Chapitre IV. L’Empire libre-échangiste, 1860-1870
p. 191-232
Texte intégral
1Dans plusieurs pays d’Europe et notamment en France et en Angleterre, l’ère industrielle s’est ouverte. Liée aux progrès de la technique en matière d’extraction de la houille et de fabrication de l’acier, elle est favorisée par le développement rapide des transports ferroviaires, l’organisation du crédit et l’accroissement des moyens monétaires. L’agriculture bénéficie des progrès de l’industrie et du transport, elle commence à utiliser des engrais et d’autres produits chimiques de traitement.
2Les rendements à l’hectare augmentent. Industriels et agriculteurs cherchent des débouchés au-delà des frontières. Mais le développement des échanges commerciaux entre les Etats est limité par le système protectionniste.
3En Angleterre, le libre-échangisme triomphe depuis 1846. Robert Peel, le Premier Ministre, a finalement été victorieux des adversaires de sa politique. À ceux qui lui demandaient la fixation du prix du blé, il avait répondu : « Moi, vous garantir un prix ? Ce n’est pas au gouvernement de vous garantir vos profits ; garantissez-les vous-mêmes en égalant vos compétiteurs par votre activité et votre intelligence ».
I. LA POLITIQUE DOUANIÈRE
L’Empire sur le chemin du libéralisme économique
4Entre 1846 et 1852, les limites au commerce sont progressivement supprimées. À la fin de cette période, les derniers droits de douane sont abolis. L’Angleterre se refuse à demander aux autres pays des mesures de réciprocité. Peel déclare à cette occasion : « On m’a demandé si, recevant les marchandises étrangères, j’ai stipulé qu’on recevrait en retour les marchandises anglaises. Non, il n’y a pas réciprocité... si les puissances étrangères ne comprennent pas leurs intérêts, nous comprenons le nôtre ».1
5Lesour affirme : « Cette décision, qui a entraîné dans les années suivantes d’innombrables mesures semblables, a aboli jusqu’en 1931 les droits de douane en Angleterre. Elle eut des conséquences considérables, non seulement pour le pays, mais pour le monde entier ; d’abord, en stimulant le commerce des pays étrangers vers l’Angleterre, elle a fait baisser les prix, en particulier les prix des produits alimentaires ; ensuite, elle a ouvert à l’industrie anglaise d’immenses débouchés ; enfin, elle a rallié un très grand nombre de prix au libre-échange, au moins pour plusieurs dizaines d’années ».2
6En France, quelques industriels et commerçants réclament aussi le libre-échange mais ce sont des isolés. Seuls certains économistes libéraux font entendre leurs voix comme Say ou Bastiat. En revanche, des hommes influents comme Thiers, Proudhon, Guizot et le maréchal Bugeaud sont résolument protectionnistes. À l’Assemblée, les thèses que défend Pouyer-Quertier, rapporteur de la commission des douanes, sont accueillies avec faveur.
7Le gouvernement a rencontré d’énormes difficultés pour faire adopter les lois douanières de 1857 et 1859 qui avaient consacré une partie des décrets provisoires rendus depuis 1852, en vertu de la loi du 17 décembre 1814 sur les pouvoirs du gouvernement en matière de changement de tarifs douaniers.
8M. Pouyer-Quertier a eu, en 1859, des accents véhéments pour blâmer certaines dispositions soumises à ratification parlementaire. Il a notamment critiqué le régime favorable accordé aux tubes en fer et aux laines peignées. « Dans un travail étendu, qui est resté l’un des manifestes du système protecteur, il a reproché au gouvernement d’avoir abusé du pouvoir mis entre ses mains par l’article 34 de cette loi ».3
9De tous côtés, les protectionnistes clament leur volonté de revenir à des prohibitions et des droits élevés pour soutenir l’industrie et l’agriculture. Un comité de céréaliers, fondé pour la circonstance, organise une véritable agitation dans les campagnes alors que le gouvernement, d’abord hostile au rétablissement de l’échelle mobile, a, déjà, été obligé d’y consentir et de revenir à la loi de 1832. Les comités industriels ont « repoussé avec une égale énergie, les modifications de tarif les plus inoffensives, considérant chaque tentative de réforme partielle, non dans son importance propre, mais dans son esprit ».4
Éclipse du protectionnisme
10Napoléon III a d’autres vues. Il a fort apprécié les positions de l’économiste saint-simonien, Michel Chevalier, professeur au Collège de France. L’exposition de 1855 a démontré que l’industrie française soutient la comparaison avec les autres. Les modifications au tarif introduites, de 1853 à 1856, ont comporté des réductions des droits sur les houilles, les fontes, fers et aciers, les graisses oléagineuses, les laines. Des dégrèvements de droits allant jusqu’à l’exemption totale ont été opérés sur les produits agricoles tels que les bois de teinture, les résineux, les céréales, les spiritueux et les bestiaux. Il en a été de même pour un grand nombre d’articles nécessaires à l’industrie nationale. En outre, toutes les matières premières destinées aux chantiers navals ont été temporairement admissibles en franchise. L’Empereur sait que ces utiles réformes n’ont compromis sérieusement aucun intérêt et ont imprimé, dans tous les secteurs de l’économie intérieure, une remarquable activité.
11Dans les échanges internationaux, la Grande-Bretagne conserve, grâce au régime libéral impulsé depuis 1846, une avance incontestable sur la France mais celle-ci vient immédiatement à sa suite.
12Les statistiques fournies par la douane montrent que dans les pays avec lesquels la France a des relations commerciales anciennes, comme l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Espagne, ses exportations sont plus importantes que celles de l’Angleterre. Dans tous les pays où l’industrie est insuffisamment développée et où les nations industrialisées ont le champ libre, les produits français prennent des positions de plus en plus fortes.
13S’il y a des difficultés de pénétration pour les qualités inférieures, du fait de la cherté de la main d’œuvre, pour les autres ce sont les articles français qui sont les plus recherchés. Après avoir imité les dessins des fabricants de France, des commerçants indélicats apposent sur leurs tissus des étiquettes tendant à faire croire à leur origine française. Il arrive même que les mesures françaises soient apposées sur des articles étrangers.
14Napoléon III pense que si l’industrie nationale réussit si bien à l’extérieur, elle peut se défendre sur le marché intérieur sans la protection de mesures prohibitionnistes, et ce, d’autant plus que les fabricants français sont les mieux placés pour étudier les besoins et les goûts de leurs compatriotes. En outre, ceux des industriels qui, abrités de la concurrence, n’ont pas fait d’effort d’amélioration de leur outillage et de leurs procédés de fabrication seront obligés de les perfectionner, ce qui ne peut qu’aboutir à des réductions de prix profitables aux consommateurs. Il faut s’efforcer de lutter contre la montée des prix sur le marché intérieur et d’encourager la consommation tout en favorisant le développement de l’industrie et des transports. Sur ce dernier point, il semble nécessaire de contribuer à l’essor des compagnies ferroviaires et au renouveau de la marine marchande.
15« La situation des autres puissances apportait un précieux enseignement à l’appui des convictions nouvelles. Les nations étrangères, bien moins avancées que la France dans toutes les branches d’industrie et de commerce, avaient réformé courageusement leur régime économique et toutes avaient vu grandir à chaque réforme leur industrie nationale et leurs relations commerciales avec les autres peuples. Pour toutes, l’expérience avait donné un éclat nouveau à cette vérité qu’au-dessus de la concurrence intérieure, dont les résultats et les bienfaits ne pouvaient être niés, la concurrence internationale révélait des forces, mettait en mouvement des intelligences et des activités qui, sans elle, seraient restées inertes, impuissantes, ignorées de ceux-là même qui sont appelés à enrichir le pays ».5
16Ces enseignements tirés des expériences menées à l’étranger ne peuvent que conforter le partisan du libre-échange qu’est l’Empereur. Si ses préoccupations sont surtout économiques, elles sont aussi politiques. En donnant à la Grande-Bretagne les satisfactions qu’elle désire obtenir au point de vue commercial, Napoléon III veut désarmer l’hostilité manifestée par le cabinet anglais à l’annexion de la Savoie par la France et consolider l’entente avec l’Angleterre qu’il estime nécessaire. Il veut aussi, faire « obstacle aux efforts du gouvernement autrichien pour entrer dans le Zollverrein, ou pour le briser ».6
17En Angleterre certaines annuités de la dette publique s’élevant à 53 650 000 francs, prennent fin en 1860. Des contacts officieux laissent présager de fortes réductions sur le tarif douanier britannique.
18Sur le plan intérieur, les succès remportés en Italie, la réunion de la Savoie et du comté de Nice à la France ont eu des retentissements favorables sur l’opinion publique.
19Les ouvertures de l’économiste anglais, Cobden, sont accueillies favorablement par Rouher, ministre français du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publics, et par Fould, ministre des Finances. L’Empereur, résolu à résister cette fois-ci à toutes les oppositions, donne son accord après avoir reçu personnellement Cobden en audience à Saint-Cloud.
20Il sait bien qu’il ne réussira pas à imposer à la Chambre une loi douanière à caractère libéral. Il va donc utiliser une procédure prévue par le sénatus-consulte du 23 décembre 1852, qui arrête que « les traités de commerce faits en vertu de l’article 6 de la constitution ont force de loi pour les modifications de tarif qui y sont stipulés ».7 Au cas particulier, le pouvoir exécutif est donc dispensé de consulter le pouvoir législatif.
Gréterin écarté des négociations
21Les négociations se déroulent dans le plus grand secret entre Cobden et Rouher, dans le cabinet de ce dernier, sans l’intervention d’aucun directeur général du ministère, pas même de Gréterin, habituellement en charge de questions douanières au niveau du cabinet. En effet on a redouté l’anti libéralisme qu’il a affiché en de nombreuses occasions ainsi que ses liens avec les protectionnistes.
22Seul Michel Chevalier est consulté. Il a fait une étude approfondie du tari et a déjà pris part à des entretiens préliminaires tenus à Londres. Les négociateurs français ont à leur disposition les résultats d’une enquête préparatoire menée auprès des grands industriels et des principaux représentants de l’agriculture mais aussi du commerce. « Il est curieux de remarquer que, pour éviter toute indiscrétion, MM. Michel Chevalier e Rouher confièrent à Mmes Rouher et Chevalier la transcription des pièces du traité. »8
23Dès l’accord intervenu, le chef du Foreign Office, Lord Cowley, e M. Baroche, chargé de l’intérim du ministre des Affaires étrangères prennent la direction des négociations. À la fin décembre, ils tombent d’accord sur les points essentiels.
24L’officialisation doit maintenant intervenir.
25Les ministres apprennent en conseil la teneur des négociations L’Empereur, très déterminé, ne s’arrête guère aux nombreuses objections formulées par certains membres du cabinet, d’abord surpris puis hostiles ou indécis. Après une vive discussion, la majorité accepte le principe de ce qui leur parait une véritable révolution. Vient donc le temps du passage de ce projet devant le Parlement. Napoléon III, éclairé par Michel Chevalier, va utiliser la disposition du sénatus-consulte du 23 décembre 1852.
26Il sait qu’il n’y a donc pas nécessairement consultation des Chambres s’il passe par le biais des traités de commerce. Par ailleurs, il peut se borner : prendre seulement l’avis consultatif du Conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, placé auprès du gouvernement. Cet organisme créé par décret du 18 février 1852, est d’ailleurs de même nature que ceux existant depuis le Premier Empire. Son secrétariat est assuré par le chef du bureau de la législation à la direction générale des Douanes.
27Désormais, il convient de lever un secret si bien gardé et d’informer l’opinion qui, estime Napoléon III, devrait être très réceptive. Le 15 janvier 1860, parait au Moniteur, une lettre programme adressée à Achille Fould, ministre d’État, chargé des Finances : « Malgré l’incertitude qui règne encore sur certains points de la politique étrangère, on peut prévoir avec confiance une solution pacifique. Le moment est donc venu de nous occuper des moyens d’imprimer un grand essor aux diverses branches de la richesse nationale.
28« Je vous adresse, dans ce but, les bases d’un programme dont plusieurs parties devront recevoir l’approbation des Chambres, et sur lequel vous vous concerterez avec vos collègues, afin de préparer les mesures les plus propres à donner une vive impulsion à l’agriculture et au commerce.
29« Depuis longtemps on proclame cette vérité : qu’il faut multiplier les moyens d’échange pour rendre le commerce florissant ; que, sans concurrence, l’industrie reste stationnaire et conserve des prix élevés qui s’opposent aux progrès de la consommation ; que, sans une industrie prospère qui développe les capitaux, l’agriculture elle-même demeure dans l’enfance. Tout s’enchaîne donc dans le développement successif des éléments de la prospérité publique. Mais la question essentielle est de savoir dans quelles limites l’État doit favoriser ces divers intérêts et quel ordre de préférence il doit accorder à chacun d’eux.
