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    Plan détaillé Texte intégral Introduction I. Entre réglementation et libéralisation du marché à l’exportation : les opinions éclairées des intendants de province II. Des remèdes aux maux : une libéralisation maîtrisée Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Concurrence et marchés

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    Les intendants de province et le marché des grains : considérations adressées à l’abbé Terray

    Anne-Sophie Condette-Marcant

    p. 39-79

    Note de l’auteur

    Cette modeste contribution, à la croisée de l’histoire économique et institutionnelle, illustre la nécessaire collaboration entre les administrateurs de province et le contrôleur général des finances pour tenter de réformer, par voie législative, la politique des grains au xviiie siècle. Elle nous donne l’occasion de rendre hommage à Monsieur le professeur Albert Rigaudière, homme de Saint-Flour, auteur de la thèse Saint-Flour, ville d’Auvergne au bas Moyen Âge. Étude d’histoire administrative et financière, Paris, PUF, 1982, aujourd’hui homme de la norme et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, et de lui témoigner l’assurance de notre profond respect et de notre vive reconnaissance. A. Rigaudière, « La Haute-Auvergne face à l’agriculture nouvelle au xviiie siècle », dans A. Rigaudière, Evelyne Zylberman et René Mantel, Études d’histoire économique rurale au xviiie siècle, Paris, PUF, 1965, p. 1‑104 ; Corinne Leveleux-Teixeira, Anne Rousselet-Pimont, Pierre Bonin et Florent Garnier (dir.), Normes et normativité. Études d’histoire du droit rassemblées en l’honneur d’Albert Rigaudière, Paris, Economica, 2009.

    Texte intégral Introduction I. Entre réglementation et libéralisation du marché à l’exportation : les opinions éclairées des intendants de province A. Des réactions antilibérales B. Des velléités pro-libérales C. Des commissaires royaux circonspects II. Des remèdes aux maux : une libéralisation maîtrisée A. Du « bon prix » au « prix commun » B. La voie de la taxation Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Introduction

    1Les idées des physiocrates qui dominent en France2 à partir de la seconde moitié du xviiie siècle peuvent être synthétisées par cette formule : « Toute la politique part d’un grain de blé3. » La doctrine de François Quesnay4, chef de file de l’École, reprise par ses principaux disciples, Dupont de Nemours5 et Mirabeau6, fonde en effet le développement économique du royaume sur l’agriculture. Les tenants du « gouvernement de la nature » demandent en substance de rompre avec la police traditionnelle des grains7. Il ne s’agit plus désormais de strictement réglementer les marchés, de surveiller les échanges et d’interdire la sortie des blés ; il est question au contraire de libérer la grande agriculture et d’encourager celle-ci pour obtenir « un bon prix ». Les idées libérales de cette « secte d’économistes » impliquent, pour le commerce extérieur, la mise en concurrence des nations8 par la libéralisation des échanges et insinuent, pour le commerce intérieur, un enrichissement des producteurs par l’ouverture des marchés9. Le « laissez faire, laissez passer » de Vincent de Gournay, doit donc s’appliquer au secteur céréalier, étant entendu que les consommateurs ne sont pas oubliés dans ce dispositif, car il est indispensable que la masse des sujets soit nourrie de bons aliments pour soutenir le prix des denrées et le revenu des biens10. À terme, c’est la fortune de la France qui est recherchée11.

    2Les théories des physiocrates constituant une réponse à la dépréciation du grain constatée depuis 176012, le contrôleur général des finances Henri ­Bertin13, acquis à leur cause, favorise la circulation des grains dans l’intérieur du royaume en affranchissant l’Administration des subsistances de la plupart des règlements restrictifs14. La déclaration du 25 mai 176315 accorde ainsi aux grains « La liberté de circuler d’une province à l’autre sans passeport ni autorisation spéciale16. » En 1764, sous le ministère de François de L’Averdy17, un édit du mois de juillet constitue une autre application éclatante des principes de la physiocratie. Le roi écoute les « vœux adressés de toutes parts pour établir la plus grande liberté dans le commerce des grains » et autorise la libre « sortie et entrée des grains dans le royaume », afin « d’animer et étendre la culture des terres dont le produit est la source la plus réelle et la plus sûre des richesses d’un État18 ». Même si cette loi prévoit des garde-fous en instaurant un mécanisme de suspension automatique des exportations lorsque les prix seraient trop élevés19, la doctrine physiocratique triomphe pleinement, « excitant un enthousiasme presque universel20 », fédérant autour d’elle les ministres et bon nombre de parlements21.

    3Mais cinq ans plus tard, après avoir connu faveurs et engouements, la politique libérale est rudement mise à l’épreuve. Économiquement, les récoltes sont mauvaises depuis 1766 et les grains, par leur rareté, atteignent des prix exorbitants22. En 1769, malgré des renseignements optimistes23, les moissons sont encore insuffisantes à assurer la subsistance des provinces et les disettes ne peuvent être évitées dans un certain nombre de circonscriptions administratives et judiciaires. Socialement, des troubles éclatent, le spectre de la famine et la hausse incessante du prix des denrées entraînent des émeutes. Une vague antilibérale déferle de la Normandie à l’Alsace, submergeant la région parisienne et le Centre, la Bourgogne et la Franche-Comté pour s’abîmer dans les régions du Sud-Ouest24. Le peuple incrimine la politique royale25, il considère qu’elle favorise les monopoles et la spéculation : des accapareurs retiendraient par-devers eux les denrées, contribuant à l’augmentation immodérée des prix pour mieux s’enrichir ensuite. La France résonne sous les accusations de « pacte de famine26 ». De la même façon, une idée reçue consiste à affirmer que les blés quittent le sol français pour être vendus à l’étranger, affamant toujours davantage les miséreux pour le plus grand profit de ceux qui font acte de commerce. Les scènes de pillage se multiplient et la foule s’en prend physiquement aux convois, aux marchands puis aux laboureurs, entraînant un climat d’insécurité. Devant cette agitation, les parlements se mobilisent et prennent des mesures pour empêcher que les grains ne quittent leurs ressorts27. Les cours de justice multiplient les arrêts, se substituant, voire s’opposant à la politique royale28.

    4Face à la tourmente, l’abbé Terray tient bon. Nommé contrôleur général des finances en décembre 176929, ce ministre jouit d’une fâcheuse réputation30 et on le sait sceptique quant aux orientations prises en 1764. Chargé de soutenir comme rapporteur l’édit de 1764, on lui attribue ce mot : « Essayons-en ; si comme il y a tout lieu de le craindre l’expérience prouve les inconvénients de cette nouvelle législation, on reviendra aux anciennes lois31. » Aussi, lorsqu’il s’occupe en personne de la question des subsistances32, chacun s’attend à un revirement dans la politique des grains. De fait, il revient sur la législation de ses prédécesseurs pour établir des mesures protectionnistes : il suspend officiellement les exportations par un arrêt du 14 juillet 177033 et instaure des mesures de police pour le marché intérieur des denrées céréalières par un règlement du 23 décembre 177034. L’heure est à la « délibéralisation ».

    5Si les dispositions du nouveau contrôleur général sont propres à rassurer le peuple35, à bien considérer les textes, il est visible que l’édit de 1764 n’a pas, dans le principe, été expressément abrogé. L’arrêt qui interdit la sortie des grains du royaume se contente de prendre acte de la cessation des exportations et affirme que « l’exportation n’en pourra recommencer que lorsqu’il plaira à Sa Majesté de l’ordonner36 ». Finalement, le contrôleur général, qui n’a jamais « pris aucune part active à la campagne antilibérale37 », souhaite, dès 1771, être plus amplement informé de la situation des provinces38. Reprenant l’annonce faite précédemment, il précise que l’exportation pourrait être rétablie quand Sa Majesté « seroit assurée qu’il existeroit dans le royaume une quantité de grains suffisante pour fournir la subsistance de ses sujets pendant deux années39 » et suggère qu’il « peut être intéressant de rendre les intentions de Sa Majesté publiques relativement à l’exportation40 ». Bien qu’il ne fixe aucun calendrier et ne fasse aucune promesse pour une prochaine ouverture du marché à l’exportation, il donne corps au projet en entretenant une correspondance avec les intendants41, requérant d’eux qu’ils lui « procurent les connaissances locales nécessaires42 ». L’une de ses préoccupations consiste à fixer dès à présent, pour l’ensemble du royaume, un prix au-delà duquel les exportations seraient arrêtées et, a fortiori, en deçà duquel elles seraient permises, reprenant dans son principe le même mécanisme de régulation des échanges qu’en 176443. Le ministre des Finances, par une politique interventionniste, envisagerait donc de rétablir, quand la situation le permettrait, un marché extérieur des grains libre mais régulé, un marché qui s’inspire des idées des physiocrates pour les appliquer de manière plus dirigée. L’exportation étant le symbole dominant de la pensée libérale44, l’initiative de Terray suggère qu’il existe « une lueur d’espoir aux libéraux qui sont vaincus mais pas totalement écrasés45 » et ouvre un débat sur les orientations de la politique économique des années 1770.

    6Les commissaires départis en matière de justice, police et finances saisissent l’importance de la consultation ministérielle. Par conséquent, ils ne se contentent pas d’apporter une simple réponse arithmétique sur le prix des denrées céréalières ; ils adressent au service des finances de vastes considérations sur le marché des grains et prouvent, par leurs correspondances, leurs bonnes connaissances des idées des physiocrates et leurs regards critiques quant à leurs implications pratiques. Les réflexions des intendants de province adressées à l’abbé Terray permettent d’envisager le jugement porté par les commissaires royaux sur l’épineuse question de la liberté du marché extérieur et d’appréhender les mécanismes proposés pour restaurer un marché des subsistances plus prospère et équilibré.

    I. Entre réglementation et libéralisation du marché à l’exportation : les opinions éclairées des intendants de province

    7Le dossier tenu par Charles Brochet de Saint-Prest46 et conservé aux Archives nationales sous la cote F11 223 contient vingt-cinq réponses de commissaires départis, auxquelles il est possible d’ajouter les avis des intendants d’Amiens47 et de Limoges48 connus par ailleurs. À considérer le découpage administratif des généralités en 1771, il manque les avis des intendants de Bourges, de Châlons, de Corse, de Franche-Comté49, de Metz et de Poitiers. Malgré les lacunes, les correspondances échangées permettent d’avoir une idée précise de la réception des idées libérales dans tout le royaume. En effet, la politique des subsistances ne laisse pas les administrateurs royaux commis en province indifférents. Tous s’empressent de répondre50 au ministre des Finances et de prendre position sur la proposition ministérielle. Certes, peu exposent une véritable théorie économique, mais chacun motive son point de vue sur la législation à adopter. Par ailleurs, selon les vœux de l’abbé Terray, les intendants certifient avoir consulté les chambres de commerce51, les négociants52, les cultivateurs53, les maires et échevins et leurs subdélégués54 pour prendre la mesure de la situation et envisager la politique à suivre. Les observations des intendants, enrichies par la consultation élargie des notables de province, leur permettent de présenter un exposé éclairé de la question du marché des grains dans leurs circonscriptions.

    8En l’espèce, fort des échanges épistolaires, il est d’abord possible de distinguer de manière manichéenne55 deux groupes de pensée. D’une part, certains intendants affichent ostensiblement leur hostilité à l’égard du rétablissement des exportations. Ceux-ci entendent protéger le marché national, sinon les intérêts de leurs provinces, et souhaitent interdire à jamais les ventes de grains à l’étranger. Leurs convictions économiques sont sans aucun doute antilibérales. D’autre part, des commissaires du roi s’avèrent au contraire résolument optimistes et aspirent à la reprise du libre-échange. Ils constatent les bienfaits de la concurrence et de l’élargissement des marchés. Leurs attitudes témoignent de leur adhésion aux idées des physiocrates et de leur faveur pour un retour aux exportations. Mais, au-delà des inclinaisons des uns et des autres, il existe une réflexion commune : tous s’interrogent objectivement sur les causes de l’échec de la réforme L’Averdy et font preuve de circonspection.

    A. Des réactions antilibérales

    9S’il existe bon nombre de remarques critiques quant à l’application de l’édit de 176456, seuls trois intendants s’avèrent catégoriquement défavorables à l’intention de l’abbé Terray de reconsidérer la question des exportations. Il s’agit des intendants de Valenciennes (Louis Gabriel Taboureau des Réaux57), de Paris (Louis Jean Bertier de Sauvigny58) et de Montauban (Alexis François Joseph de Gourgues59). Bien qu’ils soient éloignés géographiquement les uns des autres, leurs écrits attestent d’une convergence d’idées vers une même conclusion : il ne faut ni légiférer pour permettre le rétablissement des exportations de grains, ni faire une annonce à la population pour informer celle-ci des orientations du gouvernement. Il reste que les commissaires départis adoptent une motivation qui leur est propre, tantôt en se fondant sur le contexte de crise, tantôt en prenant position contre les idées économiques libérales, tantôt enfin en remettant en cause l’interventionnisme étatique.

    10Ainsi, Louis Gabriel Taboureau des Réaux, commissaire départi aux confins nord du royaume, se montre pessimiste quant à l’annonce d’un retour possible aux exportations60. Son scepticisme est fondé sur la conjoncture de crise qui frappe sa généralité. À le lire, « la voie de l’exportation a fait grand tort dans cette province par la facilité de la sortie61 ». « Le peuple a connu son malheur et s’est toujours plaint de cette exportation qui le réduit à une extrême misère62. » Aussi, il craint que l’annonce du rétablissement des échanges extérieurs ne donne que « du découragement et de l’inquiétude63 ». Certes, il reconnaît que « ce n’est pas cette façon de penser populaire qui doit décider sur l’utilité de l’exportation » ; néanmoins, son appréhension est manifeste64. Il est vrai que la conjoncture du Hainaut est délicate. D’abord, cette province est exposée aux dérives attribuées à la politique libérale des années 1760, la spéculation et la hausse des prix y sont dénoncées65. Ensuite, la généralité de Valenciennes est concernée par le développement des exportations frauduleuses et l’intendant éprouve bien des difficultés à endiguer les fuites de grains à l’étranger66. Enfin, le voisinage avec les Pays-Bas autrichiens ne facilite pas l’approvisionnement de sa circonscription : ceux-ci ont fermé leurs frontières et le commissaire départi ne peut pas compter sur des importations pour venir en aide à la population confiée à son administration67. En l’absence de denrées disponibles et face à la détresse de ses administrés, Taboureau des Réaux avoue donc naturellement au ministre son ressentiment à l’égard de l’ouverture du marché extérieur.

    11L’intendant de Paris, Louis Jean Bertier de Sauvigny, le rejoint quelque peu en se retranchant également derrière des arguments tenant à la tranquillité publique. Selon ses termes, « la loy la plus absolue pour défendre toutes exportations ne seroit peut-être pas suffisante pour tranquilliser les esprits68 ». Il évoque dans sa lettre une « maladie », des « malheurs », de « mortes inquiétudes69 ». A priori, une fois encore, ce sont les émotions populaires qui motivent le refus de rétablir les exportations. Les troubles sociaux n’épargnent pas en effet la région parisienne70, les émeutes se multiplient et la sédition gronde. Cependant, au-delà des références à la misère du peuple et aux manifestations de violence de celui-ci, il est visible que Bertier de Sauvigny est viscéralement hostile au rétablissement de l’exportation des grains. Il peine à imaginer qu’il soit possible d’ouvrir de nouveau le marché, estimant que « ce moment est très éloigné71 ». Par ailleurs, sauf ordre contraire, il préfère garder le silence quant aux intentions de Terray72. Tout au plus, il songe à travestir la vérité et confier à un cercle restreint de « gens sages et discrets » que « l’exportation est défendue et le sera toujours à moins que la France ne regorge de bleds73 ». Enfin, il oppose une fin de non-recevoir à la requête du contrôleur général des finances tendant à fixer un prix pour réguler les exportations. Selon Bertier de Sauvigny, « je tranche net à cet égard et je pense qu’il ne doit être fixé aucun taux et qu’il seroit toujours illusoire celui qui voudra faire usage de l’exportation74 ». Son opinion est clairement résumée par cette formule : « Mon avis est donc Monsieur, sans entrer dans un plus long détail qui ne finiroit point, qu’il convient de faire des déffenses absolues et indéfinies de sortir les grains du royaume75. »

    12À Montauban, le commissaire départi Alexis François Joseph de Gourgues n’est pas aussi catégorique dans la forme76, mais sa longue lettre argumentée prouve qu’il est également opposé à la liberté des exportations, voire, de manière plus générale, défavorable à toute intervention législative pour réguler le marché des grains. Il dénonce très précisément les variations des textes normatifs77 et affirme « que la multiplicité des loix qui se contrarient mutuellement peut produire un mauvais effet parce que les peuples qui n’examinent pas le fond des choses sont toujours portés à croire qu’on ne se conduit pas d’après des principes fixes et déterminés78 ». Au-delà des revirements de politique, il considère par ailleurs que la loi n’est pas l’instrument idoine pour réguler le marché des subsistances. Le débat tend ici à se déplacer : ce n’est plus tant le retour de l’exportation et de l’ouverture des marchés qui est au centre de la réflexion, que l’interventionnisme étatique en la matière. Faut-il que le roi, conseillé par le contrôleur général des finances, légifère sur le marché à l’exportation pour tout le royaume ou faut-il statuer province par province et réglementer au cas par cas selon la conjoncture ? Pour de Gourgues, la conclusion est sans appel : « Le plus grand bien seroit de retirer l’édit de 1764 […] et ordonner, suivant que la situation de l’État exigera, des ordres particuliers pour ouvrir ou pour fermer les portes79. » Il termine son propos tout aussi franchement en écrivant au ministre : « Je n’ignore pas qu’il est peu d’intendant, de mon avis, mais je crois vous dire le mien80. »

    13Face aux antilibéraux, il existe en effet les « pro-libéraux » qui ont des velléités de favoriser les intentions de Terray et envisagent le rétablissement des exportations lorsque la conjoncture le permettrait.

    B. Des velléités pro-libérales

    14Il existe plusieurs niveaux d’adhésion au projet du ministre de se saisir de la question du marché extérieur. D’abord, contrairement au débat précédent, le ministre reçoit des appuis quant à la nécessité de légiférer. Les commissaires départis d’Alsace, de Bordeaux, de Bretagne, de Caen et d’Orléans reconnaissent qu’il faut une nouvelle loi pour permettre de nouveau l’exportation et encadrer celle-ci. Pour Jean-François-Claude Perrin de Cypierre, l’argument relève du parallélisme des formes : « Puisque la loy [de 1764] rendue a manqué son but, rien de plus sage que de réparer le mal par une loy nouvelle81. » Ses collègues estiment quant à eux qu’au-delà de la procédure, seul le Conseil du roi a une vision d’ensemble de toutes les provinces82 et de la situation à l’étranger. Charles-François-Hyacinthe Esmangart, en particulier, affirme au contrôleur général que « C’est à l’administration éclairée sur les détails et sur la position de chaque province, même sur celle des pays étrangers, à peser les circonstances et après avoir balancé avec sagesse les ressources et les besoins du royaume à permettre l’exportation comme on a fait en 1764 ou à la défendre comme vous l’avez fait l’année dernière83. » Les commissaires départis livrent donc leurs témoignages sur la situation de leurs généralités mais en appellent au contrôleur général pour statuer, au niveau national, sur la délicate question des exportations84.

    15Par ailleurs, l’abbé Terray reçoit des suffrages quant à la volonté d’informer le peuple des projets du gouvernement royal85. Toutefois, il existe deux lectures de la proposition de Terray en direction de l’opinion publique. Pour certains commissaires du roi, la motivation est sociale : il est important de répandre l’idée selon laquelle le roi se soucie de la misère de ses sujets et entend y remédier. Avec la législation des années 1760, la faveur était pour les producteurs et les marchands. Or, il faut désormais que nul n’ignore que les vœux de Sa Majesté sont tournés vers les consommateurs, le peuple. La vision paternaliste doit reprendre le pas sur la recherche de profit et le développement de l’économie du royaume86. L’image du roi-père87 est d’autant plus essentielle qu’il devient impératif de faire taire les rumeurs et de ramener le calme dans le royaume de France88. La diffusion des intentions du roi de ne permettre les exportations que lorsque les récoltes seront abondantes, pour d’abord pourvoir à la subsistance de la population, participe à cet objectif de réconciliation et de pacification nationale. Même si cette appréhension correspond au rôle traditionnel du roi, d’autres intendants considèrent néanmoins que la communication publique répond essentiellement à un impératif économique : les spéculateurs doivent comprendre l’inutilité de resserrer les grains. Il est urgent qu’ils comprennent que le moment de vendre leurs stocks pour faire fortune n’est pas encore venu et que, faute de remettre les grains en circulation, ils s’exposent à de lourdes pertes89. Il est par ailleurs indispensable d’encourager le développement des importations90 de sorte à toujours soutenir les efforts des producteurs et à leur assurer des débouchés au mieux de leurs intérêts et de ceux des consommateurs. Bien que l’aspect social n’ait certainement pas échappé au contrôleur général des finances Terray, officiellement, c’est cette consigne qui prévaut91 : il faut relancer les flux des marchandises vers les provinces et procurer l’« abondance générale92 ». Avant d’être de nouveau extérieur, le marché doit d’abord être intérieur, car seul un marché prospère entre les différentes parties du royaume de France garantit ensuite l’ouverture des frontières. Le contrôleur général, aidé par les intendants, souhaite donc soutenir l’agriculture en France, relancer les approvisionnements, offrir de nouvelles perspectives de marché afin de ne pas réduire à néant les progrès réalisés sous l’empire des réformes de 1763 et 1764.

    16Malgré la crise des dernières années, certains intendants parlent en effet d’« émulation93 » de l’agriculture grâce aux lois d’inspiration physiocratique et attestent qu’ils connaissent « tous les avantages qui résultent de la liberté du commerce extérieur des grains94 ». L’idée selon laquelle il serait possible de revenir aux exportations séduit donc quelques-uns. C’est le cas de Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, nouvellement nommé en Bretagne. Il chante les louanges des réformes libérales eu égard au développement des débouchés et à l’enrichissement des producteurs95. Il vante les atouts de sa province, mettant en avant « la multiplicité de ses ports, sa position heureuse relativement à la navigation96 », insistant sur « la facilité du transport et de ses communications avec l’Angleterre, la Hollande et le Nord97 ». Selon ses termes, la Bretagne est « plus susceptible que tout autre de devenir un entrepôt considérable et très important pour toute la France98 ». L’intendant souhaite expressément que le commerce de Nantes puisse « espérer être assimilé à la place de Marseille99 et jouir des mêmes privilèges100 ». À Auch, Étienne-Louis Journet encense également les idées de liberté du marché extérieur. Il témoigne que pendant « tout l’intervalle de temps où l’exportation a été permise », le commerce des grains « a produit le plus grand bien » et a « procuré une aisance inconnue jusqu’à cette époque101 ». Il affirme que « les propriétaires des fonds avaient presque doublé leur revenu par cette augmentation dans la valeur des denrées », « ces avantages rendaient l’exportation précieuse à cette province et l’on a eu le plus grand regret de la voir suspendue102 ». Il suggère par conséquent que « la liberté de l’exportation, loin d’être nuisible au royaume, pourrait y procurer le plus grand bien103 ».

    17Dupleix de Bacquencourt et Journet sont toutefois modérés dans leurs conclusions. Ils pressentent qu’il est indispensable de bien encadrer les exportations et rejoignent la grande majorité des commissaires royaux qui, au fil de leurs échanges épistolaires, égrainent et analysent avec prudence les causes d’échec de la législation antérieure.

    C. Des commissaires royaux circonspects

    18À bien considérer les correspondances des intendants, ce n’est pas tant l’esprit des lois des années 1760 qui est en cause, que leurs implications. Selon Jean-François-Claude Perrin de Cypierre, la déclaration de 1764 « a eu des suittes dangereuses et a fait naître des inconvénients que la sagesse du gouvernement n’avoit pu prévoir alors104 ». Alexis François Joseph de Gourgues lui fait écho, écrivant que « le plan pourroit être très bon mais son exécution a été si rapide que nous en avons senti les inconvénients avant que de bien connaître ses avantages105 ».

    19Le premier des maux, le plus unanimement dénoncé, est la hausse excessive du blé. Les grains qui, aux environs de 1763, valaient communément entre 10 et 12 livres le setier mesure de Paris atteignent 36, voire 42 livres dans le nord du pays dans les années 1768-1769106. Il est toutefois important de préciser qu’à l’origine, l’augmentation du prix du blé est désirée par les physiocrates107. L’École considère en effet que si le marché des grains est trop bas, il conduit à la ruine des fermiers qui supportent les frais inhérents au travail des champs, les fermages et les impôts, sans pouvoir prétendre à quelque fortune108. Selon les idées nouvelles, il s’agit donc de fixer un prix assez haut pour stimuler l’activité agricole et assurer des bénéfices aux producteurs céréaliers109. Après réflexion, en 1764, le prix est plafonné à 12 livres 10 sols, le seuil ainsi établi permettant d’autoriser ou de suspendre les exportations selon l’état d’approvisionnement des marchés. Mais la théorie économique est dévoyée par la pratique. L’appât du gain et la spéculation sont incriminés. Terray affirme que les lois de 1763 et 1764 ont ouvert « une trop grande cupidité », elles ont « échauffé le désir de s’enrichir » et occasionné des « resserrements imprévus110 ». Certains refusent de vendre sur les marchés, préférant attendre que les prix augmentent pour réaliser toujours davantage de profit. La liberté des exportations encouragerait ainsi les « monopoles », l’« avidité des cultivateurs » et des « accapareurs111 ». Cette opinion est partagée par de nombreux intendants tels que ceux de Montauban112, de Tours113, de La Rochelle114 ou de Bourgogne. Malgré sa faveur pour les idées des physiocrates115, ce dernier reconnaît que « l’exportation, il est vrai, a enrichi les propriétaires ou leurs fermiers mais cette richesse même devient aujourd’hui un mal pour le public. Elle met ceux qui en jouissent en état d’attendre. Ils gardent leurs grains, ils les resserrent et s’obstinent à ne les vendre que quand ils sont montés à un prix qui convienne à leur cupidité116 ».

