Georges Hilaire Bousquet (1896-1937)

Georges Hilaire Bousquet

1Georges Hilaire Bousquet est né à Paris le 3 mars 1841. Après des études de droit qui le mènent au doctorat, il s’inscrit au barreau de Paris où sa carrière sera brève.

2En 1873, il est envoyé en mission officielle au Japon en qualité de conseiller légal du gouvernement pour l’organisation de l’enseignement du droit. Il restera quatre ans à ce poste délicat et sera nommé, le 18 janvier 1878, rédacteur au ministère de la Justice et des Cultes aux appointements de 1 800 francs.

3Il sera nommé sous-chef de bureau, le 22 janvier 1879, au traitement de 3 000 francs, puis, chef de cabinet du sous-secrétaire d’Etat le 8 février suivant, avec 6 000 francs de rémunération.

4Il est rapidement choisi pour remplir les fonctions de maître de requêtes au Conseil d’État, le 24 juillet de la même année. Son traitement passe alors à 3 000 francs

5Le 13 avril 1885, il revient au ministère de la Justice comme directeur des Cultes avec un traitement de 15 000 francs. Il sera ensuite nommé conseiller d’État en service ordinaire le 3 juillet 1886. Il quitte la Justice pour revenir au Conseil d’État et est nommé directeur honoraire des Cultes le 26 septembre 1887.

6C’est au Conseil d’État que, le 1^er février 1898, on va le chercher pour le placer à la direction générale des Douanes que vient de quitter Pallain pour le poste de gouverneur de la Banque de France. Le traitement dont Georges Bousquet bénéficiera se monte à 25 000 francs. Il reçoit le titre de conseiller d’État en service extraordinaire le 7 février 1898.1

7S’il a cultivé, tout au long de sa carrière, ses aptitudes de juriste, le nouveau chef de la douane ne connaît rien à cette administration et n’a guère de connaissances en matière de commerce international.

8La circulaire annonçant sa nomination se veut flatteuse pour le personnel et modeste en ce qui le concerne. Il rappelle tout d’abord qu’il a appartenu depuis dix-huit ans au Conseil d’État et pense qu’en le choisissant parmi les vétérans du premier corps de l’État, le gouvernement a voulu affirmer le prix qu’il met aux services des douaniers et l’importance qu’il attache à leur rôle. Il se dit qu’il sait trouver en douane « le concours d’une armée, solide, éclairée, dévouée à ses devoirs professionnels et fermement attachée à la République. Le service des Douanes restera le gardien vigilant de nos frontières, l’auxiliaire infatigable des autres services publics, l’exécuteur inflexible, mais prudent des règlements, toujours attentif à terminer par des arrangements de la forme la rigueur inévitable des exigences légales ». Il termine en déclarant : « Quant à moi, je m’attacherai à persévérer dans les vues du Chef excellent qui a su vous inspirer les plus vives et les plus légitimes sympathies ».2

9Cette proclamation, un brin pompeuse, montre bien sa fierté d’appartenir au Conseil d’État.

10À son arrivée à la direction générale, il reçoit les principaux cadres de la centrale. À l’allocution de bienvenue du doyen des administrateurs, Magnier, lui demandant d’accorder sa confiance à ses collaborateurs et l’assurant qu’ils y répondraient par un entier dévouement, il répond en rendant « hommage au dévouement bien connu du service des douanes dont le personnel de l’administration centrale représente l’élite ». Rappelant les rumeurs précédant sa nomination, il évoque les vœux des agents qui s’étaient portés sur l’un d’entre eux et des plus dignes et rappelle qu’il n’a pas souhaité cette situation, et termine en disant que le personnel trouverait toujours en lui un chef disposé à rechercher le mérite et à le récompenser.3

11Les paroles du directeur ont produit le meilleur effet. La réalité, au long des quatre années qui vont suivre, viendra infirmer cette bonne impression.