30« Ainsi, avant de développer notre commerce étranger par échange de produits, il faut améliorer notre agriculture et affranchir notre industrie de toutes les entraves intérieures qui la placent dans des conditions d’infériorité. Aujourd’hui non seulement nos grandes exploitations sont gênées par une foule de règlements restrictifs, mais le bien-être de ceux qui travaillent est loin d’être arrivé au développement qu’il a atteint dans un pays voisin. Il n’y a donc qu’un système général de bonne économie politique qui puisse, en créant la richesse nationale, répandre l’aisance dans la classe ouvrière.
31« En ce qui touche l’agriculture, il faut la faire participer aux bienfaits des institutions de crédit, défricher les forêts situées dans les plaines et reboiser les montagnes, affecter tous les ans une somme considérable aux grands travaux de dessèchement, d’irrigation et de défrichement. Ces travaux, transformant les communaux incultes en terrains cultivés, enrichiront les communes sans appauvrir l’État, qui recouvrera ses avances par la vente d’une partie de ces terres rendues à l’agriculture.
32« Pour encourager la production industrielle, il faut affranchir de tout droit les matières premières indispensables à l’industrie et lui prêter, exceptionnellement à un taux modéré, comme on l’a déjà fait en faveur de l’agriculture pour le drainage, les capitaux qui l’aideront à perfectionner son matériel.
33« Un des plus grands services à rendre au pays est de faciliter le transport des matières de première nécessité pour l’agriculture ; à cet effet, le ministre des travaux publics fera exécuter le plus promptement possible les voies de communications, canaux, routes et chemins de fer, qui auront surtout pour but d’amener la houille et les engrais sur les lieux où les besoins de la production les réclament, et il s’efforcera de réduire les tarifs en établissant une juste concurrence entre les canaux et les chemins de fer.
34« L’encouragement au commerce par la multiplication des moyens d’échange viendra alors comme conséquence naturelle des mesures précédentes. L’abaissement successif de l’impôt sur les denrées de grande consommation sera donc une nécessité, ainsi que la substitution de droits protecteurs au système prohibitif qui limite nos relations commerciales.
35« Par ces mesures, l’agriculture trouvera l’écoulement de ses produits ; l’industrie affranchie d’entraves intérieures, aidée par le gouvernement, stimulée par la concurrence, luttera avantageusement avec les produits étrangers, et notre commerce, au lieu de languir, prendra un nouvel essor.
36« Désirant avant tout que l’ordre soit maintenu dans nos finances, voici comment, sans en troubler l’équilibre, ces améliorations pourraient être obtenues :
37« La conclusion de la paix a permis de ne pas épuiser le montant de l’emprunt. Il reste une somme considérable qui, réunie à d’autres ressources, s’élève à environ 100 millions. En demandant au Corps législatif l’autorisation d’appliquer cette somme à de grands travaux publics, et en la divisant en trois annuités, on aurait environ 50 millions par an à ajouter aux sommes considérables déjà portées annuellement au budget.
38« Cette ressource extraordinaire nous facilitera non seulement le prompt achèvement des chemins de fer, des voies de navigation, des routes, des ports, mais elle nous permettra de relever en moins de temps nos cathédrales, nos églises, et d’encourager dignement les sciences, les lettres et les arts.
39« Pour compenser la perte qu’éprouvera momentanément le Trésor par la réduction des droits sur les matières premières et sur les denrées de grande consommation, notre budget offre la ressource de l’amortissement, qu’il suffit de suspendre jusqu’à ce que le revenu public, accru par l’augmentation du commerce permette de faire fonctionner de nouveau l’amortissement.
40« Ainsi, en résumé :
suppression des droits sur la laine et les cotons,
réduction successive sur les sucres et les cafés,
amélioration énergiquement poursuivie des voies de communication,
réduction des droits sur les canaux, et par suite abaissement général des frais de transport,
prêts à l’agriculture et à l’industrie,
travaux considérables d’utilité publique,
suppression des prohibitions,
traités de commerce avec les Puissances étrangères.
41« Telles sont les bases générales du programme sur lequel je vous prie d’attirer l’attention de vos collègues, qui doivent préparer sans retard les projets de lois destinés à le réaliser. Il obtiendra, j’en ai la ferme conviction, l’appui patriotique du Sénat et du Corps législatif, jaloux d’inaugurer avec moi une nouvelle ère de paix et d’en assurer les bienfaits à la France ».9
Le « coup d’État douanier »
42L’annonce de ce programme causa une immense émotion dans les milieux économiques français. Le parti protectionniste persuadé que la victoire remportée en 1856, lorsqu’il avait contraint le gouvernement à retirer son projet de libéralisation du commerce international, avait définitivement écarté toute velléité de libéralisme, se répandit en vives critiques, « alors que la majorité du pays accueillait avec un réel enthousiasme les promesses de prochaines modifications dans le régime économique ».10
43Le titre de « nouvelle politique économique » est rapidement donné à ce que d’autres appelleront un peu plus tard le « coup d’État douanier ».
44Napoléon III, confiant dans l’appui de l’opinion publique, est allé à l’encontre de la volonté du pouvoir législatif dont la majorité est encore acquise au protectionnisme. Après plus d’un demi-siècle de prohibitions, restrictions et entraves de toutes sortes qui ont marqué la politique douanière, voici que la France va entrer dans le libre-échange.
45Le souverain se refuse à des débats parlementaires dont il sait qu’ils aboutiraient à des positions hostiles. Dès le 23 janvier, un traité de commerce est conclu entre la France représentée par Baroche, chargé par intérim du ministère des Affaires étrangères, et Rouher ministre de l’Agriculture et du Commerce, le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande ayant pour plénipotentiaires Cowley, ambassadeur d’Angleterre et Cobden, membre du parlement britannique.
46Ce traité est conclu pour une première période de dix ans et prorogeable d’année en année par tacite reconduction.
47Baroche et Rouher adressent, le 24 janvier, un rapport à l’Empereur destiné à éclairer l’opinion publique et à compenser le manque de concertation avec le Parlement. Il sera publié dans Le Moniteur et inséré dans le Bulletin des lois au moment de la promulgation du traité envisagé.11
48Dans ce document les plénipotentiaires français rappellent « les efforts réitérés depuis trente ans pour accroître les relations entre les deux plus grandes puissances du monde ». Ils affirment qu’ils n’ont pas sacrifié « un intérêt industriel et commercial ». Ils récusent ensuite les objections soulevées au nom des partisans du maintien des prohibitions. À ceux qui prétendent que la levée des prohibitions exposera l’industrie française, lors des crises commerciales, à une véritable invasion des produits britanniques, ils rétorquent que « les époques de malaise commercial n’ont pas donné, à l’importation des marchandises non prohibées, un développement exceptionnel et ruineux ».
49Ils conseillent de parcourir les statistiques douanières et affirment que « leur examen démontrera vite l’inanité de ces alarmes ». Ils poursuivent : « Certes, nous reconnaissons franchement, loyalement, que l’esprit de cette convention a été d’ouvrir le marché français à celles des industries de nos voisins qui en étaient jusqu’à ce jour absolument exclues. Mais, qu’à la faveur de ces manifestations douanières, elles réussissent à l’envahir et à l’inonder, c’est ce que nous refusons énergiquement d’admettre.
50« La concurrence, sagement réglée, produira des effets tout différents de ceux que lui assignent des prévisions pessimistes ; elle agira nous l’avons dit, comme un stimulant salutaire et non comme une cause de ruine. Ceux-là même qui l’appréhendaient le plus seront les premiers à en recueillir les bénéfices. L’histoire des réformes commerciales est là pour les instruire et les rassurer. Un court laps de temps ne se sera pas écoulé, après l’admission des produits similaires anglais, que déjà nos industriels, avec leur vive et prompte intelligence, s’en seront approprié les qualités particulières et le cachet original ».
51Après avoir rappelé que : « Sous le rapport de la variété et de la perfection de leurs produits, nos deux grandes industries de la laine et du coton n’ont rien à envier à l’Angleterre, » ils prédisent : « Nous nous chargerons à notre tour d’approvisionner la consommation étrangère, et nous suivrons nos concurrents sur les marchés dont ils nous ont montré le chemin. Il y a là, pour nos industries textiles, un avenir certain qui les dédommagera du sacrifice momentané et d’ailleurs fort modéré qui leur est demandé dans l’intérêt général ». Ils affirment par ailleurs : « Ce qui assure à nos industries une compensation non moins avantageuse, c’est l’essor que va prendre la consommation intérieure sous la féconde influence de la paix. »
52Ils concluent : « La constitution économique du pays, grâce au développement des forces inanimées, sera moins troublée que dans le passé par cette sorte de déclassement de population que l’industrie opère au préjudice de l’agriculture, et l’équilibre, violemment rompu depuis quelques années, tendra à se rétablir ».
53Ils relatent d’abord les aménagements que la partie britannique a apportés sur les tarifs frappant les objets manufacturés et notamment les articles de Paris, la bijouterie, l’orfèvrerie, les articles de mode, la ganterie, les tissus de soie, les vins, les eaux de vie. Ces admissions en franchise et ces réductions touchent un volume de 240 millions de francs sur les 426 qui ont constitué, en 1858, le chiffre des exportations françaises sur la Grande-Bretagne.
54Ils abordent ensuite les modifications apportées au tarif français et les résument ainsi :
55« 1 °, levée des prohibitions.
562°, remplacement de ces prohibitions par des droits qui ne pourront excéder, en aucun cas, 30 % de la valeur pendant la première période du Traité, et 25 % pendant la seconde qui commence le 1er octobre 1864.
573°, remaniement des tarifs grevant certains articles non prohibés et dont la plupart n’atteignent pas aujourd’hui la limite maximum que nous venons d’indiquer.
584°, diminution des droits sur la houille et le coke.
595°, réduction des droits actuels sur les fontes, les fers et les aciers ».
60Si ce programme soulève l’enthousiasme des libéraux et est bien accueilli dans l’opinion publique, il déchaîne la colère des protectionnistes. On va jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir sacrifié à des exigences politiques toutes les grandes industries nationales et en particulier les exploitations houillères.
61On craint les embûches de la « perfide Albion » et jusque « dans les sphères les plus élevées de l’administration on ne se refuse pas de qualifier d’aventureuse imprudence la résolution de l’Empereur ».12
62Le 1er mars, dans son discours d’ouverture de la session législative, l’Empereur porte en quelque sorte l’affaire devant le Parlement en exposant les raisons qui l’ont incité à en prendre « résolument sur lui la responsabilité » et en demandant aux Assemblées leur « concours le plus énergique par l’adoption des lois qui doivent en faciliter la mise en pratique ».13
63Gréterin mis à la retraite le 3 mars 1860, est nommé sénateur à vie. Il part au moment de la promulgation du traité franco-anglais, intervenue le 10 mars. Il avait appliqué, sans trop d’état d’âme, la politique particulièrement protectionniste que les gouvernements successifs, souvent en butte à la pression parlementaire, ont été contraints de suivre pendant vingt-neuf ans.
64L’Empereur et son entourage veulent imposer un libéralisme clairement marqué. Gréterin écarté, il faut un homme capable d’en imposer à ses troupes et de défendre devant le Parlement ce véritable « coup d’État douanier ».
65Il est fait appel, le 12 mars, à Forcade la Roquette. C’est un homme jeune et dynamique. Âgé de quarante ans, il vient du ministère des Finances où il occupait le poste de directeur général des forêts. Commissaire du gouvernement, il va être chargé de défendre, au Parlement et devant l’opinion, la nouvelle politique douanière.
66La lutte s’engage sur une proposition de loi prévoyant le dégrèvement des matières premières destinées à l’industrie textile. La commission de l’Assemblée choisit pour rapporteur M. Pouyer-Quertier, bien connu pour ses convictions restrictives en matière de politique douanière.
67Le 1er mai, à la tribune de l’Assemblée, le rapporteur reproche au traité d’avoir déjà accumulé d’immenses ruines par ses seules menaces. Il accuse Cobden de « travailler à l’absorption par l’Angleterre de tout ce qui constitue la force et la vie des autres peuples et montre les commissaires français écrasés par la supériorité de leur habile adversaire ». En exagérant le trait, il les accuse ainsi : « Sans s’en douter, avec les meilleures intentions du monde, ils ont peut-être livré à l’Angleterre l’avenir et la fortune industrielle de la France ».14
68De nombreux députés lui emboîtent le pas mais leurs outrances attirent d’éloquentes ripostes des libéraux. Forcade la Roquette défend le programme impérial et s’attache à rassurer la Chambre sur les difficultés d’exécution qu’il s’est plu à énumérer. Après son intervention, le projet de loi est adopté à une majorité de 249 voix contre 4.
