Pierre André Marie Chaudun (1885-1955)
17 décembre 1929-14 novembre 1936
p. 710-717
Texte intégral
1Pierre André Marie Chaudun est né le 3 juillet 1885 à Montdidier (Somme). Sa mère, Berthe Dague, était la fille d’un banquier d’origine picarde. Son père, Paul Édouard, fils d’un meunier de Saint-Denis-les-Ponts dans l’Eure-et-Loir a fait toute sa carrière dans l’Enregistrement. C’est à l’occasion d’une affectation en Picardie qu’il s’est marié et a eu son fils Pierre. Celui-ci a passé toute son enfance et a fait ses études à Amiens. Elles seront sanctionnées par de nombreux prix.
2Après de solides études juridiques, sanctionnées par le grade de docteur en droit, il fait son service militaire, en 1902. Le 29 avril 1908, et après avoir passé le concours d’entrée, il débute dans la magistrature en qualité d’attaché au parquet de Lille. L’année suivante (18 novembre 1909), il est attaché titulaire au ministère de la Justice. Il est nommé, le 16 octobre 1912, juge civil au tribunal de Clément, puis à celui de Rambouillet (8 août 1913).
3Pendant la guerre de 1914-1918, il est à Alger, chargé de l’intendance d’un régiment.
4Il est appelé en juillet 1919 par Clémentel, ministre du Commerce, pour exercer les fonctions de chef adjoint de son cabinet. Lorsque l’éminent sénateur quitte la rue de Grenelle, Pierre Chaudun retourne au ministère de la Justice comme magistrat détaché (17 janvier 1920) et reçoit, le 20 avril 1920, la charge d’agent représentant du gouvernement français près le tribunal arbitral mixte. Cet organisme, dans le cadre de la SDN, a eu à traiter les litiges des particuliers dans le cadre de la suite du traité de Versailles. Pierre Chaudun a assisté aux sessions qui se sont tenues en Hollande, en Turquie, en Allemagne et aussi en France.1
5Le 25 janvier 1921, il se marie à Caen où vivait son épouse, Marguerite Tesnière, fille d’un avocat de cette ville, président du conseil général du Calvados.
6Le 18 juin 1924, lors de la constitution du ministère Herriot, le portefeuille des Finances ayant été attribué à Clémentel, celui-ci s’empresse de faire appel à son ancien collaborateur à qui il confie les fonctions de chef de cabinet. Peu après, le 24 octobre 1924, Pierre Chaudun entre dans les cadres de l’administration des finances, en qualité de directeur du personnel, du matériel et de l’ordonnancement.
7 Son traitement qui, à son arrivée à ce dernier poste, était de 25 000 francs passe à 35 000 francs le 1er janvier 1925, à 60 000 francs le 1er août 1926, à 80 000 francs le 1er janvier 1929 et à 90 000 francs le 1er juillet 1929.
8Il a été nommé conseiller d’État en service extraordinaire le 14 avril 1926.
9Le 17 décembre 1929, il est nommé directeur général des douanes, en remplacement de Philippe Chocarne démissionnaire. Il entre en fonction le 1er février 1930, son traitement se monte à 125 000 francs.2
10Dès avant son arrivée en douane, une délégation de la commission administrative du Syndicat des agents du cadre sédentaire a sollicité une entrevue et a exposé les problèmes de l’heure :
- Aménagement d’une échelle de traitements convenables pour les agents du cadre supérieur ;
- Péréquation entre cadre principal des Douanes et cadres principaux des Directes et de l’Enregistrement ;
- Assimilation complète entre cadre des commis et cadre des commis d’ordre et de comptabilité, avec extension à tous deux des débouchés de commis principaux spéciaux ;
- Égalité des traitements entre dames employées, dames sténo dactylographes et dames contrôleuses des douanes et leurs collègues des PTT ;
- Enfin, transformation de ces dernières fonctions en celles de dames-commises.
11Pierre Chaudun fit part aux délégués de son désir de s’assurer la collaboration sincère et loyale du personnel et déclara que ce serait toujours avec un grand souci de bienveillance qu’il recevrait ses délégués, écouterait leurs suggestions en s’inspirant du désir d’accueillir favorablement celles de ses demandes qui lui paraîtraient se justifier et se concilier aux possibilités de l’heure.
