1« Faites que la France date son bonheur de l’établissement des préfets ! » affirmait Napoléon en 1800, en créant l’institution. Sans aller jusqu’à un tel objectif, la permanence de la figure préfectorale atteste de son rôle essentiel au sein de l’administration française : délégué du gouvernement, représentant de l’État, gardien du respect de l’ordre public et du respect des lois, le préfet semble solidement installé dans le paysage institutionnel et indéboulonnable, en dépit d’attaques et remises en cause régulières.

2Le préfet est une autorité traditionnelle du système administratif français. Cette institution a traversé de nombreux régimes politiques sans jamais être vraiment remise en cause, même si parfois son appellation a changé pour devenir, par exemple, le commissaire de la République avec cette éphémère dénomination de 1982 à 1988. On peut faire remonter cette tradition d’un représentant de l’État avant la Révolution avec les intendants du roi sous l’Ancien Régime. Institué par la loi du 28 pluviôse an VIII, le préfet est conçu à l’époque comme l’instrument essentiel de l’administration de l’État dans le département.

3À partir des décrets du 14 mars 1964, cette institution est étendue au niveau régional avec la création des préfets de région. Depuis plus de deux siècles, le préfet est toujours là. Il n’a jamais cessé d’être là. « Tout au long de l’histoire politique et administrative française, l’institution préfectorale s’est maintenue, sachant s’adapter, faisant preuve d’une étonnante capacité d’acclimatation et de redéploiement » (Oberdorff, Froment, 1995, p. 19).

Statut et missions

4Les préfets sont nommés par décret du président de la République en Conseil des ministres sur proposition du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur. Il s’agit d’emplois à la discrétion du gouvernement pour lesquels la liberté de choix est très grande. Et même si Emmanuel Macron a annoncé en 2021 la fin de ce grand corps d’État, le grade va peut-être disparaître mais les emplois de préfets dans les départements et les régions subsisteront, tant leurs fonctions semblent difficilement remplaçables.

5Le statut actuel des préfets est d’ailleurs davantage marqué par des obligations que par des droits, compte tenu des exigences de loyalisme envers le gouvernement qu’ils doivent servir fidèlement : un manque de loyauté peut en effet avoir des conséquences négatives sur leur carrière. Les garanties dont ils disposent sont plus faibles que pour les autres fonctionnaires, les mutations et les avancements sont opérés discrétionnairement, les sanctions disciplinaires sont prononcées sans recours à des instances disciplinaires, après simple communication du dossier. Le dossier administratif des préfets peut même faire mention des opinions politiques, ce que ne permet pas le statut général de la fonction publique. Enfin, les préfets n’ont ni droit syndical, ni droit de grève. L’existence d’un statut fait bien des préfets des fonctionnaires même lorsqu’ils exercent des fonctions territoriales, mais ils restent des fonctionnaires à part compte tenu de leur affectation.

6Le préfet a plusieurs missions générales. Longtemps considéré comme une autorité de contrôle et de surveillance pour veiller surtout à l’ordre public, le préfet est devenu une autorité de synthèse de l’action administrative à la fonction généraliste et polyvalente. Il contribue à la mise en œuvre des politiques publiques dans le département où il exerce son pouvoir. Comme directeur et coordonnateur de l’ensemble des services déconcentrés de l’État dans le département, il constitue un outil pivot de la déconcentration.

7Cette autorité demeure ambivalente. En effet, le préfet est à la fois un fonctionnaire d’autorité au sein de l’État, doté d’un pouvoir hiérarchique important dans le département, mais il a aussi mission de représenter des autorités politico-administratives, comme les ministres et le gouvernement. L’institution préfectorale est donc au carrefour de l’administratif et du politique. Le préfet doit combiner la rigueur administrative avec une certaine dépendance à l’égard du politique, par sa fidélité au gouvernement. C’est dans cette synthèse toujours délicate que résident la grandeur et la servitude d’une fonction peu ordinaire, même si ses attributions sont définies dans leur principe par la Constitution : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » (art. 72). Il s’agit donc bien de l’autorité pivot de la déconcentration administrative.

Diversité des attributions

8L’ensemble des attributions du préfet peut se décomposer en trois catégories : des attributions de nature politique, des attributions d’ordre public et de sécurité, des attributions administratives et de politiques publiques.

