Association

Nathalie Dubost

p. 74-80


Texte intégral

1D’après la dernière enquête nationale (Tchernonog, Prouteau, 2019), le monde associatif français compte aujourd’hui 1,5 million de structures, représente 1 758 500 emplois et 3,3 % de la richesse nationale. Son budget cumulé s’élève à 113 milliards d’euros. Il existe néanmoins de grandes disparités au sein de ce secteur, où de petites associations de quartier faisant appel à des bénévoles côtoient des structures employeurs dont les budgets annuels peuvent dépasser le million d’euros.

2Une association est un groupement de personnes volontaires, réunies autour d’un projet commun ou partageant des activités ; elle peut faire des bénéfices mais ne doit pas les distribuer. La loi du 1er juillet 1901 – dite loi Waldeck-Rousseau – prévoit qu’au moins deux personnes se mettent d’accord sur un projet et signent un contrat. Les statuts de l’association sont rédigés librement, sauf restriction prévue par la loi, ce qui offre une souplesse de fonctionnement. L’association n’a pas à être nécessairement déclarée en préfecture – elle est dans ce cas qualifiée d’association « simple » – alors qu’une association déclarée détient la personnalité juridique et peut posséder un patrimoine et agir en justice.

3De fait, nombre d’associations ne recherchent qu’un intérêt exclusif au profit de leurs membres alors que certaines peuvent disposer du statut d’association reconnue d’utilité publique par décret du Conseil d’État et recevoir à ce titre des dons et des legs. L’intérêt général est l’une des conditions à remplir pour obtenir ce statut avec un nombre minimum d’adhérents et un niveau minimum de ressources. La poursuite de cet intérêt général implique des procédures (agréments, statuts-types…), un financement public sous contrôle et une professionnalisation accrue des administrateurs comme antidote aux limites du bénévolat. À ce sujet, ces derniers doivent veiller à ne pas être déclarés dirigeants de fait (cf. Gestion de fait).

4Sur le plan de l’organisation des instances dirigeantes, une grande majorité d’associations dispose d’un conseil d’administration et d’un bureau, notamment au-delà d’un plafond de ressources estimé à 20 000 euros. Il existe une diversité du fonctionnement de ces instances en fonction notamment du rôle du président, et de l’implication de parties prenantes externes telles que les financeurs (Eynaud, 2015).

Des théories qui révèlent des enjeux sociétaux

5Les associations font partie du secteur de l’Économie sociale et solidaire (ESS), aux côtés des mutuelles, des coopératives, et des fondations. Six critères permettent de caractériser ce secteur en France (et en Europe du Sud également) : la libre adhésion des usagers, l’égalité des membres, la production de valeur économique, la non-lucrativité (d’où le terme anglo-saxon de Non Profit Organizations), l’indépendance et la démocratie, et la solidarité. On parle également de tiers-secteur, ce terme soulignant l’existence d’une troisième forme institutionnelle entre le marché et l’État. La recherche s’attarde sur deux grandes problématiques : l’origine de ces organisations et leurs spécificités.

6La première catégorie de travaux, d’origine essentiellement anglo-saxonne et ancrée dans le champ économique, fait des défaillances de l’État et du marché la raison d’être des associations. Ces défaillances proviennent de l’impossibilité de satisfaire la demande de biens collectifs, et/ou de situations d’asymétrie informationnelle nécessitant l’instauration de relations de confiance. Une des principales limites de ces recherches réside dans l’oubli de la dimension sociale, voire politique, qui est tout aussi importante pour comprendre l’existence des organisations de l’ESS : il existe des besoins que ni le marché ni l’État ne peuvent déceler, en raison de leur trop grand éloignement des publics concernés. Les associations (et autres organisations du tiers-secteur) sont ainsi analysées comme des formes organisationnelles aptes à révéler des demandes insatisfaites, et à y apporter des réponses innovantes grâce à leur proximité et leur inscription au sein des territoires.

7Le second groupe de travaux dévoile la façon dont les associations traduisent cette capacité à créer du lien social dans leurs pratiques et leur fonctionnement. On retiendra ici l’approche autour des logiques d’action de Bernard Enjolras (1995), faisant des associations une forme hybride. Quatre logiques d’action permettent aux acteurs de se coordonner dans leurs échanges, et diffèrent sur le plan des caractéristiques des personnes prenant part à l’échange, de l’objet de l’échange, et du principe de coordination.

Les quatre logiques d’action sociale

Image 100000000000056800000347FC662D8D7014ACE6.jpg

Source : Enjolras, 1995, p. 55, https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1995_num_10_4_990.

