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Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe

 | 
René Girault
, 
Lévy-Leboyer Maurice

Annexes

Les enseignements tirés des interviews et du fonds d’archives orales de l’Institut d’Histoire de l’Industrie

Philippe Muller Feuga

Texte intégral

1Notre activité dans le cadre de l’Institut d’Histoire de l’Industrie consiste à réunir un fonds d’archives orales concernant l’histoire industrielle de la France contemporaine.

2Nous avons, en préparation du Colloque sur « Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe », rencontré un certain nombre de témoins.

3De nos rencontres avec ces personnes, nous avons pu tirer un certain nombre d’informations à propos du Plan Marshall, notamment sur les Missions de productivité. Ce sont ces enseignements issus des entretiens, ces pistes de recherches, qui sont présentés : les grandes tendances, les principaux thèmes.

I. Les antécédents

4Il semble qu’un certain nombre de pratiques du Plan Marshall aient des antécédents historiques.

5On peut distinguer :

    • 1  Voir les témoignages de MM. Pirlot de Corbion et Aufaure pour Saint-Gobain, MM. Marchandise ou Boc (...)

    d’une part, une coopération technique franco-américaine à caractère privé dès la période de l’entre-deux-guerres1,

    • 2  Témoignage de M. Milhaud.
    • 3  Idem.

    d’autre part, dès avant la guerre existent aussi des initiatives prolongeant une réflexion méthodologique : des voyages, précurseurs des missions de productivité qui ont vu le jour dans les années 19302, mais aussi dans le cadre du BIT, grâce à un mécénat américain, une enquête sur l’organisation du travail en Europe et sur les améliorations possibles de la production3.

6Par ailleurs au lendemain même de la guerre, d’autres initiatives ont pu annoncer ou préparer le Plan Marshall avant même la conception de sa mise en œuvre.

  • 4  Témoignage de M. Marchandise.

7Il y avait par exemple des réunions organisées par les délégués de l’Administration américaine dans la région parisienne au lendemain de la guerre. Ces réunions ont instauré un climat de confiance autour de Tables ouvertes et ont donné naissance à « l’esprit de Morainvilliers4 ».

8Il apparaît donc que la rapidité de la mise en œuvre du Plan Marshall et son succès ont pu reposer sur une base d’initiatives ayant permis des relations déjà solides. Il n’en demeure pas moins que le Plan Marshall a sa spécificité propre. Evoquons-la telle que l’ont perçue les témoins.

II Les différences entre branches industrielles

9Le Plan Marshall en effet a été perçu de façon différente selon les secteurs dans lesquels se trouvaient les témoins. La différence est particulièrement sensible entre les secteurs prioritaires et d’avenir et les autres.

  • 5  Témoignages de MM. Legendre, responsable des services Les Mines de Lorraine puis d’Alsace, Esculie (...)
  • 6  Par exemple l’introduction des trains à bandes dans le secteur sidérurgique évoquée par MM. Coche, (...)

10Dans un certain nombre de secteurs prioritaires, l’aide Marshall a été très directe et ressentie comme telle5. Dans ces secteurs, l’aspect financier de l’Aide Marshall a joué un rôle déterminant dans le redémarrage et la modernisation6.

11Dans les autres secteurs, moins prioritaires, l’aide a été plus indirecte.

  • 7  Témoignages de MM. Lévy, Robaglia, de Précigout.

12Centralisée par les directions administratives du Ministère puis réparties en fonction des besoins de chaque branche, l’aide n’était pas perçue comme une résultante du Plan Marshall7.

III. Les missions de productivité

13Il existait différents types de missions, qui répondaient à des impératifs et des objectifs particuliers.

14Les missions, qui regroupent de dix à trente personnes, ont toutes été organisées par l’AFAP, Association Française pour l’Accroissement de la Productivité, dirigée par M. Le Maresquier. Leur financement était assuré par les « Fonds Marshall ». La première formule envisagée, mise en place dès 1948, permettait à l’AFAP d’associer étroitement le CNPF ou les organismes professionnels. Chaque mission concernait un secteur de l’industrie particulier, la chambre syndicale correspondante indiquait les entreprises potentielles et concernables.

15Ces missions touchaient des ingénieurs « d’avenir » des compagnies les plus dynamiques. Elles duraient environ un mois.

16A partir de 1950, l’AFAP met au point une deuxième formule. Ces missions au nombre de cinq ou six concernaient des experts en économie, choisies selon la répartition suivante :

  • 1/3 d’ingénieurs,

  • 1/3 d’administratifs,

  • 1/3 de commerciaux.

  • 8  Plusieurs membres de la « Mission Musard » (1950-1951) ont pu être réunis.

17Elles duraient neuf mois et permettaient d’envisager largement les différents domaines de l’entreprise après une formation en business school préparatoire8.

18Enfin, citons un dernier type de missions. Elles furent les plus importantes en nombre mais aussi par l’impact qu’elles ont eu. Ce furent de courtes missions de trois semaines mises en place en 1951 et composées de la manière suivante :

  • 1/3 de direction,

  • 1/3 de cadres,

  • 1/3 de syndicalistes.