69Au Sénat, le rapport de la commission se veut prudent. Évoquant l’initiative du gouvernement, le rapporteur affirme : « L’histoire dira comment la sagesse de l’Empereur a coupé le nœud d’une situation fausse qui durait depuis longtemps, où, menacé de tout perdre, le système protecteur ne voulait rien céder ; où, convaincu de ne rien obtenir, le libre échange demandait tout ; où, mécontent de son tarif de douane, le gouvernement n’osait l’améliorer en détail, de peur d’en consolider l’ensemble qu’il eût voulu réformer ; où, chose étrange, intérêts, passions, lumières, tout concourait à l’immobilité. Aujourd’hui, tout va revivre et s’animer, tout va concourir au mouvement et au progrès ».15
70Mais la Chambre haute reste attachée au protectionnisme et craint que le gouvernement ne se laisse aller à consentir de trop fortes réductions de droits. Dans le débat, plusieurs orateurs défendent la réforme d’un tarif qui profite surtout à quelques grands capitaines d’industrie.
71Le député de Toulouse et futur directeur général des douanes, Barthélemy de Castelbajac, parle dans le même sens. Sur une intervention pressante de M. Rouher le projet, fut adopté par 84 voix contre 11.
L’application du traité
72D’ores et déjà, il faut au gouvernement poursuivre dans le sens tracé par la lettre programme, et mener à bien les prolongements prévus par le traité. Il demande au Conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie de mener une enquête pour l’aider dans la conduite des négociations. Pendant près de quatre mois, tous les représentants des opérateurs du commerce extérieur et intérieur, des industriels, des agriculteurs, mais aussi des experts économiques de l’Angleterre, de la Suisse et de la Belgique sont entendus.
73Cette enquête confirme que l’industrie française est plus avancée que ne l’ont déclaré les défenseurs et les adversaires du libre-échange. Par ailleurs, elle démontre que beaucoup d’industriels ne se sont pas assez inspirés des progrès réalisés par leurs concurrents étrangers. Au vu de cette enquête, la plus approfondie qui ait eu lieu en France, il reste à négocier les tarifs douaniers dont le traité n’a fait que jeter les bases.
74Deux conventions seront adoptées par les commissaires parmi lesquels figure Forcade la Roquette. La première, signée le 12 octobre 1860, fixe la liste des articles admis en France aux conditions d’un tarif qui y est annexé et qui est immédiatement applicable. La seconde, datée du 16 novembre, rajoute d’autres articles anglais à la première liste. De plus, il est retenu que les produits anglais seront soumis aux mêmes conditions et avantages susceptibles d’être accordés en France, en matière de droits d’accises ou de drawback. Enfin, le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée est accordé aux deux parties prenantes du traité.
75Cette convention est applicable au plus tard le 1eroctobre 1861. « En résumé, considéré dans son ensemble et tel qu’il a été rédigé, le tarif conventionnel adopté par les signataires du traité de commerce va ouvrir à notre pays de nouveaux horizons et accroître sa puissance ».16
76Rappelons que Rouher et Baroche ont déclaré dans leur rapport à l’Empereur : « L’expérience et l’aptitude de l’administration des douanes permettaient l’application des nouveaux tarifs avec la plus sévère impartialité ».
77Elle aura à exercer cette impartialité sur les produits venant de la plupart des pays d’Europe avec lesquels la France conclut des accords analogues. Il en sera de même entre ces pays qui ne tardent pas à être liés par un réseau de traités interactifs et comprenant la clause de la nation la plus favorisée.
78« Les régimes douaniers de l’Europe se trouvent donc dominés, à cette époque, par une sorte de tarif conventionnel commun, d’autant plus modéré que, pour chaque catégorie d’articles le droit qui s’applique finalement à toutes les nations a été obtenu par celle qui a exigé le maximum de réduction ».17
79Pour mieux défendre leur point de vue, les chefs d’entreprises ont constitué les premières organisations patronales. Leurs représentants au parlement ont, par une résistance particulièrement vive, combattre les tendances libérales du gouvernement impérial. Cependant, pour la première fois, leurs arguments n’ont pas triomphé.
80Le traité franco-anglais a semblé « marquer la faillite des intérêts industriels anciens, d’autant plus que la levée de boucliers qu’il suscita fut réduite, sans peine, par une riposte habile et rapide du Pouvoir, appuyé sur une opinion publique largement hostile aux manufacturiers, accusés de sacrifier à leur égoïsme et à leurs ambitions le Bien général de la nation ».18
81Les industriels sont donc amenés à réviser leur action sur le plan parlementaire. Ils sont trop liés au régime pour être en mesure de lutter et, par ailleurs, la prospérité croissante de leurs propres entreprises va les réduire au silence.
82Ceux d’entre eux qui n’ont pas encore fait suffisamment d’efforts pour améliorer leur outillage et leurs procédés de fabrication s’y emploient rapidement.
83Si le traité de 1860 a été une révolution douanière, il a été aussi une révolution économique : « au lieu d’avoir un marché réservé, désormais, dans tous les domaines, la production française subit une concurrence, ce qui, puisque les progrès industriels étaient suffisants pour que les produits français fussent compétitifs, était un stimulant pour l’amélioration de la qualité et du prix de revient. Progressivement l’esprit libre-échangiste pénétra toute la législation commerciale française ».19
Le temps des difficultés. L’interpellation de 1868
84Après la belle envolée du commerce extérieur consécutive à la libéralisation voulue par Napoléon III et son gouvernement, on constate un ralentissement de l’expansion économique. Cette évolution est, un temps, masquée par l’éclatant succès de l’Exposition universelle de 1867.
85Mais aux difficultés politiques que subit l’Empire en Europe – après le conflit austro-prussien – et au Mexique, vient s’ajouter une dépression économique, comme en convient d’ailleurs l’Empereur qui déclare : « Des points noirs ont surgi à l’horizon et l’assombrissent ».
86En 1868, les protectionnistes qui n’ont cessé de critiquer le tournant libéral pris en 1860, interpellent le gouvernement sur les conséquences du régime économique de la France. À la tribune, Thiers préconise la dénonciation des traités de commerce, le rétablissement de l’échelle mobile pour les grains et de la surtaxe de pavillon, ainsi que la suppression de l’admission temporaire pour ouvraison. Il affirme : « Sans répudier le principe d’une protection tempérée, M. de Forcade de la Roquette n’en reconnaît l’application légitime qu’autant qu’un intérêt public vient la justifier. [...] M. de Forcade de la Roquette range notre nouveau régime économique au nombre des plus belles pages de notre histoire ». Puis il rappelle sa conclusion en interpellant à son tour le Corps législatif : « Vous n’avez pas fait comme les chambres de la Restauration et du gouvernement de Juillet, qui ont placé certains intérêts particuliers au-dessus des intérêts généraux. Issus du suffrage universel, vous avez su mettre les intérêts généraux au-dessus des intérêts particuliers. »20
87Sa brillante plaidoirie ainsi que le souci manifesté par le ministre d’État, Rouher, de ménager les protectionnistes en affirmant que le gouvernement ne marcherait que « d’un pas modéré et prudent » et en promettant de ne pas conclure d’autres traités de commerce, amènent le rejet de l’interpellation.
II LA GESTION DE L’ADMINISTRATION
88Les trois directeurs généraux qui se sont succédé de 1860 à 1870 vont appliquer la politique douanière voulue par Napoléon III.
89Forcade la Roquette aura une nette influence sur la politique douanière, non pas quand il sera chef de la douane, mais plutôt lorsqu’il sera ministre des Finances. Il n’en sera pas de même de Barbier, qui sera un grand commis du gouvernement impérial mais n’aura pas l’ascendant qu’avait su prendre Gréterin sur les parlementaires et les économistes. Amé, nommé à la veille de la guerre, sera le grand directeur dont nous étudierons l’œuvre au chapitre suivant.
Jean-Louis de Forcade la Roquette (12 mars-4 décembre 1860)
90C’est donc à ce directeur du ministère des Finances qu’il est fait appel pour faire appliquer par la douane la politique impériale découlant du « coup d’État douanier ». Au début, il doit se consacrer à préparer les textes d’application et à défendre le traité franco-anglais devant le Parlement. Ce n’est que fin mai qu’il fait une déclaration sur sa politique générale. Pour ce faire, il saisit l’occasion d’une circulaire sur les feuilles individuelles de signalement pour évoquer « les questions importantes que soulève le programme économique de l’Empereur et l’exécution du traité de commerce avec l’Angleterre, les réformes douanières qui en sont la conséquence. »
91Il précise que les aspects de la politique douanière ont occupé toute son attention dès son entrée en fonction et qu’il n’a pu se consacrer autant qu’il l’aurait voulu aux détails de la marche des deux grands services qui lui ont été confiés, et notamment à l’étude de la situation du personnel.
92À ce sujet, il pense nécessaire de modifier le système « adopté pour constater la position et le mérite des agents des divers grades ». Après avoir déploré que les feuilles signalétiques instaurées par son prédécesseur ne parviennent que rarement à la centrale, il prescrit aux directeurs d’établir, chaque année au mois de juin, une feuille individuelle pour chaque employé dont la nomination est du ressort du directeur général et du ministre.
93Il les invite à lui adresser, en décembre, les états d’avancement établis par chaque direction. Il recommande aux notateurs de faire preuve « de justice et d’impartialité qui sont la loi de l’avancement et qu’il importe de maintenir avec fermeté pour entretenir dans tous les rangs le zèle, l’émulation, le dévouement au devoir, indispensable au bien du service ».21
94Il a effectivement mis en place une série de mesures prises en application de la nouvelle politique douanière. Il transmet une loi du 25 mai 1860, sur les sucres, le café, le cacao et le thé, avec le commentaire suivant : « Accroître, dans la plus large mesure possible, la consommation de denrées considérées jusqu’à présent comme n’étant, à vrai dire, que des denrées de luxe ; en propager et répandre l’usage dans toutes les classes de la population par l’abaissement des prix, contribuer ainsi au développement du bien-être en faveur de la plus grande masse possible de consommateurs, tel a été l’un des principaux résultats qu’avait en vue le programme économique conçu et recommandé par l’Empereur. Tel est aussi l’objet de la loi nouvelle ».22
95Il a notamment donné ses instructions suite à l’importante convention sur l’importation de la houille et du coke anglais, après l’enquête qu’a faite le Conseil supérieur du commerce. Il est amené à cette occasion, à préciser les notions de « produits d’origine et de fabrication britanniques et d’importation directe du Royaume-Uni ».23
96Il précise également qu’en matière de transport direct, « on se bornera à exiger la représentation des livres et des papiers de bord » et que pour les justifications d’origine, « les certificats devront être visés par les consuls ou agents consulaires de France dans le lieu d’expédition ou le port d’embarquement ».24
97Il annonce la première convention complémentaire au traité avec l’Angleterre qui fixe le tarif appliqué « à une partie importante des marchandises d’origine et de manufacture britanniques ». Et il déclare attendre des douaniers l’application du programme économique de l’Empereur et du traité qui sont « la manifestation solennelle des principes et des tendances qui doivent se développer dans les relations de la France avec les autres pays. C’est le devoir de l’administration des Douanes de se pénétrer de ces principes et de ces tendances et de les faire prévaloir dans les détails de sa mission journalière. Vigilante pour déjouer la fraude et assurer le revenu du Trésor, elle doit se montrer conciliante dans ses rapports avec le commerce loyal, libérale dans l’interprétation des règlements et la solution des questions douteuses ».
98Confronté à la réunion de la Savoie et de Nice à la France, et après une période d’attente causée par la lenteur de la ratification de la cession de ces deux provinces par le parlement sarde, il fait prendre les premières mesures d’urgence et fait établir les nouvelles lignes de douane.25 Nous verrons plus loin, les problèmes rencontrés par la douane et les douaniers à cette occasion.
Pierre Barbier (5 décembre 1860-18 mars 1869)
99Le passage à la tête de la douane de Forcade la Roquette aura duré peu de temps puisqu’il est nommé, au bout de huit mois, ministre des Finances. Il a pu observer et juger les hauts fonctionnaires du ministère des Finances lorsqu’il était directeur général des forêts ainsi que les administrateurs de la douane avec qui il lui a fallu mettre en œuvre les réformes nécessitées par la nouvelle politique et les aspects douaniers les plus urgents de la réunion de Nice et de la Savoie à la France. « L’un d’entre eux lui a semblé posséder des mérites supérieurs à ceux de ses collègues et suffisants pour qu’il en fasse son successeur. Il s’agit de Barbier, celui-ci, directeur en 1848, à été appelé au poste d’administrateur en 1851. En 1860, il a donc près d’une dizaine d’années d’expérience de ce dernier emploi. Les témoignages recueillis prouvent que Barbier jouit au sein des Douanes, de l’estime générale et que sa désignation comme chef de l’administration a été souhaitée par ses pairs. Il va assurer cette charge presque jusqu’à la fin de l’Empire et, lorsqu’il l’abandonnera en 1869, ce sera, comme son prédécesseur, pour accéder au Sénat. »26
100Voici donc Barbier promu directeur général des douanes et droits indirects le 5 décembre 1860.27
101Il s’attache d’abord à rassurer l’ensemble du service des douanes. « A tous les degrés de la hiérarchie, les agents des deux grands services que j’ai l’honneur de diriger me connaissent ; ils sont assurés que leurs intérêts, leurs besoins, seront l’objet de ma constante préoccupation. Enfants d’une même famille, ils savent qu’ils ont des titres égaux à ma sollicitude. De mon côté, j’ai foi dans le dévouement de tous. »
102Il poursuit en ces termes : « Par une application loyale du nouveau tarif, nous contribuerons au succès du nouveau régime économique inauguré par l’Empereur, et nous prouverons qu’il est facile d’assurer l’exécution de la loi en la couvrant de la forme et des ménagements qui en font accepter les exigences ».28
103Dans la nouvelle politique douanière, la question de l’origine devient plus importante que par le passé.
