Les finances publiques à l’épreuve des guerres. Indemnités, dommages et réparations en longue durée
p. 143-172
Texte intégral
1Une tradition séculaire pose le principe qu’au terme d’un conflit le vainqueur, outre la gloire et les louanges qui accompagnent ses succès, retire un bénéfice économique, sous forme de territoires et/ou d’argent, sans que soit jamais posée la question de la responsabilité, des dommages, voire des réparations. Il serait fastidieux d’énumérer la liste des avantages ainsi obtenus dans l’histoire, quel que soit le lieu et quelle que soit la période1. Il faut donc raison garder et se limiter à une temporalité acceptable, celle du court siècle qui débute avec la guerre franco-prussienne de 1870-1871 pour se clore au début des années 1960. Ce siècle modifie en profondeur la manière d’appréhender la question, notamment en raison du caractère désormais industriel des guerres et des destructions massives qu’elles provoquent.
2S’intéresser à ces questions est un exercice triplement complexe. D’abord, parce que cette approche n’a jamais vraiment été traitée. Même si des travaux ont défriché tel ou tel conflit, la dimension transpériodique – le temps long des historiens – est restée relativement vierge. Ensuite, parce qu’il s’agit d’aborder, en un même mouvement, les dommages, les indemnités et des réparations liés aux conflits et de les articuler aux facteurs qui agissent et aux effets qu’ils provoquent sur les finances publiques. La notion même de finances publiques doit être interrogée, tant elle apparaît complexe à identifier. On ne va pas s’y risquer trop longuement ici, pour retenir simplement la définition donnée par Pierre Vilar et reprise par Jean Bouvier : « les finances publiques […] sont à la fois signe, produit, facteur d’un ensemble de phénomènes globaux : économiques, sociaux, idéologiques, politiques2. » Cet exercice se doit ainsi de mobiliser des notions juridiques, économiques et financières, politiques et morales… cela en un nombre réduit de pages. Pour ce faire, on se propose dans un premier temps de présenter une vue d’ensemble des dynamiques politiques et juridiques en mouvement au cours du siècle, pour aborder ensuite chacune des quatre séquences historiques (1870, 1918, 1945 et les guerres de décolonisation) qui impulsent quatre formes différentes de penser la question des dommages de guerre.
I. Les dynamiques morales et politiques sur le temps long : tribut, réparations, reconnaissance de la responsabilité sans faute de l’État à l’égard de ses nationaux
3La guerre est source de transfert de richesses par les moyens de la destruction ou de l’appropriation. Dans le temps long, cela est même souvent son mobile principal. Le tribut s’abat dès lors sur le vaincu, c’est-à-dire sur le corps social dans son ensemble indistinct de la collectivité publique3. La fonction réparatrice apparaît absente, le droit au butin s’accompagne souvent de la réduction en esclavage des prisonniers ennemis. À partir du Concile de Latran en 1179, cette pratique est bannie au sein des nations chrétiennes, c’est alors l’usage de la rançon qui se répand, source d’enrichissement pour les seigneurs et leurs familles. L’attribution progressive du butin au seul souverain ne fait pas totalement disparaître la pratique. Dans les siècles suivants, la constitution des États modernes fondés sur la reconnaissance de leur souveraineté et de leur égalité, conduit à un effacement progressif de la pratique du tribut et des indemnités. En témoignent les traités de paix au sein desquels les clauses d’amnistie se multiplient, à l’instar du Traité d’Utrecht de 1713, lequel ne consacre ni vainqueurs ni vaincus, tout en instaurant des changements de souverainetés et de nouvelles frontières. L’imposition de tributs et d’indemnités paraît alors contraire au rétablissement de relations de paix fondées sur l’idée d’équilibre des puissances et la construction d’un système de relations internationales. Les guerres de la Révolution et de l’Empire montrent des continuités et des changements. Les contributions de guerre liées à la présence des troupes pèsent lourdement sur les localités où séjournent les armées en campagne. Le décret du 19 septembre 1792 abolit en revanche le rançonnement des prisonniers alors que les armistices et traités de paix conclus en faveur de la France révolutionnaire et impériale renouent avec la pratique des indemnités de guerre. Luce Camuzet évalue à 617,48 millions de livres de l’époque, les paiements demandés par la France à ses ennemis défaits pendant la période 1795-18104. Certaines de ces conventions mentionnent expressément la remise d’objets d’art choisis par le vainqueur, renouant ainsi avec des pratiques anciennes. Après la chute de l’Empire, une grande partie est restituée ou reprise de force. C’est ici la protection des biens culturels en cas de conflits armés qui est posée, thème devenu récemment d’une grande actualité.
4Après 1814, les vainqueurs ne font pas payer la France. C’est la pratique prérévolutionnaire qui prévaut encore. L’article 18 du Traité de Paris du 30 mai 1814 dispose que les puissances alliées et la France renoncent réciproquement à toute réclamation issue des guerres les ayant opposées depuis 1792. Mais les Cent Jours remettent en question ces dispositions clémentes. Le Traité de Paris du 20 novembre 1815 prévoit des modifications territoriales, réduisant le territoire de la France aux frontières de 1790, et l’article IV énonce une clause pécuniaire. La France doit payer aux Alliés une indemnité de 700 millions de francs, à verser sous la forme de bons au porteur sur le Trésor royal de France dans le courant des cinq années suivantes. En attendant le paiement intégral, une armée d’occupation est maintenue sur le territoire, dont le coût, évalué à 130 millions, est pris en charge par la France, ce qui en augmente le montant de 18 %5. L’indemnité est financièrement garantie par l’inscription d’une rente sur le Grand Livre de la dette publique de France et des commissaires alliés résidant à Paris doivent en assurer le recouvrement. Il est intéressant de noter les buts de l’indemnité : une petite partie, 137,5 millions de francs, devait être consacrée à des travaux de fortification dans les pays limitrophes de la France, dont les Pays-Bas, l’Espagne et surtout la Prusse, qui franchit la rive gauche du Rhin à cette occasion et reçoit la forteresse de Saarlouis, le reste revenant aux pays en fonction de la participation de chaque État à la victoire commune6. L’analyse de l’indemnité de 1815 reflète la logique de l’appauvrissement du vaincu en réduisant son territoire, en limitant ses capacités économiques et financières ainsi que ses avantages stratégiques. L’idée de faute dans cette pratique indemnitaire, si elle n’en constitue pas le fondement juridique, apparaît malgré tout très présente par le montant considérable qui est réclamé. En effet, selon Eugen White, l’indemnité de 1815 représente la somme la plus importante payée par un pays vaincu par rapport à son produit national7. Cette situation pousse d’ailleurs François Crouzet à affirmer que c’est la paix de 1815 qui est carthaginoise, et non pas celle de 19198.
5À l’issue de la guerre franco-prussienne, l’indemnité imposée en 1871 à la France par le Traité de Francfort, exposée ci-après dans ses conséquences intérieures, est caractéristique de la pratique internationale du xixe siècle en matière d’indemnités de guerre. Elle recouvre cependant bien plus que les sommes engagées par la Prusse, contrairement à ce qui a été avancé par elle dans la convention du château de Ferrières du 11 mars 1871. On peut lire dans son montant extraordinaire une sanction particulièrement sévère imposée à la France pour avoir, selon l’interprétation allemande, provoqué le conflit. Cependant, aucune indemnité ne pouvait être réclamée en se fondant sur le caractère illicite du recours à la guerre. Il n’existe à l’époque aucune règle générale prohibant l’emploi de la force, sauf dans le cas de neutralité violée, à l’image de la situation vécue par la Belgique lors du premier conflit mondial. L’indignation morale face à cette nouvelle guerre, le développement du droit des gens précipitent dès lors le passage aux réparations telles qu’elles sont conçues dans le Traité de Versailles.
6En 1919, l’affirmation par l’article 231 de la « responsabilité » de l’Allemagne pour son « agression » jette les bases d’une construction juridique complexe. Elle se place dans la continuité des courants de pensée des conférences de La Haye de 1899 et 1907, mobilisant les concepts de la guerre juste et injuste élaborés par les penseurs chrétiens du Moyen Âge et auparavant par les philosophes de l’Antiquité9. Elle se situe également dans la volonté affichée du président démocrate américain, Woodrow Wilson, de rompre avec les pratiques du xixe siècle en matière de politique internationale. De ce double mouvement émerge l’idée de ne plus exiger d’indemnité au vaincu. En revanche, apparaît la notion de restauration qui figure dans l’un des quatorze points du président Wilson. Restaurer, c’est remettre en état, duquel découlent alors les réparations, à payer par le vaincu au titre des dégâts commis par ses armées, dans la mesure où, de surcroît, la quasi-totalité des combats se sont déroulés sur le territoire des vainqueurs.
7Une fois admis le principe, il reste à en effectuer le calcul. Le périmètre retenu est, d’abord, celui des dommages causés aux biens, puis à la demande expresse des Britanniques, s’y ajoutent ceux occasionnés aux personnes. L’appauvrissement du vaincu ne se présente plus comme l’arbitraire du vainqueur, ni comme une fin, mais comme le prix à payer des destructions commises par ses armées, dont les vainqueurs estiment qu’elles sont responsables du conflit. La perception globalement négative de l’expérience des réparations de la Grande Guerre, dès le début des années 1920, et le contexte politique international expliquent les prétentions mesurées des Alliés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, alors même que le pacte Briand-Kellogg, condamnant le recours à la guerre pour régler les différends, signé à Paris le 27 août 1928, permettait juridiquement de réclamer des réparations. La guerre froide modifie et influence sensiblement la manière dont est abordée la question des réparations dans la seconde moitié du xxe siècle. À titre d’exemple, les conséquences de la nationalisation du canal de Suez en 1956 et l’intervention militaire qui s’en suit, sont présentées au Conseil de sécurité des Nations unies. Une fois les principes présidant à la souveraineté du canal rapprochés (déclaration égyptienne du 24 avril 1957, acceptée comme solution provisoire), l’organisation internationale joue un rôle de bons offices entre les parties sur les aspects économiques et financiers. Ils débouchent sur l’accord final d’indemnisation, signé à Genève le 13 juillet 1958, faisant intervenir la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. L’accord de droit privé est déposé auprès du secrétaire général des Nations unies qui en donne communication à tous les États membres de l’organisation10.
