Jean-Baptiste Collin

1Jean-Baptiste Collin est né à Sainte-Menehould, le 1^er janvier 1750. Son père, qualifié de « cavalier » sur son acte de baptême, est un homme « simple et modeste ». Il assume les fonctions de receveur des traites. Son parrain est également fonctionnaire de la Ferme générale.1

2Après des études juridiques, il débute comme surnuméraire à Châlons-sur-Marne, vers 1774, dans les bureaux du directeur local de la Ferme. Sa carrière s’explique non seulement par une propension, courante à l’époque, à suivre le chemin tracé par son père, mais elle se développe rapidement car il est « homme de bien, de mérite et de talent ».2

3Il n’est pas sans importance de souligner qu’il a pour protecteur le fermier général de Verdun, qui eut l’oreille des politiques sous la Constituante et qui fut, grâce à cette heureuse circonstance, de la première régie des douanes et échappa à la guillotine.

4En 1785, il est nommé receveur à Dunkerque et fait figure de chef des services douaniers ; ses correspondances avec les autorités locales témoignent de lucidité, de fermeté mais aussi d’esprit de conciliation.

5Il fait un riche mariage avec Louise Millot, fille d’un propriétaire de vignobles champenois.3 Enrichi de son côté de par ses fonctions lucratives de receveur, il achète un vaste domaine comportant un château, plusieurs fermes et des terrains boisés à Campagne-les-Ardres (aujourd’hui Campagne-les-Guines, Pas-de-Calais).

6Jean-Baptiste Collin, devenu notable de cette bourgade, a notamment été choisi comme parrain lors de la bénédiction de la cloche paroissiale intervenue en 1791. Une inscription relative à cette cérémonie et reprenant les identités des parrain et marraine a été gravée sur la cloche, aujourd’hui disparue.4

7En octobre 1792, Collin est nommé directeur à Lille puis, presque simultanément et, vraisemblablement grâce à l’appui du régisseur de Verdun, il est désigné comme régisseur de la Douane nationale.

8Il adresse au directoire du département une lettre annonçant sa nomination. Il désire obtenir une attestation de sa conduite pendant les sept années de son séjour à Dunkerque. Il poursuit : « Je compterai au nombre de mes devoirs de me concerter avec vous sur tous les objets qui, dépendant de mon administration, pourront vous paraître utiles à la chose publique. Lorsque les plaintes vous seront portées sur la mauvaise conduite ou l’incivisme de préposés des douanes, je vous prie de me le communiquer, afin que je puisse faire vérifier les faits et demander sur le champ la punition des coupables. Tous les citoyens doivent sans doute concourir au maintien de la liberté ; mais ceux qui sont salariés par la République, ont un devoir sacré à remplir, celui de donner l’exemple du plus pur patriotisme. »

9Le registre des délibérations du conseil général de la ville de Dunkerque porte, à la date du 20 octobre, la mention suivante : « Le Citoyen Maire a fait part à l’Assemblée du Conseil Général d’une lettre du Citoyen Collin qui annonce sa nomination à la place de régisseur des Douanes Nationales de la République et par laquelle il demande une attestation de la conduite qu’il a tenue en cette ville, depuis qu’il y exerce les fonctions de Receveur des Douanes de la Douane Nationale. La matière mise en délibération, il a été arrêté qu’il sera délivré au Citoyen Collin au nom du Conseil Général, une attestation conçue en la teneur : " Certifions que [...] Collin, receveur de la Douane Nationale de la Basse ville de cette ville, depuis environ sept ans, a mérité toute notre estime par la prudence et la sévérité qu’il a mis dans l’exercice de ses devoirs, que c’est aux précautions qu’il a prises conjointement avec nous que l’on doit la conservation des droits de la douane et l’avantage d’avoir prévenu les insurrections qui avaient pour but la destruction de notre douane. Certifions pareillement que dans le principe de la révolution, il a comme citoyen donné des preuves non équivoques de son civisme tellement qu’il a été à la satisfaction des habitants de cette ville nommé chef de bataillon dans laquelle place il s’est conduit avec zèle et distinction ; et attestons enfin que sous tous les rapports le Citoyen Collin mérite les regrets de notre Commune..." »5