104Les vérificateurs des douanes ayant contesté à plusieurs reprises la validité des certificats d’origine présentés pour l’importation de produits en provenance de l’Angleterre, une enquête est décidée. Celle-ci démontre que : « La douane anglaise n’assume pas la responsabilité des certificats qu’elle délivre. Elle ne constate pas elle-même l’origine des marchandises ; elle donne simplement acte de la déclaration qui lui est faite par l’expéditeur. Mais l’auteur d’une fausse déclaration est poursuivi d’office par la douane et passible d’une amende considérable. La sévérité de la législation britannique en pareille matière est ainsi une garantie, sinon absolue, du moins très sérieuse, de la sincérité des déclarants ». Barbier, après avoir donné ces explications, indique que le ministre des Finances, suivant les intentions des négociateurs du traité franco-anglais, a décidé d’accepter la validité des certificats d’origine ainsi délivrés ?29
105Par une série de circulaires, Barbier annonce et organise la mise en vigueur, à partir du 1er octobre 1861, du traité du 23 janvier et de ses deux conventions complémentaires. Des décrets ont, en effet, comporté des listes des produits qui vont bénéficier des tarifs conventionnels.
106Par ailleurs, des instructions sont fournies en ce qui concerne le traité de commerce conclu, le 1er mai 1861, entre la France et la Belgique, accord en tous points semblable à celui conclu avec l’Angleterre. Il y est notamment indiqué : « Chacune des deux Hautes Parties contractantes s’engage à faire profiter l’autre de toute faveur, de tout privilège ou abaissement dans les tarifs des droits à l’importation ou l’exportation des articles mentionnés ou non dans le présent traité, que l’une d’elles pourrait accorder à une tierce puissance. Elles s’engagent, en outre, à n’établir l’une envers l’autre aucun droit ou prohibition d’importation ou d’exportation qui ne soit, en même temps, applicable aux autres nations ».
107Par circulaire du même jour, Barbier rappelle que la même clause figure dans le traité conclu avec la Grande-Bretagne et qu’elle doit recevoir sa première application, car un certain nombre de marchandises d’origine belge vont jouir d’un tarif plus favorable.
108Le directeur général a bien conscience des difficultés que ces services vont connaître dans l’application de ces deux traités quand il remarque : « Si quelques produits sont, d’après le traité avec l’Angleterre, frappés de taxes spécifiques, ces mêmes produits sont, par le traité belge, tarifés à la valeur : c’est ce qui a lieu pour le coutil, le lin et le chanvre. Dans ce cas, comme dans tout autre semblable, si les importateurs de marchandises anglaises préféraient à l’application des droits résultant du traité belge, le traitement déterminé par les conventions des 12 octobre et 16 novembre 1860, la douane ne pourrait se refuser à les faire jouir du régime conventionnel attribué à la nation d’où les marchandises sont originaires ».
109Il énumère les instructions pour l’exécution des conventions avec l’Angleterre qui doivent être appliquées « en tout ce qui n’est pas modifié par le traité belge de même aussi que les instructions contenues dans la circulaire transmissive du traité belge, devront servir de règle pour l’extension de ses dispositions à l’Angleterre ».30
110Barbier est notamment amené à préciser la conduite à tenir en matière de valeur. Il précise que les acceptions de la mention escompte ne sont pas identiques de chaque côté de la Manche. Il indique aussi que l’assurance doit être comprise dans la valeur à déclarer à l’importation. Il ajoute : « Au fond, la valeur à déclarer par l’importateur, et celle sur laquelle doit porter le droit, est la valeur normale et régulière du produit dans le pays de production, augmentée des frais de transport, d’assurance et de commission jusqu’à son arrivée ou son débarquement en France. Quand, au lieu du prix net et effectif de la vente, les factures présentées à l’appui des déclarations mentionnent des escomptes ou remises quelconques, la douane ne peut en tenir compte qu’autant qu’ils ne font pas obstacle à ce que le prix régulier puisse être établi, de manière que les mêmes produits, quel que soit le déclarant, supportent autant que possible la même somme de droits ».31
111Les modifications au tarif entrent en vigueur le 1er octobre 1860. Barbier fait parvenir au service une nouvelle édition complète du tarif dont la consultation doit éviter tout risque de confusion et d’erreurs.32
112Le gouvernement utilisant, là encore, la procédure d’urgence prévue par la loi de 1814, prend, jusqu’à la veille de la guerre de 1870, une série de mesures comportant abolition des prohibitions, franchise de droits à l’exportation, suppression de primes à la sortie, réduction ou exemption de droits sur les produits nécessaires à l’industrie. Cette politique sera entérinée sans difficulté par le Parlement. Certaines dispositions sont d’ailleurs adoptées selon la procédure normale.
113Il en est ainsi de la loi du 16 mai 1863. Des dispositions relatives au transit ont été présentées directement au Parlement, par contre les autres parties de cette loi ont principalement pour objet l’homologation des divers décrets successivement rendus depuis 1853.
114L’article 10 de la loi stipule que les exclusions ou restrictions du transit sont supprimées, sauf pour les munitions de guerre et les contrefaçons en librairie. « Les marchandises exemptées de droits à l’entrée mais passibles de taxes à la sortie ne sont plus assujetties qu’au simple passavant et sont affranchies du plombage. Le prélèvement d’échantillons pourra être substitué au double emballage et double plombage. »33
115Barbier donne les explications sur « les mesures dont l’application pourrait faire naître des doutes dans l’esprit du service ou qui réclament plus spécialement son attention ». Il fournit d’abord des informations sur les décisions de classement des marchandises dans la nomenclature douanière, il attire l’attention sur certaines taxations comme les confitures, certains produits chimiques, les porcelaines, les nankins et les tapis de pied. Il s’étend longuement sur le régime des sucres admis au régime du drawback. Les rendements sont désormais plus élevés. Le jury institué pour la vérification des certificats d’origine et de la qualité des sucres exportés est supprimé. Enfin il donne l’ordre au service de ne plus tenir compte, dans le calcul du drawback, que de la moitié de la surtaxe de pavillon.34
L’application de la politique douanière sur les produits
116S’agissant des sucres, un simple décret avait déjà permis un régime favorisé pour les sucres et mélasses importés d’Angleterre et de Belgique. Au cas particulier, le bénéfice de ces dispositions avait été accordé à ce dernier pays, lors des négociations du traité de commerce conclu le 1er mai 1861. Il est étendu, ipso facto, à l’Angleterre.35
117Barbier avait attiré l’attention du service sur une des dispositions de la loi de finances, promulguée en même temps, qui établissait une taxe supplémentaire sur les sucres bruts importés. Il avait précisé aussi les différentes quotités applicables aux sucres admis au bénéfice du drawback.36
118Mais les fabricants continuent à protester contre le sort qui leur est réservé, c’est pour leur complaire qu’une loi prévoit une réduction des droits sur les sucres bruts de toute origine et pour les sucres raffinés venant des colonies françaises. Elle supprime le régime du drawback remplacé par celui de l’admission temporaire.37
119Dans sa transmission, Barbier précise que cette procédure « devient obligatoire pour les sucres bruts, indigènes ou exotiques, qu’on voudra se réserver la faculté de réexporter après raffinage. [...] Elle sera facultative pour les autres. [...] Elle n’est pas permise à l’égard des sucres raffinés ».
120Il attire surtout l’attention du service sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un simple changement de tarif. La douane a fait mettre en œuvre un système nouveau aussi important pour le trésor public que pour le commerce du sucre. Il faut assurer toutes les garanties pour les finances de l’État en facilitant, dans toute la mesure du possible, les opérations des fabricants ainsi que celles des exportateurs et importateurs de sucre. Il recommande aux chefs de tous grades de porter toute leur attention pour atteindre ce double but.38
121Cela ne doit pas faire perdre de vue la vigilance que le service doit apporter à la surveillance de la régularité des opérations. C’est pourquoi Barbier précise que « toute tentative ayant pour but de faire admettre à l’exportation ou à la réintégration en entrepôt, des sucres n’ayant pas le poids déclaré ou le degré de pureté ou de blancheur exigé par les règlements, sera punie, dans le premier cas, d’une amende égale au double droit sur le déficit, décimes, demi-décimes et dépens ; et dans le second cas, d’une amende de 10 francs par 100 kg, décimes, demi-décimes et dépens. La marchandise pourra être retenue pour sûreté de l’amende et des frais.39
122Un décret du 8 novembre 1869 permet l’admission en franchise des sels à usage agricole, à l’instar de ce qui se fait déjà pour la conservation des produits de la pêche et pour la fabrication de la soude.
123L’impôt du sel, abaissé de 30 à 10 francs en 1848, a été recouvré avec une régularité parfaite, « se développant sous tous les tarifs dans des conditions peu différentes, et beaucoup plus en butte aux préventions historiques des lettrés qu’à l’opposition des contribuables ».40
124Il a pesé de moins en moins sur le pouvoir d’achat au fur et à mesure de l’élévation de ce pouvoir. On a déjà apporté des aménagements au régime des sels destinés à la fabrication de la soude. Cette disposition, qui affranchit ces sels de l’impôt, prévoit le remboursement des droits déjà perçus sur les sels entreposés. Le service des douanes doit donc en dresser un inventaire et Barbier insiste sur « les soins et l’attention nécessaires pour éviter toute confusion et ne pas s’exposer à prendre en compte, pour leur faire accorder un double remboursement, des produits fabriqués, au moment du changement de régime, avec des sels déjà inventoriés qui recevraient d’un autre côté la restitution de la taxe de 10 francs par 100 kilogrammes. »41
125Le régime de faveur obtenu par les fabricants de soude leur « impose l’obligation de dénaturer les sels utilisés et interdit, dans les usines, la fabrication de tous produits chimiques autres que le sulfate de soude et la soude brute ».42
126Cette disposition entraîne, pour le service des douanes, une surveillance permanente des fabriques. Barbier est donc amené à instaurer une permanence exercée de jour et de nuit. Il recommande à ses directeurs « de s’assurer que les logements affectés aux employés des douanes sont sains et convenables ».
127Il organise d’autre part la perception, par les receveurs, d’une indemnité destinée à couvrir le Trésor des frais occasionnés par cette surveillance. Enfin il décrit les opérations de vérification par pesée ou par cubage auxquelles les préposés doivent se livrer. Il institue des registres de compte ouvert pour les mouvements de sel, recommande des vérifications du « titre » des produits et prescrit le prélèvement d’échantillon pour examen par les commissaires-experts du gouvernement.43
128L’une des plus importantes lois prises dans le cadre de la nouvelle politique douanière suivie par le gouvernement impérial est, sans conteste, la suppression du système de l’échelle mobile. Le nouveau tarif embrasse outre les céréales, comme le blé, le méteil, le seigle, le maïs, l’orge, le sarrasin et l’avoine, un certain nombre d’autres denrées alimentaires « dont le régime devait être aussi modifié pour le mettre en harmonie avec celui des grains proprement dits ».44
129Pour imprimer à cette loi un caractère de fixité et de permanence indispensables au commerce et à l’agriculture, l’article 4 stipule que d’éventuelles modifications ne pourront pas être apportées par simple décret.
130Barbier attire l’attention du service sur la disposition qui remplace la taxation à la mesure par une tarification au poids. Ceci simplifiera, selon lui, les opérations de vérification et les écritures. En particulier les acquits à caution cesseront d’être exigibles pour les grains et farines expédiés en cabotage.
131Cette modification profonde de la législation sur les céréales a rendu indispensable la révision de la réglementation douanière concernant l’admission temporaire des grains d’origine étrangère. Barbier souligne : « Le commerce a la plus grande latitude pour importer les blés qu’il veut faire moudre, en outre il peut faire sortir les farines qu’il renvoie à l’étranger par toute frontière quelconque, quelqu’ait été le lieu d’importation du blé ; le second, c’est qu’il jouira dorénavant d’un délai de trois mois pour accomplir cette opération ».45
Les procédures
132En 1853, on a déjà simplifié les règles du transit international par fer. D’obligatoire, l’escorte des convois est devenue facultative. La « feuille de route » accompagnant chaque train a été simplifiée.