8La guerre froide terminée, le Conseil de sécurité de l’Onu, au titre de ses pouvoirs en matière de maintien de la paix et du rétablissement de la paix internationale, se saisit encore plus directement de la question des réparations pouvant être demandées à l’issue d’un conflit. La Commission d’indemnisation des Nations unies, organe subsidiaire du Conseil de sécurité créé en 1991, a mis en œuvre un fonds spécial alimenté à l’époque par les revenus pétroliers de l’Irak pour l’exécution des décisions prises à l’issue de l’invasion du Koweït en 1990. Le recours au système onusien n’est cependant pas une obligation. Il pose sans étonnement de nouvelles difficultés juridiques, politiques et économiques.
9Ces rapides rappels du passage du tribut et de l’indemnité de guerre aux réparations laissent dans l’ombre des questions de fond et des questions techniques essentielles. De quelles manières indemnités, réparations et dommages pèsent-ils sur le budget de l’État ? Qui sont les payeurs en dernier ressort des réparations internationales par les moyens de la taxation des populations et de leurs activités ? Dans le cas où indemnités et réparations sont effectivement versées, à qui bénéficient-elles ? Quelles sont les critères de distribution ? Ce changement de focale de l’international au national pose ainsi la question de la responsabilité de l’État, et donc des finances publiques, à l’égard de ses nationaux dans les situations de guerre.
10Dans le temps long, le principe d’irresponsabilité de l’État domine pour les dommages aux civils et les destructions. La souveraineté des États excuse l’État, la nécessité l’exonère de toute faute dans les guerres et violences. Dans le cas de la France, le droit à réparation intégrale des dommages de guerre est une première fois reconnu pendant la Révolution. Il se fonde sur l’unité, l’indivisibilité de la nation et la fraternité. Les décrets du 11 août 1792 et ceux des 27 février et 14 août 1793 en posent les principes et les modalités, mais les circonstances des temps en amoindrissent grandement la portée. Les lois adoptées entre 1871 et 1874, dans le sillage de la guerre franco-prussienne, par la jeune Troisième République, s’appuient sur les précédents de la Révolution. Comme eux, elles sont ponctuelles, hétérogènes, sans contrôle de la part des juridictions. La loi du 6 septembre 1871 voit en effet son périmètre atténué, au nom des intérêts de l’État, qui lui aussi a beaucoup souffert et mérite des « ménagements », pour reprendre les mots d’Adolphe Thiers11.
11Au tournant du xxe siècle, les conséquences et situations de guerre dans plusieurs nations incitent à mettre en œuvre les réflexions de juristes, tel Grotius, sur une responsabilité juridique de l’État, indépendante de la faute. Par un cheminement sans aucun doute complexe, le principe de responsabilité de l’État s’impose dans plusieurs pays, dont la France, au moment de la Première Guerre mondiale12. Il ouvre la voie à un processus désormais continu d’indemnisation par l’État de tous les types de violences et de situations de crise. Ces logiques de judiciarisation des réparations d’une part, de reconnaissance d’un droit individuel à réparation et de l’indemnisation qui s’en suit, avec leurs conséquences sur les finances publiques, d’autre part, trouvent leur expression à l’occasion des deux conflits mondiaux.
II. La guerre franco-prussienne : le dernier moment traditionnel ?
12Sans entrer dans les questions liées aux origines, à la responsabilité, au déroulement et aux conséquences politiques et stratégiques du conflit, on retiendra que la guerre franco-prussienne, qui ne dure que six mois, génère un coût estimé – et variable selon les auteurs – de l’ordre de 9 à 14 milliards de francs courants13, y compris l’indemnité de guerre réclamée par le vainqueur. En effet, l’Allemagne victorieuse impose à la France vaincue, outre l’abandon de l’Alsace-Moselle, une indemnité de guerre s’élevant à 5 milliards de francs. Le règlement de l’indemnité doit s’effectuer selon un échéancier dont le terme est prévu en mars 187414. Il s’accompagne d’un intérêt de 5 % sur les sommes restant dues et s’y ajoutent les frais d’entretien des troupes d’occupation qui stationnent sur le territoire national jusqu’à la libération de la dernière échéance. Au fond, il s’agit de conditions financières classiques au xixe siècle, identiques sur la forme à celles imposées à la France au lendemain de la défaite de Waterloo. Mais, en 1871, c’est au total une somme de 5,78 milliards de francs que la France doit acquitter, soit entre 40 % et 60 % de l’ensemble du coût estimé du conflit. Il s’agit d’une somme considérable, correspondant à plus du quart de la richesse produite annuellement (estimée à un peu moins de 20 milliards en 1870) ou encore à deux années du budget de l’État. Comme l’écrivent à juste titre Jean-Pierre Azéma et Michel Winock, 5 milliards de francs « représentaient bien plus que ce que la guerre avait coûté aux Allemands, ce n’était pas une indemnité, mais un tribut15 ». Tribut payé en francs-or, sous forme métallique, qui permet – c’est la première conséquence – à l’Allemagne d’adopter l’étalon-or dès 1872 : « sans l’or puisé en France, jamais [elle] n’aurait pu décréter la démonétisation de l’argent16 », nous confirme l’économiste Henri Cernushi, aboutissant, dès les conventions de 1873 et 1874, à l’abandon de fait du bimétallisme promu par l’Union latine en 1865, sous l’égide de le France17.
13À ce montant versé à l’Allemagne s’ajoute le coût de la prise en charge par l’État des frais ou dommages subis par la population. La liquidation de la majorité des dépenses dues à la guerre est confiée au ministère de l’Intérieur. La première loi du 6 septembre 1871 dégage en urgence une enveloppe de 100 millions de francs, destinée à faire supporter à la Nation les contributions de guerre, réquisitions, dommages matériels de toute nature, causés par l’invasion de trente-quatre départements. Elle prévoit le dédommagement de ceux ayant subi des contributions de guerre, soit en argent, soit en nature, des amendes et des dommages matériels. L’instruction est assurée par une commission cantonale dont les résultats sont soumis à une commission départementale composée du préfet, de quatre conseillers généraux et de quatre fonctionnaires. Elle est chargée de fixer le chiffre des pertes justifiées, souvent difficiles à établir pour les particuliers. Les crédits accordés se répartissent entre les départements et les indemnités sont versées par les conseils généraux entre les victimes les plus nécessiteuses de la guerre et les communes les plus obérées18. Une seconde loi du 7 avril 1873, votée lorsque l’étendue des pertes est enfin dûment constatée, fixe la somme que le Trésor consacre à la liquidation des dédommagements à l’égard des départements et de la Ville de Paris. Le ministère des Finances émet des bons de liquidation, remboursables en vingt-six années par voie de tirage au pair (500 francs) et portant intérêt annuel de 5 %19. Les dommages directs causés par l’invasion allemande ont été évalués à 858 millions de francs20, les départements les plus touchés étant la Seine (270 millions) et la Seine-et-Oise (146 millions). L’État n’a réellement couvert qu’un peu moins de la moitié des dommages estimés, soit 414 millions de francs21. Pour leur part, les départements d’Alsace-Lorraine conquis ont bénéficié de la loi d’Empire du 14 juin 1871. Cette loi, destinée à organiser le dédommagement des pertes mobilières et immobilières causées par les destructions et réquisitions non couvertes par les assurances, a été financée par la France puisque comprise dans les 5 milliards22.
14Pour ce qui concerne les finances publiques23, plusieurs conséquences apparaissent clairement identifiées. D’abord, une augmentation importante de la dette publique, qui passe de 12 à 20 milliards entre 1870 et 1880. En effet, aux emprunts lancés pour financer la défense nationale24 s’ajoutent surtout ceux émis pour régler l’indemnité de guerre, payée grâce à deux emprunts : le premier émis en juin 1871 et le second en juillet 1872. Les deux, souscrits au-delà des espérances, permettent la libération des derniers territoires occupés dès septembre 1873, soit six mois avant l’échéance. Le pourcentage de 100 % fréquemment donné pour exprimer alors le rapport dette publique/PIB ne présente guère de sens, dans la mesure où le PIB est alors inconnu, qu’il s’agit d’une reconstitution basée sur une évaluation sommaire, et que ce ratio apparaît comme un critère actuel déconnecté du contexte d’alors. Tous ces éléments, même s’ils sont utiles pour présenter un ordre de grandeur, tendent à occulter trois phénomènes essentiels. D’abord, ce qui est déterminant n’est pas la dette en elle-même, mais la charge qu’elle représente dans le budget de l’État, c’est-à-dire les annuités ou intérêts payés. Ensuite, le mouvement d’endettement qui s’opère entre 1870 et 1914, s’il augmente bien jusqu’en 1892 pour atteindre 26 milliards, conséquence également du plan Freycinet d’investissements publics des infrastructures (chemins de fer notamment), diminue sensiblement et surtout se stabilise jusqu’en 1914 (avec un stock de dettes de l’ordre de 25 milliards de francs). Enfin, la rapidité avec laquelle la France mobilise les 5 milliards tend bel et bien à souligner l’importance des richesses disponibles dans le pays. On le voit, le niveau de la dette reste élevé certes, supérieur à ce qu’il était au lendemain de la défaite de 1871, mais comme la richesse produite s’est accrue, en valeur absolue, entre 1880 et 1914, la part qu’il représente tend à diminuer.
15En revanche, la charge de la dette dans le budget de l’État s’accroît fortement et reste à un niveau élevé. Les intérêts payés sur la dette deviennent l’un des postes les plus importants dans le budget de la Nation. Alors qu’en 1869, les charges de la dette publique représentaient moins d’un quart du budget (383 millions), en 1874, elles s’élèvent à plus de 30 % (889 millions), obérant les capacités d’action de l’État, à un moment où l’amputation de l’Alsace-Moselle réduit d’à peu près 20 % le revenu national. De son côté, Louis Fontvieille a calculé l’évolution suivante de la charge de la dette par rapport aux dépenses publiques : 1865-1869 : 21 %, 1870-1874 : 27 %, 1875-1879 : 50 %, 1880‑1884 : 44 %.
