Georges Pallain

1Georges Pallain est né le 20 mars 1847, à Liancourt dans l’Oise. Son père, Noël Désiré Pallain, exerçait la profession de pharmacien et avait épousé Louise Élisabeth Garnon, fille de bonne famille de l’Oise. Ils étaient alors âgés respectivement de 36 et 26 ans. Ils auront deux garçons, Jacques et André.

2Il entreprend des études de droit et débutera dans la carrière d’avocat à la cour d’appel de Paris.

3Au cours de cette période, il fait partie de cette jeunesse républicaine, ardente et généreuse, qui sape l’Empire par la raillerie et aussi par des discours enflammés dans lesquels elle rappelle au peuple de France la honte du régime et flétrit le pouvoir personnel.

4Il se lie avec Gambetta, Speller, Challemet-La Cour et avec tous ceux qui militent pour un changement de régime. Il devient secrétaire d’Ernest Picard, l’un des « cinq irréductibles ».1 Celui-ci lui fait faire un essai dans le journalisme en le faisant collaborer à L’électeur libre, journal d’opposition dont il est le directeur.

5Pendant le siège de Paris, Georges Pallain est garde au 28^e régiment de marche et sert dans la 4^e compagnie.

6À la chute de l’Empire, Picard devient ministre des Finances. Il est vraisemblable que c’est sur sa recommandation que Pallain est nommé sous-préfet à Sceaux.

7Depuis ses premiers contacts avec Gambetta, Pallain s’intéresse à l’histoire. Louis Madelin rappelle : « M. Georges Pallain était un historien que le service du pays a ravi à la noble science qu’il n’a jamais cessé d’aimer. Introduit jeune aux archives de ce ministère des affaires étrangères où Gambetta lui avait donné droit de cité, il comprit avec tant d’autres, tout ce que ce dépôt, alors peu fréquenté pouvait renfermer de richesses. C’était l’heure où cette mine précieuse s’ouvrait à un Albert Sorel et à un Gabriel Hanotaux.

8« Georges Pallain eut assurément la pensée de bâtir, à côté de ces grands historiens, un monument qui l’eut égalé à l’historien de l’Europe et la Révolution, à l’historien du Cardinal de Richelieu. Comme lui, Hanotaux et Sorel vivaient à cette époque sous l’emprise du grand tribun que les circonstances portaient si rapidement au rôle d’homme d’État. Léon Gambetta entretenait autour de lui une sorte de fièvre cordiale et de sympathie féconde. D’une intelligence sans cesse en éveil, il apercevait ses lacunes, il était heureux qu’autour de lui, de jeunes collaborateurs creusassent les problèmes d’histoire et en lui apportant le résultat de leurs recherches, nourrissent, en quelque sorte, son action et l’assistent sur d’illustres précédents. Hanotaux étudiait Richelieu, Pallain étudierait Talleyrand – Époque de généreuse ardeur vers l’étude où l’on pensait que la politique devait, avant tout, s’imprégner d’histoire – époque, hélas ! lointaine ».

9Ensuite, et à propos de Talleyrand, Louis Madelin explique que Pallain se permettait de pénétrer, à force d’études « le plus impénétrable et le plus indéchiffrable des hommes ». Il pense : « Georges Pallain était un esprit fin, sage et froid – je veux dire de cette froideur qui gare l’historien des hypothèses hasardées et des échauffements propres à l’induire en erreur. Si peu d’années qu’il ait pu consacrer à l’étude du grand ministre, il a mieux que personne aperçu et, dans ses préfaces, mit en relief cet homme d’État qu’on ne voudrait prendre que pour un homme d’esprit.

10« Il entendit publier les grands documents dont, après des années d’études, se dégageaient peu à peu et la figure vraie du prince de Talleyrand, et le secret de sa politique, si constante, affirmait-il, en ses apparentes variations.

11« Après avoir exercé quelques années, son activité dans les papiers des Affaires étrangères, Georges Pallain publia, en 1881, La correspondance inédite du prince de Talleyrand avec Louis XVIII pendant le congrès de Vienne ; en 1889, La mission de Talleyrand à Londres, en 1792 ; puis en 1891, Le ministère de Talleyrand sous le Directoire de 1797 à 1799 et, presque en même temps, L’Ambassade de Talleyrand à Londres de 1830 à 1834. »

12« C’étaient des recueils de documents, mais accompagnés de préfaces et de notes qui révélaient vite ce que serait ce consciencieux et ingénieux travailleur le jour où il mettrait en œuvre les pièces qu’il publiait ».

