Louis Pierre Henry de Moüy (1887-1961)

Louis Pierre Henry de Moüy

1Le comte Louis Pierre Henri de Moüy est né à Paris le 20 novembre 1887. C’est le fils de Henri Robert de Moüy, né à Paris le 14 septembre 1855, conseiller d’État, et de Valentine Bernheim, née à Paris le 7 mars 1864, fille de Léon, avoué. Ses parents s’étaient mariés, à Paris, le 17 mai 1886.

2Louis Pierre de Moüy fait ses études dans la capitale. Il est lauréat du Concours général et obtient une licence ès lettres et une licence en droit. Il fait son service militaire dans l’infanterie, opte ensuite pour une carrière dans l’Administration et est reçu deuxième au concours d’auditeur à la Cour des comptes, où il entre le 19 juillet 1911. Il est nommé à la première classe, le 3 octobre 1913.

3Mobilisé du 1^er août 1914 au 30 mai 1919, il participe à la Grande Guerre et reçoit la croix de guerre avec une citation. Pour rester sur sa carrière militaire, précisons qu’il sera, par la suite, capitaine de réserve puis chef de bataillon de réserve, le 28 août 1923. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur, le 14 janvier 1922.

4Fin 1917, il a épousé Hélène Bascou, fille d’Olivier, préfet de Gironde. Celle-ci décédera le 8 avril 1919, à 23 ans. Il épousera en secondes noces mademoiselle Blanche Sagnol. Ils auront un enfant : Olivier de Moüy.

5À la fin de la guerre, il a été chargé, en Alsace, des services financiers du territoire de Donnemarie et a été nommé directeur général adjoint des Finances au commissariat de la République à Strasbourg. Après sa démobilisation, le ministre des Finances Klotz le charge de l’étude des questions relatives au rattachement administratif des provinces libérées. Après le vote de la loi fixant le statut provisoire de l’Alsace et de la Lorraine, qui a mis fin à sa mission, le successeur de Klotz lui confie le service des Portefeuilles au cabinet du ministre.

6La façon remarquable dont il s’acquitte de cette importante tâche a inspiré au ministre la pensée de l’attacher définitivement à l’administration centrale des Finances. Le 11 janvier 1921, il est nommé sous-directeur du Mouvement général des fonds. Le Journal officiel du 19 janvier donne le compte rendu de l’opinion du président de la Cour des Comptes et cite les propos de celui-ci : « Nous ne doutons pas que dans ce grand service, sur lequel les circonstances font peser de lourdes responsabilités, il ne soit à la hauteur de ses difficiles devoirs. »

7 La qualité de sa gestion entraîne sa nomination comme directeur de ce service, le 17 mars 1923. Il a alors 35 ans. Il n’a cessé, depuis son arrivée, de mettre en garde le gouvernement contre la politique d’emprunts illimités qui était couramment pratiquée. Comme ses prédécesseurs, il ne cesse de soumettre aux gouvernements successifs les très graves préoccupations que lui inspire la situation du Trésor et il préconise un ensemble de mesures qui forme, en quelque sorte, le programme du Mouvement général des fonds.

8Le 13 décembre 1923, il écrit à Lasteyrie, ministre des Finances du gouvernement Poincaré, en lui montrant que la situation du Trésor est désespérée et que la Banque de France a fait des avances occultes.

9Il se déclare « assuré qu’il ne sera apporté aucune amélioration à la situation des finances publiques ». Il signale que malgré cinq cents millions d’avance à l’État par les établissements de crédits, le Trésor allait ne disposer « d’aucune marge ni officielle, ni officieuse dans le jeu des comptes d’avances ». Il démontre alors qu’un nouvel appel aux banques est devenu nécessaire, « au moins pour dissimuler en partie la situation désespérée du Trésor à la veille d’un emprunt du Crédit national. »

10Il montre que le Trésor est obligé de demander aux mêmes établissements « de se substituer à lui pour faciliter le remboursement du Crédit National venant à échéance le 1^er février 1924 pour un montant de 1 700 millions. » Enfin, il déclare que « des indices nombreux et concordants lui permettent de penser qu’une campagne de panique, une sorte de plébiscite des porteurs de bons a été suscitée par le personnel administratif de la Banque de France, personnel dont la nomination est réservée au Gouvernement. »

11La crise est allée s’amplifiant, et si le ministre des Finances estimait que la Banque de France disposait de plus de moyens que le gouvernement pour soutenir à fond le « franc Poincaré », la Banque jugeait qu’il appartenait au seul gouvernement d’assumer cette responsabilité.