16Le budget de l’État se trouve ainsi fortement soumis à la charge annuelle des intérêts, notamment au cours de la période 1875-1879, représentant la moitié des dépenses publiques. À une époque où « l’État condui[t] son budget comme un bourgeois prudent [dans lequel] […] l’équilibre budgétaire annuel devient une mystique25 », deux possibilités s’offrent aux décideurs publics : soit diminuer les dépenses, soit augmenter les recettes. La première solution apparaît quasiment impossible, en raison de la structure des dépenses fonctionnelles, de leur faiblesse et de leur quasi-incompressibilité. En effet, l’activité normale de l’État (Administration, Police, Justice…) fonctionne, sur la période 1870-1875, avec un budget cumulé annuel de moins de 800 millions de francs, soit à peu près un tiers du budget global, le reste étant affecté à la charge de la dette et à la défense nationale26.
17Reste donc à trouver des recettes supplémentaires qui permettent, tant que faire se peut, d’équilibrer le budget, c’est-à-dire pour simplifier, augmenter les impôts. Globalement, tous impôts confondus, qui composent sur la période 1870-1875 plus de 90 % des recettes de l’État, croissent de manière significative. Ils augmentent de 67 % entre 1870 et 1875, passant d’1,3 à 2,3 milliards, pour ensuite se stabiliser quelque peu à cet étiage. Ce sont donc bel et bien les Français qui, par l’impôt, ont financé l’indemnité de guerre. La question qui se pose alors est de savoir qui paie l’impôt, c’est-à-dire, quels groupes sociaux sont sollicités, manière indispensable de relier l’économique, le financier, le social et le politique. Le choix s’établit alors entre une modernisation de l’appareil fiscal et la création de nouveaux impôts ou, plus simplement, d’augmenter ceux déjà existants. Il faut se rappeler, en effet, que la fiscalité en vigueur est celle qui a été mise en place sous la Révolution, puis amendée et confirmée sous l’Empire. C’est au fond une fiscalité qui exprime mieux la structure économique et sociale du xviiie siècle finissant que le dynamisme et l’évolution des structures économiques et financières du xixe siècle : absence d’impôt sur le revenu et les « quatre vieilles » contributions des impôts directs toujours en vigueur (la patente, la contribution foncière, la taxe mobilière et l’impôt sur les portes et fenêtres).
18Plusieurs propositions sont rapidement émises. Elles émanent, depuis l’Assemblée nationale, de députés reconnus comme des spécialistes des questions économiques, Louis Wolowski, l’un des fondateurs de ce qui va devenir le Crédit foncier de France, ou Eugène Flotard, le fondateur de L’Économiste français. Tous deux considèrent la nécessité d’établir des impôts nouveaux pour faire face aux charges imposées par la guerre. Deux propositions, sont formulées : un impôt de 2 % sur la fabrication et vente de toutes marchandises, à l’exception des produits alimentaires, ou un impôt de 1 ‰ sur le chiffre des affaires industrielles et commerciales en remplacement des taxes sur les matières premières. Mais chacune de ces propositions se heurte à l’hostilité des milieux industriels, qui y voient une atteinte portée à leur prospérité, voire à leur existence. Les esprits ne sont pas encore mûrs pour une modernisation et une généralisation de l’impôt sur les revenus des entreprises. Les décisions prises par l’exécutif relèvent au fond d’un compromis a minima. On ne bouleverse pas la structure fiscale. On se contente d’augmenter les impôts directs (forte augmentation de la patente et des droits de douane) et surtout indirects (tabacs, alcools, café, sucre…), d’en créer de nouveaux (taxe sur la chicorée, les papiers, les allumettes, le savon27…), mais aussi d’introduire un nouvel impôt, moderne dans sa conception, car prélevé à la source : l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM). Cet impôt taxe à 3 % les dividendes versés aux porteurs d’actions et d’obligations, hormis la rente française. Il vise, au fond, à établir une forme d’équilibre entre les profits accumulés par les institutions financières au lendemain du conflit, qui ont gagné beaucoup d’argent sur le placement des emprunts d’État. On sait en effet que les emprunts de 1871 et 1872, rapidement levés, ont été très profitables aux banques qui les ont portés : Rothschild pour le premier et un syndicat d’une trentaine de banques (dont quinze allemandes) pour le second. Jean Bouvier a ainsi calculé, pour le Crédit lyonnais, que sur les 30,8 millions de profits générés au cours de la période 1871-1874, 80 % proviennent des opérations liées aux emprunts. Les gains apparaissent à l’identique pour les grands établissements financiers, à l’instar de la Banque de France, dont les dividendes versés entre 1871 et 1874 sont plus du double de la moyenne de la période 1860-1870. L’IRVM, introduit en juin 1872, représente la seule véritable innovation fiscale de l’époque. Elle semble avoir été acquise grâce au poids politique des parlementaires « agrariens qui se sont chargés de demander certains sacrifices à la fortune mobilière urbaine. Les rentiers du sol ont voulu que le profit, qui était à la fête, fût à son tour [légèrement] à la peine28 ». Mais cette innovation ne saurait occulter le fait que globalement ce sont bien les impôts indirects qui ont alimenté en grande partie les caisses de l’État. La part qu’ils représentent dans l’ensemble des impôts perçus ne fait que croître entre 1850 et 1880, passant de 46 % à plus de 53 % entre ces deux dates. Ces impôts indirects, c’est-à-dire les taxes sur la consommation, qui représentent près de 90 % de l’augmentation de la pression fiscale, pèsent davantage, on le sait, sur les classes populaires. C’est un choix de société, comme l’écrit Gabriel Ardant : « le système qui demandait beaucoup à la taxation d’un certain nombre de produits de large consommation est une des expressions les plus directes d’un certain type de société29. »
19Au total, l’indemnité de guerre et ses modalités d’application reflètent bel et bien les conceptions politiques, économiques et sociales du xixe siècle. Ses effets sur les finances publiques apparaissent comme la résultante de la pensée classique de l’économie politique : recours à la dette, pression fiscale accentuée en favorisant l’augmentation du poids des impôts indirects. C’est le temps de « l’immobilisme ». Seule concession à la modernité et à l’innovation, l’IRVM, qui, avec le recul, peut apparaître comme la première étape vers la prise en compte de la nécessité d’une modernisation fiscale.
III. La Première Guerre mondiale, une nouvelle approche : les réparations exigées de l’ennemi et le droit à réparation individuelle
20Les évolutions précédemment observées en matière de faute et de responsabilité trouvent leur aboutissement au moment de la Première Guerre mondiale : disparition de l’arbitraire de l’indemnité, mais réparations intégrales exigées du vaincu, d’une part, et droit à un dédommagement individuel, d’autre part. À la différence des conventions d’armistice signées jusqu’à cette date, celle du 11 novembre 1918 innove en contenant des clauses de réparation décidées lors du Conseil supérieur allié du 2 novembre 1918. On rappelle ici les principaux faits et analyses permettant d’en comprendre les enjeux sur les finances publiques du pays. Comme on le sait, la question des réparations a fait l’objet d’âpres débats entre Alliés et leur associé états-unien dès l’ouverture de la Conférence de la paix, le 12 janvier 1919. Le Conseil suprême désigne une première commission des Réparations, laquelle se réunit dès le 3 février. Trois sous-commissions sont chargées respectivement : de l’évaluation des dommages, des capacités et moyens de paiement, des mesures de contrôle et de garantie. On imagine aisément les difficultés d’établir un consensus sur les éléments de la créance, à la fois sur ce que l’on appelle les frais de guerre et sur les dommages de guerre aux personnes et aux biens. Pour autant qu’une telle évaluation soit possible, la guerre aurait coûté aux Alliés plus de 1 000 milliards de francs de 192030. L’accord du 1er avril 1919 conduit au compromis suivant : indemnisation totale (frais de guerre et dommages) pour la Belgique uniquement, pour les autres puissances, réparation des dommages causés aux biens des populations civiles, puis à la demande expresse des Britanniques (approuvée par Wilson), qui se seraient trouvés peu concernés par les réparations, on y ajoute le remboursement des pensions et des allocations militaires, ce qui double le montant initial31. Pour des raisons politiques, notamment à l’égard de leurs opinions publiques respectives, la France et le Royaume-Uni ont exigé que le principe de la réparation intégrale soit inscrit dans le traité de paix, d’où l’article 231 inscrivant « la responsabilité, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages… », suivi de l’article 232 mentionnant que les « Alliés et associés reconnaissent que les ressources de l’Allemagne ne sont pas suffisantes […] pour assurer complètement réparation de toutes ces pertes et de tous ces dommages ».
21La rédaction de l’article 231 a donné aux clauses financières du traité un caractère pénal, interprété par l’Allemagne comme une proclamation de sa culpabilité. Elle a déclenché pour les décennies à suivre une campagne virulente et incessante du Reich pour revenir sur une telle présentation des faits, même si les Alliés, unanimes, sont absolument convaincus de la responsabilité allemande dans le déclenchement du conflit. Son issue positive aurait permis de faire tomber les réparations et d’ébranler un traité, privé dans cette hypothèse de tout fondement. L’interprétation de l’article 231 a fait couler beaucoup d’encre. Quelle est la volonté de ses rédacteurs : entière culpabilité allemande, ou quasi-délit sans affirmation de la responsabilité criminelle, mais en reconnaissant une responsabilité civile32 ? Malgré tout, Pierre Renouvin a bien montré que cet article vise non pas un objectif moral, mais apparaît juridiquement indispensable pour engager le principe des réparations.
22La France s’est refusée au cours de la conférence à inscrire dans le Traité une somme forfaitaire proposée par les Britanniques33 et les Américains, a fortiori par l’Allemagne. La détermination de la créance et les modalités de paiement sont renvoyées aux travaux d’une commission d’experts, laquelle remet son rapport le 5 mai 1921. L’intégralité de la dette doit être payée par l’Allemagne sur une période de trente ans, période pendant laquelle une nouvelle commission des Réparations dispose en théorie de pouvoirs importants – jugés exorbitants par l’Allemagne – mais en réalité sans moyens de les faire respecter. Au titre de l’article 233 du Traité de Versailles, l’état des paiements, finalement présenté le 5 mai 1921, fixe la dette allemande à 132 milliards de marks-or pour les dommages, augmentés de 5,5 milliards pour la dette de guerre belge. Sur la somme de 137,5 milliards de marks-or, 11 milliards sont d’ores et déjà défalqués au titre de diverses prestations payées, la somme de 126 milliards de marks-or restante est payable en quarante-huit annuités, de 1921 à 1964. L’application du système des réparations de Versailles apparaît fort complexe et donne lieu à une multitude de conférences internationales. Le refus allemand d’honorer ses engagements et l’intransigeance française à les obtenir sont à la source de graves tensions, à l’instar de l’occupation de la Ruhr en 1923, aboutissant à l’intervention des financiers internationaux, américains en particulier, avec les plans Dawes (1924) et Young (1929). L’exécution, ou plutôt la très difficile exécution du Traité de Versailles concernant les réparations, pèse lourdement sur les finances publiques de la France. La crise financière et économique de 1929 conduit à la liquidation des réparations avec le moratoire Hoover de 1931. La conférence de Lausanne de 1932 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier 1933 signent la fin des réparations. Au total, la France a reçu, selon les données de la Banque des règlements internationaux et de la commission des Réparations, un montant de 8,929 milliards de marks-or, soit 40,9 % des paiements globaux (21,8 milliards de marks‑or)34 :
2,8 milliards pour la période antérieure au 31 août 1924,
4 milliards pour la période du plan Dawes (septembre 1924‑31 août 1929),
2 milliards pour la période du plan Young (septembre 1929‑30 juin 1931).
