1L’expression « pouvoir exécutif » est issue d’une conception théorique des pouvoirs élaborée au xviii^e siècle afin de le distinguer de ceux législatif et judiciaire. Elle ne permet cependant ni de rendre compte des évolutions de ce pouvoir depuis lors, ni surtout de différencier en son sein entre la fonction exécutive et les organes exécutifs. Tandis que l’organisation de l’exécutif possède une autonomie variable, son fonctionnement le fait participer à plusieurs missions.

Les organes du pouvoir exécutif

2L’organisation de l’exécutif se décompose en une part politique et une autre administrative.

L’organisation politique de l’exécutif

3En premier lieu, la Constitution de la V^e République confère à ce pouvoir une dualité fondamentale, alliant un exécutif présidentiel (titre II), élu pour cinq ans au suffrage universel direct (art. 5 et 6) à un exécutif gouvernemental (titre III), dirigé par un Premier ministre (art. 21) quant à lui responsable devant le parlement (art. 8 et 20). La volonté gaullienne initiale de restaurer le « pouvoir d’État » a par ailleurs laissé l’organisation de l’exécutif en partie indéterminée, afin d’en garantir l’adaptation et l’efficacité : d’un côté, le partage des compétences entre ses deux « têtes » est juridiquement incertain et permet au président d’en exercer l’essentiel en raison de sa légitimité politique ; d’un autre côté, le nombre, la forme et la hiérarchie des ministères, des secrétariats d’État et des organes interministériels sont fixés de manière discrétionnaire.

4En deuxième lieu, certaines structures exécutives bénéficient de fondements constitutionnels qui en garantissent formellement les compétences. Ainsi par exemple du Conseil des ministres, qui conserve notamment l’initiative des projets de loi, des référendums et des nominations de hauts fonctionnaires entre autres exemples. La soumission du gouvernement à un régime juridique qu’il contribue lui-même à préciser a, par ailleurs, conduit au développement d’un « droit gouvernemental » (Caron, 2020) régissant les aspects statutaires et structurels de son activité (incompatibilité, composition et coordination du travail), au côté d’aspects variablement discrétionnaires suivant l’intensité du contrôle juridictionnel ou parlementaire.

5En troisième lieu, certaines structures internes se distinguent par leur permanence et leur importance décisive bien qu’elles relèvent d’un exécutif plus « profond », à l’action moins visible et responsable sur le plan politique. Ainsi des importants organes interministériels rattachés à Matignon, comme les « Secrétariats généraux » du gouvernement (SGG), des affaires européennes (SGAE), de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ou, de façon plus marginale, des organes exécutifs directement rattachés à l’Élysée tels que le Secrétariat général de l’Élysée, son État-major particulier ou encore le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN).

L’organisation administrative de l’exécutif

6La Constitution place l’administration à la disposition du gouvernement (art. 20). Il en résulte la limitation des cabinets aux fonctions politiques, de décision et de communication, tandis que leur mise en œuvre revient aux directeurs d’administration centrale (devant les organes interministériels et le Conseil d’État, ainsi qu’au soutien des ministres devant le Conseil constitutionnel et le parlement), puis aux administrations concernées. Depuis l’exécutif central jusqu’aux fonctionnaires, en passant par les autorités « déconcentrées » telles que les préfets, le principe structurant de cette exécution administrative revêt une nature hiérarchique, créant ainsi une chaîne de délégation schématiquement fondée sur un strict rapport managérial « principal/agent » (Brouard, 2019).

7Ce continuum censé permettre une spécialisation progressive demeure toutefois confronté à deux apories. En premier lieu, la nécessité de prévoir une latitude d’action au profit des subordonnés, afin d’adapter leur action aux circonstances, entraîne une incertitude dans l’application des normes juridiques et dans la mise en œuvre des politiques publiques. Il en résulte le développement de corps d’inspection (des finances, de l’éducation, de la police) et d’activités de contrôle et d’évaluation (notamment par la Cour des comptes et le Conseil d’État) afin de normaliser l’action publique et d’en accroître l’efficacité.