    20Néanmoins, tous les intendants n’attribuent pas à l’exportation le phénomène tant décrié de l’augmentation des prix117. Antoine Jullien, à Alençon, affirme au ministre : « Ce n’est pas à la liberté des exportations, Monsieur, qu’on doit selon moi attribuer l’augmentation du prix du grain118. » Jean-Baptiste Auguet de Montyon, nouvellement nommé en Provence119, relativise par ailleurs les accusations d’accaparement et considère que « toutes ces manœuvres, ces enharrements de bleds dans l’intérieur du royaume sont moins fréquents et moins formidables que ne l’imagine la terreur populaire120 ». Il ne faut pas, selon lui, généraliser l’existence des pratiques abusives et alarmer la population avec des allégations fallacieuses121. Un autre facteur d’explication à la pénurie des denrées et à l’enchérissement se trouverait dans « les intempéries des saisons122 ». Le schéma récurrent des crises frumentaires serait ici à l’origine de la conjoncture : un hiver froid, un printemps pluvieux, la sécheresse, de mauvaises récoltes123, et les prix s’embrasent à la mesure de la rareté des grains.

    21Il reste enfin que d’autres commissaires départis nuancent la part de responsabilité des lois et des climats et mettent l’accent sur la pratique d’alignement des prix des marchés. Pour l’intendant de Rouen, la fixation de 12 livres 10 sols dans la déclaration de 1764 « avoit servi de règle à la plupart des laboureurs pour ne pas vendre leurs grains au-dessous et elle avoit beaucoup contribué à la cherté dont on se plaint124 ». Ce n’est donc pas tant un problème d’exportation qu’un souci d’adéquation entre le prix du marché extérieur et celui du marché intérieur. L’Averdy a fixé un « bon prix » dans les ports et aux frontières alors que « c’était la valeur ordinaire des grains dans les provinces de l’intérieur qu’il fallait consulter125 ».

    22L’appréhension du développement du marché intérieur est d’autant plus essentielle pour maîtriser les exportations qu’il est indispensable, selon les commissaires départis, de prendre en considération le coût et les difficultés liés à l’acheminement des grains. Or, nul n’ignore qu’en France, les réseaux terrestres et fluviaux souffrent de contraintes structurelles et financières126. Pourtant, le développement des voies de communication est au programme des physiocrates qui réalisent parfaitement l’intérêt des routes et des fleuves pour le développement des échanges127. L’amélioration des débouchés ne peut que profiter à la consommation intérieure et extérieure et, a fortiori, encourager la production. Mais, dans les considérations adressées à Terray en 1771, des intendants témoignent que le transport des grains ne se fait toujours qu’avec « une lenteur et des peines infinies128 », l’absence d’infrastructure provoquant par conséquent des déprédations de grains129 et des coûts de transport excessifs130. Ces derniers handicapent considérablement le marché. Ils grèvent lourdement les denrées lorsqu’il est nécessaire de les refouler vers l’intérieur du royaume si d’aventure, une fois le seuil atteint, les ports et les frontières sont fermés131. Gabriel Sénac de Meilhan, à La Rochelle, admet que « que le bled ayant acquis dans nos ports le prix de 12 livres 10 sols, il devroit estre regardé comme beaucoup trop cher s’il étoit question de le faire retourner dans l’intérieur132 ». Même constat dans l’Est, dans la généralité de Trévoux, province de Dombes, le commissaire départi du roi observant que « le blé parvenu au prix de 12 livres 10 sols le quintal dans les ports devient infiniment trop cher dans le cas où l’on est obligé de le faire retourner dans l’intérieur du royaume133 ». Pour Antoine Jullien, commissaire départi à Alençon, le calcul est aisé, et le cultivateur proche des ports et des frontières opte pour donner la préférence à l’étranger plutôt que de s’exposer « aux frais de transport pour le ramener dans l’intérieur134 ». Par ailleurs, indépendamment de la question des exportations, les frais d’acheminement des blés font obstacle au commerce entre les provinces, qu’il s’agisse de s’assurer des débouchés intérieurs ou de répondre en cas de disette aux besoins de la population. Ce ne serait donc pas tant l’exportation, à titre principal, qu’il faut remettre en cause, mais bien la faiblesse du marché intérieur135.

    23Le cloisonnement du marché intérieur est d’autant plus préoccupant qu’il est accentué par les réactions populaires. Guillaume Le Gentil de La Galaisière en Lorraine remarque que dans les « années malheureuses, le peuple inquiet est pressé par le sentiment de ses besoins » et apporte des obstacles au passage des grains « non seulement de province à province mais même d’une ville à une autre136 ». Par conséquent, il devient difficile, voire impossible, de soulager le royaume en équilibrant les richesses entre les régions137. C’était pourtant là le vœu des physiocrates : voir les contrées dans lesquelles les récoltes sont abondantes venir au secours de leurs voisines moins avantagées. Ainsi, le préambule de l’arrêt du Conseil du 14 juillet 1770 adopté par le ministère Terray rappelle « le devoir pour chaque province de secourir ses voisins138 ». De la même façon, l’arrêt du 23 décembre 1770 ordonne qu’aucune province du royaume « ne puisse être réputée étrangère pour la libre circulation des grains et farines », en conséquence Sa Majesté « a défendu et défend à tous particuliers de mettre obstacle à la libre circulation des blés et des farines, d’un lieu à un autre, de province à province, dans l’intérieur du royaume, soit par terre, soit par eau, sous peine d’être poursuivis extraordinairement comme perturbateurs du repos public et punis suivant l’exigence des cas139 ». Mais, malgré les efforts des administrateurs royaux et provinciaux, la situation n’est toujours pas équilibrée et le peuple affamé, inquiet, paralyse les mouvements commerciaux.

    24Les sujets sont d’autant plus prompts à se mobiliser que les réformes libérales n’ont pas atteint leurs buts quant à l’enrichissement du peuple140. Le constat est établi pour les agriculteurs, pour les journaliers et de manière plus générale pour le peuple consommateur. Les premiers ont certes obtenu plus de terres cultivables grâce aux défrichements141, ils ont également bénéficié de nombreux débouchés142, mais les propriétaires, en considérant la hausse de la production et des prix, n’hésitent pas à augmenter le fermage143. Par conséquent, les agriculteurs ne s’enrichissent pas outre mesure, sauf à maintenir le haut prix des grains et à entretenir la spirale infernale de l’inflation. La situation est plus délicate encore pour les travailleurs au statut précaire, les manouvriers et les journaliers. Les physiocrates ont annoncé que les « salaires augmenteront en proportion du prix des denrées144 », or il n’en est rien, « les prix des journées des ouvriers ne se sont pas élevés avec ceux des denrées dans la proportion qu’on s’étoit promise145 ». Finalement, « la classe si utile et si nombreuse des manouvriers dépérit journellement faute de subsistances146 ». L’intendant de Bourgogne observe à ce titre que les « journaliers étaient autrefois payés en nature » mais que, pour pouvoir mettre plus de grains sur les marchés et profiter de la hausse des prix, les fermiers « les ont forcés de recevoir leur salaire en argent147 ». Comme la rémunération n’est pas indexée sur le coût de la vie, ces travailleurs de la terre « sont plus misérables » que jamais148. Le commissaire du roi en poste à Aix-en-Provence n’hésite pas enfin à généraliser le propos et à dénoncer au contrôleur général des finances que dans le royaume de France « le malheureux est beaucoup plus pauvre par l’impossibilité de se procurer les choses de première nécessité149 », « le nombre des misérables est plus grand qu’il ne l’était auparavant et beaucoup de fabriques ont déjà été abandonnées150 ». Les paysans ne sont donc pas les seuls exposés à la crise agricole, les ouvriers des manufactures ressentent également douloureusement l’inflation.

    25Quel que soit le parti pris des intendants, l’énoncé des dysfonctionnements et des dérives de l’ouverture des marchés à l’exportation permet le constat suivant : ce n’est pas tant le principe même de liberté des exportations qui pose problème. Les difficultés tiennent à l’inaptitude à drainer les flux des denrées vers l’intérieur et vers l’extérieur du pays, d’une part, et à l’incapacité à équilibrer les intérêts des producteurs et des consommateurs, d’autre part. Viennent s’ajouter deux contraintes majeures : le verrou financier censé réguler les envois de grains à l’étranger151, qui pervertit à lui seul le principe de liberté152, et l’opinion publique, fragile, angoissée, prompte aux émotions populaires. Il s’agit dès lors d’apporter des remèdes aux maux et de réconcilier les Français autour de la question du blé.

    II. Des remèdes aux maux : une libéralisation maîtrisée

    26Dans la lettre adressée aux intendants des provinces, le contrôleur général des finances a orienté clairement le débat : puisque les grains se sont « soutenus depuis 1768 à un prix infiniment supérieur aux facultés des consommateurs153 », il faut revenir sur la fixation du prix de 12 livres 10 sols établi dans l’édit de 1764 « qui paroit trop fort154 ». Il saisit donc les commissaires royaux du problème afin que, grâce à leur consultation élargie, il soit possible de « fixer invariablement pour l’avenir » un nouveau « prix auquel la prohibition de la sortie des grains auroit lieu » ou, inversement, un prix favorable pour « en permettre l’exportation155 ». Les intendants obtempèrent et s’expriment sur l’établissement du « prix commun » propre à se substituer au « bon prix » des physiocrates. Toutefois, deux intendants se démarquent et proposent d’expérimenter une nouvelle voie : la taxation des denrées à l’exportation.

    A. Du « bon prix » au « prix commun »

    27Depuis 1764, la clé de voûte de l’exportation est le prix du blé. Le problème est qu’il ne se laisse pas facilement appréhender. En théorie, le prix peut être fixé grâce au libre jeu du marché, par l’offre, la demande et la concurrence. Seulement, il est impossible dans le royaume de France de connaître avec précision le stock des denrées disponibles et de déterminer le rendement des récoltes d’une année sur l’autre. Il n’y a par ailleurs aucune uniformité entre les provinces ; certaines connaissent l’abondance alors que d’autres peinent à approvisionner leurs marchés156. Forts de ce constat, les ministres des Finances décident de fixer un prix à l’exportation, applicable pour tout le royaume, indépendamment des variations et des aléas du temps et des champs.

    28L’Averdy dispose, pour ce faire, de l’aide des physiocrates qui élaborent la théorie du « bon prix157 ». Trois critères de définition permettent d’appréhender la notion. Premièrement, le bon prix est celui « capable de procurer un gain suffisant pour exciter à entretenir ou à augmenter la production158 ». Il apparaît indispensable pour les économistes d’inciter le développement de l’agriculture en France et la promesse du profit contribue à atteindre l’objectif d’émulation. Deuxièmement, il faut que le bon prix « surpasse les frais ou les dépenses » de la production159. Très naturellement, il convient de dédommager les agriculteurs de leur labeur, le critère financier retenu devant ainsi couvrir leurs charges et subvenir largement à leurs subsistances. Enfin, troisièmement, « le bon prix doit être sensiblement égal au prix commun des marchés étrangers160 » ; il semble en effet incontournable, dans le domaine des exportations, de tenir compte du marché extérieur, qu’il soit européen ou américain161. Produire, enrichir, commercer, telles sont les missions du « bon prix ». Fort de ce raisonnement, plusieurs propositions sont formulées : 15 livres 9 sols le setier pour François Quesnay, 17 ou 18 livres pour d’autres, voire, pour les plus excessifs, 24 livres162.

    29Après de longues discussions, les chiffres des physiocrates ne sont pas retenus et le taux arrêté pour rythmer les exportations est de 12 livres 10 sols le prix du quintal de blé, soit 30 livres le setier mesure de Paris163. Le montant correspond dans une certaine mesure à la recherche du « bon prix », le préambule de l’édit de 1764 mettant en effet en exergue la volonté que « les grains ne soient à un prix qui décourage le cultivateur » et soulignant le souhait d’« entretenir entre les différentes nations cette communication164 » des denrées. Toutefois, le ministre n’a pas souhaité encourager uniquement les producteurs, il a également tenu compte du risque de cherté du blé dans l’intérieur du royaume. Or, il apparaît que lorsque le blé atteint le taux de 12 livres 10 sols, il y a commencement de la disette165. Le montant proposé est donc à la croisée de l’enrichissement des uns et de la subsistance des autres. Il est conçu comme un prix plafond : tant qu’il n’est pas atteint, les exportations sont libres, les agriculteurs peuvent produire et céder sans restriction leur blé au plus offrant, soit aux autres provinces de France soit aux nations voisines. En revanche, ils ne sont pas autorisés à vendre leurs denrées lorsque le prix de vente observé semble attester la rareté de la marchandise sur les marchés intérieurs.

    30Malgré les précautions prises pour ménager les consommateurs, chacun admet en 1771 que le prix fixé en 1764 a été porté trop haut166. Terray, aidé des intendants de province, souhaite donc revoir « le bon prix » à la baisse. Selon le ministre des Finances, il faut désormais établir un « prix commun ». Par cette expression, il met l’accent sur le nécessaire équilibre entre les intérêts des cultivateurs et des consommateurs. Le contrôleur général reconnaît qu’il faut toujours « encourager l’agriculture et procurer au cultivateur, par le prix de la denrée, le salaire et le profit assurés qui sont la juste récompense de son travail167 ». Dans le même temps, il insiste sur l’obligation de ne « pas nuire aux consommateurs168 ». Il veut impérativement « établir une balance exacte entre le prix avantageux au consommateur et au cultivateur169 ».

    31Les commissaires départis comprennent parfaitement l’idée qui préside à la réflexion. Reprenant la pensée de Terray, l’intendant de Strasbourg s’inquiète de prévoir un prix par lequel « le cultivateur est suffisamment dédommagé de ses frais en même temps qu’il ne se trouve pas trop cher pour les consommateurs170 ». Même analyse non loin de là, en Bourgogne, pour Amelot de Chaillou qui souhaite offrir « aux cultivateurs un dédommagement honnête des frais de culture et se trouve en même temps à la portée des consommateurs171 ». Dédommager, maître mot dans la correspondance des intendants en faveur des cultivateurs172, sous-entend qu’il n’est plus question de profit, d’enrichissement, mais simplement de récompenser les producteurs de leurs peines et de leur permettre de faire face à leurs investissements. Quant aux consommateurs, le vocabulaire récurrent est celui de « ménager173 », de « combiner174 », de « trouver le juste milieu175 », car « les richesses d’une classe de citoyens ne doivent pas être le fruit de la misère extrême de l’autre classe176 ». L’Averdy et les physiocrates n’avaient certes pas oublié le peuple mais le « bon prix » retenu en 1764 correspondait déjà à la cherté dans l’intérieur du pays. En 1771, le blé doit maintenant être « à la portée du consommateur177 », il faut qu’il « se rapproche autant que possible de ses besoins et de ses facultés178 ». Si chacun appréhende les exigences du prix commun, les tourments surviennent lorsqu’il s’agit de l’établir mathématiquement. Terray suggère que la « sortie des grains ne devroit être permise que quand le prix commun du royaume serait à huit livres ou huit livres dix sols le quintal179 », mais déclare qu’il n’a pas « cru cependant devoir se déterminer sur un objet aussi important sans consulter les différents administrateurs qui sont dans le cas de l’éclairer180 ». Il appartient donc aux intendants, sur l’invitation du ministre des Finances, d’en débattre.

    32Le dénombrement des réponses disponibles révèle que treize intendants de province partagent son analyse. Géographiquement, les commissaires départis de cette mouvance se situent tous dans la zone qualifiée par Quesnay de « grande culture181 », au-dessus de la ligne La Rochelle-Lyon avec, en partant du Nord182, les intendants de Valenciennes, de Lille, d’Amiens183 et de Soissons, puis à l’Est, ceux de Strasbourg et de Nancy184, mais aussi, non loin de là, ceux de Dijon185, de Moulins et de Lyon, puis de Tours et d’Orléans, et enfin, pour fermer la boucle, ceux de Caen186 et de Rouen. À bien observer leurs motivations, le point commun de tous ces agents royaux ne réside pas tant dans les problèmes d’exportations frauduleuses ou dans leur idéologie que dans les récentes mauvaises récoltes, la disette et la hausse des prix. Il leur tient à cœur de consoler le peuple, de le rassurer, espérant qu’un taux diminué de quatre livres par rapport à la situation antérieure soit propre à atteindre cet objectif. À part les généralités de Châlons, de Bourges et de Poitiers, pour lesquelles les Archives nationales ne contiennent pas les retours de la consultation ministérielle, trois figures incarnant les îlots de résistance sont à signaler dans la sphère géographique délimitée. La première, à Paris, Bertier de Sauvigny, antilibéral convaincu, rejette en bloc toute discussion. La deuxième, en Bretagne, Dupleix de Bacquencourt, soucieux des débouchés des ports bretons qu’il rêve premiers exportateurs de blé du royaume, « hésite à donner un avis dont les conséquences peuvent être si importantes187 ». Enfin, la troisième, à Alençon, Antoine Jullien, pour la Normandie, motive davantage son indétermination. Il considère qu’interdire la « liberté que quand la valeur des grains est trop considérable, c’est mettre l’intérieur du royaume dans le cas d’en manquer188 ». Par ailleurs, « fixer trop bas le prix auquel l’exportation cessera d’être permise, c’est courir les risques de la rendre illusoire et retomber dans la vilité du prix des grains189 ». De même, « défendre l’exportation quand le bled dans une province quelconque sera parvenu au prix général auquel elle doit être arrêtée, c’est peut-être le rendre inutile entre les mains du propriétaire sans que l’intérieur en puisse profiter190 ». Entre un prix trop haut, trop bas ou général, il n’adopte « aucune fixation », car tous sont « dangereux soit pour l’agriculteur soit pour le consommateur191 ». Dans la France du Nord, on recense donc, parmi ceux qui se sont exprimés, treize intendants favorables au taux de huit livres proposé par le ministre des Finances et trois commissaires qui ne se prononcent pas.

    33En considérant maintenant le Sud de la France, à part de Gourgues, intendant de Montauban, qui, égal à lui-même, élude la question du « prix commun192 », tous les autres commissaires départis combattent la fixation du taux prohibitif des exportations à huit livres. Pour l’intendant de Grenoble, Christophe Pajot de Marcheval, le prix « proposé est beaucoup trop faible en Dauphiné […] les cultivateurs ne pourront pas payer leurs charges quand le blé sera à huit livres le quintal poids de marc193 ». « Le taux de la prohibition fixé irrévocablement à huit livres occasionnerait un découragement nuisible à la culture194. » Même écho à Montpellier, où son collègue et voisin, Jean-Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, craint « de décourager le cultivateur195 ». Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, en poste à Perpignan, dans le Roussillon, qualifie quant à lui la réduction d’« excessive » et pense qu’elle « tend à ramener les choses dont on a voulu les tirer en 1764196 ». Ajoutons l’opinion de Jean-­Baptiste Auguet de Montyon, selon lequel la proposition ministérielle équivaut à « établir pour la Provence une prohibition perpétuelle ». Pour preuve, il fournit à ­Terray un état démontrant que « depuis quinze ans, le grain a toujours été au-dessus de ce prix à Aix et à Marseille197 ». Tout le Sud-Est se mobilise donc contre la proposition de Terray d’abaisser le taux à huit livres. Avec sa façade atlantique, le Sud-Ouest n’est pas en reste. L’intendant d’Auch, toujours très favorisé par les récoltes et les exportations jusqu’à présent198, considère qu’en retenant ce seuil de huit livres, « la permission d’exporter n’aura lieu que dans des cas bien rares », si ce n’est, plus catégoriquement, interdite totalement. Charles-François-Hyacinthe Esmangart, à Bordeaux, abonde dans le même sens : « Si le taux de prohibition étoit changé par une loi nouvelle et qu’il descendit jusqu’à huit livres, il est vraisemblable que la liberté de l’exportation permise jusqu’à ce taux deviendroit absolument chimérique car il y a peu d’apparence que jamais à l’avenir le prix du grain baisse jusques là199. » Pour les intendants du Sud, le seul prix commun qui convienne est de dix livres200, soit deux livres de plus que le seuil suggéré par Terray, sachant qu’il y a un consensus pour affirmer que le taux « ne semble pas trop fort pour aucune province du royaume201 » et qu’il correspond au « point fixe de balance entre le cultivateur et le consommateur202 ». Ainsi encadrée, « la liberté de l’exportation, loin d’être nuisible au royaume, pourroit y procurer le plus grand bien203 ».

    34Il reste à tracer une ligne médiane de La Rochelle à Trévoux en passant par la généralité de Limoges et de Riom, en Auvergne. À part Turgot, pour lequel nous n’avons pas de correspondance sur ce sujet précis en 1771204, par une heureuse coïncidence, tous proposent un taux de neuf livres, se plaçant exactement mathématiquement et géographiquement au centre de la France, départageant ainsi les prétentions à huit livres du Nord et les revendications de dix livres du Sud. Il en est ainsi de Gabriel Sénac de Meilhan, qui explique combien cette proposition correspond au prix commun. Selon lui, « les enlèvements pour l’étranger seront moins forts, le cultivateur sera suffisamment dédommagé de ses frais et les consommateurs, en quelque façon, seront assurés de ne pas payer les denrées à un prix hors de portée de leurs facultés205 ». L’intendant de la généralité de Riom axe quant à lui davantage son argumentaire sur les coûts de transport supportés dans sa province et insiste sur le fait qu’un seuil trop prohibitif réduirait à néant les efforts constatés depuis 1764. Il émet donc l’hypothèse que « le prix de neuf livres pourroit obvier à l’inconvénient qu’on a éprouvé par une fixation trop haute et conserverait dans la province de l’intérieur cette vivification si nécessaire et qu’une fixation trop basse pourrait déranger206 ». C’est également pour favoriser la production que l’intendant de Trévoux, Jean-Benoît Cachet de Garneran, avance le chiffre de neuf livres. Il prend la liberté de faire observer au ministre des Finances Terray que « dans cette province et les provinces limitrophes, le prix de huit livres le quintal n’est pas le commencement de la cherté mais seulement le bon prix207 ». Il faut donc donner « un peu plus de jeu au commerce » et arrêter « l’exportation précisément au point où commence la cherté208 ». En fixant le seuil prohibitif à une livre de plus que ne le suppose le contrôleur général des finances, le commissaire du roi calcule un léger bénéfice pour les producteurs tout en n’hypothéquant pas les besoins des consommateurs.

    35Terray dispose, à la fin de sa consultation, de trois suggestions : huit livres pour le Nord, neuf livres pour les généralités situées sur la ligne de La Rochelle à Trévoux et dix livres pour la France du Sud. A priori, aucune réponse ne saurait surprendre le ministre. Il semble lui-même convaincu que le taux de huit livres revient à prohiber dans les faits les exportations, aussi, l’unanimité des provinces déshéritées les années précédentes le conforte dans son opinion. De même, le contrôleur général n’ignore pas la faveur des généralités ayant des débouchés sur la mer Méditerranée et l’Océan Atlantique pour le commerce extérieur. Enfin, classiquement, « entre grands secteurs relativement proches, l’écart des prix apparaît ainsi très sensible » entre la France du Nord et celle du Sud209. Seuls deux mémoires, respectivement des intendants d’Alençon et d’Aix-en-Provence, apportent un intérêt autre qu’une confirmation au ministre des Finances : tous deux évoquent la mise en place de l’imposition pour réguler les exportations.

    B. La voie de la taxation

    36Antoine Jullien et Auguet de Montyon ont une vision qui dépasse le seul cadre national. Tous deux ont le regard tourné vers les pays voisins et ils observent que les « deux Nations de l’Europe les plus commerçantes sont celles où le grain se vend habituellement le plus cher210 ». Ils ne sont donc pas partisans d’un abaissement du prix du blé comme le suggère le contrôleur général Terray, d’autant que, dans le même temps, ils admettent qu’il est « rare que dans toutes les parties de l’Europe, les récoltes y soient généralement bonnes plusieurs années consécutives211 ». Ils souhaitent donc que le prix du grain soit taxé aux ports et aux frontières de sorte à vendre aux étrangers un blé plus cher quand ceux-ci en ont besoin212 et à ménager le marché intérieur en temps ordinaire.

    37Grâce aux lumières d’un négociant213, Auguet de Montyon propose par conséquent d’établir un droit de sortie sur l’exportation. Une telle disposition n’est certes pas originale, elle existe d’ailleurs en France depuis 1764. L’édit de L’Averdy prévoit en effet de lever une taxe fixe de sept deniers et demi par quintal de froment214 sur les grains exportés. Mais le commissaire départi en Provence diffère quant aux moyens et à l’objectif. D’abord, il requiert un droit gradué et aucunement une taxation fixe comme précédemment. Ensuite, contrairement à la réforme L’Averdy, un tel versement ne permettrait pas, selon ses termes, de calculer le volume des sorties mais de réguler toujours davantage le marché des denrées : le taux serait prohibitif dans les moments de cherté et incitatif en période d’abondance. Les produits de ce droit varieraient « dans une proportion politique et non arithmétique215 », laissant le gouvernement royal maître de la régulation du marché. Grâce au système proposé par Montyon, les producteurs disposeraient de tout temps des débouchés vers les marchés extérieurs en cas d’abondance, vers les marchés intérieurs en cas de disette, les flux vers l’un ou l’autre des marchés étant orientés grâce aux taxes ou aux incitations fiscales. Montyon envisage par ailleurs que les produits des droits à l’exportation profitent aux chambres de commerce. Dépositaires des revenus dégagés par la vente des grains, les chambres de commerce pourraient localement les redistribuer en cas de cherté, soit pour venir au secours des victimes de la famine216, soit pour indemniser les négociants qui acceptent de vendre leur blé à un cours inférieur217.