10Dans les régions frontalières et en ces moments plus qu’en d’autres, il est dangereux de se dire douanier. La disette et notamment le manque de céréales accroissent le sentiment de révolte de la population. La douane devient la cible principale des récriminations. La fureur populaire atteint son paroxysme le 1^er mai 1792. Au cours d’une émeute, les grenadiers de Penthièvre prennent les douaniers pour cible, « en tuant dix, massacrant six et blessant douze. »

11Le conseil général a pris acte des différentes interventions effectuées par J.-B. Collin en tant que responsable local pour la défense de la position des agents des douanes. Dans les épreuves qu’ils ont traversées, les préposés de la Ferme générale, devenus préposés du commerce extérieur puis préposés des douanes, ont bénéficié du soutien de leur chef. Les archives municipales de Dunkerque conservent différentes lettres de Collin au maire qui sont le reflet du climat de violence dans lequel les douaniers sont condamnés à vivre. Il montre ainsi que s’il est disposé à punir tout manquement de la part de ses subordonnés, il s’attache à les défendre, le cas échéant.

12J.-B. Collin obtient donc une attestation de civisme susceptible de lui être utile dans les temps troublés qui sévissent à Paris encore plus qu’à Dunkerque.6

13Il est à souligner que Collin ne connaîtra, à aucun moment de l’histoire révolutionnaire, des ennuis de nature politique, ce qui ne sera pas le cas des deux autres régisseurs de 1792.

14Il quitte donc Dunkerque et son château d’Ardres, qu’il vendra le 9 mai 1804 (19 floréal an XII) à un certain Francoville, par acte passé devant maître Parent, notaire à Ardres.

15C’est une réorganisation de la jeune Administration des douanes qui vaut à Collin sa promotion à la fonction de régisseur. Le 14 octobre 1792, un décret décide de la réduction du nombre des régisseurs à trois. L’article 2 autorise « le pouvoir exécutif à choisir parmi les régisseurs actuels, ou parmi les préposés de la régie des douanes, trois personnes qui, par leur talent, leur activité et leur civisme, soient capables d’occuper les places de régisseurs ».

16En vertu de cette loi, le Conseil exécutif confirme Vivent Magnien, déjà en fonction depuis le 5 janvier 1791. Il retient en deuxième position Jean-Louis Chaslon, précédemment « Inspecteur des Fermes et des Douanes » au Havre. C’est Collin qui sera titulaire du troisième poste. C’est une flatteuse promotion surtout pour quelqu’un n’ayant jamais exercé à Paris sous l’œil des politiques et qui n’est directeur régional que depuis quelques jours.

17L’organisation prévoit que : « Chaque jour, à deux heures les régisseurs s’assemblent pour délibérer sur les affaires générales. Les lettres et mémoires concernant leur administration doivent leur être adressées en nom collectif ».

18La même note donne à Collin la charge du service actif qui « comprend tout ce qui concerne le mouvement et la police des bureaux, brigades et pataches ; les nouveaux établissements, les nominations aux emplois, progressions, destitutions, signalements ; la discussion des dépenses et devis de constructions nouvelles, d’anciennes à réparer ; les mémoires d’administration générale ; l’admission à la retraite, d’après la loi du 2 floréal an V ; l’examen des pièces nécessaires pour la liquidation et la comptabilité de cette partie ».7

19Sitôt en poste, une mauvaise nouvelle l’attend : par un décret du 18 septembre 1792, l’Assemblée nationale avait décidé de réduire les traitements des fonctionnaires. Cette mesure, qui allait atteindre presque tous les cadres douaniers, affectait la rémunération des divers administrateurs et régisseurs nationaux, dont les régisseurs des douanes.

20Il ne sera pas facile à Collin de participer à un commandement après une mesure qui va sûrement indisposer les douaniers.

21Cependant, les régisseurs, sous la conduite de leur doyen Vivent Magnien, homme plein de sagesse et d’expérience, s’attelleront sans délai aux tâches multiples qui les attendent.