133Les plombs apposés par la douane du pays de départ sont déclarés suffisants à l’entrée en France, et couvrent, sauf exception, le transport intérieur. Ces deux dernières dispositions sont applicables par l’ensemble des pays signataires de conventions conclues entre divers pays européens en matière de coordination du transport ferroviaire. Ce fait constitue la première expérience de cette nature. « Dès cette époque enfin est admise la libre circulation du matériel de chemin de fer, de part et d’autre des frontières, sous simple engagement des compagnies de réimporter les matériels français et de réexporter les matériels étrangers.
134Le transport international par fer se révèle donc bien, dès les premières années de son apparition, comme l’initiateur d’une conception nouvelle du dédouanement : allégement des formalités justifié par la confiance que la douane prête aux Compagnies ; amorce d’une coopération internationale et rudiments d’un droit douanier international ; déplacement de la notion de frontière par la banalisation du transit et le transfert du dédouanement dans certaines localités de l’intérieur ».46
135Les activités ferroviaires se concentrent, en matière de fret, sur quelques gares frontières. Il s’y crée sous le Second Empire des gares communes à la France et au pays voisin. Des textes paraissent depuis le premier règlement, établi le 30 décembre 1848, pour mettre en œuvre le contrôle douanier tant sur les gares frontières que sur le transit international.47
136C’est en juin 1857 qu’est promulgué un « règlement concernant les formalités à remplir à la Douane établie dans les gares de chemin de fer au sujet des marchandises admises au bénéfice du transport au transit international ».48
137Ce règlement prévoit la présence d’un fondé de pouvoir de la compagnie ferroviaire habilité à la représenter auprès du service des douanes. Le quai de la gare doit être disposé de manière à ce que les wagons puissent être déchargés devant le bureau. Il y aura séparation matérielle des marchandises destinées à l’importation et à l’exportation. Les magasins seront fermés à deux clefs, l’une pour le fondé de pouvoirs, l’autre pour la douane. Les mouvements de marchandises s’opèrent sous la surveillance du service des brigades. Il y aura inscription de ces mouvements sur un carnet tenu par un employé des douanes faisant fonction de garde-magasin.
138Si les formalités de dédouanement dans les gares frontières ne différent pas de celles accomplies dans les autres bureaux maritimes ou terrestres, le transit international est justiciable de procédures particulières. Il est couvert par des acquits à caution établis distinctement par destination ainsi que par des feuilles de route récapitulatives. Chaque wagon est plombé. Les dossiers sont établis en double exemplaire dont l’un reste au bureau et l’autre accompagne la marchandise. Il doit être renvoyé déchargé par le bureau de destination. Si le rapprochement avec le duplicata, resté au point de départ, ne donne lieu à aucun litige, l’engagement de la compagnie est annulé.
139Pour les transits émanant de l’intérieur du pays et destinés à l’étranger, les formalités sont comparables, mutatis mutandis.
140Des aménagements sont apportés ultérieurement : exceptions au plombage49, acquits à caution50, marchandises exclues51, escortes52, dépôt53, différences de poids54, replombage55, contentieux56.
141Les règlements relatifs au transit en général subissent diverses modifications conçues dans l’intérêt du commerce. Plusieurs restrictions ont été apportées. Il n’y a plus de prohibition qu’en matière d’ordre public. L’administration des douanes est amenée à rechercher, chaque fois que possible, des aménagements à cette branche importante du transport. Elle y est encouragée par les suppressions ou réductions des droits opérées sur les droits d’entrée et de sortie.
142Elle doit tenir compte des avantages accordés, en la matière, au transport ferroviaire par rapport aux autres modes de transport. Il lui faut atténuer, en faveur de ces derniers, les distorsions constatées.
143Nous avons vu que, déjà, l’équipe de Forcade la Roquette avait arrêté des dispositions prises à titre provisoire et d’essai, qui avaient prévu la suppression de toutes les restrictions et formalités relatives au transit pour les produits exempts de droits, à la fois à l’entrée et à la sortie, suppression dans de nombreux cas de l’acquit à caution, du double plombage, voire du simple plombage. Elle a étendu ces mesures aux mutations d’entrepôt opérées par voie de terre.57
144Entre autres nouveaux aménagements. Barbier prévoit qu’un échantillon plombé peut être substitué au second emballage et au second plomb toutes les fois que le prélèvement d’un échantillon est possible. Déjà applicable dans des cas limités – transit des tissus, des fluides et autres liquides en futailles – cette mesure est généralisée à tous les produits pour autant que le commerce ne réclame pas le double plombage.58
145Le régime de l’admission temporaire reçoit, lui aussi, des aménagements destinés à favoriser l’industrie et le commerce. Il devient moins restrictif pour les grains.59 Il est étendu pour la première fois aux tissus de coton, puis de chanvre, de lin et de laine.60 Pour les tissus de cotons écrus, en pièces, destinés à être imprimés en France pour la réexportation, un décret de 1861 prévoit l’admission temporaire en franchise de droits.61
146Dans sa transmission, Barbier précise qu’indépendamment du nombre de pièces, il faudra déclarer le poids net et la mesure de chacune d’elles. Le service délivrera un acquit à caution après avoir apposé une estampille à chaque bout de pièce.62 Précisons que le régime de l’admission temporaire pour les tissus de coton sera supprimé en 1870 par Amé, successeur de Barbier.63
147Une autre mesure, à impact limité, est intervenue en 1862. Un décret impérial a autorisé l’admission en franchise de tout droit de douanes aux Antilles, à la Réunion et en Algérie, des produits exportés de France et fabriqués avec des matières premières étrangères, mises sous le régime de l’admission temporaire. Barbier indique aux directeurs régionaux que ce décret abroge implicitement la perception du cinquième du droit métropolitain afférent à la matière brute sur les machines et autres ouvrages en fonte, fer et acier, expédiés dans ces contrées.64
148L’admission temporaire des métaux a surtout intéressé les chantiers navals. On a déjà pris une mesure en faveur des compagnies maritimes en autorisant l’admission à la francisation des navires des États-Unis d’Amérique, soit à voiles, soit à vapeur. Cette francisation est obtenue moyennant le paiement des mêmes droits que ceux applicables aux bâtiments anglais ou belges, qui y sont admis en vertu des traités des 23 janvier 1860 et 1er mai 1861.
149Pour les chantiers navals, une loi porte : « Tous les objets bruts ou fabriqués, y compris les machines à feu et les pièces de marchandises entrant dans la construction, le gréement, l’armement et l’entretien des bâtiments de mer, destinés au commerce, en bois ou en fer, à voiles ou à vapeur, seront admis en franchise de droits, à charge de justifier, dans le délai d’un an, de l’affectation des dits objets à la destination ci-dessus prévue ».65
150Malgré ces divers encouragements, la flotte française ne connaît pas l’essor attendu. Cette indication vaut en particulier pour la marine à vapeur. À noter la part importante des importations de navires étrangers ; c’est ainsi que le rapport entre les bateaux français construits sur des chantiers navals nationaux et ceux importés de l’étranger et francisés paraît être de 2 à 3 entre 1855 et 1865.66
151Et pourtant, le trafic maritime a connu une belle envolée, surtout sensible dans les ports connaissant des lignes régulières comme Le Havre, Nantes, Bordeaux et Marseille. La multiplication des opérations de dédouanement a amené d’importants changements dans les procédures douanières et dans les effectifs. On a pu transférer dans les grands ports, les douaniers en surnombre dans ceux en perte de vitesse. Pour décongestionner les ports, il a fallu étendre l’autorisation de débarquement des cargaisons avant dépôt des déclarations en douane.
152On a remplacé les tentes initialement en usage par des hangars fermant à deux clefs, l’une entre les mains du gestionnaire du port, généralement la chambre de commerce, l’autre entre celles de la douane.
153Les impératifs de rapidité, liés à l’exploitation de lignes maritimes régulières et à l’apparition de la marine à vapeur, la disparition des droits de sortie, la réduction du nombre d’opérations bénéficiant de primes à l’exportation, l’allégement des prohibitions et des droits à l’importation ont contribué sensiblement à l’accélération des formalités douanières.
154En matière de cabotage, diverses décisions prises avant 1860 avaient déjà limité le nombre de produits soumis à la formalité du plombage. Barbier, à la suite de questions posées par le Conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, est amené à entrer plus avant dans la voie de la simplification.
155Il rappelle : « Les substitutions que le plombage a pour but de prévenir sont bien moins à craindre avec le tarif modéré en vigueur qu’elles ne pouvaient l’être autrefois ». Il renonce, à titre provisoire, à la garantie du plombage pour les expéditions de port français à port français. Il demande « au service de continuer à accorder de grandes facilités soit pour la visite, soit pour l’embarquement et le débarquement des marchandises de cabotage. La reconnaissance sera toujours faite, autant que possible, sur les lieux même de la manutention sans présentation au bureau. Cette dernière disposition facilite grandement la tâche des transporteurs ».67
156Barbier a compris qu’il fallait aider la marine marchande et les ports, en particulier les petits, qui voient leurs activités liées au fret maritime diminuer inéluctablement. À leur déclin correspond celui des bureaux de douane qui y sont installés, et ceci, d’autant qu’ils sont amenés à appliquer des procédures douanières de plus en plus simplifiées.
157Le cabotage national est en train de perdre des parts de marché à cause de la croissance des transports terrestres due à l’amélioration de l’état des routes et dans une plus grande mesure par suite de l’importance grandissante du trafic commercial ferroviaire.
158Le régime d’admission temporaire, largement ouvert par le gouvernement impérial, est très critiqué. Les métallurgistes, les filateurs et les agriculteurs relèvent les distorsions entraînées par l’admission par la douane de la réexportation à l’équivalent et non à l’identique. Une polémique s’installe et la douane est citée en justice pour avoir illégalement adopté la notion d’équivalent.
159Le gouvernement essaie de réduire les inconvénients signalés par des mesures de portée limitée : contraction des délais de réexportation, recherche de « l’identité d’espèce aussi exacte que possible entre les métaux introduits du dehors et les fabrications présentées à la sortie », suivi documentaire des opérations comportant « justification de commande, transport direct des matières premières à mettre en œuvre vers les usines autorisées, suivi des acheminements des matières premières vers les usines et constat par la douane de leur arrivée sur les lieux de transformation autorisés ».68
160Nous verrons qu’au début du directorat d’Amé, le régime de l’admission temporaire et celui de l’entrepôt seront assouplis.
161Le régime des entrepôts, instauré par la loi du 8 floréal an XI, avait été complètement refondu sous le directorat de Gréterin. Les entrepôts avaient été ouverts aux marchandises prohibées et cette procédure, initialement réservée aux ports maritimes, avait été étendue aux villes frontières et à celles de l’intérieur.69
162Barbier n’aura que des modifications de détail à apporter à ce régime qui favorise le commerce international. Jusqu’alors, toutes les marchandises devant être réexportées devaient obligatoirement entrer en entrepôt. Avec la libéralisation de 1860 et les mesures en faveur de la marine, il y eut afflux de ces produits. En outre, nombre d’entre eux étaient exemptés de droits d’entrée. C’est pourquoi une circulaire décida de ne plus admettre ces dernières, ni en entrepôt réel, ni en entrepôt fictif : « il importe qu’elles ne viennent ni encombrer les entrepôts, ni faciliter les substitutions, et les commerçants n’ont aucun intérêt à ce qu’il en soit autrement ».70
163Tout comme en 1855, l’Exposition universelle de 1867 bénéficie du régime de l’entrepôt réel. Victor Barbier relate « qu’un service spécial de vérificateurs et de commis pris sur tous les points de la France et placés sous la direction supérieure d’un inspecteur de la douane de Paris fonctionna en permanence soit pour prendre en compte tout ce qui entrait soit pour vérifier et liquider tout ce qui en sortait ».71
164Le directeur général des douanes, Pierre Barbier, a été désigné membre de la commission de surveillance de l’exposition. Dix millions de visiteurs, dont beaucoup d’étrangers, viennent admirer les produits de 50 000 exposants. Les services douaniers aux frontières connaissent un trafic touristique sans précédent.
L’annexion de la Savoie et de Nice
165La défaite de l’Empire austro-hongrois a entraîné indirectement l’annexion à la France de la Savoie et du comté de Nice par le traité du 24 mars 1860.
166Les habitants de ces deux régions ont été consultés sur ce rattachement amenant, comme conséquence, la mise « hors douane » d’une portion importante de la Savoie. Cette disposition comportait la liberté de commerce avec Genève par la création d’une vaste zone franche. Les esprits ont été majoritairement tentés par une situation ainsi décrite : « Supposons que la Savoie soit faite française. [...] On est donc "Français et zone". Point de douaniers sur le lac, point de douaniers à Saint-Gingolph, à Douvaine, à Saint-Cergues, à Argentières, à Morzine, à Samoëns, à Annemasse. On respire... Nous allons, nous venons, en Valais, dans le canton de Vaud, dans le canton de Genève ; nous vendons, achetons en pleine liberté. Point d’horaire pour passer au bureau des Douanes ; nous sommes chez nous comme les bonnes années de 1804, 1808, 1812. Avec cette perspective, si vous trouvez dans vos contrées quelqu’un qui veuille être Suisse, je donne la plus belle de mes vaches à l’hôpital ! »72
167Il n’est donc pas étonnant que les bulletins « oui » aient représenté en Savoie du Nord 80 % des votes.
