1Nous venons de voir que, tout au long des cent quarante années couvertes par cette étude, l’administration des douanes a évolué en fonction des changements ayant affecté le commerce international ainsi que la politique économique de la France.

2Les guerres économiques et militaires ont influé profondément sur la politique douanière. Celle-ci n’a pas été principalement fiscale, alors même que l’on peut considérer que la part de la Douane dans les recettes fiscales a évolué autour de 20 %.

3Cette administration a été surtout engagée dans la politique protectionniste qui a sévi pendant la plus grande partie de cette période. Le gouvernement et le Parlement ont confié à la réglementation et au tarif douanier la protection de la production nationale, industrielle et agricole, contre la concurrence étrangère.

4En outre, le contrôle des mouvements des personnes et des marchandises a entraîné une grande diversité de missions dont une partie importante n’était pas du ressort du département des Finances. La douane a donc dû prendre en compte les exigences de plusieurs politiques gouvernementales : alimentaire, sanitaire, sécuritaire, maritime, monétaire, halieutique, cynégétique, etc.

Le Consulat et l’Empire

5Bonaparte poursuit la réorganisation de la Douane engagée sous le Directoire. Il prend deux décisions importantes. Il donne un uniforme aux agents des douanes, leur attribuant ainsi un caractère nettement paramilitaire. Il remplace le collège des trois régisseurs, instauré par la Révolution, par un directeur général, assisté d’un conseil d’administration. L’importance de la Douane, ses pouvoirs légaux et ses effectifs vont aller grandissants. Les effectifs tripleront en dix ans et atteindront le nombre de 35 000 agents en 1813. En 1810, apparaissent des tribunaux d’exception qui sont exclusivement chargés de juger les infractions douanières et se doivent de les réprimer durement.

6L’objectif fixé à la Douane est de faire respecter le Blocus continental sur les marchandises anglaises. C’est à cette impossible tâche que se résume l’application de la politique douanière de l’Empire.

7À partir de 1813, mais surtout en 1814, puis sous les Cent-Jours, un grand nombre de douaniers se transforment en combattants.

La Restauration et la monarchie de Juillet

8Avec la chute de l’Empire, les effectifs douaniers connaissent une importante réduction. Par ailleurs, ils font l’objet d’une épuration répondant à des soucis de moralisation et d’adhésion à la monarchie.

9Le protectionnisme, condamné à ses débuts par le nouveau régime, fait un retour en force. Les armateurs veulent monopoliser le trafic maritime français. Les industriels et les agriculteurs exigent une très forte protection contre la concurrence étrangère et plus précisément anglaise. Appelée à appliquer avec rigueur cette politique, la douane prend encore plus d’importance que sous l’Empire. On estime qu’en 1845, un agent de l’État sur cinq ou sur huit, suivant les bases de calcul, est un douanier.

10Cette période est dominée, à la tête des douanes, par les fortes personnalités de Pierre de Saint-Cricq et de Théodore Gréterin.

La Deuxième République et le Second Empire

11Lors de la révolution de 1848, la France est plongée dans une crise économique qui justifie le maintien d’une politique douanière protectionniste. En outre, des primes de sortie encouragent les exportations.

12La douane, renforce sa position malgré une diminution de ses effectifs légèrement inférieure à 10 % et due à des mesures de restriction budgétaire.

13Dans les rangs des douaniers, le mécontentement s’élève d’abord contre la modicité des traitements, surtout dans les petites catégories, ensuite contre le népotisme incarné par Théodore Gréterin, directeur général de 1831 à 1860.

14L’arrivée du prince-président à la tête de la République française met en relief les doctrines libre-échangistes jusque-là étouffées par les protectionnistes. Après plusieurs petits pas dans cette voie, Napoléon III profite de la détente sur le plan intérieur, entraînée par la campagne victorieuse en Italie, pour procéder à un véritable « coup d’État douanier ».

15Après des négociations secrètes, il conclut, en 1860, un accord commercial avec l’Angleterre qui aboutit à un tarif conventionnel. D’autres conventions sont conclues avec presque tous les principaux pays commerçant avec la France. La clause de la nation la plus favorisée, obligeant à étendre aux autres partenaires les facilités accordées à un ou plusieurs pays avec qui est signée une convention commerciale, se généralise et le tarif général a un champ d’application limité.

