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Indicateur (de performance)

p. 377-380


Texte intégral

1L’indicateur de performance désigne une information permettant de donner une image de la mesure de l’objet ou du phénomène considéré comme constitutif de la performance. La cible peut être normative (exemple, 25 % de logements sociaux minimum, par rapport aux résidences principales. cf. article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbains), chronologique (exemple, + 3 % de taux de croissance par rapport à N-1) ou comparative (exemple, la moyenne des établissements similaires situés dans la même région).

2L’indicateur permet – tant à un acteur individuel que collectif – de conduire le cours d’une action vers l’atteinte d’un objectif ou d’évaluer le résultat de cette action (Lorino, 2001). Il se distingue en ce sens des statistiques (socio-économiques ou administratives) qui sont des informations quantitatives que les États rassemblent et diffusent, généralement en collaboration avec les instituts nationaux de statistique et suivant les orientations d’organisations internationales et spécialisées. Ces statistiques éclairent la décision mais n’ont pas pour ambition d’estimer une performance.

3L’indicateur n’est pas un bien public. Il n’a de sens qu’au regard de son utilisation. Cette caractéristique est quelque peu contraire à l’idéologie de transparence qui oblige les administrations à rendre public des indicateurs de gestion interne. Elle interroge la pertinence de nombreux indicateurs utilisés conjointement à des fins de pilotage et de reporting (exemple, de certains indicateurs des projets et rapports annuels de performance annexés au projet de loi de finances). Un certain nombre de qualités sont attendues d’un indicateur de performance comme la justesse, la constance, la précision (ou l’exactitude), l’expressivité, la complétude, la contrôlabilité (ou la vérifiabilité), l’impartialité. Ces qualités sont aussi regroupées dans les manuels de contrôle de gestion sous l’acronyme SMART (pour specific, measurable, achievable, realistic and timed) conçu à l’origine pour apprécier les objectifs en matière de gestion de projet dans les années 1980 aux États‑Unis.

4D’un point de vue technique, un indicateur n’est jamais parfait et ces critères de qualité ne sont quasiment jamais réunis dans un même instrument. Les imperfections traduisent parfois des compromis faits par le concepteur afin de concilier pertinence d’une part et coût de production de l’indicateur dans un délai raisonnable d’autre part. Face à la complexité des organisations humaines, quelles que soient les précautions prises lors de sa confection, un indicateur demeure par nature réducteur de la réalité que l’on veut représenter.

La pertinence du couple « objectif‑indicateur de performance »

5Un indicateur de performance n’a de sens qu’au regard d’un objectif préalablement défini et attribué à une personne ou à une entité chargée de l’atteindre. L’indicateur doit être pertinent pour son destinataire et cohérent avec l’objectif que ce dernier souhaite atteindre. La relation entre l’objectif, l’indicateur et le phénomène mis sous contrôle peut être métaphoriquement représentée sous la forme d’une double distance. La première a trait au positionnement relatif des deux éléments, l’objectif affiché et le phénomène mis sous contrôle. Ce dernier peut être l’objectif lui-même auquel cas la distance est, par convention très généralement admise, nulle (cas de tous les objectifs financiers ; exemple : réduire les charges de fonctionnement). Le phénomène peut aussi être situé soit en amont de l’objectif (facteur clé de succès, inducteur de performance, levier d’action… ; exemple d’objectif : verdir le parc automobile – phénomène : octroi de primes à la conversion et de bonus écologiques), soit en aval de ce dernier (conséquence de l’objectif ; exemple d’objectif : verdir le parc automobile – phénomène : acquisition par les consommateurs de véhicules écologiques). La pertinence de l’indicateur dépend directement de la force du facteur causal entre l’objectif et le phénomène choisi.

6La deuxième distance concerne la qualité de la représentation du phénomène opérée par ­l’indicateur. Cette distance peut être considérée comme nulle lorsqu’on a affaire à une représentation qui semble rendre compte du phénomène sans réduction ni biais (phénomène : acquisition par les consommateurs de véhicules écologiques – indicateur : évolution de la part relative des véhicules écologiques dans le parc national depuis la mise en œuvre des mesures incitatives). La distance devient importante lorsque l’on note davantage de biais ou de réduction dans la mesure du ­phénomène (phénomène : acquisition par les consommateurs de véhicules écologiques – indicateur : nombre de consommateurs ayant bénéficié de la prime à la conversion) (Benzerafa et al., 2011).

Combien d’indicateurs ?

