Marcel François Delannay

1Marcel François Delanney est né au Mans, le 23 avril 1863. Son père, Hippolyte François, né le 20 février 1826 à Pont-Audemer, sorti premier de l’École centrale des arts et manufactures, était agent voyer départemental. Il avait épousé, au Havre, une Gravillaise, Emma Alexandrine Verdière, née en 1835.

2Après un baccalauréat de lettres, le jeune Marcel fait des études de droit et obtient sa licence. Il est admis à l’École des sciences politiques d’où il sort grand lauréat.

3Fin 1883, il entre comme attaché au ministère de l’Intérieur, où il est affecté au service de la Corse. Ses appointements s’élèvent à 2 100 francs. Il devient rédacteur de 1^re classe le 1^er mai 1889 et rédacteur principal le 1^er février 1892. Sous-chef de bureau le 1^er mai 1896, au traitement de 5 000 francs, il devient chef de service de l’Algérie le 1^er septembre 1898.

4Le 18 mars 1899, il est chargé des délicates fonctions de secrétaire du gouvernement général de l’Algérie. Son traitement fait un bond, pour atteindre 20 000 francs.

5Par ailleurs, son dévouement est récompensé. En effet, c’est à 35 ans qu’il est nommé chevalier de la Légion d’honneur, le 23 août 1900.

6Il se marie le 27 septembre suivant à Julie Joséphine Marthe Berger, née le 31 mars 1868 à Vieux-Tann. Trois garçons – Louis, François et Jacques – seront les fruits de cette union.

7Son séjour outre-mer sera très court puisqu’il embrasse la carrière préfectorale le 4 décembre 1900. Il est nommé préfet de l’Ariège, puis il occupera successivement les préfectures de la Sarthe le 31 mai 1902, celle de la Corse le 5 septembre 1904, et terminera par le département de la Haute-Vienne le 12 mai 1905. Il sera préfet honoraire le 8 décembre 1906 et officier de la Légion d’honneur le 31 du même mois.

8Le 1^er décembre 1906, il est nommé directeur général de l’enregistrement, des domaines et du timbre. Il va être rapidement retiré de ce poste pour être nommé, le 6 avril 1907, directeur général des douanes avec un traitement de 25 000 francs.1

9Le gouvernement et le ministre des Finances ont constaté que le titulaire de cette direction, Fernand Brunet, n’a pas réussi à calmer les récriminations de son personnel. Par ailleurs une campagne de presse virulente est entreprise par les journaux L’Humanité et L’Action contre le directeur général des douanes et risque de nuire à l’action gouvernementale.

10En effet, le service des Douanes doit être réorganisé et il est apparu nécessaire de « faire appel à un caractère plus fortement trempé que celui de Brunet et à une volonté capable de s’imposer aux éléments les plus conservateurs de l’établissement douanier ».2

11Le 6 avril 1907, c’est Delanney qui est choisi, car dans les diverses fonctions qu’il a occupées, il a donné « la mesure de sa puissance de travail et de ses rares facultés d’assimilation. Son intelligence et son esprit de décision s’alliant à une grande fermeté de caractère le désignant au choix du Gouvernement ».3

12Il connaît les difficultés qu’ont eues ses prédécesseurs, devant la montée des revendications du personnel en matière de traitements d’abord, mais aussi en ce qui concerne la pénibilité des services.

13D’entrée de jeu, il profite de sa venue au congrès de l’Union générale des agents du service sédentaire pour apporter le témoignage de la bienveillance du ministre et pour tracer sa ligne de conduite. Il rappelle d’abord que les organisations professionnelles sont admises à faire entendre leur avis sur les mesures susceptibles d’améliorer la situation des agents des douanes. Puis il précise qu’il ne faudrait pas que ces discussions et prises de position entraînent une « méconnaissance des principes de la hiérarchie et de la discipline » et affirme : « Il n’est pas de grande institution chargée comme l’Administration des douanes, d’une tâche complexe et d’une action continue qui puisse subsister et remplir sa mission si l’ordre ne préside pas à son fonctionnement. À la tête, des chefs responsables sont et resteront toujours nécessaires. Si les chefs sont responsables, ils doivent être obéis. »

14Après avoir précisé que l’administration va chercher des économies susceptibles de relever les rémunérations du personnel, il termine en ces termes : « J’espère que ces diverses mesures, bien étudiées et mûrement réfléchies, aboutiront pour vous à des satisfactions qui ne seront peut-être ni immédiates, ni totales. L’élaboration en commun de ces projets aura du moins, cet inappréciable avantage d’affirmer l’intime et confiante collaboration qui doit exister entre chefs et subordonnés. Vous allez retourner à vos postes ; vous pouvez y entrer, je crois, avec la conscience d’avoir fidèlement rempli le mandat qui vous était confié. Permettez-moi de vous donner à mon tour une mission, celle de répéter à vos camarades que ma bienveillance leur est entièrement acquise comme elle l’est à vous-même.