    38L’intendant d’Alençon, Jullien, souhaite également qu’un impôt s’applique sur la sortie des grains, prenant, dit-il, le contrepied de la méthode anglaise, qui depuis « 1663 a établi un droit d’entrée sur les blés de l’extérieur218 ». Selon sa démonstration, l’impôt augmente nécessairement le prix du grain aussi, les vues des producteurs iront d’abord vers le marché intérieur où l’impôt n’existe pas, plutôt que vers un marché extérieur nécessitant, outre des frais de transport, l’acquittement de droits supplémentaires219. Si d’aventure les cultivateurs préfèrent vendre à l’étranger et s’acquitter de la taxe, l’État au moins profiterait des sommes ainsi versées car, contrairement à son collègue, le produit des droits profiterait au Trésor royal. L’impôt présenterait donc l’intérêt de « diminuer les dangers qu’on appréhende d’une liberté illimitée, d’en ralentir l’usage et d’être utile à l’État220 ». Il estime en outre qu’un « autre avantage au moins aussi intéressant » tient au fait que cette taxe « préviendrait » le monopole221. Ne pouvant plus si facilement spéculer sur les prix de sortie des grains et sur leur revente, les commerçants pourraient en effet être freinés par les avances à faire et les taxes à régler, et cesser de retenir les grains par-devers eux au détriment du marché intérieur222. Le commissaire départi progresse dans sa réflexion en souhaitant une loi pour porter le droit à l’exportation à 30 sols le quintal, un droit appelé à varier selon les circonstances. Celui-ci serait en effet augmenté ou diminué, non pas comme l’envisageait Montyon en fonction des récoltes et de la situation intérieure, mais selon les prix en vigueur à l’étranger. Dans sa logique, le commissaire du roi estime qu’il « n’est pas juste que l’étranger ait son bled à plus bas prix » que la France223. Il est donc nécessaire de s’adapter en fonction de la concurrence des blés étrangers.

    39Qu’il s’agisse de l’intendant de Provence ou de celui d’Alençon, tous deux ont conscience de l’originalité de leurs réflexions et des limites de celles-ci. Pour le commissaire du roi d’Alençon, le contrôleur général lui a ordonné de rendre sa façon de penser. Il a obéi. Il n’a pas « la vaine gloire » d’une proposition parfaite, il « sait qu’il peut en résulter des inconvénients » mais, en tout état de cause, il y entrevoit plus d’avantages que dans la fixation d’un prix commun pour la liberté d’exportation224. Auguet de Montyon espère quant à lui que « si le contrôleur général n’adopte pas ce plan en totalité », il puisse s’en inspirer225.

    40Le fait est que les deux commissaires royaux contredisent les idées des physiocrates qui n’aspirent qu’à la pleine liberté du commerce extérieur. Pour Quesnay, il est question d’un « prix commun entre nous et l’étranger, car dans la supposition de la liberté du commerce extérieur, le prix sera toujours réglé par la concurrence du commerce des denrées des nations voisines226 ». Il n’y a donc aucune place pour l’impôt sur les exportations, la tendance est à la suppression de toutes les contraintes fiscales227. Quant à l’abbé Terray, a priori, il n’a pas répondu à Auguet de Montyon et à Jullien, laissant leurs suggestions lettre morte. Certes, la consultation originelle portait sur le prix prohibitif permettant d’ouvrir ou de fermer les frontières selon l’approvisionnement des marchés. En présentant une autre solution, les deux commissaires royaux se sont quelque peu écartés de la mission qui était la leur. Mais, quelles que soient les circonstances administratives et politiques, la postérité n’a pas inscrit leurs noms au Panthéon des économistes. Tout au plus, Jullien est loué pour sa bonne administration de la généralité d’Alençon durant trente-quatre années228, quant à Auguet de Montyon, successivement intendant d’Auvergne, de Provence et de Charente-Maritime, puis chancelier du comte d’Artois, frère du roi, il laisse l’image d’un philanthrope fortuné229. Cependant, même si leurs idées ne sont pas reconnues par leurs contemporains, s’ils vont à contre-courant des idées libérales en vogue et s’écartent de la voie tracée par le contrôleur général des finances, ils confirment tous deux le poids de l’exemple anglais230 et la vivacité de la réflexion en France sur le prix du blé et le développement des marchés. Bien que simplement ébauchée, leur théorie atteste que la régulation autoritaire et nationale du marché du blé ne constitue peut-être pas la bonne solution à la crise des subsistances.

    Conclusion

    41Les considérations des intendants de province n’aboutissent pas à une réforme de l’exportation des grains, l’abbé Terray n’entérine pas leurs réflexions par voie législative. Certains auteurs doutent par conséquent des réelles motivations du contrôleur général des finances231. Pour les uns, le ministre ne souhaitait que rassurer les opposants aux idées des physiocrates. Les exigences royales de prévoir deux années de denrées disponibles pour le peuple et la proposition d’instituer un seuil prohibitif de huit livres suggéraient combien le retour possible à la liberté des exportations était illusoire232. La lettre adressée aux intendants, contenant l’information implicite d’une politique désormais antilibérale, n’aurait eu que l’intention de rassurer le peuple consommateur. Pour les autres, Terray n’aspirait au contraire qu’à donner de l’espoir aux partisans du libéralisme en évoquant le rétablissement futur des exportations. Il s’agissait, dans cette perspective, de ne pas décourager les agriculteurs, producteurs, et de leur indiquer combien il était important de poursuivre leurs efforts. De la même façon, il apparaissait essentiel de saisir, même indirectement, les spéculateurs et les « monopoleurs » des nouvelles orientations du Conseil du roi en matière de subsistances. Quelle que soit la réalité des intentions du contrôleur général des finances, celui-ci a respecté la procédure de consultation ordinairement mise en œuvre au siècle des Lumières233. En se départant de préjugés relatifs à sa personnalité et en considérant le contexte de disette et de cherté des blés, il n’est pas question de « manipulation », de « désinformation » ou de « mystification234 », mais de prudence235 et de concertation sur un sujet très délicat236. Par ailleurs, l’objectif avoué, avant même de songer aux exportations, consistait d’abord à s’occuper de garantir des denrées pour tout le royaume. Or, la régie des blés mise en place afin de régulariser le commerce des blés « ne fut pas, semble-t-il, à la hauteur de sa tâche237 ». Dans ces circonstances, il devenait délicat de songer à l’ouverture des frontières. Enfin, une dernière explication semble plausible pour justifier l’absence de consécration législative de l’enquête de 1771 : les commissaires départis, par la diversité des taux proposés, présentent une France désunie, une mosaïque de marchés et d’intérêts locaux. Difficile, selon les vœux initiaux de Terray, d’arrêter un prix commun des grains pour tout le royaume et de réguler autoritairement les exportations. Il n’en demeure pas moins que la correspondance des intendants prouve leur intérêt pour les idées de la « secte d’économistes ». Chacun d’entre eux est réceptif au développement de l’agriculture, aux idées de liberté des marchés, à la notion de « bon prix » ou de « prix commun ». Tous témoignent également des contraintes liées aux transports et des répercussions sociales de la politique des grains. Les administrateurs royaux en province, « éclairés », s’inscrivent donc dans une mouvance physiocratique et s’adaptent au gré des réformes de L’Averdy, de Terray, de Turgot238 ou de Necker239. Que la réglementation des grains soit imposée pour tout le royaume par voie législative ou qu’elle s’applique plus souplement par voie d’administration, que la liberté soit le principe, régulé, ou l’exception, aménagée, tout le monde pressent à la fin du xviiie siècle que l’équilibre économique, social et politique du royaume de France repose sur un grain de blé.

    Notes de bas de page

    2 Les idées des physiocrates s’exportent également en Europe. Sur la réception de la physiocratie comme véritable modèle de réforme en Europe, Thérence Carvalho, La physiocratie dans l’Europe des Lumières. Circulation et réception d’un modèle de réforme de l’ordre juridique et social, Paris, Mare & Martin, 2020.

    3 Georges Weulersse, Le mouvement physiocratique en France, 1756-1770, Paris-La Haye, Mouton, 1968, 2 t. ; Henri Curmond, Le commerce des grains et l’école physiocratique, thèse, Paris, LGDJ, 1900.

    4 François Olivier-Martin, La police économique de l’Ancien Régime, Paris, Loysel, 1988 ; présentation du docteur Quesnay, p. 346‑347. Les principaux écrits de François Quesnay sur la question des grains sont les articles « Fermiers » et « Grains », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (dir.), Encyclopédie, respectivement t. VI, 1756 et t. VII, 1757, mais également : Tableau économique, 1758 ; Physiocratie, ou constitution naturelle du Gouvernement le plus avantageux au genre humain, recueil publié par P. S. Dupont de Nemours, Leyde et Paris, Merlin 1767-1768, 2 parties. Pour une réimpression, Auguste Oncken, Œuvres économiques et philosophiques de Quesnay, Francfort-Paris, Jules Peelman, 1888. Plus récemment, Œuvres économiques complètes et autres textes, édités par Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot, Paris, INED, 2005, 2 vol. Pour une analyse de la pensée de Quesnay quant à la nécessité d’une législation permettant la libéralisation du commerce du grain, Loïc Charles, « La liberté du commerce des grains et l’économie politique française (1750-1770) », thèse sous la direction d’André Lapidus, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1999.

    5 L’écrit de Dupont de Nemours le plus instructif pour le sujet est De l’exportation et de l’importation des grains, Paris, P. G. Simon, 1764. Dans la préface, il annonce qu’il « s’agit de prouver les avantages immenses que la nation trouverait dans la liberté générale, entière, absolue et irrévocable du commerce extérieur des grains ». Pour une réimpression, Edgar Depitre, De l’exportation et de l’importation des grains, suivi de Louis-Paul Abeille, Premiers opuscules sur le commerce des grains, 1763-1764, Paris, Paul Geuthner, 1911.

    6 Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau, L’Ami des hommes ou traité de la population, 6 vol., 1756. L’un de ses principes est : « Aimez et honorez l’agriculture. »

    7 Pour la police des grains, le traité de Delamare constitue toujours une excellente source : Nicolas Delamare, Traité de la police, t. II, Paris, P. Cot, 1710 ; le titre cinq est consacré au commerce des grains ; Charles Musart, La réglementation du commerce des grains en France au xviiie siècle. La théorie de Delamare, Paris, E. Champion, 1921.

    8 F. Quesnay, Maximes générales…, op. cit., maxime XXV : « Qu’on maintienne l’entière liberté du commerce car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’État consiste dans la pleine liberté de la concurrence. »

    9 « Aux yeux de l’École, la liberté du commerce intérieur des denrées est peu de chose sans la liberté de l’exportation ». Il faut réguler les marchés intérieurs et extérieurs, G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. II, p. 20.

    10 Les physiocrates veulent que le « bas peuple en général jouisse d’une certaine aisance ». Selon eux, « tant que les paysans seraient misérables, nous le serions aussi ». Le peuple doit donc consommer « une grande quantité de denrées et, de préférence, des denrées chères ». G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. I, p. 487.

    11 Dupont de Nemours, De l’exportation…, op. cit., Éd. E. Depitre, p. 56. « On conclut que, puisque la liberté du commerce extérieur des grains triplera tous les revenus, la puissance de l’État, l’opulence des riches, les salaires des pauvres, puisqu’elle rendra la subsistance des peuples plus aisée, puisqu’elle accroîtra l’agriculture, la population et le commerce : c’est dans cette liberté indispensable que consiste principalement le système régénérateur, la vraie richesse de l’État, la grande et belle opération de finances. »

    12 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. I, p. 477 et s. « Les députés du commerce attesteront que dans les années qui ont précédé celle de 1764, le blé, presque partout dans le royaume, avait atteint le dernier degré de l’avilissement. » ; « Sans doute, cette baisse excessive était due, pour une part du moins en ce qui concerne les années 1760-1763, à une succession extraordinaire de récoltes excellentes ; cette surabondance accidentelle était en partie la cause de la “léthargie” où l’agriculture était tombée. »

    13 Françoise Bayard, Joël Félix et Philippe Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances du xvie siècle à la Révolution française de 1789, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, p. 159 et s. ; Arnaud de Maurepas et Antoine Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières, 1715-1789. Étude et dictionnaire, Paris, Bourgois, 1996, p. 290 et s. ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 349. Pour une présentation des grands axes de la politique libérale inspirés des physiocrates, Jean-Louis Harouel, « La libéralisation du commerce intérieur dans le contexte de la fin de l’Ancien Régime », dans À la recherche du réel. Histoire du droit, des idées politiques, économie, ville et culture. Recueil d’articles, Presses universitaires de Limoges, 2019, p. 483‑491.

    14 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 349.

    15 Déclaration du roi, portant permission de faire circuler les grains, farines et légumes dans toute l’étendue du royaume, en exemption de tous droits, même ceux de péage, Versailles, 25 mai 1763 citée dans Turgot, Écrits économiques, préface de Bernard Cazes, Paris, Calmann-Lévy, 1970, p. 115 et s.

    16 Steven L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986, analyse de la déclaration de 1763, p. 79.

    17 F. Bayard, J. Félix et P. Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances…, op. cit., p. 163 et s. ; A. de Maurepas et A. Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières…, op. cit., p. 333 et s. Selon F. Olivier-Martin, l’édit de juillet 1764 a été rédigé par Trudaine de Montigny qui a « sollicité le concours de Turgot et de Dupont de Nemours » ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 350 ; J. Félix, Finances et politique au siècle des Lumières. Le ministère L’Averdy, 1763-1768, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1982 ; pour J. Félix, l’édit est le fruit d’une concertation. L’Averdy consulte le Bureau du commerce et dispose de l’avis des députés du commerce et de celui du Bureau de la Ville de Paris. Il a également conféré avec Bertin, Trudaine père et fils, Dupont de Nemours et Turgot. Finalement, l’édit « respecte les avis formés lors de la consultation » et la décision est « empreinte d’un véritable esprit de conciliation », p. 202.

    18 François-André Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution, dit « Recueil Isambert », t. XXII, Paris, Belin-Le Prieur, 1836.

    19 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 350 : « Le ministre ne voulut pas aller aussi loin que son conseiller. Il permit l’exportation libre des grains tant que le blé n’atteindrait pas dans les ports et localités frontières, à trois marchés consécutifs le prix de 30 l le septier. À ce prix, l’exportation était automatiquement suspendue. »

    20 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique…, op. cit., t. I, p. 210.

    21 René Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains, 1769-1774, Paris, PUF, 1924 : « Non seulement les Parlements avaient enregistré sans difficulté la déclaration de 1763 mais la liberté de la circulation entre les provinces qu’elle établissait n’avait pas paru suffisante à quelques-uns et ils avaient demandé que l’on autorisât aussi l’exportation. » C’est le cas pour les cours de Bretagne, de Languedoc, de Provence, de Dauphiné et de Bourgogne, p. 1‑2.

    22 Ibid., p. 8 et s.

    23 Ibid., p. 34.

    24 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 309 et s.

    25 J.-L. Harouel, « Une politique de déréglementation à la fin de l’Ancien Régime : les essais d’abolition de la police des grains », dans À la recherche du réel…, op. cit., p. 469‑475.

    26 S. L. Kaplan, Le complot de famine : histoire d’une rumeur au xviiie siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1995. L’Averdy, libéral et favorable à la circulation des grains, veut que des stocks soient constitués pour pallier les dangers de pénurie. Le dénommé Malisset, que l’on dit tour à tour meunier, boulanger ou négociant, placé à la tête d’une société de financiers, obtient le marché et gère les quantités requises. Mais la rumeur, loin de retenir la prévention des risques de disette, véhicule l’idée selon laquelle il s’agit de resserrer les grains pour mieux spéculer. Il y a un complot ! Le roi et ses ministres affament le peuple ! La disette est factice, le peuple doit se révolter !

    27 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 et s.

    28 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 357‑358.

    29 F. Bayard, J. Félix et P. Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances…, op. cit., p. 171 et s. ; A. de Maurepas et A. Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières…, op. cit., p. 339 et s.

    30 Sur la personnalité de Terray, cf. R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 28 et s. ; S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 366.

    31 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 31 ; S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 ; selon S. L. Kaplan, Terray a en effet « exprimé des doutes sérieux sur le bien-fondé de la déclaration de mai », mais il « avait demandé à ses collègues de laisser à la nouvelle loi le temps de faire ses preuves ».

    32 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 34 et 58‑59. Terray a été nommé au poste de contrôleur général pour remettre de l’ordre dans les finances royales. La question des subsistances est d’abord laissée à Trudaine de Montigny et à son principal collaborateur, Albert. Mais, à la suite de l’arrêt du Conseil du 14 juillet 1770, Trudaine de Montigny a demandé à être déchargé de la haute direction des Grains. Il manifeste ainsi son désaccord au sujet de la politique initiée par Terray. Albert quitte également la direction des Grains, laissant Terray diriger désormais ce service.

    33 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770, t. XXII, Paris, 1836.

    34 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 361. Archives départementales (désormais AD) de la Somme, 1C 84 doc 1, Arrêt du Conseil du roi concernant le commerce des grains ; dans son article 1er, « Sa Majesté a accordé et accorde à tous ses sujets la liberté de faire le commerce des grains et farines dans toute l’étendue de son royaume à charge par ceux qui ont déjà entrepris ou qui entreprendront à l’avenir ledit commerce de faire enregistrer au greffe de la juridiction royale de leur domicile, leur nom, surnom, demeure et celui de leurs associés et le lieu de leurs magasins sont peine de confiscation des grains qui seront trouvés leur appartenir, dont un tiers sera délivré aux dénonciateurs et de cinq cents livres d’amende qui ne pourra être remise ni modérée ». Par ailleurs, l’article 2 dispose que « les marchands de grains qui voudront contracter des sociétés générales ou particulières pour raison dudit trafic ou marchandise de grains, seront tenus d’en passer des actes et de les faire enregistrer, dans un mois de leur date au plus tard, au greffe de la juridiction royale de leur domicile ». Ces mesures ne sont pas inédites, elles s’appliquent notamment à Arras dès le début du xviiie siècle. Patrick Cerisier, « Le monde bigarré des marchands de grains dans la France du Nord », Revue du Nord, n° 375‑376, 2008/2, p. 429‑455.

    35 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 360 ; selon Olivier-Martin, par le « simple jeu de la clause prohibitive de l’édit de 1764, l’exportation était déjà arrêtée dans la plupart des ports et des passages. Mais l’arrêt présentait l’avantage de rendre la mesure publique et de consoler le peuple ».

    36 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770, t. XXII. Les intendants ont la même lecture de l’arrêt de juillet de 1770. Par exemple, Archives nationales (désormais AN), F11 223, Lettre de l’intendant Pajot, à Grenoble, 31 octobre 1771. Il examine « la question de savoir s’il convient de donner une nouvelle loy sur ces objets » et pense que non, « parce que nous en avons une qui prête à tout ce que l’on voudra ordonner ». Il vise « l’article 6 de l’édit de juillet 1764 qui dispose que l’exportation une fois défendue, le Conseil se réserve de la rétablir ». Pour S. L. Kaplan, il ne fait aucun doute que le « Conseil confirme l’édit de juillet 1764 et interdit formellement l’exportation du blé, du seigle ou de l’orge hors les limites du royaume sous le prétexte que le prix du grain a surpassé dans tout le royaume le point de suspension de 1764 », S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 311.

    37 Ibid., p. 310.

    38 Selon J.-L. Harouel, avant Terray, l’ignorance des réalités économiques est totale. Le pouvoir royal méconnaît le fait que la production céréalière en France est ordinairement insuffisante pour nourrir convenablement 25 millions de Français. « C’est Terray qui, le premier, soupçonne que la consommation populaire en année normale pourrait n’être qu’une sous-consommation. » Terray a prévu de s’instruire sur le sujet, mais finalement n’a pu mener à bien son enquête sur les capacités alimentaires du royaume. J.‑L. Harouel, « Une politique de déréglementation… », art. cité, p. 473.

    39 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, le 1er octobre 1771.

    40 Ibid.

    41 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 3. Le contrôleur général Bertin a procédé de même en 1763, il a adressé « le projet de déclaration sur le commerce intérieur aux intendants pour recueillir leurs observations avant de le publier ».

    42 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, 1er octobre 1771. Le ministre a « cru aussi devoir en écrire aux différentes chambres de commerce pour avoir leur avis ».

    43 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, 1er octobre 1771. L’abbé Terray fait référence très directement aux dispositions de 1764. Il estime que « le prix de 12 livres 10 sols le quintal qui a été fixé par l’édit de 1764 pour limiter celui de la sortie des grains me paroit trop fort… »

    44 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 311.

    45 Ibid., p. 387.

    46 Brochet de Saint-Prest est conseiller au Parlement et maître des requêtes. Il est chargé, « sous la direction du ministre, de l’administration des subsistances ». Toute la correspondance des intendants de province est visée par Saint-Prest.

    47 La lettre de Terray est envoyée à l’intendant Dupleix de Bacquencourt en poste en Picardie depuis 1766. Mais comme celui-ci vient d’être muté en Bretagne, ce dernier se contente d’une apostille adressée au premier secrétaire d’Hesbon aux termes de laquelle il l’informe que « rien ne presse pour répondre à cette lettre […] c’est l’affaire de mon successeur » ; AD Somme, 1C 84 doc 7, Mention du 4 octobre 1771. En janvier 1772, Bruno d’Agay, qui a succédé à Dupleix de Bacquencourt, répond au ministre que, hélas, son secrétariat ne lui avait pas rendu compte de cette lettre. Il espère être « incessamment en état de procurer les éclaircissements » pour sa généralité ; AN, F11 223, Lettre du 21 janvier 1772. C’est chose faite le 18 février 1772. AD Somme, 1C 84 doc 18.

    48 À l’automne 1770, Terray consulte les intendants sur le projet d’arrêt du mois de décembre. Alors qu’il effectue une tournée dans sa généralité, Turgot lui écrit de longues lettres pour défendre la liberté de la circulation des grains. Dans la première, datée de Limoges du 30 octobre 1770, il affirme que « toute atteinte à la liberté du commerce des grains [constitue] le plus grand de tous les obstacles à la prospérité de l’agriculture, par conséquent à l’accroissement même à la conservation de la richesse particulière et publique ». Il développe ensuite ses arguments concernant les propriétaires (5e lettre, Saint-Angel, 14 novembre 1770), les cultivateurs (6e lettre, Angoulême, 27 novembre 1770) et les consommateurs (7e lettre, Limoges, 2 décembre). Eugène Daire et Hippolyte Dussard, Œuvres de Turgot, Paris, Guillaumin, 1844, 2 vol. Bien que datée, il faut mentionner la thèse de René Lafarge, L’agriculture en Limousin au xviiie siècle et l’intendance de Turgot, Paris, Chevalier-Marescq, 1902.

    49 J. Félix, Finances et politique…, op. cit., p. 191. En 1764, le contrôleur général L’Averdy reçoit une lettre du premier président du Parlement de Besançon « lui faisant part de la surabondance des grains en Franche-Comté et lui demandant d’accorder en faveur de cette province l’autorisation d’écouler sa surproduction en Suisse ». Mais, « à la suite d’une mauvaise récolte et pour éviter la famine, de La Coré, à Besançon, défend dans l’automne de 1770 l’exportation des grains hors des limites de l’intendance ». Paul Ardascheff, Les intendants de province sous Louis XVI, Genève, Mégariotis Reprints, 1909. L’intendant de Besançon, Charles-André de La Coré, adopte donc une attitude protectionniste sans qu’il soit possible de déterminer s’il est un antilibéral convaincu ou s’il s’adapte nécessairement à la conjoncture.

    50 AN, F11 223. La lettre de Terray est datée du 1er octobre 1771. Quinze intendants lui répondent dans un délai d’une à trois semaines. Les plus tardifs adressent leurs mémoires au ministre à la fin du mois de janvier 1772. Ces derniers se justifient par la volonté d’obtenir de plus amples renseignements auprès des chambres de commerce et des négociants concernés par les blés.

    51 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Lyon, Jacques de Flesselle, 1er février 1772 : « J’ai convoqué en ma qualité de Président de la chambre de commerce les membres qui la composent. Nous avons arrêté le mémoire dont j’ai l’honneur de vous envoyer la copie ci-jointe. C’est même moi qui ai ouvert l’avis qu’il contient et je ne puis que m’y référer » ; Lettre de l’intendant de Montpellier Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, 16 octobre 1771 : « J’ai été bien aise surtout de me faire représenter le mémoire qui vous a été adressé par la chambre de commerce de Montpellier. J’ai vu avec plaisir que ses idées ne s’écartaient point des miennes. »

    52 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 28 novembre 1771 : « Avant de répondre à la lettre que vous avez fait l’honneur de m’écrire le 1er du mois dernier concernant le prix auquel la sortie des grains doit cesser d’être permise, j’ai consulté les négociants les plus intelligents de cette ville et c’est ce qui m’a empêché de vous donner mon avis aussi promptement que je l’aurai désiré. »

    53 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772 : « J’ai donné connaissance, Monsieur, à mes subdélégués, des intentions bienfaisantes de Sa Majesté et des vôtres ; je leur ai recommandé de les rendre publiques dans leurs départements et de conférer en particulier avec les personnes les plus éclairées et les plus sages sur cette matière, dans le nombre desquelles je leur avais indiqué les cultivateurs les plus intelligents et les plus désintéressés et de me mander le résultat de leurs conférences. »

    54 P. Cerisier, « Les subdélégués de l’intendance Taboureau et le commerce des grains en Hainaut à l’époque de Terray (1769-1774) », Revue du Nord, vol. 77, n° 309, janv.-mars 1995, p. 29‑58 ; AD Somme, 1C 84 doc 9, Circulaire de Bruno d’Agay, intendant d’Amiens, adressée aux subdélégués, le 21 janvier 1772. Il leur rend compte de la teneur du courrier de Terray et leur demande de lui faire part très rapidement de leurs « observations particulières sur ce projet tirées des connaissances locales que vous avez et que vous vous procurerez des plus honnêtes négociants de votre subdélégation ».