12Ils’est dit heureux et honoré d’être appelé à la direction générale des Douanes, où il entendait s’attacher à la modernisation des services et à l’amélioration du sort des agents. Il a exprimé l’intention d’aller souvent « voir les agents sur place. »3
13 C’est le 1er février 1930 que Pierre Chaudun prend ses fonctions en Douane.
14Comme on vient de le voir, c’est le problème des rémunérations qui va prendre la première place de ses préoccupations. Il reçoit une délégation du Syndicat du service actif qui lui exprime « la préoccupation avec laquelle le personnel des brigades attend les actes de son nouveau chef. » L’Action douanière précise que : « M. Chaudun fait appel aux sentiments de sagesse des douaniers et renouvelle ses déclarations touchant l’appui qu’il est résolu à prêter au service des brigades. »4
15Après le congrès de 1930, une délégation a été reçue par Pierre Chaudun, et rend ainsi compte de la position de celui-ci : « Aux Finances, pour les douaniers seuls, on n’a rien fait au cours de ces dernières années. Il s’affirme tout acquis à la défense de son personnel dont il sait les besoins et dont il connaît le rôle important ». En conclusion de l’article traitant de cette audience, le rédacteur affirme : « Le syndicat a donc le droit de compter sur l’appui de l’Administration dans les revendications qu’il présente ».5
16Mais pendant son directorat, Pierre Chaudun a eu à appliquer les mesures d’économies budgétaires décidées entre 1932 et 1936, qui comportaient des diminutions sensibles des crédits réservés aux traitements des fonctionnaires. Ces mesures affectèrent également les indemnités.
17En revanche, Pierre Chaudun a obtenu la création de trois indemnités. La première, réservée au service actif, avait pour objet le travail pendant les heures de nuit. La deuxième, dite de responsabilité, était attribuée aux comptables. La troisième, appelée complémentaire et destinée aux officiers, leur permettait d’avoir une rémunération comparable à celle de leurs collègues du service des bureaux.
18Pierre Chaudun a eu à réaliser le statut de la profession de transitaire. À la suite de fraudes découvertes au bureau du Havre, il soumit à la Fédération des transitaires de France et au Syndicat des transitaires parisiens, un projet qui emporta leur adhésion. Le directeur général obtint du gouvernement une organisation de cette profession qui, d’après lui, « constituerait une des plus importantes réformes qui ait été instituée dans l’administration des douanes depuis plusieurs années et serait de nature à couper court aux manœuvres des principaux fraudeurs. Un décret loi du 30 octobre 1935, subordonna à l’agrément de commissionnaire en douane l’exercice de "la profession d’accomplir pour autrui les formalités de douane", confia au ministre des Finances, sur proposition du directeur général des douanes, le soin de prononcer l’agrément et la faculté de la retirer, créa une chambre de discipline appelée, sous le contrôle de la douane, à assurer l’autodiscipline de la profession, imposa à celle-ci la constitution d’un fonds de garantie pour "couvrir... les créances du Trésor à l’encontre des commissionnaires en douane" et décida que les tarifs à percevoir par les transitaires devraient être homologués par le ministre du Commerce. Ce statut qui, dans un premier temps, devait permettre d’assainir la profession, allait par la suite assurer aux commissionnaires en douane une situation monopolistique dont ils tireraient d’incontestables avantages, mais l’objectif essentiel fut atteint et la profession effectivement et durablement assainie. »6
19Le directorat de Pierre Chaudun fut marqué par la création de l’École des brigades. Dans un rapport adressé au ministre des Finances, le 27 octobre 1930, il est suggéré la création d’une École des douanes, au sein de laquelle les préposés « recevraient l’empreinte administrative avant celle du Syndicat », et où leur seraient « inculqués des principes moraux ».7
20Cette création, retardée faute de moyens budgétaires, se concrétisa le 24 mars 1936, par la décision d’implanter dans la ville de Montbéliard, une « école d’application destinée à la formation administrative première des agents des brigades ».
21D’après la chronique que les Annales des douanes consacrent à cet événement, l’École devait recevoir 250 élèves qui devaient suivre des cours d’instruction classique et professionnelle pendant une session de trois mois. L’instruction professionnelle aurait trait aux notions générales de la législation douanière, mais les cours devaient aussi réserver une large place aux développements relatifs à l’organisation de la surveillance, à l’exécution du service et à la répression de la fraude.8
22 L’Actualité Douanière, revue administrative éditée depuis peu par le Syndicat des agents du service actif et destinée à la formation permanente des préposés et sous-officiers, qualifie d’initiative heureuse cette création, reconnaît que « depuis quelques années, le niveau du personnel actif des douanes a singulièrement baissé » et affirme : « Il est indispensable d’améliorer les connaissances générales d’un grand nombre de jeunes douaniers. Admis dans l’administration, ceux-ci devraient, désormais débuter... à l’école. »9 Pierre Chaudun n’inaugurera pas l’École qui ouvrira ses portes le 1er mars 1938, après son départ de la Douane.