13Rappelant que deux de ces volumes ont été successivement primés par l’Académie française, Louis Madelin déplore, après Sorel et Hanotaux, que « les finances eussent privé Talleyrand de son historien et la France d’un monument historique qui eut mené son auteur, par la célébrité, à l’Académie française ».

14Madelin de conclure : « Cette connaissance de l’histoire continuait de lui faire voir large et juste et, abandonnée avec regret, a été la conseillère de l’homme, qui, resté sage, droit et noble, apportait son labeur au service de la Patrie ».2

15En effet, distingué par Thiers qui le recommande à Léon Say, il devient chef de cabinet de ce dernier le 12 décembre 1872. C’est peut-être là qu’il apprend à résoudre les questions financières, en particulier lorsqu’il prend part à l’étude du problème des emprunts nécessaires à la libération du territoire national.

16Au départ de Léon Say, il est nommé trésorier-payeur général des Finances à Chaumont (Haute-Marne), le 24 mai 1873. Il abandonne les avantages de sa trésorerie générale pour venir à Paris, le 16 mars 1876, occuper le poste de sous-directeur chargé de la division du personnel au ministère des Finances. Il est chargé par le ministre Dufaure d’une mission financière à Rome, de mars à mai 1876.

17Mis en disponibilité à sa demande le 26 juin 1877, il est nommé directeur du cabinet du ministre des Finances, directeur du personnel, de l’Inspection générale et du contrôle des régies le 15 décembre 1877. C’est un poste particulièrement important et regroupant de grands services qui lui échoie, alors qu’il n’a que trente ans.

18À la suite du coup de force du 16 mai 1879, des coupes sombres sont faites par le ministère de Broglie parmi les fonctionnaires républicains. Georges Pallain n’a pas attendu et a déjà donné sa démission. Au bout de quelques mois, la victoire des républicains le ramène dans l’administration : le 28 décembre 1879, il est nommé directeur du contentieux, de l’Inspection générale des finances, de la statistique et agent judiciaire du Trésor, poste qu’il gardera jusqu’au 16 décembre 1881.

19Ce jour-là, Gambetta le fait nommer directeur du cabinet, du personnel, des fonds et de la comptabilité au ministère des Affaires étrangères. Mais son appartenance à ce grand ministère ne durera guère, car il doit le quitter le 26 janvier 1882, après l’échec du cabinet Gambetta. Quelques mois après, le voici à nouveau au département des Finances, où il est directeur du contentieux, de l’Inspection générale, de la statistique et de l’ordonnancement, poste qu’il conserve du 8 août 1882 au 22 avril 1885, et qu’il abandonne pour devenir directeur général des douanes. Entre temps, il a été élevé au rang de conseiller d’État en service extraordinaire, le 6 janvier 1882.3

20Jean Clinquart remarque : « Le parcours est sans faute et révèle une remarquable stratégie de carrière, que Pallain doive cette réussite à des qualités telles que l’intelligence, le dynamisme et un sens politique aigu, on ne saurait en douter. »4 Il ne sait si Pallain a été franc-maçon comme l’ont été ses protecteurs, Picard, Say et Gambetta mais cite ce témoignage : « Quelques hommes nés entre 1835 et 1840, amis de jeunesse, qui, tous républicains sous le Second Empire, avaient été les lieutenants de Thiers quand celui-ci combattait le gouvernement de Napoléon III, eurent l’idée, à l’avènement de la République, de s’associer entre eux pour se pousser mutuellement dans leurs carrières respectives. Cette espèce de franc-maçonnerie, non point incrédule mais anticléricale, s’intitule La Famille. Ses membres se réunissaient à intervalles réguliers pour dîner chez l’un d’eux ou au restaurant. Fidèles à leurs engagements, ils atteignirent à de brillantes situations sans souffrir des soubresauts de la politique qui si souvent brisent les plus solides et les plus éminents ». Pallain aurait fait partie des douze membres de cette famille.5