12Saisissant l’occasion présentée par ce changement à la tête de la douane, J.-J. Roux, capitaine des douanes et directeur du journal La Douane et les forêts, suggère de réformer un système de surveillance datant de 1791, dont les trois quarts des efforts sont perdus : « le contrôle si essentiel de la garde, au lieu d’être confié au chef qui dirige, règle et commande le service à été réservé à des lieutenants, doublés de capitaines, doublés eux-mêmes d’inspecteurs qui par suite de leur éloignement des postes, sont dans l’impossibilité absolue de l’accomplir avec fruit. »

13Il réclame une diminution du nombre des directions et pense que, en remédiant à ce double défaut, les portes entrebâillées des frontières se fermeront, les paperasses inutiles disparaîtront, les recettes du Trésor s’accroîtront dans la mesure où les responsables s’affirmeront, et le nombre des contrôleurs se trouvant réduit au strict nécessaire, il deviendra possible, au moyen des économies produites par ces suppressions et sans demander un centime à l’État, d’égaliser les soldes des brigades de douane aux soldes des brigades de gendarmerie.4

14J.-J. Roux revendique, encore une fois, la parité douane/gendarmerie qui sera l’une de ses principales revendications.

15Mais Bousquet ne sait pas, ou plutôt ne désire pas se concilier les bonnes grâces de la presse corporative. Il ne saisit pas l’occasion d’obtenir celles du personnel, lorsqu’il refuse de proposer à l’amnistie consécutive à l’élection d’Émile Loubet à la présidence de la République, les sanctions prononcées pour des fautes professionnelles mineures. Il sera déjugé lors de la discussion budgétaire de mars 1899, quand le ministre prendra une mesure de clémence sur ce sujet.

16Jean Clinquart évoque sa maladresse au cours de la même session parlementaire : « Ayant à s’opposer à la prise en considération d’un amendement qui tendrait à améliorer la retraite des agents du service actif, le directeur général des Douanes commença par déplorer que " l’intérêt supérieur du Trésor " l’obligeât à combattre des propositions favorables aux " agents placés sous ses ordres " ; il convint ensuite que " la situation de ces modestes serviteurs [était] bien loin de l’opulence " : " C’est tout juste, dit-il, si le modique salaire que l’État leur attribue les met à l’abri de la gêne ". Jusque-là tout allait bien, et " l’armée de serviteurs dévoués qui gardent nuit et jour notre frontière économique avec autant d’abnégation, autant d’esprit de devoir et de discipline que notre armée nationale garde notre frontière politique ", cette armée aurait pu se croire soutenue par l’homme qui présidait alors à son destin. Le ton n’allait cependant pas tarder à changer et, de réplique en réplique, le commissaire du gouvernement se mit à déraper. Dans son désir d’aider à tout prix le ministre des Finances n’en vint-il pas à déclarer que "sans être brillante... la situation des préposés [était] très enviée et très désirée " ? " Chacun sait, crut-il devoir ajouter, qu’ils sont très recherchés comme des gendres par les pères de famille prévoyants... Pour chaque place vacante, nous avons près de vingt demandes en instance ".

17« Et de conclure : " On a dit... qu’au nombre des vertus du personnel des douanes, il fallait placer au premier rang l’esprit d’abnégation et de sacrifice. Je suis persuadé d’être l’interprète de tous mes modestes et vaillants collaborateurs en disant que pleins de reconnaissance pour ce que la République a déjà fait en leur faveur, ils sauront attendre avec patience l’heure où la Chambre croira pouvoir leur accorder de nouvelles améliorations. " »5

18Cette fois, c’est la Chambre qui, en votant l’amendement, apporte un démenti cinglant à la position « singulière » du directeur général des douanes.

19Les agents des brigades seront enclins à penser que l’amélioration de leur sort est bannie des préoccupations de Bousquet. Cette impression se confirme lorsque le journal Le douanier incite ses abonnés à « appeler l’attention de leurs députés sur leur triste situation ».

20Parallèlement, des pétitions, rédigées dans le même sens, réunissent de nombreuses signatures. Bousquet réagit vigoureusement : « Je suis informé que les agents de certaines brigades ont cru pouvoir rédiger et adresser à des personnalités étrangères à l’administration des pétitions collectives. Ils ont ainsi transgressé les prescriptions formelles et souvent rappelées de la décision du 26 mars 1857, et enfreint le devoir de subordination qui s’impose, plus étroitement encore qu’à tous les autres agents de l’État, à ceux qui peuvent, au jour du danger, rentrer dans les cadres d’une organisation militaire. L’initiative irréfléchie de quelques agents, obéissant à des excitations extérieures, est d’autant plus regrettable qu’elle risque de compromettre le bon renom de sagesse et de discipline mérité par l’immense majorité de nos préposés.

21« J’ai du faire appel à toute l’indulgence du ministre pour que cette faute fût imputée à un oubli passager des règlements et ne fût pas l’objet d’une répression immédiate.

