Jean-Louis de Forcade la Roquette (1820-1874)
12 mars 1860-6 novembre 1860
p. 562-568
Texte intégral
Jean-Louis de Forcade la Roquette

© Françis Roche. Photothèque des Douanes
1Jean-Louis de Forcade la Roquette est né à Paris le 8 avril 1820 de Jean, juge de paix à Paris et de Louise Catherine Papillon de Latapy, veuve en première noces de Jean Dominique Le Roy, avocat puis préfet. De ce premier mariage était issu Armand Le Roy de Saint-Arnaud, futur maréchal de Saint-Arnaud, dont Forcade la Roquette est par conséquent le frère utérin.
2Jean-Louis de Forcade la Roquette fait des études de droit à Paris et s’inscrit au barreau en 1841. Il est docteur en droit en 1846. Comme son demi-frère, il adhère au parti bonapartiste et participe au coup d’État du 2 décembre.
3Il est propriétaire dans le canton de Saint-Macaire et, à ce titre, il se présente au conseil général de la Gironde, dont il est membre de 1852 à 1867 et qu’il préside à plusieurs reprises. Il possède le château de Malromé auquel reste attaché aujourd’hui le nom de Toulouse-Lautrec. Il fut l’un des propagandistes de la jeune commune d’Arcachon.
4Lors de la réorganisation du Conseil d’Etat, il est nommé maître des requêtes en service ordinaire. Après avoir été quelque temps directeur des forêts à Bordeaux, il devient en 1857 directeur général de cette administration.
5Le 12 mars 1860, l’Empereur le nomme directeur général des douanes et contributions indirectes, et conseiller d’État en service extraordinaire.1
6À peine entré en fonctions, il va devoir faire concrétiser par la douane le traité du 24 mars 1860 consacrant l’annexion de la Savoie, suite au référendum demandant l’avis de la population sur ce rattachement. Il charge Barbier, administrateur et chef de la deuxième division, de prendre les mesures provisoires et notamment le transfert des lignes de douane. Il lui confie aussi la préparation du décret-loi du 21 juin 1860 établissant, à titre définitif, les lignes de douane.
7En ces temps de vives discussions sur la politique douanière de l’Empereur et sur le traité franco-anglais, Forcade doit surtout intervenir, souvent et longuement, au Parlement. Il est amené à répondre point par point au rapporteur de la commission, Pouyer-Quertier, qui va jusqu’à accuser les négociateurs d’avoir livré la fortune industrielle de la France à l’Angleterre. Il défend donc le programme impérial et s’attache à détruire les assertions du rapporteur et à rassurer la Chambre sur les difficultés d’exécution que celui-ci s’était plu à énumérer en dressant un tableau des plus pessimistes sur la catastrophe commerciale dans laquelle le gouvernement était en train d’engager la France.
8Fin mai 1860, il a enfin le temps de s’adresser à ses collaborateurs. Il invoque les questions importantes que soulève le nouveau programme économique et le traité avec l’Angleterre. Il regrette que ces travaux ne lui aient pas permis de pénétrer dans les détails des deux grands services qui lui sont confiés. Ces réflexions sont placées en préambule d’une circulaire montrant sa volonté de connaître la position et le mérite des agents des divers grades. Forcade s’y étonne que « la production des feuilles signalétiques soit tombée en désuétude ». Si son prédécesseur avait une longue expérience des hommes et des choses, il doit, pour sa part, chercher à suppléer ce manque de connaissance par des renseignements précis que doivent lui fournir les chefs de service.
9Il réclame pour chaque année une feuille individuelle de signalement dont il donne le modèle en annexe. Elle sera rédigée par le chef hiérarchique immédiat, annotée par le chef supérieur et transmise par le directeur avec ses observations. Il attend de ces informations la possibilité de prononcer en toute équité les avancements et les mutations (cet imprimé préfigure les feuilles de notation en service en cette fin du XIXe siècle).
10Il termine ainsi : « Les états d’avancement feront connaître la situation relative des employés entre eux. Les feuilles individuelles de signalement, jointes tous les ans au dossier de chaque agent, permettront de le suivre dans tout le cours de sa carrière, et donneront au chef de l’Administration le moyen d’apprécier utilement les demandes ou les propositions qui lui seront soumises.