21Quoi qu’il en soit le voici à la tête d’une administration qui, bien qu’ayant un peu perdu de sa superbe, n’en reste pas moins une des plus importantes. Il s’adresse ainsi aux douaniers : « Bien que nouveau venu parmi vous, il m’a été donné, dans les différents services que j’ai eu à diriger depuis 15 ans au ministère des Finances, notamment à la Direction du Contrôle des administrations financières, d’apprécier à sa valeur le rôle que vous remplissez dans cette grande Administration, dont les branches diverses unies par une étroite parenté d’origine et d’organisation, doivent s’entraider mutuellement pour la bonne gestion de la fortune publique. Pour cette œuvre commune, votre action n’est ni la moins utile, ni la moins glorieuse.

22« Je sais que chez vous, la valeur a sa place à côté de la compétence technique. Vos annales ont plus d’une page qui prouve que l’armée, chargée de défendre à la frontière les intérêts de l’industrie nationale et du Trésor, ne le cède ni en courage ni en vigilance à celle qui a mission de sauvegarder l’honneur du Drapeau.

23« À l’époque où j’étais Directeur du personnel, j’ai pu apprécier votre dévouement au devoir professionnel, votre attachement au gouvernement de la république. Vous me trouverez toujours prêt à vous défendre et à vous soutenir ».6

24Jean Paloc relate ainsi ses débuts : « Le nouveau directeur général chercha à s’attirer les sympathies des vingt mille agents des brigades, pour pouvoir s’appuyer, un jour, si besoin était sur la popularité qu’il aurait acquise. Le premier projet qu’il mit dans ce but à l’étude porta sur la majoration des retraites des employés du service actif, officiers compris, et la combinaison à laquelle il s’arrêta pour amener le gouvernement à entrer dans ses vues fut réellement une trouvaille.

25« D’après les calculs auxquels le bureau des Retraites s’était livré, la majoration proposée devait nécessiter, chaque année, si du moins mes souvenirs sont exacts, une augmentation de crédits d’environ 300 000 francs. Eh bien, une grande partie de cette somme, M. Pallain comptait l’offrir – c’est le mot – au gouvernement d’abord et ensuite au Parlement, en la prélevant sur le boni des masses. Il savait fort bien que pareil prélèvement ne pourrait pas se renouveler mais l’essentiel était de faire voter une première fois, le budget ainsi modifié. Ce précédent établi, il y avait cent à parier contre un que les années suivantes, le Parlement ne refuserait pas d’allouer les mêmes crédits. Je me hâte d’ajouter que les prévisions de M. Pallain se sont en tout point réalisés.

26« Mais, avant de soumettre son projet au ministre des Finances le nouveau directeur général tint à s’entourer de quelques précautions bien que constitué en grande partie par des libéralités du gouvernement, le boni des masses passait pour provenir entièrement des retenues supportées par les agents des brigades.

27« Ceux-ci pouvaient trouver étrange et même injuste qu’on puisât, pour majorer leur retraites, dans une caisse qu’ils alimentaient. Des récriminations étant à craindre, la presse s’en emparerait et critiquerait la mesure. Il fallait les prévenir, en faisant sanctionner d’avance pour ainsi dire, par les intéressés eux-mêmes, la combinaison imaginée par le directeur général. Une sorte de référendum. »7

28C’est Paloc qui est chargé de procéder à cette enquête. Toutes les réponses étant enthousiastes, le projet est mis à exécution.

29Il faut noter, à ce propos, que les relations entre la direction générale et la presse corporative s’améliorent depuis le départ d’Ambaud. Pallain n’hésite pas à entrer en relation avec les gérants des diverses revues. Il connaît l’identité de leurs collaborateurs dissimulée sous des pseudonymes. Il fait preuve de tolérance à condition qu’ils gardent une certaine réserve.

