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Service public
p. 619-623
Texte intégral
1Le terme de service public est, à première vue, d’une grande banalité : dans toute société, on trouve en effet un ensemble d’activités considérées comme étant d’intérêt commun et devant être prises en charge par la collectivité, c’est-à-dire une sphère de fonctions collectives. Néanmoins, cette banalisation n’est qu’apparente : la notion française de service public a toujours comporté des implications très spécifiques.
La conception traditionnelle du service public
2Tel qu’il a été traditionnellement conçu en France, le service public est caractérisé par des principes de gestion spécifiques, qui en font un îlot à part au sein de l’économie et de la société. Cette spécificité est sans doute fonction de la nature du service en cause : le particularisme des règles juridiques applicables a toujours été fortement nuancé en ce qui concerne les services publics économiques, témoignant de la nécessité d’un compromis avec les principes de fonctionnement de l’économie marchande ; néanmoins, dans tous les cas, la gestion reste irréductible à celle d’une entreprise privée.
Une logique d’action spécifique
3D’abord, la logique d’action est différente. Le vocable de service public signifie que la prise en charge par le public (État ou collectivités locales) d’activités sociales concrètes répond au souci de mettre un certain nombre de biens essentiels (sociaux, économiques, culturels) à la portée de tous en les soustrayant au jeu du marché. Alors que l’entreprise privée cherche à promouvoir ses intérêts propres (sa finalité est introvertie), le service public est institué pour satisfaire des besoins qui le dépassent (sa finalité est extravertie).
Un régime juridique dérogatoire
4Cette finalité implique des règles de gestion différentes. L’existence d’un service public entraîne l’application d’un « régime juridique » spécifique et dérogatoire par rapport au droit commun. Le noyau dur de ce régime, commun à l’ensemble des services publics même économiques, a été cristallisé autour des trois grands principes de « continuité », « égalité » et « mutabilité » : parce qu’ils sont préposés à la satisfaction des besoins collectifs, les services publics sont tenus de fonctionner de manière régulière et continue, dans des conditions égales pour tous et leurs règles de fonctionnement doivent pouvoir être adaptées à tout moment.
5Corrélativement, la finalité qui lui est assignée justifie que le service public soit protégé de la pression de la concurrence : dès l’instant où un service public est institué dans un secteur de la vie sociale, cela signifie qu’on entend faire prévaloir dans ce secteur une autre logique que celle du marché, ce qui implique la limitation, voire la suppression de la concurrence ; les grands services publics structurés en réseaux bénéficieront ainsi d’un statut monopolistique.
Un univers singulier
6Enfin, le service public est pris en charge par des structures de gestion qui forment un univers particulier, par leur statut et par les liens qui les unissent au reste de l’appareil. Sans doute, l’expansion des services publics s’est-elle accompagnée d’une diversification des modes de gestion ; cependant, ce processus de spécialisation sera assorti de mécanismes de contrôle assurant le maintien d’une cohésion d’ensemble de l’appareil de gestion public et traçant une ligne de démarcation nette avec le monde de l’entreprise.
7Tous ces éléments de spécificité ont été sans doute atténués à partir du moment où des services publics sont appelés à prendre en charge des activités économiques : la satisfaction des usagers sera alors combinée avec la logique d’entreprise ; le régime juridique fera largement appel aux règles du droit privé, via la construction par la jurisprudence de la catégorie des « services publics industriels et commerciaux » ; et le service public sera souvent concédé à des gestionnaires privés (notamment au niveau local). Néanmoins, la ligne de démarcation entre public et privé est restée nettement tracée.
L’ébranlement de la conception traditionnelle du service public
8Cette conception traditionnelle a subi un incontestable ébranlement. Les causes en sont diverses : des mutations technologiques et économiques, contribuant à saper la position de certains services en les exposant à la pression de la concurrence ; des pressions extérieures, notamment européennes, s’exerçant dans le sens d’un réaménagement des frontières du public et du privé et d’une réduction de la spécificité du régime de service public ; des contraintes financières, entraînant le plafonnement de la part du produit national consacrée aux services non directement productifs ; des contraintes sociales nouvelles enfin.
Le rapprochement des finalités
9La logique d’action du service public n’apparaît plus comme radicalement opposée à celle du privé. Les contraintes qui pèsent sur le service public et sur l’entreprise privée, en tant que prestataires de services ou producteurs de biens, seraient de nature foncièrement identique. Institué pour répondre à certaines demandes sociales, le service public est tenu de fonctionner, tout comme l’entreprise privée, de la manière la plus efficace possible, en améliorant sans cesse ses performances.