    55 Il faut cependant avoir conscience que les courants d’opposition aux idées des physiocrates sont nombreux et hétérogènes. Il faut par ailleurs se garder de faire rimer anti-physiocratie et antilibéralisme. Sur ces thèmes, voir Gérard Klotz, Philippe Minard et Arnaud Orain (dir.), Les voies de la richesse ? La physiocratie en question (1760-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017. Sur l’opposition entre physiocrates et « alter-économistes », S. L. Kaplan, Raisonner sur les blés. Essais sur les Lumières économiques, Paris, Fayard, 2017.

    56 Cf. infra, I, C, « Des commissaires royaux circonspects ».

    57 Louis Gabriel Taboureau des Réaux (1718-1782) est intendant du Hainaut de 1764 à 1775.

    58 Louis Jean Bertier de Sauvigny est intendant de Paris de 1744 à 1776.

    59 Alexis François Joseph de Gourgues est intendant de Montauban de 1761 à 1773.

    60 Cédric Glineur, Genèse d’un droit administratif sous le règne de Louis XV. Les pratiques de l’intendant dans les provinces du Nord, 1726-1745, Orléans, Presses universitaires d’Orléans, 2005. Dans les années 1740, la politique de l’intendant du Hainaut, Jean Moreau de Séchelles, y était pourtant « résolument libérale » ; il considérait que « la liberté dans cette espèce de commerce est le seul moyen de procurer l’abondance » (p. 324) ; C. Glineur, « Entre libéralisme et protectionnisme : la politique prélibérale du contrôleur général Moreau de Séchelles », Revue administrative, n° 345, mai 2005, p. 290‑305.

    61 AN, F11 223, Lettre de Taboureau des Réaux, intendant de Valenciennes, 11 octobre 1771. Sur l’analyse des flux céréaliers de part et d’autre des frontières au nord du royaume, à partir des intendances de Lille et de Valenciennes, se référer à la thèse de Patrick Cerisier, Le commerce des grains dans la France du Nord fin xviie-1790, Lille, ANRT, 2004, 3 vol.

    62 AN, F11 223, Lettre de Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771.

    63 Ibid. « Je croirois qu’il pourrait être dangereux quant à présent de faire connaître publiquement les intentions de Sa Majesté relativement à l’exportation […] cette authenticité donneroit du découragement et de l’inquiétude, ce qui seroit très contraire à l’espèce de tranquillité dont jouit l’habitant qui croit entrevoir la fin de ses maux dans les deffenses expresses de l’exportation. »

    64 Ibid. Pour Taboureau des Réaux, « le peuple ne commence à respirer que depuis qu’il a connaissance que l’exportation est défendue ; sa misère est encore grande mais il la soutient par la confiance où il est que cette exportation n’aura plus lieu ».

    65 Ibid. Selon Taboureau des Réaux, « les spéculateurs avides ont fermé des magasins dans la fausse espérance de pouvoir exporter », aussi le peuple a été réduit à la misère « par la cherté excessive à laquelle le peu de grains qui paroissoit dans les marchés était porté ».

    66 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis-Guillaume Blair, 12 octobre 1771. Il partage les inquiétudes de son collègue. Selon ses termes, l’Alsace est « une des provinces les plus difficiles à être préservée de l’exportation ». Il ne peut se « dissimuler qu’il se trouve des fraudeurs qui échappent à la vigilance des gardes ». S’il met en cause le voisinage des Suisses, il déplore le manque de moyens dont il dispose pour lutter contre les exportations frauduleuses. Il est vrai que les bureaux des Fermes n’ont été mis en place en Alsace qu’en novembre 1766. La situation est plus enviable pour Christophe Pajot de Marcheval, commissaire du roi nommé pour administrer la généralité de Grenoble. Il assure à Terray « qu’il ne passe rien ou du moins très peu de chose par les frontières de la Savoie et du Piémont ». Trois facteurs d’explication sont avancés : « nous avons un pays difficile pour les communications » ; nous disposons d’un « assez grand nombre de brigades des fermes pour rencontrer et arrêter tous les convois tant soit peu considérables » ; « les grains étant en Dauphiné à un plus haut prix que dans ces provinces étrangères, il n’est pas à présumer qu’on songe à les y porter ». AN, F11 223, Lettre de Pajot de Marcheval, intendant de Grenoble, 31 octobre 1771.

    67 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 39. AN, F11 223. Dans sa lettre, Taboureau des Réaux explique que l’exportation « a fait grand tort dans cette province par la facilité de la sortie, sans que le vuide pût se réparer par la circulation et par la rentrée d’autres denrées ».

    68 AN, F11 223, Lettre signée Sauvigny adressée aux services de Terray, 9 octobre 1771.

    69 Ibid.

    70 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 ; Bread, Politics and Political Economy in the Reign of Louis XV, 2e éd., Londres, Anthem Press, 2015 (1re éd. 1976) ; The Stakes of Regulation: Perspectives on « Bread, Politics and Political Economy » Forty Years Later, Londres, Anthem Press, 2015 ; Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 312 et s.

    71 AN, F11 223. Selon l’intendant de Paris, ce moment est « si éloigné que je ne m’imagine pas qu’on doive et puisse prévoir qu’il en sera fait usage ».

    72 AN, F11 223. Bertier de Sauvigny écrit à Terray qu’à « moins que vous m’en ordonniez autrement, je ne ferai part à personne de ce que vous me faites l’honneur de me mander ».

    73 AN, F11 223, Lettre signée Sauvigny adressée aux services de Terray, 9 octobre 1771.

    74 Ibid.

    75 Ibid.

    76 AN, F11 223, Lettre envoyée depuis Montauban par l’intendant de Gourgues, 16 décembre 1771. Il écrit à Terray : « Ce n’est qu’en hésitant que je vais avoir l’honneur de vous faire part de mes réflexions sur l’objet actuel. Je vous prie de vouloir bien les regarder comme des doutes et non pas comme des avis. »

    77 Ibid. L’intendant de Gourgues observe que « dans l’état où les choses étaient avant 1763, l’exportation même dans l’intérieur était prohibée et l’administration tenait la main à l’exécution de cette loy ou s’en écartait suivant que les circonstances paraissaient l’exiger ». Puis « la déclaration de 1763 parue, elle fut bientôt suivie de l’édit de 1764 ; ces deux lois accordent au commerce des grains la plus grande faveur tant pour l’intérieur que pour l’extérieur du royaume ». Selon lui, avec ces nouvelles dispositions législatives, le commerce des grains « est devenu un brigandage autorisé par la loi », « les officiers de police qui avoient les mains liées ont vu les monopoles les plus odieux sans avoir la liberté de les réprimer ». Aussi, il a été décidé « d’arrêter le cours en proposant à Sa Majesté de rendre des lettres patentes » et de rétablir les mesures de police plus protectionnistes. Mais ce retour à l’ordre semble éphémère puisque Terray le consulte à présent sur l’opportunité de permettre le retour aux exportations… Autant de lois contraires en sept années ne peuvent en effet que déstabiliser les producteurs et les négociants et semer la confusion dans l’opinion publique.

    78 Ibid.

    79 AN, F11 223, Lettre de Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, le 9 octobre 1771.

    80 AN, F11 223, Lettre de Gourgues, intendant de Montauban, 16 décembre 1771. Le commissaire départi n’est toutefois pas si isolé dans ses prises de position. Bertier de Sauvigny affirme également que le marché des grains doit relever de « dispositions particulières et non générales, suivant les temps, les lieux et les circonstances ». Il est rejoint dans cette réflexion par les intendants de Tours et de Lyon, le commissaire départi de cette généralité écrivant au ministre : « L’exportation ne devroit jamais être autorisée par une loy générale, il suffiroit de la tolérer suivant les circonstances. » En substance, il se fonde sur l’absence d’uniformité des provinces dans le royaume de France et considère qu’il est impossible d’enfermer la politique des subsistances dans une loi générale et impersonnelle.

    81 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Orléans, Jean-François Claude Perrin de Cypierre, 30 janvier 1772.

    82 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, François Jean d’Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « Il n’y a que le gouvernement qui puisse savoir précisément pourquoi le royaume se trouve sans une position aussi fâcheuse parce qu’il voit seul l’ensemble et qu’une infinité de détails, qui ne sont que pour lui, ont le double effet de l’instruire du mal et de lui faire connaître les remèdes qu’il doit y apporter. »

    83 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bordeaux, Charles François Hyacinthe Esmangart, octobre 1771.

    84 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bretagne, Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772 : « La Bretagne ne doit pas sans doute être réglée d’une manière différente du reste du royaume et si vous adoptez le terme de l’exportation, elle doit y être sujette comme les autres provinces. » L’intendant de Grenoble le rejoint dans son analyse. Alors qu’il fait part de ses réflexions, il se livre en ces termes : « Je vous supplie Monsieur, de ne pas perdre de vue que je ne parle que du Dauphiné, mon administration », AN, F11 223, Lettre de Christophe Pajot de Marcheval, 31 octobre 1771.

    85 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, Antoine-Jean Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771 : « J’ai fait répandre dans le public par mes subdélégués et par les officiers municipaux des différentes villes de mon département que l’intention du roi est de ne point permettre l’exportation des grains à l’étranger jusqu’à ce que plusieurs récoltes successivement abondantes n’ayent suffisamment pourvu le royaume. »

    86 AN, F11 223, Lettre d’Orceau de Fontette, intendant de Caen, 14 octobre 1771 : « Je sens au surplus, Monsieur, combien il est intéressant que les intentions actuelles de Sa Majesté soient rendues publiques. Le peuple a besoin d’être consolé et je ne doute pas qu’il se ravira dès qu’il saura que Sa Majesté s’occupe ainsi de le soulager dans la misère. J’écris en conséquence à tous mes subdélégués et leur recommande dans les termes les plus forts de ne pas cesser de répandre cette bonne nouvelle. »

    87 S. L. Kaplan évoque un « contrat social des subsistances » et insiste sur la dimension nourricière du roi père de famille. S. L. Kaplan, Raisonner sur les blés…, op. cit.

    88 Sur le roi-boulanger et la façon dont le peuple concevait la monarchie, Cynthia Bouton, « Les mouvements de subsistance et le problème de l’économie morale sous l’Ancien Régime et la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, janvier-mars 2000, p. 71‑100 ; AN, F11 223, Lettre de Jean-Samuel de Pont, intendant de la généralité de Moulins, 28 janvier 1772 : « Si l’on en croioit le peuple, il seroit inutile d’agiter ces questions et la sortie à l’étranger demeureroit interdite pour toujours sans songer aux avantages qu’on retire de la déclaration de 1764 par l’encouragement qu’elle a donné à l’agriculture ; il ne s’occupe que du moment présent où il souffre encore de la disette et il met tout sur le compte des enlèvements des bleds. Ce sera donc faire cesser les murmures que de l’instruire des précautions que Sa Majesté veut bien prendre pour assurer sa subsistance. Et ne fut-ce que pour cette considération, j’estimeroi M. qu’il est très à propos de rendre publics les arrangements projettés. »

    89 AN, F11 223, Lettre de Jean-Benoît Cachet de Garnerans, intendant de Trévoux, 14 octobre 1771 : « Il me paroit essentiel et intéressant de rendre publique comme vous avez eu la bonté de me le marquer, les intentions de Sa Majesté. C’est le seul et véritable moyen d’encourager le négociant honnête à faire l’importation et d’ôter aux spéculateurs avides, l’espérance en faisant de gros amas de grains achetés à bon prix, de les exporter et de les vendre ensuite avec un bénéfice exorbitant. »

    90 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771. Il considère qu’il « peut être utile de prévenir ma généralité que l’exportation continuera d’être suspendue cette année afin d’encourager à l’importation ceux qui voudraient se tourner vers cette branche ».

    91 AN, F11 223, Lettre de Jean-Samuel de Pont, intendant de Moulins, 28 janvier 1772 : « Cette notoriété produira les mêmes effets que vous avez prévus, de mettre en défaut l’avidité des monopoleurs et de diriger les spéculations des négociants sur les bénéfices que peut offrir l’importation. »

    92 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général Terray : « Il peut être intéressant de rendre les intentions de Sa Majesté publiques relativement à l’exportation afin que l’honnête négociant porte ses vues du côté de l’importation et que les spéculateurs avides soient persuadés qu’en faisant des magasins dans l’espérance de pouvoir exporter, ils s’exposeraient à perdre leurs denrées, ce qui doit les déterminer à ouvrir leurs greniers et à contribuer d’autant à l’abondance générale ».

    93 AN, F11 223, Lettre de Charles Antoine Claude de Chazerat, intendant de la généralité de Riom, 28 novembre 1771 ; grâce à la politique physiocrate, « le haut prix des denrées a occasionné plus d’émulation dans la culture ».

    94 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Antoine de Chaumont de La Galaizière, intendant de la généralité de Nancy, 30 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de la généralité de Perpignan, 14 octobre 1771, qui estime qu’avec la déclaration de 1764, le « succès a passé l’espérance » et a permis d’« encourager la culture des terres abandonnée ou négligée » ; Lettre de l’intendant de Moulins, de Pont, 28 janvier 1772, qui reconnaît « l’encouragement qu’elle [la déclaration de 1764] a donné à l’agriculture ».

    95 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772. Il affirme que « les propriétaires sont fort attachés à l’exportation », dans la mesure où celle-ci a « augmenté considérablement la valeur du territoire ».

    96 Ibid.

    97 Ibid.

    98 Ibid.

    99 Jean Imbert et Henri Legohérel, Histoire économique des origines à 1789, Paris, PUF, 1979 ; « À la suite d’un arrêt de 1723 concédant la liberté d’entrée et de sortie du blé, de la déclaration du roi du 26 octobre 1740 encourageant les échanges, Marseille devient un centre d’importations céréalières relativement abondantes ». Pour Ruggiero Romano, Marseille est la « mère nourrice de la province » ; R. Romano, Commerce et prix du blé à Marseille au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1956.

    100 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772.

    101 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771.

    102 Ibid.

    103 Ibid.

    104 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Orléans, Perrin de Cypierre, 30 janvier 1772.

    105 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, 16 décembre 1771.

    106 R. Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains…, op. cit., p. 9 : « Il convient d’ajouter d’ailleurs que ces chiffres de 36 et de 42 livres furent exceptionnels et ne se soutinrent pas ; mais la moyenne durant les années 1767 et 1768 dans presque toutes les généralités fut constamment au-dessus de 20 livres. »

    107 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. I, p. 474‑479. La première nécessité est de relever le cours des denrées, « tel est le point de départ de la doctrine commerciale de l’École ».

    108 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. I, p. 476 : « C’est une vérité démontrée que le blé est à un prix trop bas proportionnellement aux avances aux frais et aux dépenses des cultivateurs ». Il faut « que les grains soient à plus haut prix pour que le cultivateur puisse se soutenir et établir ses enfants », p. 481.

    109 Sur la notion de bon prix, infra, II, A, « Du “bon prix” au “prix commun” ».

    110 R. Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains…, op. cit., p. 31‑32.

    111 Ibid.

    112 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, 16 décembre 1771.

    113 S’il porte un regard critique sur les dérives de l’édit de 1764, François-Pierre du Cluzel est réputé favorable aux idées libérales. P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 240 : « À cet égard, du Cluzel raisonne en véritable élève des physiocrates : le blé est une denrée marchande dont le commerce doit être libre comme celui de toute autre denrée et plus il y aura de facilité à faire le commerce, moins les provinces pourront en manquer ». Cf. également François Dumas, La généralité de Tours au xviiie siècle. Administration de l’intendant du Cluzel (1766-1783), Paris, Hachette, 1894.

    114 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Gabriel Sénac de Meihlan : « Il est certain, Monsieur, ainsi que vous l’ont observé des personnes occupées des soins de l’administration, que cette fixation à 12 livres 10 sols le quintal n’a pas peu contribué à faire monter le prix des grains l’année dernière du moins dans mon département et dans le Poitou et que l’espoir dans lequel étoient ceux qui en avaient à vendre de la récolte de 1769 qu’il monteroit à cette somme, ont pris le parti de les resserrer pour ne s’en défaire que quand il auroient acquis cette valeur ».

    115 Alain Manevy, « L’intendant Amelot de Chaillou et la Bourgogne, 1764-1771 », thèse en droit, Paris, 1957 : « Amelot comme certains de ses contemporains est un physiocrate passionné par les problèmes agricoles “Je suis partisan de la liberté du commerce, proclame-t-il lorsque les édits royaux sur le commerce des grains et sur le libre accès de la maîtrise sont promulgués”. »

    116 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, à Dijon, 28 octobre 1771 : « Une autre observation essentielle au sujet de l’exportation à l’étranger, c’est que quand elle est permise, les provinces de l’intérieur se dégarnissent et tous les grains défilent vers la frontière. Ce ne sont pas les demandes de l’étranger qui les y attirent, ce sont les spéculations des marchands. »

    117 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 22. « Il n’est donc peut-être pas très exact de dire que l’exportation ne joua qu’un rôle insignifiant dans l’augmentation des prix. Il est vrai que l’affirmation contraire qui verrait en elle la cause de la cherté serait également exagérée. Le peuple cependant le croyait ».

    118 AN, F11 223, Lettre de Jullien, intendant d’Alençon, 25 janvier 1772.

    119 Évelyne Zylberman, « Auguet de Montyon et l’agriculture » dans Études d’histoire économique rurale au xviiie siècle, op. cit., p. 106‑150. Après une première commission à Riom, Auguet de Montyon est nommé en septembre 1771 en Provence.

    120 AN, F11 223, Lettre d’Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 : « Il ne me paroit pas bien constant que les cultivateurs et les commerçants qui habitent l’intérieur du royaume forment sur l’exportation des spéculations aussi étendues et aussi malignes que celles qu’on suppose. Le cultivateur n’a pas les moyens d’attendre, il manque de la hardiesse et des connaissances nécessaires pour spéculer et il est rare que des commerçants dans les provinces méditerranéennes fassent employ de leurs fonds dans le commerce des grains. Ceux qui se livrent au trafic des denrées ne sont la plupart que des commissionnaires momentanés qui agissent d’après une démarche fixe ou l’aperçu des besoins actuels. Les véritables commerçants sont dans les ports, c’est là que sont établis les relations avec l’étranger et que le commerce peut se faire facilement et en grand pas des magasins ambulants et un transport moins dispendieux que celui de terre. »

    121 AD Somme, 1C 84 doc 12, Lettre du subdélégué de Breteuil adressée à Bruno d’Agay intendant de la généralité d’Amiens. Levavasseur lui assure qu’il n’a dans sa subdélégation aucun négociant qui spécule. Selon ses termes, « On ne voit aujourd’hui aucuns négociants acheter des blés pour en faire magasins, on ne voit aussi aucuns laboureurs les conserver, tous portent au marché à mesure que le blé est battu et tout se vend pour la consommation journalière des habitants ». Même propos pour Martinot, subdélégué de Montdidier. AD Somme, 1C 84 doc 17, Lettre du 8 février 1772. Selon ses termes, « Il est de notoriété publique dans la Picardie que les laboureurs n’ont pas cessé d’en vendre sans garder les blés d’une année sur l’autre. »

    122 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « On a déjà bien raisonné sur les causes de la calamité qui afflige le royaume depuis quatre à cinq ans, les uns l’attribuant aux intempéries des saisons, d’autres aux effets de l’exportation, les plus sages peut-être aux deux causes réunies. » L’intendant d’Alençon évoque également « l’irrégularité des saisons depuis 1767 », considérant qu’elles peuvent « être la principale cause » de « l’excessive augmentation » du grain, 25 janvier 1772.

    123 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, 28 novembre 1771, qui atteste l’existence de « mauvaises récoltes qu’on a fait depuis trois ans dans une grande partie du royaume » ; Lettre de l’intendant de Rouen, de Crosne : « [J’ai recommandé à mes subdélégués] de conférer avec les cultivateurs les plus intelligents et les plus désintéressés et de me mander le résultat de leurs conférences. Ils m’ont tous répondu unanimement qu’on étoit pleinement persuadé dans leurs cantons que les mauvaises récoltes successives qu’on a eues depuis cinq ans étoit les premières causes de l’augmentation excessive du prix des grains. » ; Lettre de l’intendant Bon de Saint-Hilaire à Perpignan, 14 octobre 1771 : « Le succès a passé l’espérance et il est probable qu’on auroit aperçu que les avantages de la loi si la médiocrité de plusieurs récoltes consécutives ne les avoit contrariés. »

    124 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    125 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, 28 octobre 1771.

    126 Fernand Braudel et Ernest Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, t. II, 1660-1789, Des derniers temps de l’âge seigneurial aux préludes de l’âge industriel, PUF, 1993 ; sur la formation du marché national et la politique des communications, p. 166 et s.

    127 F. Quesnay, Maximes générales…, op. cit., maxime XVII : « Que l’on facilite les débouchés et les transports des productions et des marchandises de main d’œuvre par la réparation des chemins et par la navigation des canaux, des rivières et de la mer ; car plus on épargne sur les frais du commerce, plus on accroît le revenu du territoire. »

    128 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771 : « On descend les rivières et les montagnes pour aller de l’intérieur aux frontières : il faut remonter des frontières dans l’intérieur. Quand la disette est en Bourgogne, ces mêmes rivières par lesquelles ses grains se sont écoulés avec une rapidité dangereuse ne les reportent plus qu’avec une lenteur et des peines infinies. » ; Lettre de l’intendant de Grenoble, Pajot de Marcheval, qui avoue avoir « un pays aussi difficile pour les communications ».

    129 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, 28 octobre 1771 : « Sans l’exportation, nous aurions retrouvé dans nos greniers [des grains], ils s’y seroient conservés sains et sans altération et ils nous sont revenus échauffés et altérés par les transports. »

    130 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, de Chazerat, à Clermont, 28 novembre 1771 ; il estime le coût du transport des grains à plus de 5 livres, soit « deux livres dix sols par quintal pour le transport par l’Allier et la Loire jusqu’à Nantes et plus de trois livres pour le conduire jusqu’à Lyon, ce dernier transport ne pouvant se faire que par terre ». De même, dans sa lettre, Terray estime que le grain « ne pourroit plus être livré à moins de 15 à 16 livres le quintal dans le cas où le négociant seroit obligé de le transporter au centre du royaume pour le consommer » ; AN, F11 223, Lettre du 1er octobre 1771. Das une autre mesure, Alain Clément, « La politique sociale de Turgot : entre libéralisme et interventionnisme », L’actualité économique, vol. LXXXI, n° 4, 2005, p. 725‑745 : « On estime dans la deuxième moitié du xviiie siècle qu’une distance de 400 kilomètres à parcourir double le prix du blé. » (p. 728).

    131 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 359 : « Avec la cherté croissante des grains, les ports et les passages terrestres aux frontières se ferment l’un après l’autre aux exportations. » ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 19‑20 : « Dès 1765, le taux prohibitif de 12 livres 10 sols avait été atteint et avait déterminé la fermeture des ports de Cette et d’Agde. En 1766, huit ports se fermèrent : Rouen, Honfleur et Le Havre sur la Manche, Brest, Nantes sur l’Océan, Port-Vendres, la Nouvelle et Toulon sur la Méditerranée. La même année, Marseille fut déclaré port étranger pour le commerce des grains, ce qui équivalait à la fermeture. En 1767, six ports fermèrent encore, tous sur la Manche. Sur trente-six qui avaient été successivement ouverts à l’exportation, seize étaient fermés à la fin de 1767 et vingt et un à la fin de l’année suivante. »

    132 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    133 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Trévoux, Jean-Benoît de Cachet de Garnerans, 14 octobre 1771.

    134 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772 : « N’interdire au contraire cette liberté que quand la valeur des grains est trop considérable, c’est mettre l’intérieur du royaume dans le cas d’en manquer. Les provinces maritimes et frontières peuvent avoir eu de très bonnes récoltes quand le plat pays n’aura rien recueilli ; le bled commun dans ces provinces n’y aura pas atteint le prix de l’interdiction, le cultivateur ou le commerçant qui s’en sera approvisionné, consultant moins l’intérêt de ses concitoyens que son avantage particulier, balançant les frais de transport pour le ramener dans l’intérieur avec le prix qu’il y en pourra tirer et qu’il comparera avec celuy qu’il recevrait de l’étranger, n’hésitera pas de donner la préférence à celui-ci qui par-là aura son bled à bas prix pendant qu’une partie des sujets du roi en sera privée. »

    135 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, Auguet de Montyon, 7 décembre 1771 : « La disproportion du lieu de l’acquisition à celuy de la consommation fait sentir que le mal le plus grand ne vient pas de la cherté de la denrée dans les ports mais de la difficulté et des frais d’extractions qui sont tels que dans deux cantons du royaume à une distance peu considérable, il peut se trouver dans le même moment disette et abondance ; c’est cette inégalité de prix à laquelle il est intéressant de pourvoir, mais les moyens sont étrangers à l’exportation. Il faut pour cet effet faciliter la navigation des rivières, les affranchir des péages, ouvrir des canaux et les chemins réellement utiles au commerce. »

    136 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771.

    137 AN, F11 223, 1er février 1772, Lettre de l’intendant de Lyon, Jacques de Flesselle : « Les différences trop sensibles qui ont existé depuis deux années dans le prix de ces diverses provinces intérieures et même voisines annoncent que cette liberté n’est point encore établie, bien plus, il est constant que la circulation intérieure a été interceptée au point que les provinces nageoient dans la superfluidité pendant que leurs voisins souffraient de la disette, c’est donc cette libre circulation de province à province qu’il paroit importante d’établir par un règlement dont l’exécution surveillée avec soins puisse empêcher ces deffenses particulières de circulation qui sont toujours portées au-delà des bornes et qui, par une fausse combinaison, en ôtant la liberté du commerce intérieur, empêchent l’abondance et tournent souvent au désavantage des provinces mêmes qui mettent ces entraves. »

    138 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 360 ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 43 et 57 : « Le peuple confondait souvent l’exportation à l’étranger et l’exportation de province à province », mais « c’eût été gravement méconnaître l’intention de Terray et l’arrêt du Conseil sur ce point s’était exprimé avec toute la clarté possible » ; « Terray avait affirmé avec force son désir que toutes les régions de la France se prêtassent une aide mutuelle » ; « On peut dire que c’est sous le ministère de Terray qu’on achèvera de faire véritablement la différence entre l’exportation à l’étranger et les déplacements de grains constituant la circulation intérieure, si souvent confondus l’un avec l’autre par le peuple. »

    139 AD Somme, 1C 84 doc 1, Arrêt du Conseil d’État du roi concernant le commerce du grain. Cet arrêt a été revêtu de lettres patentes pour être enregistré par les parlements. S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 334.