30Il réussit à se concilier leurs bonnes grâces, à telle enseigne qu’après le vote de la loi Viette sur la retraite des douaniers, une publication déclare : « Pour la première fois la Douane aura vu son directeur général entrer en lice... pour soutenir avec un plein succès les intérêts de son personnel ».8

31Les rédacteurs savent ne pas aller trop loin. Le journal des fonctionnaires écrit en 1896 : « Le directeur général... n’est pas sans connaître le nom de certains d’entre-nous, mal dissimulé mais jamais, même indirectement, il n’a pensé à nous intimer l’ordre de nous taire ».9

32Pallain ne néglige aucune occasion pour faire accroître le prestige de ses services. À l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, qui voit l’édification de la tour Eiffel, il a l’idée de doter les agents des bureaux d’un uniforme. S’il ne s’agit pas, en la matière, d’une innovation, l’affaire revêt un caractère obligatoire pour l’ensemble du cadre sédentaire. Une polémique s’engage dans la presse corporative entre partisans et adversaires de l’uniforme.

33En fait, seuls les agents des bureaux, détachés dans le bureau temporaire ouvert à l’intérieur de l’Exposition pour gérer l’entrepôt dans lequel cette manifestation était placée, seront obligés de se mettre en uniforme à la grande satisfaction du chef de l’administration.

34Pallain, nous l’avons déjà vu à propos de ses relations avec la presse corporative, sait mettre ou faire mettre en valeur son action en faveur du personnel ou de l’amélioration de l’organisation des services. C’est ainsi que la presse rend compte de l’expérimentation qu’il engage à Marseille : « C’est en m’inspirant des nécessités nouvelles, écrit Pallain, qu’après avoir comparé le fonctionnement de la plupart des douanes étrangères à celui des nôtres, j’ai soumis le service à une enquête approfondie au cours de laquelle je vous ai entendu, vous et vos principaux collaborateurs.

35« J’ai dû connaître qu’on ne doit toucher qu’avec prudence à une organisation qui a donné de telles preuves de vitalité et de puissance ; de même que j’ai cru devoir proposer au ministre d’expérimenter d’abord sur certains points les conséquences de la suppression de nombreuses recettes principales, je crois plus sage de soumettre à une expérimentation partielle les modifications qui sont demandées au régime actuel des inspections des Douanes par l’inspection générale des Finances ».10

36Cet essai est ensuite prolongé, puis étendu à Paris, Bordeaux, Lille, Le Havre et Nice. Mais, devant l’inflation des critiques, le système est abandonné.

37En 1897, Georges Pallain s’est préoccupé d’adapter la découverte des propriétés des rayons X en favorisant l’expérimentation de l’examen radioscopique des voyageurs et de leurs bagages. Près d’un siècle plus tard, cette méthode, abandonnée pour des raisons de santé, connaîtra l’important développement que l’on sait.

38G. Pallain veut « fortifier l’action du service en améliorant la condition des employés. »11 Le traitement de début des agents de bureau est porté de 1 400 à 1 600 francs. Une classe de contrôleur principal à 4 500 francs vient couronner la carrière des plus méritants. Les effectifs des classes supérieures sont augmentés dans tous les grades. Pallain fait remarquer : « En résumé un grand nombre d’agents du cadre secondaire vont obtenir une amélioration de traitement ». Ces revalorisations sont bien accueillies et Jean-Jacques Roux n’hésite pas à pronostiquer d’autres améliorations dont le service des brigades bénéficiera sous le régime d’un « directeur général aussi distingué que sympathique ».

39Pallain se préoccupe de l’état de santé des douaniers et se rend, en 1889, à la caserne du Havre où les familles ont été sévèrement touchées par une épidémie de variole. Il octroie des secours et fait procéder à des revaccinations systématiques montrant ainsi son intérêt pour le personnel.12

40À l’occasion de l’importante refonte tarifaire de 1892, et prenant acte que « la surévaluation des droits et les classifications multiples vont rendre plus ardue et plus délicate que jamais la tâche du service de la visite », il estime « opportun de spécialiser à nouveau la position des agents chargés de la reconnaissance des marchandises ».13

41Le rétablissement des vérificateurs est accompagné de la création d’une indemnité professionnelle variant de 100 à 360 francs, selon l’importance et la nature des opérations traitées dans chaque bureau. Parallèlement, le titre de commis de direction est recréé, celui de contrôleur redevenant l’apanage des responsables des sections d’écriture.