15« J’ajoute que, si j’ai eu l’occasion, dans les différentes fonctions que j’ai précédemment occupées, de faire preuve de quelque énergie et de fermeté, c’est contre les adversaires, déclarés ou cachés, du régime républicain que j’ai eu surtout à cœur de les déployer. Cette énergie et cette fermeté, je ne saurais, désormais, en faire meilleur usage qu’en poursuivant, d’accord avec vous, la réalisation des réformes utiles au bien du service et nécessaires à l’amélioration de votre sort.

16« La confiance du Gouvernement m’a placé à votre tête ; je suis très heureux et très fier d’y avoir été appelé ; mon seul désir est d’y rester. Je considérerai, Messieurs, comme le plus grand honneur de ma carrière d’administrateur, d’avoir réussi, grâce au dévoué concours de tous les douaniers, chefs et subordonnés, qu’ils appartiennent à l’administration centrale, au service sédentaire ou au service actif, à rendre la Douane française toujours plus grande, meilleure toujours, dans un sens nettement républicain. »4

17Par décret du 16 octobre 1907, il est désigné « en qualité de commissaire du Gouvernement pour assister le ministre des Finances à la Chambre des Députés dans la discussion du budget de 1908 ». Cette désignation, courante depuis de nombreuses années, l’amène comme ses prédécesseurs en contact permanent avec la commission des douanes de l’Assemblée.

18Il y déploie sa faculté d’assimilation et son esprit méthodique et réussit pleinement à concilier les intérêts fiscaux et les tendances protectionnistes avec les exigences du commerce international.

19Les Annales des douanes rendent ainsi compte de son action, lors de la révision du tarif de 1910. « Le directeur général avait su apporter tant d’activité et de persuasion, tant de persévérance, et d’entrain que toutes les difficultés furent bien vite aplanies ; et, se faisant l’interprète des sentiments de ses collègues, le Rapporteur de la nouvelle loi vint rendre hommage, à la tribune de la Chambre à l’exquise urbanité du chef de l’Administration des Douanes et à sa connaissance approfondie des questions douanières ; il rappela en même temps les grands services rendus par lui à notre commerce et à notre industrie.

20« Par la distinction de ses manières, son affabilité et la franchise de ses allures, M. Delanney s’était ainsi créé au Parlement, une atmosphère de vive sympathie ; il ne manqua jamais de la mettre à profit pour réaliser les projets de réformes qu’il avait conçus et pris à cœur de faire aboutir. »5

21Pour sa part, Marcel Delanney se fait un plaisir de transmettre au service une lettre reçue du président de la commission des douanes qui déclare : « La Commission des Douanes me charge de l’agréable mission de vous adresser l’expression de sa gratitude pour la diligence que vous et vos services avez mise à lui faciliter la mission qu’elle s’était donnée.

22« Aujourd’hui que son œuvre est accomplie, que la loi de révision douanière est promulguée, elle tient à vous remercier officiellement du concours dévoué que vous lui avez personnellement rapporté.

23« Je suis heureux, Monsieur le Directeur général, de porter à votre connaissance ces marques de sympathie de la Commission et j’y joins mes remerciements personnels les plus vifs. »

24Marcel Delanney rajoute son sentiment : « Il m’est très agréable de transmettre, avec la présente circulaire, ce haut témoignage d’estime et de sympathie qui s’adresse aussi bien au personnel des départements qu’à celui du bureau central. La Commission sait, en effet, que les agents du service extérieur ont été fréquemment appelés à collaborer avec l’Administration aux travaux préparatoires de la révision et qu’en ce moment même ils doivent redoubler d’intelligence et de dévouement pour assurer la régulière application du nouveau tarif. »6

25En remplacement de Brunet, il a été promu, le 16 avril 1909, conseiller d’Etat en service extraordinaire. Il a participé activement aux travaux de cette haute assemblée ainsi qu’en témoignent les Annales des douanes, au moment où il va quitter cette fonction : « Cette sympathie, M. Delanney la retrouvait encore au Conseil d’Etat, au sein de ces nombreuses commissions dont il était membre ou qu’il présidait. Apportant dans la discussion une ardeur convaincante et une combativité qui n’excluaient jamais la courtoisie, ses avis faisaient autorité, de même que ces objections judicieuses témoignaient de sa clairvoyance. On se rappelle avec quelle maîtrise il dirigea les travaux de la Commission chargée d’élaborer le nouveau régime de la Corse ; le rapport d’ensemble qu’il s’était réservé de rédiger lui-même vint mettre en pleine lumière la largeur de ses vues et des conceptions bien personnelles. »7

26Le voici chargé de mettre en application la réorganisation du service préparée par son prédécesseur. Il organise, le 6 mai 1907, les premières élections au conseil de discipline.

