Gestion de fait

1La gestion de fait est une construction jurisprudentielle de la Cour des comptes légalisée par l’article 60-XI de la loi de finances du 23 février 1963. Elle s’applique à « toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public », ou « reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public ». Elle sanctionne le maniement de deniers publics, en recettes ou en dépenses, par une personne non habilitée : un ordonnateur qui s’immisce dans la fonction de comptable public (cas le plus fréquent), un comptable public qui réalise des opérations en dehors de sa compétence, un régisseur qui n’a pas été formellement désigné (Descheemaeker, 2017).

2L’ordonnance n° 2022‑408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics abolit la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, mais conserve le principe de séparation entre l’ordonnateur et le comptable et les missions de contrôle dévolues à ce dernier. Le traitement juridictionnel de la gestion de fait est modifié par ce texte mais son principe et la sanction de ses mécanismes demeurent.

3Le juge des comptes impose ainsi le respect de plusieurs principes garantissant la sécurité des opérations de comptabilité et de gestion : la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable, qui distingue le prescripteur d’une opération et celui qui manie directement les fonds, principe de précaution également présent dans la gestion privée ; la compétence exclusive du comptable public pour la perception des recettes et l’exécution des dépenses d’un organisme public ; l’inscription dans le compte public de toutes les recettes et dépenses qui le concernent. La gestion de fait, dans la mesure où elle utilise fréquemment le canal de la subvention à une association, a également permis de clarifier les principes de bonne gestion des structures associatives.

4Les mécanismes susceptibles de la qualification de gestion de fait sont variables. On peut citer, en dépenses, le mandat fictif, dont l’objet réel ne correspond pas aux données affichées, ou la subvention à une association dont le responsable du versement conserve la maîtrise et décide de l’utilisation, en méconnaissance de l’autonomie de gestion de l’association. Il peut s’agir d’assurer des paiements irréguliers, par exemple de rémunérations ; de faciliter et accélérer le financement d’un évènement en s’abstenant des règles de la commande publique ; ou de constituer une « caisse noire ». En recettes, la gestion de fait sanctionne l’encaissement de recettes publiques diverses (taxes, redevances, produits du domaine, fonds de concours) hors de la caisse du comptable public. Les opérations incriminées ne sont toutefois pas nécessairement répréhensibles : elles peuvent être conformes à l’intention de la collectivité, mais réalisées selon une procédure inadéquate. Les irrégularités graves, a contrario, peuvent justifier une transmission au juge pénal.

5Le fait que les subventions aux associations ont souvent donné lieu à des gestions de fait a permis de clarifier leurs principes de gestion et de mieux encadrer leurs relations avec les collectivités qui les subventionnent. Les élus coupables de gestion de fait, qui risquaient jusqu’en 2001 une déclaration d’inéligibilité prononcée par le préfet, évitent donc désormais la présidence d’associations subventionnées par la collectivité, ou une place prépondérante dans leurs instances dirigeantes. Une association est en effet reconnue comme « transparente » selon un faisceau d’indices établi par la jurisprudence administrative et comprenant : la dépendance financière envers la collectivité ; l’absence de vie associative ; la similitude de ses missions avec celles de la collectivité. Depuis 2000, une convention doit être établie entre la collectivité et l’association au-delà d’un seuil de subvention défini par décret (actuellement 23 000 €) : elle doit préciser l’objet, le montant et les conditions de versement et d’utilisation de la subvention. Son absence a pu donner lieu à la mise en cause juridictionnelle des comptables publics patents.

6La Cour des comptes a enregistré une vingtaine de déclarations de gestion de fait en 15 ans dans la période récente. L’arrêt du Conseil d’État Labor Metal du 23 février 2000, jugeant que la Cour ne pouvait statuer impartialement sur une affaire dont elle avait rendu compte dans son rapport public, a contribué à freiner ce contentieux marqué par des procédures longues et complexes, sources de multiples décisions (2021). L’évolution de la gestion de fait, qui demeure un mécanisme utile pour la sanction des irrégularités, reste à dessiner dans le cadre de la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics.