I. JEAN-BAPTISTE COLLIN DE SUSSY, (16 SEPTEMBRE 1801-16 JANVIER 1912)

A. Avant et après la paix d’Amiens

1Les débuts du Consulat ont déjà été marqués par une tension sur le plan international. La guerre contre l’Autriche a repris dès le printemps 1800. Une suspension d’armes intervient en fin d’année et les véritables négociations commencent à Lunéville.

2L’Autriche, après avoir montré peu d’empressement à signer un traité de paix, se rend compte que, le temps passant, son isolement va en s’accentuant. La France n’a plus à craindre de menées conflictuelles en provenance de la Prusse et de la Russie. Elle peut établir ses propositions de paix sur la seule base des intérêts français.

3Bonaparte a menacé de reprendre les hostilités à la fois sur le Rhin et en Italie. L’empereur François se décide à envoyer le comte Louis de Coblentz pour signer à Lunéville, le 20 pluviôse an IX, un traité en bien des points semblable à celui de Campoformio. Entre autres dispositions, les Etats d’Italie sont presque tous soumis à l’autorité ou à l’influence française.

4La rive gauche du Rhin, de Bâle à la mer du Nord, est intégrée à la France. C’est ainsi que le Corps législatif prend le 18 ventôse an IX, un décret qui proclame : « Les départements de la Roër, de la Sarre, du Rhin et de la Moselle, ainsi que de Mont-Tonnerre font partie intégrante du territoire français ». Dans les opinions publiques des autres pays signataires le traité est très mal accueilli. Louis Madelin affirme : « Après tout, on ne faisait guère que rétablir, à peu près, les clauses du traité de Campoformio. En tout cas : "affreux" ou non pour l’Autriche, ce traité était glorieux pour la France. »1

5Après l’Autriche, l’Angleterre se résigne à traiter. Elle a besoin d’une pause ; la guerre a provoqué une grave crise financière. Depuis un demi-siècle, sa vocation agricole a été progressivement supplantée par une industrialisation sans cesse accrue. Elle a donc, à double titre, besoin de débouchés sur le continent. Sous l’action de Bonaparte, et en particulier de sa diplomatie, l’Europe se ferme, chaque jour davantage, au commerce anglais.

6Pour sa part, l’Angleterre encourage l’indépendance de la république de Hollande dont la bourgeoisie commerçante est plus que favorable au renouveau du trafic maritime entre les ports des deux pays. Cependant, les négociateurs britanniques savent que la politique française vise au maintien de sa prééminence en Italie et en Hollande.

1. La politique douanière

7Le Consulat et l’Empire adopteront, en matière de politique douanière, un protectionnisme encore plus marqué que sous la Révolution. La guerre économique contre l’Angleterre aboutira progressivement à un blocus qui, en asphyxiant la « perfide Albion », aura des conséquences dramatiques pour l’Europe continentale et en particulier pour les ports et les opérateurs du commerce extérieur français.

8C’est Jean-Baptiste Collin que Bonaparte va choisir pour conduire sa politique douanière. D’un régisseur des douanes, il fait un préfet en 1800, puis un directeur général des douanes en 1801 et, enfin, un ministre du Commerce en 1812. Sous les Cent-Jours, il le nommera président de la Cour des comptes.

Les préliminaires de la paix

9La France n’abandonnera pas les mesures protectionnistes du Directoire et sa politique d’expansion. En Angleterre, on sait qu’il y a, dans les milieux d’affaires français, une crainte très affirmée de voir menacées les positions commerciales conquises à l’exportation et la volonté de protéger les manufactures françaises, que l’on pense en état d’infériorité par rapport à l’industrie britannique.

10On sent déjà que, pour l’Angleterre, le monopole du commerce mondial s’échappe graduellement des mains de ses négociants et de ses banquiers. Howkesbury suggère de procéder à une tentative : « faisons des essais pour six mois, pour un an, peut-être l’expérience nous donnera-t-elle des résultats plus sûrs que tous les calculs »2.

11L’Angleterre doit tenir compte de la paix régnant sur le continent depuis le traité de Lunéville du 9 février 1801. Sa dette se monte à plus de 12 milliards et des émeutes se sont produites.

12Si elle est restée maîtresse des mers, si elle a repris Malte et a occupé les colonies françaises, si l’expédition lancée par Bonaparte est repartie d’Égypte, par contre Nelson n’a pu détruire la flotte légère réunie par le Premier consul à Boulogne. L’opinion publique a peur de l’invasion française. Les dirigeants anglais se rendent compte qu’ils sont de plus en plus isolés après la création de la Ligue des neutres par le tsar Paul I^er, admirateur de Bonaparte depuis que celui-ci lui a renvoyé 8 000 prisonniers russes équipés de neuf.

13Cette ligue comprend des États que l’Angleterre croyait gagnés à sa cause : la Prusse, la Suède et le Danemark. L’Angleterre se perdra aux yeux de l’opinion européenne en détruisant la flotte danoise, le 2 avril 1801, et en bombardant Copenhague.

14Pitt, l’homme d’État anglais partisan de la lutte à outrance, doit se retirer le 2 février 1801. Addington, qui lui succède, est plus enclin à négocier. Les derniers pourparlers sont menés à Londres et aboutissent à la signature des « préliminaires à la paix », le 1^er octobre 1801. Le peuple anglais manifeste son soulagement et sa joie en dételant la voiture du négociateur français, Lauriston, et en tirant à bras d’hommes son carrosse3.

15Bonaparte, de son côté, aurait volontiers tenté une solution pacifique. L’enquête, qu’il a fait mener en Angleterre, lui permet de penser, qu’avec un droit moyen de 12 %, les industries françaises seraient suffisamment protégées. Le ministre de l’Intérieur, Jean-Antoine Chaptal, préconise, pour sa part, un retour au traité de 1786.

16Par contre, des industriels et des commerçants manifestent la crainte de voir la France exposée à une concurrente disposant d’une main d’œuvre bon marché, d’une industrie en pleine expansion ainsi que d’un réseau bancaire ayant des gros capitaux et susceptible d’ouvrir des larges crédits à la clientèle européenne.

17Ce sont ces intérêts contradictoires que doit concilier le Premier consul dans les négociations qui s’ouvrent à nouveau.