22Ils adressent aux directoires des départements frontaliers une circulaire empreinte d’une grande détermination et qui se veut persuasive. Ils n’ont, affirment-ils, de plus urgente préoccupation que d’appliquer l’article 3 du décret du 14 octobre par lequel ils ont été nommés et qui dispose que : « Les trois nouveaux régisseurs procéderont sans délai, sous la surveillance du pouvoir exécutif, au remplacement des agens et préposés de cette administration qui n’auraient point obtenu la confiance publique ».8

23Collin et ses deux collègues demandent aux organismes administratifs de les aider dans cette épuration – le terme est employé à ce moment là – et de dresser des listes de douaniers à éliminer.

24« S’il est vrai que la République ne doit pas salarier des enfants ingrats, on peut douter que le recours à la délation soit le moyen le plus honorable d’appliquer cette maxime. C’est cependant la voie que l’on emprunte. Des directoires, les régisseurs attendent des listes de préposés qui par leur inconduite ou par leurs discours ont donné des preuves d’incivisme ».

25La demande des régisseurs est transmise des départements aux districts puis aux municipalités. L’effet de cette campagne de délation ne semble pas avoir donné les résultats espérés par le gouvernement. « L’examen des archives ne révèle pas chez les administrateurs locaux, un grand empressement à demander des têtes. Le bilan est maigre ».9

26Les trois responsables nationaux se sont efforcés de faire payer régulièrement tout le personnel et ont obtenu de la Convention une augmentation de 20 % pour les préposés et de 10 % pour les officiers.

27Mais leurs tribulations ne sont pas finies. La Convention nationale décide en effet, par décret du 16 octobre 1793, de placer la douane au sein du ministère des Affaires étrangères. Collin, ses collègues et leurs collaborateurs de l’administration centrale quittent l’ancien hôtel des fermes où la régie s’était maintenue.10

28Ils s’installent dans un des immeubles affectés aux Affaires étrangères, rue Cerruti, aujourd’hui rue Laffitte. La Convention est désireuse de supprimer l’administration centrale des douanes et de rattacher les services extérieurs à une « commission » qui hérite des attributions précédemment dévolues au ministre. Les régisseurs sont chefs de division et perdent beaucoup de l’importance de leurs devanciers. Ils s’attachent néanmoins à la réforme et à la clarification des procédures douanières. Ces qualités rédactionnelles apparaissent dans les lois de douane et notamment dans celle du 4 mars 1794.

29L’arrêté du 5 avril 1795 fait revenir les douanes dans les attributions du ministère des Finances, appelé commission des revenus nationaux depuis le 1^er avril 179411.

30Une administration centrale se reconstitue sous le nom d’« agence » jusqu’à la fin de 1795, puis, à nouveau, de « régie ». Elle donne au service une série d’instructions signées collégialement bien que l’administration centrale ait été répartie entre les trois régisseurs.

31Les régisseurs ont vraisemblablement participé à l’élaboration des décisions de la Convention, qui a retiré en septembre 1793 au ministère de l’intérieur « tout ce qui est commerce extérieur par terre et par mer » et, en particulier, la balance du commerce et les « primes et encouragements ».12

32Parallèlement, la Marine perd au profit de la Douane la gestion des règlements relatifs à la navigation.

33Tout au long des dernières années, particulièrement troublées, du XVIII^e siècle, la douane est amenée à appliquer une politique de plus en plus rigoureuse. Les régisseurs, et notamment Collin en charge du service actif, donnent une série d’instructions dans la lutte contre la contrebande et dans la recherche et la punition de la corruption. Selon Duverger, Collin aurait, à cette époque, pris de l’ascendant sur ses collègues régisseurs.13

34Bonaparte réorganise l’Administration et commence par l’Intérieur. Il enlève Collin à la douane et le nomme préfet de la Drôme en 1800. Pendant son court passage à cette préfecture, Collin avait recensé la population, rectifié le cadastre, institué des sociétés de bienfaisance, réorganisé les hospices, allégé les charges des contribuables. Le zèle qu’il avait déployé lui valut de chaleureux éloges de la part du ministre Chaptal.14

35Le 5 mars 1801, Collin est affecté à la grosse préfecture de Seine-et-Marne où il travaillera avec Saint-Cricq, dont il appréciera la collaboration.