    140 Dupont de Nemours, De l’exportation et de l’importation des grains…, op. cit. : « Alors, quoique le pain soit un peu plus cher, il sera infiniment plus à la portée des pauvres gens d’entre le peuple : parce que tout ce peuple aura de l’argent vu qu’il aura des salaires et des salaires proportionnés au renchérissement de sa dépense. », p. 29.

    141 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. II, p. 171 et s. ; AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, qui est farouchement opposé aux défrichements : « Les défrichements dans beaucoup de parties ont été faits avec peu de réflexion, on a défriché des montagnes, des coteaux qui produisaient des bois, les pluies abondantes forment aisément des ravines dans les terres nouvellement remuées, les précipitent dans les valons et souvent dans des torrents, et un coteau qui produisait quelque chose d’utile ne représente plus après qu’une croute de roche aride. »

    142 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen : « On ne peut pas disconvenir que l’exportation des grains n’ait produit de grands avantages, elle a été un motif d’émulation pour les cultivateurs, elle a occasionné beaucoup de défrichements, la valeur des biens fonds a considérablement augmenté et pendant les deux premières années qu’elle a eu lieu, elle a servi à procurer utilement des débouchés à la vente des grains dont il y avait une si grande abondance que les cultivateurs en étaient embarrassés. »

    143 AN, F11 223, 10 octobre 1771, Lettre de l’intendant de Soissons, Louis Le Pelletier de Mortefontaine : « L’agriculteur y trouve d’abord un profit qui l’encourage en même temps qu’il l’enrichit mais le propriétaire ne tarde pas à l’en frustrer par une augmentation sur le fermage. »

    144 G. Weulersse, La physiocratie à l’aube de la Révolution, 1791-1792, Éd. de l’EHESS, 1984.

    145 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Bourgogne, Amelot de Chaillou, qui estime que « si le taux des grains se soutien, il faudra bien que la main d’œuvre et les salaires de toute espèce augmentent aussi, mais ils n’augmenteront que lentement, successivement, et en attendant, le peuple souffrira ».

    146 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Soissons, Louis Le Pelletier de Mortefontaine, 10 octobre 1771. Selon lui, on assiste à une « émigration des ouvriers que la misère expatrie ».

    147 A. Clément, La politique sociale de Turgot…, op. cit., p. 732. Selon Turgot, « La cherté n’est tombée que sur les journaliers et les artisans […]. Les propriétaires et les cultivateurs ont du moins été dédommagés par la vente avantageuse de leur récolte ». « En fait, c’est le mécanisme d’ajustement salaires-prix qui pose problème. » Pour Turgot, entre « le prix des subsistances et le prix des journées, cette proportion ne suit pas exactement le prix moyen, mais reste constamment au-dessous et au préjudice de l’homme de journée ».

    148 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne. Selon lui, « le pain n’est pas à la vérité leur plus grande dépense mais le prix des grains influe toujours sur les autres denrées nécessaires à la vie ».

    149 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, 16 décembre 1771.

    150 Ibid.

    151 Paul Butel, L’économie française au xviiie siècle, Paris, Éd. SEDES, 1993, p. 267 : « Ce n’est que dans l’édit de 1787, sous Calonne, que cette restriction saute, il n’est plus question de prix limite au-delà duquel se ferme la frontière ; on déclare seulement qu’en cas de cherté excessive, née de crise, un arbitrage aura lieu au sein des assemblées provinciales qui sont celles des grands propriétaires » ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 375 : « Calonne essaya de résoudre le problème du commerce extérieur des grains que Turgot n’avait pas osé aborder. La déclaration du 17 juin 1787, qu’il fit aisément approuver par l’Assemblée des Notables, gens éclairés et souvent grands propriétaires, autorisa indéfiniment l’exportation des grains. »

    152 Il semble évident qu’en France, « la Couronne a eu du mal, selon Kaplan, à choisir entre les “lois du marché” ou le libre marché et le marché réglementé » ; cité par P. Butel, L’économie française…, op. cit., p. 267.

    153 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général des finances Terray, 1er octobre 1771.

    154 Ibid.

    155 Ibid.

    156 Certaines généralités connaissent en leur sein également des inégalités de production. Par exemple, l’intendant d’Orléans affirme que « dans la Beauce, les récoltes en bled sont ordinairement très abondantes », alors que dans le « vignoble et le surplus de mon département », le rendement est moindre ; AN, F/11/223, Lettre de l’intendant d’Orléans, 30 janvier 1772. Dans le Nord, il existe deux provinces excédentaires et exportatrices, l’Artois et le Cambrésis, et deux autres déficitaires et importatrices, à savoir la Flandre et le Hainaut ; P. Cerisier, Le monde bigarré des marchands…, op. cit., p. 429.

    157 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 480.

    158 Ibid., p. 481.

    159 F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France…, op. cit., p. 372 : « Les caractères de ce bon prix ? Il doit permettre de couvrir non seulement le prix de revient largement entendu, mais l’investissement. »

    160 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 348 : « Le bon prix n’est pas autre chose que le prix commun du marché général lui-même établi par la concurrence entre les nations librement commerçantes. »

    161 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 481. Quesnay, en particulier, se souciait de la concurrence des blés d’Amérique « qui se fait sentir non seulement aux Antilles mais en Europe, et qui a fait baisser le prix du blé en Angleterre même, malgré la liberté du commerce ».

    162 Ibid., p. 477 et 482. Pour Dupont de Nemours, « les Anglais le vendent actuellement près de 22 livres prix commun dans les marchés de l’Europe ; il y a donc lieu de croire, et de fortes raisons prouvent, que notre concurrence ne peut pas faire baisser le prix commun du marché général au-dessous de 18 livres, c’est-à-dire que les plus grandes variations seraient chez nous de 16 à 20 livres comme elles sont en Angleterre aujourd’hui de 20 à 24 livres » ; Dupont de Nemours, De l’exportation…, op. cit., Éd. E. Depitre p. 49.

    163 Il existe pour certains intendants un véritable travail de calcul et de conversion, dans la mesure où il n’existe pas en France d’uniformité des poids et des mesures. Par exemple, l’intendant de Trévoux, Jean-Benoît de Cachet comte de Garneran, raisonne en neuvaine et en année : « la neuvaine pèse en froment 365 livres poids de marc » et l’asnée « 429 livres » ; « La première de ces mesures vaut, à raison de 8 livres le quintal, 29 livres 4 sols, la seconde 34 livres 5 sols. Et le bled n’est réputé dans le commerce et ne commence à être cher que lorsqu’il vaut 33 livres la neuvaine et 39 livres l’asnée » ; AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Trévoux, 14 octobre 1771. E. Zylberman, Auguet de Montyon…, op. cit., p. 129 ; dans une lettre adressée à Terray en 1770 alors qu’il était encore en poste en Auvergne, l’intendant Auguet de Montyon reconnaît qu’il n’y a « rien de plus important que d’assurer la circulation dans l’intérieur soit de province à province, soit de ville à ville, soit de marché à marché. Mais j’ai peine à croire que cette circulation soit facile, pleine et entière tant qu’on laissera subsister l’inégalité des mesures ».

    164 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770.

    165 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 6.

    166 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne : « Je suis très persuadé que la liberté accordée en 1764 d’exporter les grains à l’étranger jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus au prix de 12 livres 10 sols le quintal a porté les exportations beaucoup au-delà de la proportion de nos productions. » ; Lettre de l’intendant d’Auvergne : « Je sens, Monsieur, que le prix fixé par la déclaration de 1764 pour que l’exportation soit défendue est porté trop haut. » ; Lettre de l’intendant de Valenciennes : « J’ai toujours pensé que la fixation pour le prix du bled à 12 livres 10 sols le quintal était trop haute. » ; Lettre de l’intendant de Lorraine : « Le prix auquel la sortie des grains cesse d’être permise me paroit avoir été porté trop haut et que je crois nécessaire de réduire cette fixation. » ; Lettre de l’intendant d’Orléans : « En général, tout le monde est convaincu dans la généralité d’Orléans par principe et par expérience que la déclaration de 1764 rendue en faveur de l’exportation des grains avait assigné au bled un prix trop haut pour le terme de cette exportation. » ; Lettre de l’intendant du Roussillon : « Il se peut que le prix de 12 livres 10 sols par quintal fixé en 1764 soit un peu trop fort. »

    167 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général Terray adressée aux intendants, 1er octobre 1771.

    168 Ibid.

    169 Ibid.

    170 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis-Guillaume de Blair, 12 octobre 1771.

    171 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Dijon, Antoine-Jean Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771.

    172 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Perpignan, Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Valenciennes, Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Dijon, 28 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 28 novembre 1771 ; Lettre de l’intendant de La Rochelle, Gabriel Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    173 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Moulins, Jean-Samuel de Pont, 28 janvier 1772 ; Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    174 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine de Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 : « L’avantage le plus sensible de la liberté de l’exportation est d’enrichir le laboureur et par conséquent d’encourager l’agriculteur, mais cet avantage, quelque précieux qu’il soit, doit être combiné avec les besoins du peuple » ; Lettre de l’intendant de Moulins, Jean-Samuel de Pont, 28 janvier 1772 ; Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    175 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Tours, François-Pierre du Cluzel, 10 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Lille, Antoine Louis François Le Fèvre de Caumartin, 21 janvier 1772.

    176 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine de Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771.

    177 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Valenciennes, Louis Gabriel Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis Guillaume de Blair, 12 octobre 1771, qui songe à un prix qui « ne se trouve pas trop cher pour les consommateurs de toutes les classes ».

    178 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Chaumont de La Galaizière ; Lettre de l’intendant de Rouen, Thiroux de Crosne ; Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, pour lequel le consommateur doit être « assuré de ne pas payer les denrées à un prix hors de portée de leur faculté » ; Lettre de l’intendant de Dijon, Amelot de Chaillou, selon lequel le prix doit « se trouver en même temps à la portée des consommateurs ».

    179 AN, F11 223, Lettre de Terray, 1er octobre 1771.

    180 Ibid.

    181 F. Quesnay, « Grains », art. cité : « État de la grande culture des grains. La grande culture est actuellement bornée environ à six millions d’arpens de terre, qui comprennent principalement les provinces de Normandie, de la Beauce, de l’Isle-de-France, de la Picardie, de la Flandre françoise, du Hainault, & peu d’autres. Un arpent de bonne terre bien traité par la grande culture peut produire 8 septiers & davantage, mesure de Paris, qui est 240 livres pesant ; mais toutes les terres traitées par cette culture ne sont pas également fertiles ; car cette culture est plutôt pratiquée par un reste d’usage conservé dans certaines provinces, qu’à raison de la qualité des terres. D’ailleurs, une grande partie de ces terres est tenue par de pauvres fermiers hors d’état de les bien cultiver : C’est pourquoi nous n’avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre qu’à cinq septiers, semence prélevée. »

    182 Pour une bonne synthèse relative aux idées de Caumartin, intendant de Flandres, de Taboureau des Réaux, intendant du Hainaut et de Bruno d’Agay, intendant de Picardie, se référer à René Grevet, « Les intendants des généralités septentrionales et le commerce des grains à la fin du règne de Louis XV », Revue du Nord, n° 400‑401, 2013, p. 335‑349.

    183 AD Somme, 1C 84 doc 18, Lettre adressée au contrôleur général des finances, 18 février 1772. D’Agay reprend les avis de ses subdélégués et affirme que le prix de 8 livres le quintal ne peut être que très avantageux aux cultivateurs.

    184 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 : « Il faut que la subsistance du peuple soit assurée à un prix qui se rapproche autant qu’il est possible de ses besoins et de ses facultés et ce prix me paroit pouvoir être fixé à environ sept ou huit livres. »

    185 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Dijon : « Ce sont, Monsieur, ces différentes considérations qui me déterminent à penser que quand les circonstances permettront de rétablir la liberté d’exportation à l’étranger, il conviendra de ne l’admettre qu’autant que les grains n’excéderont pas sept livres dix sols ou huit livres le quintal. »

    186 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, François-Jean d’Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « Pour toute la Normandie, il serait bon d’établir cette fixation non à huit livres le quintal mais à sept livres mais en supposant que la fixation que j’ay l’honneur de vous proposer vous paroisse au-dessous de ceux que peut exiger l’ensemble du royaume, j’estimerai toujours que celle que vous proposez d’établir ne doit pas excéder huit livres. » ; Lettre de l’intendant de Nancy : « Il faut que la subsistance du peuple soit assurée à un prix qui se rapproche autant qu’il est possible de ses besoins et de ses facultés et ce prix me paroit pouvoir être fixé à environ sept ou huit livres. »

    187 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772.

    188 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772.

    189 Ibid.

    190 Ibid.

    191 Ibid.

    192 AN, F11 223, 16 décembre 1771, Alexis François-Joseph de Gourgues, profondément antilibéral, n’aspire qu’au retrait pur et simple de l’édit de 1764. Tout au plus, si cela peut faire plaisir au ministre des Finances, il consent au taux proposé : « Dans ces circonstances, Monsieur, le parti que vous paroissiez adopter de fixer le prix de l’exportation à huit livres peut procurer quelque bien mais le plus grand bien seroit de retirer l’édit de 1764. »

    193 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Grenoble, Pajot de Marcheval, 31 octobre 1771. Il ne fait aucun doute pour lui que le « cultivateur ne peut se tirer d’affaire si le bled n’excède pas huit livres le quintal ».

    194 Ibid.

    195 AN, F11 223, Lettre de Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, intendant de Montpellier, 16 octobre 1771. Il craint également de « ralentir l’action des défrichements que l’administration cherche tant à favoriser ».

    196 AN, F11 223, Lettre de Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771.

    197 AN, F11 223, Lettre d’Auguet de Montyon, intendant de Provence, 7 novembre 1771.

    198 AN, F11 223, Lettre de Journet, intendant d’Auch, 30 octobre 1771 : « Ma généralité est un pays fertile et abondant en grains, dans les bonnes années, le tiers de la récolte en bled suffit à sa subsistance, le peuple se nourrissant de blé d’Espagne ou milloc et d’autres menus grains. Par cet ordre, on peut exporter soit hors du royaume soit dans l’intérieur les 2/3 du blé qu’on a recueilli dans ces années. C’est même le principal et presque l’unique commerce de ce pays. »

    199 AN, F11 223, Lettre de Charles François-Hyacinthe Esmangart, intendant de Bordeaux, 28 octobre 1771.

    200 À considérer les réponses des intendants du Sud de la France, seuls trois intendants prévoient expressément le taux de 10 livres, à savoir ceux de Montpellier, de Perpignan et d’Auch. Les intendants de Grenoble et d’Aix rejettent catégoriquement le taux de 8 livres, mais ne s’avancent guère pour proposer autre chose, si ce n’est pour la Provence, la mise en place de taxes et de droits sur les exportations (cf. infra, II, B). Enfin, l’intendant de Montauban refuse de s’exprimer sur le sujet.

    201 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Perpignan, Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771.

    202 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montpellier, Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, 16 octobre 1771.

    203 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771.

    204 Dans sa cinquième lettre adressée à Terray le 14 novembre 1770, Turgot évoque un prix moyen des grains de 1711 à 1770 établi à 20 livres 16 sous. Il présente par ailleurs un tableau comparatif des prix du froment à Paris et à Angoulême pendant la disette de 1740 à 1741.

    205 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    206 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 12 octobre 1771.

    207 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Jean-Benoît de Cachet comte de Garneran, 14 octobre 1771.

    208 Ibid.

    209 F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France…, op. cit., p. 373. Concernant le froment, « les prix du Sud-Est, du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, plafonnent sensiblement au-dessus de la France du Nord ». « Dans le Nord-est du royaume, en 1756-1760, le froment commun se vendait entre 14 et 15 livres au setier de Paris. Durant la même époque, la même moyenne quinquennale s’établit à une vingtaine de livres dans l’Est. Toujours pour les mêmes années, la différence va de 18 livres dans le Sud à 23 livres dans le Sud‑est. »

    210 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix, Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 ; F. Olivier-Martin, La police économique, op. cit., p. 348 : « Les physiocrates ne manquent pas de remarquer que le prix moyen des grains est bien plus élevé en Angleterre que chez nous et ils attribuent à cette circonstance les progrès indéniables de l’agriculture anglaise. » Il est fort possible que le second pays visé soit la Hollande ; E. Depitre, Dupont de Nemours…, op. cit., p. 43 : « Les pays du Nord sont le principal grenier de l’Europe. C’est là que nous prenons nos grains quand nous nous trouvons dans les années de disette ; c’est là que les Hollandais puisent les leurs qu’ils réexportent ensuite en Espagne, au Portugal, en Italie. »

    211 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772. Il observe que depuis cinq ans les récoltes sont médiocres et que la « France ne s’est pas seule ressentie car ce que peut-être on n’avait jamais vu, a été presque général en Europe ».

    212 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon. Il observe justement que « quelle que soit l’étendue qu’on donne à l’exportation, elle sera toujours proportionnée aux besoins de l’étranger qui ne viendra pas chercher son grain quand il en aura chez lui ».

    213 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, 7 novembre 1771 : « Le moyen le plus efficace, selon un commerçant de ce pays, homme qui a beaucoup vu et beaucoup réflechy, n’est pas la prohibition absolue ; il estime qu’on pourroit y pourvoir d’une manière plus douce et plus efficace en introduisant une méthode plus travaillée, plus analogue aux principes de l’administration, une méthode suivant laquelle l’exportation même donnât des gages pour la réimportation dans le cas de disette. Vous sentez, Monsieur, qu’il voudroit voir établir un droit de sortie sur l’exportation. »

    214 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 6 : « Pour que la surveillance de l’exportation fût exercée d’une manière encore plus efficace, on l’avait astreinte à un droit de sortie d’un demi pour cent de la valeur, bientôt remplacé par un droit fixe sur la quantité qui devait permettre de connaître exactement les quantités exportées. Ce droit fut fixé par lettres patentes du 7 novembre 1764. Il était de sept deniers et demi par quintal de froment. »

    215 AN, F11 223, Lettre d’Antoine Jean Baptiste Robert Auguet de Montyon, 7 novembre 1771.

    216 Il n’est pas rare que localement les intendants requièrent de l’aide au Conseil du roi pour venir au secours des victimes de la famine ou qu’ils prennent des fonds sur d’autres caisses pour assurer les approvisionnements et dédommager les négociants qui vendent à perte. Sur ce sujet, P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 239 et s.

    217 AN, F11 223, Lettre d’Antoine Jean Baptiste Robert Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 : « Il ne faudrait pas suivant ce plan que les produits de ce droit fussent versés dans le trésor royal mais que des chambres de commerce en fussent dépositaires pour les rendre à celuy qui importerait au moment de la cherté. »

    218 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 23 « Un moyen facile pour assurer un bon prix aux productions du territoire aurait consisté à prohiber, ou tout du moins à taxer, celles de l’étranger. » Il s’agit d’imposer une sorte de « colbertisme agricole ».

    219 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772 : « On objectera il est vrai que l’impôt sera moins à la charge du monopoleur qu’à celle de l’agriculteur, à celuy là le fera supporter en le diminuant sur le prix du bled qu’il achètera. L’objection peut être vraie, mais au moins cette taxe en augmentant la valeur du grain destinée à être exporté le rapprochera de celle qu’il aurait dans l’intérieur du royaume s’il y était moins abondant et déterminerait à l’y amener de préférence à l’étranger. »

    220 Ibid.

    221 Selon cet intendant, « l’impôt sur la sortie des grains diminuerait considérablement le monopole s’il ne l’arrêtoit totalement », ibid.

    222 Ibid. Le seul risque à craindre, selon l’intendant d’Alençon, est « celuy sur lequel l’administration n’a plus d’inspection, celuy que peuvent faire les négociants qui, sous prétexte d’exportation à l’étranger, embarquent des bleds pour les déposer dans quelques-unes des isles voisines appartenants aux Anglais, jusqu’à ce que l’augmentation occasionnée par cette exportation les détermine à les ramener comme grains étrangers en France où, par le prix auxquels ils les ont fait monter, ils trouvent à satisfaire leur cupidité. Toujours attentifs à leurs intérêts, ils n’en font passer que dans la proportion nécessaire pour y entretenir la cherté. Hors des yeux du gouvernement, soustraits à son autorité, ils ne craignent pas d’être forcés d’en garnir les marchés d’une plus grande quantité. Maîtres du prix, ils nous font la loy. Heureux encore s’ils ne demandent pas des gratifications pour les prétendus services qu’ils rendent à l’État ».

    223 Ibid.

    224 Ibid.

    225 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, 7 novembre 1771.

    226 F. Quesnay, « Grains », art. cité.

    227 Dupont de Nemours estime également qu’il « faut donc décharger le commerce de toutes espèces de droits au-dedans et au dehors du royaume : car tout impôt donne aux étrangers un avantage sur nous et il faut donc laisser la plus grande liberté au-dedans et au dehors, pour l’entrée et pour la sortie, pour les regnicoles et pour les étrangers car n’importe qui nous débarrasse de notre superflu et nous voiture nos denrées » ; Dupont de Nemours, De l’exportation et de l’importation des grains…, op. cit.

    228 P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 136 : « Jullien, le dernier intendant d’Alençon, laissa après lui un souvenir précieux. »

    229 E. Zylberman, Auguet de Montyon…, op. cit., p. 107 et s. Il peut être intéressant de relever qu’en 1793, Auguet de Montyon est déclaré émigré et se réfugie en Angleterre où il réside pendant plus de vingt ans. Il devient membre correspondant de la Société royale de Londres et « s’occupe des problèmes qui peuvent se poser à l’agriculture anglaise ». Il tente « parfois d’établir la comparaison avec l’agriculture française et de tirer des conclusions ».

    230 Les œuvres de Quesnay, de Dupont de Nemours et de Mirabeau évoquent toutes l’exemple anglais. P. Butel, L’économie française au xviiie siècle…, op. cit., p. 274 : « Les réformateurs de l’administration étaient convaincus d’une supériorité anglaise dans la production, due à des raisons techniques, mais aussi au fait que la Grande-Bretagne disposait d’un marché unifié. » Par exemple, F. Quesnay, « Fermiers », art. cité : « En Angleterre le blé se vend environ vingt-deux livres, prix commun ; mais, à cause de la liberté du commerce, il n’y a point eu de variations excessives dans le prix des différentes années ; la nation n’essuie ni disettes ni non-valeurs. Cette régularité dans les prix des grains est un grand avantage pour le soutien de l’agriculture ; parce que le laboureur n’étant point obligé de garder ses grains, il peut toujours par le produit annuel des récoltes, faire les dépenses nécessaires pour la culture. » E. Depitre, Dupont de Nemours…, op. cit. : « Les Anglais vendent présentement le leur [blé] à peu près 22 livres dans les marchés de l’Europe, il est incontestable que notre concurrence fera baisser ce prix là. »

    231 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 75‑78.

    232 Les réponses adressées par Terray à Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, et à Taboureau des Réaux, intendant de Valenciennes, sont troublantes. Au premier, antilibéral convaincu, il écrit : « Ma lettre a donc eu pour but d’éloigner plutôt les vues de l’exportation que de les rapprocher. D’après cela, Monsieur, vous jugerez aisément combien j’applaudis aux principes dont vous me faites part ainsi que de la sévérité avec laquelle je m’opposerai à toute exportation. » Au second, sceptique avéré, il répond : « J’ai reçu votre lettre du onze du mois par laquelle vous me proposez vos réflexions sur celle que je vous ai écrite le 1er ; indépendamment du désir que j’ai eu de profiter de vos lumières dans lesquelles j’ai la plus grande confiance, je n’ai pas voulu me décider tant sur la fixation du prix auquel l’exportation pourroit être permise, que sur la publicité à donner aux intentions du roy, sans avoir auparavant votre avis ; je ne puis que trop applaudir à vos vues d’après la position de votre province ; si vous êtes dans le cas de manifester la volonté de Sa Majesté, vous êtes le maître d’en user suivant votre prudence et de prévenir seulement les négociants ou autres sur la conduite desquels vous croirez que l’avis que vous seriez le cas de leur donner put influer. Vous aurez vu sans doute que dans ma proposition, j’avois pour but de rassurer ceux qui craignent l’exportation et que la fixation à indiquer à huit livres le quintal pour prix commun dans le royaume tendrait plutôt à refuser l’exportation forma negandi qu’à l’annoncer. Au surplus, Monsieur, je ne puis trop vous le répéter, je vous laisse entièrement le maître sur les précautions que vous croirez devoir prendre. » ; AN, F11 223 et R. Grevet, Les intendants des généralités septentrionales…, op. cit., p. 344.

    233 P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit. : « Quand il s’agit de quelque mesure d’intérêt général à prendre, le ministre demande ordinairement leurs avis à tous les intendants du royaume, et ces avis ne semblent pas avoir été sans une influence réelle, souvent décisive. »

    234 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 75.

    235 Turgot n’a pas agi autrement. L’arrêt du Conseil du 13 septembre 1774 a instauré la pleine liberté du commerce intérieur, mais il « déclarait attendre les circonstances plus favorables pour statuer sur la liberté de vendre hors du royaume ». F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 369.