11« Je pense n’avoir pas besoin d’insister auprès des chefs chargés de la rédaction des feuilles individuelles de signalement et auprès des directeurs chargés de contrôler et de compléter les notes qui y sont contenues, sur l’esprit qui doit les diriger dans ce travail important. Au degré de la hiérarchie où chacun d’eux est placé, il doit être le gardien des règles de justice et d’impartialité qui sont la loi de l’avancement et qu’il importe de maintenir avec fermeté pour entretenir dans tous les rangs le zèle, l’émulation, le dévouement au devoir, indispensable au bien du service ».2
12Forcade, et surtout ses services, sont accaparés par la préparation des textes d’application au traité franco-anglais. Ils doivent fournir à la délégation française, dont fait d’ailleurs partie Forcade, tous les éléments de la négociation propices à l’économie nationale. Plusieurs circulaires contenant des explications interprétatives ont été envoyées au service durant l’été.3
13Depuis le 27 août, il est l’un des commissaires du gouvernement et participe, ès qualités, aux conférences préparant et rédigeant les conventions complémentaires aux traités. Ceci explique qu’il se soit déchargé plus encore de la gestion de la Douane sur le conseil d’administration. Le 29 octobre, il communique le texte de la première convention complémentaire, ainsi que les tarifs qui y sont annexés. Il affirme : « C’est le devoir de l’Administration des douanes de se pénétrer de ces principes et de ces tendances, et de les faire prévaloir dans les détails de sa mission journalière. Vigilante pour déjouer la fraude et assurer le revenu du trésor, elle doit se montrer conciliante dans ses rapports avec le commerce loyal, libérale dans l’interprétation des règlements et la solution des questions douteuses. Je n’ai pas besoin de rappeler aux chefs de service que le mouvement rapide des affaires multiplie les perceptions, et que le revenu public doit profiter en définitive de tout ce qui favorise le développement du commerce et de l’industrie. »4 Il n’est pas impossible que ces recommandations aient été dictées ou au moins inspirées par Forcade dont l’attachement aux thèses de Napoléon III devait chercher toute occasion de se manifester.
14Ses interventions à la tribune de l’Assemblée, dans la discussion des questions économiques soulevées par le programme impérial du 5 janvier 1860 et le traité franco-anglais, ont attiré l’attention gouvernementale. Bacquès laisse entendre que les qualités qu’il a déployées à cette occasion lui ont valu d’être chargé du portefeuille des Finances.5 À lire le détail de certains de ses discours à la tribune, rapportés par Amé, cette opinion semble tout à fait fondée.
15À ce poste prestigieux, il remplace Magne le 28 novembre 1860, quelques jours après la signature de la dernière des conventions complémentaires.6
16Si, pendant son directorat, il s’est de plus en plus déchargé de la gestion de la douane, cela ne l’a pas empêché déjuger ses collaborateurs immédiats. Il a été à même d’apprécier tout particulièrement Barbier, qui l’a suppléé avec beaucoup d’efficacité dans les négociations menées sur les nouvelles lignes de douanes après l’annexion de la Savoie et de Nice, et qui a grandement participé à l’élaboration des mesures d’application du traité franco-anglais. Ministre des Finances, il recommandera Barbier pour le remplacer. Ce sera donc celui-ci qui lui succédera à compter du 5 décembre 1860.
17 Dans ses nouvelles fonctions, et pour ce qui concerne la politique douanière, Forcade doit faire préparer et défendre devant le Parlement les traités du 1er mai 1861 avec la Belgique, et du 2 août 1862 avec le Zolwerein et le grand-duché du Mecklembourg. Il quitte les Finances le 12 novembre 1862. D’autres que lui participeront à la série de traités qui rendront plus accessibles les marchés étrangers au commerce national d’exportation.
18Forcade de la Roquette entre alors au Sénat. Il est nommé vice-président du Conseil d’État le 18 octobre 1863, où il suivra les questions économiques dont il est un des spécialistes reconnus. Il s’implique dans la défense du projet de loi sur la marine marchande qui propose « d’admettre en franchise de droits de douane les navires construits à l’étranger et d’accorder comme compensation, à nos chantiers maritimes, la même exemption pour tous les produits bruts ou fabriqués nécessaires à la construction, à l’armement ou à l’entretien des bâtiments de mer ». Il demande la suppression absolue des droits de tonnage, des surtaxes de pavillon et des surtaxes d’entrepôts.
19L’exposé des motifs qu’il présente le 28 mars 1865 est accueilli par de vives protestations dont celle, virulente, de Thiers qui pense que la marine nationale sera privée de fret de sortie. Forcade assure que ce fret, déjà considérable, augmentera de plus en plus à mesure que les barrières douanières seront abaissées. Selon lui : « La marine française n’est pas seulement dans des conditions d’égalité avec les nations étrangères, elle trouve encore de véritables éléments de supériorité dans le mérite de son personnel et le privilège d’une situation géographique unique au monde ».7
20Il interviendra encore à la tribune contre les opposants irréductibles à la nouvelle politique emmenés par Thiers. Noël raconte : « Dans un discours serré et précis, il s’appliqua à repousser les attaques des protectionnistes ; puis reprenant la question à son origine, et s’adressant plus particulièrement à M. Thiers qui prétendait que le régime protecteur répondait véritablement à la politique traditionnelle de la France, il exposa, dans un tableau d’une remarquable netteté, l’histoire des divers systèmes économiques imposés à la nation ainsi que leurs résultats, et s’appliqua à dénoncer les causes de la crise que le travail éprouvait alors ».8
21En 1863, Napoléon III le charge d’aller en Algérie enquêter sur le régime douanier applicable au commerce algérien. Son rapport conforte l’Empereur dans son idée d’appliquer intégralement à ce pays son programme de libre-échange, surtout que le pouvoir n’a pas, outre-mer, la même pression des protectionnistes qu’en métropole. Napoléon proclame que l’Algérie doit être ouverte à tous les produits du monde sans entrave.