9Les attributions de nature politique concernent la fonction de représentation du gouvernement dans le département. Le préfet doit expliquer aux administrés et aux élus locaux la politique du gouvernement en faisant œuvre de pédagogie administrative. Il joue ainsi le rôle de porte-parole du gouvernement, du Premier ministre et des ministres. Il a, en sens inverse, mission d’informer le gouvernement de l’état de la situation politique dans le département, cette tâche étant importante en période électorale. Depuis la décentralisation, il est encore plus l’interlocuteur privilégié des responsables des collectivités territoriales, aussi bien du président du Conseil départemental que des maires des villes importantes du département, dont le maire du chef-lieu. Il est enfin le gardien du respect des lois par les collectivités territoriales elles-mêmes, de par la procédure de contrôle de légalité des actes et les possibilités de déféré préfectoral.

10Les attributions d’ordre public et de sécurité sont parmi les plus anciennes. En effet, le préfet a toujours été chargé de veiller à l’ordre public dans le département. Il est donc une importante autorité de police administrative qui doit prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique. Dans certains départements, ou dans les chefs-lieux de zone de défense, les préfets sont assistés d’un préfet de police (Paris), d’un préfet adjoint pour la sécurité (Ajaccio) ou d’un préfet délégué pour la défense et la sécurité (Lyon, Marseille, Lille…).

11Les attributions administratives du préfet sont les plus nombreuses et les plus variées. On a pu considérer qu’il s’agit d’un véritable empilement de compétences, comme si le préfet était « l’institution administrative à tout faire de la République ». Les lois de 1982 et 1992, ainsi que le décret de 2004 confirment ce rôle « d’administration générale » dans le département.

12Ces attributions administratives lui permettent de mettre en œuvre les politiques nationale et communautaire dans le département. Il arrête, après consultation du collège des chefs de service, le projet d’action stratégique de l’État dans le département, en veillant à ce qu’il soit compatible avec les orientations du projet stratégique de l’État dans la région. Il dirige les services déconcentrés des administrations civiles de l’État dans le département (avec néanmoins quelques exceptions notables comme les services de l’Éducation nationale ou des Finances) et a donc autorité directe sur les chefs des services qui l’assistent dans ses fonctions. Cette direction lui permet de veiller à une bonne cohérence de l’activité administrative dans le département. Ce rôle n’est pas facile à assumer compte tenu de la tradition des relations directes entre les administrations centrales et les administrations déconcentrées, la liaison verticale fonctionnant parfois mieux que la coordination horizontale.

13Pour pouvoir exercer réellement cette direction, le préfet dispose de plusieurs outils ou moyens juridiques allant de la circulation des correspondances entre les administrations centrales destinées aux services déconcentrés de l’État, qui doivent nécessairement passer par lui, aux pouvoirs de notation des chefs des services déconcentrés, ou à la présidence de nombreuses commissions administratives. La réorganisation des services déconcentrés de l’État dans le département par la création de directions départementales interministérielles a d’ailleurs assez profondément transformé les relations entre administrations centrales ministérielles et administrations déconcentrées : la recherche de l’interministérialité est une préoccupation constante afin de rendre plus efficace l’action de l’État sur le territoire.

14Si la décentralisation, intervenue en 1982, a déstabilisé les préfets et le corps préfectoral par la remise en cause de certains pouvoirs, on a pu dire à juste raison que les préfets étaient de retour. Le préfet reste une autorité administrative généraliste au centre de ce qu’on appelle parfois l’État territorial ou l’État sur le territoire, complété d’une institution à l’autorité croissante au niveau régional.

Préfet de région, une fonction plutôt qu’un statut

15Institué par un décret en 1964 et confirmé en 1982, le préfet de région a eu d’éphémères précurseurs avec les préfets régionaux instaurés en 1941 par le gouvernement de Vichy, les commissaires régionaux de la République, créés à la Libération et supprimés dès 1948, ou les préfets coordonnateurs de la conférence interdépartementale de 1959.

16Le préfet de région est toujours aujourd’hui le préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région. Il est donc à la fois préfet d’un département et préfet de la région. Les gouvernements ont toujours préféré opter pour la pratique du dédoublement fonctionnel que de créer une institution à part, sorte de « super préfet » supérieur réellement hiérarchique des autres. Cela présente une série d’avantages et relativement peu d’inconvénients. Le préfet de région a une pratique administrative comparable à celle de ses collègues et peut donc développer avec crédibilité un ascendant fonctionnel sur les autres préfets de département. Il y a, de ce fait, moins de risques politiques découlant de prérogatives excessives pour une autorité territoriale. L’inconvénient réside dans la surcharge de travail et de fonctions pour cette autorité.