16Théodore Gréterin, qui avait appliqué une politique protectionniste pendant 29 ans, doit quitter son poste pour entrer au Sénat. Il est remplacé par Jean-Louis Forcade de la Roquette puis par Pierre Barbier.

La Troisième République

17La politique libérale, imposée par Napoléon III, ne résiste pas à la guerre France-Allemagne de 1870. Adolphe Thiers, opposant marqué à la politique impériale, se retrouve, en plus, confronté aux difficultés financières consécutives à la défaite. La fiscalité douanière est particulièrement alourdie. Il lui faut aussi déterminer un nouveau régime pour les relations avec l’Alsace et la Lorraine.

18Il n’est pas possible, dans le contexte économique du moment, de recourir à nouveau au protectionnisme caractérisé de la première moitié du XIX^e siècle, renié par Napoléon III. Les gouvernements républicains essaient de retrouver l’autonomie tarifaire existant avant l’ère des tarifs conventionnels. C’est par paliers, notamment en 1881 et 1892, que l’on revient nettement au protectionnisme. Sont donc conclus nombre d’accords bilatéraux des partenaires. Est institué un tarif à double colonne qui sera en vigueur, avec quelques modifications, jusqu’après la Seconde Guerre mondiale.

La Grande Guerre

19Dès 1914, la politique douanière prend l’aspect d’une guerre économique à outrance. Elle vise à assurer le ravitaillement de la population et à approvisionner les industries d’armement. Le gouvernement limite les importations à ce qui est indispensable. Par ailleurs, il s’attache à affaiblir le plus possible le commerce austro-allemand. Il prescrit à la Douane de coopérer à la prévention de la contrebande de guerre et de faire appliquer diverses restrictions à la liberté du commerce international.

L’entre-deux-guerres

20La tendance au protectionnisme resurgit de manière accentuée après la fin de la Grande Guerre. À l’instar de ses partenaires qui ont tendance à fermer leurs frontières, la France utilise ses armes douanières : augmentation des droits, prohibitions, contingentements. En cette période qui connaît une hausse constante des prix, le tarif spécifique s’avère inefficace. On s’efforce de pallier la situation en recourant aux coefficients de majoration des droits et aux surtaxes ad valorem.

21Sur le plan international, les efforts menés depuis les dernières années du XIX^e siècle se sont poursuivis sous l’égide de la Société des Nations et ont abouti à des mesures d’harmonisation et de simplification des procédures douanières, mais pas à un désarmement douanier généralisé.

22Nous avons donc constaté que, hormis la période 1860-1870, c’est un protectionnisme plus ou moins triomphant qui marque la politique douanière française. Quelle a été la conduite des directeurs généraux en matière de politique douanière ?

23Rappelons qu’ils ont été mêlés de très près à son élaboration. Ils ont été appelés à assister aux travaux parlementaires. Ils ont tout d’abord apporté aux commissions des douanes des deux Chambres, les éléments permettant de faire les choix nécessités par l’évolution de la situation économique nationale et internationale. En outre, et en qualité de commissaires du gouvernement, ils sont intervenus à la tribune du Parlement au cours des discussions concernant la Douane.

24Ils se sont attachés, au fil du temps, à améliorer les statistiques douanières sur les flux des marchandises. C’est ainsi que le gouvernement, à la fin du XIX^e siècle, reconnaissant que les chiffres fournis par les services douaniers étaient nettement plus fiables que les statistiques du commerce international élaborées au ministère du Commerce, a décidé de ne prendre en considération que celles du service des douanes.

25Les directeurs généraux ont joué, dans les conseils du gouvernement et du Parlement, un rôle plus ou moins actif selon les époques. S’ils ont toujours été des pourvoyeurs de solutions techniques, ils ont beaucoup moins été les inspirateurs de la politique douanière.

26Collin de Sussy a simplement été le fidèle serviteur de la politique napoléonienne. Ferrier ne joue aucun rôle en la matière, bien qu’il ait des idées en matière économique, développées dans plusieurs livres et articles ayant eu un certain retentissement.