168Forcade la Roquette entamait son éphémère directorat. Il avait vite fallu organiser un régime exceptionnel semblable à celui obtenu par le pays de Gex. Un décret du 13 juin avait étendu aux territoires annexés la législation française sur le sel et le tabac. Forcade avait envoyé l’administrateur Pierre Barbier, qui devait bientôt le remplacer. Celui-ci avait prescrit d’établir d’abord la ligne de douanes sur les nouvelles frontières et de lever ensuite l’ancienne. Il avait annoncé la suppression de la direction de Grenoble et la création de deux directions, l’une à Chambéry, l’autre à Nice.73
169Prosper Vignet, directeur des douanes sardes, avait opté pour la France. Il était entré en fonctions comme directeur à Chambéry le jour même de la translation. Il avait sous ses ordres un fort contingent de douaniers sardes d’origine savoyarde, auxquels le traité avait garanti l’emploi dans la douane française si tel était leur désir.
170Le régime de la partie de la Savoie située en zone franche avait d’abord été défini par une circulaire d’août 1860. Ce territoire était placé dans la même situation douanière que celle du pays de Gex érigé en zone franche par l’arrêté du 13 octobre 1828. Par circulaire, Forcade avait transmis au service le décret qui portait : « La partie de la Savoie située au delà de la ligne des douanes, jouira du régime exceptionnel établi dans le pays de Gex ».74
171À partir du régime dont bénéficie ce dernier pays, Barbier avait établi un rapport ayant servi de base à l’arrêté qui règle le régime applicable à la partie neutralisée de la Savoie : « Chaque année, un arrêté déterminera les quantités de fromage, de bêtes à cornes, de cuirs, de bois sciés et d’ardoises provenant de la partie de la Savoie située en dehors de la ligne de douane, appartenant à des habitants de ce pays et qui pourront être admises en exemption de tous droits à la consommation intérieure ; les quantités de matières premières qui pourront être expédiées en franchise de l’intérieur de l’Empire à destination de ces mêmes pays pour les besoins de l’agriculture et de l’industrie. Transitoirement, il sera pourvu à la fixation des crédits à accorder pour le second semestre de l’année courante, par un arrêté spécial basé sur les évaluations indiquées par l’Administration des douanes et des contributions indirectes et par le préfet de la Haute-Savoie ».75
172Il n’en avait pas été de même à Nice, les habitants avaient tout intérêt à entrer dans le territoire français et la question n’a pas soulevé de problème douanier autre que la translation des lignes et des bureaux de douane.
173C’est un inspecteur de Marseille qui avait été promu directeur. La translation des lignes s’était faite aussi bien sur la côte en direction de Menton que sur les Alpes. Des décrets prévoyaient l’extension des lois et règlements des douanes françaises sur les territoires annexés et fixaient les attributions des nouveaux bureaux de douanes.
174Barbier, intronisé directeur général, transmet le décret du 31 mars 1861 portant promulgation de la convention de délimitation des frontières résultant de l’annexion de la Savoie et de Nice, règle les questions se rattachant à l’exploitation des propriétés limitrophes. Par circulaire, il précise que les Français propriétaires dans les États sardes, et les Piémontais propriétaires en France peuvent faire traverser la frontière, sans payer de droits de douane ni à la sortie ni à l’entrée, aux denrées provenant de la récolte de ces terres, ainsi qu’au bois, au lait, au beurre, au fromage, à la laine, et aux engrais et semences. Ce bénéfice est accordé aux terres situées dans le demi-myriamètre de la nouvelle frontière.76
175La prise en considération des données propres à la Savoie et l’estimation des courants commerciaux entre le Gex, la Savoie et le territoire français ont amené une refonte de l’arrêté pris en juillet 1860.
176En 1863, un nouvel arrêté « soumet à un même régime commercial les territoires neutralisés de la Haute-Savoie et du pays de Gex ». Il décide que le ministre des Finances déterminera « chaque année, sur la proposition du directeur général des douanes et des contributions indirectes et des préfets de l’Ain et de la Haute-Savoie, les quantités de produits naturels ou manufacturés du pays de Gex et de la Savoie neutralisée qui peuvent être admises en exemption des droits de douanes dans la consommation intérieure de l’Empire ».
177Il est ensuite indiqué : « Les crédits à accorder sont limités aux seules fabriques appartenant à des nationaux, et existant dans la partie de la Savoie et du pays de Gex en dehors des lignes de douanes ». En cas de tentative de fraude, la répression est sévère : « Toute déclaration inexacte ayant pour objet d’introduire en France des objets non produits dans les pays neutralisés du Gexois et de la Haute-Savoie sera constatée par les agents des douanes en présence et avec le concours du maire ou de l’adjoint de la commune, qui signera le procès-verbal. Les fausses déclarations, ainsi constatées entraîneront l’interdiction des immunités ».77
La principauté de Monaco
178La principauté de Monaco a été entourée d’un cordon douanier dès la prise de possession des nouvelles frontières de l’ex-comté de Nice. Sous protectorat français depuis 1641 jusqu’aux Cent-Jours, cette petite principauté, amputée de Menton et de Roquebrune, était depuis 1815 sous protectorat sarde.
179Le 31 décembre 1865, Barbier transmet un décret qui promulgue une « convention relative à l’Union douanière conclue le 9 novembre 1865 entre la France et la Principauté de Monaco ».78 Elle prévoit la régularisation du rattachement de Menton à la France. Le directeur général précise à ses services : « La Principauté de Monaco est placée désormais sous le régime des douanes de l’Empire, et, comme conséquence de cette mesure, l’article 4 supprime toute distinction entre le pavillon monégasque et le pavillon français ».79
180La convention prévoit une indemnité annuelle de vingt mille francs, consentie au prince contre l’abandon des droits de douane et de navigation ainsi que du monopole du sel, et 75 % des sommes acquittées en surplus de ces vingt mille francs. Tous les employés des douanes devront être sujets français, à la nomination du gouvernement français. Les infractions douanières seront poursuivies à la requête de l’administration française devant le tribunal de Nice.
181« Ce régime allait durer jusqu’à la Grande Guerre, bien que le Prince s’estimât lésé dans la mesure où la majeure partie des produits destinés à Monaco y parvenait déjà dédouanée ».80
L’Algérie
182Rappelons que, depuis 1848, la douane algérienne est directement rattachée à la direction générale des Douanes de France. Tous les cadres et le service des bureaux sont métropolitains. Peu à peu, et au fur et à mesure des augmentations des effectifs, il sera fait appel à des Français recrutés sur place avec des concours identiques à ceux de la métropole. Les carrières sont harmonisées. On a recours aux indigènes qui, recrutés dans les brigades, serviront particulièrement dans les brigades à cheval.
183Sur le plan de la législation et sur celui du tarif, l’assimilation entre la métropole et l’Algérie est confirmée en 1860. Depuis la conquête, les produits en provenance de ce pays étaient considérés comme venant de l’étranger. En 1843, seuls quelques produits algériens sont admis en franchise. C’est en 1851 que le tarif et la législation des douanes métropolitaines sont devenus applicables dans les possessions françaises en Afrique.81
184Gréterin, directeur général à l’époque, avait alors expliqué : « L’Algérie trouvera, en exemption de toute taxe le débouché des produits qu’elle est en mesure de produire ». Il avait souligné l’exemption des droits de sortie dans les deux sens du trafic métropole Algérie et rappelé l’obligation d’utiliser exclusivement des navires français pour ces transports.82
185Gréterin avait signé, peu avant son départ à la retraite, la transmission d’un décret du 11 février 1860 qui étendait la liste des produits algériens admissibles en franchise ou à des conditions de faveur. Il avait rappelé, d’abord, que la législation de 1851 avait en vue d’établir et de multiplier les relations entre les deux pays. Il avait indiqué avoir constaté, ensuite, que des marchandises susceptibles de bénéficier de ce régime favorisé étaient jusqu’alors admises, à leur importation de l’étranger en Algérie, soit en franchise, soit à des taux réduits. Cette situation étant susceptible d’engendrer des dommages, ou pour le Trésor, ou bien pour les intérêts des industries métropolitaines, il lui était apparu qu’il convenait d’en faire cesser les effets. Il avait fait remarquer que le décret avait prévu que « par le principe de l’assimilation entre la métropole et l’Algérie le régime de faveur dont bénéficiaient ces produits à leur entrée en Algérie, cesserait pour faire place à l’application du tarif général ».83
186Lors de l’arrivée de Barbier à la tête de la douane, il reste encore des anomalies qu’il s’efforce de faire rectifier à son tour. En effet, des produits naturels originaires d’Algérie sont soumis à leur entrée en métropole aux droits du tarif général. Ils subissent donc des droits plus élevés que dans les relations de la France avec l’Angleterre et la Belgique. Il a donc été décidé que les produits originaires d’Algérie ne jouissant pas de la franchise à l’entrée en France, seront admis en franchise si celle-ci est prévue dans les tarifs conventionnels franco-anglais et franco-belge, soit à des droits qui ne pourront excéder, ceux déterminés par ces tarifs.84
187« Napoléon III n’est cependant pas convaincu que l’assimilation, même tempérée, soit le meilleur moyen d’assurer à l’Algérie tout le développement économique dont elle est susceptible. En 1863, il envoie Forcade la Roquette, ministre des Finances, enquêter sur place. Cette mission, dont le but officiel est de renseigner le Conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie, est surtout destinée à éclairer l’Empereur avant le voyage que celui-ci projette d’accomplir en Algérie. Le déplacement a effectivement lieu en 1865 et la déclaration que fait l’Empereur à Alger est éclairante sur les idées profondes du monarque : « Notre premier devoir est de nous occuper du bonheur de trois millions d’Arabes que le sort des armes a fait sous notre domination...[d’] élever les Arabes à la dignité d’hommes libres..., [d’] améliorer leur existence en faisant sortir de cette terre tous les trésors que la Providence y a enfouis. Telle est notre mission. »
188Déjà, en 1864, la liberté de pavillon a été décrétée entre l’Algérie et la métropole. Dans une lettre au gouvernement, datée du 20 juin 1865, Napoléon III ne cache pas son opinion quant à la politique douanière qu’il souhaite appliquer à cette colonie : « L’Algérie, y déclare-t-il, aurait dû être ouverte à tous les produits du globe sans barrière de douane. Cependant, si la législation postérieure s’inspire de cette préférence doctrinale, elle ne l’adopte pas totalement ».85
189En 1866, une loi sur la marine marchande libère la navigation entre France et Algérie.86 Puis c’est la loi du 17 juillet 1867, elle a pour objet d’accorder « de nouvelles facilités au commerce et à la consommation en Algérie ». Elle décrète l’admission en franchise des produits naturels ou fabriqués en Algérie mais aussi de ceux qui y ont été nationalisés par le paiement des droits. Barbier précise que cette loi « réalise complètement, sous ce rapport, l’assimilation de l’Algérie à la métropole ». Il indique par ailleurs qu’il y a « immunité des droits de sortie ».87
Les douanes d’outre-mer
190Les anciennes colonies des Antilles, de la Guyane et de la Réunion possèdent depuis longtemps un service des douanes chargé de percevoir les droits. Le commerce français a une position quasi monopolistique dans les relations avec ces pays. Il en est de même du pavillon national. Ce système, connu sous le nom de « pacte colonial », brièvement interrompu sous la révolution de 1789, a subsisté jusqu’en 1848. Depuis, on a surtout essayé de protéger les planteurs de canne à sucre. Les sucres coloniaux acquittaient bien un droit de consommation mais les sucres étrangers supportaient en plus une surtaxe très élevée. Les sucres de betterave dits « indigènes » étaient justiciables de la même fiscalité que les sucres coloniaux, ceci pour ne point trop favoriser cette production consécutive au Blocus continental et qui commençait à concurrencer le sucre de canne sur les marchés tant extérieurs qu’intérieurs.
191Outre-mer, comme en métropole, la politique de Napoléon III se veut très libérale. Il décide de donner une large autonomie commerciale à ces contrées qui pourront ainsi nouer des relations directes avec l’étranger. Le pacte colonial est rompu par la loi du 3 juillet 1861, qui apporte des modifications profondes dans les dispositions qui ont réglé jusqu’alors les rapports commerciaux de ces colonies avec la métropole.
