1Le management stratégique doit permettre la prise de décision dans un environnement complexe et incertain. Pour y parvenir, la recherche de décisions optimales, notamment fondées sur des modèles mathématisés, n’est généralement pas pertinente car inapplicable. La collecte, le stockage et le traitement des informations nécessaires à une prise de décision optimale dépassent effectivement les capacités du décideur (Simon, 1947). La décision stratégique est non programmable. Le recours à un management par les règles – au moyen d’heuristiques – doit permettre de sortir de l’indétermination stratégique, dans ce contexte.

Les règles de contrôle, la planification stratégique et leurs limites

2En management public, le développement des règles de contrôle des coûts témoigne de l’actualité de cette analyse. La comptabilité par activités (Activity based costing) utilisée pour le contrôle de la chaîne de valeurs inspire le contrôle exercé dans le secteur hospitalier, au moyen de la tarification à l’activité (T2A). Le succès d’outils comme les tableaux de bord prospectifs (Balanced Scorecard) dans les collectivités est un autre symbole de ce succès d’une certaine forme de rationalité instrumentale fondée sur la transposition des règles et des outils du secteur privé au secteur public. Dans les collectivités, le recours à l’audit interne, en complément des rapports établis par les chambres régionales et territoriales des comptes et les agences de notation tend, de même, à diffuser une forme de management par les règles. Ici, un ensemble de ratios – notamment financiers – constituent un corps de règles qui doivent permettre de maîtriser la complexité d’un environnement imprévisible.

3Cette logique du contrôle du management public par les règles s’étend au contrôle exercé par l’administration sur les entreprises. Le devoir de vigilance, au niveau national comme au niveau européen ou au niveau international, prévoit ainsi la mise en œuvre de stratégies publiques articulées autour de règles simples, rendues obligatoires pour l’ensemble des entreprises, pour l’ensemble des activités menées dans leurs chaînes de valeur. L’attention portée à la révision de la directive européenne relative à l’information extra-financière diffusée par les entreprises témoigne de ce mouvement. Les règles de définition des acteurs associés à la gouvernance et des informations obligatoirement utilisées pour la surveillance de leurs résultats doivent permettre la maîtrise de l’ensemble de ces chaînes de valeur transnationales. C’est un corps de règles qui doit permettre la mise en œuvre effective d’une politique publique transnationale de grande envergure comme l’est le Pacte vert (Green Deal).

4Les limites de cette approche, liée à une forme de planification stratégique, ont été soulignées par Gérard Koenig (2004). Le formalisme et la lourdeur de ce management par les règles peuvent ainsi s’accompagner d’une confiance excessive dans les outils d’aide à la décision ou juridiques. La mise en œuvre de ces outils devient alors la source de biais (Burlaud, Simon, 1997). La sur-rationalisation entraîne ici des effets contre‑productifs.

Simplification des règles et légitimité des décisions

5La nécessité de penser la stratégie sans la réduire à l’intuition du dirigeant – et à son arbitraire – persiste cependant.

6Kathleen Eisenhardt a ainsi proposé, non une approche par les règles de contrôle évoquée précédemment, mais une approche de la stratégie par les « règles simples ». Il s’agit de revenir à la mise en avant des heuristiques, c’est-à-dire « des raccourcis cognitifs qui apparaissent lorsque l’information, le temps et les capacités de traitement sont limités » (Bingham, Eisenhardt, 2011). Cette approche reste contestée, la capacité de règles simples à permettre une réponse adaptée, dans un environnement complexe et instable est effectivement mise en doute. Il s’agit ici, avant tout, d’éviter la multiplication et la complexification des règles, qui entraîneraient la saturation des capacités cognitives des acteurs.

7Il est patent, ici, que la question de l’efficacité des règles de gestion se double de la question de la légitimité des décisions. Ce fait est particulièrement net lorsque l’on considère le débat opposant les tenants de règles codifiées – continentales – aux représentants d’une approche anglo-saxonne, accompagnée d’une mise en avant de la soft law. La légitimité des décisions que les règles doivent garantir est particulièrement problématique dans le champ du management public. Le véritable rôle d’une règle peut ainsi être, finalement, de permettre la gestion de la dissonance cognitive. Thurman Arnold (1937), après avoir dirigé l’établissement des règles antitrust, de 1938 à 1943, soulignait ainsi l’idée selon laquelle le rôle de ces règles stratégiques simples était de permettre « aux hommes d’observer l’existence d’organisations industrielles fortement organisées et centralisées et de croire en même temps qu’elles étaient composées d’individus s’adonnant à l’achat et à la vente sur un marché libre ».