27Par contre, « les interventions de Pierre de Saint-Cricq à la tribune sont écoutées avec attention par la haute assemblée qui lui marque le prix qu’elle attache à son expérience et à la science approfondie qu’il possède de toutes les ressources du Pays ». Il est possible d’affirmer que celui-ci est le directeur général qui a réellement influé sur la politique douanière de la France. Rappelons qu’il a été à la fois haut fonctionnaire et homme politique.

28Théodore Gréterin, dont le directorat a duré 29 ans, est un exécutant qui exprime des avis, mais défend la politique de son ministre. Il a été appelé à appliquer une politique douanière à prédominance nettement protectionniste, notamment sous le gouvernement de Thiers, alors qu’il n’était sans doute pas fortement attaché à cette théorie. Au début du Second Empire, il a servi avec dévouement et sans en montrer de gêne, la nouvelle politique qui s’éloignait catégoriquement de celle qu’il avait été amené à appliquer pendant vingt ans. Il a cependant été écarté des négociations secrètes avec l’Angleterre qui ont abouti au « coup d’État douanier » de Napoléon III en 1860. Son savoir et sa compétence lui ont valu d’être nommé membre du Conseil supérieur du commerce.

29Léon Amé se proclame comme un tenant du libéralisme en matière de politique douanière. Son livre, Étude économique sur les tarifs douaniers et les traités de commerce, publié en 1850, connaît un tel succès qu’il a été réédité à deux reprises, d’abord en 1859, puis remanié et complété en 1876. À la Chambre, il avait montré « une érudition technique, servie par une mémoire extraordinaire, qui était sans limites. Sur quelque point de service, en un mot, qu’il fut consulté, ce spécialiste merveilleux était toujours prêt à répondre, et répondait toujours avec compétence, avec courtoisie, et chose plus rare, avec bonne grâce. Il donnait sur l’heure tous les renseignements sans avoir de recherches à faire. »

30Georges Pallain, après d’importants travaux historiques dans sa jeunesse, a publié un traité intitulé Les Douanes françaises, considéré par une publication corporative « comme l’œuvre sensationnelle d’un général (des Douanes) républicain ». Dans la préface du livre, il explique qu’il a voulu aller en quelque sorte au-devant des questions susceptibles d’être posées par des particuliers, comme par l’ensemble des opérateurs du commerce national et « mettre à leur portée la réponse claire et complète telle qu’elle résulte des plus récentes modifications des lois et règlements ». Cette importante contribution à l’étude de la politique douanière a été remaniée et rééditée par la suite, alors qu’il était depuis longtemps gouverneur de la Banque de France.

31Soulignons qu’il a coopéré, sur le plan technique, à l’importante réforme tarifaire de 1892. On ne peut pas l’ignorer, même si les politiques, emmenés par Méline, ont joué dans cette affaire le rôle principal.

32C’est surtout pendant les vingt-trois ans de son gouvernorat à la Banque, qu’il influera grandement sur le commerce international.

33Pour sa part, Jean-Marie Branet a été amené à mettre en place une véritable guerre économique pendant la Grande Guerre : interdiction du survol du territoire, institution de la notion de contrebande de guerre, édictions de prohibitions particulières, recherche des produits ennemis sur les navires au large ou relâchant dans des ports français, intensification des contrôles à l’exportation, réquisition des marchandises sous douane, etc.

34Comme indiqué plus haut, les directeurs généraux ont participé aux travaux parlementaires sur les questions douanières. Ils ont été abondamment sollicités lorsqu’il y a eu des changements de tarif. Ils ont été amenés à fournir des précisions, d’une part au cours des stades préliminaires et d’autre part, sur les effets sur le commerce international des modifications tarifaires ainsi que des traités et conventions de commerce.

35À la fin du XIX^e siècle et pendant la partie du XX^e siècle couverte par la présente étude, les directeurs généraux ont été étroitement associés à toutes les négociations internationales susceptibles de porter sur la politique douanière.

36Par ailleurs, ils ont été amenés à corriger les mesures excessives de protectionnisme décidées par les parlementaires en réorganisant les régimes spéciaux comme le transit, le cabotage, l’entrepôt, ou l’admission temporaire.