27Celles-ci vont se dérouler dans de bonnes conditions parmi les personnels du cadre supérieur, le service sédentaire et les officiers. Par contre, les agents des brigades vont suivre les consignes de leur Union générale et leur participation sera nettement moins importante.8

28Nous avons vu que le gouvernement a sèchement réagi à cette prise de position en retirant au service actif le bénéfice de cette nouvelle formule de la procédure disciplinaire.9

29Pour sa part, Marcel Delanney, désireux de calmer les appréhensions du personnel, fait publier le premier tableau d’avancement10 et inaugure une politique amenant la substitution de concours aux examens pour les promotions de grade et, dès juillet 1907. Il commence par instaurer un concours pour l’obtention du grade de sous-inspecteur en application du décret portant réorganisation du service des douanes et préparé par son prédécesseur.

30Nous avons vu qu’en 1908, Delanney a mis en place une importante réorganisation du service des Douanes.11 Les réactions ont été nombreuses. Les Annales des douanes, très proches de l’administration centrale, après avoir rappelé que leur rôle d’information s’est toujours situé dans le domaine technique et qu’elles ont laissé à des organes mieux qualifiés, le soin de traduire les vœux du personnel, se flattent d’avoir permis à leurs lecteurs d’établir des comparaisons entre le statut des douanes françaises et l’organisation des principales douanes étrangères. Ce journal a en effet publié des études, étalées sur plusieurs numéros, sur l’organisation des douanes de plusieurs pays européens.

31Le rédacteur poursuit : « Cette réforme s’imposait, il en est des administrations comme des sociétés : elles subissent fatalement la loi de l’évolution, et sous peine de voir leur organisation s’étioler, sous peine de subir une sorte de déchéance morale et de devenir improductives parce qu’elles ont été imprévoyantes, elles doivent se plier aux exigences de la vie moderne et mettre leurs différents rouages en harmonie avec les contingences qui les dominent.

32« Or la Douane n’a pas toujours été cet instrument souple susceptible, à la fois, de s’adapter facilement aux tendances économiques du moment et de satisfaire aux préoccupations d’ordre purement fiscal ; et si, dans ces derniers temps, on a cherché à faire circuler un peu de vie dans ses organes, il faut bien reconnaître qu’on n’a pu réussir à briser complètement le moule où elle s’est pour ainsi dire ossifiée pendant près d’un siècle. »12

33Ayant indiqué qu’il serait trop long d’analyser toutes les modalités du nouveau statut, il se borne à en indiquer les principales caractéristiques et affirme : « La dominante de la réforme est, sans contredit la suppression du surnumérariat. [...] La suppression radicale de ce stage non rétribué, constitue sans aucun doute la réforme la plus libérale et la plus décisive qui ait été accomplie depuis un siècle dans les régies financières. La répartition du personnel en trois cadres distincts répond aussi à une nécessité et satisfait la logique : il faut chercher évidemment dans la nature même des travaux impartis aux différentes catégories d’agents les motifs qui ont déterminé l’Administration à établir cette sélection.

34« Quant à la nouvelle hiérarchie du personnel, elle est constituée de telle sorte qu’il sera possible à tous les employés, sans distinction d’origine, de parvenir, par leurs propres mérites, aux grades les plus élevés : à ce point de vue encore, la réorganisation s’inspire de conceptions démocratiques. »

35Et les Annales des douanes de conclure : « La réforme vaudra donc surtout par son application. L’Administration, qui l’a conçue dans un esprit libéral et suivant les principes de la plus stricte équité, aura certainement à cœur d’en poursuivre la réalisation intégrale. Telle qu’elle apparaît, cette réorganisation des cadres nous semble répondre, dans ses modalités principales, aux aspirations du service, et si, sur certains points, elle ne peut pas échapper aux critiques d’esprits à tendances rétrogrades, elle sera certainement considérée par la majorité des agents comme une véritable rénovation de la Douane et comme une manifestation essentielle d’une évolution qui s’affirme dans un sens vraiment réformiste. »