22« Vous voudrez bien rappeler au personnel placé sous vos ordres que c ’est à l’Administration qu’il appartient d’apprécier les mesures se rattachant à l’intérêt général ; que, s ’il est toujours loisible aux agents de s’adresser à elle par voie hiérarchique, il leur est tristement interdit de former des pétitions collectives, et de leur faire suivre une autre voie. Toute infraction qui me serait signalée aurait la révocation pour conséquence immédiate.

23« Il m’est d’autant plus pénible d’avoir à rappeler ces prescriptions à vos subordonnés que leurs intérêts généraux ou particuliers font l’objet de la constante préoccupation de leurs chefs à tous les degrés, qu’ils ne peuvent ignorer la sollicitude avec laquelle je m’attache à reconnaître par moi-même leurs besoins et leurs vœux, à en recueillir directement l’expression sur leurs lignes, et à poursuivre l’amélioration de leur sort dans la limite des ressources budgétaires. Ils ne peuvent avoir oublié non plus les mesures qui ont été déjà prises dans le but, tant par l’Administration que par les Chambres, sous ma gestion, comme sous celle de mes prédécesseurs. Enfin, il ne peut leur échapper que le meilleur moyen d’intéresser à leur cause le ministre, le Parlement et le pays est de donner l’exemple de l’attachement à des devoirs professionnels qu’ils ont tous sollicité instamment l’honneur de remplir et dans les liens desquels ils ne sont retenus que par leur seule volonté. »6

24Bousquet fait procéder à des enquêtes sur les circonstances de la rédaction et de la circulation de ces pétitions.

25Il donne, par l’intermédiaire des directeurs, une large publicité à son sentiment sur les actes d’indiscipline qui ont été commis et, s’il consent à montrer à l’égard des fautifs « la plus large indulgence, il veut empêcher toute récidive ». Il prescrit de transcrire sur les registres d’ordre l’expression de sa détermination à ne plus accepter de telles actions. Il précise : « M. le directeur voudra bien, en outre et par la même voie, rappeler aux brigades que, de même que les pétitionnements collectifs, les communications de quelque nature qu’elles soient aux journaux spéciaux ou autres, sont rigoureusement interdites. L’Administration en recherchera les auteurs et n’hésitera pas à les exclure du corps. Il importe qu’on sache désormais que toute publication de ce genre, si elle n’est pas l’œuvre d’un faussaire, se disant mensongèrement douanier, est l’objet d’une poursuite disciplinaire. Le bon sens des agents discernera ainsi facilement le crédit dont elles sont dignes et saura en faire justice ».7

26Dans le même temps, Bousquet ouvre les hostilités avec Le Douanier, qui a publié ces pétitions. Il fait diffuser dans tous les services extérieurs cette lettre : « Monsieur le directeur, au cours d’une tournée au mois de juin dernier l’inspecteur de..., a constaté que le capitaine de sa résidence avait mis en circulation dans les brigades, sous le couvert officiel et annoté de sa main, une liste d’abonnements au journal Le Douanier, M.X... apprit le mois suivant que cet officier, comme d’ailleurs beaucoup de ses collègues, avait recueilli le montant des souscriptions sur la solde des agents pour le transmettre, ensuite, par mandat collectif au directeur du dit journal.

27« Ces errements, déjà irréguliers en eux-mêmes, empruntent ici un caractère particulier de gravité à cette circonstance que le journal en question, par ses tendances à porter atteinte au respect dû à l’autorité supérieure, fait naître le sentiment de l’indiscipline dans les brigades. Du reste, en les pratiquants, M.Y... a pu éveiller chez ses subordonnés l’idée qu’il était partisan de ces tendances et, dès lors, la pression qu’il a exercée sur eux était d’autant plus déplorable.

28« D’après ces considérations, conformément à mes décisions du 14 du courant, vous avez soumis le capitaine Y... à l’interrogatoire obligatoire réglementaire, en vue de mettre le Conseil d’Administration à même de statuer au point de vue disciplinaire.

29« Du dossier d’enquête que vous m’avez adressé à la date du 14, il résulte que cet officier reconnaît la matérialité des faits relevés par l’inspecteur.

30« Dans ces conditions, le Conseil, après en avoir délibéré, a décidé que M.Y... serait mis d’office à la retraite à compter du 1^er janvier prochain.

31« Il a été ainsi tenu compte des raisons d’indulgence que vous avez fait valoir en faveur de l’intéressé.