37C’est ainsi que Pierre de Saint-Cricq a contribué à faire adopter par le gouvernement de larges facilités en matière de transit et d’entrepôt (lois des 27 mars 1812, 28 avril 1816, 21 mars 1818). Plus tard, Théodore Gréterin a fait préparer des perfectionnements à ces régimes (lois des 9 et 27 février 1832 ; arrêté du 31 décembre 1848 et décret du 25 janvier 1853 sur le transit international). Georges Pallain en fit autant, notamment en allégeant les procédures sur le contrôle du sel.

38On peut estimer que les directeurs généraux ont aidé au mieux le Parlement dans sa politique douanière, en lui fournissant des données statistiques de plus en plus fiables, mais qu’ils ont rarement influé sur la détermination de cette politique.

39Venons en maintenant à leur personnalité et à leur gestion de l’Administration des douanes. La plupart ont suivi des études juridiques. Sept sur vingt et un ont débuté dans la carrière préfectorale avant leur arrivée en douane, huit ont été choisis parmi les hauts fonctionnaires, dont cinq aux Finances, six sont issus des Douanes.

40Quatre avaient entre 35 et 40 ans, sept entre 41 et 50, le reste entre 51 et 61 ans.

41Les durées de leurs directorats ont été très variées : François Ferrier a été directeur général pendant 2 ans, de 1812 à 1814, puis pendant les Cent-Jours. Sous la Restauration, Vaulchier a fait lui aussi deux passages à la tête de la Douane, une première fois pendant quatre mois et la seconde pendant deux ans. Jean-Louis Forcade de la Roquette a dirigé la Douane pendant moins de neuf mois avant d’occuper le poste de ministre : c’est le directorat le plus court. Pour sa part, Louis de Moüy est resté 10 mois en Douane en 1925, avant de continuer sa carrière dans le privé.

42Cinq ont eu un directorat étalé sur 10 ans ou un peu plus, à l’exception notable de Théodore Gréterin dont la vie à la tête de la Douane s’est élevée à 29 ans.

43Jean-Baptiste Collin de Sussy, Pierre de Saint-Cricq et Jean-Louis Forcade de la Roquette ont été nommés ministres à leur départ de la Douane. Plusieurs ont été députés, sénateurs ou pairs de France dans la première moitié du XIX^e siècle. Trois sont partis pour diriger une banque dont la Banque de France pour Georges Pallain.

44François Ferrier, Léon Amé et Georges Pallain ont publié des livres sur la politique douanière. Ce dernier a été, dans sa jeunesse, un véritable historien de la période napoléonienne et a été un spécialiste du très controversé Talleyrand.

45Tout au long du XIX^e siècle et des vingt premières années du XX^e siècle, leur nomination au poste de directeur général s’est accompagnée du titre de conseiller d’État en service extraordinaire. Certains, comme Théodore Gréterin, Georges Pallain, Jean Bolley, Georges Bousquet, Pierre Chaudun, étaient conseillers d’État avant d’entrer dans le service des douanes. Jean-Louis Forcade de la Roquette sera vice-président de cette institution et Jean-Marie Branet y poursuivra sa carrière en service ordinaire jusqu’à sa retraite.

46Fernand Brunet a mené sa vie administrative au sein de l’Inspection générale des finances, et ne l’a quittée que pendant les cinq années de son directorat à la Douane. Il a été le seul inspecteur des finances nommé à la tête de la douane jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

47Il faut souligner que les directeurs généraux ont eu, avant tout, à se situer par rapport à l’autorité de tutelle et par rapport aux services extérieurs.

48Sur le premier point, la subordination s’est substituée, sous Villèle, à la semi autonomie dont avaient joui Collin, Ferrier et Saint-Cricq. Elle a été renforcée après 1830, notamment sous l’impulsion de Thiers qui a fait disparaître les inspections générales des régies.

