Jean Ernest Bolley

1Jean Ernest Bolley est né le 23 septembre 1865 à Corbonod, dans l’Ain. Son père, Gaspard Bolley, né le 4 février 1829 à Colomieu (Ain), sous-brigadier des douanes au poste de Gignez, hameau de Corbonod, s’était marié le 25 novembre 1863 à Louise Élie Neyroud, ménagère, née le 1^er octobre 1843 à Lancrans (Ain).

2Ils eurent deux enfants, nés à Corbonod : Jean Alphonse né le 29 septembre 1864 et Jean Ernest. Ce dernier eut Ernest comme prénom usuel. Cependant, le prénom Jean lui est souvent donné dans certaines publications.1

3« Appartenant par son père à la grande famille douanière, il eut ainsi le privilège d’être élevé dans ces vieux principes de discipline, de droiture et de dévouement à la chose publique, qu’il voyait pratiquer sous ses yeux. Après de solides études classiques, il entra dans l’Administration à vingt ans, le 1^er février 1865 comme surnuméraire à Paris. Dès le début, d’éminentes qualités intellectuelles et morales le désignèrent à l’attention de ses chefs. »2

4Le 1^er août de l’année suivante, il fut titularisé commis et envoyé à Pontarlier au traitement annuel de 1 400 francs. Démissionnaire le 9 novembre 1886, il fut réintégré à Bordeaux le 1^er octobre 1887, et entra, le 1^er mai 1890, dans les bureaux particuliers du directeur, en qualité de commis attaché.

5Dans cette direction, il grimpa les différents échelons pour être affecté à Paris comme commis principal, le 1^er janvier 1897, avec un traitement de 2 800 francs. Quatre mois après, le voici rédacteur à l’Administration centrale.

6« Dans ce cadre élargi, ses qualités s’affirmèrent et lui valurent de gravir rapidement les échelons de la hiérarchie ». Les Annales des douanes ont rappelé : « Apprécié par Roussel, directeur à Bordeaux, celui-ci promu administrateur en 1896 ne voulut pas se séparer d’un collaborateur précieux et obtint sa nomination à la Direction Générale. C’est ainsi que, désigné par son seul mérite, le nouveau rédacteur prit place au bureau du tarif où devait se poursuivre sa carrière. »3

7Le 18 septembre 1901, il s’est marié à Corbonod, avec Marie Caroline Henriette Lagarde, dont il eut un seul fils.

8Rédacteur principal en 1901, sous-chef de bureau en 1906, chef de bureau en 1909, il atteint la première classe au traitement de 9 000 francs le 1^er novembre 1911. Il est chargé du bureau de la statistique commerciale et des tarifs étrangers.

9« Il se signale par de nombreuses et savantes études qui dès 1910, amènent le ministre des Finances, Klotz à se l’attacher comme chef adjoint de cabinet. »

10Les Annales des douanes rendent compte ainsi de cette désignation : « Nous sommes heureux d’adresser nos bien cordiales félicitations à M. Bolley, qui est un sympathique dans toute l’acception du mot, et nous ne doutons pas que cette désignation ne soit unanimement ratifiée. »4

11Deux ans plus tard, c’est sur rapport du ministre du Commerce et de l’Industrie, qu’il est nommé directeur des affaires commerciales et industrielles de ce département. Il y a été « désigné par sa connaissance approfondie de la législation douanière étrangère et, par sa collaboration à l’étude de toutes les questions économiques. »5

12« Si ardue que fût, à une époque de remaniement général de nos traités de commerce, la tâche à laquelle le nouveau directeur eut à faire face, elle ne le surprit pas et c’est en pleine possession des éléments de problèmes dont dépendait pour une part le salut des armées françaises que la guerre l’y trouva. Secondé par une confiance inébranlable dans les destinées de son pays, M. Bolley se consacra corps et âme à en ménager et en accroître les ressources économiques. La science, la compétence, la justesse de vues, dont il témoigna dans des circonstances redoutables, consacrèrent ses titres à des postes encore plus éminents : ils lui valurent, en 1915, d’être attaché au Conseil d’État. »

13Au ministère du Commerce, il participa à la préparation des divers projets de lois que le gouvernement dut déposer pour ménager et accroître les ressources économiques nationales au lendemain de la déclaration de guerre.