    236 Dans sa première lettre datée de Limoges, le 30 octobre 1770, Turgot convient que Terray a sa « réputation d’homme éclairé et de ministre sage à conserver ».

    237 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 365.

    238 Ibid., p. 366 et s. : « Dès son installation au contrôle général, le 24 août 1774 Turgot congédia les collaborateurs de l’abbé Terray ». « Le 13 septembre un arrêt du Conseil réforma le commerce intérieur des grains. » Dans le préambule, il est précisé que « le roi s’est résolu à rendre au commerce des grains toute liberté dans l’intérieur du royaume ; c’est l’unique moyen de parvenir au prix juste et naturel des grains selon les variations des saisons et l’étendue des besoins » ; J.-L. Harouel, « Un exemple de déréglementation sous l’Ancien Régime : Turgot et l’abolition de la police des grains », dans La déréglementation, actes du colloque organisé à Poitiers les 13‑15 mai 1985 par les facultés de droit de Nimègue et de Poitiers, Paris, PUF, 1986, publié plus récemment dans À la recherche du réel…, op. cit., p. 483‑491.

    239 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 374 : « Turgot dut abandonner le ministère en mai 1776. Son œuvre ne lui survécut guère. » ; « Necker agit uniquement par voie d’administration en s’inspirant des circonstances. » Il agit avec prudence en ne donnant que des ordres particuliers selon les événements. Chacun sait qu’il n’a pas hésité en 1775, lors de la guerre des farines, à prendre des positions contraires à Turgot en publiant Sur la législation et le commerce des grains (Paris, Pissot, 1775). Il préconise de surveiller le commerce extérieur grâce à une réglementation étroite qui varierait selon les circonstances et qui s’appliquerait strictement en cas de hausse des prix. Sur Necker et sa conception du peuple, S. L. Kaplan, The stakes of regulation…, op. cit., p. 136‑146.

    Auteur

    • Anne-Sophie Condette-Marcant

      Maître de conférences en histoire du droit à l’université Paris Panthéon-Assas et membre de l’Institut d’histoire du droit Jean Gaudemet (IHD), Anne-Sophie Condette-Marcant est l’auteur de Bâtir une généralité. Le droit des travaux publics dans la généralité d’Amiens au xviiie siècle, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/3402. Elle poursuit ses recherches en histoire du droit administratif et en histoire de l’administration. Elle se consacre notamment à l’étude des intendants au siècle des Lumières et aux aspects juridiques et économiques relatifs à la politique d’aménagement du territoire.

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    2 Les idées des physiocrates s’exportent également en Europe. Sur la réception de la physiocratie comme véritable modèle de réforme en Europe, Thérence Carvalho, La physiocratie dans l’Europe des Lumières. Circulation et réception d’un modèle de réforme de l’ordre juridique et social, Paris, Mare & Martin, 2020.

    3 Georges Weulersse, Le mouvement physiocratique en France, 1756-1770, Paris-La Haye, Mouton, 1968, 2 t. ; Henri Curmond, Le commerce des grains et l’école physiocratique, thèse, Paris, LGDJ, 1900.

    4 François Olivier-Martin, La police économique de l’Ancien Régime, Paris, Loysel, 1988 ; présentation du docteur Quesnay, p. 346‑347. Les principaux écrits de François Quesnay sur la question des grains sont les articles « Fermiers » et « Grains », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (dir.), Encyclopédie, respectivement t. VI, 1756 et t. VII, 1757, mais également : Tableau économique, 1758 ; Physiocratie, ou constitution naturelle du Gouvernement le plus avantageux au genre humain, recueil publié par P. S. Dupont de Nemours, Leyde et Paris, Merlin 1767-1768, 2 parties. Pour une réimpression, Auguste Oncken, Œuvres économiques et philosophiques de Quesnay, Francfort-Paris, Jules Peelman, 1888. Plus récemment, Œuvres économiques complètes et autres textes, édités par Christine Théré, Loïc Charles et Jean-Claude Perrot, Paris, INED, 2005, 2 vol. Pour une analyse de la pensée de Quesnay quant à la nécessité d’une législation permettant la libéralisation du commerce du grain, Loïc Charles, « La liberté du commerce des grains et l’économie politique française (1750-1770) », thèse sous la direction d’André Lapidus, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1999.

    5 L’écrit de Dupont de Nemours le plus instructif pour le sujet est De l’exportation et de l’importation des grains, Paris, P. G. Simon, 1764. Dans la préface, il annonce qu’il « s’agit de prouver les avantages immenses que la nation trouverait dans la liberté générale, entière, absolue et irrévocable du commerce extérieur des grains ». Pour une réimpression, Edgar Depitre, De l’exportation et de l’importation des grains, suivi de Louis-Paul Abeille, Premiers opuscules sur le commerce des grains, 1763-1764, Paris, Paul Geuthner, 1911.

    6 Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau, L’Ami des hommes ou traité de la population, 6 vol., 1756. L’un de ses principes est : « Aimez et honorez l’agriculture. »

    7 Pour la police des grains, le traité de Delamare constitue toujours une excellente source : Nicolas Delamare, Traité de la police, t. II, Paris, P. Cot, 1710 ; le titre cinq est consacré au commerce des grains ; Charles Musart, La réglementation du commerce des grains en France au xviiie siècle. La théorie de Delamare, Paris, E. Champion, 1921.

    8 F. Quesnay, Maximes générales…, op. cit., maxime XXV : « Qu’on maintienne l’entière liberté du commerce car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’État consiste dans la pleine liberté de la concurrence. »

    9 « Aux yeux de l’École, la liberté du commerce intérieur des denrées est peu de chose sans la liberté de l’exportation ». Il faut réguler les marchés intérieurs et extérieurs, G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. II, p. 20.

    10 Les physiocrates veulent que le « bas peuple en général jouisse d’une certaine aisance ». Selon eux, « tant que les paysans seraient misérables, nous le serions aussi ». Le peuple doit donc consommer « une grande quantité de denrées et, de préférence, des denrées chères ». G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. I, p. 487.

    11 Dupont de Nemours, De l’exportation…, op. cit., Éd. E. Depitre, p. 56. « On conclut que, puisque la liberté du commerce extérieur des grains triplera tous les revenus, la puissance de l’État, l’opulence des riches, les salaires des pauvres, puisqu’elle rendra la subsistance des peuples plus aisée, puisqu’elle accroîtra l’agriculture, la population et le commerce : c’est dans cette liberté indispensable que consiste principalement le système régénérateur, la vraie richesse de l’État, la grande et belle opération de finances. »

    12 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., t. I, p. 477 et s. « Les députés du commerce attesteront que dans les années qui ont précédé celle de 1764, le blé, presque partout dans le royaume, avait atteint le dernier degré de l’avilissement. » ; « Sans doute, cette baisse excessive était due, pour une part du moins en ce qui concerne les années 1760-1763, à une succession extraordinaire de récoltes excellentes ; cette surabondance accidentelle était en partie la cause de la “léthargie” où l’agriculture était tombée. »

    13 Françoise Bayard, Joël Félix et Philippe Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances du xvie siècle à la Révolution française de 1789, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, p. 159 et s. ; Arnaud de Maurepas et Antoine Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières, 1715-1789. Étude et dictionnaire, Paris, Bourgois, 1996, p. 290 et s. ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 349. Pour une présentation des grands axes de la politique libérale inspirés des physiocrates, Jean-Louis Harouel, « La libéralisation du commerce intérieur dans le contexte de la fin de l’Ancien Régime », dans À la recherche du réel. Histoire du droit, des idées politiques, économie, ville et culture. Recueil d’articles, Presses universitaires de Limoges, 2019, p. 483‑491.

    14 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 349.

    15 Déclaration du roi, portant permission de faire circuler les grains, farines et légumes dans toute l’étendue du royaume, en exemption de tous droits, même ceux de péage, Versailles, 25 mai 1763 citée dans Turgot, Écrits économiques, préface de Bernard Cazes, Paris, Calmann-Lévy, 1970, p. 115 et s.

    16 Steven L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986, analyse de la déclaration de 1763, p. 79.

    17 F. Bayard, J. Félix et P. Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances…, op. cit., p. 163 et s. ; A. de Maurepas et A. Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières…, op. cit., p. 333 et s. Selon F. Olivier-Martin, l’édit de juillet 1764 a été rédigé par Trudaine de Montigny qui a « sollicité le concours de Turgot et de Dupont de Nemours » ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 350 ; J. Félix, Finances et politique au siècle des Lumières. Le ministère L’Averdy, 1763-1768, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999, consultable en ligne, https://books.openedition.org/igpde/1982 ; pour J. Félix, l’édit est le fruit d’une concertation. L’Averdy consulte le Bureau du commerce et dispose de l’avis des députés du commerce et de celui du Bureau de la Ville de Paris. Il a également conféré avec Bertin, Trudaine père et fils, Dupont de Nemours et Turgot. Finalement, l’édit « respecte les avis formés lors de la consultation » et la décision est « empreinte d’un véritable esprit de conciliation », p. 202.

    18 François-André Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution, dit « Recueil Isambert », t. XXII, Paris, Belin-Le Prieur, 1836.

    19 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 350 : « Le ministre ne voulut pas aller aussi loin que son conseiller. Il permit l’exportation libre des grains tant que le blé n’atteindrait pas dans les ports et localités frontières, à trois marchés consécutifs le prix de 30 l le septier. À ce prix, l’exportation était automatiquement suspendue. »

    20 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique…, op. cit., t. I, p. 210.

    21 René Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains, 1769-1774, Paris, PUF, 1924 : « Non seulement les Parlements avaient enregistré sans difficulté la déclaration de 1763 mais la liberté de la circulation entre les provinces qu’elle établissait n’avait pas paru suffisante à quelques-uns et ils avaient demandé que l’on autorisât aussi l’exportation. » C’est le cas pour les cours de Bretagne, de Languedoc, de Provence, de Dauphiné et de Bourgogne, p. 1‑2.

    22 Ibid., p. 8 et s.

    23 Ibid., p. 34.

    24 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 309 et s.

    25 J.-L. Harouel, « Une politique de déréglementation à la fin de l’Ancien Régime : les essais d’abolition de la police des grains », dans À la recherche du réel…, op. cit., p. 469‑475.

    26 S. L. Kaplan, Le complot de famine : histoire d’une rumeur au xviiie siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1995. L’Averdy, libéral et favorable à la circulation des grains, veut que des stocks soient constitués pour pallier les dangers de pénurie. Le dénommé Malisset, que l’on dit tour à tour meunier, boulanger ou négociant, placé à la tête d’une société de financiers, obtient le marché et gère les quantités requises. Mais la rumeur, loin de retenir la prévention des risques de disette, véhicule l’idée selon laquelle il s’agit de resserrer les grains pour mieux spéculer. Il y a un complot ! Le roi et ses ministres affament le peuple ! La disette est factice, le peuple doit se révolter !

    27 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 et s.

    28 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 357‑358.

    29 F. Bayard, J. Félix et P. Hamon, Dictionnaire des surintendants et contrôleurs généraux des finances…, op. cit., p. 171 et s. ; A. de Maurepas et A. Boulant, Les ministres et les ministères du siècle des Lumières…, op. cit., p. 339 et s.

    30 Sur la personnalité de Terray, cf. R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 28 et s. ; S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 366.

    31 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 31 ; S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 ; selon S. L. Kaplan, Terray a en effet « exprimé des doutes sérieux sur le bien-fondé de la déclaration de mai », mais il « avait demandé à ses collègues de laisser à la nouvelle loi le temps de faire ses preuves ».

    32 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 310 ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 34 et 58‑59. Terray a été nommé au poste de contrôleur général pour remettre de l’ordre dans les finances royales. La question des subsistances est d’abord laissée à Trudaine de Montigny et à son principal collaborateur, Albert. Mais, à la suite de l’arrêt du Conseil du 14 juillet 1770, Trudaine de Montigny a demandé à être déchargé de la haute direction des Grains. Il manifeste ainsi son désaccord au sujet de la politique initiée par Terray. Albert quitte également la direction des Grains, laissant Terray diriger désormais ce service.

    33 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770, t. XXII, Paris, 1836.

    34 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 361. Archives départementales (désormais AD) de la Somme, 1C 84 doc 1, Arrêt du Conseil du roi concernant le commerce des grains ; dans son article 1er, « Sa Majesté a accordé et accorde à tous ses sujets la liberté de faire le commerce des grains et farines dans toute l’étendue de son royaume à charge par ceux qui ont déjà entrepris ou qui entreprendront à l’avenir ledit commerce de faire enregistrer au greffe de la juridiction royale de leur domicile, leur nom, surnom, demeure et celui de leurs associés et le lieu de leurs magasins sont peine de confiscation des grains qui seront trouvés leur appartenir, dont un tiers sera délivré aux dénonciateurs et de cinq cents livres d’amende qui ne pourra être remise ni modérée ». Par ailleurs, l’article 2 dispose que « les marchands de grains qui voudront contracter des sociétés générales ou particulières pour raison dudit trafic ou marchandise de grains, seront tenus d’en passer des actes et de les faire enregistrer, dans un mois de leur date au plus tard, au greffe de la juridiction royale de leur domicile ». Ces mesures ne sont pas inédites, elles s’appliquent notamment à Arras dès le début du xviiie siècle. Patrick Cerisier, « Le monde bigarré des marchands de grains dans la France du Nord », Revue du Nord, n° 375‑376, 2008/2, p. 429‑455.

    35 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 360 ; selon Olivier-Martin, par le « simple jeu de la clause prohibitive de l’édit de 1764, l’exportation était déjà arrêtée dans la plupart des ports et des passages. Mais l’arrêt présentait l’avantage de rendre la mesure publique et de consoler le peuple ».

    36 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770, t. XXII. Les intendants ont la même lecture de l’arrêt de juillet de 1770. Par exemple, Archives nationales (désormais AN), F11 223, Lettre de l’intendant Pajot, à Grenoble, 31 octobre 1771. Il examine « la question de savoir s’il convient de donner une nouvelle loy sur ces objets » et pense que non, « parce que nous en avons une qui prête à tout ce que l’on voudra ordonner ». Il vise « l’article 6 de l’édit de juillet 1764 qui dispose que l’exportation une fois défendue, le Conseil se réserve de la rétablir ». Pour S. L. Kaplan, il ne fait aucun doute que le « Conseil confirme l’édit de juillet 1764 et interdit formellement l’exportation du blé, du seigle ou de l’orge hors les limites du royaume sous le prétexte que le prix du grain a surpassé dans tout le royaume le point de suspension de 1764 », S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 311.

    37 Ibid., p. 310.

    38 Selon J.-L. Harouel, avant Terray, l’ignorance des réalités économiques est totale. Le pouvoir royal méconnaît le fait que la production céréalière en France est ordinairement insuffisante pour nourrir convenablement 25 millions de Français. « C’est Terray qui, le premier, soupçonne que la consommation populaire en année normale pourrait n’être qu’une sous-consommation. » Terray a prévu de s’instruire sur le sujet, mais finalement n’a pu mener à bien son enquête sur les capacités alimentaires du royaume. J.‑L. Harouel, « Une politique de déréglementation… », art. cité, p. 473.

    39 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, le 1er octobre 1771.

    40 Ibid.

    41 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 3. Le contrôleur général Bertin a procédé de même en 1763, il a adressé « le projet de déclaration sur le commerce intérieur aux intendants pour recueillir leurs observations avant de le publier ».

    42 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, 1er octobre 1771. Le ministre a « cru aussi devoir en écrire aux différentes chambres de commerce pour avoir leur avis ».

    43 AN, F11 223, Copie de la lettre du contrôleur général Terray, 1er octobre 1771. L’abbé Terray fait référence très directement aux dispositions de 1764. Il estime que « le prix de 12 livres 10 sols le quintal qui a été fixé par l’édit de 1764 pour limiter celui de la sortie des grains me paroit trop fort… »

    44 S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 311.

    45 Ibid., p. 387.

    46 Brochet de Saint-Prest est conseiller au Parlement et maître des requêtes. Il est chargé, « sous la direction du ministre, de l’administration des subsistances ». Toute la correspondance des intendants de province est visée par Saint-Prest.

    47 La lettre de Terray est envoyée à l’intendant Dupleix de Bacquencourt en poste en Picardie depuis 1766. Mais comme celui-ci vient d’être muté en Bretagne, ce dernier se contente d’une apostille adressée au premier secrétaire d’Hesbon aux termes de laquelle il l’informe que « rien ne presse pour répondre à cette lettre […] c’est l’affaire de mon successeur » ; AD Somme, 1C 84 doc 7, Mention du 4 octobre 1771. En janvier 1772, Bruno d’Agay, qui a succédé à Dupleix de Bacquencourt, répond au ministre que, hélas, son secrétariat ne lui avait pas rendu compte de cette lettre. Il espère être « incessamment en état de procurer les éclaircissements » pour sa généralité ; AN, F11 223, Lettre du 21 janvier 1772. C’est chose faite le 18 février 1772. AD Somme, 1C 84 doc 18.

    48 À l’automne 1770, Terray consulte les intendants sur le projet d’arrêt du mois de décembre. Alors qu’il effectue une tournée dans sa généralité, Turgot lui écrit de longues lettres pour défendre la liberté de la circulation des grains. Dans la première, datée de Limoges du 30 octobre 1770, il affirme que « toute atteinte à la liberté du commerce des grains [constitue] le plus grand de tous les obstacles à la prospérité de l’agriculture, par conséquent à l’accroissement même à la conservation de la richesse particulière et publique ». Il développe ensuite ses arguments concernant les propriétaires (5e lettre, Saint-Angel, 14 novembre 1770), les cultivateurs (6e lettre, Angoulême, 27 novembre 1770) et les consommateurs (7e lettre, Limoges, 2 décembre). Eugène Daire et Hippolyte Dussard, Œuvres de Turgot, Paris, Guillaumin, 1844, 2 vol. Bien que datée, il faut mentionner la thèse de René Lafarge, L’agriculture en Limousin au xviiie siècle et l’intendance de Turgot, Paris, Chevalier-Marescq, 1902.

    49 J. Félix, Finances et politique…, op. cit., p. 191. En 1764, le contrôleur général L’Averdy reçoit une lettre du premier président du Parlement de Besançon « lui faisant part de la surabondance des grains en Franche-Comté et lui demandant d’accorder en faveur de cette province l’autorisation d’écouler sa surproduction en Suisse ». Mais, « à la suite d’une mauvaise récolte et pour éviter la famine, de La Coré, à Besançon, défend dans l’automne de 1770 l’exportation des grains hors des limites de l’intendance ». Paul Ardascheff, Les intendants de province sous Louis XVI, Genève, Mégariotis Reprints, 1909. L’intendant de Besançon, Charles-André de La Coré, adopte donc une attitude protectionniste sans qu’il soit possible de déterminer s’il est un antilibéral convaincu ou s’il s’adapte nécessairement à la conjoncture.

    50 AN, F11 223. La lettre de Terray est datée du 1er octobre 1771. Quinze intendants lui répondent dans un délai d’une à trois semaines. Les plus tardifs adressent leurs mémoires au ministre à la fin du mois de janvier 1772. Ces derniers se justifient par la volonté d’obtenir de plus amples renseignements auprès des chambres de commerce et des négociants concernés par les blés.

    51 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Lyon, Jacques de Flesselle, 1er février 1772 : « J’ai convoqué en ma qualité de Président de la chambre de commerce les membres qui la composent. Nous avons arrêté le mémoire dont j’ai l’honneur de vous envoyer la copie ci-jointe. C’est même moi qui ai ouvert l’avis qu’il contient et je ne puis que m’y référer » ; Lettre de l’intendant de Montpellier Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, 16 octobre 1771 : « J’ai été bien aise surtout de me faire représenter le mémoire qui vous a été adressé par la chambre de commerce de Montpellier. J’ai vu avec plaisir que ses idées ne s’écartaient point des miennes. »

    52 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 28 novembre 1771 : « Avant de répondre à la lettre que vous avez fait l’honneur de m’écrire le 1er du mois dernier concernant le prix auquel la sortie des grains doit cesser d’être permise, j’ai consulté les négociants les plus intelligents de cette ville et c’est ce qui m’a empêché de vous donner mon avis aussi promptement que je l’aurai désiré. »

    53 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772 : « J’ai donné connaissance, Monsieur, à mes subdélégués, des intentions bienfaisantes de Sa Majesté et des vôtres ; je leur ai recommandé de les rendre publiques dans leurs départements et de conférer en particulier avec les personnes les plus éclairées et les plus sages sur cette matière, dans le nombre desquelles je leur avais indiqué les cultivateurs les plus intelligents et les plus désintéressés et de me mander le résultat de leurs conférences. »

    54 P. Cerisier, « Les subdélégués de l’intendance Taboureau et le commerce des grains en Hainaut à l’époque de Terray (1769-1774) », Revue du Nord, vol. 77, n° 309, janv.-mars 1995, p. 29‑58 ; AD Somme, 1C 84 doc 9, Circulaire de Bruno d’Agay, intendant d’Amiens, adressée aux subdélégués, le 21 janvier 1772. Il leur rend compte de la teneur du courrier de Terray et leur demande de lui faire part très rapidement de leurs « observations particulières sur ce projet tirées des connaissances locales que vous avez et que vous vous procurerez des plus honnêtes négociants de votre subdélégation ».

    55 Il faut cependant avoir conscience que les courants d’opposition aux idées des physiocrates sont nombreux et hétérogènes. Il faut par ailleurs se garder de faire rimer anti-physiocratie et antilibéralisme. Sur ces thèmes, voir Gérard Klotz, Philippe Minard et Arnaud Orain (dir.), Les voies de la richesse ? La physiocratie en question (1760-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017. Sur l’opposition entre physiocrates et « alter-économistes », S. L. Kaplan, Raisonner sur les blés. Essais sur les Lumières économiques, Paris, Fayard, 2017.

    56 Cf. infra, I, C, « Des commissaires royaux circonspects ».

    57 Louis Gabriel Taboureau des Réaux (1718-1782) est intendant du Hainaut de 1764 à 1775.

    58 Louis Jean Bertier de Sauvigny est intendant de Paris de 1744 à 1776.

    59 Alexis François Joseph de Gourgues est intendant de Montauban de 1761 à 1773.

    60 Cédric Glineur, Genèse d’un droit administratif sous le règne de Louis XV. Les pratiques de l’intendant dans les provinces du Nord, 1726-1745, Orléans, Presses universitaires d’Orléans, 2005. Dans les années 1740, la politique de l’intendant du Hainaut, Jean Moreau de Séchelles, y était pourtant « résolument libérale » ; il considérait que « la liberté dans cette espèce de commerce est le seul moyen de procurer l’abondance » (p. 324) ; C. Glineur, « Entre libéralisme et protectionnisme : la politique prélibérale du contrôleur général Moreau de Séchelles », Revue administrative, n° 345, mai 2005, p. 290‑305.

    61 AN, F11 223, Lettre de Taboureau des Réaux, intendant de Valenciennes, 11 octobre 1771. Sur l’analyse des flux céréaliers de part et d’autre des frontières au nord du royaume, à partir des intendances de Lille et de Valenciennes, se référer à la thèse de Patrick Cerisier, Le commerce des grains dans la France du Nord fin xviie-1790, Lille, ANRT, 2004, 3 vol.

    62 AN, F11 223, Lettre de Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771.

    63 Ibid. « Je croirois qu’il pourrait être dangereux quant à présent de faire connaître publiquement les intentions de Sa Majesté relativement à l’exportation […] cette authenticité donneroit du découragement et de l’inquiétude, ce qui seroit très contraire à l’espèce de tranquillité dont jouit l’habitant qui croit entrevoir la fin de ses maux dans les deffenses expresses de l’exportation. »

    64 Ibid. Pour Taboureau des Réaux, « le peuple ne commence à respirer que depuis qu’il a connaissance que l’exportation est défendue ; sa misère est encore grande mais il la soutient par la confiance où il est que cette exportation n’aura plus lieu ».

    65 Ibid. Selon Taboureau des Réaux, « les spéculateurs avides ont fermé des magasins dans la fausse espérance de pouvoir exporter », aussi le peuple a été réduit à la misère « par la cherté excessive à laquelle le peu de grains qui paroissoit dans les marchés était porté ».

    66 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis-Guillaume Blair, 12 octobre 1771. Il partage les inquiétudes de son collègue. Selon ses termes, l’Alsace est « une des provinces les plus difficiles à être préservée de l’exportation ». Il ne peut se « dissimuler qu’il se trouve des fraudeurs qui échappent à la vigilance des gardes ». S’il met en cause le voisinage des Suisses, il déplore le manque de moyens dont il dispose pour lutter contre les exportations frauduleuses. Il est vrai que les bureaux des Fermes n’ont été mis en place en Alsace qu’en novembre 1766. La situation est plus enviable pour Christophe Pajot de Marcheval, commissaire du roi nommé pour administrer la généralité de Grenoble. Il assure à Terray « qu’il ne passe rien ou du moins très peu de chose par les frontières de la Savoie et du Piémont ». Trois facteurs d’explication sont avancés : « nous avons un pays difficile pour les communications » ; nous disposons d’un « assez grand nombre de brigades des fermes pour rencontrer et arrêter tous les convois tant soit peu considérables » ; « les grains étant en Dauphiné à un plus haut prix que dans ces provinces étrangères, il n’est pas à présumer qu’on songe à les y porter ». AN, F11 223, Lettre de Pajot de Marcheval, intendant de Grenoble, 31 octobre 1771.

    67 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 39. AN, F11 223. Dans sa lettre, Taboureau des Réaux explique que l’exportation « a fait grand tort dans cette province par la facilité de la sortie, sans que le vuide pût se réparer par la circulation et par la rentrée d’autres denrées ».

    68 AN, F11 223, Lettre signée Sauvigny adressée aux services de Terray, 9 octobre 1771.

    69 Ibid.

    70 S. L. Kaplan, Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 ; Bread, Politics and Political Economy in the Reign of Louis XV, 2e éd., Londres, Anthem Press, 2015 (1re éd. 1976) ; The Stakes of Regulation: Perspectives on « Bread, Politics and Political Economy » Forty Years Later, Londres, Anthem Press, 2015 ; Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 312 et s.