36Le Premier consul, continuant sa tâche réorganisatrice, s’attache à revoir le fonctionnement des Finances. Peu favorable, de par son expérience du Directoire et du Consulat, à une direction collégiale, il remplace les régisseurs par des directeurs généraux. Pour la Douane, il pense à Collin, qui en devient le premier directeur général le 16 septembre 1801.15

37Le nouveau chef de la douane donne un nouvel élan à l’entreprise de réorganisation à laquelle il a participé pendant huit ans. Comprenant tout l’intérêt de la centralisation du pouvoir, il s’affirme d’entrée par une série de circulaires étalée sur les trois derniers mois de l’année 1801. Ses plus importantes lettres individuelles ou circulaires ont été détaillées au chapitre premier.16

38Pour résumer, Collin travaille seul avec le ministre des Finances. Auprès de lui sont placés quatre administrateurs : d’une part, les trois régisseurs sont conservés à ce poste, de l’autre, leur est adjoint le directeur à Genève, M. Dubois, homme de grande compétence.

39Collin se réserve les parties les plus sensibles et les plus importantes de l’administration centrale. Dès le 30 novembre 1801, il s’adresse ainsi aux directeurs provinciaux : « Je me suis réservé la discussion de toutes les affaires relatives au commerce d’outre mer, ainsi que les questions sur la navigation, la législation et les prohibitions.

40« Vous voudrez bien, en conséquence, correspondre directement avec moi pour ces divers objets et me déférer notamment les questions concernant le commerce des colonies de l’Inde et de l’Afrique ».17

41Il désire être informé sur le champ des événements importants. Alliant la menace et la perspective de récompenses, il s’attache à dynamiser l’action des services de la ligne. Il place les directeurs devant leurs responsabilités à plusieurs reprises, précisant, entre autres, qu’il mettra sous les yeux du gouvernement la liste des directeurs dignes d’éloges et de ceux qui ont failli à leur tâche.

42Il s’évertue à bien faire appliquer les différentes procédures liées à la circulation et au dédouanement des marchandises et, abordant le domaine de la gestion comptable, il s’exprime ainsi : « Il est du plus grand intérêt, tant pour le service de la trésorerie que pour la sûreté des fonds, que les receveurs versent exactement les produits de leurs recettes. Le moindre retard, la moindre négligence qu’ils se permettraient, serait très répréhensible et compromettrait votre propre responsabilité si vous me le laissiez ignorer.

43« Je vous invite à charger particulièrement les inspecteurs de s’assurer avec soin, dans leurs tournées, de l’exactitude des versements, et je vous recommande une attention continuelle sur cette partie importante d’administration. Si les délais assignés étaient excédés, vous vous hâteriez de m’en informer, parce que le Gouvernement exige que je lui désigne les comptables qui auront manqué à cette partie intéressante de leurs devoirs ».

44Devant la faiblesse de la douane maritime, il fait recenser par ses services les bâtiments pouvant être armés par la Marine nationale et qui seraient destinés à protéger les mouvements des bâtiments douaniers. Il fait même étudier « l’objet de la dépense tant pour le payement des équipages que pour l’entretien de ces bâtiments garde-côtes », afin d’augmenter les forces navales assurant la répression de la fraude. Il n’a pas été donné suite à ce projet.

45Bonaparte, qui se préoccupe des douaniers travaillant sur des frontières souvent déplacées, appliquant des lois et règlements sans cesse plus contraignants et vivant dans un environnement hostile, sait au moins marquer son intérêt pour leur chef qu’il nomme au Conseil d’Etat en 1802.

46Collin s’y spécialisera, évidemment, dans le traitement de la politique douanière ainsi que dans celle du commerce extérieur du Consulat et de l’Empire.