7De même que les objectifs, les indicateurs de performance devraient être en nombre limité (en moyenne, deux par objectif) (Mendoza et al., 2005). Or, la multiplicité et l’ambiguïté qui caractérisent les objectifs en management public expliquent souvent l’existence d’un nombre élevé d’indicateurs. Les parlementaires français ont appelé dès 2005 à davantage de sélectivité dans le choix des indicateurs contenus dans les projets annuels de performance (Sénat, 2005). La satisfaction de cette demande, qui paraît tout à fait légitime au regard du nombre d’indicateurs qui demeure important (775 indicateurs pour le PLF 2020), a été principalement faite par la suppression ou la fusion d’objectifs ainsi que la suppression de certains indicateurs. Ces manipulations ont induit une détérioration de la représentation globale de la performance publique à cause du regroupement de plusieurs phénomènes par nature très hétérogènes sous un même objectif.

8Les récentes synthèses proposées par la Direction du budget pour donner une vision sélective de l’action de l’État et de ses principaux résultats donnent ainsi l’impression d’une performance ­artificielle et hors sol : mélange d’indicateurs de tous niveaux de la chaîne d’action publique (­efficacité socio-économique, efficience et qualité de service) ; unité de mesure permettant une agrégation méconnue ou discutable ; mélange de types différents d’appréhension de la performance (normatives et chronologiques) ; des niveaux cibles atteints depuis longtemps, etc.

9Ces constats ne remettent pas en cause la qualité des documents budgétaires en France qui, selon une étude de l’OCDE (2018), est « particulièrement satisfaisante ». Ils pointent néanmoins la nécessité des précautions à prendre en matière de manipulation et d’interprétation des indicateurs de performance dans la sphère publique.

La place de l’indicateur dans la décision publique : entre utilité et controverse

10Les indicateurs de performance sont devenus un des instruments majeurs d’action et de ­communication publique. Ils sont un des rares moyens, si ce n’est le seul, qui permet de savoir si les promesses ont été effectivement suivies d’action car on ne peut se rendre compte de la ­progression vers l’objectif sans mesure.

11Devenus un symbole de la transparence vis-à-vis des citoyens, l’intérêt qu’ils suscitent parmi ces derniers et leurs représentants demeure toutefois très limité notamment quand il s’agit d’indicateurs de performance interne. Quelques contre-exemples existent cependant : celui du « taux d’élucidation des crimes et délits » et du « nombre de gardes à vue » qui a fait l’objet d’un vif débat dans l’opinion publique et au sein du parlement en 2011 (Gibert, Benzerafa-Alilat, 2012), et plus récemment « le pourcentage du personnel hospitalier formé aux techniques de réanimation » ou « le niveau de stock des masques jetables chirurgicaux et FFP2 dans les établissements hospitaliers » mis en avant par la crise sanitaire mondiale.

12Pour le décideur politique, les indicateurs de performance sont une arme à double tranchant. Leur utilisation donne l’image d’une gouvernance plus moderne, plus responsable et plus transparente. Toutefois, l’échec dans la réalisation des engagements en est d’autant plus visible et par conséquent politiquement pénalisante, quelles que soient les circonstances qui pourraient objectivement le justifier (crise économique mondiale, résultats visibles mais tardifs, etc.).

13Pour les chercheurs et les observateurs plus aguerris, les indicateurs de performance sont une belle matière d’étude dont la simplicité apparente est souvent trompeuse. Outre la dimension technique fondamentale pour saisir les phénomènes et les enjeux qu’ils représentent, les indicateurs sont des construits sociaux complexes (au sens de Weick, 1995), fruits d’interprétations, d’interactions et de compromis humains. Ils ne peuvent être considérés comme de simples véhicules d’information passifs mais plutôt comme le produit de conventions et de contextes socio-organisationnels, politiques et environnementaux dans lesquels ils opèrent.

Bibliographie

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Arthuis Jean, Sénat, rapport d’information, « Lolf : culte des indicateurs ou culture de la performance ? », 2 mars 2005, n° 220, https://www.senat.fr/rap/r04-220/r04-2201.pdf.

Benzerafa Manel, Garcin Laurent, Gibert Patrick, Gueugnon Jean-François, « Le management par objectifs met-il fin à l’ambiguïté dans la gestion publique ? », Politiques et management public, 2011, vol. 28, n° 3, p. 353‑389.

10.3166/pmp.28.353-389 :

Gibert Patrick, Benzerafa-Alilat Manel, « Débat public et jeux sur les indicateurs. L’exemple du “taux d’élucidation” et du “nombre de gardes à vue” », Management international, 2012, vol. 16, n° 3, p. 118‑138.

Lorino Philippe, Le balanced scorecard revisité : dynamique stratégique et pilotage de performance. Exemple d’une entreprise énergétique, 22e congrès de l’Association francophone de comptabilité (AFC), 2001, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00584637/document.

Mendoza Carla, Delmond Marie-Hélène, Giraud Françoise, Löning Hélène, Font Réaulx Alexis (de), Tableaux de bord et balanced scorecards, Paris, Revue Fiduciaire, 2005.

OCDE, Direction de la gouvernance publique – Hauts responsables du budget, « Revue du système de finances publiques en France », 2018.

Weick Karl E., Sensemaking in Organizations, New York, Sage Publications, 1995.

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