23C’est au cours du directorat de Chaudun que fut fondée la Mutuelle générale des douanes, qui, concurrente des mutuelles douanières existantes, se déclarait ouverte à tous, sans obligation d’appartenance syndicale.
24Cette annonce fut très mal prise par les syndicats, à l’exception de celui du cadre supérieur, d’autant plus que Pierre Chaudun avait fait prendre une décision qui réservait, à l’ensemble des œuvres d’assistance, 12 % au lieu de 10 % sur les parts de saisie et accordant 2 % à la Mutuelle générale. Les trois mutuelles des syndicats faisant partie de la Fédération douanière fusionnèrent au sein de l’Union mutualiste des fonctionnaires des douanes et obtinrent que la part réservée aux mutuelles soit portée à 10 %, celle de l’Œuvre des Orphelins restant fixée à 10 %.10
25La tension entre le directeur général et les syndicats a encore augmenté. Les relations avec celui des agents du service actif étaient rompues depuis 1931.
26 L’Action douanière relate ainsi l’escarmouche : « Albertin ayant dressé au Président de la Chambre une lettre annonçant son projet d’interpeller le ministre du Budget sur la réintégration des douaniers frappés disciplinairement pour avoir participé, en dehors de leurs heures de service, a des manifestations corporatives, M. Chaudun a fait tenir à sept de ses victimes, les plus sérieusement touchées, par une lettre aux directeurs régionaux indiquant : Le Ministre a bien voulu, sur ma proposition, décider que pourraient être examinées les demandes de changement... En conséquence, je vous prie de faire connaître au préposé X qu’il lui appartient de formuler telle demande. Je me plais à espérer que cet agent saura, dans l’avenir apprécier la mesure d’exceptionnelle bienveillance dont il pourrait ainsi être l’objet. » Le rédacteur affirme ensuite que c’est le ministre, « assailli de protestations de tous les côtés contre les actes de démence de M. Chaudun, qui l’a invité à faire les actes de réparations nécessaires. »11
27Quelque mois plus tard, L’Action douanière rapporte ainsi l’incident qui a amené la rupture des relations avec Pierre Chaudun : « Lors de l’audience du 17 octobre 1930, pour avoir déclaré que puisque l’Administration s’obstinait à couvrir, au nom de principe d’autorité et contrairement à tous sentiment de justice, des actes nettement caractérisés d’arbitraire, il ne restait plus au syndicat qu’à s’adresser au Parlement, M. Chaudun invita les délégués à sortir.
28 « Depuis cet incident, le bureau syndical n’a plus rencontré M. Chaudun. Celui-ci ayant déclaré à un groupe parlementaire qu’il considérait l’incident comme clos et qu’il était prêt à répondre aux demandes d’audience, le bureau n’a pas sollicité d’entretiens dont il est assuré d’avance qu’ils ne peuvent être guère utiles étant donné les sentiments que professe à l’égard des brigades l’actuel Directeur Général.
29« Le Congrès dira l’attitude qu’il conviendra d’adopter à l’avenir dans nos rapports avec le chef de l’Administration. La conviction du bureau est que mieux vaut renoncer à tous rapports, s’il ne doit pas être permis aux représentants de notre groupement, d’exprimer en toutes circonstances les sentiments du personnel touchant les problèmes si nombreux et si pressants qui le préoccupent. »12
30Cette interruption de toute relation directe allait durer jusqu’au départ de Pierre Chaudun, le Syndicat du service actif se bornant à exposer ses revendications aux chefs de division concernés.
31Pierre Chaudun a été nommé membre bienfaiteur de la société des sauveteurs en mer pour avoir autorisé l’utilisation des vedettes des douanes en cas de risque de naufrage.
32C’est le 14 novembre 1936 que le directeur général des douanes cesse ses fonctions, et qu’il est placé en service détaché. Il est nommé président du conseil d’administration et directeur général de la Banque de Madagascar. L’arrivée au pouvoir du Front populaire a entraîné la fin de la gestion de Pierre Chaudun.13
33 L’Action douanière annonce l’événement en gros caractères et en pleine page, par un article dont voici un extrait : « Pierre Chaudun vient d’être limogé. Successivement magistrat, directeur du personnel et directeur général des douanes il devient banquier. Il est aussi qualifié pour ce dernier poste que pour les précédents. L’Action douanière se devait de marquer le départ de celui qui a provoqué la pire répression sur les militants de notre organisation et essayé, sans y parvenir, d’affecter notre syndicat.