14Il prit part, notamment, à la refonte du tarif douanier de 1913 et à l’élaboration d’arrangements commerciaux avec l’Italie et l’Angleterre, aux côtés du ministre Clémentel, qu’il accompagna à Turin et à Londres. La compétence dont il fit preuve au ministère du Commerce, les avis éclairés qu’il prodigua dans diverses commissions de commerce et dans plusieurs commissions techniques justifièrent d’ailleurs sa désignation en mai 1915 pour le poste de conseiller d’État en service extraordinaire.6

15Par décret du 9 janvier 1918, rendu sur la proposition du ministre des Finances, il est nommé directeur général des douanes en remplacement de Jean-Marie Branet, appelé à d’autres fonctions.

16Avec l’arrivée d’Ernest Bolley est renouée la tradition rompue depuis trente-trois ans, qui plaçait à la tête de la douane un chef issu de l’Administration.

17Si les difficultés rencontrées par Ernest Bolley dans ses relations avec les organisations professionnelles ont peut-être – voire probablement – incité les gouvernements à nommer à sa suite des personnalités étrangères à la douane, on allait néanmoins avec Louis Hyon ainsi que, plus tard, Théodule Bossuat et Georges Degois, faire retour – pour les dernières fois jusqu’à nos jours – à la tradition susvisée.

18Le chroniqueur des Annales des douanes, dans l’annonce de ce retour à la tradition, conclut : « Quant au personnel, se sachant dirigé par un technicien qui a gravi tous les échelons de la hiérarchie et connaît mieux que quiconque les besoins et les aspirations de ses collaborateurs, il attendra de son initiative avec la plus grande confiance, des réformes qui s’imposent pour lui permettre de faire face aux exigences sans cesse accrues de la vie matérielle. »7

19Les premiers contacts avec les organisations professionnelles semblent positifs. Rendant compte de la première rencontre avec l’Union générale des agents du service actif, L’Action douanière a noté la bienveillance avec laquelle Ernest Bolley a accueilli l’exposé des délégués.8 Recevant les responsables de l’Œuvre des Orphelins des Douanes, Ernest Bolley a déclaré : « Une œuvre comme la vôtre devrait réunir l’unanimité du personnel. Je ne veux pas croire, d’ailleurs, qu’il existe un seul agent capable de vous refuser son adhésion ».9

20Le 8 juillet 1918, lors d’une audience, les représentants de la Fédération des syndicats des douanes l’ont remercié du concours qu’il leur a apporté, en faisant prendre le décret du 8 mai qui a alloué 10 % du produit des saisies à l’Œuvre des Orphelins.10

21Le nouveau directeur général avait une triple mission : continuer à mener la guerre économique menée contre les deux Empires centraux ; gérer les services amputés de plus d’un tiers de leur effectif et contribuer à une revalorisation des traitements, rendue indispensable par l’augmentation du coût de la vie ; enfin, préparer l’après-guerre tant au point de vue de la politique tarifaire que de l’organisation de la douane.

22Dans une lettre adressée au directeur de la comptabilité publique, au sujet de la fixation du traitement de début des douaniers, Ernest Bolley indique d’abord les raisons d’ordre général qui justifient l’élévation à 3 800 francs de ce traitement, primitivement fixé à 3 000 francs. Il ajoute : « Qu’il me soit tout d’abord permis de rappeler que, par sa nature même, le droit de douane est essentiellement fugace et que son rendement est en rapport direct et constant avec les qualités techniques et morales des fonctionnaires chargés de percevoir ou d’éviter qu’il ne s’évade. »

23Il rappelle ensuite qu’Adolphe Thiers avait déclaré que les douaniers assuraient à eux seuls la rentrée de plus d’un milliard d’impôt et, il pense que cette évaluation doit être au moins triplée. Il estime que les recettes douanières proprement dites doivent atteindre bientôt près d’un milliard et demi. Et il affirme : « Dès lors, les quelques cent millions que représentent les traitements proposés en faveur de ces agents, ressortent à un pourcentage des plus modiques par rapport au chiffre des perceptions garanties. Et il va de soi que, pour sauvegarder efficacement des intérêts aussi importants, il est indispensable que l’Administration puisse compter sur le dévouement et sur le zèle de ses agents. En sera-t-il ainsi si les espérances qu’on a fait naître sont déçues ? Ne faut-il pas craindre que le mécontentement n’engendre l’indifférence, pour ne pas dire plus ? Il est à redouter que ces questions angoissantes ne se posent demain avec brutalité.