19Elles étaient focalisées sur un secteur de l’entreprise, comme la comptabilité, ou un secteur de l’industrie comme la chaussure.

  • 9  Voir témoignages de MM. Marchandise, Bocquentin, Morel, Hornus et Bénard.

20Ces missions ont, par ailleurs, souvent servi d’accélérateur, sinon de détonateur, à ces relations. C’est le cas pour Pechiney9. À partir de 1947-1950, Pechiney multiplie ses contacts sous forme d’échanges d’hommes, de procédés, de techniques qui accompagnent une réorganisation générale du groupe.

  • 10  Témoignage de M. Huvelin.

21À travers ces missions, des entreprises françaises peuvent aussi lier des liens privilégiés avec des entreprises américaines dans le domaine correspondant. C’est le cas de Kléber-Colombes, qui bénéficie à partir de 1953, d’une importante aide technique de Goodrich10, aide qui fit l’objet d’accords particuliers avec l’administration française.

22Mais ce qu’il est essentiel de percevoir, pour les entreprises françaises, sont les retombées de cette mission.

  • 11  Témoignages de MM. de Vitry et Matter pour Pechiney, MM. d’Argenlieu et Grandgeorge pour Saint-Gob (...)

23L’aspect humain, en premier lieu, est essentiel. L’apport principal de ces contacts est un état d’esprit11. Les cadres aux États-Unis ont tous été frappés par la qualité et l’efficacité de ce travail. Ils ont trouvé en ces termes « les clés de la productivité ».

24Ces relations de travail s’appuient sur une organisation efficace. L’industrie française prend conscience que ses structures sont obsolètes, archaïques. Pechiney et Saint-Gobain subissent le poids d’un lourd héritage. Les usines ont grandi de façon erratique. Les directions prennent conscience de la nécessité de rationnaliser les structures. Pour cela, il est évidemment nécessaire de former des cadres compétents, capables d’assurer cette transition, M. Esculier, par exemple, met en place chez SIMCA une « école » de formation maison ; expérience que l’on retrouve aussi bien chez Pechiney que chez Saint-Gobain.

25Le secteur de l’entreprise qui a sans doute été le plus touché par l’influence américaine est celui du commerce. L’état d’esprit, né ou amplifié par ces missions de productivité, permet le passage à une économie de marché très concurrentielle, telle qu’elle se présente dès la fin des années 1950. CEGEDUR et Pechiney suscitent, en 1955, la création de l’UFALEC, union des fabricants d’alliages légers et d’aluminium pour l’exportation (commercial). Les entreprises françaises réunies dans cette union présentent un front uni, plus concurrentiel, notamment sur le marché américain.

26CEGEDUR axe sa politique sur la pénétration du marché américain qui lui ouvre par la suite les marchés mondiaux. Saint-Gobain, sous l’impulsion de M. d’Argenlieu, organise au milieu des années 50 un véritable service commercial, à partir de l’expérience tirée des États-Unis. M. d’Argenlieu utilise des méthodes nouvelles, un mode de gestion réellement efficace.

27Il serait aisé de multiplier les exemples de la sorte. Mais nous n’en retiendrons que deux. En 1953, grâce à l’enseignement tiré de sa mission de productivité, M. Muzard entre dans une société d’exportation, l’OPTORG. Ses méthodes de travail sont largement conditionnées par cette expérience. En 1952-53, Guy Esculier, membre de la même mission, réorganise le service commercial de SIMCA, en utilisant les formules de décentralisation, de marketing, assimilées aux États-Unis.

Notes

1  Voir les témoignages de MM. Pirlot de Corbion et Aufaure pour Saint-Gobain, MM. Marchandise ou Bocquentin (représenté par par M. Poughon) pour Péchiney. Dans le cas de Saint-Gobain, M. Genty, membre de la direction du groupe dès 1920, noue des contacts avec des entreprises américaines comme la Cornirey ou Blooridge. Pour mémoire, on peut aussi citer André Citroën qui, après une série de visites d’entreprises américaines, appliqua en France les principes du fordisme.

2  Témoignage de M. Milhaud.

3  Idem.

4  Témoignage de M. Marchandise.

5  Témoignages de MM. Legendre, responsable des services Les Mines de Lorraine puis d’Alsace, Esculier, responsable du service formation, puis du service commercial de SIMCA, Huvelin pour EDF.

6  Par exemple l’introduction des trains à bandes dans le secteur sidérurgique évoquée par MM. Coche, Legendre et Denis.

7  Témoignages de MM. Lévy, Robaglia, de Précigout.

8  Plusieurs membres de la « Mission Musard » (1950-1951) ont pu être réunis.

9  Voir témoignages de MM. Marchandise, Bocquentin, Morel, Hornus et Bénard.

10  Témoignage de M. Huvelin.

11  Témoignages de MM. de Vitry et Matter pour Pechiney, MM. d’Argenlieu et Grandgeorge pour Saint-Gobain.

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