42C’est au début de 1898 que prend fin un directorat long de presque treize ans. Nous avons vu Pallain, parfois qualifié de « carriériste », assurer des fonctions prestigieuses à la satisfaction générale. Il a su développer des qualités qui le rendent précieux aux yeux des autorités gouvernementales. Il se sait promis à un bel avenir. À peine quinquagénaire, il est déjà commandeur de la Légion d’honneur. Il est le plus ancien des chefs de service, non seulement du ministère des Finances, mais même de tous les ministères.

43Jean Clinquart montre que « l’opportunité s’offre alors à lui de gravir un nouvel échelon, la loi relative au privilège de la Banque de France votée en novembre 1897 ayant établi une incompatibilité entre le poste de gouverneur et l’exercice d’un mandat parlementaire. Le Gouverneur en titre, Joseph Mangin, ancien ministre des Finances et président du Sénat, doit se résoudre à quitter la Banque. Il ne semble pas que Pallain ait beaucoup à intriguer pour obtenir la succession. Grâce à son mariage il ne manque pas d’appuis dans le milieu des affaires et du haut négoce ». Par ailleurs, il est fort bien aidé sur le plan politique par le ministre des Finances Cochery.14

44Il est, en effet, le beau-frère de son ministre. C’est à celui-ci qu’il doit vraisemblablement sa nomination qui intervient le 31 janvier 1898.

45Dans ses adieux au service des douanes, il rappelle la promesse de sa première circulaire d’être toujours prêt à défendre et à soutenir ses « chers collaborateurs ». Il poursuit : « Au moment de me séparer de vous, après tant d’années pendant lesquelles j’ai appris à vous estimer et à vous aimer chaque jour davantage, je crois répondre à votre sentiment à tous, en me rendant à moi-même le témoignage d’avoir constamment et scrupuleusement tenu mon engagement du premier jour.

46« Mon dévouement à votre cause n’était que le résultat de l’estime et de l’affection que tout homme de cœur, tout chef au niveau de ses devoirs, placé à la tête de ce grand corps, de cette grande famille des Douanes françaises, devra toujours éprouver pour un personnel si profondément attachant, pour tant de braves gens qui, à l’occasion se révèlent des héros modestes et simples, d’autant plus admirables ; pour tant de chefs et d’administrateurs d’une capacité consommée, d’une expérience et d’une conscience à la hauteur de toutes les tâches et de toutes les difficultés.

47« Puis-je, en ces treize années, avoir fait pénétrer dans le grand public le sentiment exact de ce que vous valez, de ce que peuvent vous devoir notre agriculture, notre commerce, notre industrie. Je ne cesserai, quant à moi, de proclamer bien haut que c’est à votre intelligent concours, à votre ardente coopération à tous que je dois d’avoir pu mener à bonne fin l’œuvre de l’application du nouveau régime douanier, et d’avoir contribué, pour notre part, aux arrangements commerciaux qui en ont été la conséquence, et, tout en affranchissant le public de certaines gênes et de certaines formalités, réalisé aux frontières l’application sévère et fructueuse pour le Trésor des tarifs votés par le Parlement.

48« J’emporte un souvenir impérissable de cette longue période de mon existence administrative et, à tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenu de leurs efforts, c’est-à-dire à chacun de vous, grands et petits, j’envoie un adieu cordial avec mes remerciements les plus chaleureux ».15

49Le voici donc à l’orée d’un gouvernorat qui va durer vingt-trois ans. Les circonstances avaient conféré à la Banque de France un rôle particulier qui la tenait trop loin de sa propre clientèle.

50Pallain va lui donner une autre dimension. Son successeur au poste de gouverneur, Robineau, explique ainsi son action : « Progressivement, sous son impulsion, elle s’humanise, en quelque sorte, et, sans perdre son caractère propre, sans devenir la rivale des Banques, elle fait sentir plus directement son action au profit du commerce et de l’industrie. Le crédit à l’agriculture a été spécialement l’objet de sa continuelle étude et a trouvé grâce à lui, dans la Banque de France, le plus puissant des soutiens ».16

51L’objectif que Georges Pallain s’est assigné, dès le début, a été de forger l’instrument financier capable d’aider le commerce et cet aspect a été particulièrement apprécié. En 1911 et en 1918, lors de deux consultations organisées par le gouvernement à la veille du renouvellement du privilège d’émission, les chambres de commerce ont proclamé à l’unanimité leur gratitude à l’égard de la Banque, « rendant ainsi à celui qui l’avait conduite dans ses voies nouvelles l’hommage le plus éclatant ».