24« Avant que soient prises des décisions qui peuvent avoir pour le Trésor des conséquences pécuniaires incalculables et entraîner des pertes infiniment supérieures aux économies qui pourront être réalisées sur les traitements, j’ai cru devoir appeler votre attention toute spéciale sur ce point. L’expérience que j’ai acquise du personnel des Douanes dont je connais la compétence, la loyauté et le dévouement, me fait un devoir de donner cet avertissement alors qu’il en est temps encore. La misère et les privations sont mauvaises conseillères.

25« À défaut de toute autre considération, l’équité seule conduit d’ailleurs à faire accorder aux agents des Douanes le traitement de début de 3 800 francs que je persiste à solliciter pour eux. Au point de vue de la fatigue endurée et des périls courus, le rôle des Douaniers n’est comparable à celui d’aucun autre fonctionnaire. Les assimilations que l’on a tenté de faire ont, jusqu’ici, été basées principalement sur le mode de recrutement ou le degré d’instruction des fonctionnaires avec lesquels les douaniers ont été mis en parallèle. C’est ainsi notamment qu’on a comparé leur rôle à celui des chasseurs forestiers ou des préposés des contributions indirectes. Or, si au point de vue du mode de recrutement ou du degré d’instruction, il y a quelque analogie entre ces diverses catégories d’agents, c’est se contenter d’un examen singulièrement incomplet et superficiel de leurs situations respectives que de se borner à ces deux termes de comparaison. Comment peut-on sans injustice passer sous silence les longues nuits de veille passées par le douanier à l’embuscade ; les factions prolongées sur les quais des ports et l’usure prématurée qui en résulte ? Qui ne connaît les attaques en bandes auxquelles les douaniers sont exposés de la part des fraudeurs armés et audacieux, les périls auxquels ils sont, de ce fait constamment en butte ? »

26Il poursuit en montrant la pénibilité des services qui use prématurément les agents, leurs actes de courage et de dévouement et les dangers courus. Il termine ainsi : « C’est pourquoi, alors même que des raisons d’ordre général que je n’ai pas à apprécier, nous conduiraient à abaisser à 3 000 francs le traitement de début des fonctionnaires, je vous serai obligé, Monsieur le Directeur Général et cher Collègue, de vouloir bien demander à Monsieur le Ministre des Finances d’admettre une exception en faveur des préposés et matelots des douanes et de consentir à fixer leur traitement de début à 3 800 francs. »11

27Cependant, les relations d’Ernest Bolley avec les représentants des brigades vont aller se détériorant. À peine arrivé en douane, il a eu à répartir un crédit exceptionnel d’un million de francs accordé dans le cadre du budget de 1919. Il a été amené à appliquer la décision du ministre des Finances, considérant que cet avantage ne revêtait aucunement un caractère permanent. L’Union générale estimant au contraire que cette amélioration de situation aurait dû être répartie sur les années suivantes, a imputé cette interprétation au chef de l’administration. Parallèlement, l’Union des agents du service sédentaire a reproché au directeur général la mise à l’écart de ce crédit du cadre secondaire des bureaux.

28Il semble pourtant que c’est à tort qu’un tel procès d’intention a été fait à Ernest Bolley qui, nous venons de le voir, a plaidé vigoureusement pour que soient récompensés, la compétence, la loyauté et le dévouement du personnel des douanes.

29Il ne s’était pas adressé au personnel lors de son arrivée en pleine guerre, mais devant les attaques de l’Union générale du service actif, il a estimé indispensable de faire une mise au point. Pour ce faire, il a utilisé le moment de l’annonce de l’importante réorganisation des services à laquelle il a travaillé depuis son arrivée à la tête de la Douane. Il commence par affirmer que s’imposait à lui le devoir de justifier la confiance du gouvernement : « Ne pas décevoir les espérances légitimes que le corps des Douanes pouvait fonder sur un chef sorti de ses rangs et, par cela même, bien placé pour connaître ses besoins et ses aspirations.

30« Pénétré de ces obligations, mon premier soin, au moment où j’assumais ma lourde tâche, fut de me livrer à une étude approfondie de l’organisation et du fonctionnement des services, à un examen attentif de la situation du personnel, au double point de vue matériel et moral. Dans ces deux ordres d’idées, la nécessité de modifications profondes et d’améliorations substantielles m’apparut immédiatement. Mais, quelque volonté que j’eusse d’aboutir, quel que fût mon désir de prompte réalisation, je devais compter avec les circonstances critiques que traversait le pays et qui n’étaient malheureusement pas propices aux importantes réformes envisagées. C’est ainsi que le Parlement avait été conduit à différer jusqu’à la fin des hostilités la révision, depuis longtemps reconnue indispensable, du statut et des traitements des fonctionnaires.