49D’autre part, dans le domaine de la gestion administrative, comme dans celui de la réglementation, l’action des divers directeurs généraux a fatalement été dominée par la conjoncture :

• pour Collin de Sussy, il s’est agi d’adapter l’organisation à l’évolution des limites de l’Empire et à l’application du blocus ;

• pour Saint-Cricq, d’assainir les services après l’aventure révolutionnaire et impériale, d’y introduire une discipline renforcée dans le domaine du comportement, mais aussi de l’uniforme ;

• pour Gréterin, de régler le problème de la militarisation conjoncturelle des brigades, en suspens depuis le Premier Empire ; de faire face, en 1848, à la première vague revendicative et de poursuivre, en matière d’habillement, l’action menée par Saint-Cricq ;

• pour Pallain, de mettre en œuvre une nouvelle réglementation tarifaire ;

• pour Delanney, de réformer l’organisation des services tout en faisant bénéficier les agents d’avantages sur le plan du déroulement des carrières ou en matière d’habillement ;

• pour Brunet, de gérer l’apparition d’un mouvement présyndical, mais, victime d’une hostilité largement imméritée, il y échoua, circonstance qui amena son retrait de la direction générale ;

• pour Branet, de faire face aux difficultés générées par la guerre ;

• pour Bolley, de procéder à une refonte du texte organique régissant les services extérieurs, rendue nécessaire par les remaniements, apportés à cinq reprises, au texte de Delanney ;

• pour Moüy, Chocarne et plus tard, Hyon, de gérer la participation accrue des syndicats à la gestion du personnel. Cette évolution des rapports administratifs internes constitue un élément important de la gestion de la Douane.

50Sur le plan de la gestion du personnel, trois points ont plus particulièrement préoccupé l’ensemble des directeurs généraux : les traitements, les rapports avec les organisations professionnelles et la masse.

Les traitements

51Déjà sous le Premier Empire, un préposé gagnait moins qu’un ouvrier dont le salaire équivalait à trois francs par jour. À la fin de la Première Guerre mondiale, son traitement était inférieur à celui d’un manœuvre du ministère de la Guerre.

52Tout d’abord, et le premier a été Jean-Baptiste Collin de Sussy, les chefs de la Douane ont inventé des indemnités, des primes, des allocations, des gratifications et des remises permettant de compléter les traitements de leurs subordonnés. Ils ont quelquefois réussi à obtenir des « rallonges » budgétaires. Souvent, il leur a fallu recourir à des économies induites par des réorganisations. Théodore Gréterin, par exemple, a obtenu des augmentations de crédit portant sur trois exercices budgétaires. Par ailleurs il a consacré une partie des économies, réalisées par des suppressions d’emplois, « à améliorer le sort des agents inférieurs des brigades ».

53De même, au cours de la seconde moitié du XIX^e siècle, les directeurs généraux ont tenté de remédier à l’insuffisance des salaires des petits fonctionnaires des douanes en obtenant des crédits supplémentaires et en employant les fonds économisés suite à des compressions d’effectifs.

54Si le sort d’une partie des agents des douanes s’est plutôt amélioré, il n’en reste pas moins que celui de ceux que le journal Le Douanier a baptisés en 1898 « sous-agents des douanes » est resté toujours précaire. La réorganisation introduite en 1908 par Marcel Delanney a comporté une réduction des effectifs avoisinant les cinq pour cent des agents des brigades, dont le personnel subalterne a bénéficié d’augmentations relativement importantes se situant à un niveau de dix pour cent pour le bas de l’échelle avec promesse de hausses ultérieures. Cependant, à la veille de la Grande Guerre, la rémunération du préposé de base se situait encore entre trois et quatre francs, le laissant dans la catégorie des agents les moins favorisés.

55Cette situation difficile s’est perpétuée pendant les hostilités et malgré des améliorations apportées par Jean-Marie Branet, les préposés de base n’atteignaient toujours pas un salaire de cinq francs par jour qui, selon les déclarations du ministre de la Guerre, était « indispensable aux manœuvres des établissements de l’artillerie ».

56Les majorations de traitement ultérieures n’ont pas compensé les effets de la hausse des prix. Jean Bolley a obtenu que le traitement de base soit celui pris en considération pour l’ensemble des agents de l’État.

57Au cours des années vingt, les rémunérations des fonctionnaires ont été augmentées en fonction de l’indice des prix, les traitements des préposés étant multipliés par 2,1. Pierre de Moüy, mais aussi Jean Bolley, complétèrent cette amélioration par des mesures internes.