52Pour étendre ainsi la portée des opérations de la Banque, il a fallu accroître en même temps le nombre de ses agents d’exécution. Le gouverneur a su montrer à ceux qui étaient déjà en poste, comme aux nouveaux, « la sollicitude la plus délicate et la plus sincère ». Le gouverneur, Robineau, qui a été un de ses collaborateurs, précise ensuite : « Il a créé dans le personnel de tous grades cet esprit d’union qui est devenu une des grandes forces de la Banque ».

53À la Banque, comme en Douane, sa personnalité a été si vigoureuse et si simple qu’il en a, rapidement, imposé la marque. Robineau le décrit ainsi : « Énergique et nerveux, l’œil toujours aux aguets, le cerveau constamment en action, préoccupé de l’avenir, s’informant directement de toutes choses, les examinant par lui même avec une conscience et un goût pour le vrai qui ne connaissaient point de relâche, une grande et profonde bonté dominant son caractère vif et sa nature ardente. Il était un des hommes les plus instruits et les plus cultivés qui se puissent rencontrer. »17

54Pallain a été très marqué par la guerre de 1870 et par les difficultés rencontrées dans sa contribution à la renaissance nationale. Dès son arrivée à la Banque, il évoque la nécessité d’en faire « en cas de péril national la garantie suprême du salut de la patrie ». En effet, sa connaissance des affaires extérieures lui faisait redouter que la France ne fût un jour attaquée et contrainte à reprendre les armes. Par la suite, il met tout en œuvre pour fortifier le crédit qui assurera pendant les quatre années de la Grande Guerre, le soutien du gouvernement jusqu’à la victoire.

55À la veille de la guerre, il peut affirmer qu’il a eu « le souci que les changes peu favorables n’entraînent pas un affaiblissement des réserves monétaires ». Il s’est appliqué à défendre l’encaisse mais encore à l’accroître de 313 millions de francs. Il poursuit : « Des années comme celle qui vient de s’écouler nous offrent l’occasion et le moyen d’assurer la stabilité de notre gestion en nous permettant de pourvoir à des amortissements, dépenses immobilières et autres charges extraordinaires dont l’échéance pourrait bientôt peser lourdement sur des exercices moins favorisés ».18

56Quand la guerre a éclaté, « la Banque était prête, son chef animait de son patrimoine ardent, de son énergie propagée à tous ceux qui l’entouraient, l’édifice dont il avait augmenté la puissance ».

57Il s’est aussi particulièrement préoccupé du sort de ses employés mobilisés, de ceux qui étaient restés en territoire envahi et de ceux qui étaient prisonniers chez l’ennemi.

58En 1919, il est très affecté par la perte d’un de ses fils, Jacques, qui a succombé des suites de la guerre.

59Lorsqu’il prend sa retraite en 1920, l’exposé des motifs du décret qui l’élève presque simultanément à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur rappelle notamment « le concours si utile et si dévoué qu’il a prêté au Gouvernement pendant la guerre, en secondant puissamment l’action du département des finances. »19

60Bien qu’absorbé par ses hautes fonctions au ministère des Finances, puis à la direction générale des Douanes et enfin à la Banque de France, Georges Pallain s’est dévoué sans relâche à son village d’adoption du Gâtinais, Gondreville, dont il a été maire de 1879 à 1923, l’année de sa mort.

61Réélu sans interruption pendant ces 44 ans, il a manifesté à ses administrés « cette bienveillance, ces qualités de grâce et de séduction, ce charme et cette facilité d’accueil » qui ont marqué toute sa carrière. Il a rempli ses fonctions de maire avec cette conscience minutieuse qu’il apportait dans tous ses actes.20

62Il est décédé dans sa demeure parisienne, au 7 de l’avenue Malakoff, le 12 mai 1923, entouré de sa femme, de leur fils André et de leurs petits-fils Henri, André et Jean. Il laissait l’image d’un homme de bien, en particulier dans la commune de Gondreville dont les édiles décidèrent de manifester clairement les sentiments de reconnaissance voués au maire.