La paix d’Amiens

18La paix est signée à Amiens, le 25 mars 1802, par Joseph Bonaparte et Lord Cornwallis, après d’âpres discussions qui ont occupé les derniers jours de 1801 et tout le premier trimestre 1802. À la France sont associées l’Espagne, représentée par Azzara, et la Hollande par Schimmelpennink. L’Angleterre s’engage à rendre les colonies françaises, espagnoles et hollandaises et promet d’évacuer Malte et l’Égypte. De son côté, la France devra quitter Rome et Naples.

19Dans son livre, Le Grand Empire, Jean Tulard écrit : « La grande nation, forte de ses frontières naturelles, Rhin, Alpes et Pyrénées et de son glacis d’états tampons, Hollande, Suisse, Italie du Nord, préfigure l’Empire Napoléonien »4.

20La conclusion de cette paix répand la joie dans les populations des pays concernés, et tout particulièrement en France. Elle met en effet un terme à une guerre qui, durant dix ans, a opposé l’Europe à la Révolution française.

21Après la signature du traité d’Amiens, le gouvernement anglais réclame l’abrogation par la France de toutes les lois dirigées contre son commerce, son industrie, et son agriculture. Mais Bonaparte fait expliquer dans Le Moniteur du 28 vendémiaire an X, que les engagements commerciaux rompus par la guerre ne pourraient renaître qu’en vertu d’un traité de commerce, indépendant des conditions de paix.

22L’Angleterre demande en vain la conclusion d’un tel traité. Il s’avère impossible de faire revenir la France aux dispositions du traité de 1786, fort avantageuses pour le commerce et l’industrie britanniques. D’autre part, l’annexion de la Belgique et, dans une moindre mesure, la présence française en Italie, enlèvent au commerce extérieur anglais une part importante de son trafic avec le continent.

23Bonaparte a indiqué qu’il acceptera quelques concessions, mais il tient surtout à aider les manufacturiers français et refuse d’alléger le dispositif empêchant l’importation de produits métallurgiques, de l’outillage, des tissus de coton, etc.

24Par contre, commerçants et ports maritimes français espèrent une ouverture de lignes vers l’Angleterre. La ville de Bordeaux adresse au gouvernement, le 28 floréal an X, une lettre au nom du conseil du commerce de la Gironde. Le rédacteur, M. Portal, futur ministre de la Marine, préconise la défense de l’agriculture nationale qui doit pouvoir prendre de l’expansion et la prospection du marché anglais largement déficitaire en produits agricoles.

25Les deux pays avaient bien des arrière-pensées, lors de la conclusion du traité. L’Angleterre n’a pas évacué Malte et ne se presse pas pour exécuter les autres clauses. De son côté, dès le 29 floréal an X5, le Premier consul se donne le pouvoir de répondre rapidement aux exigences d’une situation extérieure mouvante. C’est ainsi qu’une loi, prise à cette date, dispose :

26« Article I. Le gouvernement pourra provisoirement hausser ou baisser les taxes des douanes, établir ou défendre des entrepôts, prohiber ou permettre l’importation ou l’exportation de toutes les marchandises sous les peines de droit.

27Article II. Les modifications seront délibérées et arrêtées suivant les formes usitées pour les règlements d’administration publique. Elles seront présentées en forme de projet de loi au Corps Législatif, avant la fin de sa session, s’il est assemblé, ou à la session suivante, s’il ne l’est pas ».

28Le 1^er messidor an X16, poursuivant ainsi la politique menée par la France depuis la Révolution, Bonaparte prend un arrêté prohibant l’introduction de toute denrée et marchandise provenant de colonies ou de fabriques anglaises.

29« Article 1^er : Il ne sera reçu dans les ports de la République aucune denrée coloniale provenant des colonies anglaises ni aucune marchandise venant directement ou indirectement d’Angleterre ». Cet article indique que toutes ces marchandises seront confisquées.

30L’article 2 précise que les bâtiments neutres doivent être munis d’un certificat délivré par l’agent représentant la France au port d’embarquement et attestant que les marchandises satisfont aux prescriptions de l’article 1^er.

31À l’article 3, il est dit qu’un oubli de cette obligation ou un changement de destination sont tolérés à condition que le capitaine prenne en retour un chargement de même valeur que celle des marchandises prohibées. À nouveau, on sent dans cette dernière disposition, la préoccupation mercantiliste de Bonaparte.

Le système des côtes

32Napoléon met en place ce que l’on appellera le « système des côtes » : de 1803 à 1806, la France et ses alliés se ferment aux marchandises anglaises.

33En Méditerranée, les côtes de l’Adriatique, de la mer Ionienne et de la Toscane, puis celles de Naples et de Rome, ne reçoivent plus les bateaux anglais. L’Espagne et le Portugal prennent des mesures d’interdiction du commerce avec l’Angleterre. La Prusse ferme ses ports. Et Montgaillard, thuriféraire de l’Empereur, peut proclamer : « Le continent de l’Europe est fermé aux manufactures et aux denrées anglaises depuis la mer du Nord jusqu’aux rivages de Sicile, c’est-à-dire dans la partie la plus riche, la mieux soumise à tous les besoins de luxe ».7

34Pour y parvenir, le gouvernement conclut plusieurs traités ou arrangements et édicte de nombreux textes réglementaires.

Les lois douanières

35La loi du 19 mai 1802, évoquée plus haut, donne au gouvernement toute latitude pour mettre en place rapidement des modifications aux tarifs douaniers, ceci afin de les adapter, sans délai, à l’évolution de la politique extérieure.