8En second lieu, le principe hiérarchique connaît un nombre croissant d’exceptions « décentralisatrices » dont il résulte deux sortes d’autonomie administrative : d’une part, la décentralisation territoriale consiste dans l’existence d’autorités locales élues (conseils régionaux, départementaux et municipalités) disposant de compétences et de ressources propres (lois de 1982 et de 2003) ; d’autre part, la décentralisation fonctionnelle consiste dans l’existence d’organes administratifs spécialisés dans les secteurs complexes (de l’économie, du travail, des libertés) où la loi du 20 janvier 2017 a consacré la nécessité d’« autorités indépendantes », administratives (AAI) ou publiques (API) selon qu’elles disposent de personnalité juridique ou non.

Les fonctions du pouvoir exécutif

9Les transformations contemporaines de l’exécutif ont également affecté ses missions, allant d’une fonction normative progressivement complexifiée jusqu’à une fonction gouvernementale intégrant plus largement ses missions politiques.

La fonction normative de l’exécutif

10Le légicentrisme révolutionnaire a originellement cantonné l’exécutif à une fonction normative subordonnée aux lois, c’est-à-dire théoriquement bornée à leur seule mise à effet par des actes d’application (réglementaires et administratifs) et de concrétisation (actes matériels). C’est d’ailleurs cette conception que prolonge encore la doctrine juridique publiciste classique du xx^e siècle (Jouanjan, 2011) arguant d’une « fonction administrative » et non exécutive, tant en Allemagne (Paul Laband, Georg Jellinek) qu’en France (Raymond Carré de Malberg, Léon Duguit, Maurice Hauriou). Force est néanmoins d’admettre l’extension et la complexification du rôle normatif de l’exécutif à deux titres.

11En premier lieu, l’activité gouvernementale s’avère également dédiée à l’exercice de la fonction législative. Ses compétences constitutionnelles, depuis l’initiative exécutive des lois, le droit d’amendement gouvernemental (art. 39 et 44) et la maîtrise du calendrier législatif, jusqu’au mécanisme du « vote bloqué » des lois et leur promulgation finale par le Président (art. 49 al. 3 et 10) en font ainsi un co-législateur naturel, si ce n’est prépondérant compte tenu du nombre de projets de loi finalement adoptés. En second lieu, d’autres actes exécutifs excèdent le domaine des lois et révèlent une fonction normative distincte. C’est notamment le cas des règlements autonomes, dont le domaine constitutionnel excède celui de la stricte application des lois (art. 37), et des actes de gouvernement, relatifs à la conduite des relations internationales ou aux rapports de l’exécutif avec les autres organes constitutionnels (art. 12 et 56). C’est également le cas des hétéroclites « prérogatives » du chef de l’État, telles que la direction militaire de la défense et le droit de grâce (art. 15 et 17).

La fonction gouvernementale de l’exécutif

12Étant situé au cœur du gouvernement et à la tête de l’administration, l’exécutif central se voit donc confier des missions spécifiques qu’il est possible de réunir sous le nom de « fonction gouvernementale » (Jensel-Monge, Vidal-Naquet, 2021). En dépendent notamment l’activité d’arbitrage gouvernemental (entre ministères et envers les administrations) ainsi que la conception et la coordination des politiques publiques. En premier lieu, cet effort de rationalisation du travail gouvernemental central semble avoir été soutenu à plusieurs égards en pratique (Bezes, Le Lidec, 2016) : d’une part, il se nourrit de la désectorisation progressive des politiques publiques, tournée vers des sujets transversaux tels que la sécurité nationale, le développement durable ou d’autres enjeux sociétaux ; d’autre part, il est soutenu par l’essor des organes interministériels et la restructuration des gouvernements autour de larges ministères auxquels se rattachent davantage de secrétariats d’État.

13En second lieu, cette approche empirique liée à la coordination des politiques publiques en permet une étude complète depuis leur conception jusqu’à leur application, évitant par là même les difficultés classiques à les étudier dans leur ensemble et leur continuité (Wright, Hayward, 2000). Elle permet ainsi la prise en considération, dans leur conception et leur analyse, des données opérationnelles intérieures et extérieures à l’administration, dont dépendent l’efficacité de l’action publique (agents associatifs, économiques, privés et circonstances humaines, matérielles, locales). Dans ce sens, la distinction théorique des phases stratégique et opérationnelle ne compromet donc pas l’étude concrète et complète des politiques publiques, mais elle conduit néanmoins à réduire la différenciation du politique et de l’administratif, ainsi qu’à préconiser le retrait de l’État aux seules fonctions stratégiques.