1De nombreuses politiques publiques ne sont pas uniquement organisées par l’État (et ses démembrements) et appliquées à une population sur un territoire, mais sont aussi l’objet d’une régulation définie, mise en œuvre et évaluée par une pluralité d’acteurs, et appliquée à des activités qui « transcendent les frontières nationales » (Jessup, 1956).

2La régulation des investissements étrangers et du commerce international (lex mercatoria), l’exploitation des ressources pétrolières, gazières, minières, marines ou forestières (lex extractiva), la promotion des droits humains, la régulation du secteur sportif (lex sportiva), la régulation du numérique (lex digitalis) ou la lutte contre le réchauffement climatique sont quelques exemples de politiques publiques transnationales. Ces politiques sont organisées au moyen d’accords transnationaux (contrats, groupes de contrats). L’institution de ces politiques transnationales s’accompagne du développement d’organisations transnationales.

3Étudier ces politiques publiques transnationales, ces accords et ces organisations, c’est mettre en avant l’importance du rôle des acteurs non-étatiques, au côté des États. Plus spécifiquement, en management public, il s’agit de décrire cette participation des acteurs non-étatiques à la définition, à la mise en œuvre et à l’évaluation de ces politiques publiques. La gouvernance tripartite (organisations internationales, entreprises, organisations de la société civile) promue par l’Organisation des Nations Unies depuis les années 1990 est l’un des modèles permettant d’identifier concrètement quels sont ces acteurs et en quoi ils sont porteurs de ce management public transnational.

4Après la Seconde Guerre mondiale, mais, surtout à partir des années 1980 et 1990, ces différents objets transnationaux ont progressivement pris une place de plus en plus importante, en management public. Les chercheurs prennent en compte cette évolution, notamment en proposant un tournant global en sciences sociales. Ces recherches permettent de traiter différents problèmes liés à l’évolution du rapport entre politique et expertise, à l’évolution du rapport entre secteurs public et privé et à l’importance de renouveler le management des biens communs.

Les trois types d’objets concrets du management public transnational

5Les objets transnationaux sont apparus avec la réorganisation du commerce international, après-guerre. Trois types d’objets peuvent ici être distingués dans le développement historique des objets transnationaux.

6L’organisation des relations entre États hôtes et investisseurs étrangers, principalement dans la gestion des ressources naturelles, évolue, après la Seconde Guerre mondiale. C’est à partir de ce domaine concret que se sont développés différents objets transnationaux. Historiquement, ce sont les organisations internationales (Organisation des Nations Unies, Banque mondiale, Fonds monétaire international) qui sont à l’origine de ce phénomène au travers de leur politique de promotion du commerce international.

7Il s’agit alors d’accompagner la multiplication des accords entre États et investisseurs étrangers. Pour cela, des mécanismes doivent garantir le respect des engagements des États vis-à-vis des investisseurs étrangers. Concrètement, des politiques publiques régaliennes – notamment l’exploitation des ressources naturelles – sont organisées au moyen de contrats. Ces contrats d’État prévoient un partage des responsabilités entre acteurs publics et privés. De même, ces contrats garantissent à l’entreprise un retour sur investissement prédéterminé. En cas de non-respect, l’État compense le manque à gagner. Pour attirer les investisseurs étrangers, les États consentent à mettre en œuvre les dispositions de conventions internationales qui permettent notamment aux entreprises lésées de faire saisir les biens des États fautifs et de certains de leurs dirigeants sur le territoire d’États tiers. Les pouvoirs publics s’empêchent, dans ce cadre, de procéder à des nationalisations sans compenser le manque à gagner des opérateurs privés (Lhuilier, 2016 ; Favreau, 2021).

Les différents types d’objets transnationaux

8Dans ce cadre, trois types d’objets transnationaux apparaissent.

9Premièrement, les accords entre l’État ou ses démembrements et des opérateurs privés, dans le cadre de projets précis, sont des objets transnationaux que l’on peut qualifier de singuliers (Tuori, 2013). Les contrats d’État ou les partenariats public-privé – lorsque ces derniers organisent une collaboration avec des organismes étrangers – sont des exemples d’objets singuliers relevant d’un management public transnational.

10Deuxièmement, des politiques publiques transnationales apparaissent, à l’échelle de secteurs entiers, au niveau régional ou mondial. Ces politiques publiques fonctionnent sur un modèle hérité de la comptabilité, dont les principes sont définis par des professionnels et rendus obligatoires par des organismes publics, avec la collaboration d’acteurs privés de différentes natures. Après la Seconde Guerre mondiale, la régulation de l’aviation civile devient l’un des premiers exemples d’un tel management public transnational.

11Troisièmement, des organisations transnationales se développent. Les organismes participant à la régulation des secteurs extractifs, tels que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), le Processus de Kimberley, le Marine stewardship council (MSC) ou le Forest stewardship council (FSC) constituent des organisations de ce type. L’Union européenne peut être, d’une autre façon, considérée comme une organisation transnationale. Ces organisations créent des règles et les interprètent.

Les théories du management public transnational

12La multiplication de ces objets transnationaux s’est accompagnée de l’émergence de théories en sciences sociales. Ce « tournant global » est décrit comme une invitation à considérer l’analyse de la société dans une perspective globale. Sans rejeter l’État et sans prétendre que l’échelle nationale serait dépourvue de sens, il s’agit de se garder de « réduire tout phénomène social se déroulant au-delà des États à des relations internationales » (Caillé, Dufoix, 2013). Au contraire, le chercheur est aussi invité à prendre en considération les mécanismes de la globalisation, qui « tendent à créer et à consolider une économie mondiale unifiée, un système écologique unique et un réseau de communication complexe, qui couvrent l’ensemble du globe, même s’ils ne pénètrent pas chacune de ses parties » (Twining, 2000).