32« La présente sera transcrite au registre d’ordres généraux de toutes les brigades à la diligence des capitaines qui certifieront l’exécution de ces mesures par une mention spéciale à leur journal de travail, à la date à laquelle ils s’en seront assurés dans chaque poste. Après (avoir rempli) ces conditions dans leur ensemble, ces officiers vous en informeront par l’intermédiaire de l’inspecteur. Vous voudrez bien de votre côté me transmettre leur lettre ».8

33Le mécontentement grandit lorsque Bousquet transmet, sans commentaire, un arrêté ministériel du 1^er avril 1901 supprimant, à dater du 1^er janvier suivant, l’indemnité de résidence aux receveurs ainsi qu’aux agents inférieurs des brigades, logés en caserne lorsqu’ils sont veufs sans enfants ou célibataires.

34Il grandit encore, fin 1901, à la suite de cette mise en garde du directeur général devant les divers mouvements parmi le personnel douanier consécutifs à l’adoption de la loi de 1901 sur les associations sans but lucratif : « Le personnel sédentaire des Douanes est l’objet de diverses sollicitations tendant à grouper ses membres en association professionnelle. Si les promoteurs de ce projet se proposaient uniquement la formation d’une Société amicale de secours entre membres d’une même administration, je ne pourrais qu’encourager cette manifestation de l’esprit de solidarité qui doit les unir. Mais si, comme j’ai de sérieux motifs de le penser, il s’agit d’embaucher nos collaborateurs dans une ligue de propagande et de revendications collectives, c’est un service à leur rendre que de les prévenir qu’il ne peut rien sortir d’utile pour eux d’une tentative de ce genre. Agents d’un grand service financier, ils ne sauraient se départir à aucun degré des règles de subordination qui en font la force et méritent au corps la considération qui en rejaillit en chacun de ses membres. Toute critique collective, tout appel à la publicité, tout recours à des interventions étrangères au service ne pourraient être considérés par le ministre que comme un manquement à la discipline, de nature à engendrer les plus graves conséquences ; ai-je besoin d’ajouter que l’Administration a l’œil constamment ouvert sur les améliorations à introduire dans le fonctionnement de notre organisme, qu’elle est toujours prête à accueillir les vœux qui lui sont transmis par la voie régulière et qu’elle seule peut être juge du moment où leur réalisation pourra être utilement poursuivie. Vous voudrez donc bien ne négliger aucune occasion de faire savoir à vos collaborateurs qu’une association du genre de celle qui leur est proposée ne peut recevoir l’approbation de leurs chefs et ne pourrait exercer, auprès des pouvoirs publics aucune action efficace ».9

35Cette vigoureuse prise de position vise à contrecarrer la création d’amicales susceptibles de déboucher sur des associations à caractère syndical. Elle ne fait d’ailleurs que reprendre l’attitude gouvernementale, refusant que les fonctionnaires soient assimilés aux employés et ouvriers à qui le droit syndical a été reconnu.

36Elle sera l’occasion de violentes diatribes. Le Douanier conseille au directeur général « de se soulever de son fauteuil, de peur de s’en voir précipité avec plus de rapidité » et il invite les députés « à exiger la mise à pied de ce fonctionnaire d’ancien régime. »10

37La France administrative attribue la situation désastreuse du personnel « aux dissensions profondes » existant entre le ministre, J. Caillaux, et le directeur général. Le rédacteur n’hésite pas à écrire : « Si vraiment ce sont ces dissentiments avec le ministre qui mettent obstacle à toute amélioration en notre faveur, le directeur général devrait songer que, placé par le caprice d’un ministre au poste qu’il occupait, son piédestal reposait sur un sable bien mouvant et qu’il ferait montre de plus de dignité en réintégrant le conseil d’État ».11

38C’est d’ailleurs le sentiment de Bousquet qui saisit la première occasion pour demander à quitter son poste. Il prend prétexte de ne pas avoir été suivi par le ministre pour une nomination à un poste de chef de bureau à la direction générale pour s’en aller. Il est nommé directeur général honoraire le 18 janvier 1902, après avoir été « sur sa demande relevé de ses fonctions ».12

39Ulcéré par les attaques dont il est l’objet, aussi bien de la part de certains agents du ministère que des journaux corporatifs, il donne son opinion dans le journal L’Éclair : « Les raisons de l’acte que j’ai accompli seraient trop longues à déduire, et le fait précis qui en a été la cause immédiate, n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Il met en cause le service du contrôle des régies, organisme « inutile, dangereux même » et affirme : « Systématiquement ses solutions sont préférées aux nôtres ; chaque fois que nous prenons une mesure, nous rencontrons une opposition victorieuse ; voilà ce que nous ne pouvions souffrir ».

