport, font l’objet de vives critiques notamment de la part des marchands et des commissionnaires. Elles sont aussi le fait de ceux qui réclament de telles concessions, comme les porteurs du plan de « Régie de courtage du roulage » élaboré à la fin de l’Ancien Régime, pour justifier l’utilité et la nouveauté de leur soumission : « que la perpétuité des privilèges peut seule nuire à l’industrie, tandis que des faveurs temporaires à des établissemens avantageux, et aux inventeurs de découvertes utiles au commerce ou à la société, développent et encouragent les talens, qu’il est également juste et politique d’indemniser, de récompenser et d’animer38 ».
25Les prérogatives de communautés de voituriers sur les rivières du nord du royaume sont progressivement rognées au cours du xviiie siècle. On a vu qu’en 1724, les gribanniers ont perdu une partie de leur monopole, la monarchie ayant supprimé le tour de rôle et autorisé les marchands à négocier avec les bateliers de leur choix pour le transport de leurs marchandises entre Saint-Valéry et les autres ports de la Somme. Cette disposition fut confirmée tout au long du xviiie siècle par l’intendant. Les plaintes récurrentes des marchands contre le « joug » des gribanniers de Saint-Valéry et leurs prétentions jugées exorbitantes en matière de tarification de leurs prestations réclament la suppression de cette « corporation » et l’ouverture de la rivière de Somme à la libre navigation39. Quant au privilège des bélandriers de Dunkerque, supprimé en 1775, il est finalement rétabli en 178140. Lorsqu’il fut à nouveau remis en cause en 1791, les bélandriers vont rédiger un long mémoire pour faire valoir leur ancienneté et leur utilité41.
26La Révolution ne fait que consacrer plus largement la remise en cause des privilèges de transport en sanctionnant l’ouverture à la concurrence du transport des voyageurs et petits colis, avec la suppression du monopole des messageries par le décret du 29 août 1790 : « Tout particulier pourra voyager, conduire ou faire conduire librement les voyageurs, ballots, paquets, marchandises de la manière dont les voyageurs, les expéditionnaires et voituriers conviendront entre eux42. » Tout au plus les nouveaux opérateurs doivent-ils s’enregistrer au greffe de la municipalité du lieu de leur domicile. Symétriquement, les messageries conservent le monopole de la régularité des services pour le transport des voyageurs avec des départs à jour et heure fixes, et peuvent seules exploiter des relais. Il faut attendre la loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797) qui supprime la régie des Messageries nationales, pour que ce service s’ouvre pleinement à la libre entreprise. Désormais, tout particulier peut conduire ou faire conduire librement des voyageurs et des ballots. L’État impose toutefois un droit s’élevant à un dixième du prix des places pour l’exploitation de voitures à horaires réglés, et une patente pour les autres services. Il resterait toutefois à apprécier les effets de cette libéralisation sur la structure de l’offre de transporteurs et sur la formation des prix de transport.
27En conclusion, la concurrence revêt différentes formes dans le secteur des transports marchands au xviiie siècle. Il existe d’abord une concurrence modale entre les bateliers et les rouliers, même si la voie d’eau et la route ne sont pas totalement substituables. L’État va s’efforcer de ménager une concurrence équilibrée entre les deux modes de transport, notamment pour limiter le coût de l’entretien du réseau routier. Par eau comme par terre, la concurrence s’exerce également moins pour le marché que dans le marché entre différents opérateurs de transport qui peuvent être présents simultanément sur le même segment ou pour des prestations similaires. Alors que les entrepreneurs de services privilégiés dénoncent les atteintes auxquelles se livreraient certains voituriers, les milieux marchands se récrient contre la concurrence que les messageries prétendent exercer sur le roulage dans les deux dernières décennies du xviiie siècle. La régulation de la concurrence par l’État prend alors des formes diverses : un contrôle administratif des monopoles, des procédures judiciaires, des dispositions réglementaires… En fonction des intérêts des acteurs concernés, ce sont par ailleurs des modalités et des finalités différentes de la concurrence qui s’expriment. Pour les autorités, la concurrence est conçue principalement comme le meilleur moyen de comprimer les prix des transports marchands et plus largement comme une structure de marché permettant a priori de servir au mieux les objectifs de croissance économique. Pour les milieux marchands, le terme sert à défendre une configuration menacée par une compétition inégale et un risque d’abus de position dominante. Et alors que la concurrence et le privilège, généralement assorti d’un monopole, constituent deux régimes structurants de l’organisation du secteur des transports sous l’Ancien Régime, l’État va dans la seconde moitié du xviiie siècle affirmer sa préférence pour la première sur le second.