58Dans les années trente, les difficultés économiques allaient contribuer à l’abaissement du pouvoir d’achat des fonctionnaires. Les douaniers n’ont pas été épargnés par la politique de forte déflation suivie par les gouvernements successifs, jusqu’à celui du Front populaire. « Des contributions exceptionnelles ont ponctionné l’ensemble des traitements. » En 1936, puis en 1937, ces prélèvements ont été diminués puis supprimés. Il n’empêchait que « les préposés des douanes étaient davantage aux prises avec la misère ».

59Les rémunérations accessoires ont été également frappées par les mesures de réduction de dépenses décidées par l’État.

60Cette situation, difficile à tous les grades de la Douane, a amené une vive émotion dans les rangs des douaniers, traduite par les organisations professionnelles qui ont fait pression sur les directeurs généraux.

Relations avec les organisations professionnelles

61La contestation généralisée dans la fonction publique a commencé à s’exprimer dans les années 1840-1850. Les douaniers y ont vigoureusement participé et Théodore Gréterin a vu l’ébauche d’un mouvement syndical auquel il a opposé une politique sociale sans précédent dans l’administration des douanes.

62Un peu apaisée, la contestation a repris sous les directorats d’Amé et d’Ambaud, puis s’est relâchée au cours de l’heureuse gestion de Georges Pallain. À la fin du XIX^e siècle, une presse corporative douanière a refait une apparition marquée. Son combat concernait tout particulièrement les agents des brigades dont, il faut le souligner, les traitements étaient très loin d’être satisfaisants et les fonctions très souvent pénibles.

63Cette situation a pris l’allure d’un combat à cause des maladresses de Georges Bousquet qui a été contraint au départ par la campagne menée contre lui.

64C’est au cours du directorat de Fernand Brunet que des associations amicales et fraternelles ont été fondées en application des dispositions de la loi de 1901 sur les associations. Dès 1906, il a été demandé leur transformation en syndicat.

65Une campagne de presse de dénigrement contre le même Fernand Brunet a amené le gouvernement à le démettre de ses fonctions. Il fut remplacé par Marcel Delanney, dont l’œuvre de réorganisation des services extérieurs a été bien accueillie par les organisations professionnelles qui l’ont cependant jugée hâtive et largement perfectible. Pour sa part, ce directeur général n’a pas considéré ces associations comme des partenaires avec qui il convenait de négocier, mais s’est efforcé d’entretenir avec elles des rapports courtois et bienveillants.

66Jean-Marie Branet a eu la lourde tâche de gérer la Douane dans la tourmente de la Grande Guerre. Les organisations ont mis une sourdine à leur action revendicative contre un directeur général pourtant accusé, en juin 1914, « d’enterrer les revendications du personnel ».

67L’Union générale du service actif est entrée en conflit avec Ernest Bolley sur la répartition d’un crédit d’un million de francs figurant dans la loi de finances de 1918 et destiné à l’amélioration de l’avancement dans les brigades.

68Après l’armistice, les organisations professionnelles ont de plus en plus marqué leur volonté de se transformer en syndicats, et c’est en 1924 que le gouvernement d’Edouard Herriot a reconnu le droit syndical aux fonctionnaires sans pour autant leur admettre le droit de grève. L’arrivée aux affaires du Front populaire a incontestablement accéléré cette évolution qui illustre, dans un cadre limité, l’émergence d’un contre-pouvoir syndical, phénomène que Jean Tulard et Guy Thuillier ont mis en évidence dans leur étude : Histoire de l’administration française1.

69Le problème d’écoute des préoccupations d’un personnel moins résigné que par le passé – le personnel des brigades, en particulier – à subir passivement un sort peu enviable a fortement marqué les directorats du XX^e siècle. Ceux de Moüy et de Chocarne furent confrontés, notamment, à la question de l’extension aux brigades de la journée de huit heures. Chocarne a réglementé la moyenne des heures de nuit et le repos hebdomadaire.