8Alors que les organisations lucratives et publiques fonctionnent selon une logique d’action dominante (marchande pour les premières, civique pour les secondes), les associations sont en capacité de gérer des compromis entre ces différentes logiques grâce à un mode de gouvernance participatif. Elles peuvent ainsi réintroduire de la confiance dans les échanges (logique marchande et logique domestique), s’assurer du respect de l’intérêt général (logique marchande et logique civique), ou encore s’appuyer sur des bénévoles (logique marchande et solidaire). Ce faisant, les associations contribuent à créer des liens sociaux, à renforcer la cohésion des territoires et à œuvrer pour une démocratie de proximité.

9Selon Jean-Louis Laville (2000), tout l’enjeu consiste à trouver un équilibre entre ces différentes logiques, afin d’éviter les écueils propres à chacune d’elles : les inégalités en raison de demandes non solvables, la lourdeur administrative en cas d’absence de marché, et le risque de s’opposer aux désirs d’émancipation individuelle.

L’association, un acteur incontournable dans le paysage français

10Sur les 1 500 000 associations recensées, un peu plus de 10 % a eu recours à de l’emploi salarié en 2017. La très grande majorité des structures s’appuie donc sur des bénévoles ; ils constituent l’essentiel du réservoir de croissance du nombre d’associations (à hauteur de 2,4 % par an), alors que celui des associations employeuses a tendance à baisser légèrement.

11Concernant le secteur d’activité, presque 70 % déploient leurs activités dans les domaines sportif, culturel ou de loisirs. Les associations d’action humanitaire, sociale et de santé représentent 14 % du total, suivies de la défense des droits et des causes pour 11,5 %. Pour autant, 75 % des associations gèrent un budget annuel inférieur à 10 000 euros : on trouve un grand nombre de petites associations actives au niveau d’une commune, voire d’un quartier, et qui vivent principalement de cotisations, de subventions publiques souvent en provenance des communes. Seul 1,3 % des associations gère un budget supérieur à 500 000 euros annuels, et représente 71 % du budget cumulé du secteur associatif.

12Contrairement à une idée reçue, les associations vivent principalement de la vente de leurs biens et services. Le poids de ces recettes a crû de façon régulière depuis 2005, et représentait 66 % du budget cumulé du secteur en 2017 (graphique 1). Ces recettes proviennent des usagers, en augmentation de 4,2 % par an sur la période 2005-2017, mais également du secteur public lorsque les prestations correspondent à des commandes de l’État, des collectivités territoriales ou des organismes de protection sociale, en augmentation de 1,3 % par an.

Graphique 1. Part des ressources en % du budget

Image 100000000000056800000280D3B2EC1CD4E24EE0.jpg

Source : Tchernonog Viviane, Prouteau Lionel, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, Paris, Dalloz, 2019, p. 280‑281.

13La deuxième source de financement provient des subventions publiques. Cette ressource décroît continuellement depuis 2007 – de 1,3 % par an depuis 2005 – pour atteindre aujourd’hui 20 % du financement total. Contrairement à la commande publique, la subvention ne constitue pas la contrepartie ni la rémunération d’une prestation effectuée par l’association pour un acteur public. Même si le projet présente un intérêt général ou local, l’association reste à l’initiative des actions qu’elle va proposer aux pouvoirs publics, formalisées dans son projet associatif. Enfin, le solde des ressources provient des cotisations de membres (9 % en 2017) et des dons et du mécénat dont la part dans les budgets associatifs reste stable (autour de 5 %).

14En synthèse, en un peu moins de quinze années, la part des financements publics (subventions et commandes publiques) a progressivement diminué pour atteindre 44 % en 2017 (graphique 2). Ce sont donc les ressources privées qui représentent aujourd’hui la principale ressource des associations, et notamment les recettes issues de la vente de prestations auprès des usagers aux côtés des cotisations et des dons.

Graphique 2. Répartition des ressources privées et publiques en % du budget

Image 100000000000056800000280C4770A7F832BB61E.jpg

Source : Tchernonog Viviane, Prouteau Lionel, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, Paris, Dalloz, 2019, p. 280‑281.

Quelle place pour les associations dans l’action publique ?

15Les associations s’avèrent des acteurs incontournables pour la mise en œuvre des politiques publiques au plus près du terrain, à même de repérer des besoins et de proposer des solutions innovantes ; leur souplesse et leur réactivité en font également des dispositifs moins coûteux comparativement au secteur public (des estimations parlent d’un différentiel de 15 à 20 %). La charte d’engagements réciproques entre l’État, les collectivités territoriales et le Mouvement associatif (regroupant une association sur deux), signée en février 2014, consacre la reconnaissance du rôle essentiel du tissu associatif sur les territoires et promeut la concertation pour y coconstruire des politiques publiques.