40Il attaque ainsi le chef du département des Finances : « Tant que le ministre a été un homme au doigt délicat, aucun incident ne s’est produit. Mais M. Caillaux est arrivé plein de raideur, affectant de vouloir réduire ses directeurs au rang de simples commis » ; « les incidents se sont multipliés. » « Si l’on veut diminuer le rôle des directeurs généraux, que l’on prenne, non de vieux conseillers d’État, mais de jeunes inspecteurs des Finances ».13

41À la suite de cette diatribe publique pour le moins intempestive, le ministre estime que les déclarations de Bousquet sont de nature à empêcher sa nomination au poste élevé des Finances qu’il avait l’intention de lui réserver.

42Traitant des incompatibilités de caractère, Guy Thuillier écrit : « Quelquefois le journal se fait l’écho d’une démission forcée d’un directeur ». Il évoque, à ce sujet, le conflit entre Bousquet et le ministre Caillaux « à propos du droit de présentation pour une nomination et d’un rôle de service du contrôle ».14

43C’est sur cette dissension, que Georges Bousquet quitte ses fonctions sans adresser d’adieux aux personnels des services extérieurs.

44Son action en Douane et les circonstances de son départ sont jugées sans concessions. La France administrative soutient le ministre contre Bousquet en s’adressant « au grand dignitaire qui n’a pas prévenu sa disgrâce en se retirant à propos d’une administration qu’il était impuissant à diriger... Vous n’étiez pas de notre temps, monsieur le directeur général ; vous n’en connaissiez ni les besoins ni les nécessités, et au lieu d’écouter les voix conseillères qui s’élevaient autour de vous, votre oreille ne s’est ouverte qu’aux avis intéressés d’une camarilla qui a exploité votre faiblesse au profit de ses ambitions personnelles. Quelles réformes avez-vous accomplies ?... Qu’est devenue entre vos mains l’administration qui vous a été léguée si puissante ? »15

45Le Douanier affirme également à l’occasion de son départ : « Il était devenu notre cauchemar... il s’en est allé piteusement... paix à ses cendres. »16

46Jean Paloc porte ce jugement particulièrement favorable sous la plume d’un auteur volontiers critique : « Doué d’une suprême distinction, aimable et sympathique, M. Bousquet était conseiller d’État en service ordinaire, quand il fut nommé directeur général des douanes, sans connaître le moins du monde le fonctionnement de notre service. J’incline à penser qu’un directeur général sorti de nos rangs n’aurait pas accepté avec tant de facilité la dénonciation dont les entrepôts de pétrole avaient été l’objet. Mais une justice à rendre à M. Bousquet, c’est qu’en 1902 il aima mieux se démettre de ses fonctions que de subir une nomination injuste faite dans ses bureaux par le ministre des Finances. Inclinons-nous, il avait, à un haut degré, le sentiment de sa dignité ».17

47Pour sa part, Jean Clinquart pense : « Bousquet méritait-il d’être aussi sévèrement jugé ? Laissait-il après lui, comme l’écrivit La France administrative, " le désarroi, la désillusion ", et pouvait-on affirmer que " c’était un peu de sa faute si... dans le personnel on ne croyait plus à la justice et à l’équité " ? La vérité est sans aucun doute que, pour succéder à G. Pallain, il eut fallu faire choix d’un haut fonctionnaire connu au ministère des Finances, et suffisamment habile pour ne pas tenter, sans en avoir l’étoffe, de se comporter avec l’autorité dont avait su user un prédécesseur prestigieux. Or, c’est tout le contraire qui se produisit : on était allé chercher " un vieux conseiller d’État ", imbu du prestige du corps dans lequel il avait fait carrière, incapable de faire preuve de diplomatie dans ses rapports avec les autorités de tutelle dont volens nollens il dépendait, et plus inapte encore à susciter la sympathie du personnel. Il avait en effet comme l’écrit curieusement La France administrative, " l’esprit hiérarchisé et oligarchisé " ! Ainsi s’explique, selon toute vraisemblance, l’échec d’un homme auquel il convient en tout cas de rendre cette justice qu’il eut le courage de partir en claquant les portes ».18

48Il est vrai que Georges Bousquet n’a pas su ou pas voulu se ménager la sympathie des douaniers et de leurs représentants. Il est vrai qu’il a voulu, comme il l’affirme, avoir le contact avec les services extérieurs et qu’il fera de nombreuses tournées dans les directions. Mais, là aussi, il fait preuve de maladresse. En effet, il cède à son goût pour l’apparat et se fait confectionner un uniforme de général des douanes.