23Selon les calculs de Weill-Raynal, et en les comparant aux dépenses engagées par la France pour la reconstruction, l’Allemagne aurait assuré des paiements représentant environ 30 % des dépenses de reconstruction, laissant donc au pays les deux tiers restants. Or, « l’Allemagne paiera », la fameuse phrase du ministre des Finances, Lucien-Louis Klotz, prononcée le 3 décembre 1918 à la Chambre des députés, donnait à penser que les versements allemands seraient la couverture logique de dépenses votées par le Parlement, à l’instar de l’indemnisation des dommages de guerre (loi du 17 avril 1919) et des pensions civiles et militaires (lois du 31 mars 1919 et du 24 juin 1919), sans compter le fait que les réparations devaient assurer le paiement partiel des dettes interalliées, contribuant ainsi à limiter le déficit budgétaire et à assurer la tenue du franc.
24À l’issue du conflit, les finances publiques sont dans le plus grand désordre et les outils pour les approcher bien insuffisants. À titre d’exemple, on rappelle que le compte général de l’administration des Finances pour l’année 1916 ne paraît que dix ans plus tard. Crises budgétaire et monétaire aiguës se combinent jusqu’au milieu des années 1920. Les Gouvernements du Bloc national (1919-1924), puis du Cartel des gauches (1924-1926) sont contraints d’innover et d’imposer de nouveaux impôts. On les cite pour mémoire : l’impôt sur le revenu (IRPP), voté en 1914, est mis en œuvre à partir de 1919, l’impôt extraordinaire sur les bénéfices de guerre est décidé le 1er juillet 1916, les impôts cédulaires sont votés par la loi fiscale de juillet 1917, les taux des impôts existants sont relevés, la loi de finances de 1924 autorise la perception du double décime. Les impôts paient la guerre et se substituent en quelque sorte aux réparations, qui ne rentrent guère avant 1924. Les calculs complexes exposés par les services des Finances en 1924 établissent un pourcentage de l’impôt par rapport au revenu qui serait passé de 4,48 % en 1913 à 24,10 % en 1924, en charge fiscale totale, y compris celle des départements, des communes et les impôts extraordinaires sur les bénéfices de guerre35. Le Cartel des gauches échoue à mettre en œuvre un impôt sur le capital et la contribution volontaire de 1926 n’a qu’un bien faible rendement, à la différence de la nouvelle Caisse d’amortissement, mise en œuvre à compter du 7 août 1926 par Raymond Poincaré. Elle recueille en particulier les droits d’exploitation des tabacs et allumettes. Impossible ici de rappeler la riche et tumultueuse histoire de l’impôt et de son consentement et celle de la dette publique. Dans les années d’après-guerre, l’État est accusé d’être dépensier et d’être « mendiant », alors même qu’il est demandé aux finances publiques de respecter les engagements considérables pris par la Nation à l’égard des victimes de la guerre.
25En effet, le droit individuel à réparation des dommages causés par la guerre est proclamé lors de la séance de la Chambre des députés du 22 décembre 1914, avalisé par la loi de finances du 26 décembre 1914. Le décret du 20 juillet 1915 prévoit la création de commissions cantonale et départementale de constatation et d’évaluation des dommages de guerre et d’une commission supérieure dont les décisions sont définitives. Un service spécial pour la reconstitution des régions envahies est créé au ministère de l’Intérieur et un arrêté du 24 février 1917 élargit les attributions de ce service aux questions relatives au paiement des acomptes sur indemnités de dommages de guerre, au contrôle de leur emploi et aux divers modes de libération de l’État en matière de règlement des dommages de guerre. L’ensemble des projets et textes aboutit à la loi du 17 avril 1919 sur la « réparation de dommages causés par faits de guerre », dite Charte des sinistrés.
26Son étendue est extrême : les réquisitions opérées par l’ennemi, les dommages aux biens meubles, les dommages aux biens immobiliers, les dommages dans les zones frontières, le voisinage des places de guerre et points fortifiés, les dommages aux bateaux armés à la petite pêche. Les Français ayant droit à l’indemnisation sont les particuliers et leurs héritiers, les associations, les établissements publics, les communes, les départements. Un comité technique est installé par département, complété de commissions cantonales et des tribunaux de dommages de guerre au chef-lieu de l’arrondissement. L’appel est possible devant le Conseil d’État, puis devant une Commission supérieure des dommages de guerre, à compter de mai 1921. La Charte des sinistrés connaît plusieurs évolutions législatives jusqu’en 1925. La complexité des procédures et de leur administration est l’affaire du ministère des Régions libérées jusqu’en avril 1925. La liquidation est assurée pendant encore vingt années, de 1926 à 1946, au sein d’un service des Régions libérées, rattaché tout d’abord au ministère des Travaux publics jusqu’en décembre 1933, puis à un service d’Apurement et de Liquidation des dommages de guerre installé au ministère des Finances de décembre 1933 au 1er janvier 1946. Les archives des dommages de guerre, tout à la fois lacunaires et considérables, ont été déposées par les différents acteurs publics et parfois privés36.
27Après trente années, le bilan entre ce que les finances publiques comptabilisent, d’une part, au titre des rentrées des impôts sous toutes leurs formes, et ce qu’elles déboursent, d’autre part, au titre des réparations des dommages de guerre des personnes et des biens, et des pensions civiles et militaires, est d’une extraordinaire difficulté à établir. Les études à l’échelle de localités, de groupes et d’entrepreneurs existent, permettant de saisir quelles sont les victimes et quels sont dans la durée les acteurs qui améliorent leur situation en jouant au mieux des dispositions votées37.
IV. La Seconde Guerre mondiale : une inversion partielle, le vainqueur finance
28Le règlement des dommages de la Première Guerre mondiale n’est pas totalement achevé que débute la Seconde Guerre mondiale. La question des réparations n’est pas abandonnée en 1945, ni celle de la culpabilité de l’Allemagne, mais celle-ci est abordée sous un angle différent. Aux réparations en espèces, reposant sur le budget de l’État allemand, se substituent des réparations en nature associées à une répartition géographique et par pays. Les règles qui gouvernent les réparations de la Seconde Guerre mondiale sont discutées et définies au cours de plusieurs conférences entre septembre 1944 et décembre 1945. À Québec (septembre 1944), Yalta (février 1945), Moscou (juin-juillet 1945) sont fixés les principes relatifs à l’assiette des réparations. À Potsdam (juillet-août 1945) et Paris (novembre-décembre 1945), les discussions portent sur la répartition des créances alliées. Sans compter l’Extrême-Orient, les pertes humaines des Alliés sont d’environ 25,5 millions d’hommes, dont 17 millions pour l’URSS. Les dommages et dépenses de guerre atteignent les chiffres de 1 000 milliards de dollars 1948, supportés à 85 % par l’URSS, les États-Unis et le Royaume-Uni38. Les données relatives à la France ont été rassemblées par la Commission du coût de l’Occupation, créée par arrêté ministériel du 21 octobre 1945, mais initiée pendant le conflit au sein du Service national des statistiques. Entre 1939 et 1945, les pertes humaines atteignent 600 000 hommes, dont 400 000 militaires. Les disparus et morts en déportation s’élèvent à 130 000. Les dommages matériels atteignent 5 000 milliards de francs 1945. 48,8 % de cette somme sont à imputer aux spoliations, 2 % aux frais d’occupation. Les dommages en capital ont diminué la fortune nationale de 42,5 %. Répartis sur l’ensemble de la population, les dommages matériels donnent 75 300 francs 1945 par habitant. En 1945, on compte deux fois plus de bâtiments partiellement ou totalement détruits qu’en 1919. Les deux tiers de la flotte de commerce de 1939 sont détruits39.
29Les discussions de Québec entre Américains et Britanniques faisaient la part belle aux prélèvements en nature, selon les préférences exprimées par Henry Morgenthau. Bien que le plan qui porte le nom du secrétaire au Trésor soit abandonné, il propose une assiette acceptée par les Soviétiques à Yalta. Aux termes du protocole approuvé par les trois Grands, il est proclamé leurs droits à réparation pour les pertes subies par les Alliés « du fait de l’Allemagne », la formule prudente mérite d’être soulignée. Les nouvelles réparations sont donc en nature. Des considérations économiques et monétaires sur la situation de l’Allemagne rendent en effet d’autres modalités peu exécutoires. Ce choix s’explique également par l’intention de détruire le potentiel industriel de guerre de l’Allemagne. Les formes des réparations en nature décidées à Yalta prévoient des réparations en capital, en revenu et de service. Les réparations en capital se rattachent à la démilitarisation industrielle et peuvent être exécutées soit directement par le transfert d’équipement, de machines, soit indirectement par celui de propriété d’actions industrielles. Les réparations en revenus correspondent à des livraisons annuelles de marchandises courantes, les prestations de service à la fourniture de main-d’œuvre allemande.
30Les contradictions inhérentes à la forme de ces prélèvements et les oppositions entre les trois Grands deviennent rapidement évidentes. Une commission des Réparations restreinte à trois membres travaille à Moscou de juin à juillet 1945 pour définir précisément l’assiette des réparations. Elle est présentée à la conférence de Potsdam à l’été 1945.