70Le bref passage du premier dans le poste suscita un enthousiasme qui n’eût probablement pas résisté à l’épreuve du temps, cependant que le second se heurta à une hostilité syndicale qui ne se démentit jamais, au point que le Syndicat du service actif refusa tout contact avec lui pendant six ans. Bolley, pourtant « enfant de la balle », et bien disposé à l’égard de son personnel dont il voulut améliorer les rémunérations, mais aussi la formation professionnelle, fut à peine plus heureux.

71La violence syndicale (côté brigades surtout, en raison de l’idéologie dominante chez les dirigeants) est, durant l’entre-deux-guerres, une donnée importante de la gestion de la plupart des directeurs généraux. C’est à cause des attaques syndicales que Pierre Chocarne a été retiré de la direction de la douane.

72Il a été remplacé par Louis Hyon qui fut, à cet égard, privilégié, mais dans la conjoncture créée par le succès du Front populaire, et parce qu’il était porté par le pouvoir syndical et pratiquait une cogestion voulue par le pouvoir politique. C’est, après les directeurs de la Restauration, la première intervention marquée de la politique dans la désignation d’un chef de l’administration des douanes.

73Celui-ci, un ancien de la Douane et adhérent syndicaliste, a privilégié les relations avec les syndicats pour mettre au point une réorganisation du service actif qui a reçu un accueil enthousiaste dans les services. La Seconde Guerre mondiale a différé la réforme du service des bureaux élaborée par les services de Louis Hyon, avec la collaboration active des représentants syndicaux.

74Rappelons que la presse professionnelle a fait son apparition dans la deuxième moitié du XIX^e siècle et que les rédacteurs étaient extérieurs à la Douane ou cachés par des pseudonymes. Depuis le début du XX^e siècle, la presse syndicale, notamment L’Action douanière et L’Essor, s’est de plus en plus impliquée dans la vie administrative et dans les questions concernant la gestion de la fonction publique et plus particulièrement celle de la Douane. Les positions, les initiatives des directeurs généraux y ont été analysées, et souvent critiquées en termes parfois très violents.

La masse

75Ce sont les agents des brigades qui ont pris l’initiative de créer, dans les premières années de la période révolutionnaire, des caisses communes organisées localement et approvisionnées par des prélèvements sur les traitements. Ce système appelé « masse » a servi tout d’abord à l’achat de l’habillement, de l’équipement puis à des abonnements auprès de médecins et enfin à la location de logements. Ce sont là les premières manifestations de l’esprit de mutualisme au sein de la Douane.

76De nombreuses instructions, prises tout au long de la période de 1801 à 1939, ont tendu à améliorer l’armement, à faire évoluer l’uniforme et à obtenir les meilleures conditions d’achat.

77François Ferrier puis Pierre de Saint-Cricq ont décidé, eu égard à certains abus et à l’absence d’harmonisation sur le plan national de la gestion de ces caisses, de prendre la masse en charge pour ce qui concerne l’uniforme et l’armement. En 1821, Pierre de Saint-Cricq procéda à la nomination des premiers médecins des douanes. Par ailleurs, il a mis en place des « Conseils d’équipement » et des « commissions de réceptions des fournitures » permettant d’améliorer la passation des marchés.

78C’est ensuite Théodore Gréterin qui apporta des modifications substantielles à l’uniforme. C’est sous son directorat que le bleu céleste avec liseré garance est venu remplacer l’habit vert de l’Empire, constituant ainsi l’uniforme qui, à quelques légères modifications près, restera en vigueur jusqu’à nos jours.

79Les douaniers devaient se loger à leurs frais et si l’administration a pratiqué une politique de casernement, elle a entendu répercuter sur les agents casernés les frais qu’elle était amenée à engager.

80C’est encore Théodore Gréterin qui s’attaqua au problème de l’armement. Il fit réformer toutes les armes à feu en service et fit doter les agents des brigades de mousquetons et pistolets de gendarme. Il fit réduire la dépense ainsi imposée aux douaniers par l’octroi de « boni de masse », pris sur les excédents constatés chaque année de l’actif sur le passif des comptes de la masse. En 1875, au cours du directorat de Léon Amé, le ministère de la Guerre a pris en charge la dotation en armement.