34« Depuis Juin, c’est par dizaines qu’il faut compter nos demandes et celles du comité d’entente des syndicats douaniers fédérés à l’effet d’obtenir le résultat maintenant acquis. Depuis six années notre syndicat avait rompu toutes les relations avec M. Chaudun ». Et J. Métayer, le secrétaire du syndicat, d’ajouter : « Quel que fut le sujet que l’on eut à traiter devant lui, M. Chaudun ne savait ni écouter ni s’écouter. Malheur à l’interlocuteur qui s’en laissait imposer, il lui devenait impossible de placer un mot pour exposer l’objet de sa visite. »14
35Pour sa part, Neumeyer, annonçant dans L’Essor le remplacement de Pierre Chaudun par Louis Hyon, indique : « Du départ de M. Chaudun, nous ne dirons rien, notre silence aura, par lui-même, suffisamment de signification ».15
36Ce jugement semble trop sévère. Rappelons que Pierre Chaudun vécut l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire de la douane dans l’entre-deux-guerres. Notons qu’il a participé à la création de l’École des brigades et a été à l’origine du statut de la profession de transitaire.
37Outre son poste de président de la Banque de Madagascar, il est conseiller d’État en service extraordinaire et membre des conseils d’administration de la Banque d’Indochine, du Crédit foncier d’Algérie et de la Marseillaise de Madagascar.
38En 1937, il fait un séjour de six mois à Madagascar pour inspecter les différentes succursales de la banque. Il séjourne également à la Réunion.
39En 1940, la banque suit le gouvernement à Vichy puis à Bordeaux. Pierre Chaudun évacue dans sa voiture personnelle les titres déposés à la banque et les place dans une succursale ouverte par ses soins à Marseille (en zone libre). Laissant sa famille à Toulon, puis en Auvergne, il est obligé de remonter sur Paris où se trouve le siège de la banque. Cette séparation lui sera pénible et sa santé s’en ressentira.
40En 1947, il fait un second voyage à Madagascar qui, effectué cette fois-ci en avion, durera un mois.
41Lors de son départ à la retraite, il accepte, à la demande de Baumgartner, de devenir président du comité de contrôle de la caisse des marchés de l’État où il s’évertue à tempérer la fougue des polytechniciens qui en font partie.
42En 1954, il est amené à recueillir les enfants de son frère décédé. Il est très affecté par ce deuil. Il décède à Paris, le 23 octobre 1955.
43Son entourage a beaucoup d’admiration pour sa brillante intelligence, son sens de l’organisation et son dynamisme ; il apprécie sa modestie et estime qu’il a été soucieux du bonheur des autres.
Notes de bas de page
1 Le siège du tribunal se trouvait à l’hôtel Matignon, ancienne ambassade d’Allemagne dont le séquestre avait été levé.
2 Renseignements fournis par J. Clinquart et le Musée des Douanes de Bordeaux. Voir également la fiche de détail des services conservée au Service des archives économiques et financières. Madame Saint-Étienne, descendante de Pierre Chaudun, a fourni des détails sur la vie extra-administrative de son aïeul. Je lui adresse ici mes vifs remerciements.
3 L’Essor, n° 110, 1er avril 1930.
4 L’Action douanière, n° 6, 25 mars 1930.
5 L’Action douanière, n° 12, 25 juin 1930.
6 Cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de 1914 à 1940, op. cit., p. 304.
7 Note du 27 octobre 1930, citée par J. Clinquart, L’administration des douanes... de 1914 à 1940, op. cit., p. 344.
8 Annales des douanes, n° 69, 7 mai 1936, p. 280.
9 Actualité douanière, n° 18, 5 octobre 1936.
10 Arrêtés des 26 mars et 20 juillet 1936, cités par J. Clinquart, L’administration des douanes... de 1914 à 1940, op. cit., p. 310.
11 L’Action douanière, n° 5, 10 mars 1931.
12 L’Action douanière, n° 11, 10 juin 1931.
13 Après les nominations de trois directeurs généraux politiques sous la Restauration, voici une autre intrusion de la politique dans la gestion de la douane.
14 L’Action douanière, n° 21, 1er décembre 1936.
15 L’Essor, n° 204, 21 novembre 1936.
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