1La déconcentration est un phénomène ancien dans l’histoire administrative française, même si elle a souvent été éclipsée par une vision étroite de la centralisation ou par les progrès plus médiatisés de la décentralisation. Elle a toujours permis d’alléger les aspects négatifs de la centralisation en confiant des compétences à des autorités réparties sur le territoire et ayant une certaine autonomie d’action par rapport au pouvoir central. Cela n’est possible que si le territoire est effectivement découpé en circonscriptions administratives. Ces dernières sont alors administrées par des autorités représentantes de l’État, comme, aujourd’hui, le sous-préfet dans l’arrondissement, le préfet dans le département ou le préfet de région dans la région.

2Contre toute attente, l’approfondissement de la décentralisation à compter de 1982 n’a pas altéré le rôle de l’administration déconcentrée de l’État. La conception générale de ce mouvement a même été conçue comme un parallélisme, jugé indispensable entre l’administration déconcentrée et l’administration décentralisée. Depuis 1992, une politique publique particulière de déconcentration a été mise en œuvre. Les pouvoirs des préfets, l’organisation et l’action des services dans les régions et les départements ont certes été réformés, mais l’adaptation régulière de l’administration territoriale de l’État exprime une réelle continuité dans les politiques publiques institutionnelles.

Pourquoi déconcentrer ?

3La déconcentration est une technique d’administration qui permet à l’État, par le biais du pouvoir hiérarchique, de conserver ses compétences, tout en évitant un engorgement des instances centrales de décision. De manière régulière, dans son histoire, l’État aménage, transforme et modernise son administration déconcentrée, mais ne la remet jamais en question, même lorsqu’il décentralise de nombreuses compétences. En revanche, l’État semble toujours en quête du meilleur niveau territorial pour l’organisation de son administration déconcentrée, qui répond à une pluralité de fonctions.

Défendre l’unité de la République

4La déconcentration traduit d’abord une certaine conception de l’État unitaire. À l’inverse de la décentralisation qui contient à l’évidence toujours des risques d’amoindrir l’égalité au profit des droits et des libertés des collectivités territoriales, la déconcentration assure au contraire l’unité du territoire républicain en toutes circonstances, à tout moment et sur l’ensemble du territoire. Cette unité est une exigence constitutionnelle évoquée à plusieurs reprises dans la Constitution, notamment dès l’article 1^er : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race et de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».

5La déconcentration et les services qu’elle fonde contribuent à satisfaire ces exigences : quelles que soient les parties du territoire, les administrations d’État doivent être identiques, les grands services publics doivent fonctionner de la même manière pour tous les citoyens. L’unité, comme l’égalité, suppose aussi une certaine continuité de l’administration, comme de l’action publique. Le préfet symbolise et réalise à lui tout seul ces impératifs, compte tenu du caractère interchangeable des personnes qui exercent ces fonctions, à la différence des autorités décentralisées élues directement dans les territoires concernés. L’administration déconcentrée permet aussi à l’État d’être le garant réel des grands équilibres sur le territoire.

Rechercher l’efficacité administrative

6La déconcentration administrative assure également l’efficacité de l’action de l’État. En effet, il ne suffit pas de prendre une orientation, il faut aussi l’appliquer. Les administrations centrales n’y suffisent pas, elles ont besoin des services déconcentrés. Ces services sont d’autant plus efficaces qu’ils peuvent assumer une certaine responsabilité pour leurs actions dans le cadre de leur autonomie de gestion sur le plan local. Il s’agit par la déconcentration de mettre en œuvre « une règle de bonne administration selon laquelle les décisions des administrations doivent être prises à l’échelon le plus proche de ceux qu’elles concernent » (rapport au président de la République relatif au décret n° 97-34 du 15 janvier 1997 relatif à la déconcentration des décisions administratives individuelles modifié par le décret n° 2007-139 du 1^er février 2007).

7Toute politique de réforme de l’État ou de modernisation de l’administration s’appuie donc, dans un État unitaire comme la République française, sur la déconcentration administrative, et exige une adaptation permanente des services de l’État sur son territoire : ce fut en effet l’objectif assigné à la Réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) en 2010, suivie d’une nouvelle réforme en 2015 ainsi que d’une recomposition induite par la fusion des régions (décret n° 2015-1689 du 17 décembre 2015 portant diverses mesures d’organisation et de fonctionnement dans les régions de l’administration territoriale de l’État et de commissions administratives).

Accompagner la décentralisation

8La conception française de la décentralisation repose sur une complémentarité avec le processus de déconcentration. Une décentralisation réussie suppose que les collectivités territoriales puissent avoir sur place des correspondants ou des représentants de l’État. Elles n’ont pas nécessairement à se tourner vers la capitale pour résoudre des difficultés locales ou régionales. Il suffit qu’elles se tournent vers les autorités déconcentrées. Elle a longtemps induit la nécessité d’un parallélisme institutionnel à chacun des niveaux concernés, comme cela se retrouve encore aujourd’hui au niveau du département avec le préfet et le président du conseil départemental ou avec le préfet de région et le président du conseil régional.