22Le 20 novembre 1865, il reçoit le portefeuille des Travaux publics, du Commerce et de l’Agriculture. À ce poste, il aura encore à traiter de politique douanière. Il va intervenir au cours de l’interpellation de 1868. En effet, dans plusieurs secteurs industriels les stocks sont surabondants. L’épargne a subi des mécomptes, les capitaux sont inquiets, le pain est cher. Le corps législatif autorise « l’interpellation du Gouvernement sur les conséquences du régime économique de la France ».
23À cette occasion, Thiers prend une position nuancée : « Que font les nations pour trouver des acheteurs ? [...] Aujourd’hui elles ont recours à des prohibitions souvent rigoureuses. Il faut par des tarifs modérés et justement calculés assurer la préférence au produit national. »
24Forcade de la Roquette, sans répudier le principe d’une protection tempérée n’en reconnaît l’application légitime qu’autant qu’un intérêt public vienne la justifier. Il n’admet pas qu’on pût s’en servir au profit de telle ou telle usine, de telle ou telle individualité, si puissante qu’elle fût. Est-ce qu’il y a des industriels qui ont le droit de dire : « Discutons nos situations ; il faut que j’aie un revenu net, il faut que j’aie un prix rémunérateur » ?9
25Le ministre du Commerce continue : « Les uns veulent nous ramener en arrière, effacer les traités, revenir sur la législation qui les accompagne, car tout se tient dans ce système. Nous ne les suivrons pas. D’autres plus impatients nous accusent d’être timides, veulent nous forcer à marcher en avant : nous ne les suivrons pas non plus. [...] Nous maintiendrons l’état actuel des tarifs conventionnels ; et, je n’hésite pas à le dire, Messieurs, nous les maintiendrons avec votre assentiment et avec votre concours ».10
26Le 17 décembre 1868, il quitte son ministère pour celui de l’Intérieur où il sera maintenu dans le gouvernement suivant, après la chute de cabinet du 17 juillet 1869. « Démissionnaire une nouvelle fois lors de la formation du gouvernement Émile Ollivier, il abandonne son poste au Sénat pour briguer celui de député au Corps législatif. Élu député du Lot et Garonne, le 10 janvier 1870, il siège jusqu’à la Révolution du 4 septembre. Il se retire alors en Gironde, à Malromé, puis se réfugie en Espagne.
27« Rentré en France en 1871, il se présente sans succès aux élections cantonales et législatives, il meurt à Paris le 15 août 1874 ».11
**
28Dans son bref passage à la direction générale des Douanes, Forcade de la Roquette a été favorablement apprécié par le personnel. Le journal La Douane écrira de lui en 1887 : « Seul des anciens directeurs généraux des douanes, Monsieur de Forcade la Roquette, pendant son trop court passage, s’est montré chef juste, bienveillant, paternel, impartial ».12
29Jean Clinquart écrit : « de Forcade la Roquette demeurera peu de temps à la tête des Douanes. Il y restera juste ce qu’il faut pour lancer les réformes réglementaires nécessitées par la nouvelle politique et, surtout pour veiller à ce qu’elles s’effectuent dans l’esprit qui convient ; il aura aussi à s’occuper des aspects douaniers les plus urgents de l’annexion de Nice et de la Savoie ».13
30Examinant sa carrière bien remplie d’homme public, il est possible d’affirmer qu’il a été un défenseur acharné des thèses libérales de Napoléon III et qu’il a montré une fidélité sans faille.
31Sur le plan douanier, et comme d’autres avant et après lui, il a laissé au conseil d’administration le soin de gérer au mieux cette grande et complexe administration.
Notes de bas de page
1 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 595 et Musée des Douanes de Bordeaux.
2 Circ. 642 du 28 mai 1860 : LRDF, tome XXVIII.
3 Circ. 645 du 9 juin 1860, 693 du 29 septembre et 696 du 2 octobre : LRDF, tome XXVIII.
4 Circ. 704 du 29 octobre 1860.
5 H. Bacquès op. cit., p. 118.
6 L. Amé, op. cit., édition 1876, p. 311.
7 Ibid., p. 172.
8 O. Noël, op. cil., p. 246.
9 L. Amé, op. cit., édition 1876, p. 253.
10 O. Noël, op. cit., p. 260.
11 Renseigements puisés dans J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 593, et au Musée des Douanes de Bordeaux.
12 La Douane, 1887, p. 1271, citée par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 596.
13 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cil, p. 159.
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