Notes de bas de page
2 Aux messageries incombe également le transport des métaux précieux et l’expédition des pièces de procédure.
3 AN, F12 1510B. Cet arrêt fut confirmé par les arrêts du Conseil des 12 juillet 1701 et 27 août 1703.
4 Archives départementales (désormais AD) de la Somme 1C 1386. Arrêt du Conseil, 1er février 1724. Cf. Christian Schnakenbourg, Communautés de métiers contre liberté économique à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple des gribanniers de la Somme, Paris, PUF, 1976 ; Christophe Cloquier, « Les gribanniers de la Somme : monopole et embargo d’une communauté sur le transport fluvial durant les xviie et xviiie siècles », dans Henri Bresc (dir.), Réseaux politiques et économiques, Paris, Éd. du CTHS, 2016, p. 82‑96.
5 Léon Nosten, « Nos anciennes corporations. La corporation des bélandriers », Bulletin de l’Union Faulconnier, t. V, 1902, p. 378‑419.
6 AN, F12 1510, Avis des députés du commerce sur la requête de Sr et dame Veuve Glot et fils, des srs Abraham, Roncery, Hemery, le Chesne et Petra commissionnaires de rouliers demeurans à Paris ; des Srs Godarts et Germon demeurant à Versailles ; du Sr Gauthier le je[une] demeurant à Saint-Denis, des srs Gauthier frères demeurant à la Villette tous aussi commissionnaires de rouliers.
7 AN, T/161/18. Observations à mettre sous les yeux de la compagnie du courtage du roulage de France. « Sous le ministère, et par ordre de M. de Laverdy, il fut procédé au dénombrement des voitures en mouvement dans le royaume. On reconnut par des relevés faits avec soins qu’il y en avoit vingt mille. Sous le ministère de M. de Necker, ces relevés furent encore ordonnés, et le nombre des voitures ne fut porté qu’à seize mille. »
8 AN, AF/III/145B.
9 Jacqueline Roubert, « Essai sur les transporteurs de marchandises en relation avec le commerce lyonnais au xviiie siècle », Actes du 92e congrès national des sociétés savantes, 1967, p. 114.
10 Anne Conchon, « Privilèges et concurrence dans le transport de marchandises en France au xviiie siècle », dans G. Garner (dir.), Die Ökonomie des Privilegs, Westeuropa 16.-19.Jh./L’économie du privilège, Europe occidentale xvie-xixe siècle, Colloque de Francfort-sur-le-Main, 30 juin-2 juillet 2011, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 2016, p. 397‑416.
11 AD Bouches-du-Rhône, C 3967, Mémoire, septembre 1766 ; Lettre de Bertin, 26 février 1769.
12 AN, F12 1510B, Lettre de M. Godinot de Lyon, 18 avril 1785.
13 Cf. Françoise Vignier, « Diligences et coches de la Saône de Lyon à Auxonne à la fin de l’Ancien Régime », Actes du 50e congrès de l’Association bourguignonne des sociétés savantes, Mâcon, 1979, t. II, p. 159‑168 ; Denis Woronoff, « Un entrepreneur d’ancien type en Révolution : le bourguignon Jean-Baptiste Bureau », Histoire, économie & société, vol. 12, n° 1, 1993, p. 63‑76.