9Ce parallélisme facilite les dialogues administratifs sur le territoire allant jusqu’au partenariat entre les représentants de l’État et les collectivités territoriales, mais il est désormais mis à mal par l’affaiblissement des services de l’État au niveau départemental et leur renforcement au niveau régional. On a pu à juste titre évoquer l’idée d’une co-administration du territoire : le principe en est posé par la loi du 6 février 1992. Celle-ci prend de multiples formes, notamment celles des contrats, par exemple les contrats de Plan entre l’État et les collectivités territoriales. La contractualisation des relations entre les autorités déconcentrées et les autorités décentralisées concerne dorénavant de nombreuses politiques publiques, par exemple la politique de la ville, la sécurité ou celle de l’aménagement du territoire.

Comment déconcentrer ?

10Déconcentrer consiste toujours à mieux administrer le territoire au nom d’un principe de gestion, parfaitement résumé jadis, par la formule liminaire du décret impérial du 25 mars 1852 : « On peut gouverner de loin, mais on n’administre que de près ». La permanence institutionnelle du préfet en est à la fois un symbole et un modèle d’administration déconcentrée. « Près de deux siècles après sa création, et malgré les lois de décentralisation de 1982 et 1983, le préfet occupe toujours une place fondamentale dans le système administratif français d’administration du territoire » (Oberdorff, Froment, 1995, p. 20). Par étapes successives, ses pouvoirs ont même été accrus pour faire de la déconcentration administrative une réalité. Sous la V^e République, les décrets du 14 mars 1964, du 10 mai 1982, du 29 avril 2004, du 16 février 2010 et du 17 décembre 2015 sont autant de jalons d’une politique de déconcentration.

Fonder une administration territoriale de la République

11À partir de 1989, « la volonté politique de réforme de l’État et de modernisation du service public conduit à l’accélération du processus de déconcentration » (Diederichs, Luben, 1995, p. 33). Des projets d’administration déconcentrée des services territoriaux de l’État sont lancés sous la responsabilité des préfets de région. Ils ouvrent la voie à une théorisation de la politique de déconcentration qui intervient en 1992, d’une part au travers de la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, d’autre part par l’intermédiaire du décret du 1^er juillet 1992 portant charte de la déconcentration.

12Cette politique se veut conceptuelle et globale. Elle pose en effet une conception de l’administration du territoire et en déduit ensuite des mesures de mise en œuvre. Depuis cette période, la politique de déconcentration est toujours considérée comme un élément essentiel de la politique de réforme de l’État. Avec les deux importants textes de 1992, la déconcentration est expressément une contribution à la co-administration du territoire. Le territoire de la République est administré simultanément par les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État.

Réformer l’État au niveau local

13Une nouvelle étape de la réforme de l’État territorial (Kada, Müller-Quoy, 2011, p. 765 et suiv.) est enclenchée avec le décret du 16 février 2010 qui en renforce et en modernise l’organisation afin de mieux distinguer ses fonctions de l’État de celles de l’État central. « Cette réforme [de l’administration territoriale] est aussi le terreau de bouleversements profonds, qui touchent à toutes les dimensions de la vie de notre État, et qui vous permettent d’inventer l’administration de demain. Alors pour mener à bien un tel chantier, il faut d’abord des principes clairs. Le pilotage des politiques publiques est désormais régional, et sa mise en œuvre se fait à l’échelon départemental, au plus près du terrain, au contact des administrés. Ces principes figuraient déjà dans la loi de 1992 sur la déconcentration, mais ils se traduisent désormais dans les faits. Avec des conséquences considérables pour l’échelon central : n’ayant plus à gérer en direct une centaine d’entités cloisonnées, mais 22 interlocuteurs renforcés, il va pouvoir enfin se concentrer sur sa fonction d’orientation stratégique » (discours du Premier ministre, « La réforme de l’administration territoriale de l’État », 16 novembre 2009).

14La grande nouveauté de cette nouvelle étape de réforme de l’administration de l’État sur le territoire est la conception même de cette administration déconcentrée : « si le niveau régional, niveau de droit commun du pilotage des publiques, s’inscrit dans un schéma reposant sur les grands découpages ministériels, l’organisation départementale obéit à une logique différente. Il s’agit de répondre aux besoins des citoyens sur le territoire » (circulaire 7 juillet 2008 relative à l’organisation de l’administration départementale de l’État).

Adapter et différencier

15Mais la réforme des services de l’État franchit une nouvelle étape en 2015. Outre le dépassement annoncé de la Réorganisation de l’administration territoriale de l’État (RéATE), c’est un calendrier très resserré qui instaure deux réformes essentielles : la revue des missions et la déconcentration des pouvoirs. Il n’existe désormais plus que 13 préfets de grandes régions qui auront un rôle beaucoup plus stratégique que leurs prédécesseurs, les préfets de département étant plutôt en charge de la déclinaison opérationnelle des politiques publiques, soulignant combien l’implantation des services régionaux allait devoir s’articuler avec celle des autres services déconcentrés de l’État (Agences régionales de santé, Rectorats…). Les réformes engagées depuis lors n’ont eu de cesse de toujours davantage adapter l’organisation de l’État aux spécificités du territoire, dans une logique de différenciation, sans renoncer aux principes d’unité de la République et d’égalité.