36« Il aura donc suffit d’une volonté nettement manifestée pour faire sortir d’une trop longue léthargie une administration dont les rouages complexes ne s’adaptaient plus à l’objet même de sa mission. Aussi le personnel saura certainement gré à son éminent Directeur général d’avoir eu la perception très nette des nécessités de l’heure présente et d’avoir pu, malgré les difficultés de la tâche, revivifier en quelques mois les différentes parties d’un organisme suranné. »13

37Un journal, La réforme économique, rend un hommage marqué à la personnalité et à l’entreprise de Marcel Delanney. Après avoir félicité le directeur général des douanes pour « la vigueur et la ténacité avec lesquelles il s’est mis à l’œuvre, pour relever une administration tombée dans l’état d’abandon le plus complet », l’auteur de cet article envisage la réforme au point de vue économique. Celle-ci tend à une amélioration du recrutement et du choix des employés pour certains services.

38« Nous nous en réjouissons, dit-il, car un tarif ne vaut que par son application ; et le régime de protection, très limité quoi qu’en disent nos adversaires, que la France possède ne peut avoir d’efficacité salutaire que si les règlements sont scrupuleusement observés et les droits rigoureusement imposés.

39« Nous adressons volontiers nos félicitations aux auteurs de cette réforme. Ils ont donné la preuve de leur esprit d’organisation.

40« Ils ont prouvé aussi, en faisant une grande place au choix dans la désignation des avancements, qu’ils ne s’arrêteraient pas aux objections et aux criailleries de certains meneurs de groupements administratifs qui veulent exclure toute sélection basée sur le mérite et surtout sur les notes des chefs. Cela, c’est du courage et de la bonne administration. »14

41Au cours de son directorat, Marcel Delanney aura de nombreuses occasions d’expliquer aux organisations professionnelles les modalités et les buts de la réorganisation entreprise.

42En juin 1907, il explique, lors du congrès de l’Union générale du service sédentaire : « Je me contenterai de vous dire que le sentiment qui m’a animé, le but que nous avons cherché à atteindre, a été non seulement d’améliorer le fonctionnement de l’Administration, mais aussi de relever la situation matérielle et morale du personnel. Et, dans la détermination des éléments qui sont de nature à procurer ce résultat, nous nous sommes inspirés, en même temps que des traditions et de l’œuvre de nos prédécesseurs, des indications suggérées par l’Union générale. »

43Il ne se fait guère d’illusions quand il poursuit : « Nous sommes donc à la fin du mois de mai. Vous vous imaginez peut-être que de ce texte va sortir la félicité universelle, et que d’un seul coup la Douane va devenir la meilleures des institutions, dans le meilleur des mondes administratifs. Je sais que certains de vos collègues ont l’imagination assez puissante pour se figurer qu’il en sera ainsi, qu’une période de transition ne sera pas indispensable et que nous réussirons à obtenir des félicitations unanimes.

44« Ce serait, Messieurs, se leurrer d’illusions. Soyez-en convaincus, au lendemain de la publication du décret, beaucoup de gens bien intentionnés chercheront à semer l’inquiétude dans les rangs du personnel et à faire douter de l’excellence de l’œuvre accomplie. »

45Il exprime le désir de continuer à collaborer avec les organisations corporatives quand il déclare : « Je compte que votre collaboration avec l’Administration se continuera dans les conditions où elle a commencé, j’y trouverai cette satisfaction personnelle de donner un aimable démenti aux obligeants prophètes qui avaient déclaré que le glas des associations suivrait de très près mon avènement à la Direction générale des Douanes. »15

46Il marque encore sa volonté de dialoguer avec les associations corporatives quand il les invite à venir « lui demander tous les renseignements nécessaires préalablement à toute discussion ; il s’y prêtera toujours avec la plus absolue bonne grâce ; on évitera ainsi des pertes de temps et des controverses oiseuses... »16

47En 1908, il explique aux représentants de l’Union générale du service sédentaire des douanes, son intention bien arrêtée de constituer un cadre principal digne de remplir convenablement le rôle qui lui est dévolu. Il regrette d’avoir constaté que l’on a considéré que tous les emplois sont interchangeables. On remplace un commis principal à 3 500 francs par un surnuméraire. Il affirme qu’il n’en sera plus ainsi : « Le nombre des places du cadre principal et celui des emplois du cadre secondaire seront fixés par résidence. Lorsqu’une vacance aura lieu, l’agent qui sera appelé à la recueillir, devra aller la prendre là où elle se produira ». Il ne veut plus voir des employés qui ne savent pas se détacher de l’air du pays natal.

