Républicanisme
p. 593-595
Texte intégral
1Les thèmes de la bonne gouvernance et de la participation des parties prenantes sont l’objet d’une vaste littérature en management public. Dans la pratique, ces thèmes sont centraux, tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau des organisations internationales et des États. « Cette idéologie de la gouvernance démocratique, aujourd’hui largement répandue dans les milieux universitaires et dirigeants, intègre […] les principaux attendus des philosophies de la démocratie délibérative : valorisation du débat et de la négociation, inclusion d’une pluralité d’acteurs, attention aux procédures, recherche du consensus. Contre un modèle de décision centralisé, dans lequel l’autorité politico-administrative continuerait à revendiquer le monopole de l’intérêt général, la gouvernance impliquerait une gestion locale souple, stratégique et négociée, basée sur une approche pluri-rationnelle combinant des logiques publiques et privées et prenant en compte l’évolution des demandes des citoyens » (Blondiaux, 2001). Toutefois, la mise en avant de cette idéologie suffit-elle à rendre la décision efficace ou légitime ?
2Le républicanisme est un mouvement de pensée utilisé, en management public, pour soulever cette question (Padioleau, 2001). Il s’agit notamment d’interroger la possibilité d’organiser la décision publique à partir de parties prenantes défendant des intérêts particuliers en questionnant les prémices philosophiques et politiques de ces processus et le lien entre management et politique.
Le renouveau des études sur le Républicanisme
3Le républicanisme est la conception politique qui vise le bien commun ou l’intérêt général, par opposition au libéralisme, constitué autour des préférences individuelles. Le renouveau des études consacrées au républicanisme date des années 1920. Des historiens comme Hans Baron, Zera S. Fink, Caroline Robbins, Frederic Lane et William Bouwsma décrivent l’humanisme civique (Bügerhumanismus) de la Renaissance, dans la tradition anglaise et dans la République de Venise. C’est toutefois avec les études concernant la Révolution américaine – dont les idéaux ne sauraient se réduire à la seule culture des droits naturels de John Locke – et avec Le Moment Machiavélien de John Pocock (1975) que le mouvement intellectuel républicain se réaffirme. L’école de Cambridge de Quentin Skinner, Maurizio Viroli et Philip Pettit, et les analyses de Christopher Lasch ou Matthew Crawford accompagnent cette réflexion. En France, Maurice Agulhon et Claude Nicolet insistent sur l’importance de ce mouvement dans la constitution des politiques publiques.
Apports de la notion de Républicanisme au management public
4Les apports au management public du principal représentant du républicanisme, Nicolas Machiavel, ne font aucun doute. N. Machiavel « envisage l’activité politique à partir de techniques propres à l’exercice du pouvoir et de l’évaluation de leur efficacité, ou encore [traite] de la question des fins à travers celle des moyens [et peut] légitimement être admis dans la liste des auteurs du “proto-management” » (Ménissier, 2017).
5En France, Denis Malherbe mobilise cette notion pour analyser la gouvernance des mouvements mutualistes ; Hervé Mesure situe l’apport managérial de Thorstein Veblen au sein de cette pensée ; Yvon Pesqueux resitue les débats relatifs à la théorie des parties prenantes vis-à-vis de ce mouvement, de même que Maria Bonnafous-Boucher et Jacob Dahl Rendtorff. Ce sont les approches institutionnalistes et évolutionnistes qui sont alors associées à la référence au républicanisme.
« Le management public, en tant que discipline académique, [est] inspiré par une approche exclusivement managériale et axiologiquement neutre qui [laisse] de côté les grandes questions sur la finalité de la politique publique, celles […] de la “bonne société” qui était la base de la philosophie politique classique. Gouverner s’est réduit à “gouvernancer”, en se fondant sur le présupposé que les bons moyens – la “bonne gouvernance” – ne pouvaient que mener aux bonnes fins. Cette approche est la traduction de la domination de l’individualisme libéral dominé par le droit et les mécanismes du marché. On assiste, de part et d’autre de l’Atlantique, à une convergence des critiques contre ce modèle et à un retour du républicanisme. » (Rochet, 2010).
6Certaines critiques des théories du nudge s’appuient sur de telles questions.
7Enfin, dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques, Christopher Pollitt et Geert Bouckaert (2004) analysent les indicateurs de bonne gouvernance promus par l’OCDE, initialement conçus pour le management de la qualité, dans des environnements stables et comparables, puis transposés pour comparer des données hétérogènes et décontextualisées. La pensée républicaniste selon laquelle le bien commun est irréductible à ces indicateurs est ici rappelée. Dans cette tradition, l’efficacité de la prise de décision publique est effectivement appréciée, non en fonction de la somme des intérêts particuliers, mais en fonction d’un intérêt commun, déterminé à un moment particulier et dans des circonstances particulières, au sein d’institutions historiquement situées.
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Blondiaux Loïc, « La délibération, norme de l’action publique contemporaine ? », Revue Projet, 2001, n° 4, p. 81‑90.
10.3917/pro.268.0081 :Menissier Thierry, « Machiavel et le management : Limites et pertinence d’une affiliation », Collège international de Philosophie, 2017, vol. 91, n° 1, p. 45‑61.
10.3917/rdes.091.0045 :Padioleau Jean-Gustave, « La gouvernance ou comment s’en débarrasser », Espaces et sociétés, 2001, p. 101‑102.
Pollitt Christopher, Bouckaert Geert, Public Management Reform. A comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2017 (4e éd.).
10.1787/budget-v3-art19-en :Rochet Claude, « Pas de philosophie, svp, nous sommes des managers. Management public et bien commun : convergences euro-atlantiques », Revue internationale des sciences administratives, 2010, vol. 76, n° 2, p. 303‑335.
Auteur
Professeur assistant, EM Normandie.
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