    71 AN, F11 223. Selon l’intendant de Paris, ce moment est « si éloigné que je ne m’imagine pas qu’on doive et puisse prévoir qu’il en sera fait usage ».

    72 AN, F11 223. Bertier de Sauvigny écrit à Terray qu’à « moins que vous m’en ordonniez autrement, je ne ferai part à personne de ce que vous me faites l’honneur de me mander ».

    73 AN, F11 223, Lettre signée Sauvigny adressée aux services de Terray, 9 octobre 1771.

    74 Ibid.

    75 Ibid.

    76 AN, F11 223, Lettre envoyée depuis Montauban par l’intendant de Gourgues, 16 décembre 1771. Il écrit à Terray : « Ce n’est qu’en hésitant que je vais avoir l’honneur de vous faire part de mes réflexions sur l’objet actuel. Je vous prie de vouloir bien les regarder comme des doutes et non pas comme des avis. »

    77 Ibid. L’intendant de Gourgues observe que « dans l’état où les choses étaient avant 1763, l’exportation même dans l’intérieur était prohibée et l’administration tenait la main à l’exécution de cette loy ou s’en écartait suivant que les circonstances paraissaient l’exiger ». Puis « la déclaration de 1763 parue, elle fut bientôt suivie de l’édit de 1764 ; ces deux lois accordent au commerce des grains la plus grande faveur tant pour l’intérieur que pour l’extérieur du royaume ». Selon lui, avec ces nouvelles dispositions législatives, le commerce des grains « est devenu un brigandage autorisé par la loi », « les officiers de police qui avoient les mains liées ont vu les monopoles les plus odieux sans avoir la liberté de les réprimer ». Aussi, il a été décidé « d’arrêter le cours en proposant à Sa Majesté de rendre des lettres patentes » et de rétablir les mesures de police plus protectionnistes. Mais ce retour à l’ordre semble éphémère puisque Terray le consulte à présent sur l’opportunité de permettre le retour aux exportations… Autant de lois contraires en sept années ne peuvent en effet que déstabiliser les producteurs et les négociants et semer la confusion dans l’opinion publique.

    78 Ibid.

    79 AN, F11 223, Lettre de Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, le 9 octobre 1771.

    80 AN, F11 223, Lettre de Gourgues, intendant de Montauban, 16 décembre 1771. Le commissaire départi n’est toutefois pas si isolé dans ses prises de position. Bertier de Sauvigny affirme également que le marché des grains doit relever de « dispositions particulières et non générales, suivant les temps, les lieux et les circonstances ». Il est rejoint dans cette réflexion par les intendants de Tours et de Lyon, le commissaire départi de cette généralité écrivant au ministre : « L’exportation ne devroit jamais être autorisée par une loy générale, il suffiroit de la tolérer suivant les circonstances. » En substance, il se fonde sur l’absence d’uniformité des provinces dans le royaume de France et considère qu’il est impossible d’enfermer la politique des subsistances dans une loi générale et impersonnelle.

    81 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Orléans, Jean-François Claude Perrin de Cypierre, 30 janvier 1772.

    82 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, François Jean d’Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « Il n’y a que le gouvernement qui puisse savoir précisément pourquoi le royaume se trouve sans une position aussi fâcheuse parce qu’il voit seul l’ensemble et qu’une infinité de détails, qui ne sont que pour lui, ont le double effet de l’instruire du mal et de lui faire connaître les remèdes qu’il doit y apporter. »

    83 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bordeaux, Charles François Hyacinthe Esmangart, octobre 1771.

    84 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bretagne, Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772 : « La Bretagne ne doit pas sans doute être réglée d’une manière différente du reste du royaume et si vous adoptez le terme de l’exportation, elle doit y être sujette comme les autres provinces. » L’intendant de Grenoble le rejoint dans son analyse. Alors qu’il fait part de ses réflexions, il se livre en ces termes : « Je vous supplie Monsieur, de ne pas perdre de vue que je ne parle que du Dauphiné, mon administration », AN, F11 223, Lettre de Christophe Pajot de Marcheval, 31 octobre 1771.

    85 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, Antoine-Jean Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771 : « J’ai fait répandre dans le public par mes subdélégués et par les officiers municipaux des différentes villes de mon département que l’intention du roi est de ne point permettre l’exportation des grains à l’étranger jusqu’à ce que plusieurs récoltes successivement abondantes n’ayent suffisamment pourvu le royaume. »

    86 AN, F11 223, Lettre d’Orceau de Fontette, intendant de Caen, 14 octobre 1771 : « Je sens au surplus, Monsieur, combien il est intéressant que les intentions actuelles de Sa Majesté soient rendues publiques. Le peuple a besoin d’être consolé et je ne doute pas qu’il se ravira dès qu’il saura que Sa Majesté s’occupe ainsi de le soulager dans la misère. J’écris en conséquence à tous mes subdélégués et leur recommande dans les termes les plus forts de ne pas cesser de répandre cette bonne nouvelle. »

    87 S. L. Kaplan évoque un « contrat social des subsistances » et insiste sur la dimension nourricière du roi père de famille. S. L. Kaplan, Raisonner sur les blés…, op. cit.

    88 Sur le roi-boulanger et la façon dont le peuple concevait la monarchie, Cynthia Bouton, « Les mouvements de subsistance et le problème de l’économie morale sous l’Ancien Régime et la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, janvier-mars 2000, p. 71‑100 ; AN, F11 223, Lettre de Jean-Samuel de Pont, intendant de la généralité de Moulins, 28 janvier 1772 : « Si l’on en croioit le peuple, il seroit inutile d’agiter ces questions et la sortie à l’étranger demeureroit interdite pour toujours sans songer aux avantages qu’on retire de la déclaration de 1764 par l’encouragement qu’elle a donné à l’agriculture ; il ne s’occupe que du moment présent où il souffre encore de la disette et il met tout sur le compte des enlèvements des bleds. Ce sera donc faire cesser les murmures que de l’instruire des précautions que Sa Majesté veut bien prendre pour assurer sa subsistance. Et ne fut-ce que pour cette considération, j’estimeroi M. qu’il est très à propos de rendre publics les arrangements projettés. »

    89 AN, F11 223, Lettre de Jean-Benoît Cachet de Garnerans, intendant de Trévoux, 14 octobre 1771 : « Il me paroit essentiel et intéressant de rendre publique comme vous avez eu la bonté de me le marquer, les intentions de Sa Majesté. C’est le seul et véritable moyen d’encourager le négociant honnête à faire l’importation et d’ôter aux spéculateurs avides, l’espérance en faisant de gros amas de grains achetés à bon prix, de les exporter et de les vendre ensuite avec un bénéfice exorbitant. »

    90 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771. Il considère qu’il « peut être utile de prévenir ma généralité que l’exportation continuera d’être suspendue cette année afin d’encourager à l’importation ceux qui voudraient se tourner vers cette branche ».

    91 AN, F11 223, Lettre de Jean-Samuel de Pont, intendant de Moulins, 28 janvier 1772 : « Cette notoriété produira les mêmes effets que vous avez prévus, de mettre en défaut l’avidité des monopoleurs et de diriger les spéculations des négociants sur les bénéfices que peut offrir l’importation. »

    92 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général Terray : « Il peut être intéressant de rendre les intentions de Sa Majesté publiques relativement à l’exportation afin que l’honnête négociant porte ses vues du côté de l’importation et que les spéculateurs avides soient persuadés qu’en faisant des magasins dans l’espérance de pouvoir exporter, ils s’exposeraient à perdre leurs denrées, ce qui doit les déterminer à ouvrir leurs greniers et à contribuer d’autant à l’abondance générale ».

    93 AN, F11 223, Lettre de Charles Antoine Claude de Chazerat, intendant de la généralité de Riom, 28 novembre 1771 ; grâce à la politique physiocrate, « le haut prix des denrées a occasionné plus d’émulation dans la culture ».

    94 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Antoine de Chaumont de La Galaizière, intendant de la généralité de Nancy, 30 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de la généralité de Perpignan, 14 octobre 1771, qui estime qu’avec la déclaration de 1764, le « succès a passé l’espérance » et a permis d’« encourager la culture des terres abandonnée ou négligée » ; Lettre de l’intendant de Moulins, de Pont, 28 janvier 1772, qui reconnaît « l’encouragement qu’elle [la déclaration de 1764] a donné à l’agriculture ».

    95 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772. Il affirme que « les propriétaires sont fort attachés à l’exportation », dans la mesure où celle-ci a « augmenté considérablement la valeur du territoire ».

    96 Ibid.

    97 Ibid.

    98 Ibid.

    99 Jean Imbert et Henri Legohérel, Histoire économique des origines à 1789, Paris, PUF, 1979 ; « À la suite d’un arrêt de 1723 concédant la liberté d’entrée et de sortie du blé, de la déclaration du roi du 26 octobre 1740 encourageant les échanges, Marseille devient un centre d’importations céréalières relativement abondantes ». Pour Ruggiero Romano, Marseille est la « mère nourrice de la province » ; R. Romano, Commerce et prix du blé à Marseille au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1956.

    100 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772.

    101 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771.

    102 Ibid.

    103 Ibid.

    104 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Orléans, Perrin de Cypierre, 30 janvier 1772.

    105 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, 16 décembre 1771.

    106 R. Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains…, op. cit., p. 9 : « Il convient d’ajouter d’ailleurs que ces chiffres de 36 et de 42 livres furent exceptionnels et ne se soutinrent pas ; mais la moyenne durant les années 1767 et 1768 dans presque toutes les généralités fut constamment au-dessus de 20 livres. »

    107 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. I, p. 474‑479. La première nécessité est de relever le cours des denrées, « tel est le point de départ de la doctrine commerciale de l’École ».

    108 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. I, p. 476 : « C’est une vérité démontrée que le blé est à un prix trop bas proportionnellement aux avances aux frais et aux dépenses des cultivateurs ». Il faut « que les grains soient à plus haut prix pour que le cultivateur puisse se soutenir et établir ses enfants », p. 481.

    109 Sur la notion de bon prix, infra, II, A, « Du “bon prix” au “prix commun” ».

    110 R. Girard, L’abbé Terray et la liberté du commerce des grains…, op. cit., p. 31‑32.

    111 Ibid.

    112 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, 16 décembre 1771.

    113 S’il porte un regard critique sur les dérives de l’édit de 1764, François-Pierre du Cluzel est réputé favorable aux idées libérales. P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 240 : « À cet égard, du Cluzel raisonne en véritable élève des physiocrates : le blé est une denrée marchande dont le commerce doit être libre comme celui de toute autre denrée et plus il y aura de facilité à faire le commerce, moins les provinces pourront en manquer ». Cf. également François Dumas, La généralité de Tours au xviiie siècle. Administration de l’intendant du Cluzel (1766-1783), Paris, Hachette, 1894.

    114 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Gabriel Sénac de Meihlan : « Il est certain, Monsieur, ainsi que vous l’ont observé des personnes occupées des soins de l’administration, que cette fixation à 12 livres 10 sols le quintal n’a pas peu contribué à faire monter le prix des grains l’année dernière du moins dans mon département et dans le Poitou et que l’espoir dans lequel étoient ceux qui en avaient à vendre de la récolte de 1769 qu’il monteroit à cette somme, ont pris le parti de les resserrer pour ne s’en défaire que quand il auroient acquis cette valeur ».

    115 Alain Manevy, « L’intendant Amelot de Chaillou et la Bourgogne, 1764-1771 », thèse en droit, Paris, 1957 : « Amelot comme certains de ses contemporains est un physiocrate passionné par les problèmes agricoles “Je suis partisan de la liberté du commerce, proclame-t-il lorsque les édits royaux sur le commerce des grains et sur le libre accès de la maîtrise sont promulgués”. »

    116 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, à Dijon, 28 octobre 1771 : « Une autre observation essentielle au sujet de l’exportation à l’étranger, c’est que quand elle est permise, les provinces de l’intérieur se dégarnissent et tous les grains défilent vers la frontière. Ce ne sont pas les demandes de l’étranger qui les y attirent, ce sont les spéculations des marchands. »

    117 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 22. « Il n’est donc peut-être pas très exact de dire que l’exportation ne joua qu’un rôle insignifiant dans l’augmentation des prix. Il est vrai que l’affirmation contraire qui verrait en elle la cause de la cherté serait également exagérée. Le peuple cependant le croyait ».

    118 AN, F11 223, Lettre de Jullien, intendant d’Alençon, 25 janvier 1772.

    119 Évelyne Zylberman, « Auguet de Montyon et l’agriculture » dans Études d’histoire économique rurale au xviiie siècle, op. cit., p. 106‑150. Après une première commission à Riom, Auguet de Montyon est nommé en septembre 1771 en Provence.

    120 AN, F11 223, Lettre d’Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 : « Il ne me paroit pas bien constant que les cultivateurs et les commerçants qui habitent l’intérieur du royaume forment sur l’exportation des spéculations aussi étendues et aussi malignes que celles qu’on suppose. Le cultivateur n’a pas les moyens d’attendre, il manque de la hardiesse et des connaissances nécessaires pour spéculer et il est rare que des commerçants dans les provinces méditerranéennes fassent employ de leurs fonds dans le commerce des grains. Ceux qui se livrent au trafic des denrées ne sont la plupart que des commissionnaires momentanés qui agissent d’après une démarche fixe ou l’aperçu des besoins actuels. Les véritables commerçants sont dans les ports, c’est là que sont établis les relations avec l’étranger et que le commerce peut se faire facilement et en grand pas des magasins ambulants et un transport moins dispendieux que celui de terre. »

    121 AD Somme, 1C 84 doc 12, Lettre du subdélégué de Breteuil adressée à Bruno d’Agay intendant de la généralité d’Amiens. Levavasseur lui assure qu’il n’a dans sa subdélégation aucun négociant qui spécule. Selon ses termes, « On ne voit aujourd’hui aucuns négociants acheter des blés pour en faire magasins, on ne voit aussi aucuns laboureurs les conserver, tous portent au marché à mesure que le blé est battu et tout se vend pour la consommation journalière des habitants ». Même propos pour Martinot, subdélégué de Montdidier. AD Somme, 1C 84 doc 17, Lettre du 8 février 1772. Selon ses termes, « Il est de notoriété publique dans la Picardie que les laboureurs n’ont pas cessé d’en vendre sans garder les blés d’une année sur l’autre. »

    122 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « On a déjà bien raisonné sur les causes de la calamité qui afflige le royaume depuis quatre à cinq ans, les uns l’attribuant aux intempéries des saisons, d’autres aux effets de l’exportation, les plus sages peut-être aux deux causes réunies. » L’intendant d’Alençon évoque également « l’irrégularité des saisons depuis 1767 », considérant qu’elles peuvent « être la principale cause » de « l’excessive augmentation » du grain, 25 janvier 1772.

    123 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, 28 novembre 1771, qui atteste l’existence de « mauvaises récoltes qu’on a fait depuis trois ans dans une grande partie du royaume » ; Lettre de l’intendant de Rouen, de Crosne : « [J’ai recommandé à mes subdélégués] de conférer avec les cultivateurs les plus intelligents et les plus désintéressés et de me mander le résultat de leurs conférences. Ils m’ont tous répondu unanimement qu’on étoit pleinement persuadé dans leurs cantons que les mauvaises récoltes successives qu’on a eues depuis cinq ans étoit les premières causes de l’augmentation excessive du prix des grains. » ; Lettre de l’intendant Bon de Saint-Hilaire à Perpignan, 14 octobre 1771 : « Le succès a passé l’espérance et il est probable qu’on auroit aperçu que les avantages de la loi si la médiocrité de plusieurs récoltes consécutives ne les avoit contrariés. »

    124 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    125 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, 28 octobre 1771.

    126 Fernand Braudel et Ernest Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, t. II, 1660-1789, Des derniers temps de l’âge seigneurial aux préludes de l’âge industriel, PUF, 1993 ; sur la formation du marché national et la politique des communications, p. 166 et s.

    127 F. Quesnay, Maximes générales…, op. cit., maxime XVII : « Que l’on facilite les débouchés et les transports des productions et des marchandises de main d’œuvre par la réparation des chemins et par la navigation des canaux, des rivières et de la mer ; car plus on épargne sur les frais du commerce, plus on accroît le revenu du territoire. »

    128 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771 : « On descend les rivières et les montagnes pour aller de l’intérieur aux frontières : il faut remonter des frontières dans l’intérieur. Quand la disette est en Bourgogne, ces mêmes rivières par lesquelles ses grains se sont écoulés avec une rapidité dangereuse ne les reportent plus qu’avec une lenteur et des peines infinies. » ; Lettre de l’intendant de Grenoble, Pajot de Marcheval, qui avoue avoir « un pays aussi difficile pour les communications ».

    129 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne, 28 octobre 1771 : « Sans l’exportation, nous aurions retrouvé dans nos greniers [des grains], ils s’y seroient conservés sains et sans altération et ils nous sont revenus échauffés et altérés par les transports. »

    130 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, de Chazerat, à Clermont, 28 novembre 1771 ; il estime le coût du transport des grains à plus de 5 livres, soit « deux livres dix sols par quintal pour le transport par l’Allier et la Loire jusqu’à Nantes et plus de trois livres pour le conduire jusqu’à Lyon, ce dernier transport ne pouvant se faire que par terre ». De même, dans sa lettre, Terray estime que le grain « ne pourroit plus être livré à moins de 15 à 16 livres le quintal dans le cas où le négociant seroit obligé de le transporter au centre du royaume pour le consommer » ; AN, F11 223, Lettre du 1er octobre 1771. Das une autre mesure, Alain Clément, « La politique sociale de Turgot : entre libéralisme et interventionnisme », L’actualité économique, vol. LXXXI, n° 4, 2005, p. 725‑745 : « On estime dans la deuxième moitié du xviiie siècle qu’une distance de 400 kilomètres à parcourir double le prix du blé. » (p. 728).

    131 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 359 : « Avec la cherté croissante des grains, les ports et les passages terrestres aux frontières se ferment l’un après l’autre aux exportations. » ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 19‑20 : « Dès 1765, le taux prohibitif de 12 livres 10 sols avait été atteint et avait déterminé la fermeture des ports de Cette et d’Agde. En 1766, huit ports se fermèrent : Rouen, Honfleur et Le Havre sur la Manche, Brest, Nantes sur l’Océan, Port-Vendres, la Nouvelle et Toulon sur la Méditerranée. La même année, Marseille fut déclaré port étranger pour le commerce des grains, ce qui équivalait à la fermeture. En 1767, six ports fermèrent encore, tous sur la Manche. Sur trente-six qui avaient été successivement ouverts à l’exportation, seize étaient fermés à la fin de 1767 et vingt et un à la fin de l’année suivante. »

    132 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    133 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Trévoux, Jean-Benoît de Cachet de Garnerans, 14 octobre 1771.

    134 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772 : « N’interdire au contraire cette liberté que quand la valeur des grains est trop considérable, c’est mettre l’intérieur du royaume dans le cas d’en manquer. Les provinces maritimes et frontières peuvent avoir eu de très bonnes récoltes quand le plat pays n’aura rien recueilli ; le bled commun dans ces provinces n’y aura pas atteint le prix de l’interdiction, le cultivateur ou le commerçant qui s’en sera approvisionné, consultant moins l’intérêt de ses concitoyens que son avantage particulier, balançant les frais de transport pour le ramener dans l’intérieur avec le prix qu’il y en pourra tirer et qu’il comparera avec celuy qu’il recevrait de l’étranger, n’hésitera pas de donner la préférence à celui-ci qui par-là aura son bled à bas prix pendant qu’une partie des sujets du roi en sera privée. »

    135 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, Auguet de Montyon, 7 décembre 1771 : « La disproportion du lieu de l’acquisition à celuy de la consommation fait sentir que le mal le plus grand ne vient pas de la cherté de la denrée dans les ports mais de la difficulté et des frais d’extractions qui sont tels que dans deux cantons du royaume à une distance peu considérable, il peut se trouver dans le même moment disette et abondance ; c’est cette inégalité de prix à laquelle il est intéressant de pourvoir, mais les moyens sont étrangers à l’exportation. Il faut pour cet effet faciliter la navigation des rivières, les affranchir des péages, ouvrir des canaux et les chemins réellement utiles au commerce. »

    136 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771.

    137 AN, F11 223, 1er février 1772, Lettre de l’intendant de Lyon, Jacques de Flesselle : « Les différences trop sensibles qui ont existé depuis deux années dans le prix de ces diverses provinces intérieures et même voisines annoncent que cette liberté n’est point encore établie, bien plus, il est constant que la circulation intérieure a été interceptée au point que les provinces nageoient dans la superfluidité pendant que leurs voisins souffraient de la disette, c’est donc cette libre circulation de province à province qu’il paroit importante d’établir par un règlement dont l’exécution surveillée avec soins puisse empêcher ces deffenses particulières de circulation qui sont toujours portées au-delà des bornes et qui, par une fausse combinaison, en ôtant la liberté du commerce intérieur, empêchent l’abondance et tournent souvent au désavantage des provinces mêmes qui mettent ces entraves. »

    138 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 360 ; R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 43 et 57 : « Le peuple confondait souvent l’exportation à l’étranger et l’exportation de province à province », mais « c’eût été gravement méconnaître l’intention de Terray et l’arrêt du Conseil sur ce point s’était exprimé avec toute la clarté possible » ; « Terray avait affirmé avec force son désir que toutes les régions de la France se prêtassent une aide mutuelle » ; « On peut dire que c’est sous le ministère de Terray qu’on achèvera de faire véritablement la différence entre l’exportation à l’étranger et les déplacements de grains constituant la circulation intérieure, si souvent confondus l’un avec l’autre par le peuple. »

    139 AD Somme, 1C 84 doc 1, Arrêt du Conseil d’État du roi concernant le commerce du grain. Cet arrêt a été revêtu de lettres patentes pour être enregistré par les parlements. S. L. Kaplan, Le pain, le peuple et le roi…, op. cit., p. 334.

    140 Dupont de Nemours, De l’exportation et de l’importation des grains…, op. cit. : « Alors, quoique le pain soit un peu plus cher, il sera infiniment plus à la portée des pauvres gens d’entre le peuple : parce que tout ce peuple aura de l’argent vu qu’il aura des salaires et des salaires proportionnés au renchérissement de sa dépense. », p. 29.

    141 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., vol. II, p. 171 et s. ; AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, Gourgues, qui est farouchement opposé aux défrichements : « Les défrichements dans beaucoup de parties ont été faits avec peu de réflexion, on a défriché des montagnes, des coteaux qui produisaient des bois, les pluies abondantes forment aisément des ravines dans les terres nouvellement remuées, les précipitent dans les valons et souvent dans des torrents, et un coteau qui produisait quelque chose d’utile ne représente plus après qu’une croute de roche aride. »

    142 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Rouen : « On ne peut pas disconvenir que l’exportation des grains n’ait produit de grands avantages, elle a été un motif d’émulation pour les cultivateurs, elle a occasionné beaucoup de défrichements, la valeur des biens fonds a considérablement augmenté et pendant les deux premières années qu’elle a eu lieu, elle a servi à procurer utilement des débouchés à la vente des grains dont il y avait une si grande abondance que les cultivateurs en étaient embarrassés. »

    143 AN, F11 223, 10 octobre 1771, Lettre de l’intendant de Soissons, Louis Le Pelletier de Mortefontaine : « L’agriculteur y trouve d’abord un profit qui l’encourage en même temps qu’il l’enrichit mais le propriétaire ne tarde pas à l’en frustrer par une augmentation sur le fermage. »

    144 G. Weulersse, La physiocratie à l’aube de la Révolution, 1791-1792, Éd. de l’EHESS, 1984.

    145 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Bourgogne, Amelot de Chaillou, qui estime que « si le taux des grains se soutien, il faudra bien que la main d’œuvre et les salaires de toute espèce augmentent aussi, mais ils n’augmenteront que lentement, successivement, et en attendant, le peuple souffrira ».

    146 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Soissons, Louis Le Pelletier de Mortefontaine, 10 octobre 1771. Selon lui, on assiste à une « émigration des ouvriers que la misère expatrie ».

    147 A. Clément, La politique sociale de Turgot…, op. cit., p. 732. Selon Turgot, « La cherté n’est tombée que sur les journaliers et les artisans […]. Les propriétaires et les cultivateurs ont du moins été dédommagés par la vente avantageuse de leur récolte ». « En fait, c’est le mécanisme d’ajustement salaires-prix qui pose problème. » Pour Turgot, entre « le prix des subsistances et le prix des journées, cette proportion ne suit pas exactement le prix moyen, mais reste constamment au-dessous et au préjudice de l’homme de journée ».

    148 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne. Selon lui, « le pain n’est pas à la vérité leur plus grande dépense mais le prix des grains influe toujours sur les autres denrées nécessaires à la vie ».

    149 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montauban, 16 décembre 1771.

    150 Ibid.

    151 Paul Butel, L’économie française au xviiie siècle, Paris, Éd. SEDES, 1993, p. 267 : « Ce n’est que dans l’édit de 1787, sous Calonne, que cette restriction saute, il n’est plus question de prix limite au-delà duquel se ferme la frontière ; on déclare seulement qu’en cas de cherté excessive, née de crise, un arbitrage aura lieu au sein des assemblées provinciales qui sont celles des grands propriétaires » ; F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 375 : « Calonne essaya de résoudre le problème du commerce extérieur des grains que Turgot n’avait pas osé aborder. La déclaration du 17 juin 1787, qu’il fit aisément approuver par l’Assemblée des Notables, gens éclairés et souvent grands propriétaires, autorisa indéfiniment l’exportation des grains. »

    152 Il semble évident qu’en France, « la Couronne a eu du mal, selon Kaplan, à choisir entre les “lois du marché” ou le libre marché et le marché réglementé » ; cité par P. Butel, L’économie française…, op. cit., p. 267.