31« D’autre part, il eût été inopportun d’entreprendre une réorganisation, alors que du fait de la mobilisation générale, la marche régulière des services n’était que fort péniblement assurée. En attendant l’heure favorable, seules des améliorations partielles étaient réalisables et elles devaient tendre uniquement à parer aux difficultés grandissantes causées par la pénurie de personnel et à accélérer l’avancement, notablement ralenti par l’absence de retraites.

32« À ce dernier point de vue, le vote de crédits spéciaux permit de distribuer aux agents des bureaux et aux officiers, dans l’espace d’une année, un millier environ d’avancements. Parallèlement, des dispositions étaient prises pour atténuer la crise des effectifs, tant dans les services extérieurs qu’à la Direction générale. Le recours à la collaboration féminine, unique mode de recrutement alors praticable, aidait à combler en partie les multiples vacances existant dans les cadres et facilitait l’application des réglementations douanières, nouvelles et complexes, instituées au cours de la guerre. En même temps, le travail des bureaux de douane était allégé par la centralisation à Paris des dépouillements statistiques. Ces diverses mesures se traduisaient par la création d’emplois de dames auxiliaires, employées contrôleuses et sténo dactylographes. Enfin, la réorganisation des bureaux de l’administration centrale était réalisée en prévision de l’énorme tâche administrative, et économique qui devait incomber au service des Douanes dès la cessation des hostilités. » Il évoque ensuite les efforts du gouvernement pour relever les traitements des fonctionnaires et rappelle que c’est sur ses « interventions pressantes » qu’a été adopté le traitement de début de 3 800 francs.

33Il termine la description de cette importante réforme en ces termes : « La nouvelle organisation inspirée des leçons de l’expérience, réalise un ensemble de réformes et d’améliorations impatiemment attendues. À l’Administration elle procure une armature solide et d’autant plus indispensable que, de toutes parts, des nécessités surgissent auxquelles les moyens de faire face font momentanément défaut. Quant au personnel, il reçoit des augmentations de traitement considérables qui lui permettront de vivre honorablement. Mais nonobstant ces efforts dans l’ordre budgétaire comme dans le domaine de l’organisation, le but ne serait pas atteint si, du haut en bas de la hiérarchie, chacun ne se consacrait entièrement et uniquement à ses fonctions et n’apportait la collaboration confiante et dévouée sur laquelle l’Administration doit pouvoir compter.

34« Je ne doute pas que cet appel ne soit entendu. Chefs et agents comprendront toute l’étendue de leur devoir, ils auront à cœur de prouver, par un redoublement de zèle et par un dévouement absolu à l’intérêt public, que les sacrifices sans précédent que vient de s’imposer le pays sont, en ce qui les concerne, pleinement justifiés. »12

35Nous avons vu que l’Union générale n’a pas cessé ses critiques contre les positions de Bolley en matière d’avancement et d’indemnités. Les parlementaires membres du groupe de défense des intérêts des douaniers ont, pour leur part, critiqué à la tribune de la Chambre, les agissements du directeur général.

36Devant de nouvelles attaques proférées à l’occasion de l’examen des traitements des douaniers dans le budget de 1923, Bolley a protesté, à la tribune « contre les imputations portées contre lui, rappelant qu’il n’avait jamais eu de préoccupation plus grande que celle d’assurer le bien-être des agents et que, notamment, si le personnel des brigades débutait à 3 800 francs, c’est à lui qu’il le devait ». Dans la même séance, le ministre a rendu hommage au fonctionnaire éminent qu’était le directeur général, qui s’était toujours employé à assurer à son personnel l’avancement normal.13 Cette animosité des représentants des brigades allait s’accentuer tout au long du directorat, d’une durée de sept ans, d’Ernest Bolley.

37Son attitude réservée, le souci de sa dignité de chef, sa haine contre la paresse, l’indiscipline et l’hypocrisie rendaient de ce directeur général une image peu chaleureuse. Il a, vraisemblablement, tenu à garder ses distances avec les organisations professionnelles. S’il a dû souffrir des attaques portées sur la place publique et en être très irrité, s’il a pensé qu’étaient bien mal reconnus ses efforts pour l’amélioration des conditions matérielles des personnels douaniers, il a examiné et satisfait dans la mesure laissée par les contraintes budgétaires, les revendications qui lui étaient présentées.