14 Eric Szulman, La navigation intérieure sous l’Ancien Régime. Naissance d’une politique publique, Rennes, PUR, 2014.
15 Bernard Lepetit, Chemins de terre et voies d’eau. Réseaux de transports et organisation de l’espace en France, 1740-1840, Paris, Éd. de l’EHESS, 1984.
16 AN, F12 1510, Mémoire sur le roulage, Charles Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle. Contribution à l’étude des économies maritimes, Marseille, Institut historique de Provence, 1973.
17 Roger Lévêque, « La police du roulage avant l’automobile », thèse sous la direction de Jean Tulard, EPHE, 1995 ; A. Conchon « Policer les circulations en France au xviiie siècle », dans A. Conchon, Laurence Montel et Céline Regnard (dir.), Policer les mobilités. Europe – États-Unis, xviiie-xxie siècle, Paris, Éd. de la Sorbonne, 2018, p. 15‑30.
18 AD Nord, C 91115, Questionnaire du Contrôle général des finances transmis par l’intendant du Hainaut à ses subdélégués, 26 novembre 1783.
19 AD Nord, C 9115, Réponse de M. Hennel, subdélégué à Maubeuge, à l’intendant du Hainaut, 3 décembre 1783.
20 AD Nord, C 9115, Réponse de M. Gillaboz, 6 décembre 1783.
21 AD Nord, C 9115, Réponse de M. de Haute de Lassus, 14 décembre 1783.
22 A. Conchon, « Privilèges et concurrence… », art. cité.
23 AD Seine-Maritime, 6BP185, Mémoire que les voituriers par eau de Rouen à pars ont l’honneur de présenter sous son authorité à Mgr le procureur général du Parlement de Rouen (1742). Les actes relatifs à la concession et à la confirmation du privilège du duc de Luxembourg sont conservés aux AN, X1a 8727, 14 mars 1723 et AN, E 2731, 5 avril 1781.
24 AN, V7 406‑410. Les mémoires adressés au Bureau de commerce signalent plusieurs de ces contentieux. AD Côte d’Or, C 352, Requête de Jean Flachot et mémoire (des messageries), août 1783. Des sentences sont aussi conservées aux AD de Loire Atlantique (C 634).
25 Code voiturin ou recueil des édits, déclarations, lettres patentes, arrests et reglements concernant les fonctions, droits, privilèges […] des messagers royaux […] et autres voituriers publics, Paris, Impr. de Prault, 1763, 2 vol.
26 Cf. AN, 1509-15101‑2. J. Letaconnoux, « Les transports intérieurs en France au xviiie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 11, n° 2, 1908, p. 110‑111 ; C. Carrière, Négociants marseillais au xviiie siècle, op. cit., p. 672‑673.
27 Dominique Margairaz, « L’invention du “service public” : entre “changement matériel” et “contrainte de nommer” », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 52, n° 3, 2005, p. 10‑32.
28 Oeuvres de Turgot et documents le concernant, t. IV avec biographie et notes par Gustave Schelle, Paris, Librairie Félix Alcan, 1922, p. 390.
29 AN, F12 1510.
30 AN, E 3554, Arrêt réglant les conditions dans lesquelles le fermier des messageries fera exploiter à son profit le courtage non exclusif du roulage dans toute l’étendue du royaume, 22 juin 1777.
31 AN, AD IX 458. Cf. Léon Blin, « Le transit en France au xviiie siècle et le privilège exclusif de 1781 », L’information historique, 1973, p. 203‑209.