    153 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général des finances Terray, 1er octobre 1771.

    154 Ibid.

    155 Ibid.

    156 Certaines généralités connaissent en leur sein également des inégalités de production. Par exemple, l’intendant d’Orléans affirme que « dans la Beauce, les récoltes en bled sont ordinairement très abondantes », alors que dans le « vignoble et le surplus de mon département », le rendement est moindre ; AN, F/11/223, Lettre de l’intendant d’Orléans, 30 janvier 1772. Dans le Nord, il existe deux provinces excédentaires et exportatrices, l’Artois et le Cambrésis, et deux autres déficitaires et importatrices, à savoir la Flandre et le Hainaut ; P. Cerisier, Le monde bigarré des marchands…, op. cit., p. 429.

    157 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 480.

    158 Ibid., p. 481.

    159 F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France…, op. cit., p. 372 : « Les caractères de ce bon prix ? Il doit permettre de couvrir non seulement le prix de revient largement entendu, mais l’investissement. »

    160 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 348 : « Le bon prix n’est pas autre chose que le prix commun du marché général lui-même établi par la concurrence entre les nations librement commerçantes. »

    161 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 481. Quesnay, en particulier, se souciait de la concurrence des blés d’Amérique « qui se fait sentir non seulement aux Antilles mais en Europe, et qui a fait baisser le prix du blé en Angleterre même, malgré la liberté du commerce ».

    162 Ibid., p. 477 et 482. Pour Dupont de Nemours, « les Anglais le vendent actuellement près de 22 livres prix commun dans les marchés de l’Europe ; il y a donc lieu de croire, et de fortes raisons prouvent, que notre concurrence ne peut pas faire baisser le prix commun du marché général au-dessous de 18 livres, c’est-à-dire que les plus grandes variations seraient chez nous de 16 à 20 livres comme elles sont en Angleterre aujourd’hui de 20 à 24 livres » ; Dupont de Nemours, De l’exportation…, op. cit., Éd. E. Depitre p. 49.

    163 Il existe pour certains intendants un véritable travail de calcul et de conversion, dans la mesure où il n’existe pas en France d’uniformité des poids et des mesures. Par exemple, l’intendant de Trévoux, Jean-Benoît de Cachet comte de Garneran, raisonne en neuvaine et en année : « la neuvaine pèse en froment 365 livres poids de marc » et l’asnée « 429 livres » ; « La première de ces mesures vaut, à raison de 8 livres le quintal, 29 livres 4 sols, la seconde 34 livres 5 sols. Et le bled n’est réputé dans le commerce et ne commence à être cher que lorsqu’il vaut 33 livres la neuvaine et 39 livres l’asnée » ; AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Trévoux, 14 octobre 1771. E. Zylberman, Auguet de Montyon…, op. cit., p. 129 ; dans une lettre adressée à Terray en 1770 alors qu’il était encore en poste en Auvergne, l’intendant Auguet de Montyon reconnaît qu’il n’y a « rien de plus important que d’assurer la circulation dans l’intérieur soit de province à province, soit de ville à ville, soit de marché à marché. Mais j’ai peine à croire que cette circulation soit facile, pleine et entière tant qu’on laissera subsister l’inégalité des mesures ».

    164 F.-A. Isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises…, op. cit., Arrêt du Conseil qui interdit la sortie des grains du royaume, Versailles, 14 juillet 1770.

    165 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 6.

    166 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Bourgogne : « Je suis très persuadé que la liberté accordée en 1764 d’exporter les grains à l’étranger jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus au prix de 12 livres 10 sols le quintal a porté les exportations beaucoup au-delà de la proportion de nos productions. » ; Lettre de l’intendant d’Auvergne : « Je sens, Monsieur, que le prix fixé par la déclaration de 1764 pour que l’exportation soit défendue est porté trop haut. » ; Lettre de l’intendant de Valenciennes : « J’ai toujours pensé que la fixation pour le prix du bled à 12 livres 10 sols le quintal était trop haute. » ; Lettre de l’intendant de Lorraine : « Le prix auquel la sortie des grains cesse d’être permise me paroit avoir été porté trop haut et que je crois nécessaire de réduire cette fixation. » ; Lettre de l’intendant d’Orléans : « En général, tout le monde est convaincu dans la généralité d’Orléans par principe et par expérience que la déclaration de 1764 rendue en faveur de l’exportation des grains avait assigné au bled un prix trop haut pour le terme de cette exportation. » ; Lettre de l’intendant du Roussillon : « Il se peut que le prix de 12 livres 10 sols par quintal fixé en 1764 soit un peu trop fort. »

    167 AN, F11 223, Lettre du contrôleur général Terray adressée aux intendants, 1er octobre 1771.

    168 Ibid.

    169 Ibid.

    170 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis-Guillaume de Blair, 12 octobre 1771.

    171 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Dijon, Antoine-Jean Amelot de Chaillou, 28 octobre 1771.

    172 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Perpignan, Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Valenciennes, Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Dijon, 28 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 28 novembre 1771 ; Lettre de l’intendant de La Rochelle, Gabriel Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    173 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Moulins, Jean-Samuel de Pont, 28 janvier 1772 ; Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    174 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine de Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 : « L’avantage le plus sensible de la liberté de l’exportation est d’enrichir le laboureur et par conséquent d’encourager l’agriculteur, mais cet avantage, quelque précieux qu’il soit, doit être combiné avec les besoins du peuple » ; Lettre de l’intendant de Moulins, Jean-Samuel de Pont, 28 janvier 1772 ; Lettre de l’intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne, 26 janvier 1772.

    175 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Tours, François-Pierre du Cluzel, 10 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Lille, Antoine Louis François Le Fèvre de Caumartin, 21 janvier 1772.

    176 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine de Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771.

    177 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Valenciennes, Louis Gabriel Taboureau des Réaux, 11 octobre 1771 ; Lettre de l’intendant de Strasbourg, Louis Guillaume de Blair, 12 octobre 1771, qui songe à un prix qui « ne se trouve pas trop cher pour les consommateurs de toutes les classes ».

    178 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Chaumont de La Galaizière ; Lettre de l’intendant de Rouen, Thiroux de Crosne ; Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, pour lequel le consommateur doit être « assuré de ne pas payer les denrées à un prix hors de portée de leur faculté » ; Lettre de l’intendant de Dijon, Amelot de Chaillou, selon lequel le prix doit « se trouver en même temps à la portée des consommateurs ».

    179 AN, F11 223, Lettre de Terray, 1er octobre 1771.

    180 Ibid.

    181 F. Quesnay, « Grains », art. cité : « État de la grande culture des grains. La grande culture est actuellement bornée environ à six millions d’arpens de terre, qui comprennent principalement les provinces de Normandie, de la Beauce, de l’Isle-de-France, de la Picardie, de la Flandre françoise, du Hainault, & peu d’autres. Un arpent de bonne terre bien traité par la grande culture peut produire 8 septiers & davantage, mesure de Paris, qui est 240 livres pesant ; mais toutes les terres traitées par cette culture ne sont pas également fertiles ; car cette culture est plutôt pratiquée par un reste d’usage conservé dans certaines provinces, qu’à raison de la qualité des terres. D’ailleurs, une grande partie de ces terres est tenue par de pauvres fermiers hors d’état de les bien cultiver : C’est pourquoi nous n’avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre qu’à cinq septiers, semence prélevée. »

    182 Pour une bonne synthèse relative aux idées de Caumartin, intendant de Flandres, de Taboureau des Réaux, intendant du Hainaut et de Bruno d’Agay, intendant de Picardie, se référer à René Grevet, « Les intendants des généralités septentrionales et le commerce des grains à la fin du règne de Louis XV », Revue du Nord, n° 400‑401, 2013, p. 335‑349.

    183 AD Somme, 1C 84 doc 18, Lettre adressée au contrôleur général des finances, 18 février 1772. D’Agay reprend les avis de ses subdélégués et affirme que le prix de 8 livres le quintal ne peut être que très avantageux aux cultivateurs.

    184 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Nancy, Antoine Chaumont de La Galaizière, 30 octobre 1771 : « Il faut que la subsistance du peuple soit assurée à un prix qui se rapproche autant qu’il est possible de ses besoins et de ses facultés et ce prix me paroit pouvoir être fixé à environ sept ou huit livres. »

    185 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Dijon : « Ce sont, Monsieur, ces différentes considérations qui me déterminent à penser que quand les circonstances permettront de rétablir la liberté d’exportation à l’étranger, il conviendra de ne l’admettre qu’autant que les grains n’excéderont pas sept livres dix sols ou huit livres le quintal. »

    186 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Caen, François-Jean d’Orceau de Fontette, 14 octobre 1771 : « Pour toute la Normandie, il serait bon d’établir cette fixation non à huit livres le quintal mais à sept livres mais en supposant que la fixation que j’ay l’honneur de vous proposer vous paroisse au-dessous de ceux que peut exiger l’ensemble du royaume, j’estimerai toujours que celle que vous proposez d’établir ne doit pas excéder huit livres. » ; Lettre de l’intendant de Nancy : « Il faut que la subsistance du peuple soit assurée à un prix qui se rapproche autant qu’il est possible de ses besoins et de ses facultés et ce prix me paroit pouvoir être fixé à environ sept ou huit livres. »

    187 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Dupleix de Bacquencourt, 28 janvier 1772.

    188 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772.

    189 Ibid.

    190 Ibid.

    191 Ibid.

    192 AN, F11 223, 16 décembre 1771, Alexis François-Joseph de Gourgues, profondément antilibéral, n’aspire qu’au retrait pur et simple de l’édit de 1764. Tout au plus, si cela peut faire plaisir au ministre des Finances, il consent au taux proposé : « Dans ces circonstances, Monsieur, le parti que vous paroissiez adopter de fixer le prix de l’exportation à huit livres peut procurer quelque bien mais le plus grand bien seroit de retirer l’édit de 1764. »

    193 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Grenoble, Pajot de Marcheval, 31 octobre 1771. Il ne fait aucun doute pour lui que le « cultivateur ne peut se tirer d’affaire si le bled n’excède pas huit livres le quintal ».

    194 Ibid.

    195 AN, F11 223, Lettre de Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, intendant de Montpellier, 16 octobre 1771. Il craint également de « ralentir l’action des défrichements que l’administration cherche tant à favoriser ».

    196 AN, F11 223, Lettre de Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771.

    197 AN, F11 223, Lettre d’Auguet de Montyon, intendant de Provence, 7 novembre 1771.

    198 AN, F11 223, Lettre de Journet, intendant d’Auch, 30 octobre 1771 : « Ma généralité est un pays fertile et abondant en grains, dans les bonnes années, le tiers de la récolte en bled suffit à sa subsistance, le peuple se nourrissant de blé d’Espagne ou milloc et d’autres menus grains. Par cet ordre, on peut exporter soit hors du royaume soit dans l’intérieur les 2/3 du blé qu’on a recueilli dans ces années. C’est même le principal et presque l’unique commerce de ce pays. »

    199 AN, F11 223, Lettre de Charles François-Hyacinthe Esmangart, intendant de Bordeaux, 28 octobre 1771.

    200 À considérer les réponses des intendants du Sud de la France, seuls trois intendants prévoient expressément le taux de 10 livres, à savoir ceux de Montpellier, de Perpignan et d’Auch. Les intendants de Grenoble et d’Aix rejettent catégoriquement le taux de 8 livres, mais ne s’avancent guère pour proposer autre chose, si ce n’est pour la Provence, la mise en place de taxes et de droits sur les exportations (cf. infra, II, B). Enfin, l’intendant de Montauban refuse de s’exprimer sur le sujet.

    201 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Perpignan, Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire, 14 octobre 1771.

    202 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Montpellier, Jean Emmanuel de Guignard de Saint-Priest, 16 octobre 1771.

    203 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Auch, Étienne-Louis Journet, 30 octobre 1771.

    204 Dans sa cinquième lettre adressée à Terray le 14 novembre 1770, Turgot évoque un prix moyen des grains de 1711 à 1770 établi à 20 livres 16 sous. Il présente par ailleurs un tableau comparatif des prix du froment à Paris et à Angoulême pendant la disette de 1740 à 1741.

    205 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de La Rochelle, Sénac de Meilhan, 12 octobre 1771.

    206 AN, F11 223, Lettre de l’intendant de Riom, Charles Antoine Claude de Chazerat, 12 octobre 1771.

    207 AN, F11 223, Lettre de l’intendant Jean-Benoît de Cachet comte de Garneran, 14 octobre 1771.

    208 Ibid.

    209 F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France…, op. cit., p. 373. Concernant le froment, « les prix du Sud-Est, du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, plafonnent sensiblement au-dessus de la France du Nord ». « Dans le Nord-est du royaume, en 1756-1760, le froment commun se vendait entre 14 et 15 livres au setier de Paris. Durant la même époque, la même moyenne quinquennale s’établit à une vingtaine de livres dans l’Est. Toujours pour les mêmes années, la différence va de 18 livres dans le Sud à 23 livres dans le Sud‑est. »

    210 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix, Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 ; F. Olivier-Martin, La police économique, op. cit., p. 348 : « Les physiocrates ne manquent pas de remarquer que le prix moyen des grains est bien plus élevé en Angleterre que chez nous et ils attribuent à cette circonstance les progrès indéniables de l’agriculture anglaise. » Il est fort possible que le second pays visé soit la Hollande ; E. Depitre, Dupont de Nemours…, op. cit., p. 43 : « Les pays du Nord sont le principal grenier de l’Europe. C’est là que nous prenons nos grains quand nous nous trouvons dans les années de disette ; c’est là que les Hollandais puisent les leurs qu’ils réexportent ensuite en Espagne, au Portugal, en Italie. »

    211 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772. Il observe que depuis cinq ans les récoltes sont médiocres et que la « France ne s’est pas seule ressentie car ce que peut-être on n’avait jamais vu, a été presque général en Europe ».

    212 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon. Il observe justement que « quelle que soit l’étendue qu’on donne à l’exportation, elle sera toujours proportionnée aux besoins de l’étranger qui ne viendra pas chercher son grain quand il en aura chez lui ».

    213 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, 7 novembre 1771 : « Le moyen le plus efficace, selon un commerçant de ce pays, homme qui a beaucoup vu et beaucoup réflechy, n’est pas la prohibition absolue ; il estime qu’on pourroit y pourvoir d’une manière plus douce et plus efficace en introduisant une méthode plus travaillée, plus analogue aux principes de l’administration, une méthode suivant laquelle l’exportation même donnât des gages pour la réimportation dans le cas de disette. Vous sentez, Monsieur, qu’il voudroit voir établir un droit de sortie sur l’exportation. »

    214 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 6 : « Pour que la surveillance de l’exportation fût exercée d’une manière encore plus efficace, on l’avait astreinte à un droit de sortie d’un demi pour cent de la valeur, bientôt remplacé par un droit fixe sur la quantité qui devait permettre de connaître exactement les quantités exportées. Ce droit fut fixé par lettres patentes du 7 novembre 1764. Il était de sept deniers et demi par quintal de froment. »

    215 AN, F11 223, Lettre d’Antoine Jean Baptiste Robert Auguet de Montyon, 7 novembre 1771.

    216 Il n’est pas rare que localement les intendants requièrent de l’aide au Conseil du roi pour venir au secours des victimes de la famine ou qu’ils prennent des fonds sur d’autres caisses pour assurer les approvisionnements et dédommager les négociants qui vendent à perte. Sur ce sujet, P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 239 et s.

    217 AN, F11 223, Lettre d’Antoine Jean Baptiste Robert Auguet de Montyon, 7 novembre 1771 : « Il ne faudrait pas suivant ce plan que les produits de ce droit fussent versés dans le trésor royal mais que des chambres de commerce en fussent dépositaires pour les rendre à celuy qui importerait au moment de la cherté. »

    218 G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France…, op. cit., p. 23 « Un moyen facile pour assurer un bon prix aux productions du territoire aurait consisté à prohiber, ou tout du moins à taxer, celles de l’étranger. » Il s’agit d’imposer une sorte de « colbertisme agricole ».

    219 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Alençon, Antoine Jean-Baptiste Alexandre Jullien, 25 janvier 1772 : « On objectera il est vrai que l’impôt sera moins à la charge du monopoleur qu’à celle de l’agriculteur, à celuy là le fera supporter en le diminuant sur le prix du bled qu’il achètera. L’objection peut être vraie, mais au moins cette taxe en augmentant la valeur du grain destinée à être exporté le rapprochera de celle qu’il aurait dans l’intérieur du royaume s’il y était moins abondant et déterminerait à l’y amener de préférence à l’étranger. »

    220 Ibid.

    221 Selon cet intendant, « l’impôt sur la sortie des grains diminuerait considérablement le monopole s’il ne l’arrêtoit totalement », ibid.

    222 Ibid. Le seul risque à craindre, selon l’intendant d’Alençon, est « celuy sur lequel l’administration n’a plus d’inspection, celuy que peuvent faire les négociants qui, sous prétexte d’exportation à l’étranger, embarquent des bleds pour les déposer dans quelques-unes des isles voisines appartenants aux Anglais, jusqu’à ce que l’augmentation occasionnée par cette exportation les détermine à les ramener comme grains étrangers en France où, par le prix auxquels ils les ont fait monter, ils trouvent à satisfaire leur cupidité. Toujours attentifs à leurs intérêts, ils n’en font passer que dans la proportion nécessaire pour y entretenir la cherté. Hors des yeux du gouvernement, soustraits à son autorité, ils ne craignent pas d’être forcés d’en garnir les marchés d’une plus grande quantité. Maîtres du prix, ils nous font la loy. Heureux encore s’ils ne demandent pas des gratifications pour les prétendus services qu’ils rendent à l’État ».

    223 Ibid.

    224 Ibid.

    225 AN, F11 223, Lettre de l’intendant d’Aix-en-Provence, 7 novembre 1771.

    226 F. Quesnay, « Grains », art. cité.

    227 Dupont de Nemours estime également qu’il « faut donc décharger le commerce de toutes espèces de droits au-dedans et au dehors du royaume : car tout impôt donne aux étrangers un avantage sur nous et il faut donc laisser la plus grande liberté au-dedans et au dehors, pour l’entrée et pour la sortie, pour les regnicoles et pour les étrangers car n’importe qui nous débarrasse de notre superflu et nous voiture nos denrées » ; Dupont de Nemours, De l’exportation et de l’importation des grains…, op. cit.

    228 P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit., p. 136 : « Jullien, le dernier intendant d’Alençon, laissa après lui un souvenir précieux. »

    229 E. Zylberman, Auguet de Montyon…, op. cit., p. 107 et s. Il peut être intéressant de relever qu’en 1793, Auguet de Montyon est déclaré émigré et se réfugie en Angleterre où il réside pendant plus de vingt ans. Il devient membre correspondant de la Société royale de Londres et « s’occupe des problèmes qui peuvent se poser à l’agriculture anglaise ». Il tente « parfois d’établir la comparaison avec l’agriculture française et de tirer des conclusions ».

    230 Les œuvres de Quesnay, de Dupont de Nemours et de Mirabeau évoquent toutes l’exemple anglais. P. Butel, L’économie française au xviiie siècle…, op. cit., p. 274 : « Les réformateurs de l’administration étaient convaincus d’une supériorité anglaise dans la production, due à des raisons techniques, mais aussi au fait que la Grande-Bretagne disposait d’un marché unifié. » Par exemple, F. Quesnay, « Fermiers », art. cité : « En Angleterre le blé se vend environ vingt-deux livres, prix commun ; mais, à cause de la liberté du commerce, il n’y a point eu de variations excessives dans le prix des différentes années ; la nation n’essuie ni disettes ni non-valeurs. Cette régularité dans les prix des grains est un grand avantage pour le soutien de l’agriculture ; parce que le laboureur n’étant point obligé de garder ses grains, il peut toujours par le produit annuel des récoltes, faire les dépenses nécessaires pour la culture. » E. Depitre, Dupont de Nemours…, op. cit. : « Les Anglais vendent présentement le leur [blé] à peu près 22 livres dans les marchés de l’Europe, il est incontestable que notre concurrence fera baisser ce prix là. »

    231 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 75‑78.

    232 Les réponses adressées par Terray à Bertier de Sauvigny, intendant de Paris, et à Taboureau des Réaux, intendant de Valenciennes, sont troublantes. Au premier, antilibéral convaincu, il écrit : « Ma lettre a donc eu pour but d’éloigner plutôt les vues de l’exportation que de les rapprocher. D’après cela, Monsieur, vous jugerez aisément combien j’applaudis aux principes dont vous me faites part ainsi que de la sévérité avec laquelle je m’opposerai à toute exportation. » Au second, sceptique avéré, il répond : « J’ai reçu votre lettre du onze du mois par laquelle vous me proposez vos réflexions sur celle que je vous ai écrite le 1er ; indépendamment du désir que j’ai eu de profiter de vos lumières dans lesquelles j’ai la plus grande confiance, je n’ai pas voulu me décider tant sur la fixation du prix auquel l’exportation pourroit être permise, que sur la publicité à donner aux intentions du roy, sans avoir auparavant votre avis ; je ne puis que trop applaudir à vos vues d’après la position de votre province ; si vous êtes dans le cas de manifester la volonté de Sa Majesté, vous êtes le maître d’en user suivant votre prudence et de prévenir seulement les négociants ou autres sur la conduite desquels vous croirez que l’avis que vous seriez le cas de leur donner put influer. Vous aurez vu sans doute que dans ma proposition, j’avois pour but de rassurer ceux qui craignent l’exportation et que la fixation à indiquer à huit livres le quintal pour prix commun dans le royaume tendrait plutôt à refuser l’exportation forma negandi qu’à l’annoncer. Au surplus, Monsieur, je ne puis trop vous le répéter, je vous laisse entièrement le maître sur les précautions que vous croirez devoir prendre. » ; AN, F11 223 et R. Grevet, Les intendants des généralités septentrionales…, op. cit., p. 344.

    233 P. Ardascheff, Les intendants de province…, op. cit. : « Quand il s’agit de quelque mesure d’intérêt général à prendre, le ministre demande ordinairement leurs avis à tous les intendants du royaume, et ces avis ne semblent pas avoir été sans une influence réelle, souvent décisive. »

    234 R. Girard, L’abbé Terray…, op. cit., p. 75.

    235 Turgot n’a pas agi autrement. L’arrêt du Conseil du 13 septembre 1774 a instauré la pleine liberté du commerce intérieur, mais il « déclarait attendre les circonstances plus favorables pour statuer sur la liberté de vendre hors du royaume ». F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 369.

    236 Dans sa première lettre datée de Limoges, le 30 octobre 1770, Turgot convient que Terray a sa « réputation d’homme éclairé et de ministre sage à conserver ».

    237 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 365.

    238 Ibid., p. 366 et s. : « Dès son installation au contrôle général, le 24 août 1774 Turgot congédia les collaborateurs de l’abbé Terray ». « Le 13 septembre un arrêt du Conseil réforma le commerce intérieur des grains. » Dans le préambule, il est précisé que « le roi s’est résolu à rendre au commerce des grains toute liberté dans l’intérieur du royaume ; c’est l’unique moyen de parvenir au prix juste et naturel des grains selon les variations des saisons et l’étendue des besoins » ; J.-L. Harouel, « Un exemple de déréglementation sous l’Ancien Régime : Turgot et l’abolition de la police des grains », dans La déréglementation, actes du colloque organisé à Poitiers les 13‑15 mai 1985 par les facultés de droit de Nimègue et de Poitiers, Paris, PUF, 1986, publié plus récemment dans À la recherche du réel…, op. cit., p. 483‑491.

    239 F. Olivier-Martin, La police économique…, op. cit., p. 374 : « Turgot dut abandonner le ministère en mai 1776. Son œuvre ne lui survécut guère. » ; « Necker agit uniquement par voie d’administration en s’inspirant des circonstances. » Il agit avec prudence en ne donnant que des ordres particuliers selon les événements. Chacun sait qu’il n’a pas hésité en 1775, lors de la guerre des farines, à prendre des positions contraires à Turgot en publiant Sur la législation et le commerce des grains (Paris, Pissot, 1775). Il préconise de surveiller le commerce extérieur grâce à une réglementation étroite qui varierait selon les circonstances et qui s’appliquerait strictement en cas de hausse des prix. Sur Necker et sa conception du peuple, S. L. Kaplan, The stakes of regulation…, op. cit., p. 136‑146.

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    Condette-Marcant, A.-S. (2023). Les intendants de province et le marché des grains : considérations adressées à l’abbé Terray. In P. Fridenson, F. Monnier, & A. Rigaudière (éds.), Concurrence et marchés (1‑). Institut de la gestion publique et du développement économique. https://doi.org/10.4000/books.igpde.16883
    Condette-Marcant, Anne-Sophie. « Les intendants de province et le marché des grains : considérations adressées à l’abbé Terray ». In Concurrence et marchés, édité par Patrick Fridenson, François Monnier, et Albert Rigaudière. Vincennes: Institut de la gestion publique et du développement économique, 2023. https://doi.org/10.4000/books.igpde.16883.
    Condette-Marcant, Anne-Sophie. « Les intendants de province et le marché des grains : considérations adressées à l’abbé Terray ». Concurrence et marchés, édité par Patrick Fridenson et al., Institut de la gestion publique et du développement économique, 2023, https://doi.org/10.4000/books.igpde.16883.

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    Fridenson, P., Monnier, F., & Rigaudière, A. (éds.). (2023). Concurrence et marchés (1‑). Institut de la gestion publique et du développement économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. https://doi.org/10.4000/books.igpde.16840
    Fridenson, Patrick, François Monnier, et Albert Rigaudière, éd. Concurrence et marchés. Vincennes: Institut de la gestion publique et du développement économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2023. https://doi.org/10.4000/books.igpde.16840.
    Fridenson, Patrick, et al., éditeurs. Concurrence et marchés. Institut de la gestion publique et du développement économique, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2023, https://doi.org/10.4000/books.igpde.16840.
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