36Le tarif instauré par la loi du 28 avril 1803 portera à 5 % en moyenne le droit d’entrée et sera relativement modéré à l’exportation. Il permet de recevoir, à bon compte, des matières premières et d’avantager les manufactures françaises.8 Ainsi les soieries, draps et velours français concurrenceront d’autant plus facilement les textiles étrangers, surtout anglais ou italiens. La balance commerciale est excédentaire. En 1805, elle atteindra même la somme de 19 à 20 millions de francs.9 D’autres lois récapitulatives seront publiées, après approbation du Parlement, les 13 mars 1804, 21 janvier 1805 et 30 avril 1806. Elles modifieront peu le tarif de 1803.10

37Déjà, le gouvernement a été amené à prendre de nouvelles mesures pour répondre au blocus des côtes françaises par l’Angleterre. Il fait paraître un arrêté, en date du 1^er messidor an XI, qui prohibe l’introduction de toutes denrées et marchandises provenant des colonies anglaises ou venant directement ou indirectement d’Angleterre.11

38Le 22 ventôse an XII, un décret prévoit, à l’article 9, « qu’aucun bâtiment des ports d’Angleterre ou qui y aura touché, ne sera reçu dans les ports de France. » L’article 10 poursuit que pourront être exceptés de l’article précédent les bâtiments neutres forcés de relâcher en Angleterre, à charge d’obtenir une décision du directeur général des douanes approuvée par le ministre de l’Intérieur.12

39Les manufactures françaises mettent tout en œuvre pour une rapide expansion du commerce extérieur. Il apparaît vite opportun de remanier la législation douanière pour lui permettre d’aider à cette nouvelle donne de l’économie nationale. Déjà, la loi du 9 floréal an XI avait prescrit de nombreux aménagements dans tous les domaines de l’action douanière.13

40Comme le dit Duverger : « Si elle fut inspirée par le génie du Premier consul, la netteté de sa rédaction doit être attribuée à son Directeur général des Douanes, Collin. »14

41Il est possible d’affirmer que cette loi est le plus important texte douanier de l’époque napoléonienne.

42Elle organise, entre autres, le régime des entrepôts pour les denrées coloniales. Collin s’inspire de la législation en vigueur sous l’Ancien Régime et ayant fait la fortune des ports français spécialisés dans le trafic triangulaire. Les droits d’entrée seront perçus dès l’arrivée, par contre le droit de consommation ne deviendra exigible qu’au moment de la mise à la consommation. Il y aura entrepôt fictif pour les denrées coloniales françaises et entrepôt réel pour les denrées étrangères, coloniales ou autres.

43Parmi les marchandises prohibées, seules celles dites de « traite » pourront être reçues en entrepôt réel. L’article 24 de cette loi en donne la liste exhaustive.

44Collin, dans une circulaire d’application, met en garde le service sur les risques de confusion entre les régimes accordés à ces produits, selon qu’ils sont originaires de nos colonies ou de l’étranger. Il recommande, ensuite, une exactitude et une vigilance accrues ainsi que des recensements fréquents.

45L’article 2 précise, entre autres, que la taxe du demi-droit de tonnage, les droits de bassins et autres droits établis dans les ports de mer sont attribués au ministère des Finances.

46La politique douanière sera encore plus protectionniste sous l’Empire, proclamé le 18 mai 1804. Le gouvernement se préoccupe tout particulièrement des produits coloniaux et prend un arrêté selon lequel :

47« – Les denrées coloniales étrangères devront être accompagnées d’un certificat portant qu’elles ne proviennent ni des colonies d’Angleterre ni de son commerce.

48– La confiscation des denrées coloniales, non accompagnées de ces certificats, est automatique même si elles viennent d’un port où la France n’a pas d’autorité habilitée à les établir ».15

49Par ailleurs, l’Empereur encourage l’exportation par diverses mesures comme le décret du 30 avril 1806 qui prévoit : « Il est accordé pour l’exportation des toiles et autres ouvrages en coton, une prime de 50 francs par quintal en justifiant qu’ils proviennent de fabriques françaises et que le coton qui a servi à leur fabrication a payé le droit d’entrée de 60 francs par quintal ».16

50Napoléon veut en effet inciter industriels et exportateurs à accroître la vente des produits français aux pays qui sont les alliés de la France ou sont soumis à son influence politique et surtout militaire. Cela est particulièrement vrai pour les produits coloniaux dont la pénétration en Europe, par la France, est facilitée par le dynamisme des ports de Bordeaux et de Nantes. Au cours des premières années du siècle, il apparaît que la France fait mieux que l’Angleterre dans ce domaine. Ceci ne peut qu’encourager la tendance mercantiliste de l’Empereur.

2. La gestion de l’Administration

51« À Amiens, dira Napoléon, je croyais de très bonne foi le sort de la France, celui de l’Europe, le mien, fixés. Pour moi j’allais me donner uniquement à l’administration des Français et je crois que j’eusse enfanté des prodiges17. »

52Au second anniversaire du 18 Brumaire, le Premier consul s’adresse aux Français : « Vous l’avez enfin tout entière cette paix que vous avez méritée par de si longs et si généreux efforts ! Fidèle à vos vœux et à ses promesses, le gouvernement n’a cédé ni à l’ambition des conquêtes, ni à l’attrait des entreprises hardies et extraordinaires. Sa première tâche est remplie ; une autre commence pour vous et pour lui18

53Ainsi, la réorganisation des administrations va aller s’amplifiant. Les décisions importantes sont prises en Conseil d’État, que Bonaparte préside généralement. Il suit les débats avec attention, pose les questions qui éclaireront les sujets qu’il connaît mal. L’ordre du jour porte sur les points concernant l’administration, la justice, les finances, l’économie, le commerce intérieur et extérieur.

54Il porte aux affaires civiles le même intérêt qu’à l’organisation de ses armées : « Ce ne sont pas des conquêtes qu’il projette, dicte-t-il en parlant de lui à la troisième personne, il a épuisé la gloire militaire. Perfectionner l’Administration, en faire pour son peuple la source d’un bonheur et d’une prospérité croissante, et, de ses actes, l’exemple d’une morale pure et élevée... telle est la gloire qu’il ambitionne ! »

55Il commence par l’Intérieur, il réforme ensuite les Finances qui sont une des plus importantes parties de son administration. En leur sein, la douane occupe à ses yeux, une place toute particulière.

56Bonaparte décide de placer un directeur général à la tête des régies financières. En effet, la gestion collégiale n’a pas sa faveur : il ne l’a pas plus appréciée pendant le Consulat que sous le Directoire.

Création du grade de directeur général des douanes

57Pour ce qui concerne la douane, le moment lui a semble venu de centraliser, en une seule main, la tâche de défendre les frontières et de sauvegarder les intérêts de l’agriculture, de l’industrie et du commerce français.

58Jean-Baptiste Collin sera le premier directeur général des douanes. Cette nomination est une marque supplémentaire de la confiance témoignée par Bonaparte à ce haut fonctionnaire zélé, consciencieux et dont le dévouement lui semble acquis.

59Sa nomination comme préfet de la Drôme avait ainsi été annoncée par une circulaire des régisseurs aux directeurs en date du 18 ventôse an IX : « M. Collin, l’un de nous, ayant été nommé à une préfecture, le Gouvernement a, par arrêté du 15 courant, désigné pour le remplacer, M. Delapierre, receveur à Rouen. Nous vous prions de faire connaître cette nomination aux inspecteurs, receveurs et contrôleurs de brigades ».19

60Un arrêté du 29 fructidor an IX porte création d’un directeur général et de quatre administrateurs des douanes.20

61« Article 1^er. Il y aura un directeur général des douanes et quatre administrateurs.

62Article 2. Les frontières et les côtes de la France seront divisées, par le directeur général, entre les quatre administrateurs.

63Article 3. Les administrateurs se réuniront en conseil d’administration ; ce conseil sera présidé par le directeur général.

64Article 4. Toutes les affaires contentieuses seront rapportées dans ce conseil ; elles seront décidées à la majorité des voix. Les quatre administrateurs, seuls, délibéreront ; en cas de partage des opinions, l’avis du directeur général, les départagera. Dans les affaires contentieuses, il pourra, lorsqu’il le jugera nécessaire, suspendre l’effet d’une délibération, afin d’en référer au ministre des finances.

65Article 5. Le directeur général dirigera toutes les opérations ; il travaillera seul avec le ministre des finances ; il sera particulièrement chargé de faire former les états de produits, et de remettre les résultats au ministre.

66Article 6. Les nominations aux places de directeurs, inspecteurs, contrôleurs, receveurs, seront présentées au ministre, par le directeur général, et proposées, par le ministre, au chef du Gouvernement.

67Article 7. Chacun des administrateurs fera une tournée par an ; l’un des trois administrateurs restants, sera chargé de diriger la division de l’administrateur, en tournée.

68Article 8. Le traitement du directeur général sera de 20 000 francs ; celui des quatre administrateurs demeure fixé à 12 000 francs.

69Article 9. Le ministre des finances est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera inséré au bulletin des lois ».

70Il est donc précisé que, dorénavant, le directeur général travaillera sous le contrôle direct du ministre des Finances. Il aura avec lui des administrateurs, dont le nombre est porté à quatre, et, qui formeront, sous sa présidence, un conseil d’administration se répartissant les compétences géographiques et techniques, comme on le verra plus loin.

71Les trois régisseurs, MM. Chaslon, Magnien et Delapierre, sont nommés administrateurs. Ils seront rejoints au quatrième poste par M. Dubois, directeur à Genève.

Organisation de la direction générale

72Une ère nouvelle s’ouvre pour l’Administration des douanes, et l’installation d’un conseil susceptible d’éclairer le directeur général paraît d’une utilité incontestable. « Telle fut, peut être alors, la pensée de Bonaparte. Mais, en n’appelant les administrateurs que pour délibérer des seules affaires contentieuses ; mais en réservant au directeur général le travail avec le ministre et surtout la présentation aux emplois à remplir, il annulait les administrateurs et n’en faisait que des chefs de bureau, au lieu de conseillers, pouvant exercer une influence utile ».21

73Par cette affirmation, Duverger a voulu illustrer la volonté centralisatrice de Bonaparte. Désormais, les douaniers n’auront qu’un chef qui tranchera dans tous les domaines. C’est lui qui signera les notes importantes et répondra le plus fréquemment aux directeurs. Il tranchera en matière de contentieux lorsqu’il y aura partage des voix entre les quatre administrateurs.

74À la direction générale, les chefs de bureau s’adressent à lui, en cas de difficultés. Il faut préciser que tous les chefs de bureaux et presque tous les employés – au nombre de quarante-six – sont restés à leur poste pendant le Consulat et l’Empire. Il est possible d’en déduire qu’ils devaient faire preuve de grandes capacités et donner entière satisfaction à Collin.

75Cependant, plusieurs constatations viennent contredire l’opinion de Duverger. En effet, il n’entre pas dans les prérogatives du directeur général, telles que fixées à l’article 6 de l’arrêté reproduit ci-dessus, de proposer les nominations au poste d’administrateur. En outre, un conseil réunit le directeur général et les administrateurs, tous les deux jours, à midi. Toutes les questions en suspens y sont étudiées. Cela laisse à penser que Collin de Sussy tient à tout savoir, mais aussi à prendre en compte l’opinion de ses principaux collaborateurs.

76Les directeurs provinciaux doivent s’adresser à l’administrateur dont ils dépendent pour toutes les questions dont le directeur général ne se réserve pas l’exclusivité : non seulement le contentieux mais aussi les perceptions, le service actif, la comptabilité, les états de produits, etc. Il est à noter que, dans leurs réponses, les administrateurs correspondent collégialement mais directement avec leurs interlocuteurs. Ceux-ci s’accommoderont d’instructions revêtues tantôt d’une signature, tantôt de trois.

77Moins de deux semaines après sa nomination, Collin, dans une circulaire en date du 7 vendémiaire an X, montre sa détermination dans la conduite du service qui vient de lui être confié.22

78D’abord, il affirme que le gouvernement « a les yeux fixés sur la Douane et qu’il désire qu’elle ne soit composée que d’employés attachés à leurs devoirs ». Il précise ensuite que, pour sa part, il est disposé à récompenser les bons et loyaux services mais qu’il sera également « sans pitié dans la répression de la négligence et de l’infidélité ».

79Il remarque que, « si la masse des préposés est restée pure, la corruption a fait son apparition sur plusieurs points. Si cette corruption restait impunie cela ne pourrait provenir que d’une négligence coupable des chefs locaux et même d’une défaillance du directeur. »

80Il estime, en effet, qu’une surveillance étroite et organisée doit parvenir à juguler la corruption ou, au maximum, à en découvrir les coupables et leurs complices. Il ordonne aux directeurs de se faire remettre des rapports particuliers sur les mouvements des subsistances et tout particulièrement des sorties de grains. Il souligne qu’il remettra chaque mois au Premier consul « un état des directeurs et inspecteurs qui se seront distingués dans la satisfaction de ses instructions. »

81Il poursuit ainsi :

82« Vous ne perdrez pas de vue que la conduite de tous les préposés qui vous sont subordonnés, pèse sur votre responsabilité ; vous déclarerez aux inspecteurs et autres chefs des deux services, qu’ils sont successivement responsables, depuis le grade de sous-lieutenant jusqu’à celui qu’ils occupent.