81Marcel Delanney, en 1908, réorganisa profondément le système et obtint la prise en charge par l’administration de la fourniture des uniformes et du service de santé. C’est lui qui fit pénétrer dans les conseils de masse les représentants du personnel, désignés dans un premier temps par tirage au sort. C’est en 1925, sous le directorat de Louis de Moüy, qu’intervint leur élection.

82Par la suite, les organisations syndicales ont pris une place de plus en plus importante dans les élections et la gestion de la masse qui, en définitive, n’a plus eu à traiter que des questions de logement.

Quelques autres aspects de la fonction de directeur général des douanes

83C’est, bien sûr, sous le Consulat, qu’une ère nouvelle s’ouvre pour l’administration française et en particulier pour la Douane, avec la centralisation du pouvoir en une seule main, celle d’un directeur général. L’utilité de ce système n’est pas contestable mais celui-ci doit être complété par un conseil d’administration chargé de préparer, d’étudier et de mettre en œuvre la politique du directeur général.

84Pendant presque toute la période considérée, ce dernier a été le seul correspondant du ministre, notamment pour la présentation aux emplois dont la nomination devait se faire à l’échelon ministériel.

85Au fil du temps, les missions de la Douane se diversifiant, le volume de travail de la Centrale s’amplifiant démesurément, les administrateurs ont eu une influence grandissante.

86Il n’en demeure pas moins que leur autonomie d’action a été limitée, ils devaient en effet prendre l’attache du directeur général lorsqu’une décision susceptible d’entraîner un changement dans les procédures administratives devait être prise.

87Rappelons que, pendant une grande partie de cette époque, ce n’est qu’après avoir fait un rapport au directeur général et recueilli sa décision que les administrateurs pouvaient faire réponse au service. Rappelons aussi qu’ils étaient choisis parmi les directeurs régionaux, les inspecteurs et les chefs de bureau de la Centrale.

88Les directeurs généraux dont la nomination était due à des décisions politiques comme Louis de Vaulchier, Barthélemy de Castelbajac, Joseph de Villeneuve, Jean-Louis Forcade de la Roquette, trouvaient dans la consistance du conseil d’administration, un utile contrepoids aux idées novatrices qu’ils pouvaient apporter ou qui pouvaient venir du parti politique qui avait favorisé leur nomination.

89Généralement, les directeurs généraux ont su conserver toute l’omnipotence attachée à leur grade et ont cantonné les administrateurs au rôle de simples chefs de division n’ayant guère d’influence sur la marche de l’administration.

90Seuls six directeurs généraux appartenaient à la famille douanière avant leur nomination. Leur action a été très honorable, même celle de Jean Bolley, pourtant très critiqué par les organisations professionnelles. Les autres provenaient de la haute administration, en particulier des Finances et de la Préfectorale. Il semble que le service des douanes n’a pas eu pour ses chefs successifs des arcanes impénétrables. Ceux-ci, ayant eu continuellement à connaître les affaires ressortant du mouvement des rouages de la Centrale et des deux services extérieurs, se sont, sans nul doute, familiarisés avec ces rouages. Les discussions avec les chefs de division ou de bureau, les visites dans les directions régionales leur ont permis d’acquérir la connaissance de l’administration et les moyens d’assurer pleinement leurs fonctions de gestion et d’animation de cet important service.

91Mais il faut aussi constater que la Douane est devenue au fil du temps de plus en plus complexe et que les nominations à sa tête devaient s’inscrire dans la durée. Les gouvernements ont compris qu’une bonne gestion devait s’étaler sur plusieurs années. C’est d’ailleurs ce qui a été généralement pratiqué : en effet, si six directeurs généraux sont restés en poste moins de trois ans, ils ont été cinq pour une durée allant jusqu’à cinq ans, trois sont restés entre six et dix ans et cinq au-dessus de dix ans.

92Secondés par des administrateurs connaissant parfaitement le fonctionnement de leur service et ayant acquis de très bonnes notions sur l’ensemble de la Douane, aidés par une administration centrale dont les effectifs sont allés s’accroissant, les directeurs généraux ont géré à la satisfaction du gouvernement, du Parlement et des milieux du commerce international, cette grande administration qu’était la Douane.