63En 1915, il avait ainsi défini sa règle de vie : « Accomplir les devoirs de son mandat jusqu’à l’extrême limite humaine, c’est pour moi la seule manière de combattre ».

64Cette devise a été inscrite sur le monument que Gondreville a élevé en 1925 à la mémoire de son ancien maire.21

65Abordons maintenant l’œuvre historique de Georges Pallain : nous l’avons vu, dans sa jeunesse, s’essayer au journalisme en collaborant avec Ernest Picard au journal L’électeur libre.

66Plus tard, sous la direction et pour le compte de Thiers, il a pénétré dans la vie tortueuse et compliquée de Talleyrand. Par la suite, et bien qu’accaparé par ses hautes fonctions, dont l’immense tâche de chef de l’administration des douanes et de commissaire du gouvernement, il a publié de 1881 à 1891 plusieurs livres sur le prince de Bénévent, dont Madelin vante : « Les remarquables préfaces d’un style à la fois si simple et si noble, d’une tenue si classique, d’une perspicacité si parfaite » et, après avoir regretté que d’autres soucis aient empêché Pallain de donner toute sa mesure en tant qu’historien, il affirme que la figure de Talleyrand sort tout à fait grandie et en quelque sorte simplifiée de ces belles pages. Il explique que, le premier, Pallain a établi la constance de vue de Talleyrand, celle de l’alliance de la France et de l’Angleterre.22

67Cette œuvre a d’ailleurs obtenu à deux reprises le grand prix de l’Académie française. Et Madelin de rappeler : « Que de fois j’ai entendu mon vieux maître et éminent ami, Albert Sorel, exprimer sa reconnaissance pour les travaux de Pallain sans lequel il y eut dans son œuvre, à lui, de grandes lacunes ; que de fois aussi je l’ai entendu – avec Hanotaux, Vandal et autres – déplorer que les finances eussent privé Talleyrand de son historien et la France d’un monument historique, qui, les fondations jetées permettaient de l’affirmer, eût mené son auteur, par la célébrité à l’Académie Française ».23

68Après ses travaux historiques, Georges Pallain a entamé la rédaction d’un important traité intitulé : Les Douanes Françaises, salué par J.-J. Roux « comme l’œuvre sensationnelle d’un général (des Douanes) républicain. »24

69Dans sa préface, il indique qu’un de ses premiers soins, lors de son arrivée en douane, a été de dresser un plan des recherches et des études devant servir « à composer pour le public, pour le commerce et pour l’industrie, un ouvrage sur les Douanes Françaises, sur leur régime, sur leur organisation, sur leur fonctionnement. Il a voulu aller en quelque sorte au-devant des questions susceptibles d’être posées par les particuliers, comme par l’ensemble des opérateurs du commerce international et mettre à leur portée la réponse claire et complète telle qu’elle résulte des plus récentes modifications des lois et règlements ».25

70Ce livre, réédité en 1913, alors que Pallain est depuis 15 ans à la tête de la Banque de France, a assuré à son auteur, et pendant de nombreuses années, la réputation d’un spécialiste des questions douanières.

71Tout au long de sa carrière, Georges Pallain a été l’objet de l’éloge de ses contemporains. Paloc, après avoir critiqué à plusieurs occasions le comportement, les positions et le caractère d’Ambaud, évoque son remplacement par Pallain. « Le nouveau directeur général ignorait, naturellement le premier mot du service des douanes ; mais il était doué d’une intelligence très vive et d’une grande facilité d’assimilation ; il avait la parole facile, un physique agréable, des amis dans tous les camps et savait tirer un utile profit des étoiles de quatrième grandeur, journalistes, fonctionnaires, politiciens qui gravitaient depuis longtemps dans son orbite. Bien vu, en outre, de la haute finance juive, il avait habilement louvoyé dans les méandres de la politique et, se sentant porté sur les ailes de la fortune, aspirait à monter le plus haut possible. En attendant, le Gouvernement estima qu’il possédait toutes les qualités désirables pour diriger le grand service qu’était encore celui des douanes. »26