48Il déclare ensuite : « Il importe que les jeunes gens aillent perfectionner leur instruction administrative aux postes peu recherchés de la frontière où l’intensité du trafic est telle qu’elle leur permet de s’initier rapidement à toutes les branches du service. Plus tard, lorsque ces mêmes agents auront accompli un certain nombre d’années dans ces postes déshérités, ils pourront alors demander une résidence plus agréable et à leur convenance. »17

49Pour les changements de résidence, il affirme aux mêmes représentants qu’il veillera à faire appel au personnel qui, en des postes difficiles ou déshérités, a su donner la mesure de son dévouement. Il s’est refusé de nommer directement à Paris de jeunes sous-inspecteurs fraîchement issus de la Centrale, malgré le vif désir qu’ils en avaient manifesté. De même, il n’acceptera pas de titulariser sur place les surnuméraires de Paris, estimant que ces jeunes gens doivent d’abord aller apprendre leur métier aux frontières.18 En 1909, il peut affirmer qu’il ne restera bientôt plus aucun surnuméraire à titulariser.19

50Nous venons de voir que, de prime abord, les représentants du service sédentaire font confiance à Marcel Delanney et qu’ils auront à se louer de ses initiatives concernant leur situation matérielle. Le même préjugé favorable existe dans les relations entre Delanney et les représentants de l’Union générale des agents du service actif. Lorsque le directeur général fait commencer dans les directions régionales les travaux préparatoires à la grande réorganisation qui verra le jour en 1908, L’Action douanière s’interroge dans les termes suivants : « M. Delanney nous affirme qu’il étudie le moyen d’enrayer notre misère. Pourquoi ne le croirions-nous pas ?

51« Il est nécessaire de faire ici une constatation : Un directeur général quelconque a-t-il jamais mis sur le chantier des travaux semblables à ceux mis en place par M. Dellaney ?

52« Y en a-t-il un qui ait affirmé comme lui de la volonté de faire aboutir nos revendications pécuniaires et autres ?

53« Jamais Directeur général a-t-il paru animé comme lui de sentiments démocratiques vrais ?

54« Non, n’est-ce pas, ou ils furent rares et ne purent rien faire ayant à lutter contre la haute bureaucratie qui les entourait et qui, de tous temps, nous fut funeste. [...]

55« Oui, M. le Directeur général, nous vous faisons crédit, malgré nos souffrances, vous ne nous êtes pas suspect. [...] Nous verrons votre réelle énergie faire triompher à l’Administration des Douanes la cause des malheureux douaniers du service actif, que vous avez reconnue juste. »20

56Il va y avoir, cependant, un premier sujet de mécontentement devant le refus opposé par le directeur général à une demande du service actif. En effet, l’Union générale du service actif, après avoir pris acte des avancées importantes du projet de budget de l’année 1908 en matière de contribution à la masse, réclame aussitôt la suppression du premier versement appelé première mise de masse, fixée à 100 francs, somme particulièrement importante pour un débutant.

57En réponse, Marcel Delanney estime ne pas être en mesure d’accéder à cette demande et justifie sa position en rappelant les avantages apportés par la masse aux agents du service actif et en estimant qu’il ne convient pas de « lui enlever l’idée de mutualité ». Il estime qu’il serait injuste que « les jeunes sujets fussent admis à [en] bénéficier... sans faire le sacrifice d’aucun apport ».21

58Mais ce premier nuage est vite chassé. Il reste ensuite à faire avancer les questions non résolues par la réorganisation de 1908 et tout particulièrement à faire dégager des crédits supplémentaires, les économies induites par la réorganisation étant très insuffisantes.

59En mars 1909, lors de son quatrième congrès, l’Union générale des agents du service actif affirme dans son ordre du jour, à propos du directeur général, qu’elle « place en lui sa confiance pour demander au Parlement les crédits nécessaires pour obtenir les améliorations souhaitées ».

60Au cours de l’audience qui a suivi, les délégués ont mis l’accent sur « l’élévation des traitements, le rétablissement du concours pour les sous-lieutenants, la retraite à 25 ans de service sans conditions d’âge, l’augmentation du taux des indemnités de résidence ».