32 AN, MC et LXXXVI (A.-P.-J. Alleaume) 829. Bail (30 août 1783) pour sept ans et trois mois de l’hôtel du roulage situé rue de Boulloi en face de la douane (pour 15 000 L par an) et du privilège non exclusif du courtage des rouliers (à raison de 60 000 Lt par an). À ce titre, la compagnie Fanuel se voit reconnaître grâce au droit d’entrepôt exclusif la possibilité d’établir des magasins à travers le royaume. À la fin de son bail, elle serait simplement tenue de remettre un état de tous ces entrepôts ou bureaux de roulage. Il lui est en revanche interdit de transporter des voyageurs et des marchandises d’un poids inférieur à 50 Lp, ces deux monopoles étant conservés par les messageries (art. 3).
33 AN, F12 1510, Lettre du Corps municipal et des marchands de Tours au Contrôleur général, 1784.
34 AN, F12 1510, Mémoire pour la chambre du commerce de Picardie contre les entreprises du fermier des messageries, qui prétend exercer le privilège exclusif du roulage dans le royaume (s.d./1779) ; Représentations de la chambre de commerce de Picardie… (1784) ; Lettre du corps municipal et des marchands de Tours au Contrôleur général (1784) ; Mémoire des négociants et commissionnaires établis dans la ville de Limoges, sur les inconvénients qui résulteraient de l’exécution des arrêts des 17 août 1776 et 20 décembre 1783, concernant le privilège non exclusif du courtage du roulage et du privilège exclusif d’entrepôt ; Mémoire de la chambre de commerce de la ville de Lyon (s.d./1778 ?) ; Mémoire des négociants de Troyes (s.d./1784).
35 AN, F12 1510, Mémoire sur le roulage de la France (s.d.).
36 AN, F12 1510, Tarif de comparaison pour les prix de voiture entre le bureau de roulage établi par la Ferme des messageries sous le nom de Roulage de France, et les prix communs de transport, tels qu’ils subsistent maintenant chez les commissionnaires de voitures.
37 C’est la raison pour laquelle François Malahu, agissant pour le compte de voituriers de Provence et du Languedoc, fut débouté de sa demande d’établir un bureau au faubourg de la Guillotière pour centraliser les lettres de voitures de toutes les marchandises transportées à Lyon depuis ces provinces méridionales et d’en assurer la livraison (1780). L’intendant émit un avis défavorable au motif qu’un tel bureau était contraire à la liberté du commerce et portait atteinte au privilège des messageries (AN, F12 1510).
38 AN, T 161/18.
39 AN, F12 1509, Mémoire pour le commerce de Picardie contre les bateliers de la rivière de Somme nommé gribanniers (s.d.).
40 L. Nosten, « Nos anciennes corporations… », art. cité, p. 406‑407.
41 Mémoire pour les bélandriers des ville, port et rade de Dunkerque, Demonville, 1791.
42 AN, E 1683/1/B, Décret relatif aux messageries et voitures publiques tant par eau que par terre, 6‑19 janvier 1791 ; Proclamation du roi pour le service des messageries, coches et voitures d’eau, 10 avril 1791 et Proclamation du roi servant de règlement pour le service des coches et voitures d’eau, 24 avril 1791, citées dans Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets arrêtés, sénatus-consultes, avis du Conseil d’État et règlements d’administration, Paris, Guyot et Scribe, 1834, t. III, p. 166‑168 et 350‑354 et t. VI, p. 331.
Auteur
Professeure d’histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’IDHE.S (UMR 8533), Anne Conchon est spécialiste de l’histoire économique et sociale de l’Ancien Régime et de la période révolutionnaire. Depuis la publication de son ouvrage sur Le péage en France au xviiie siècle. Les privilèges à l’épreuve de la réforme, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1141, elle poursuit ses recherches sur le financement des infrastructures. Son dernier ouvrage traite de la réquisition en travail pour assurer la construction et l’entretien des routes La corvée des grands chemins au xviiie siècle. Économie d’une institution, Rennes, PUR, 2016. Tout en continuant ses investigations dans les comptabilités de l’administration des ponts et chaussées, elle s’intéresse à l’économie des transports, notamment à travers les dynamiques de prix, les entreprises privilégiées et le rôle des commissionnaires-chargeurs.
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