83« Je vous recommande d’entretenir, avec moi, sur les grains une correspondance directe, et de me dénoncer, sans être arrêté par aucune considération particulière, tous les abus qu’il ne serait pas en votre pouvoir d’arrêter, afin que je puisse rendre compte au Gouvernement et provoquer des mesures répressives. »

84Et il termine en indiquant à chaque directeur, le nom de l’administrateur responsable de la division dans laquelle sa direction est comprise. Il a en effet réparti le territoire douanier en quatre divisions : le Nord et l’Est, d’Anvers à Besançon, sous la responsabilité de Magnien ; la mer du Nord et la Manche, de Dunkerque à Saint-Malo, sont attribuées à Delapierre ; pour Chaslon, l’Atlantique et les Pyrénées, de Brest à Ax les Thermes ; et enfin, à Dubois, la Méditerranée, les Alpes et la Savoie, de Perpignan à Genève ainsi que la Corse. Le Piémont entrera en 1804 dans la division de Chaslon.

85Quand un administrateur part en tournée dans sa division, un de ses trois collègues est appelé à le remplacer.

86Delapierre s’occupe plus particulièrement de la Caisse des retraites, créée le 21 avril 1797. Les bureaux de l’administration centrale, placés sous l’autorité de directeurs de correspondance ou de chefs de bureaux, se répartissent le reste des affaires comme suit :

• service actif : la gestion, la mutation et la police des bureaux, brigades et embarcations ;

• perception : la législation douanière, le dédouanement, les droits de navigation et les régimes particuliers, drawback, acquits à caution, transit ;

• contentieux : le suivi de tous les dossiers de contentieux et actions en justice ;

• comptabilité : le contrôle de la comptabilité, des caisses, des paiements aux agents et des cautionnements ainsi que la gestion du matériel.

87Jean-Baptiste Collin veut aller vite : en effet, dès le 9 vendémiaire an X, un arrêté a porté organisation du secrétariat général des douanes.23 En son article 1^er, il indique que ce bureau central est placé sous la surveillance et la direction immédiate du directeur général.

88Son article 2 dispose qu’il est composé d’un secrétaire général, d’un sous-chef, d’un premier commis, d’un commis principal, de trois commis et de deux garçons de bureau. Les crédits dégagés pour cette institution se montent à 26 200 francs dont 9 000 francs pour le secrétaire général.

89Le secrétariat général tenu, pendant tout le Consulat et l’Empire, par Lavigerie24 :

• enregistre tout le courrier de l’administration et en fait la répartition entre les bureaux et les divisions ;

• suit l’élaboration des instructions générales, des mesures d’application, des prohibitions, de la législation et de la navigation ;

• traite ou fait traiter les suggestions de révision du tarif, les demandes de renseignements et les réclamations ;

• s’occupe des frais de régie, des constructions nouvelles ou acquisitions sur des frontières sans cesse en mouvement, des nominations et mutations, des signalements et des mises à la retraite, voire des destitutions.

Lutte contre la fraude.

90Très rapidement, Collin prend des mesures énergiques pour la lutte contre la fraude. De prime abord, ce sont les directeurs provinciaux qu’il met devant leurs responsabilités. Le 8 octobre 1801, il s’adresse ainsi à eux sous le timbre du secrétariat, nouvellement créé.

91« Les préliminaires de paix avec l’Angleterre auront pour premier résultat de ranimer les spéculations commerciales et, par suite, de multiplier les opérations des douanes. Il est donc instant de reconnaître si les bureaux et brigades sont assez fortement organisés pour établir sur toute la ligne, la surveillance la plus active ; les bureaux sont en général peu susceptibles d’augmentation ; mais des vues d’économie, que les circonstances commandaient impérieusement, ont déterminé une diminution dans le nombre des préposés des brigades, de sorte que la ligne est trop affaiblie sur quelques points des côtes et frontières.

92« Je vous prie de faire, sans délai, un examen de toutes les forces de votre direction et de leur distribution, de les comparer avec toute l’étendue du territoire qu’elles ont à conserver et de former un état des augmentations que vous jugerez indispensables. Ce travail devra m’être adressé dans les premiers jours de brumaire. »25

93Dès le 21 vendémiaire an X, le directeur général met l’accent sur la question des subsistances. Il rappelle aux directeurs les circulaires des 4 floréal et 21 fructidor an VII, leur recommandant de faire tenir des registres particuliers sur le mouvement des grains et d’en adresser l’état au ministre de l’Intérieur. Il leur fait part du désir de ce ministre d’avoir toutes les précisions utiles sur les dates et les délais de décharge des acquits de transport. Il les invite à apporter « la plus grande attention dans la confection de ces états ».26

94Le 28 vendémiaire, Collin attire leur attention sur l’impulsion à donner dans la lutte contre la fraude sur les grains. L’exportation des céréales est en effet prohibée depuis la période révolutionnaire. Cette prohibition conditionne le ravitaillement de la population et celui des armées, cependant qu’elle fait obstacle à l’approvisionnement de l’ennemi anglais. Collin précise aux directeurs qu’il leur appartient de surveiller encore plus et de mieux diriger leurs services des brigades. C’est à eux de prendre toutes dispositions utiles afin de découvrir les preuves de la culpabilité des employés indélicats pouvant suffire à les renvoyer. Cette responsabilité s’étend à tous les chefs des deux services. Les mesures à adopter à tous les niveaux doivent absolument produire les effets que le gouvernement exige.