31À cette date, le territoire allemand est totalement occupé et divisé en quatre zones d’occupation. Dans leur zone, les Soviétiques montrent une diligence agressive à prélever, aussi la solution d’un système de répartitions à base géographique est-elle proposée par les représentants américains et acceptée par Moscou. Potsdam entérine deux groupes d’États créanciers : le groupe oriental (URSS, Pologne) et le groupe occidental (autres créanciers, dont la France). À côté de cette répartition géographique, les autres réparations s’appuient sur l’or, la marine et les biens allemands situés à l’étranger. Les impasses se multiplient entre les anciens Alliés. À l’été, la France est invitée à participer aux travaux de la commission des Réparations, Jacques Rueff en est un des deux représentants. Il joue un rôle majeur dans le règlement concernant la zone occidentale. La conférence de Paris se réunit le 7 novembre 1945, à l’invitation conjointe de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis, dix-huit États participent aux travaux. L’accord final de Paris du 14 janvier 1946 dresse les quotes-parts respectives des dix-huit pays. Délicate opération, s’il en est. Jacques Rueff aurait ainsi déclaré que « dans l’impossibilité d’arriver à un règlement parfaitement équitable », le comité restreint établit un barème basé sur le principe « du mécontentement équivalent »40. Les quotes-parts sont divisées en deux catégories :
la catégorie A : avoirs allemands à l’étranger, approvisionnements capturés, contre-prestations soviétiques, droits de propriété industriel ou artistique ;
la catégorie B : vise l’outillage industriel et autres biens d’équipement en capital enlevés à l’Allemagne ainsi que les navires marchands et les bateaux de navigation intérieure.
32Compte tenu de leurs caractéristiques économiques, les pays de l’Europe continentale se voient attribuer des pourcentages plus élevés dans la catégorie B que dans la catégorie A, et une répartition inverse est observée pour les pays hors d’Europe (Canada, Australie, Afrique du Sud par exemple.). La France obtient 16 % en A et 22,80 % en B. L’accord de Paris réserve aussi une part du produit des réparations aux victimes non rapatriables de l’action allemande. Les intérêts de ces particuliers sont pris en charge par le Comité intergouvernemental des réfugiés disposant pour ce faire de l’or non monétaire trouvé en Allemagne par les forces alliées, d’une somme de 25 millions de dollars prélevés sur le produit de la liquidation des avoirs allemands en pays neutres, des avoirs situés en pays neutres appartenant à des victimes d’actes des nazis et qui sont mortes sans laisser d’héritier. L’Agence interalliée des réparations est basée à Bruxelles. À partir de 1946, la période d’exécution des réparations débute sous la présidence énergique de Jacques Rueff41.
33À quelques années de distance, interrogé par le député Charles Serre, le ministre des Affaires étrangères donne connaissance du bilan suivant. Au 31 octobre 1949, la France avait reçu pour 2,4 milliards de francs de 1938 de réparations, se décomposant de la manière suivante :
équipement industriel effectivement démonté et transféré en France (104 402 tonnes) pour une valeur de 851 897 300 francs 1938,
équipement attribué à la France, mais se trouvant encore en Allemagne (87 437 tonnes), pour 241 754 455 francs 1938,
marine marchande allemande (60 162 tonnes42) 241 749 682 francs 1938,
autres biens et valeurs (avoirs allemands à l’étranger), approvisionnements capturés, contre-prestations soviétiques, Sarre, accords avec la Suède, l’Espagne et Tanger : 1 119 383 100 francs 1938.
34Ces 2,4 milliards de francs 1938 sont à mettre en regard de la créance française s’élevant à 1 440 milliards de francs 1938. La couverture est donc de 0,16 %, que l’on peut juger insignifiante. En ce qui concerne les restitutions, celles réalisées au 31 octobre 1949 donnent un total de 9 270 milliards de francs 1938, dont près de 8 milliards de matériel appartenant à la SNCF43.
35À la date de la liquidation de l’Agence interalliée en 1961, les données sont peu différentes, la majorité des restitutions et versements ayant eu lieu entre 1945 et 1951. Le tableau récapitulatif des réparations distribuées donne à lire un total de 520 376 787 dollars de 1938 : 334 089 506 au titre de la catégorie A, et 186 287 281 au titre de la catégorie B. La France est le troisième bénéficiaire, avec presque 87 millions de dollars 1938 (106 pour le Royaume-Uni, et un peu plus de 90 pour les États‑Unis44).
36C’est donc au budget de l’État et aux finances publiques d’assumer l’immensité des dommages et réparations à l’intérieur du pays, d’autant plus que l’État s’est engagé à réparer intégralement les dégâts et à indemniser les victimes. C’est d’abord le régime de Vichy qui crée, en octobre 1940, un commissariat technique destiné à l’Indemnisation des sinistrés et à la Reconstruction immobilière, devenant par la loi d’octobre 1942 un commissariat à la Reconstruction. Les institutions mises en place par Vichy ont peu d’effets, en revanche, elles se dotent d’un personnel spécifique et de procédures tenant compte des lourdeurs des mécanismes de l’après Grande Guerre. Les immenses destructions de l’année 1944 conduisent le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) à créer, par décret du 16 novembre 1944, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) regroupant les organes mis en place par Vichy : commissariat à la Reconstruction immobilière et Délégation générale à l’équipement national, fondée en février 1941 avec l’objectif d’assurer la planification de la reconstruction et le relèvement économique de la France.
37À l’égard des populations civiles, la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre, votée par la seconde Assemblée constituante, pose le principe de l’égalité et de la solidarité de tous les Français devant les charges de la guerre. Elle ouvre droit à réparation intégrale pour tous les dommages certains, matériels et directs causés aux biens immobiliers et mobiliers par les faits de guerre45. Les dommages d’occupation sont assimilés aux dommages de guerre. Ils doivent être déclarés avant le 1er janvier 1947, délai ensuite repoussé à juillet 1952. Le MRU se dote d’un commissariat aux Dommages de guerre, principalement actif jusqu’en 1965, et de délégations départementales46. Reconstruction et équipement des services civils pèsent pour environ 5 % des exercices au lendemain de la guerre47, sans compter les pensions civiles et militaires.
38Les finances publiques sont par définition mises à contribution. Les charges supportées par le Trésor sont immenses et les rentrées mesurées. Les déficits se soldent par des emprunts et des moyens de trésorerie malgré l’aide américaine. Celle-ci doit être mentionnée, sans que l’on puisse entrer dans les détails, que ce soit le prêt-bail dont la France libre a bénéficié, le prêt de l’Eximbank de décembre 1945 à la France, le premier programme Marshall de 1947 et l’European Recovery Program de 1948 permettant à la France de recevoir entre avril 1948 et septembre 1951 près de 2,5 milliards de dollars. Ainsi que l’a démontré Gérard Bossuat48, les remontrances des États-Unis à la France en matière de finances publiques n’ont pas empêché le déblocage de contre-valeur destinée à la modernisation des secteurs de base, à l’industrie privée et à l’agriculture définie par le plan Monnet. En 1959, les comptes de contre-valeur, donnent le bilan suivant au titre de la Reconstruction et des dommages de guerre : 145 966 millions de dollars, soit 15,3 % du total.
39Quelques mots s’imposent sur la situation en Asie à l’égard du Japon49. L’approche des Alliés est sensiblement la même que pour l’Allemagne. L’état de guerre entre la France et le Japon est reconnu à la suite de l’agression japonaise du 9 mars 1945 en Indochine50. Le 2 septembre 1945, le représentant du GPRF signe, à côté du général Mac Arthur, l’acte de capitulation du Japon. Le 8 septembre 1951, la France paraphe, en compagnie de quarante-huit autres États, le Traité de paix de San Francisco. Le sort réservé au Japon est préparé par la déclaration du Caire du 1er décembre 1945, suivie par la mise en place en décembre d’une commission d’Extrême-Orient installée à Washington, dans laquelle la France siège. Sans surprise, les travaux préparatoires du Traité de San Francisco font apparaître des divergences de vue profondes entre les ex-Alliés, à l’heure où la guerre de Corée débute. À l’issue de l’examen du Traité de San Francisco par l’Assemblée nationale, par l’Assemblée de l’Union française et par le Conseil de la République, le président de la République française est autorisé à le ratifier en vertu de la loi du 11 avril 195251. La France n’est pas directement concernée par les transferts de souveraineté sur des territoires. Elle l’est en revanche par les réparations. Philippines et Indonésie exigent la réparation intégrale des dommages de guerre. Les États-Unis, pour leur part, estiment qu’il n’est pas possible de charger le pays d’un fardeau excessif. Le compromis énoncé à l’article 14 du Traité donne satisfaction théorique à ceux qui revendiquent des réparations, mais rend illusoire l’application du principe en énonçant que le Japon, s’il doit maintenir son économie sur une base viable, ne dispose pas dans l’immédiat de ressources suffisantes pour assurer la réparation complète de tous les dommages et de toutes les souffrances et faire face à ses autres obligations. Des arrangements de réparations bilatéraux doivent se conclure, à condition qu’ils n’imposent pas de charges supplémentaires à d’autres. D’autres dispositions prévoient le droit pour chaque puissance alliée de saisir, conserver, liquider ou utiliser tous biens, droits et intérêts du Japon et de ses ressortissants, qui lors de l’entrée en vigueur initiale du traité se trouvaient sous sa juridiction. Des accords généraux régissent l’indemnisation des combattants ayant appartenu aux forces armées des puissances alliées et des victimes de guerre. Les obligations monétaires concernant la dette extérieure d’avant-guerre du Gouvernement japonais et les dettes des personnes morales pour lesquelles l’État japonais s’est déclaré responsable font l’objet d’accords spécifiques. Le cas des emprunts japonais libellés en francs français donne lieu, quant à lui, à règlement par l’intervention de conciliateurs après de longues négociations52.
40En matière de réparations et de règlement des dommages aux nationaux, la situation en Indochine française est rendue d’autant plus complexe du fait de la guerre de décolonisation débutée en 1946. Les paiements à attendre du Japon en nature ou monétaires sont des plus limités et tardent à venir. C’est donc au budget de l’État que revient la charge des secours à apporter à ses ressortissants. Aux dommages de guerre liés à l’attaque japonaise de 1945, s’ajoutent les conséquences d’autres conflits régionaux. On rappelle que la dictature militaire du Siam, devenue Thaïlande en 1939, attaque l’Indochine française en 1940. La guerre de quelques mois se conclut par l’annexion de provinces avec l’assentiment de l’Empire japonais, provinces elles-mêmes rétrocédées après 1945. Ces situations donnent lieu, théoriquement, au paiement de dommages et se lisent dans les archives, pas toutes classées, conservées aux Archives nationales d’outre‑mer53.