192Dans sa transmission, Barbier informe le service que « toutes les marchandises étrangères, dont l’introduction est permise en France, peuvent être importées dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion, et ces marchandises n’y sont assujetties qu’aux mêmes droits de douane que ceux qui leur sont imposés à leur importation en France. Les tarifs résultant des traités de commerce conclus dans ces derniers temps, avec l’Angleterre et la Belgique ou de ceux intervenus antérieurement ou à intervenir avec d’autres puissances, sont d’ailleurs, suivant les intentions formelles de la nouvelle loi, rendus applicables dans les colonies susmentionnées ».88
193Il attire ensuite l’attention sur les points dont l’exécution réclame plus spécialement le concours ou l’intervention des douanes métropolitaines. D’une part, les denrées coloniales à destination de la France et les produits français exportés vers les colonies pourront désormais être transportés sous tout pavillon. Il est prévu une surtaxe d’affrètement applicable à l’importation en France par navires étrangers, aux produits originaires des colonies, qui, à ce titre, sont admis à un régime favorisé. Il y aura aussi surtaxe d’affrètement dans le sens métropole colonies. D’autre part, il est prévu l’admission en franchise à l’importation en France, par navire français, des produits de ces colonies autre que les sucres, les mélasses, les confitures, les sirops, les bonbons ainsi que le café et le cacao89.
194Ces mesures qui viennent heureusement compléter la diminution des droits de consommation sur les produits coloniaux, instaurée en 1815, ont un effet sur l’agriculture dans les colonies. « La production double entre 1860 et 1865 et cette croissance met les colons dans la nécessité de chercher des débouchés nouveaux. Comme le marché métropolitain est alors saturé, il faut bien se tourner vers les marchés extérieurs et la question de l’autonomie commerciale des colonies se trouve donc relancée ».90
195En 1866, les Antilles et la Réunion sont autorisées à fixer elles-mêmes leurs tarifs douaniers et à percevoir un octroi de mer s’appliquant aussi bien aux importations de France qu’à celles de l’étranger.91
La régression de la fraude
196Le commerce interlope décline de plus en plus après les mesures d’allégement des prohibitions dues au « coup d’État douanier » de Napoléon III. Cependant la traditionnelle contrebande de café et de tabac est toujours vive sur les frontières du Nord et de l’Est. Pour en réduire l’avantage le gouvernement décide de vendre du tabac à prix réduit dans les zones frontalières.92
197Cependant, Pierre-Victor Barbier, le fils du directeur général, relate plusieurs affrontements violents qui marquent une recrudescence de la fraude à la fin du Second Empire.93 Cette reprise semble être due à une fiscalité accrue sur les produits coloniaux et à la crise économique qui se manifeste à la fin des années soixante.
Léon Amé (19 mars 1869-29 décembre 1879)
198Le 18 mars 1869, Barbier a été admis à la retraite, et a été élevé à la dignité de sénateur. Le lendemain un décret a stipulé : « Le service des contributions indirectes est séparé de celui des douanes ».94 Simultanément c’est Léon Amé, administrateur, qui est nommé directeur général des douanes. Dans l’annonce de cette nouvelle, il affirme avoir besoin du concours actif de ses collaborateurs de tous grades et affirme : « De mon côté, secondé par les administrateurs dont nous apprécions tous les caractères, les lumières et l’expérience, je me consacrerai sans réserve à rechercher et à faire prévaloir le bien, soit dans les questions de régie intérieure, soit dans nos rapports avec le commerce et l’industrie ».95
199Rapidement, il s’occupe des régimes spéciaux. Un décret portera que : « les marchandises destinées à l’admission temporaire pourront être importées par mer sous tous pavillons ». Dans sa circulaire de transmission, Léon Amé précisera que cette facilité est étendue au régime de l’entrepôt fictif.96
200C’est surtout dans le domaine de la métallurgie que l’admission temporaire rencontre la faveur des fabricants. Mais dans cette branche, les fraudes sont faciles. Les métallurgistes signalent des substitutions ainsi que des cas d’inégalité de valeur entre la matière première introduite et celle qui sert à la fabrication des produits exportés.
201Amé transmettra un décret du 9 janvier 1870, en affirmant que ce texte fait droit à ces réclamations. « À l’avenir les métaux de toute espèce, autres que les fontes, introduits sous le régime temporaire, devront être transportés dans les usines qui auront été autorisées à les mettre en œuvre. Le décret règle en même temps, que les fontes de moulage ne pourront être compensées à la réexportation que par des objets en fonte moulée et les fers au bois que par des objets fabriqués avec des fers au bois ». Il ajoute que : « Le Comité consultatif des arts et manufactures est chargé de s’assurer que les objets à réexporter seront en corrélation avec les métaux dont l’importation sera demandée ». Il organise le contrôle de l’arrivée à destination des fers et autres métaux mis en admission temporaire.97
202Par ailleurs, revenant sur une procédure obtenue de haute lutte par les industries cotonnières, le gouvernement impérial est amené à supprimer le bénéfice de l’admission temporaire aux tissus de coton.98
203Des enquêtes sont engagées aux fins d’un remaniement du régime de l’admission temporaire en ce qui concerne les métaux et les tissus, mais la guerre de 1870 et les événements qui s’ensuivent empêcheront leur aboutissement. La tension monte en Europe et on se prépare à la guerre. Les armes sont prohibées à la sortie. Une circulaire énumère tous les objets propres à la guerre qui sont compris dans cette prohibition.99 Une autre prohibe l’exportation des bestiaux, des viandes, des produits alimentaires à base de céréales, ainsi que des fourrages.100 Une troisième « rend libre le commerce des armes à l’importation ».101
204Spécialiste des questions de législation et de réglementation, Amé a la confiance du gouvernement qui le sait acquis aux thèses libérales. En témoigne son livre, publié sur l’Étude économique des tarifs de douane. Dans l’avertissement daté du 25 novembre 1858, il avait indiqué au sujet du gouvernement impérial : « Étendant aux tarifs des douanes sa puissante initiative, dans les limites légales où elle était renfermée, il a émondé l’arbre de la protection ; et si nous nous hasardons aujourd’hui à mêler notre voix aux débats, c’est parce que nous avons pu observer le résultat décisif de ses réformes. »
205C’est donc Amé qui dirigera la douane pendant la dernière année du Second Empire et qui signera notamment les circulaires préparatoires à la guerre.
Les douaniers dans la guerre
206Au début du mois de juillet 1870, des incidents éclatent entre des douaniers et des patrouilles prussiennes effectuant des reconnaissances en France. Des coups de feu, sont échangés.
207Le 18 juillet, la France déclare la guerre à la Prusse.
208Les escarmouches se multiplient. Dans la nuit du 23 au 24 juillet, au cours d’une attaque du poste de douane de Schrecking, « le préposé Pierre Mouty est grièvement blessé par balles et sauvagement achevé ». Ce sera le premier mort français de la guerre 1870.
209Napoléon III décide, le 26 juillet : « Le corps armé des Douanes est mis à la disposition du ministre de la Guerre dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ».102
210Les directions de ces trois départements fourniront environ 2 000 hommes constitués en bataillons. Un décret du 27 y ajoute « les brigades armées de l’administration des Douanes appartenant aux directions de Metz et de Strasbourg ».
211Le 9 août, c’est la totalité du corps armé des douanes qui est mise sous les ordres de l’autorité militaire. Le jour même, Amé s’adresse ainsi aux directeurs : « Déjà, par ma lettre du 28 juillet, j’ai invité les directeurs à former un certain nombre de compagnies susceptibles d’être déplacées et utilisées pour la garde des places fortes. À la réception de la présente, vous prescrirez immédiatement de diriger sur Paris, par la voie la plus rapide, les compagnies constituées et vous hâterez la formation des autres pour qu’elles arrivent sans retard. C’est à Paris seulement que seront formés les bataillons. »103 En l’espace de quelques jours, 10 000 douaniers convergent de la province vers la capitale.
212Mais le gouvernement en fait retourner les deux tiers vers leurs brigades respectives, ne conservant pour la défense de Paris que 3 000 à 4 000 douaniers célibataires formés en cinq bataillons de six compagnies et encadrés par des officiers des douanes. Le 4 septembre, l’Empire est balayé ; moins de deux semaines après, Paris est assiégé. Les douaniers, affectés à la garde des forts et des portes de Paris, n’ont pas eu à combattre pendant le siège de la capitale.
213À la direction générale, Amé est à son poste mais il est coupé des services provinciaux. Ses collaborateurs les plus jeunes serviront au 179e bataillon de la garde nationale. Ils seront souvent sur les remparts mais n’accompliront pas d’actions d’éclat.
214Par contre, sur le front de l’Est, leurs collègues contribuent à la résistance face à l’offensive prussienne. Ils se portent ou se réfugient dans les places fortes. Il en est ainsi à Strasbourg, à Bitche, à Sarreguemines, Montmédy, Neuf-Brisach, Longwy, Thionville, Charleville-Mézières et dans le camp retranché de Metz.
215Certains assurent avec héroïsme la liaison entre les places fortes et l’arrière, à travers les lignes ennemis. À Strasbourg, il y a 450 douaniers dont près du dixième seront tués, blessés ou morts de maladies durant le siège. Dans les autres places assiégées, ils montrent des qualités qui forcent l’admiration de leurs généraux. C’est le cas de Denfert-Rochereau qui affirme : « Douaniers du Haut-Rhin ! Vous allez reprendre vos fonctions après avoir eu l’honneur de concourir à la défense de Belfort. Je tiens à vous remercier du concours que vous avez donné et qui a aidé la garnison à obtenir la conservation de la place à la France. Votre discipline, votre vigilance connues de l’ennemi, ont contribué pour une large part à préserver de toute attaque les lignes des faubourgs où se trouvait votre poste de combat et vous avez supporté vaillamment le feu de l’ennemi ».104
216A Longwy, la défense est en partie assurée par deux compagnies de douaniers. Un ordre du jour constate « que les douaniers ont remplacé les artilleurs avec un courage digne d’éloge et dirigé les batteries sous le feu incessant de l’ennemi ». Un autre ordre du jour cite une compagnie qui dans une sortie de nuit a surpris un escadron de hussards prussiens et mis cinquante hommes hors de combat. Magnin remarque que les douaniers « ont uni courageusement leurs efforts à ceux des corps de troupe. »
217Les quelques témoignages connus à l’heure actuelle ne donnent pas la mesure des sacrifices consentis par les douaniers. Jean Clinquart, après avoir déploré le silence sur les unités de douaniers mobilisés, a formé le vœu que « soient entreprises des recherches complémentaires [à son récit] et, par là même, une meilleure connaissance d’un épisode important de l’histoire de la Douane ».
218L’armistice est signé le 28 janvier 1871. À Paris, les douaniers mobilisés ont vécu six semaines dans leurs cantonnements parisiens avant de réintégrer leurs directions d’origine, après la dissolution de leur régiment intervenue le 12 mars. En province, les places fortes se rendent les unes après les autres, souvent avec les honneurs de la guerre.105 Avec le retour des prisonniers, courant mars, s’achève l’histoire des douaniers mobilisés pendant la guerre.
219Les Allemands occupent, un temps, la capitale. Les Parisiens, humiliés, expriment bruyamment leur mécontentement. Ils n’apprécient pas l’attitude du gouvernement et de l’Assemblée nationale. La décision d’interrompre le moratoire des dettes et de supprimer la solde des gardes nationaux est le signal de l’insurrection.
220Sur ordre du gouvernement, et comme les autres administrations, Amé et la direction générale des Douanes s’installent à Versailles. La douane de Paris ne fonctionnera plus jusqu’à la chute de la Commune.
221Pendant les événements, l’hôtel du Mont Thabor est incendié. La plus grosse partie des archives des finances disparaît en fumée.
Conclusion
222Les premières années de l’Empire ont vu le gouvernement impérial faire de remarquables efforts dans la libéralisation de la politique douanière de la France. La progression a été lente et s’est heurtée à bien des remous, tant au Parlement que dans les milieux économiques. Les droits protecteurs ont graduellement été abaissés, beaucoup de prohibitions ont été levées.
223Mais, à la fin des années cinquante, Napoléon III est persuadé qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. Ses conseillers l’ont persuadé de ne pas transformer la législation douanière car ils craignent de réveiller les récriminations des milieux industriels contre l’invasion des produits de Grande-Bretagne. Ils estiment impossible qu’une telle mesure soit adoptée par le Parlement, dont la majorité s’est montrée hostile à ses premières innovations.
224L’idée d’un traité avec le puissant rival économique de la France leur apparaît tout aussi lourde de conséquences sur le plan parlementaire.
225L’Empereur a en mémoire les tentatives des gouvernements de la Restauration et de Louis-Philippe, qui ont essayé par des alliances commerciales d’unir la Grande-Bretagne à la France et d’apaiser les haines qui depuis très longtemps ont gravement perturbé les relations entre les deux peuples. Déjà le 26 janvier 1826, un traité de navigation avait posé le principe de l’égalité de traitement entre les marines marchandes des deux côtés de la Manche, pour l’importation et l’exportation des produits de chacune des deux nations.