95Le 2 brumaire, il indique aux directeurs sa volonté de veiller personnellement à la fraude sur les tabacs et en particulier en matière d’entrepôt. Après des recommandations de surveillance du registre des balances, il leur demande de lui signaler les receveurs négligents afin qu’il exprime directement à ceux-ci son mécontentement.27

96Le 4, il met en garde les directeurs provinciaux en matière de contrôle de la circulation des grains. Après leur avoir rappelé qu’aucune partie de l’administration n’exige plus d’attention et de surveillance que celle des grains, il leur prescrit de correspondre directement avec lui sur ce sujet. Il veut être informé des dispositions éventuellement prises par les autorités locales ou départementales. Il demande leurs suggestions et les invite à lui adresser le double des états périodiques envoyés au ministre de l’Intérieur, comme il avait été recommandé par les circulaires des 4 floréal et 21 fructidor an VII.28

97Par une note du 28 frimaire an X, Collin exprime le désir d’être informé sur le champ des saisies importantes, ainsi que des événements de grand intérêt, survenus dans les directions. Cette procédure, qui double l’information transitant par le canal des administrateurs, devra permettre une accélération des décisions à prendre. Le même jour, il rappelle que « la prohibition des marchandises anglaises subsistant et la loi du 10 brumaire autorisant l’arrestation de tout individu qui tente de les introduire sur notre territoire, il est indispensable d’opposer un frein à ce genre de contrebande ». Il prescrit que les « femmes, couvertes d’étoffes et de bonneteries anglaises, doivent en conséquence, être conduites au bureau des douanes, et y être visitées par d’autres femmes ».29

Motivation, moralisation et formation des douaniers

98Par cette série de circulaires, ainsi que par des lettres personnelles envoyées à certains directeurs, Jean-Baptiste Collin montre aux directeurs et à l’ensemble du service que le temps est venu de lutter contre la négligence et surtout contre la corruption. Il affirme vouloir récompenser les bons agents et se montrer impitoyable pour ceux qui sortiront du droit chemin.

99Par ailleurs, Collin veille à l’application, par la douane, du système métrique instauré par l’arrêté du 14 fructidor an X. Le 1^er nivôse, il entend « remédier à la confusion existant dans les relevés de poids et les perceptions supplétives, compensant la différence du poids ancien avec le poids nouveau ». Il rappelle que « la perception s’élèvera de 2 % pour les marchandises imposées à l’ancien poids, mais que la taxation dont les droits ont été fixés récemment au myriagramme (dix kilos) ne doit pas subir cette majoration. »30

100De leur côté, les administrateurs s’attachent à stimuler l’ensemble des agents. Dans une circulaire aux inspecteurs, en date du 6 germinal an X, ils affirment que l’exécution du service dans toutes ses parties et la répression des abus dépendent essentiellement de la vigilance des inspecteurs, de leur fermeté et surtout de l’exemple qu’ils donnent d’un entier dévouement aux intérêts de l’administration. Ils leur demandent un compte rendu, le 1^er et le 16 de chaque mois, sur leurs opérations de la quinzaine écoulée et leurs opinions relatives aux employés dont ils ont la charge. Il faut prévenir ou détruire tous les abus et accorder aux divers préposés la justice qui leur est due.31

101Continuant à porter son attention sur la douane et poursuivant son idée de doter les douaniers d’un uniforme, le Premier consul prend un arrêté, en date du 7 frimaire an X, qui complète l’arrêté du 25 pluviôse an VIII. L’habit sera vert, avec des broderies en argent au collet et aux parements pour les officiers et les employés supérieurs, y compris le directeur général lui-même. Tous seront armés.32

102Si le Premier consul marque son intérêt pour l’administration en général et pour la douane en particulier, celle-ci le lui rend bien. Il en est ainsi dès l’année 1802, lors du plébiscite légitimant le Consulat à vie. Le 19 floréal an X, Bonaparte est prêt à faire « au peuple un nouveau sacrifice » pour autant que ce soit le vœu des Français. Le 20 floréal, soit le 13 mai 1802, après avis du Conseil d’État, un arrêté pose la question ainsi : « Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ? »

103Trois jours plus tard, par une circulaire manuscrite à en-tête des « Douanes Nationales », Jean-Baptiste Collin prescrit aux directeurs de soumettre à tous leurs agents la question du gouvernement.

104Des registres sont créés à cet effet dans nombre de directions, avec une colonne pour le « oui » et une autre pour le « non ».

105Le 9 juin 1802, le ministre des Finances transmet à son collègue de l’Intérieur huit registres contenant 1 300 votes positifs. Tous, du préposé au directeur, ont voté « oui ».

106Il ne semble pas qu’un seul vote négatif ait été exprimé par écrit sur l’ensemble des agents des douanes.

107Les directeurs sont souvent en point de mire de la direction générale : ils sont tenus de modérer leur propension à grossir les rangs de leurs subordonnés immédiats. Par note du 2 vendémiaire an X133, les administrateurs interdisent aux directeurs de recruter des aides supplémentaires en leur attribuant des traitements de préposés du service actif. Ils ne doivent pas non plus détacher dans leurs bureaux particuliers des préposés provenant des services d’exécution.

108Après avoir indiqué que cet abus a été signalé par le gouvernement qui l’a qualifié de « vol fait au trésor public », les administrateurs continuent en affirmant leur volonté de signaler à l’avenir tout directeur qui « se permettrait d’employer un préposé des brigades à des écritures étrangères à ses fonctions ». Ils affirment leur certitude que ce directeur ne serait pas maintenu à son poste.

109La reprise en main se poursuit par une circulaire du 5 vendémiaire an XI.34 Les administrateurs ne toléreront pas que des directeurs « accordent des commissions de préposés à des hommes auxquels, soit la faiblesse de leur constitution, soit leurs infirmités, ne permettent pas d’en remplir leurs obligations ». Il ne peut être admis comme motif à cette « violation de principes » que ces recrutements exceptionnels concernent des fils d’employés ou des personnes recommandées.

Mesures d’organisation

110Le 12 pluviôse an X,35 Collin rappelle, dans une circulaire sous le timbre du secrétariat général, l’obligation faite aux armateurs de réintégrer, lorsque la paix reviendra en France, tous les bâtiments neutralisés pendant le cours de la guerre. Il met le service notamment en garde contre les manœuvres destinées à cacher des ventes à l’étranger : prises par l’ennemi, naufrages, avaries irréparables. Le représentant de la douane doit assister aux débats du conseil d’administration maritime qui se saisira du problème après avis du tribunal de commerce compétent.