41D’une manière générale, la politique de la France à l’égard des réparations japonaises suscite des critiques à l’intérieur du pays, le rêve d’une Indochine remplaçant le Japon dans la région fait long feu54. La guerre qui débute en Indochine s’avère rapidement désastreuse, elle est progressivement rattrapée par son coût pour reprendre les mots de la conclusion de l’étude menée par Hugues Tertrais sur le coût de cette guerre55. De fait, c’est avec le Vietnam, dans ce cas la République du Vietnam au sud, reconnue comme seul Gouvernement légitime, que le Japon signe à Saïgon deux accords le 13 mai 1959. Ils comprennent un accord de réparations et un accord sur les prêts56.
42Au total, si la France n’a pas été maltraitée dans le cadre des réparations de la Seconde Guerre mondiale, ce sont bien in fine les finances publiques du pays qui ont été mises à contribution sur le temps long.
V. Les réparations financières et morales des anciennes colonies : des questions en débat
43Parler de décolonisation conduit à s’intéresser à d’autres aspects des réparations et des dommages, et à leurs conséquences politiques, morales, économiques et financières placées au cœur de l’actualité. Il s’agit, pour reprendre la formule du magistrat Antoine Garapon, de la « réparation des préjudices de l’histoire » au nombre desquels la colonisation, l’esclavage et les crimes contre l’humanité. Les exigences de justice sociale et culturelle intergénérationnelle et la récente judiciarisation de la vie collective, nationale et internationale, imposent d’aborder dans cette partie ces immenses questions d’une histoire-mémoire vive.
44Le terme réparation n’apparaît ni dans les accords de Genève du 21 juillet 1954, ni dans les accords d’Évian du 18 mars 1962, mettant fin respectivement à la guerre d’Indochine et à la guerre en Algérie. Les décolonisations entre la France et ses colonies de l’Afrique subsaharienne et celles de l’océan Indien se font sans conflit à l’issue de processus négocié, sauf en Guinée-Conakry, seul territoire à refuser la proposition de communauté franco-africaine lors du référendum de 1960. L’ensemble de ces États, désormais indépendants, auxquels on ajoute les protectorats du Maroc et de la Tunisie, ne sont pas entrés à l’époque dans des demandes officielles de réparations à l’égard de l’ancienne puissance colonisatrice.
45En revanche, ils sont concernés peu ou prou par la question des dettes coloniales au sens large et de leurs conséquences à long terme. La plus célèbre dette coloniale à ce jour est celle de Haïti, sur laquelle il convient de revenir d’autant plus que son règlement s’étend jusqu’au xxe siècle, sans compter son écho et ses conséquences sur le devenir de ce pays, aujourd’hui parmi les plus pauvres du monde. La colonie, riche de sa production sucrière, proclame son indépendance le 1er janvier 1804. Au congrès de Vienne, la France obtient la reconnaissance de ses droits sur la colonie de Saint-Domingue. La Restauration demande le retour de San Domingue sous sa domination, le refus de Haïti donne alors lieu à l’offre du versement d’une indemnité aux anciens colons. Elle est fixée unilatéralement, sous la contrainte du blocus maritime, par la France de Charles X en 1825 à la somme de 150 millions de francs-or, payables en cinq termes annuels de 30 millions. Le premier paiement résulte d’un emprunt spécial placé à Paris. Les autres termes n’ont pas pu être payés, conduisant à une série de négociations et d’emprunts souvent souscrits à des conditions léonines57. La dette est finalement soldée en 1883, mais les agios sur les emprunts ont couru pendant encore plusieurs décennies. Le lien, si révoltant, entre la dette d’indépendance et l’esclavage résulte de l’ordonnance royale concernant l’indemnité attribuée aux anciens colons de Saint-Domingue. La commission en charge de son exécution vérifie plus de 27 000 demandes de propriétaires et ayants droit, retenant 12 000 dossiers. Le versement d’une indemnité faisant suite à l’émancipation d’une population servile n’est pas un acte isolé dans les Amériques, rappelle l’historienne suisse Frédérique Beauvois58. Cependant, dans le cas d’Haïti, ce sont les ex-esclaves composant la société haïtienne qui ont remboursé indirectement les anciens maîtres de la perte de leurs propres personnes dans une négociation d’État à État. L’évaluation de l’indemnité s’est basée sur l’intégralité des biens immobiliers de l’ancienne colonie. Même si le président haïtien, Alexandre Pétion, déclare qu’Haïti ne paiera rien pour les esclaves « puisqu’ils sont reconnus libres », c’est bien pourtant la valeur présumée des esclaves que les Français prennent pour base de cette indemnité59. Leur paiement est cependant loin de faire la richesse de tous les dépossédés de Saint-Domingue. Il faut compter sur le temps, la difficulté de recenser les bénéficiaires et de rassembler les pièces justificatives. Par ailleurs, nombre des colons sont endettés et l’indemnité financière est saisissable. Le versement du premier cinquième revient en presque totalité aux créanciers. Seuls les plus riches en tirent avantage. De plus, la France ne s’étant pas portée garante de l’indemnité, ses bénéficiaires restent dépendants des aléas de son versement pendant des décennies. Qualifié de « goutte d’eau imperceptible » par un contemporain, l’indemnité représente pourtant plus du sixième des revenus totaux de la France en 1825, mais aussi cinq ans de revenus d’Haïti pesant ainsi lourdement sur la jeune République60.
46Au xxe siècle, l’interdiction de transférer les dettes coloniales est posée en 1919 par le Traité de Versailles en son article 255. Des dispositions similaires sont prises à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et l’article 16 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de traités le confirme. Cependant, dans les configurations nouvelles, administratives et politiques, de l’Union française créée par la Constitution de la Quatrième République, les États associés et sous mandat contractent des prêts, principalement auprès du Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer financé par l’État grâce à des avances de la Caisse centrale de la France d’outre-mer. Les nations indépendantes doivent assurer tout ou partie du remboursement, le tout inséré dans un système de l’aide au développement complexe, contraignant et souvent dénoncé, liant les nouveaux États à leur ancienne métropole61.
47Le processus de décolonisation du xxe siècle n’a pas à ce jour entraîné de revendications internationales de réparations auprès de la France, il n’en a pas moins pesé sensiblement sur les dépenses publiques du pays par le biais des mesures en faveur des rapatriés, sans compter les dommages aux biens des nationaux et les dispositions financières et fiscales qui ont été prises dans ce cadre. La loi du 26 décembre 1961, relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre-mer, a défini les rapatriés comme des « Français ayant dû quitter ou estimé devoir quitter, par suite d’événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ». Les rapatriés français, comptabilisés en 2002, sont au nombre de 1 483 321, dont 969 466 depuis l’Algérie, constituant de loin le plus important groupe62. Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur la guerre d’Algérie et les conséquences de la signature des accords d’Évian. Les rapatriés ont bénéficié d’aides d’urgence à leur arrivée en métropole, puis d’indemnisations, aides diverses et effacement de dettes. Le décret du 10 mars 1962 crée trois types de prestations à leur profit :
des prestations d’accueil (allocation de départ, indemnité forfaitaire de déménagement, allocations mensuelles de subsistance en fonction de la situation de famille) ;
des prestations sociales (subventions d’installation, aide de l’État pour le rachat des cotisations d’assurance vieillesse) ;
aides au reclassement.
48On évalue à 4,5 milliards d’euros, soit 5 % du budget de l’État de l’époque, les sommes consacrées à la réinstallation des rapatriés en 1963. Ces aides ponctuelles s’accompagnent de lois d’indemnisation. La loi n° 70‑632 du 15 juillet 1970 relative à une contribution nationale pour l’indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, a conçu l’indemnisation comme « une avance sur les créances détenues à l’encontre des États étrangers ou des bénéficiaires de la dépossession ». Elle est réservée aux personnes de nationalité française au 1er juin 1970, elle est dégressive dans la limite d’un plafond de 260 000 francs par ménage avec versements échelonnés sur dix ans. Des lois ultérieures sont revenues sur la dégressivité et ont majoré le plafond (loi n° 78‑1 du 2 janvier 1978). Le rapport du député Michel Diefenbacher, publié en septembre 2003, chiffre à 14,2 milliards d’euros, la valeur actualisée des sommes versées au titre de l’indemnisation en application de ces différents textes et à près de 32 milliards d’euros les dépenses globales de l’État pour les rapatriés63.
49Dans les premières dispositions, les harkis, membres des formations supplétives de l’armée française en Algérie, ont connu le plus triste sort. Ceux qui ont pu regagner la France ont été installés de façon sommaire. Leur nombre, mal connu, est évalué à 66 000 personnes en 1965, chiffre passant à 154 000 harkis des première et deuxième générations selon une étude de 1995. Les supplétifs n’ont bénéficié du statut d’ancien combattant qu’en 1974 et ils n’ont fait l’objet de mesures spéciales que tardivement, en 1987 (réévaluation des indemnisations), suivie d’une loi complémentaire en 1995, le tout pour un peu moins de 430 millions d’euros. D’autres aides et dispositions ont suivi, ainsi que des mesures de réparation morale, que nous ne pouvons développer ici, mais qu’il y a lieu de signaler.
50Le cas des harkis appelle le sort des troupes coloniales. De 1830 à 1962, date à laquelle ce qui a été appelé l’armée d’Afrique est dissoute, les troupes d’Afrique du nord ont été de toutes les batailles et conflits mondiaux, rappelle Christophe Guidice64. En 1954, le corps expéditionnaire d’Indochine est composé à 60 % de « coloniaux »65. Les anciens soldats français et étrangers deviennent « anciens combattants » s’ils répondent à un certain nombre de conditions. À ce statut sont associés des pensions militaires, des pensions d’invalidité et des victimes de guerre. Cependant, les harkis, nous l’avons dit, ne sont assimilés aux militaires pour les mêmes périodes qu’en 1974. Christophe Giudice rappelle qu’entre 1939 et 1945, 239 000 Nord-Africains ont combattu pour la France66 en Tunisie, en Italie et en Allemagne. La question des pensions est sensible, l’État français a mis presque un demi-siècle à restaurer la parité de traitement entre pensionnés français et maghrébins, par exemple. En 2007 seulement, une loi de finances permet, à partir de cette date, la valorisation des pensions des ressortissants des troupes coloniales, à parité entre tous les anciens combattants. Près de 9 500 anciens combattants, victimes civiles de guerre ou veuves, sont enregistrés par les autorités françaises à Tunis et 24 857 au Maroc, à la date de 200867.