12Consulté par son ministre, Louis Pierre de Moüy a répondu qu’il n’avait aucune réserve de change à jeter dans la balance et que le peu de livres et de dollars qui se trouvaient au crédit du gouvernement, à l’étranger, avait une destination bien déterminée et devait demeurer intact.

13Finalement, c’est son point de vue qui a triomphé et c’est la Banque qui a négocié des crédits de change à Londres et à New York. Ce sont ces crédits qui ont permis de redresser énergiquement le cours de la monnaie nationale.

14À la mi 1924, le cabinet Poincaré est renversé. Le cartel des gauches se met à la recherche d’un ministre des Finances pour faire partie du cabinet Herriot. Devant la gravité de la situation financière, on a écarté la possibilité de nommer une personnalité politique et Édouard Herriot fait des offres à Louis Pierre de Moüy pour le ministère, puis pour un sous-secrétariat d’État au Trésor, enfin pour un secrétariat général de ce même ministère.

15 Les aléas de la politique ont rapidement mis un terme à ces propositions : le rôle primordial qu’il avait joué avait contrarié beaucoup de milieux financiers notamment dans le secteur bancaire et Pierre de Moüy est resté en poste.

16On peut aussi supposer qu’il était suspect de nourrir une tendresse insuffisante à l’égard du Bloc des gauches et qu’il avait gêné le gouvernement en continuant à exprimer des opinions et recommandations contraires à la politique financière gouvernementale.

17C’est à l’occasion d’une série de mutations qu’il se trouve nommé, le 17 décembre 1924, directeur général des douanes.

18Les Annales des douanes accueillent ainsi cette nomination : « En désignant, pour recueillir la lourde succession de M. Bolley, un homme de culture supérieure qui est dans toute la force de l’âge, le ministre des Finances a voulu sans doute montrer l’importance qu’il attachait à la rénovation des méthodes et à la modernisation des rouages du service des douanes. »1

19 L’Action douanière publie le compte rendu de la première audience du nouveau chef de la douane. Les délégués du Syndicat des agents du service actif s’expriment ainsi : « Malgré toutes les déceptions que nous avons déjà enregistrées, nous voulons espérer que M. de Moüy nous aidera très efficacement à faire de notre administration, qui fut si souvent pour nous une marâtre, une administration meilleure, plus humaine, plus juste envers son personnel. »2

20Le ministre consacre les mérites de Pierre de Moüy en le nommant officier de la Légion d’honneur le 23 juillet 1925. Il avait également été fait commandeur de l’ordre de Léopold (Belgique) et de l’Ordinali Corouna Romanici (Roumanie).

21Lors de sa nomination en douane, il était le benjamin de tous les hauts fonctionnaires des Finances.3

22Dès son arrivée en douane, il va s’attacher à mener à bien la réorganisation de l’administration, déjà bien entamée pendant le directorat d’Ernest Bolley. Il veut en particulier, entretenir de bonnes relations avec les syndicats. Il affirme qu’il est « de ceux qui pensent et qui disent qu’on ne pourra rien faire d’utile et de complet en matière de réformes sans leur concours ». Il précise que ce qu’il a étudié d’abord c’est la situation du personnel et qu’il a constaté, qu’en ce qui concerne les traitements, elle lui a paru insuffisante.4

23Aux représentants du service sédentaire qui ont insisté sur la nécessaire assimilation des douaniers aux personnels des directes et de l’enregistrement, il répond estimer que, d’après les renseignements en sa possession, cette assimilation se justifie pleinement. Il promet qu’il soutiendra cette thèse devant les ministres et les missions compétentes.5

24La faible durée de son séjour en douane ne lui a pas permis de procéder aux aménagements de carrière et de situation qu’il a envisagés. Il a néanmoins proposé une nouvelle échelle de traitement, considérée comme une étape vers l’assimilation avec les Directes et l’Enregistrement.6

25Le Syndicat des agents du service secondaire note que le directeur général, interrompant son congé annuel, est venu « exercer une heureuse influence par sa présence à Paris au moment où se débattaient les intérêts des agents des douanes. »

26Pierre de Moüy s’est préoccupé des conditions de travail dans les services extérieurs. Un mois, à peine, après son arrivée à la tête de la Douane, il décide de l’application à la douane du repos hebdomadaire, institué depuis déjà quatre années.