61Dans sa réponse, le directeur général affirme que le ministre Joseph Caillaux l’a autorisé « à leur dire qu’il se préoccupe activement de rechercher les moyens de leur procurer de nouvelles satisfactions mais qu’il est obligé de compter avec les nécessités budgétaires... Les délégués se sont retirés emportant la meilleure impression de cette entrevue ».22

62Marcel Delanney s’occupe aussi du bien-être de ses agents. Les Annales des douanes signalent une circulaire demandant aux directeurs des renseignements sur les défectuosités des casernements et les moyens d’y remédier. Un référendum va être organisé pour savoir si les agents sont favorables à l’adoption de vêtements en toile kaki d’un entretien plus facile que la toile écrémée.23

63En tant que directeur général des douanes, Delanney fait partie de plusieurs commissions destinées à éclairer le gouvernement dans son action, comme la commission supérieure de contrôle et de surveillance du Crédit maritime mutuel et des indemnités de résidence, ou le Conseil supérieur de la statistique, ou encore la commission permanente de la marine marchande.24

64Il fait faire de grands progrès à la statistique douanière, comme en témoignent les félicitations qui lui sont adressées lors d’une discussion à la Chambre sur la politique douanière de la France.25

65Par ailleurs, compte tenu des qualités qu’il a su mettre en évidence dans les postes difficiles qu’il a occupés et de son expérience en tant que préfet de la Corse en 1904 et 1905, il est nommé président de la commission ayant pour objet « de fournir un aperçu exact de la situation de la Corse et de proposer les mesures les plus propres à réaliser la réorganisation des services administratifs et le relèvement économique de ce département. »26

66La carrière d’un si bon administrateur ne pouvait s’arrêter au poste de directeur de ministère, quelle que soit l’importance qu’a encore la direction générale des Douanes et quel que soit le lustre que Marcel Delanney lui a rendu. En 1911, l’occasion se présente au gouvernement de confier à celui-ci un poste plus prestigieux.

67Le préfet de la Seine, M. de Selves, ayant été appelé à la tête du département de la Seine, c’est Marcel Delanney qui est choisi pour le remplacer dans cette haute fonction.27

68À l’annonce de son départ, L’Union générale des agents du service sédentaire rappelle qu’à sa dernière entrevue, le directeur général a indiqué avoir pris « des dispositions pour l’accélération de l’avancement et pour faire bénéficier sous peu le personnel sédentaire de 8 à 900 avancements ». Le rédacteur du Bulletin officiel de cette association donne son sentiment sur la personnalité du partant :

69« Malheureusement, M. Delanney quitte la Direction Générale des Douanes au moment précis où de nombreux signes laissaient apercevoir le parachèvement prochain de l’œuvre qu’il avait entrepris de réaliser il y a trois ans.

70« D’aucuns, victimes d’une intransigeance qui prenait sa source dans la conception qu’il se faisait du principe de l’autorité, ne lui pardonneront pas une sévérité parfois excessive pour des fautes légères qu’un simple avertissement aurait peut-être suffi à réprimer. D’autres, au contraire, bénéficiaires de largesses inaccoutumées, chanteront peut-être ses louanges sur un air dithyrambique si toutefois la reconnaissance est une de ces fleurs qui s’épanouissent encore librement sous notre soleil administratif.

71« Nous estimons, quant à nous, qu’il convient de se garder d’un excès de critique sans tomber dans une adulation exagérée.

72« M. Dellaney s’est trouvé en présence d’une douane débilitée à laquelle il a cherché à rendre le rang qu’elle doit normalement occuper parmi les régies financières. Désireux d’aboutir très vite, il fit paraître la réorganisation de 1908, qui portait les caractéristiques d’une réforme hâtivement accomplie. Bon nombre de camarades furent à jamais frappés dans leur avenir, tandis que certains virent s’ouvrirent devant eux une carrière brillante qu’ils n’avaient jamais espéré entrevoir.

73« On ne saurait suspecter cependant la sincérité de ses intentions d’améliorer le sort du personnel ; on peut même affirmer que ce fut une de ses constantes préoccupations. À notre avis, il se trompa seulement sur le choix des moyens. Se laissant séduire par les savantes combinaisons de théoriciens, il ne voulut pas voir la force réelle que porte dans son sein la démocratie travailleuse, et il ne réussit qu’à développer le sentiment de l’arrivisme chez quelques ambitieux au lieu de donner au labeur fécond et durable la place qui lui revient légitimement.

74« Il est permis de regretter qu’il n’ait pas consenti, dès le début à entretenir avec les associations douanières des rapports autres que ceux de chef à subordonnés. En faisant appel à une loyale collaboration du service d’exécution, il eût évité bien des froissements d’amour-propre inutiles chez un personnel découragé, victime d’une longue impéritie administrative, et qui n’en avait pas moins continué à donner des preuves constantes de son zèle et de son dévouement.