51Plus largement, les modestes et tardives formes de dédommagement à l’égard des soldats d’outre-mer ayant participé aux deux guerres mondiales, puis aux guerres d’Indochine et d’Algérie, sont précédées d’une lente prise en compte d’une mauvaise conscience, autrement dit d’avoir commis une faute, ici collective. C’est ce processus qui est à l’œuvre dans la discussion et l’adoption de la loi dite Taubira, adoptée le 21 mai 2001. L’article 1er dispose que : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité68. » La qualification de crime contre l’humanité, inscrite au Code pénal69, implique la recherche de responsabilité, y compris morale, et l’application de peines, elle soulève aussi la question des réparations.
52La proposition de loi déposée par la députée Cécile Duflot, enregistrée le 10 mai 201770, a pour finalité ces réparations, évoquées par Christiane Taubira et abandonnées lors de la discussion du texte de 2001. La proposition de 2017 comprend deux articles : le premier instituant un comité de personnalités qualifiées, chargées de déterminer le préjudice subi et d’examiner les conditions de réparation due au titre des crimes contre l’humanité que sont la traite négrière et l’esclavage, renvoyant au Conseil d’État la définition des compétences et missions d’un tel comité ; le second article revenant sur le cas d’Haïti et demandant l’étude des modalités possibles de restitution par l’État français des sommes payées par la République des Caraïbes. Depuis cette date, les questions des réparations, de leur champ d’application et de leurs formes ne cessent d’être débattues. Elles s’accompagnent également de projets de restitution de certains biens culturels.
53Les deux formes, morales et financières, des réparations sont à l’origine de nombreux débats, en France comme chez nos homologues européens et américains. Les compensations financières directes prônées par l’historien américain Willian Darity71, soulèvent de multiples difficultés que l’exemple historique d’Haïti font surgir. Des politiques foncières, là où elles peuvent être mises en œuvre, et une volonté de combattre activement les inégalités contemporaines héritées de la traite sont en revanche privilégiées par des historiens, à l’instar de Pap Ndiaye.
Conclusion
54Conclure sur les réparations et les dommages de guerre conduit à mettre en évidence l’évolution divergente entre, d’un côté, la question des relations entre États et, d’un autre côté, les responsabilités et engagements des États, en l’espèce de l’État français, à l’égard de ses nationaux. Dans cette grande divergence, clairement mise en évidence au cours des deux derniers conflits mondiaux, les finances publiques françaises ont été appelées à combler sur le long terme, par le biais de la taxation, de l’emprunt, des moyens de trésorerie, le décalage de plus en plus immense entre, d’une part, le coût de la guerre et ce que l’on peut, pour y faire face, imposer et recevoir de l’ennemi vaincu, et, d’autre part, ce qui est reconnu comme dû par la puissance publique. Ce décalage, mal compris de populations en souffrance, est source de frustrations alors même que les engagements de la puissance publique à leur égard sont sans commune mesure au xxe siècle, si on compare avec le xixe siècle. La frustration en est accentuée à l’échelle individuelle par les mécanismes présidant au règlement intérieur des dommages de guerre et qui donne lieu à une redistribution inégale de richesses.
55La France n’est plus officiellement en guerre depuis 1962, les guerres mondiales et coloniales auxquelles elle a participé se trouvent dans les livres d’histoire. Est-ce pour autant que la question des réparations et sa traduction dans les finances publiques du pays est à mettre au passé ? Non, est-on tenté de répondre. Ce rapide survol dans le temps long de l’articulation entre finances publiques et indemnités et dommages de guerre suscite encore de nombreuses questions. Il nous invite à multiplier les approches, à préciser les formes, moyens et modalités mis en œuvre et à en détailler les conséquences économiques, financières et sociales dans les court et moyen termes. On souhaite que cet article incite et encourage des recherches approfondies dans ce sens.
Notes de bas de page
1 On peut s’appuyer en partie sur l’ouvrage de Richard Lewinsohn, Les profits de guerre à travers les siècles, Paris, Payot, 1935.
2 Jean Bouvier, « Histoire financière et problèmes d’analyse des dépenses publiques », dans L’historien sur son métier. Études économiques xixe-xxe siècle, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1989, p. 210.
3 Sur ces questions, voir l’ouvrage fondamental de Pierre d’Argent, Les réparations de guerre en droit international public : la responsabilité internationale des États à l’épreuve de la guerre, Bruxelles, Émile Bruylant, 2002.
4 Luce Camuzet, L’indemnité de guerre en droit international, Paris, Pédone, 1928, p. 73.
5 Philippe Verheyde, « Politiques et pratiques financières de la Caisse d’amortissement et de la Caisse des dépôts et consignations », dans Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde (dir.), 1816 ou la genèse de la Foi publique, Genève, Droz, 2006, p. 123‑154.
6 « Protocole n° 12 sur la distribution des 700 millions que la France payera aux puissances alliées en vertu de l’article 4 du traité ». Prusse, Autriche, Russie et Angleterre reçoivent chacune 100 millions de francs, 100 millions reviennent collectivement aux autres puissances signataires du traité du 25 mars. Compte tenu de leur rôle, les armées sous le commandement du maréchal duc de Wellington et du maréchal prince Blücher reçoivent chacune 25 millions de francs supplémentaires, dans Recueil de décrets, ordonnances, traité de paix, manifestes, proclamations, France, 1815.
7 E. N. White, « Making the French Pay: the Cost and Consequences of the Napoleonic Reparations », European Review of Economic History, n° 5, 2001, p. 337‑365.
8 François Crouzet, « C’est l’Angleterre qui a gagné la guerre », L’Histoire, n° 20, juillet-septembre 2003, https://www.lhistoire.fr/cest-langleterre-qui-gagn%C3%A9-la-guerre%C2%A0.
9 Voir Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Paris, Gallimard, 2006.
10 Lazar Focsaneanu, « L’accord ayant pour objet l’indemnisation de la Compagnie de Suez nationalisée par l’Égypte », Annuaire français de droit international, 1959/5, p. 161‑204.
11 Cité p. 22 du remarquable Guide des sources sur les dommages de guerre, destructions, réparations, indemnisations (xixe-xxe siècle), établi par Michèle Conchon et Thierry Guilpin, Paris, Archives nationales, 2018.
12 Voir le programme et le déroulement du colloque organisé au Conseil d’État les 16 et 17 décembre 2019, « Dommages de guerre et responsabilité de l’État, à l’occasion du centenaire de la loi du 17 avril 1919 dite Charte du sinistré ».
13 Il ne faut sans doute pas être surpris de tels écarts, qui soulignent combien il est difficile d’évaluer précisément le coût d’un conflit : qu’est-ce qui est compté et selon quels critères, à une époque où il n’existe pas d’outils et d’enquêtes statistiques performantes ? Voir François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, notamment chapitres 15 et 16.
14 L’échéancier se présente de la manière suivante : 1. 500 millions payables un mois après le rétablissement de l’ordre dans Paris, 2. 1 milliard courant 1871, 3. 500 millions payables au 1er mai 1872 et 4. 3 milliards payables au plus tard en mars 1874.
15 Jean-Pierre Azéma, Michel Winock, La Troisième République, Paris, Calmann-Lévy, 1978.
16 Cité par Claire Silvant « L’impôt, l’endettement ou l’austérité ? Les économistes français et l’endettement public après la guerre de 1870-1871 », Alternatives économiques, n° 61, janvier 2014, p. 44.
17 L’Union latine disparaît officiellement en 1927, l’argent joue encore un certain rôle pendant la Grande Guerre.
18 Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, circulaire au préfet, 27 octobre 1871, division de l’Administration communale et hospitalière, 1er bureau, exécution de la loi du 6 septembre 1871.
19 Edmond Fléchey, « Les dommages directs causés par l’invasion allemande », Journal de la Société de statistique de Paris, 1877, tome 18, p. 268.
20 Montant des évaluations arrêtées par les commissions départementales de révision en exécution de la loi du 6 septembre 1871.
21 100 millions aux départements au titre de la loi du 6 septembre 1871, 112 millions aux départements au titre de la loi du 7 avril 1873 (bons de liquidation), 140 millions à la Ville de Paris au titre de la loi du 7 avril 1873, et un peu plus de 62 millions au titre du remboursement des impôts payés aux Allemands (E. Fléchey, art. cité).
22 Voir M. Conchon, T. Guilpin, op. cit., p. 23.
23 Sur la notion de finances publiques, on retiendra et traitera ici ce qui relève exclusivement du budget de l’État, en faisant abstraction des autres acteurs publics (Ville de Paris, départements…).
24 À l’image de l’emprunt de 250 millions de francs négocié par Clément Laurier auprès de la banque Morgan, à l’automne 1870.
25 Jean Bouvier, « Le système fiscal français du xixe siècle. Étude critique d’un immobilisme », dans Jean Bouvier, L’historien sur son métier. Études économiques xixe‑xxe siècle, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1989, p. 163‑164.
26 Louis Fontvieille, « Évolution et croissance de l’État français 1815-1969 », Économies et sociétés. Cahiers de l’Ismea, série AF, n° 9‑10, 1976, p. 2117, tableau CXXVII, dépenses fonctionnelles de l’État.
27 E. Fléchey, art. cité.
28 Jean Bouvier, « Le système fiscal français… », op. cit., p. 183.
29 Gabriel Ardant, Théorie sociologique de l’impôt, Paris, SEVPN, 1965, p. 436.
30 Voir Gaston Jèze, Le coût de la guerre pour la France, Paris, PUF-Dotation Carnegie internationale pour la Paix, 1926, et l’étude inégalée d’Étienne Weill-Raynal, Les réparations allemandes et la France, 3 tomes, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1948.
31 Sur toutes ces questions, voir John M. Keynes, The Economic Consequences of the Peace, Londres, MacMillan and Co, 1919 ; Étienne Mantoux, La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes, Paris, Gallimard, 1946 ; Margaret MacMillan, Les artisans de la paix, Paris, J.-C. Lattès, 2006 ; pour une synthèse, Philippe Verheyde, « La bataille des chiffres des réparations ou les étranges calculs de Monsieur Keynes », Entreprises et histoire, n° 79, juin 2015, p. 147‑159.