27À la suite d’une enquête rapide, il a constaté que, fréquemment, le repos hebdomadaire n’était pas accordé entre deux nuits libres et que les agents étaient obligés de rester à la résidence pendant leur repos. Il décide « que les agents pourront, désormais, disposer de leur journée de repos », sauf à prévenir le chef de poste s’ils s’éloignent de leur résidence. Il rappelle que la journée d’interruption de service doit se trouver comprise entre deux nuits libres.7

28Il a également préparé l’application en douane de la loi du 23 avril 1919 sur la journée de huit heures. Les négociations menées avec les représentants du service actif ont abouti à un accord qui a été mis en application par son successeur dès l’entrée en fonction de celui-ci.8

29Il a amélioré le régime disciplinaire en modifiant des sanctions ayant pour effet de frapper les agents dans leurs intérêts matériels : pour l’annotation, peine disciplinaire du premier degré, il a décidé « de conserver à cette punition, le caractère purement moral qu’elle devrait revêtir. »9

30Il a permis « aux inculpés de se faire assister ou représenter devant le Conseil de discipline, soit par un avocat, soit par un collègue, chargé de présenter verbalement leur défense ».10

31Pour accroître les effectifs disponibles pour la surveillance des frontières, il a confirmé l’interdiction de détacher des agents des brigades dans les bureaux, mesure perdue de vue dans de nombreuses directions.11

32Pour donner plus d’initiative et de responsabilité aux préposés des douanes, il a décidé que les rapports de ces agents seraient « rédigés non plus sous une forme sommaire, comme par le passé, mais détaillée afin que le chef de poste pût en tirer tous renseignements utiles ».12

33C’est au cours de son directorat que furent introduits dans les conseils régionaux et le Conseil supérieur de la masse, des délégués élus par le personnel qui auparavant, étaient désignés par tirage au sort.13

34Pendant son très court séjour en douane, Pierre de Moüy s’est penché sur les évasions de capitaux, qu’il avait eues à connaître au Mouvement général des fonds. La loi du 13 juillet 1925 a assujetti aux procédures et aux peines prévues en matière d’infractions douanières, l’exportation matérielle de capitaux jusqu’alors considérée comme délit de droit commun.

35Il a réagi contre « l’évasion fiscale pratiquée notamment par sortie de titres et de valeurs. »14 Le gouvernement ayant accordé l’amnistie fiscale aux personnes régularisant leur situation avant le 1^er janvier 1926, la douane a été chargée de viser les documents relatifs à de tels rapatriements.

36En matière de lutte contre la fraude et d’amélioration des perceptions douanières, il a fait appliquer par ses services, la Convention postale universelle de 1924 permettant aux agents des douanes de rechercher dans les correspondances les objets frappés de prohibition ou passibles de droits et taxes.15

37 Mais alors que plusieurs réformes sont mises en chantier, Pierre de Moüy donne sa démission au ministre des Finances. Serait-ce, comme il le dit au bureau syndical des agents du service actif, qu’il « n’abandonne l’Administration qu’afin de pouvoir utiliser le fruit de longues études auxquelles il s’est entièrement consacré ? »16

38Serait-ce qu’il ne veut pas « partager la responsabilité des mesures qui vont infailliblement être prises par des hommes si peu soucieux des grands intérêts du pays », comme l’affirme un journal d’opposition ?17

39Toujours est-il qu’il accepte d’entrer à la banque Lazard. Le journal Commentaires du 6 décembre annonce ainsi cette nomination : « M. Lazard fait appel au concours de M. de Moüy qui a quitté ses hautes fonctions officielles pour en prendre de plus hautes dans la haute finance. L’Égérie du Grand Financier disait l’autre jour en parlant de lui : – Enfin nous avons quelqu’un. »