Le syndicalisme

38La divergence de vue entre Ernest Bolley et les organisations professionnelles se confirma lorsque, en mai 1919, celles-ci, appuyées par la Fédération des fonctionnaires, décidèrent de se transformer en syndicats. En 1917 déjà, le conseil d’administration de l’Union générale du service actif avait décidé de mettre la revendication du droit syndical à l’ordre du jour du prochain congrès. Il avait alors affirmé : « Cette revendication qui est essentiellement d’ordre moral, domine et prime les questions d’ordre matériel. » Celle-ci a été confirmée par le congrès de juillet 1918.14

39Le 11^e congrès, tenu en mai 1919, a décidé de la transformation de l’Union en Syndicat après mure réflexion et, à l’unanimité, il a décidé l’affiliation à la Confédération générale du travail (CGT).

40La question était néanmoins posée de savoir si ce syndicat était légal et quel accueil allait lui être réservé par les pouvoirs publics.15

41En effet, des poursuites judiciaires furent engagées contre les dirigeants des deux syndicats des agents des bureaux et des brigades. L’Action douanière a élevé une vive protestation contre les poursuites devant les tribunaux.16

42Le garde des Sceaux a déclaré, en 1921 : « Toutes les fois que les syndicats de fonctionnaires se mettraient en règle avec la loi et se transformeraient en associations, les poursuites seraient abandonnées et des non-lieu rendus. »17

43C’est dans une ambiance troublée par de nombreux mouvements, dont des perturbations au défilé du 11 novembre 1921 et une grève tenue pour illégale par le gouvernement le 1^er mai 1920, qu’intervint la dissolution prononcée en mars 1922.

44Exécutant les consignes gouvernementales, Ernest Bolley avait signifié à ces organisations qu’il ne pourrait pas les reconnaître en tant que syndicats, mais qu’il acceptait de recevoir « les représentants autorisés du personnel. »18

45Au début des années vingt, la diffusion de la propagande syndicale fut interdite à l’intérieur des bureaux et des casernes. Les violations de cette interdiction firent l’objet de poursuites devant les conseils de discipline.

46En 1922, au cours du 2^e congrès du Syndicat national des agents du service actif, le secrétaire général Métayer a proclamé : « Le plus bel exemple de fermeté et de persévérance est à coup sûr, celui du Syndicat des douaniers, car depuis le jour où l’ordre de dissolution lui est parvenu jusqu’au premier arrêt de dissolution qui l’a frappé, ses effectifs se sont accrus de plus de 4 000 membres ». Il précise, à ce sujet, que les adhérents sont au nombre de 16 500.19 À noter que dans les motions de ce congrès, figure la suppression de l’organisation militaire des brigades.

47En 1924, c’est l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches qui amena aux fonctionnaires la reconnaissance du droit syndical, mais le gouvernement d’Édouard Herriot leur refusa le droit de grève.

48Une scission syndicale intervient fin 1927 et donne naissance à la CGTU. Si le Syndicat des agents du cadre sédentaire et celui des officiers restèrent fidèles à la CGT, il n’en fut pas de même du Syndicat du service actif, dont le VII^e congrès rejeta l’adhésion à la CGT et se prononça pour l’autonomie.20

49Le 8^e congrès décida l’adhésion à la Fédération autonome et résolut d’apporter tout le concours du syndicat à la défense des petits personnels.21 Ce syndicat fut à l’origine de la création de la Fédération autonome des fonctionnaires qui poursuivit son existence jusqu’en 1936, année qui vit la fusion de la Fédération autonome et de la CGT.

50À côté des syndicats du service actif et du service sédentaire s’étaient peu à peu créés des syndicats catégoriels. Celui du cadre supérieur avait vu le jour en réaction à la politique suivie par le Syndicat du service sédentaire, trop préoccupé, aux yeux des cadres supérieurs, par la défense du cadre principal.

51Il en était de même du Syndicat des sous-officiers : ceux-ci s’estimaient défavorisés par la situation qui les opposait quotidiennement aux agents d’exécution, alors qu’ils subissaient eux-mêmes la pression de leur hiérarchie. Il y avait enfin le Syndicat des officiers qui, eux aussi, jugeaient indispensable de défendre dans une organisation spéciale, leurs intérêts catégoriels.

52S’agissant de l’Œuvre des Orphelins, symbole de la solidarité agissante des personnels douaniers, la lecture des comptes rendus des assemblées générales annuelles, insérés notamment dans L’Action douanière, marque une activité importante.