49Les revues qu’il passe à Nancy, à Lille etc. se font avec un accompagnement de tambours et de trompettes. Les journaux corporatifs, avec qui le conflit a vite éclaté, ne manquent pas de le brocarder. On le traite de « foudre de guerre à l’uniforme chamarré qui lui donne tout juste l’aspect d’une oie parée des plumes du paon » ou de « fantoche bedonnant et ridicule ».19

50Charitable, le nouveau directeur général Brunet indiquera dans sa première circulaire : « Je sais que mon prédécesseur s’en va accompagné de toutes vos sympathies que lui ont méritées la bienveillance et le grand esprit d’équité qu’il n’a cessé de vous témoigner, je ne saurais suivre un meilleur exemple ».20

51Bousquet rejoint le Conseil d’État. Sa fin de carrière sera accélérée. Le 1^er juin 1902, il prend les fonctions de receveur percepteur du 8^e arrondissement de Paris. Mais il ne restera pas à ce poste enviable. En effet, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite par le décret du 21 août 1902 et recevra le titre de conseiller d’État honoraire par décret du 18 mars 1903.21

52Il est permis de penser, qu’outré des circonstances de son départ de la Douane, il n’a pas voulu rester au service d’un gouvernement qui n’avait pas su reconnaître ses mérites.

53Les Annales des douanes nous apprennent : « Durant sa longue retraite qui fut extrêmement active, il s’est consacré à des œuvres diverses et s’est mêlé étroitement au mouvement littéraire et artistique moderne ».22

54Durant sa vie active, il avait notamment publié les ouvrages suivants :

• Le Japon de nos jours et les échelles de l’Extrême Orient, 2 volumes avec trois cartes, (1877).

• Les agents diplomatiques et consulaires, 1 volume, in-8°, (1883).

• La Banque de France et les institutions de crédit. Les banques, histoire et législation comparées, 1 volume, in-8°, (1883).

55Les Annales des douanes nous ont informé des activités culturelles de Georges Bousquet ; le même journal nous montre sa participation à l’effort accompli pour aider les soldats pendant la Grande Guerre. En 1914, secrétaire du comité d’aide et de prévoyance en faveur des soldats, il monte sur le front en compagnie de Lépine, préfet de police honoraire, pour distribuer des vêtements d’hiver aux soldats. Le rédacteur en rend compte ainsi : « M. Bousquet est pleinement satisfait et nous déclare : " Nous sommes contents d’avoir apporté un peu de joie à tous ces petits soldats si vaillants, si disciplinés, si ardents... Nous les avons vues, ces marmites allemandes, et il ne m’aurait pas déplu d’en recevoir un petit éclat dans ma pèlerine, ici voyez-vous ". Et, en étendant sa large pèlerine, M. Bousquet découvrit involontairement le revers de son veston où, à côté de la rosette rouge, se cachait le ruban vert et noir de la médaille de 70 ».23

56Le geste, peut-être pas si involontaire que cela, rappelle que Bousquet est commandeur de la Légion d’honneur, médaillé de 1870 et titulaire de la croix de guerre.

57Il décède à Paris le 15 janvier 1937.

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58Les quatre années de son directorat n’ont pas été fertiles en aménagements des procédures douanières ou de l’organisation du service. Il s’est peu préoccupé de l’amélioration du sort des douaniers.24

59Il n’a pas voulu se « commettre » avec les journalistes de la presse corporative et n’a pas cherché à plaire à ses collaborateurs. Il n’a pas, non plus, bénéficié de la faveur de son ministre et a dû partir dans les conditions orageuses relatées ci-dessus, cependant son départ est empreint d’un certain panache. Il n’est guère resté au Conseil d’Etat après son départ de la douane et il a su occuper sa retraite, qui a duré 34 ans, en se consacrant à diverses organisations ou sociétés ; il a participé activement à la vie littéraire et artistique.