16Les politiques d’action sociale et médico-sociale, prises comme exemple, sont révélatrices de cette tendance lourde. La prise en charge des publics vulnérables bénéficie d’un financement annuel de 50 milliards d’euros provenant des fonds publics. Les associations y sont majoritaires et représentent 90 % de l’offre dans le champ du handicap, 90 % dans celui des personnes en difficulté sociale, et 83 % dans celui de la protection de l’enfance et de la jeunesse (Priou, Demoustier, 2015). Depuis le début des années 2000, ce secteur a connu de profondes mutations avec notamment l’introduction d’outils d’évaluation et de contractualisation inspirés du secteur marchand.

17L’État a accompagné les associations médico-sociales dans leur professionnalisation avec l’aide d’agences publiques telles que l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux, et l’Agence nationale d’appui à la performance. Cette dernière a ainsi pour mission « d’élaborer et de diffuser des recommandations et des outils dont elle assure le suivi de la mise en œuvre, afin de moderniser la gestion des établissements, d’optimiser leur patrimoine immobilier et de suivre et d’accroître leur performance, afin de maîtriser leurs dépenses. Dans ce cadre, elle peut faire procéder à des audits de la gestion et de l’organisation de l’ensemble des activités des établissements de santé et médico-sociaux. » (Extrait du Code de la santé publique – article L. 6113‑10).

18Certains observateurs s’interrogent aujourd’hui sur la place des associations dans le champ du secteur médico-social : sont-elles réellement des partenaires des pouvoirs publics, avec qui elles élaborent conjointement des projets sur un territoire, ou de simples opérateurs, auxiliaires de l’État et des collectivités, qualifiées parfois d’associations parapubliques ? L’adoption de la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires privilégie le principe de la commande publique en retenant des dispositifs d’appels à projets élaborés par les autorités de contrôle.

19D’aucuns plaident pour redonner aux instances des associations un rôle de conception de leur politique qu’elles ont progressivement délaissé au profit de l’expertise technique et gestionnaire (Zander, 2016). Elles n’ont plus aujourd’hui de véritable latitude pour proposer des projets aux pouvoirs publics et l’essentiel de leurs efforts consiste à répondre aux demandes des politiques sociales dans un budget contraint.

20En conclusion, deux éléments semblent importants. D’abord, de façon générale, la part des financements publics décroît dans les ressources des associations, les ressources privées étant désormais majoritaires. Plus particulièrement, on constate une polarisation du paysage associatif français : d’un côté, des micro-associations en augmentation, œuvrant au niveau local et concentrant une part importante du bénévolat ; de l’autre, de très grandes associations, de moins en moins nombreuses, issues de mouvements de concentration par fusion et absorption. Chargées de mettre en place les politiques publiques, elles fonctionnent essentiellement avec des financements publics (Tchernonog, Prouteau, 2019).

21Ensuite, des interrogations sont soulevées quant à l’utilité du projet associatif et à la réalité de la latitude décisionnelle de leur gouvernance. Cette instrumentalisation des associations par les pouvoirs publics est également constatée au niveau européen qui pousse les États à recourir aux appels d’offres et à la commande publique afin de ne pas fausser la concurrence dans le domaine des services (Archambault, 2012). Il en résulte une fragilisation des associations qui, bridées dans leur capacité à innover, convergent vers un même modèle d’organisation parapublique.

22Une question mérite ainsi d’être posée : avec la montée en puissance de chaînes privées pour dispenser des services sociaux et de santé à « haute teneur en confiance », tels que l’accueil de personnes âgées dépendantes, l’usager-patient ne risque-t-il pas d’être lésé ?

Bibliographie

Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.

Archambault Édith, « Diversité et fragilité des associations en Europe », Informations sociales, 2012, vol. 4/172, p. 20‑28.

10.3917/inso.172.0020 :

Enjolras Bernard, « Comment expliquer la présence d’organisations à but non lucratif dans une économie de marché ? L’apport de la théorie économique », Revue française d’économie, 1995, vol. 10, n° 4, p. 37‑66, https://doi.org/10.3406/rfeco.1995.990.

10.3406/rfeco.1995.990 :

Eynaud Philippe, La gouvernance entre diversité et normalisation, Paris, Dalloz, 2015.

Laville Jean-Louis, « Le tiers secteur, un objet d’étude pour la sociologie économique », Sociologie du travail, 2000, vol. 42/4, p. 531‑550.

10.1016/S0038-0296(00)01101-8 :

Priou Johan, Demoustier Séverine, Institutions et organisation de l’action sociale et médico-sociale, Paris, Dunod, 2015.

10.3917/dunod.priou.2019.01 :

Tchernonog Viviane, Prouteau Lionel, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, Paris, Dalloz, 2019, (3e éd.).

Zander Christophe, « A-t-on encore besoin des associations médicosociales ? », Vie sociale et traitements, 2016/3, n° 131, p. 37‑41.

10.3917/vst.131.0037 :

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.