53Procédant du même idéal de solidarité, le Syndicat des agents du service actif prépara la fusion des diverses mutuelles qui s’étaient créées dans de nombreuses régions. Le 7^e congrès de 1927 examina les statuts de la « Mutuelle centrale du syndicat national des agents du service actif des douanes ». Animé du désir d’établir des liens entre syndicalisme et mutualité, il adopta une disposition qui prévoyait que : « Seuls peuvent faire partie de la Société, les adhérents du SNASAD, ayant acquitté le droit d’entrée et assurant régulièrement le paiement de leur cotisation. »22

54Cette mutuelle fut en définitive créée par les syndicats majoritaires et il fut de bon ton d’adhérer en même temps à un de ces syndicats et à la Mutuelle des douanes.

55Par la suite, une mutuelle rivale fut fondée, appelée Mutuelle générale, dont les adhérents refusaient la tutelle syndicale sur la mutualité.

56Mais revenons au directorat d’Ernest Bolley. S’il s’est employé au relèvement des traitements, il lui a également fallu défendre la Douane contre les attaques venant d’horizons divers.

57À peine entré en fonctions, il a dû étudier une proposition de loi ayant pour objet le rattachement de la direction générale des Douanes au ministère du Commerce. Le député Tournade affirmait que les questions douanières étaient traitées dans un trop grand esprit de fiscalité et pensait qu’au ministère du Commerce, elles seraient plutôt examinées du point de vue de l’intérêt du commerce français en général.

58Dans une note au ministère des Finances, Ernest Bolley signale que la Douane « au lieu d’apporter dans l’exécution de la tâche qui lui est confiée, une mentalité exclusivement fiscale, ne manque pas de tempérer, autant que faire se peut, l’application des règlements, parfois sévères, qu’elle a mission de faire respecter. » Il souligne que dans de nombreuses circonstances, les redevables ont publiquement rendu hommage à l’esprit libéral et bienveillant, avec lequel la direction générale assure l’exécution de ses règlements. Il conclut son rapport par un rejet de la proposition de loi qui lui a été soumise.23

59Son ancien collaborateur, Schaeffer, estime : « Ernest Bolley avait le noble souci d’assurer à l’Administration des Douanes, à laquelle, on doit y insister, il était passionnément attaché, une situation morale de premier plan. Ceux qui autour de lui, ont connu les heures difficiles de l’après-guerre alors que les questions économiques soulevaient, dans leur mouvance, tant de délicats problèmes ayant fréquemment un aspect douanier, savent avec quelle autorité M. Bolley affirmait, dans tous les milieux, une maîtrise dont il entendait que le service des Douanes et son personnel recueillissent le juste bénéfice matériel et moral. Au reste, la place considérable qu’il tenait dans les grandes commissions interministérielles témoigne avec éclat de cette autorité faite d’une exceptionnelle valeur et d’une rare compétence. »24

60Les Annales des douanes ont procédé à une étude de cette question s’étendant sur deux numéros et concluent au maintien de la Douane au sein du département des Finances. Il n’en est pas de même de l’Union générale des brigades qui espère obtenir du ministère du Commerce les mêmes avantages matériels que ceux accordés aux agents des Postes : amélioration des installations douanières, élévation des traitements, allocations d’indemnités diverses pour travaux de nuit, de jours fériés, etc.25

61Par ailleurs, Ernest Bolley a participé en personne aux négociations douanières internationales. C’est ainsi qu’il a été désigné pour prendre part, comme premier délégué de la France à la Conférence internationale sur les formalités douanières, tenue fin 1923 à Genève. Il a pris une part très active et souvent prépondérante aux travaux qui ont conduit les Etats contractants à s’engager à entreprendre une révision de tous les règlements en vigueur, pour éliminer les formalités douanières ou similaires « qui seraient excessives, inutiles ou arbitraires. » Il a fait prendre une résolution selon laquelle les tarifs nouveaux ou les modifications tarifaires devraient être notifiés par chaque état au Bureau international de Bruxelles. Le régime établi pour les voyageurs de commerce a fait l’objet de règles inspirées par Ernest Bolley. La convention a également recommandé la simplification des formalités afférentes au dédouanement rapide des marchandises, à la visite des bagages des voyageurs, au régime des entrepôts, à celui des expositions etc.26

62Ernest Bolley a fait partie de nombreux organismes : en 1913, commission interministérielle de l’étude des modifications à apporter au régime douanier des zones franches ; en 1917, commission de révision des droits de sortie, alors qu’il était directeur au ministère du Commerce ; en 1918, comité de restriction des approvisionnements et du commerce de l’ennemi, commission interministérielle de l’aéronautique civile, commission sur la navigation aérienne ; en 1919, commission de l’Exposition internationale des arts décoratifs, comité du commerce extérieur, commission économique de la Conférence de la paix et commission des réparations des dommages de guerre, commission de contrôle des primes à la filature de la soie ; en 1922, commission chargée de l’étude des mesures à prendre pour venir en aide à l’armement, commission chargée d’élaborer un programme de la carbonisation en France.

