Financiarisation
p. 331-332
Texte intégral
1La financiarisation est étudiée selon trois approches (Van der Zwan, 2013). La première l’aborde comme un régime d’accumulation où les profits augmentent principalement par les circuits de la finance de marché et alimentent les revenus issus de la détention d’actifs financiers. La deuxième approche l’identifie à la valeur actionnariale devenue principe d’action majeur des stratégies d’entreprise. La troisième développe une financiarisation du quotidien, où la finance investit certains domaines de la vie courante et aligne les représentations et les comportements des citoyens sur ceux des investisseurs. Ces approches ont documenté le rôle croissant de la finance dans la société, permis par certains types de politiques publiques (dérégulation financière, politique monétaire…), soit une financiarisation par les politiques publiques.
2Plus récemment, de nouveaux travaux ont mis en exergue une financiarisation des politiques publiques (Chiapello, 2017), à savoir la transformation des discours, des techniques et des représentations de l’action publique par l’importation de pratiques et de modes de pensée financiarisés. Elle se matérialise dans de profondes modifications des circuits financiers publics, historiquement centrés sur les ressources budgétaires de l’État, et met en relief des agencements hybridant action publique et finance privée. Le financement par les marchés de capitaux de la dette publique (Lemoine, 2017), la création de véhicules d’investissement publics agissant sur les marchés par certaines banques publiques (Mertens, Thiemann, 2017 ; Ducastel, 2019) ou l’essor des produits développés pour les acteurs de marché, comme les Social Impact Bonds, en constituent quelques exemples.
3Fréquemment légitimée par la volonté des autorités publiques de limiter leurs dépenses budgétaires et par la capacité théorique du privé à opérer des arbitrages financiers plus efficients, cette financiarisation engendre des effets majeurs sur la manière de se représenter les politiques publiques et leur rôle. D’une part, la substance des problèmes publics et les solutions envisagées pour les résoudre sont co-produites entre acteurs publics et acteurs privés (consultants, experts, investisseurs financiers…), voire parfois imposées par ces derniers comme condition de leur participation. Il s’ensuit une problématisation de l’action publique renouvelée, important des modes de gestion et d’évaluation propres aux investisseurs tels que le rapport risque/rendement ou une référence systématique aux prix de marché.
4D’autre part, cette financiarisation implique que les décideurs publics se conforment aux attendus de leurs « partenaires » privés. Il s’agit notamment de réaliser un travail juridique d’écriture contractuelle, de mise en forme et de présentation des politiques publiques comme des opportunités d’investissement et de mise en place de critères d’évaluation des projets financés acceptés par les acteurs financiers. Enfin, en transformant les problématisations de l’action publique, la financiarisation induit des changements dans les acteurs qui en sont bénéficiaires. Elle conduit à privilégier ceux jugés comme les plus rentables, plutôt que ceux évalués comme les plus en besoin socialement, comme l’illustre, par exemple, la préférence des investisseurs en Social Impact Bonds pour les startups d’innovation sociale, plutôt que pour les acteurs associatifs de l’action sociale, jugés moins rentables (Hély, 2017). Elle induit parallèlement de réserver une part des fonds publics à la rémunération des services des acteurs financiers, mais aussi, parfois, de garantir leurs rendements, sous la forme de subventions ou d’incitations fiscales, pour s’assurer de leur participation.
Bibliographie
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Chiapello Eve, « La financiarisation des politiques publiques », Mondes en Développement, 2017, vol. 45, n° 178, p. 23‑40.
10.3917/med.178.0023 :Ducastel Antoine, « Une banque comme les autres ? Les mutations de Proparco et de la finance administrée », Actes de la recherche en sciences sociales, 2019, vol. 229, n° 4, p. 34‑45.
Hély Matthieu, « De l’économie sociale “historique” à “l’économie sociale et solidaire” : une nouvelle configuration des relations entre monde associatif et collectivités publiques », Revue française d’administration publique, 2017, vol. 163, n° 3, p. 543‑556.
Lemoine Benjamin, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité des marchés, Paris, La Découverte, 2016.
10.3917/dec.lemoi.2016.01 :Mertens Daniel, Thiemann Matthias, « Building a hidden investment state? The European Investment Bank, national development banks and European economic governance », Journal of European Public Policy, Taylor & Francis (Routledge), 2019, 26 (1), p. 23‑43, https://doi.org/10.1080/13501763.2017.1382556, hal-01621785
10.1080/13501763.2017.1382556 :Van Der Zwan Natacha, « State of the Art. Making Sense of Financialization », Socio-Economic Review, 2014, vol. 12, p. 99‑129.
Auteur
Chargé d’études, chef du département Gestion publique comparée, Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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