17Il n’est donc pas nécessaire de reprendre la description du statut du préfet de région dans la mesure où il est identique à celui des préfets. Il est issu du même corps, selon les mêmes modalités et dispose des mêmes droits et obligations. Nommé par décret du président de la République en Conseil des ministres, il est dépositaire de l’autorité de l’État dans la région. Il a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois dans la région. Il représente le Premier ministre et chacun des ministres. Il veille à l’exécution des règlements et des décisions gouvernementales.

18Les attributions de coordination sont clairement affirmées par le décret modifié du 29 avril 2004. Le préfet est le garant de la cohérence de l’action de l’État dans la région. Il a autorité sur les préfets de département, sauf dans les matières de contrôle de la légalité des actes des collectivités ter­ritoriales ou d’ordre public. L’autorité du préfet de région sur les préfets de département ne peut être déléguée. Le préfet de région est responsable de l’exécution des politiques de l’État dans la région, sous réserve des compétences de l’Agence régionale de santé, ainsi que de l’exécution des politiques communautaires.

19À cet effet, les préfets de département prennent leurs décisions conformément aux instructions que leur adresse le préfet de région. Le préfet de région peut également évoquer, par arrêté, et pour une durée limitée, tout ou partie d’une compétence à des fins de coordination régionale. Dans ce cas, il prend les décisions correspondantes en lieu et place des préfets de département. Le préfet détermine les orientations nécessaires à la mise en œuvre dans la région des politiques nationales et communautaires de sa compétence. Il notifie aux préfets de départements qui s’y conforment dans leurs décisions et lui rendent compte. Enfin, le préfet de région arrête, après consultation du comité de l’administration régionale, le projet d’action stratégique de l’État dans la région.

20Les attributions administratives générales du préfet de région sont relativement comparables à celles du préfet de département. Il dirige, sous l’autorité des ministres, les services déconcentrés des administrations civiles de l’État dans la région. Il a autorité directe sur les chefs de service, les délégués ou correspondants de ces administrations. Il préside de nombreuses commissions administratives qui intéressent les services extérieurs de l’État dans la région. Néanmoins, certaines activités ne sont pas placées sous sa direction comme les missions à caractère juridictionnel ou les organismes chargés du contrôle des comptes.

21Le préfet de région est l’ordonnateur secondaire unique des dépenses de l’État dans la région. Il est responsable de la gestion du patrimoine immobilier et des matériels des services de l’État dans la région. Il gère les investissements publics de l’État dans la région. Il négocie et conclut au nom de l’État toute convention que ce dernier passe avec la région ou l’un de ses établissements publics. Cela fait de lui l’interlocuteur privilégié de la région et de son président. Il a aussi en charge le contrôle administratif de la légalité des actes de la région, de ses établissements publics et des établissements publics interrégionaux ayant leur siège dans la région. Ce pouvoir est examiné plus en détail avec l’étude des collectivités territoriales.

22Les attributions administratives spécialisées du préfet de région concernent plus particulièrement le développement économique et social et l’aménagement du territoire. C’est dans ce cadre que l’autorité du préfet de région est la plus proche de la hiérarchie administrative. Il met en œuvre la politique de l’État dans la région en matière d’aménagement du territoire et de développement économique, de développement rural, d’environnement et de développement durable, de culture, d’emploi, de logement, de rénovation urbaine, de santé publique sous réserve des compétences de l’Agence régionale de santé. Il intervient aussi dans le domaine de la contractualisation, pour l’élaboration du futur contrat de plan entre l’État et la région.

23Il est important aussi de signaler que la construction européenne a sensiblement renforcé son rôle dans la mise en œuvre des politiques européennes, dans la mesure où les régions ont été désignées autorités de gestion des fonds européens structurels et d’investissement (FESI) et le préfet de région comme l’un des interlocuteurs privilégiés de l’Union européenne sur le territoire français. La dévolution de cette compétence aux régions, collectivités décentralisées, résulte d’une longue évolution et d’une expérimentation préalable, dans l’ancienne région Alsace.

24Régulièrement décriée, ponctuellement menacée, l’institution préfectorale a pourtant largement dépassé son bicentenaire et démontré sa redoutable efficacité au service d’une conception unitaire et encore largement centralisée de l’État. Les remises en cause les plus récentes ne semblent guère l’affecter tant son ancrage dans le paysage institutionnel français est solide et tant son rôle pivot au niveau territorial est reconnu.