63Ernest Bolley a reçu de nombreuses distinctions et décorations : officier d’Académie le 10 février 1901, il a été nommé officier de l’Instruction publique le 19 février 1919, et officier du Mérite agricole le 5 août 1921. Chevalier, puis officier de la Légion d’honneur le 19 février 1919, il a été promu au grade de commandeur, le 8 août 1923.27

64Il s’est vu attribuer la médaille douanière : honneur insigne dont un seul de ses prédécesseurs, Pallain, avait été jugé digne.

65Mais si son œuvre à la direction générale lui valait la considération de ses collaborateurs et l’estime des milieux du commerce et de l’industrie, il n’en était pas de même des agents du service actif et de leur syndicat. Le différend, né de l’affaire du « Million », s’était amplifié au fil des années et, en 1924, L’Action douanière s’exprimait en ces termes : « La question s’est posée au 4^e congrès de la passivité voulue du Directeur Général, Bolley, qui a toujours systématiquement saboté les revendications nées de notre vie syndicale ! »

66Le personnel fédéré qui représentait 19 750 agents a décidé à l’unanimité « qu’il apparaissait indispensable qu’à la tête d’un service public comme celui des douanes ne soient placés, que des hommes, que leur passé désigne comme qualifiés pour sauvegarder les intérêts du pays et assurer la défense des droits d’un personnel dont le sentiment du devoir a été proclamé en maintes circonstances à la tribune du Parlement ». L’éditorialiste, rendant compte du congrès, indiquait : « L’actuel directeur général ne jouit plus de la confiance de ses agents d’exécution qui se refusent à collaborer avec lui. »

67C’était la Fédération douanière, réunissant les deux syndicats, qui demandait le remplacement d’un directeur général « qui, au cours des dernières années, a marqué au personnel des services extérieurs une hostilité croissante et évidente, alors qu’issu des rangs les plus humbles de la famille douanière, ce chef aurait dû faire preuve à son égard d’un large esprit de justice. »28

68Déjà en 1922, La Tribune du fonctionnaire, après avoir rappelé la sévérité de sa répression contre les douaniers du Havre qui avaient participé, en tenue, au défilé du 1^er mai 1920, s’était exprimée comme suit : « M. Bolley est connu pour sa brutalité. » Le rédacteur rappelait ensuite que le directeur général n’avait pas « encore cru devoir passer l’éponge sur ces faits déjà anciens et que certains agents, punis en 1910, n’étaient toujours pas réintégrés. »

69S’adressant à Ernest Bolley, le rédacteur affirmait : « Soyez pourtant persuadé que, si dans votre retraite que nous souhaitons très prochaine, vous emportez la considération des magnats de l’industrie qui ont su obtenir, grâce à votre concours, des tarifs douaniers très protecteurs, vous n’aurez pas la sympathie de la très grande majorité de votre personnel. Votre orgueil a tué en vous tout sentiment de bienveillance, vous pouvez partir, vous aurez tout fait pour ne pas laisser de regrets ».29

70L’Union générale du service actif n’était pas en reste dans ces déclarations d’hostilité envers le directeur général. Le départ de celui-ci était devenu inéluctable, étant donné l’influence grandissante des organisations syndicales sur la conduite de l’administration par le gouvernement.

71C’est un décret du 17 décembre 1924 qui nomme Ernest Bolley conseiller-maître à la Cour des comptes. Un décret du même jour nomme Louis de Moüy au poste de directeur général. Pour adoucir son départ, un arrêté élève son traitement, qui était de 30 000 francs depuis le 1^er avril 1921, à la somme de 40 000 francs à compter du 1^er janvier 1925. Sa cessation de fonctions est prévue pour le 17 janvier. Rendant compte de cet événement, les Annales des douanes rappellent qu’il a dirigé la Douane pendant une période de sept ans, marquée par les nombreuses difficultés de l’après-guerre. Le chroniqueur poursuit : « Les témoins impartiaux de sa gestion seront unanimes à reconnaître qu’il fut un technicien de premier ordre, un travailleur infatigable, un défenseur vigilant des intérêts de l’Administration et du personnel ». Il termine en affirmant que ce départ laissera des regrets profonds.30

72Un décret du 31 décembre 1924 nomme Ernest Bolley, appelé à d’autres fonctions, directeur général honoraire.