La banalisation du statut juridique
10À partir du moment où les services publics sont soumis à la même contrainte d’efficacité que les entreprises privées, le particularisme de leur statut juridique devient moins justifiable. L’application aux services publics de règles juridiques dérogatoires au droit commun, non seulement fausserait le jeu de la concurrence, mais encore contredirait l’impératif d’efficacité. Les privilèges d’exclusivité dont les services publics avaient pu jusqu’alors bénéficier ont été remis en cause dans le secteur marchand, sous la pression des instances européennes : contrairement à l’idée traditionnelle selon laquelle le service public impliquerait le monopole, ils sont désormais invités à se plier à la loi de la concurrence.
La rationalité managériale
11L’impératif d’efficacité implique enfin le rapprochement des modes de gestion des services publics de ceux appliqués dans le privé. Si ce rapprochement a été au départ canalisé par la construction d’un « management public », adapté aux particularismes du public, l’idée selon laquelle la distinction public/privé n’interdirait pas l’adoption de principes communs de bonne gestion, sous-jacente au New Public Management, s’est progressivement diffusée, en France aussi : pour accroître leur productivité et améliorer leurs performances, les services publics ont été invités à s’inspirer des méthodes de gestion du privé.
L’approche plus souple des services publics
12Cet ébranlement conduit à une approche plus souple d’un service public au périmètre contingent, pris en charge selon des modalités diverses et géré de façon pragmatique.
Un périmètre redéfini
13Concernant le périmètre des services publics, la question est désormais de savoir quels sont les biens qu’il convient d’offrir au public au nom de l’impératif de cohésion sociale : le service public garantit en effet que les groupes socialement ou géographiquement défavorisés ne sont pas privés de l’accès à des biens jugés essentiels. Cette logique est très explicite pour les services publics en réseau, institués en vue d’assurer à tous, soit l’accès à des réseaux de communication (poste, transports, téléphone…), soit la satisfaction de certains besoins fondamentaux (électricité, chauffage, eau potable…) : ils apparaissent à la fois comme producteurs de lien social et vecteurs de citoyenneté.
14Cela conduit à une délimitation plus fine des contours du service public : rompant avec la logique qui consistait à placer des secteurs entiers sous l’emprise du public, en dotant les opérateurs publics d’un privilège d’exclusivité, il s’agit de circonscrire dans chacun des secteurs ce qui doit faire l’objet d’obligations spécifiques, au titre de l’impératif de cohésion sociale. Le périmètre des services publics devient ainsi plus flou et plus instable : dans tous les secteurs, un partage des rôles tend à s’effectuer avec l’initiative privée.
Une prise en charge diversifiée
15Les modalités de prise en charge tendent à se diversifier. D’une part, le principe de proximité implique que les services publics soient pris en charge de manière privilégiée par des structures implantées sur le territoire, services déconcentrés de l’État ou autorités locales élues. D’autre part, la référence au double modèle américain et britannique de l’agence pousse à renforcer l’autonomie des structures personnalisées classiques et à responsabiliser les services gestionnaires. Ce mouvement d’agencification se double d’un mouvement d’externalisation : il est de plus en plus souvent fait appel à la gestion privée, par le biais de « contrats de concession », impliquant le transfert du risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, ou de « marchés de partenariat » pour la construction et l’exploitation d’équipements publics.
Un impératif d’efficacité
16La gestion des services publics est désormais soumise à un impératif d’efficacité. Les services publics sont invités à mieux répondre aux attentes de leurs usagers mais aussi sommés de tirer le meilleur parti possible des moyens matériels et humains qui leur sont alloués. L’accent mis sur le thème de la qualité montre que les services publics ne sauraient échapper à un mouvement général, valable pour l’ensemble des produits et services. La qualité comporte cependant pour eux un ensemble d’obligations spécifiques (accessibilité, simplicité, rapidité, transparence, médiation, participation, responsabilité…) qui témoignent de leur spécificité. Parallèlement, les services publics sont astreints à un effort permanent de productivité : comme les entreprises privées, ils sont tenus de faire preuve de rigueur dans l’utilisation des moyens qui leur sont alloués, en s’efforçant de réduire leurs coûts de fonctionnement.
17Cette évolution conduit à une réévaluation en profondeur de la conception classique du service public : ne bénéficiant plus d’un bien-fondé de principe, les services publics sont désormais soumis à une contrainte permanente de justification et astreints à un effort continu d’adaptation.
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Encyclopédie du management public
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