13Le droit est la première discipline à explorer, de façon détaillée, ces phénomènes, avec Philip Jessup (1956). De même, les juristes proposent des théories et mettent en œuvre de nouvelles pratiques, à l’échelle mondiale, notamment avec Martti Koskenniemi et John Ruggie (Frydman et al., 2016). Les théorisations proposées par les sciences politiques et les chercheurs en relations internationales permettent d’approfondir ces apports (Abbot, 2012 ; Biermann, Pattberg, 2013 ; Bulkeley et al., 2014).

14En management public, l’adoption de façon plus ou moins explicite des principes du New Public Management dans plusieurs pays pourrait être considérée comme un exemple de politique publique transnationale. Ici, « parallèlement aux réformes nationales et entremêlés avec elles, des modèles de réforme plus ou moins globaux ont été produits par les nombreux observateurs, évaluateurs, chercheurs et, surtout, organisations internationales qui suivent les réformes. La tendance [transnationale] prend donc la forme d’une sorte de réseau […] où les similitudes et les différences entre les pays découlent en partie de la manière dont les réformes sont reflétées et construites par les nombreux médiateurs d’idées – tels que les chercheurs, les organisations internationales, les consultants et les médias – qui sont perçus comme constituant une société mondiale dotée d’une certaine culture et structure » (Sahlin-Andersson, 2000).

Des applications à la recherche

15De façon spécifique, trois types de recherches peuvent être distingués.

16En premier lieu, l’étude des objets transnationaux singuliers, des politiques publiques transnationales et des organisations transnationales permet de repenser le rapport du management public au politique. Un mouvement de recherche, dans le domaine de l’analyse des politiques publiques, met en avant la professionnalisation, la mise en avant de l’expertise et la privatisation des processus de décision, lorsque le management public devient transnational. Il s’agit alors d’interroger la place des experts et les phénomènes de contestation citoyenne et de déficit démocratique. L’Union européenne n’est pas l’unique organisation transnationale à connaître ces difficultés. Les organisations comme le FSC, l’Organisation mondiale de la santé ou le Processus de Kimberley se trouvent aussi dans cette situation, dans laquelle l’organisation est présentée à la fois comme plus démocratique – puisque représentant aussi des organisations de la société civile et non uniquement les entreprises – et problématique du point de vue politique puisque non soumise à des systèmes électoraux comparables à ceux des États occidentaux.

17Le rejet des élites – ou, plus justement, des décideurs – s’accompagne ici d’une rhétorique relative à la crise de légitimité et de la mise en œuvre de processus participatifs (Hay, 2007 ; Lhuilier, 2016, Favreau, 2021 ; Bastiège, 2021). C’est ici la notion de « public » qui évolue. La décision était qualifiée de publique lorsqu’elle dépendait du secteur public. La décision est dorénavant publique lorsqu’elle associe certaines Organisations de la société civile. Cette nouvelle définition du management public est celle promue par les Organisations internationales à partir du discours de Kofi Annan du 31 janvier 1999.

18En deuxième lieu, l’étude de ces trois objets transnationaux permet de repenser la distinction entre secteur public et secteur privé. Une large littérature interroge cette évolution (Favreau, 2019). Certains chercheurs soulignent les effets de cette relation entre public et privé. Concrètement, l’adoption, par les États, d’un modèle de management public transnational fondé sur la stimulation de la production de biens industriels entraîne une hausse du prix relatif des services marchands et non marchands. Effectivement, les contrats d’État permettent le financement massif et systématique de la production de biens industriels. Les gains de productivité qui s’ensuivent s’accompagnent d’une hausse vertigineuse des prix relatifs des services marchands et non marchands, source d’aggravation de la pauvreté, alors qu’ils sont pourtant nécessaires au développement économique de long terme. L’État ne peut pas compenser cet écart croissant des prix entre biens industriels et services essentiels de façon indéfinie. L’émergence d’un management public transnational s’accompagne donc d’effets contreproductifs qu’il est nécessaire de prendre en compte (Le Duff, Orange, 2012).

19En troisième lieu, l’étude des objets transnationaux permet de proposer des moyens d’action transnationaux, pour participer à la régulation de problèmes transnationaux. La gestion de biens communs mondiaux – tels que les ressources naturelles nécessaires au fonctionnement de l’économie – est aujourd’hui problématique et relève, de fait, d’une forme de management public transnational. Une partie de la littérature met ici en avant la supposée perte d’autonomie de l’État, dans ce contexte. D’un point de vue managérial, cette régulation accompagne surtout une réorganisation. Le New Public Management était une politique publique transnationale articulée autour d’une logique de gestion des coûts. Dans le cadre du management public transnational actuel, cette gestion des coûts devient, surtout, un management des risques. Ces risques sont coconstruits par un ensemble d’acteurs, faisant évoluer le management public, à l’échelle internationale (Bastiège, 2022). La participation à l’évaluation des impacts environnementaux et sociétaux est ainsi l’un des principaux moyens qui permettent, de fait, la redéfinition des mécanismes de gouvernance, sur les territoires.