47Il sera souvent consulté sur ces problèmes et participera aux travaux du conseil d’administration du ministère de l’Intérieur. Ce conseil aura en charge le commerce avec l’étranger, notamment dans le cadre du Blocus continental. C’est ainsi que soixante-treize réunions se tiendront sur ce sujet du 11 juin 1810 au 10 février 1812. On y traitera, en particulier, du système des licences. La gestion des licences passera du département de l’Intérieur à celui du Commerce, lors de la création de ce ministère qui sera confié, nous le verrons, à Collin.

48Déjà, le Premier consul s’est déclaré satisfait des services de Collin. Les rapports clairs et précis sur la situation dans les ports et sur les frontières, établis à partir des données récoltées rapidement dans toutes les directions provinciales des douanes, l’impulsion donnée par Collin dès sa prise de service et tout au long des années suivantes sont de nature à satisfaire le Premier consul. Celui-ci se passe de plus en plus du truchement du ministre pour avoir des nouvelles précises et récentes sur le commerce international.

49Collin profite du répit ménagé par les préliminaires de la paix d’Amiens pour mettre en place les lignes de douanes et accroître la surveillance aux frontières.18

50« Il fait prendre toutes mesures propres à l’installation des lignes de douanes et assurer les résultats des mesures de surveillance et de police qui font encore l’objet de la loi du 8 floréal an XI. Les postes, se reliant entre eux, sont échelonnés sur tous les points de l’extrême frontière ; une double haie de surveillance est placée à la troisième ou quatrième lieue vers l’intérieur et des brigades mobiles à pied et à cheval explorent constamment le territoire intermédiaire ».

51« C’est qu’en matière de surveillance douanière, pour obtenir des résultats satisfaisants le courage ne suffit pas toujours : il faut surtout de la prudence, de l’abnégation et de la probité. Ces sentiments, le directeur général s’attache à les encourager dans les rangs de ce nombreux personnel des douanes qui, chaque jour, des bouches du Cataro aux bords de la Baltique, donne des preuves de son dévouement et de sa valeur, de même que, sur le littoral, il prête le plus louable concours au service des batteries côtières ».19

52Il lutte contre la corruption. Dès le 19 novembre 1802, il dénonce la délivrance de faux documents d’expédition par des commis aux écritures. Ces enregistrements frauduleux intervenant pendant les heures de fermeture des bureaux, il fait prendre toutes dispositions utiles pour empêcher ces agissements. Il prévient qu’il considérera comme prévarication toute infraction à cette nouvelle procédure.20

53Parallèlement, il cherche à insuffler à tous les services l’énergie qui le caractérise. Il s’attache non seulement à les dynamiser mais aussi à les moraliser. Il sait qu’il lui faut encourager l’ardeur au travail, la vigilance, le dévouement et enfin la fidélité. Il améliorera sans cesse, par l’intermédiaire des administrateurs, le système de répartition du produit du contentieux. Il en fera même bénéficier les militaires et gendarmes qui concourront à la découverte de pratiques frauduleuses. Il obtiendra des primes pour la capture des déserteurs, des réfractaires et des prisonniers évadés.

54Ayant constaté que la contrebande a sévi davantage sur les frontières terrestres que maritimes, et convaincu que les personnels des départements maritimes sont moins bien traités sur le plan du produit des saisies, Collin décide, dans une circulaire du 19 mars 1805, d’accorder des gratifications à ceux des agents de tous grades qui auront le plus contribué à la lutte contre la contrebande mais aussi, tout simplement, à la garde des côtes et des ports.21

55Si les mesures prises pour mieux structurer les cadres des directions et pour asseoir les contrôles de la hiérarchie administrative paraissent avoir porté leurs fruits, les tentatives de Collin pour moraliser le service n’ont pas le même effet. Mais il faut noter que la corruption s’est généralisée depuis de nombreuses années et dans tous les services publics. En tout état de cause, cet échec est le plus grave et peut-être le seul de sa carrière.

56Collin participe à la résurgence de l’impôt sur le sel en 1806. Il doit aussi faire appliquer toutes les mesures imposées par le système continental : tarifs exorbitants et confiscations de marchandises et de navires.

