1Dans un contexte de plus en plus contraint, que cela soit sur les plans financiers, patrimoniaux ou humains, la question de la priorisation devient ainsi majeure, d’un point de vue stratégique – que privilégions-nous comme services publics ? – ou d’un point de vue opérationnel – quels arbitrages financiers devons-nous réaliser, que cela soit en termes d’investissement, de fonctionnement ou de masse salariale, pour les structures de la collectivité ? Or, le choix est souvent difficile car, comme l’indique André Gide (1897), « choisir, c’était renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste ». De plus, cette difficulté semble particulièrement importante dans le secteur public de par ses spécificités, comme la multiplicité des parties prenantes, la transversalité des politiques publiques, la rationalité limitée de ses acteurs, entre logiques politique et managériale, ou encore la nature publique des financements concernés.

2Ainsi, la nature de certains problèmes traités par le secteur public rend l’arbitrage, budgétaire ou encore stratégique, difficile (Christensen, Laegreid, 2007). Comment établir des priorités claires lorsque les politiques entretiennent des liens complexes comme, par exemple, dans le domaine du logement, de l’insertion et des politiques de la ville ? Aussi, la nature même des activités prises en charge par le secteur public – activités à très faibles gains de productivité – rend la question des arbitrages incontournable (Le Duff, Orange, 2012). En outre, cette nécessité de priorisation est relativement récente dans le secteur public au regard des évolutions contextuelles. Elle appelle alors des qualités, des processus ou des outils que les acteurs publics n’ont pas encore intégrés, dans la plupart des cas.

3Sur le plan conceptuel, la priorisation peut être définie comme le degré d’importance accordé à un objet. Appliquée au secteur public, elle concerne alors le choix réalisé entre différentes politiques publiques, au niveau stratégique, en termes de réalisations, et au niveau opérationnel, en matière de ressources affectées. La priorisation complète ainsi la logique de sélection où les politiques publiques sont choisies pour répondre à l’ambition globale de l’organisation publique concernée. Elle complète aussi la logique d’orientation où les objectifs ont été définis pour chaque politique publique. Elle implique ainsi une hiérarchisation ou un classement entre différentes politiques publiques, sur la base de critères, plus ou moins qualitatifs et/ou quantitatifs.

4Cette priorisation semble être plus ou moins rationnelle, formalisée et partagée en fonction de l’approche mobilisée du point de vue de la stratégie publique. Ainsi, Christophe Favoreu et ses co-auteurs (2015) évoquent différentes logiques applicables au management stratégique en contexte public, qui induisent des conceptions et des représentations différentes sur un certain nombre d’éléments tels que le sens et l’unicité du processus de décision, le rôle des acteurs publics, l’organisation, le degré de contrôle, la nature du changement ou encore la priorisation.

Logiques managériale, politique ou collaborative

5La première approche relève d’une logique rationnelle et managériale. Elle s’appuie sur les principes de rationalité des décisions et d’optimisation économique des choix. Elle conçoit alors le management stratégique d’un point de vue procédural. Dans ce cadre, la priorisation relève d’une formalisation élevée, d’une définition précise sur la base de critères objectivés et à l’aide d’outils spécifiques. L’approche y est pragmatique, avec des managers publics assurant une gestion technique et méthodologique.

6La seconde approche relève, elle, d’une logique politique et peut se définir en réaction ou opposition aux principes et présupposés du modèle de la planification rationnelle. À la rationalité économique des décideurs publics, cette approche oppose une rationalité contrainte ou limitée par les capacités intellectuelles et les biais cognitifs propres à chaque individu. Dans ce contexte, la priorisation des politiques publiques peut relever plus du discours que de la réalité. Les choix et arbitrages peuvent alors constituer le résultat de conflits et de pressions, sans rationalité managériale avérée. Les outils de priorisation sont alors faiblement formalisés, voire absents, en s’appuyant sur les seuls éléments variables et peu quantifiés.

7La troisième approche relève enfin d’une logique collaborative. La collaboration intra et inter-organisationnelle traduit alors le partage et la diffusion de ressources, d’information, de compétences par des organisations et des individus appartenant à des secteurs et des domaines différents. Le but est de mettre en œuvre de manière partenariale des actions et d’atteindre collectivement des résultats qu’aucune organisation prise séparément ne peut réaliser (Agranoff, 2006). Dans ce cadre, la priorisation des politiques publiques relève de logiques d’apprentissage, d’innovation et de production de savoirs. Elle emprunte des chemins descendants, ascendants, voire horizontaux. Les priorités sont alors choisies avec les acteurs concernés afin de réaliser des stratégies collectives. Co-construites, elles mettent aussi en relation orientations stratégiques et plan d’action partagés, pas forcément prédéfinis mais plutôt émergents.

8Si la priorisation apparaît importante dans des formes innovantes de management stratégiques à l’échelle publique, elle reste cependant floue d’un point de vue instrumental. Pourtant, les outils de priorisation sont mobilisés depuis les années 1990 dans la gestion de portefeuille de projets du secteur privé, notamment industriels. Il s’agit alors de choisir un projet parmi plusieurs, en fonction de différents critères, comme la profitabilité, les orientations stratégiques ou encore la différenciation avec la concurrence (Artto, Dietrich, 2007). Dans ce sens, Bernard Roy (1985) précise que ces critères doivent respecter plusieurs qualités, notamment l’exhaustivité, la cohérence et l’absence de redondance, tout en étant qualitatif ou quantitatif (notamment financiers), permettant les premières utilisations dans les organisations publiques (plusieurs exemples existent notamment au Canada).

9Le concept de priorisation des politiques publiques apparaît donc important d’un point de vue conceptuel. Pourtant, il reste peu mobilisé en pratique, face à des résistances culturelles et politiques importantes. Plusieurs outils et techniques restent ainsi à définir dans un contexte public les rendant plus nécessaires.