40Le conseil d’administration du Syndicat des agents du service actif vote un ordre du jour consacré à cet événement et exprime ses regrets devant ce départ prématuré. Il adresse à Louis de Moüy « l’expression de la vive reconnaissance de ses 18 500 adhérents. Il constate que c’est le premier chef qui ait accueilli favorablement les revendications du personnel ; qui ait fait appel, dans un esprit de sincérité, à la collaboration du Syndicat et de ses Sections et qui ait manifesté par des actes son ferme désir de faire disparaître les servitudes nombreuses et abusives qui pesaient lourdement sur le corps des douaniers et contribuaient, presque autant que la situation misérable qui leur a été faite jusqu’à ce jour, à les diminuer fâcheusement dans l’esprit du public et à les priver de l’autorité morale indispensable à l’accomplissement de la mission difficile et ingrate dont ils sont investis par la loi. »

41Pierre de Moüy répond ainsi : « Je quitte le service des Douane avec le sentiment que je n’ai rien fait autre chose qu’entreprendre une œuvre de justice et de réparation. Ce sera l’honneur de ma vie administrative que le Syndicat des Douanes actives ait qualifié comme il l’a fait, cette entreprise. »18

42Le Syndicat des agents du service sédentaire n’est pas moins élogieux lorsqu’il déclare : « Nous n’avions jamais reçu aussi large et aussi bon accueil et son arrivée à la tête de notre administration avait eu pour effet de répandre dans tous les services une atmosphère autrement respirable que celle que nous avions connue précédemment. Un souffle d’air sain et frais avait passé par là. » Il poursuit en mettant en évidence « l’attitude nette et ferme qu’il avait prise, vis-à-vis de la situation du personnel pour le mettre au niveau des Directes et de l’Enregistrement. »19

43Pierre de Moüy, nommé directeur général honoraire en 1930, sera membre du Conseil supérieur des chemins de fer.

44Il aura une belle carrière bancaire : le 22 août 1927, il quitte la banque Lazard pour la Société Générale dont il sera le directeur général, le 2 juin 1932, puis le directeur général honoraire et vice-président en 1935, et enfin le président, le 10 novembre 1944. Après la nationalisation de cette banque, il en est un des administrateurs en 1953 et démissionne, en 1958, à 71 ans.20

45Entre temps, il est nommé commissaire du gouvernement à la Banque nationale française du commerce extérieur, administrateur de la Société française de banque et de dépôts (1933-1936), ainsi que du Crédit à l’industrie française (1936-1953) dont il deviendra président-directeur général ; administrateur également des Aciéries du Nord (1936-1941), de la Banque franco-polonaise (1938-1953), du Crédit national (1938-1953), de la Société générale alsacienne de banque (1939-1953), de la Compagnie générale d’électricité (1939-1953), de l’industrielle de matériel de transport (1941) et de Hotchkiss et compagnie (1941).

46À la fin de sa vie, et alors qu’il est âgé de soixante-quatorze ans, il est toujours président-directeur général de la Société anonyme de crédit à l’industrie française. Il est aussi administrateur des Établissements J.-J. Carnaud et Forges de Basse-Indre, de la Compagnie générale d’électricité, de la Compagnie générale d’électro-métallurgie, de la Société minière et métallurgique de Pennaroya, de la Banque franco-polonaise et du Crédit national.21

47Il décède le 15 décembre 1961 à Paris. Il était commandeur de la Légion d’honneur

48On peut estimer que, brillant haut fonctionnaire, le comte Pierre de Moüy a fait preuve, comme l’affirme le rédacteur des Annales des douanes, « d’extrême courtoisie, d’une largeur de vue et d’une grande bienveillance. Il s’est rapidement initié, grâce à de rares facultés d’assimilation, aux diverses branches du service des douanes. Il a pu déjà donner la mesure de son esprit sagement mais résolument réformateur ».22

49 Il n’est resté que dix mois à la tête de la Douane, son rôle aurait été plus important s’il y était resté plus longtemps.

50Sa longue carrière bancaire, étalée de 1925 à 1961, soit trente-six ans, a été très diversifiée. S’il est resté la plus grande partie de cette période à la direction de la Société générale, il a aussi animé de nombreux établissements bancaires et industriels. Dans ces domaines, il a déployé les qualités qui lui ont été reconnues par les douaniers.