57Il gère les relations de l’administration avec les tribunaux de douane et les cours prévôtales créées par le décret du 18 octobre 1810.22 On retrouve, en effet, plusieurs de ses notes luttant contre les empiétements de l’autorité judiciaire.

58La confiance et l’estime de l’Empereur pour Collin se traduisent par son élévation au titre de comte par lettres patentes du 16 avril 1808. En lui conférant la qualité de conseiller d’État à vie, Napoléon lui attribue ce titre nobiliaire, qui, de surcroît, sera héréditaire.

59Il ajoute à son patronyme, selon l’usage, le nom d’un village de Seine-et-Marne où il possède un domaine. Il sera désormais comte de Sussy. Ses armoiries seront d’azur au caducée d’or.

60Il a la lourde charge de mettre en œuvre le Blocus continental. Mais il sait qu’avant de l’appliquer, il faut l’expliquer. Il est conscient de la réprobation qui s’est élevée devant la violence des moyens employés par le gouvernement. Cette exaspération s’exprime surtout à l’étranger et en particulier dans les territoires occupés, mais aussi en France, chez des hommes raisonnables et clairvoyants. Il fait donc paraître dans Le Moniteur du 9 décembre 1810, une analyse de la législation douanière anglaise relative aux importations de produits français. Il y rappelle « plusieurs statuts par lesquels le gouvernement de la Grande-Bretagne, à dater du règne de Georges II, avait ordonné de brûler, en cas de saisie, divers produits de l’industrie française ».23

61En exécution du blocus, des quantités considérables de produits fabriqués sont brûlées en diverses villes notamment dans celles du nord de l’Europe.24

62C’est à son intention que Napoléon crée le ministère des Manufactures, le 22 juin 1811, et l’y appelle en 1812. Collin de Sussy en sera le seul titulaire. Dans son département, il aura les manufactures et les règlements de police les concernant, les fabriques, le commerce, les douanes, les subsistances et le Conseil des prises.25

63S’y ajouteront les mouvements dans les ports et les grands centres d’échanges, la nomination des agents de change et des courtiers, l’examen et la diffusion des progrès techniques susceptibles de faire progresser l’industrie, la surveillance des importations et des exportations, l’administration de l’entrée des produits indigènes, la correspondance avec les consuls étrangers relative au commerce.

64Assisté d’un secrétaire général, Collin de Sussy disposait de quatre divisions au sein de son administration centrale : douanes, administration et balance du commerce, fabriques et manufactures, subsistances. Il présidait le Conseil du commerce dont il nommait les soixante-huit membres.26

65Dans sa lettre de nomination, l’Empereur lui écrit : « Je devais reconnaître ainsi les bons services que vous avez rendus en organisant les douanes comme elles le sont aujourd’hui ». Le comte de Sussy installe le tout nouveau ministère dans l’hôtel Choiseul, rue Grange-Batelière, sur l’emplacement actuel de l’Opéra Comique. Cette belle demeure, achetée un million de francs, reçoit des aménagements très conséquents. « On peut se faire une idée du faste des hommes politiques de cette époque, par ce fait que le Comte de Sussy fit en entrant au ministère une dépense personnelle de 140 000 francs pour son argenterie, ses chevaux et ses voitures ».27

66Dans sa fonction ministérielle, il s’est attaché à protéger et à encourager l’industrie française. Il a laissé à ce poste « une honorable réputation d’administrateur et d’homme d’État ».

67Il a eu comme secrétaire général Charles Étienne Coquebert de Montbret (1755-1831), maître des requêtes précédemment chargé du bureau de la statistique.28 Coquebert avait mené à bien, en 1810, une mission délicate aux Pays-Bas. Nommé directeur principal des douanes en Hollande, il y coiffait les autres directeurs de ce pays. Très documenté sur le commerce, il semble avoir été un précieux collaborateur de Collin. Il prendra sa retraite lors de la suppression du ministère.

