Appropriation
p. 67-68
Texte intégral
1Le terme appropriation vient du latin appropriare qui signifie faire sien, ou encore, rendre propre à soi, rendre convenable. Il ressort de cette définition deux éléments saillants. L’appropriation consiste à adapter quelque chose (dans notre cas, un outil de gestion, une pratique, un dispositif, etc.) et, dans le même temps, elle se réfère à l’idée de propriété (faire sien). En sciences de gestion, de nombreux travaux se sont intéressés à cette notion. Les premières recherches se sont données comme objectif de la définir. Puis, plus récemment, des travaux explorent ses enjeux pour l’action collective.
2L’appropriation fait l’objet d’un positionnement théorique précis (ex., Vaujany [de], 2005 ; Grimand, 2012). En premier lieu, plusieurs fondements de ce cadre peuvent être décrits. L’appropriation est, tout d’abord, envisagée comme un processus. Elle s’envisage dans le temps. De plus, l’appropriation repose sur un déterminisme social. Les acteurs, dans les interactions qu’ils nouent avec l’objet du processus, jouent un rôle essentiel au sein du processus d’appropriation. Ce dernier point permet, notamment, de positionner cette notion à l’égard de la théorie de la diffusion (Rogers, 1995) pour qui le déploiement d’une innovation managériale repose avant tout sur un déterminisme technique. Pour les tenants des théories appropriatives, l’interaction entre le monde social et le monde technique se trouve au centre des attentions. Elle explique les mécanismes d’adoption d’une innovation et conditionne donc directement sa future réussite ou son prochain échec. L’appropriation est décrite comme l’enchaînement de plusieurs phases. Dans un premier temps, une phase de pré-appropriation entraîne une première stabilisation de l’objet, cette phase est dénommée « appropriation originelle ». Dans un second temps, des phases de routinisation et de réappropriation vont se succéder. L’usage de l’objet favorise l’émergence de routines qui, à leur tour, vont engendrer une transformation de l’objet. Cette phase est qualifiée de « réappropriation ». In fine, le processus d’appropriation peut donc être envisagé comme un enchaînement d’équilibres précaires et de ruptures d’équilibres. Enfin, et au-delà de la perspective temporelle, les tenants de la théorie de l’appropriation proposent une grille de lecture permettant de combiner quatre regards :
un regard instrumental qui repose sur les qualités rationnelles de l’objet et met en évidence la dimension normative de ces processus ;
un regard socio-politique qui intègre les dimensions stratégiques du processus et explore les jeux d’influence individuels et/ou collectifs ;
un regard psycho-cognitif qui décrit les mécanismes d’apprentissage et souligne l’évolution des représentations et des pratiques des acteurs ;
un regard symbolique qui appréhende le processus de création de sens pour les acteurs.
3À la suite de ces éléments, un constat s’impose : il serait vain de tenter de dresser une liste exhaustive des travaux de recherche en management public qui mobilisent ce cadre théorique. Néanmoins, il semble important de souligner que ce dernier s’avère particulièrement opportun dans l’étude du déploiement de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils de gestion provenant du secteur privé. De manière générale, il favorise une compréhension détaillée des enjeux rythmant les processus d’innovation au sein des organisations publiques. Plus précisément, il permet d’appréhender le développement des innovations managériales en dépassant les défis techniques et en focalisant la réflexion sur les enjeux humains, organisationnels, stratégiques et politiques de leur implantation. Ainsi, les mécanismes de détournement ou encore de bricolage de l’objet (qu’il s’agisse d’un outil, d’une pratique ou plus largement d’une innovation managériale) pourront être identifiés. De plus, si la théorie de l’appropriation permet de mettre en évidence le rôle de ces processus pour les organisations et leurs acteurs, elle autorise aussi une prise en compte de l’environnement institutionnel dans lequel évoluent ces organisations. Ainsi, ce cadre favorise une exploration des stratégies mimétiques ou encore des effets induits par le déploiement de modes managériales au sein de ces structures. En synthèse, la théorie de l’appropriation propose un regard novateur sur les transformations actuelles de l’action publique.
Bibliographie
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Grimand Amaury, « L’appropriation des outils de gestion et ses effets sur les dynamiques organisationnelles : Le cas du déploiement d’un référentiel des emplois et des compétences », Management & Avenir, 2012, vol. 4/54, p. 237‑257.
10.3917/mav.054.0237 :Rogers Everett M., Diffusion of innovations, New York, The Free Press, 1995 (4e éd.).
10.4324/9780203710753 :Vaujany François Xavier (de), De la conception à l’usage : Vers un management de l’appropriation des outils de gestion, Caen, EMS Éditions, 2005.
Auteur
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Benjamin Dreveton
Professeur des universités, directeur du centre de recherche en gestion (UR 13564 CEREGE), université de Poitiers.
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