111Le conseil proposera, suivant les circonstances, l’annulation du cautionnement ou bien les poursuites. C’est en vertu de l’arrêté du 9 thermidor an V, qui prohibe la vente des navires à l’étranger, que l’administration des douanes doit, suite à la décision du conseil, constater sur ses registres la perte du navire neutralisé ou procéder aux poursuites nécessaires.

112Collin insiste pour que les directeurs s’attachent à obtenir, eux-mêmes, des renseignements certains sur la vérité des allégations présentées par les armateurs et, sur le degré de confiance que méritent les pièces produites.

113Le 4 ventôse an X,36 une deuxième circulaire prescrit qu’on doit sévir contre les armateurs des bateaux qui ne sont pas rentrés au terme du délai fixé pour la réintégration des bâtiments neutralisés. Il convient de s’assurer de leur retour et, dans le cas contraire, de vérifier les événements de force majeure qui l’ont empêché ou de poursuivre en contentieux. Collin et ses proches collaborateurs doivent veiller à la discipline de leurs personnels.

114C’est ainsi que les administrateurs rappellent aux directeurs, dans une circulaire en date du 16 vendémiaire an X137, qu’il ne faut plus opérer de retenues d’appointements à l’encontre des employés désobéissants, absentéistes, alcooliques ou fréquentant les cabarets, alors que cette pratique leur est interdite. À l’avenir, le chef ayant constaté un manquement le portera sur le registre de service. En cas de récidives, dont le nombre ne doit excéder quatre, le directeur prendra la décision de le dégrader s’il s’agit d’un chef, ou d’un sous-chef ou de le destituer si c’est un préposé.

115Le 23 messidor an X38, Collin prend un arrêté attribuant aux « contrôleurs aux visites les fonctions de sous-inspecteurs, pour surveiller le travail des brigades de leur résidence sous les ordres de l’inspecteur, et le diriger pendant son absence ; mais ils seront tenus de lui rendre compte des motifs et des résultats des ordres qu’ils auront donnés ».

116Le directeur général considère, en effet, que les opérations des deux services sont le plus souvent liées. Il lui paraît donc utile que, dans les petits bureaux, ils soient réunis en une seule main.

117Il faut veiller à la suppression d’autres abus. C’est ainsi que par circulaire du 9 vendémiaire an X139, les administrateurs estiment inadmissible que des directeurs aient utilisé des traitements de préposés pour recruter des surnuméraires, destinés à renforcer les services des brigades. D’autres auraient réuni les appointements de plusieurs préposés pour rétribuer un cavalier destiné à accompagner les chefs locaux : inspecteurs, sous-inspecteurs ou contrôleurs, dans leurs tournées. Enfin, il y aurait eu des détachements d’un poste, pour en renforcer un autre, sans information de l’administration.

118Après avoir souligné le danger d’introduire des surnuméraires dans les brigades, ils « aiment à croire » que les directeurs congédieront, sans délai, les surnuméraires qui auraient pu envisager trouver, dans ce moyen, une voie d’intégration dans le service des bureaux, et qu’ils veilleront à faire cesser tout partage ou défalcation de traitement quel que soit l’intérêt attaché à une telle manœuvre. En revanche, ils s’affirment disposés à étudier les rapports des directeurs sur les changements de répartition des effectifs.

119Un arrêté crée quatre inspecteurs généraux. L’un, M. de Moncloux, est pris parmi les régisseurs de 1791, les trois autres n’appartenant pas à la douane40. Il semblerait que, pendant les treize ans de son existence, l’inspection générale n’ait pas vu ses attributions fixées officiellement par un arrêté. Mais c’est probablement parce que l’on a voulu qu’elle fût à la disposition du directeur général, effectuant sur son ordre des missions ponctuelles.

120Jean Clinquart, dans un de ses livres sur l’Administration des douanes en France de l’Ancien Régime à nos jours, indique : « En même temps on instituera le bureau de la correspondance avec les inspecteurs généraux dont le chef sera Saint-Cricq »41. Ce dernier, qui s’imposera après la Restauration, est secrétaire général de préfecture à Melun, lorsque Collin, nommé d’abord préfet de la Drôme en 1800, est muté en Seine-et-Marne. C’est certainement là que les deux hommes se sont appréciés.

L’armée vient à l’appui de la douane

121En effet, la contrebande fait rage, en particulier sur les frontières terrestres. Le gouvernement prend la décision d’adjoindre au service des douanes dont les effectifs paraissent insuffisants, des éléments des forces armées. Le 16 frimaire an XI,42 un arrêté contient des mesures nouvelles pour la répression de la contrebande. L’armée fournira, sur réquisition du préfet, des détachements de 50 hommes d’infanterie et de 20 à 40 cavaliers.

122Des escouades, formées de quatre hommes et d’un sous-officier, participeront à des patrouilles ou à des embuscades de première ligne des douanes. Des préposés avec lesquels se trouvera un lieutenant ou un sous-lieutenant participeront à l’opération, autant que possible, et en particulier, lorsque les militaires ne connaîtront ni les lieux ni les procédures de fraude. L’inspecteur remettra les instructions sur la marche à suivre par les militaires, en cas d’arrestation ou de saisie.

123L’arrêté prévoit que « les militaires et leurs chefs prennent leur part de la répartition du prix de vente des marchandises saisies ».

124Le détachement de 1 300 soldats et de 220 cavaliers est prévu pour l’ensemble des directions d’Anvers, Clèves, Cologne, Mayence, Strasbourg, Besançon et Genève. Les directions de montagne, Besançon et Genève, ne recevront pas de cavaliers.

125Dans sa circulaire d’application, Collin recommande « une parfaite harmonie entre les militaires et les fonctionnaires des douanes » et met l’accent sur la répartition du produit des saisies. Il termine en affirmant que « le concours des militaires et des préposés exige une attention particulière pour prévenir l’effet des rivalités qui entraveraient la marche du service, et toutes les difficultés d’intérêt relatives au bénéfice éventuel des prises. L’intention du Gouvernement est que la meilleure intelligence règne entre les militaires et les préposés ; il verrait avec beaucoup de mécontentement que les directeurs, inspecteurs et autres chefs, ne fissent pas tout ce qui dépend d’eux pour répondre à ses vues. Le succès, je vous l’ai déjà fait observer, tient à la combinaison du service entre les militaires et les préposés, et à la réunion bien concertée de leurs efforts pour la répression des abus. »43

126L’expérience ne durera pas, car les soldats chargés de juguler la contrebande s’étaient faits fraudeurs. Cet essai a été renouvelé sans grand succès en 1814.