32 Voir notamment É. Weill-Raynal, Les réparations…, op. cit. et l’étude de Pierre Renouvin et Camille Bloch, « L’article 231 du Traité de Versailles. Sa genèse et sa signification », Revue d’histoire de la guerre mondiale, janvier 1932.
33 M. MacMillan, op. cit., p. 260‑268, relativise la position britannique et montre le discours à géométrie variable de Lloyd George.
34 Richard Castillon, Les réparations allemandes. Deux expériences 1919-1932, 1945-1952. Essai d’étude comparée, Paris, PUF, 1952, données citées p. 66. Il s’agit d’une thèse de doctorat de science politique, Strasbourg, président du jury André Piettre, suffragants MM. Beaucourt et Virally, 1951,
35 Clotilde Druelle-Korn, « L’inventaire de la situation financière de la France au début de la treizième législature », dans Philippe Verheyde, Béatrice Touchelay (dir.), La genèse de la décision. Chiffres publics, chiffres privés dans la France du xxe siècle, Paris, Éditions Brière, 2009, p. 123‑145.
36 M. Conchon, T. Guilpin, op. cit.
37 Parmi les études, on mentionne notamment : Jean-Luc Mastin, Victimes et profiteurs de guerre ? Les patrons du Nord (1914-1923), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019 ; Béatrice Touchelay, « La contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre en action : de l’Isère à l’Ille-et-Vilaine », dans Florence Descamps, Laure Quennouëlle-Corre (dir.), Une fiscalité de guerre ? Contraintes, innovations, résistances, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2018, p. 249‑264, https://books.openedition.org/igpde/5291 ; Éric Bussière, Patrice Marcilloux, Denis Varaschin (dir.), La Grande Reconstruction. Reconstruire le Pas-de-Calais après la Grande Guerre, actes du colloque d’Arras, 8‑10 novembre 2000, Arras, Archives départementales du Pas-de-Calais, 2002. Voir les contributions dans Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918…, 1945…, catalogue de l’exposition organisée par la direction des Archives de France, Paris, Archives nationales, 1991.
38 R. Castillon, op. cit., p. 80 à partir de multiples sources.
39 Id. L’auteur se base sur les travaux de Pierre Arnoult, inspecteur général des Finances, publiés sous le titre Les finances de la France et l’occupation allemande 1940-1944, Paris, PUF, 1951, et ceux de la Commission du coût de l’Occupation, présidée par Adolphe Landry.
40 Cité dans R. Castillon, op. cit., p. 93.
41 On lira avec profit le Rapport de l’assemblée de l’Agence interalliée des réparations aux Gouvernements membres, juin 1951.
42 Sur le 1,8 million de tonnes perdues.
43 Le chiffrage est présenté dans R. Castillon, op. cit., p. 155.
44 Rapport final aux Gouvernements membres, Agence interalliée des réparations, septembre 1961 sous la présidence de René Didisheim, liquidateur.
45 Sur un cas concret permettant de saisir les échelles d’intervention, de réglementation et de financement, Claude Malon, Occupation, épuration, reconstruction. Le monde de l’entreprise au Havre 1940-1950, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2018, notamment le chapitre 13 : « Les dommages de guerre, une bonne affaire ? ».
46 Les archives sont considérables, comme on l’imagine sans peine, voir M. Conchon, T. Guilpin, op. cit.
47 Christine André, Robert Delorme, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France, 1870-1980, Paris, Le Seuil, 1983 et, pour un exemple précis dans une année clef, « Les finances publiques en 1951 », Études et conjoncture. Union française/Économie française, n° 2, 1952, Bilan de l’économie française et perspectives 1952.
48 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, 2 vol., https://books.openedition.org/igpde/2692 et https://books.openedition.org/igpde/2786. Voir également Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion, 1932-1952, 2 vol., Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991, notamment vol. 2, chap. 22 à 35, p. 719‑1325, https://books.openedition.org/igpde/2276 et https://books.openedition.org/igpde/2320.
49 Lazar Focsaneanu, « Les Traités de paix du Japon », Annuaire français de droit international, vol. 6, 1960, p. 256‑290.
50 Le régime de Vichy avait opté pour la neutralité, laissant une grande latitude d’action au Japon dans les possessions françaises d’Indochine.
51 Loi n° 52‑393, Journal officiel n° 90 du 12 avril 1952.
52 L. Focsaneanu, op. cit.
53 Archives nationales d’outre-mer, FR ANOM 3 HIC 1‑246, Haut-Commissariat pour l’Indochine, Services du conseiller diplomatique (1940-1955), et Délégation pour l’Extrême-Orient de la Commission consultative des dommages et des réparations (1946-1965), a priori non classé.
54 Léon Prou, « La politique de la France à l’égard des réparations japonaises », Le Monde, 9 janvier 1948.
55 Hugues Tertrais, La piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine 1945-1954, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, https://books.openedition.org/igpde/3310.
56 Le Japon s’engage à fournir au Vietnam des produits et des services d’une valeur de 39 millions de dollars pendant une période de cinq ans. La valeur totale des produits livrés à titre de réparations ne devait pas dépasser 7,5 millions de dollars. Les produits à fournir sont en général des biens d’équipement.
57 François Blancpain, Un siècle de relations financières entre la France et Haïti 1825-1922, Paris, L’Harmattan, 2001 et voir l’ensemble des travaux de thèse et pour l’HDR de Gusti-Klara Gaillard-Pourchet.
58 Frédérique Beauvois, « Monnayer l’incalculable ? L’indemnité de Saint-Domingue, entre approximations et bricolage », Revue historique, 2010/3, n° 655, p. 609‑636.
59 Id., p. 614.
60 Id. Voir aussi la base de données sur les bénéficiaires des indemnisations décidées par la Deuxième République à la suite de l’abolition de l’esclavage de 1848 et des indemnités versées par Haïti à la suite de son indépendance, https://esclavage-indemnites.fr/public/, réalisée dans le cadre de l’ANR Repairs, https://repairs.hypotheses.org.
61 François Pacquement, « Le système d’aide au développement de la France et du Royaume-Uni : points de repère sur cinquante ans depuis la décolonisation », International Development Policy. Revue internationale de politique de développement, 2010/1, dossier « Africa: 50 Years of Independence ».
62 Rapport du député Michel Diefenbacher, chiffre au 31 décembre 2002 (référence dans la note suivante), cité dans le « Rapport fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », par le sénateur Alain Gournac, n° 104, Sénat, session ordinaire de 2004-2005, annexe au procès-verbal de la séance du 8 décembre 2004. Les autres provenances : Maroc 263 643, Tunisie 180 223, Afrique noire et Madagascar 15 747, Indochine 44 164, Égypte 7 307, autres (Djibouti, Comores, Vanuatu) 2 771.
63 « Parachever l’effort de solidarité nationale envers les rapatriés. Promouvoir l’œuvre collective de la France d’outre-mer », rapport établi à la demande du Premier ministre par Michel Diefenbacher, député du Lot-et-Garonne, septembre 2003. L’annexe 3 présente la répartition des dépenses globales de l’État pour les rapatriés, les chiffrant à 31,7 milliards d’euros, soit 208 milliards de francs constants 2002, https://www.vie-publique.fr/rapport/26295-parachever-leffort-de-solidarite-nationale-envers-les-rapatries-promou.
64 Christophe Giudice, « Les anciens combattants marocains et tunisiens de l’armée française. Enjeux d’histoire et de mémoire », dans Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou, Pierre Vermeren (dir.), Autour des morts de guerre. Maghreb - Moyen-Orient, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2014, p. 119‑145.
65 Sur 194 000 hommes, on compte 36 000 Nord-Africains, 19 000 Africains, 60 000 Indochinois.
66 132 000 Algériens, 85 000 Marocains et 22 000 Tunisiens.
67 C. Giudice, op. cit.
68 Loi n° 2001‑434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
69 Code pénal, articles 211‑1 à 215‑3, des crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine.
70 Proposition de loi n° 4641 tendant à la réparation des préjudices résultant de la traite et de l’esclavage colonial présenté par Mme Cécile Duflot, députée.
71 William Darity, « Adopter un plan de réparation de l’esclavage pour tenter de guérir le monde », propos recueillis par Valentine Faure, Le Monde, 15 mai 2021.
Auteurs
Maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l’université de Limoges, Clotilde Druelle-Korn est membre du CRIHAM-Limoges (EA 4270) et chercheuse associée à l’IDHE.S (UMR 8533 CNRS-Paris 1 Panthéon Sorbonne). Ses travaux portent en particulier sur l’histoire économique et sociale de la Première Guerre mondiale et sur celle des organisations patronales nationales et internationales. Elle a récemment publié Feeding Occupied France 1914-1919. Herbert Hoover and the Blockade, Londres, Palgrave Macmillan, 2019 ; « Assurer l’influence des milieux d’affaires français aux États-Unis au sortir de la guerre : Ernest Mercier et Philip Cortney 1944-1955 », Relations internationales, 2020/1, n° 181 ; « Woodrow Wilson de la paix à la guerre », dans Olivier Forcade, Olivier Chaline (dir.), L’engagement des Américains dans la guerre 1917-1919, Paris, Sorbonne université presses, 2020 ; « Le problème des neutres », dans Olivier Forcade, Arndt Weinrich (dir.), Le blocus en 1914-1918, Cahiers du Sirice, n° 26, Sorbonne université presses, 2021.
Chercheur associé à l’IDHE.S (UMR 8533 CNRS-université Paris 8), Philippe Verheyde est maître de conférences HDR en histoire contemporaine à l’université Paris 8. Ses travaux portent principalement sur l’histoire économique en périodes de guerre, sur la Caisse des dépôts et consignations et sur l’histoire des entreprises, notamment celles du grand commerce parisien. Il a notamment publié « Journaux du préfet Trépont, une chronique engagée de la Guerre à la déportation », dans Philippe Henwood, Paule René-Bazin (dir.), Écrire en guerre 1914-1918. Des archives privées aux usages publics, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016 ; « Argent de l’État, biens communs et Foi publique en France », dans Christian Bessy, Michel Margairaz (dir.), Les biens communs en perspectives. Propriété, travail, valeur xviiie-xxie siècle, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021 ; et codirigé avec Danièle Fraboulet, Pour une histoire sociale et politique de l’économie. Hommages à Michel Margairaz, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020.
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