68Napoléon a voulu placer le futur directeur général des douanes sous la tutelle étroite du ministre du Commerce dont il connaît le dévouement. Le nouveau ministre s’occupe donc tout particulièrement des problèmes douaniers. Il est vraisemblable qu’alors qu’il n’était pas encore nommé, il a inspiré l’arrêté du ministre des Finances, en date du 23 février 1812, qui restreint les pouvoirs du directeur général des douanes, notamment en matière de nomination du personnel douanier.29

69Pour sa succession, il a présenté trois candidats choisis parmi les directeurs régionaux. C’est Ferrier, en poste à Rome et placé en premier par ses soins sur cette liste, qui est choisi par Napoléon. Collin, ministre du Commerce, conservait toute son autorité sur les douanes, passées des Finances dans son département. Le nouveau directeur général ne pouvait que se sentir relégué au second plan.30

70Lors de la première Restauration, le département du Commerce est supprimé le 8 avril 1814, et ses attributions sont réintégrées dans celles des ministères des Finances et de l’Intérieur. Collin de Sussy ne reçoit pas d’autre affectation. Il vit cette mise à l’écart dans la discrétion.

71Pendant les Cent-Jours, Napoléon le nommera pair de France et président de la Cour des comptes.

72Il sera écarté après la chute de l’Empereur et ne rentrera en grâce que quelques années plus tard, sur la proposition de Decazes. Il sera en effet nommé baron pair de France, par ordonnance royale du 5 mars 1819.

73Comme auparavant au Conseil d’État, il se spécialisera dans les problèmes économiques, commerciaux et douaniers et jouera un rôle très actif dans les débats ayant trait à ce vaste domaine.

74Rapporteur de la commission des Finances sur le projet de la loi du 27 juillet 1822, il se heurte aux objections radicales des extrémistes. Il porte ainsi secours à Saint-Cricq qui participe aux débats en tant que commissaire du gouvernement. Le projet est adopté par 107 voix sur 114.

75Son épouse, née Louise Millot, décède en 1812. Lui-même meurt à Paris le 7 juillet 1826. Il est inhumé au Père-Lachaise.

76Ils ont eu deux fils et deux filles : Élisabeth qui se maria avec Joseph-Étienne Jean-Liberté Fouché, duc d’Otrante, fils du ministre de la Police, et Anne qui épousa le baron Delage, conseiller d’État, qui fut, un temps, détaché auprès du directeur général des douanes.

77Son fils aîné, Louis, nommé administrateur des douanes en 1811, le restera sous la Restauration. Le second sera administrateur des contributions indirectes.

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78Bacquès est fort élogieux à l’égard de Collin de Sussy quand il estime : « Pendant huit ans, M. Collin a rendu d’immenses services à la régie des douanes, services qui lui ont déjà ouvert les portes du Conseil d’Etat. Le premier Consul, si juste appréciateur du mérite lui confère le titre de directeur général des douanes. Il ne pouvait faire un meilleur choix ». Évoquant ensuite le ministre, il affirme : « Dans sa nouvelle position, M. Collin de Sussy s’est montré protecteur intelligent et éclairé des arts et de l’industrie et, en quittant les affaires, il a laissé une honorable réputation d’administrateur et d’homme d’État ».31

79Duverger le qualifie de modéré en politique et doté d’un esprit fin et net. Il dit que Collin a cherché à donner à la douane « une impulsion d’exactitude et de droiture ». Il pense que Collin de Sussy « a voulu surtout moraliser le service mais que les bouleversements de la Révolution avaient laissé des germes de corruption qui ne trouvaient que trop l’occasion de se développer ».32

80Nous pouvons suivre ces deux opinions et déclarer que Collin a su donner à sa fonction toute l’autorité voulue pour en faire l’arme nécessaire au Premier consul puis à l’Empereur, dans la conduite de sa guerre économique. Il n’a pas réussi à enrayer la contrebande. Cet échec résulte essentiellement de ce que la mission de la douane était une mission « impossible » dans le contexte du Blocus continental. Il faut reconnaître que sur le plan de la morale, le mal avait pénétré dans tous les services publics. Cela ne doit pas excuser ceux parmi les douaniers qui se sont laissés corrompre.

81Par ailleurs, il n’a pu extirper les désordres dans les services de recette qui ont affaibli les perceptions des taxes douanières.