75« Il eut cependant le rare courage de convenir que son œuvre n’était pas parfaite, et il n’hésita pas à apporter de nombreux tempéraments à la rigueur des textes. Bien plus, il donna la mesure de son esprit de bienveillance et de justice, en s’employant, récemment encore, de tout son pouvoir et de toute son énergie, à réaliser l’amélioration des traitements à tous les degrés de la hiérarchie.

76« L’ensemble du personnel lui saura gré, malgré tout, des efforts qu’il n’a cessé d’accomplir pour répondre à ses aspirations les plus légitimes. »28

77L’Action douanière est plus nuancée : « Nous avons eu bien souvent à formuler des critiques contre certains actes de la gestion de M. Delanney. Mais du moins, on nous rendra cette justice que, nous nous sommes toujours exprimé avec la plus grande modération, dans un souci d’impartialité absolue.

78« Ce souci de l’impartialité nous fait un devoir de reconnaître que le passage de M. Delanney marquera dans l’Administration des douanes le début d’une période nouvelle. Esprit hardiment réformateur, M. Delanney ne craignit pas de porter le fer rouge dans les coins obscurs où cherche à se dissimuler la routine administrative.

79« C’est sous la gestion de M. Delanney que le personnel des brigades a obtenu les plus sensibles améliorations de son sort. La suppression de la masse d’habillement, la réforme du service de santé et de grand équipement et enfin les relèvements successifs des traitements constituent des avantages tels que les douaniers ne furent guère habitués à en recevoir de semblables dans une aussi courte période. Si l’Union générale doit beaucoup à elle-même, il faut reconnaître qu’en ce qui concerne l’obtention des trois derniers cinquièmes du crédit, M. Delanney s’est trouvé d’accord avec elle et que, dans la mesure où il lui était possible d’intervenir, il a joint ses efforts à ceux de l’Union générale.29

80« M. Delanney conservera donc une évidente supériorité sur ses deux derniers prédécesseurs : il a osé. Alors que les autres n’ont rien fait, il a voulu faire quelque chose et il a su imposer une réforme des plus importantes bien que quelques-unes de ses dispositions, comme, par exemple, la suppression du concours de la sous-brigade, aient été plutôt malencontreuses. [...]

81« La conscience corporative venait à peine de s’éveiller et de s’affirmer quand M. Delanney est arrivé à la Direction générale. Il a voulu voir dans la constitution de notre Union générale une tentative insurrectionnelle et alors qu’il acceptait de collaborer avec le groupement de nos camarades sédentaires, trop étroitement, certes, pour l’indépendance et l’avenir de cette association, il s’obstinait à ne considérer le premier effort des agents du service actif vers le rassemblement de leurs forces pour la défense de leurs intérêts, que comme une entreprise d’anarchie, à laquelle il devait déclarer la guerre, au nom de la discipline et de l’ordre qu’il synthétisait fortement. [...]

82« Voilà ce que le personnel des douanes ne pourra pas oublier.

83« Quelle tristesse qu’un homme de la valeur de M. Delanney ait méconnu l’esprit si profondément épris de justice des agents des brigades et la notion si claire et si raisonnée qu’ils ont de leurs devoirs envers la Nation ! »30

84Les Annales des douanes, journal très lié avec l’administration, renchérirent : « M. Delanney s’est en effet montré administrateur des plus habiles, et il a su donner la mesure d’un caractère énergique et d’une ténacité peu commune.

85« Son passage à la Direction générale des Douanes est venu consacrer d’une manière définitive sa réputation.

86« La gestion de ce grand service a permis à M. Delanney de donner à sa fonction un relief intense et un rare prestige. La dernière révision du tarif lui a surtout procuré l’occasion de faire apprécier par le Parlement des qualités très personnelles, c’est-à-dire son esprit de méthode et une puissante faculté d’assimilation.

87« Le Directeur général avait su apporter tant d’activité et de persuasion, tant de persévérance et d’entrain que toutes les difficultés furent bien vite aplanies ; et, se faisant l’interprète des sentiments de ses collègues, le Rapporteur de la nouvelle loi vint rendre hommage, à la tribune de la Chambre, à l’exquise urbanité du chef de l’Administration des douanes et à sa connaissance approfondie des questions douanières. Il rappela en même temps les grands services rendus par lui à notre commerce et à notre industrie.

88« Par la distinction de ses manières, son affabilité et la franchise de ses allures, M. Delanney s’était ainsi créé, au Parlement, une atmosphère de vive sympathie. Il ne manqua jamais de la mettre à profit pour réaliser les projets de réformes qu’il avait conçus et pris à cœur de faire aboutir ».