226L’Empereur sait que ses premiers pas dans la voie de la libéralisation sont taxés de téméraires, d’imprudents et même de funestes. Il est persuadé qu’un traité avec la plus grande nation commerciale au monde pourra seul asseoir son entreprise de rénovation de la politique économique française.
227Rappelons que dans sa lettre programme du 5 janvier 1860, Napoléon III estime : « Le moment est donc venu de nous occuper des moyens d’imprimer un grand essor aux diverses branches de la richesse nationale ». Plus loin, il souligne l’obligation d’affranchir de tout droit les matières premières indispensables à l’industrie et supprime ou allège tous les règlements rectificatifs qui gênent les agriculteurs. Il préconise l’ouverture de « grands travaux » et des prêts pour la modernisation des manufactures. Il se dit persuadé que grâce à ces mesures : « L’agriculture trouvera l’écoulement de ses produits étrangers et que le commerce, au lieu de languir, prendra un nouvel essor ».
228Ce « coup d’État douanier », longuement analysé dans ce chapitre, verra la France changer cap pour cap de direction en matière de politique douanière et donnera à la nation française le dynamisme engendré par l’application d’une politique résolument libérale.
229Le traité franco-anglais, et tous ceux qui l’ont suivi, ont donné une expansion tout à fait remarquable des échanges extérieurs de la France. Ces traités ayant surtout été conclus avec des pays d’Europe, il est à souligner que si la croissance du commerce international a concerné le monde entier, elle a surtout été accrue avec les voisins de la France. Alors qu’en 1847 l’Europe représentait moins des deux tiers du trafic commercial français, elle a atteint, en 1869, près des trois quarts des échanges.
230Cette période de prospérité va être marquée par la stupide guerre de 1870 qui causera la chute de Napoléon III.
231La douane et les douaniers ont eu à appliquer la multitude de textes engendrés par la nouvelle politique douanière. Si la répression de la fraude n’a guère connu de changements dans ses buts et si les agents des brigades n’ont pas eu à modifier leurs modalités d’action, il n’en a pas été de même pour les services des bureaux.
232Confrontés à des problèmes de valeur et d’origine relativement nouveaux, voués à suivre de près les changements de tarif et la diversification de la nomenclature douanière, chargés d’appliquer une réglementation qui se voulait fiscale mais aussi adaptable aux impératifs du commerce, invités à tenir compte de la rapide évolution des transports et des procédures de dédouanement, accablés par l’augmentation du nombre des dédouanements, les services des bureaux ont vu leurs conditions de travail empirer, d’autant plus que leurs effectifs ont été diminués de plus de vingt pour cent.
233La douane cesse, après 1860, d’être une des administrations privilégiées de l’État. Du point de vue économique elle perd de son importance au fur et à mesure de la libéralisation du commerce international. Son rendement purement fiscal est en régression.
234La surveillance des frontières n’est plus essentielle car la protection des intérêts économiques français a totalement changé de sens. Aussi le gouvernement impérial a pratiqué une véritable compression des effectifs.
235Après l’annexion de Nice et de la Savoie, qui a entraîné une augmentation des préposés des brigades portant le total des douaniers à 28 000, la diminution a été constante et s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’Empire pour arriver à un total de 22 000, les suppressions d’emplois correspondant à des mises à la retraite massives.
236Par ailleurs, le gouvernement a décidé, en 1869, de la séparation de la Douane et des Contributions indirectes. Il n’a pu que constater que ces deux services, loin de fusionner, sont restés juxtaposés.
237Quatre directeurs généraux se sont succédé pendant le Second Empire. Gréterin, en place depuis 1830 est évincé en 1860. Il a, en effet, durant les vingt-neuf années de son directorat, prodigué les marques d’attachement aux thèses des protectionnistes. Il est d’abord remplacé par Forcade de la Roquette, qui ne passera que quelques mois à la tête de la douane. Cependant, nommé ministre des Finances, puis ministre de l’Agriculture, des Travaux publics et du Commerce, Forcade a défendu, souvent avec brio, les projets gouvernementaux en matière de politique douanière.
238Son successeur, Barbier, appliquera pendant près de neuf ans cette politique libérale. S’il a eu pour tâche d’expliquer devant les commissions parlementaires les différentes options possibles en matière tarifaire, s’il a fourni des statistiques sans cesse améliorées pour lui permettre d’éclairer les membres du Parlement, son influence a été nettement moindre que celle de ses illustres devanciers, comme Collin, Ferrier, Saint-Cricq et, quoiqu’à un degré moindre, Gréterin.
239Enfin, Amé, nommé le 18 mars 1869, acquis à la libéralisation de la politique douanière, va appliquer avec zèle la politique impériale.
Notes de bas de page
1 M. Baumont, cité par J.-A. Lesour, Histoire économique des XIXe et XXe siècles, tome II, Paris, Armand Collin, 1963, p. 376.
2 Ibid., p. 377.
3 L. Amé, op. cit., éd. 1876, p. 286 (sauf indication contraire, cette édition servira de référence dans ce chapitre).
4 Ibid., p. 285.
5 P. Boulet, J. Eyselé et M. Schmidlin, La douane au service de l’économie, tome I, Poitiers, Oudin, 1944, p. 44.
6 P. Renouvin, op. cit., tome V, p. 262.
7 B. des Lois, 1re Série, n° 5.
8 O. Noël, op. cit., p. 162.
9 Le Moniteur officiel, 15 janvier 1860.
10 O. Noël, op. cit, p. 167.
11 Décret du 10 mars 1860 : B. des Lois, n° 778 et LRDF, tome XXVIII.
12 L. Amé, op. cit., p. 303.
13 Le Moniteur officiel, cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution.... op. cit., p. 154.
14 O. Noël, op. cit., p. 184.
15 L. Amé, op. cit., p. 309.
16 O. Noël, op. cit., p. 201.
17 M. Moye et B. Nogaro, Les régimes douaniers, Paris, Sirey, 1910, p. 42.
18 F. Braudel et E. Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, tome III, Paris, PUF, 1979, p. 610.
19 Ibid., tome III, p. 158.
20 L. Amé, op. cit., p. 254.
21 Circ. 642 du 29 mai 1860 : LRDF, tome XXVIII.
22 Circ. 641 du 23 mai 1860 : LRDF, tome XXVIII.
23 Circ. 645 du 9 juin 1860 : LRDF, tome XXVIII.
24 Circ. 696 du 2 octobre 186 : LRDF, tome XXVIII.
25 Circ. 647 du 12 juin 1860 : LRDF, tome XXVIII.
26 J. Clinquant, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 159.
27 Ordonnance du 5 décembre 1860 : B. des Lois, 11e Série, n° 885.
28 Circ, sans n° du 26 décembre 1860 : LRDF, tome XXVIII.
29 Circ. 750 du 18 avril 1861 : LRDF, tome XXIX.
30 Circ, du 31 mai 1861 : LRDF, tome XXIX.
31 Circ. 798 du 27 septembre 1861 : LRDF, tome XXIX.
32 Circ. 799 du 30 septembre 1861 : LRDF, tome XXIX.
33 Loi du 16 mai 1863 : B. des Lois du 25 mai 1863, n° 1116 et LRDF, tome XXIX.
34 Circ. 901 du 25 mai 1863 : LRDF, tome XXIX.
35 Décret du 2 juillet 1862 : B. des Lois du 5 juillet 1862, n° 1036 et LRDF, tome XXIX.
36 Circ. 946 du 4 juillet 1862 : LRDF, tome XXIX.
37 Loi du 7 mai 1863. B. des Lois, n° 1200 du 12 mai 1863 : LRDF, tome XXIX.
38 Circ. 954 du 31 mai 1854 : LRDF, tome XXVI.
39 A. Delandre, op. cit., p. 656. Loi du 9 juillet 1864.
40 L. Amé, op. cit., tome II, éd. 1876, p. 529.
41 Circ. 870 du 16 décembre 1862 : LRDF, tome XXIX.
42 Décret du 13 décembre 1862 : B. des Lois, n° 1075 du 18 décembre 1862 : LRDF, tome XXIX.
43 Circ. 768 du 19 septembre 1861 : LRDF, tome XXIX.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 198.
47 Arrêté du 14 décembre 1848. Décrets des 25 janvier et 3 juillet 1854, du 12 février 1855 et des 24 mars et 7 avril 1856.
48 Règlement en date du 27 juin 1857, cité par A. Delandre, op. cit., n° 371, p. 506.
49 Circ, du 28 février 1862.
50 Circ, du 5 décembre 1862.
51 Décret du 16 octobre 1857.
52 Décret du 31 décembre 1861.
53 Décret du 1er mars 1859.
54 Décrets des 17 octobre 1867, 25 décembre 1854 et 15 mai 1866.
55 Décret du 1er septembre 1869. Circ, du 10 septembre 1869 et du 10 juillet 1869.
56 Circ, des 12 février 1859, 5 décembre 1859, 28 décembre 1864 et 31 mai 1865, cités par A. Delandre, op. cit., p. 506-513.
57 Circ. 651 du 26 juin 1860 : LRDF, tome XXIX.
58 Circ. 902 du 26 mai 1863 : LRDF, tome XXIX.
59 Circ. 790 du 2 septembre 1961 et décret du 25 août 1861 : LRDF, tome XXIX.
60 Décrets des 25 août 1861 et 29 octobre 1862 : LRDF, tome XXIX.
61 Décret du 13 février 1861 . B. des Lois, n° 905 du 20 février 1861 et LRDF, tome XXIX.
62 Circ. 737 du 20 février 1861 LRDF, tome XXIX.
63 Décret du 9 janvier 1870 et circ. 1130 du 5 mai 1870 : LRDF, tome 32.
64 Décret du 6 octobre 1862 : B des Lois, n° 1062 et circ. 1033 du 12 juin 1866, LRDF, tome XXX.
65 Loi du 19 mai 1866 et circ. 1033 du 12 juin 1866 : LRDF, tome XXX.
66 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 464.
67 Circ. 886 du 12 février 1863 : LRDF, tome XXIX
68 Circ. 1093 du 20 avril 1868 : LRDF, tome 31.
69 Lois des 9 et 27 février 1832 : LRDF, tome XVIII.
70 Circ, lithographiée du 26 juin 1860.
71 Victor Barbier, Monographie des directions des douanes de France, tome I, p. 31, cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 233.
72 Le Bon Sens, journal imprimé à Annecy cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 136.
73 Décret du 11 juin 1860. B. des Lois, n° 806 du 18 juin 1860 et circ. 647 du 12 juin 1860 : LRDF, tome XXVIII.
74 Circ. 667 du 6 août 1860 : LRDF, tome XXVIII.
75 Arrêté du 25 juillet 1860 : LRDF, tome XXVIII.
76 Circ. 749 du 17 avril 1861 : LRDF, tome XXIX.
77 Règlement annexé à l’arrêté du 31 mai 1863 : LRDF, tome XXIX.
78 Circ. 1020 du 31 décembre 1865 : LRDF, tome XXIX.
79 Décret du 2 décembre 1865 : LRDF, tome XXX.
80 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 143.
81 Loi du 11 janvier 1851 : LRDF, tome XXIV.
82 Circ. 2421 du 29 janvier 1865 : LRDF, tome XXIV.
83 Circ. 627 du 28 février 1860 : LRDF, tome XXVIII.
84 Circ. 928 du 10 septembre 1863 : LRDF, tome XXIX.
85 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 178.
86 Loi du 19 mai 1866. B. des Lois, n° 1395 du 10 juin 1866 et circ. 1034 du 13 juin : LRDF, tome XXX.
87 Loi du 17 juillet 1867 et circ. 1067 du 23 : LRDF, tome 31.
88 Circ. 788 du 31 août 1861 : LRDF, tome XXIX.
89 Ibid.
90 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 176.
91 Sénatus-consulte du 4 mars 1866 : cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 176.
92 Circ. 833 du 31 mars 1862 : LRDF, tome XXIX.
93 V. Barbier, op. cil, cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 357.
94 Décret du 19 mars 1869 : LRDF, tome 31.
95 Circ. 1114 du 25 mars 1869 : LRDF, tome 31.
96 Décret du 28 juillet 1869. Circ. 1119 du 9 juillet 1869 : LRDF, tome 31.
97 Décret du 9 janvier 1870. Circ. 1125 du 9 février 1870 : LRDF, tome 32.
98 Circ. 1130 du 5 mai 1870 : LRDF, tome 32.
99 Circ. 1132 du 27 juillet 1870 : LRDF, tome 31.
100 Circ. 1135 du 22 août 1870 : LRDF, tome 31.
101 Circ. 1136 du 5 septembre 1870 : LRDF, tome 31.
102 Décret du 26 juillet 1870.
103 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 377.
104 Ordre du jour du 14 mars 1871, cité par J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 387.
105 J. Clinquart, L’administration des douanes... de la Révolution..., op. cit., p. 363-390.
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