73Avant de cesser ses fonctions, il réunit le 16 janvier suivant, dans l’antichambre de son cabinet, le personnel de la direction générale pour lui faire ses adieux. C’est Maljean, doyen des administrateurs et respecté de tous, qui lui exprime la reconnaissance de tous ses collaborateurs et dresse le schéma qu’il qualifie de trop raccourci de l’œuvre accomplie. « Les sept années que vous avez passées à la tête de la Direction Générale ont été marquées par des faits et des réalisations sans précédents dans le territoire de la douane française, et probablement de toutes les douanes du monde. Réorganisation complète des services, accompagnée d’une notable augmentation des traitements et indemnités ; révision pour ainsi dire instantanée de notre tarif douanier, d’abord par des surtaxes ad valorem et ensuite des coefficients ; mise en œuvre d’un nouveau régime conventionnel hérissé de complication et de difficultés ; réfection de nos ouvrages de douane ; éditions multipliées du Tableau des droits dans l’intérêt du commerce aussi bien que du service ; occupation douanière de la Sarre, de la Rhénanie, de la Ruhr ; suppression des zones franches ; reconstitution d’une France douanière sans amputation ; adaptation et extension des statistiques commerciales en vue du nouvel état des choses ; institution d’une école professionnelle de visite ; préparation d’une nouvelle amélioration des traitements enfin, mesures diverses ayant eu pour résultat de rénover et de développer différents services. »

74Dans sa réponse, Ernest Bolley a rappelé la joie avec laquelle il était revenu dans cette maison qui était la sienne et qu’il avait quittée pendant six ans mais à laquelle il demeurait attaché par tous les liens du cœur. Il ne se dissimulait pas alors les difficultés de la tâche qu’il allait avoir à remplir, mais il était soutenu par la pensée qu’il serait secondé par des collaborateurs, sur la compétence, le zèle et le dévouement desquels il savait pouvoir compter. De fait, cette collaboration fidèle et dévouée ne lui a jamais manqué. Il s’est déclaré heureux de le reconnaître en termes élevés, et a tenu à rendre hommage au personnel des Douanes, plus que tout autre, guidé par le sentiment du devoir.

75Il a exprimé ses regrets de n’avoir pu parachever l’œuvre qu’il avait entreprise et à l’accomplissement de laquelle il avait mis tout son cœur. En ce qui concerne la partie de cette œuvre qui tendait à améliorer le sort du personnel, il a eu conscience d’avoir fait tout ce qu’il était possible de faire, eu égard aux circonstances. Il a terminé en remerciant ses collaborateurs et leur a demandé : « Ayez parfois une pensée pour votre ancien directeur général, quant à lui, il ne vous oubliera jamais. »31

76Les précisions données par le doyen des administrateurs donnent une description complète de l’œuvre d’Ernest Bolley, pendant les sept ans de son directorat. Rappelons l’animosité des organisations syndicales et plus particulièrement, celle du Syndicat des brigades. Comme l’affirme Jean Clinquart : « Rétrospectivement, cette animosité paraît largement infondée. »32

77En tenant compte des différentes actions énumérées par Maljean, l’on peut conclure qu’Ernest Bolley a été un bon directeur général. Les circonstances et les contraintes budgétaires ne lui ont pas permis d’améliorer le sort du personnel aussi complètement qu’il aurait été souhaitable, mais il a, dans ce chapitre comme dans d’autres, manifesté la meilleure bonne volonté.

78Conseiller-maître à la Cour des comptes, il aura certainement marqué dans cette haute assemblée sa très grande puissance de travail, son haut sentiment du devoir, constamment hanté qu’il était, par le souci de toujours faire mieux pour l’intérêt public.

79Il prend sa retraite et sera nommé conseiller-maître honoraire par décret du 1^er juillet 1934. Il se retire à Valence-sur-Baïse (Gers) où il avait célébré son mariage le 10 avril 1901. Il y décède le 3 septembre 1938. Il laisse sa femme et un fils.