89Le chroniqueur poursuit : « La réorganisation de 1908, peut-être un peu trop hâtivement accomplie sous la pression des manifestations d’une légitime impatience, est venue rendre à la Douane le rang qu’elle n’aurait pas dû cesser d’occuper parmi les administrations de l’État. [...] Le service des Douanes s’est ainsi radicalement transformé en ces quatre dernières années, et s’il reste encore beaucoup de modifications à réaliser, pour répondre aux vœux du personnel, on est cependant obligé de reconnaître que sans les initiatives courageuses du Directeur général, sans cette activité laborieuse qu’il communiquait à son entourage, la route qui vient d’être largement tracée serait encore encombrée d’obstacles difficiles à franchir. [...]

90« Si parfois la critique s’échappait de ses lèvres, elle était toujours atténuée, dans la suite, par quelques paroles réconfortantes, car sous des dehors sévères et sous des apparences un peu rigides, M. Delanney cache un grand fonds de bienveillance et de justice.

91« Sans doute, il s’est fait de la discipline une conception qui heurte certaines tendances de l’heure actuelle ; mais, chez lui, ce sentiment procède uniquement de la notion exacte de ses responsabilités et du souci d’assurer la marche régulière des services.

92« Les réformes que M. Delanney vient d’accomplir en quelques années marquent une sérieuse étape dans la voie du progrès, et elles apparaissent à tout esprit impartial comme une œuvre de bonne foi et de sincérité. »31

93Une délégation de la Fédération douanière a été reçue par Marcel Delanney à la préfecture de la Seine où il venait de s’établir. Le compte rendu d’audience est ainsi présenté : « Le chef de la délégation a d’abord déclaré quelles traces profondes il laisserait dans la mémoire des douaniers. L’ancien Directeur général a répondu qu’il conserverait un souvenir ineffaçable de son passage dans l’Administration des douanes la plus belle de toutes les Administrations. »32

94Durant les quatre années de son directorat, Marcel Delanney a déployé toutes les qualités d’un grand administrateur. Nous venons de voir les appréciations portées par les représentants du personnel. Rappelons aussi qu’après la promulgation de la loi douanière de 1910, la Commission des douanes de la Chambre lui a exprimé « sa gratitude pour la diligence que [lui] et [ses] services [ont] mise à lui faciliter la Mission qu’elle s’était donnée ».33

95Ce sont les mêmes qualités qu’il déploiera à la préfecture de la Seine où il restera jusqu’en 1918. Il est alors nommé ambassadeur de France au Japon. Il perd son épouse la 19 octobre 1918 et prend sa retraite à Paris.

96Il décède dans la capitale, le 22 février 1944.

97Le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris annonce ainsi ce décès : « La Préfecture de la Seine, la Ville de Paris et le Département se doivent d’adresser un respectueux hommage à la mémoire de ce grand administrateur. Leurs services auront rarement reçu l’empreinte d’une personnalité aussi forte.

98« Animé d’un sentiment profond de l’autorité et de la discipline, d’un attachement rigoureux à toutes ses prérogatives, M. Marcel Delanney fut un chef dans toute l’acception du terme. Recherchant volontiers les responsabilités que comportait sa fonction, il a su lui donner un relief et un éclat qui ne sont pas près d’être oubliés.

99« Il devait à une exceptionnelle puissance de travail de contrôler avec ténacité tous les détails de la vie administrative, en même temps qu’il préparait avec une incomparable largeur de vues la solution des grands problèmes d’avenir.

100« Paris lui doit beaucoup, les grandes traditions de cette maison plus encore. Elle s’incline devant cette haute figure. »

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101Les lauriers tressés dans les paragraphes qui précèdent ont bien montré tous les aspects de la personnalité de Marcel Delanney et mis en évidence l’œuvre accomplie, tant sur le plan de la préparation de la réforme tarifaire que sur celui de la défense des intérêts de la Douane et des douaniers.

102Atténuons un peu le trait qui décrit « l’état d’abandon de la Douane » à son arrivée, ce serait faire injure à ses prédécesseurs. Chacun d’eux a essayé de sortir les douaniers de leur état de misère. N’ayant que peu d’espoirs de voir dégager les crédits nécessaires, ils ont pris, tout comme Delanney, des mesures tendant, grâce à des suppressions d’emplois, à augmenter les traitements du cadre secondaire. Nous avons d’ailleurs vu que Branet, son successeur, a lui aussi été amené à se pencher sans cesse sur ce problème. C’est une évidence que de dire que les contraintes budgétaires ont de tout temps pesé sur les salaires.

103Reste que la personnalité de Marcel Delanney paraît plus marquante que celle de ses collègues.