72Annonçant son décès, les très officieuses Annales des Douanes portent ce jugement : « Ce que nous avons le devoir de rappeler ici, c’est le relief qu’il sut donner à l’Administration des Douanes, c’est l’empreinte profonde que laissa son passage dans ce service, c’est la part personnelle qu’il prit à l’établissement de notre régime douanier et à la vulgarisation de notre organisation administrative, c’est le dévouement qu’il suscita chez tous ceux qui furent appelés à son œuvre féconde, c’est sa grande bonté d’âme. »27

73Les Cahiers d’histoire des douanes françaises montrent Pallain « plutôt en avance sur son époque en matière de relations publiques ».28

74Et il est de fait que, peut-être à cause de ses débuts dans le journalisme, il tint à garder des contacts réguliers avec la presse et en particulier avec les journaux corporatifs. On le voit à plusieurs reprises faire passer, par les journaux, les faits et décisions le mettant en valeur auprès de l’opinion publique ou même simplement auprès des personnels. Jean Clinquart note : « Avec l’arrivée de Pallain à la tête de la douane, les relations de la presse administrative avec l’administration centrale comme avec les responsables des services extérieurs changent de caractère : un climat de confiance s’établit alors dans la rédaction des revues corporatives ».29

75Et pourtant, l’attitude de la direction générale vis-à-vis de ces publications n’a pas officiellement changé. On ne peut s’opposer à ce que de telles publications voient le jour, mais il n’est toujours pas admis que des fonctionnaires les animent à visage découvert.

76Nous avons vu que, dès les premiers temps de son directorat, Georges Pallain connaissait les noms cachés derrière les pseudonymes des agents des douanes écrivant dans les journaux corporatifs. Il ne leur a jamais, même indirectement, imposé la moindre censure.

77Il sait prendre sur lui et veiller à ne pas se laisser entraîner par la vivacité de ses réactions instinctives. C’est que, si Georges Pallain a l’art de se concilier tous ceux dont l’approbation lui semble importante, il a du caractère. Et, à l’occasion, il ne se laisse pas intimider. C’est ainsi que Guy Thuillier évoque le duel qu’il a eu en 1882, à la suite d’une discussion par trop vive avec un attaché au cabinet du président de la République, nommé Dreyfus, par ailleurs secrétaire de Wilson.

**

78Sagesse, esprit fin, remarquable stratégie de carrière, intelligence, dynamisme, sens politique aigu, esprit d’union, perspicacité parfaite, énergique et nerveux, l’œil toujours aux aguets, préoccupé de l’avenir, connaissances étendues sur le droit, l’économie politique, les lettres, l’histoire : voici une partie de la longue liste des qualités qui ont été prêtées à Georges Pallain. Il faut sûrement y ajouter ce jugement de son successeur à la Banque de France : « Mais cet esprit si hautement, si largement doté de facultés et de savoir demeurait en toutes choses la simplicité même ; nous l’aimions à la Banque en raison de cette exceptionnelle et délicieuse vertu. À Gondreville, il pouvait donner libre cours à sa bonté et à sa bienveillance foncières dont ses fonctions lui accordaient trop rarement le loisir. Il montrait ainsi, mais avec quelles nuances de tact et de sensibilité, la place que tenaient en son âme les sentiments démocratiques pour lesquels il avait courageusement combattu dans sa jeunesse, et qui ne l’ont jamais quitté ».

79Et le gouverneur Robineau de conclure : « On peut dire, à juste titre, que Georges Pallain porta dans notre maison un esprit nouveau ».30

80Si, à la Banque, son long séjour a permis la naissance d’un esprit nouveau, s’il a réussi à en faire un instrument destiné à gagner la guerre qu’il sentait venir, son directorat en Douane, long de treize ans, a marqué les services de son empreinte.

81Comme les autres directeurs généraux, il s’est préoccupé du sort des douaniers les plus défavorisés et, pour obtenir les crédits nécessaires pour y remédier, il a lutté contre les contraintes budgétaires.

82C’est un conseiller d’Etat issu du ministère de la Justice, Georges Bousquet, qui sera appelé à remplacer Georges Pallain à la tête de la Douane. Le gouvernement n’a pas jugé bon de donner cette place, pourtant particulièrement technique, à un douanier, voire à un fonctionnaire des Finances. Il en sera, d’ailleurs, de même des directeurs généraux qui se succéderont jusqu’à la Grande Guerre.