La contrebande

127Sur mer, elle se fait à partir de l’Angleterre et, en particulier, des îles Anglo-Normandes vers les parties désertes des côtes françaises, belges ou bataves. Sur terre, elle emploie les chemins de traverse.

128On estime à 100 000, le nombre des contrebandiers qui sévissent tout le long des frontières de terre. La quasi totalité de la population de certains villages se livre à la fraude. On se sert de chiens capables de porter 30 à 40 livres de marchandises. Les douaniers touchent 30 sols pour chaque chien tué. Entre 600 et 700 sont annuellement tués sur la frontière du Nord-Ouest.

129Tous les moyens sont bons pour tromper la douane. La misère est telle dans les campagnes que les fraudeurs trouvent facilement des « passeurs » occasionnels.

130Les commerçants anglais s’adaptent très rapidement à tout événement et à toute mesure pouvant influer, même indirectement, sur leurs coupables trafics. C’est moins vers la France que vers le reste de l’Europe que passe, désormais, la part la plus importante de la contrebande anglaise.

131Le gouvernement se donne donc les moyens de lutter contre la fraude. Dès le 9 février 1801, il a instauré des tribunaux spéciaux contre le brigandage et la sédition. Jugeant en dernier ressort, ils ont compétence en matière de violence exercée contre les préposés des douanes. Un arrêté du 16 frimaire an XI définit les voies de fait exercées contre les préposés des douanes et associe à ce délit « les complices et ceux qui auraient assuré les marchandises ».44

132Une loi du 13 floréal an XI précise la définition des actes de contrebande et indique en son article 8 que « tous détenus actuels pour raison de délits douaniers seront jugés par un Tribunal spécial ».

133Collin, dans sa circulaire du 13 prairial an XI, prescrit que « tout prévenu doit être aussitôt conduit devant l’officier de police [...] afin qu’il y eût ainsi le moindre délai possible dans les ordres à donner pour les poursuites et recherches des contrebandiers qui auraient pu échapper ».45

134Une loi du 13 floréal an XI traite du jugement des contrebandiers. Elle dispose :

135« Article IV : tous contrebandiers avec attroupement et port d’armes et leurs complices seront punis de mort.

136Article VI : tous préposés, convaincus d’avoir favorisé la contrebande, même sans attroupement et port d’armes, seront punis de la peine des fers qui ne pourra être prononcée pour moins de cinq ans, ni pour plus de quinze ans. Ils seront punis de la peine portée à l’Article IV ci-dessus, si la contrebande qu’ils auront favorisée a été faite avec attroupement et port d’armes ».46

137Collin réorganise, par circulaire du 19 brumaire an XI, « la police des quatre lieues sur les frontières de terre et la formation de la deuxième ligne ». Pour appeler énergiquement à la répression de la fraude, il prend texte de la formation des compagnies d’assurance pour l’introduction de marchandises étrangères et des résultats qu’elles obtiennent et qui sont aussi nuisibles à l’industrie qu’au Trésor national. Il demande aux directeurs de lui présenter « l’augmentation des dépenses que ce nouveau plan occasionnera ».47

138Le directeur général s’attache ainsi à perfectionner le fonctionnement des services des brigades de douane. Il continue à encourager tous les agents qui, de la Hollande à l’Italie, sur les frontières de terre ou de mer, font preuve de dévouement et de ténacité.

139Toutes les frontières sont dotées de bureaux aux principaux points de passage et de brigades échelonnées sur les limites territoriales. Une deuxième ligne est placée à trois ou quatre lieues à l’intérieur des terres. Cette zone, appelée « rayon douanier », est justiciable de règlements spécifiques. Les mouvements de marchandises ne peuvent s’y faire qu’accompagnés d’une déclaration visée par le service des douanes. Les dépôts de marchandises doivent être régulièrement signalés à l’administration.

140La zone d’action de la douane est divisée en « penthières », correspondant à la partie du rayon qu’une brigade est amenée à contrôler. Des patrouilles à pied ou à cheval sont sans cesse en action pour décourager ou mieux, détecter les mouvements des contrebandiers et vérifier que les « permis » d’exportation ou d’importation accompagnant les marchandises en circulation sont bien en règle.

141Le 7 prairial an XI, Collin demande aux directeurs de « prendre des renseignements précis sur le taux de l’assurance de la contrebande, et de [lui] indiquer, à la fin de chaque mois, celui relatif à chaque espèce de marchandises ».48

142Dès le 24 brumaire an XI, il attire l’attention des directeurs sur l’existence à l’étranger de « dépôts de plombs portant l’empreinte des différents bureaux et qui ont été vendus après avoir été détachés des caisses au lieu de leur destination, sans que l’on eût pris la précaution, d’effacer ces empreintes ».49

143Par circulaires des 24, 27 fructidor et 1^er jour complémentaire an X, il prévient les directeurs que « le Gouvernement exige que chaque directeur fasse cesser les abus qui existent dans son arrondissement ». Ces circulaires visent, notamment, les substitutions en cours de cabotage, en particulier en matière de denrées coloniales, et rappellent instamment toutes les mesures réglementaires de vérification effective des marchandises, d’escorte et de surveillance.50

144Le Premier consul veut marquer son intention de lutter plus efficacement contre les fraudeurs. Il prend un arrêté le 4^e jour complémentaire an XI, selon lequel :

• à l’article 1^er, il est enjoint à tous les fonctionnaires d’arrêter tous les individus qui introduiraient ou tenteraient d’introduire ou qui vendraient ou entreposeraient des marchandises de contrebande ;

• l’article 12 prescrit aux commissaires, placés auprès des tribunaux, de rendre compte chaque mois au ministre de la Justice de leur diligence au sujet de la poursuite, de l’instruction et du jugement des entreprises de contrebande ;

• l’article 13 rappelle la loi du 10 vendémiaire an IV qui prévoit que les communes dont les habitants auraient pillé les dépôts des douanes sont responsables de ces délits et des dommages-intérêts auxquels ils donneront lieu ;

• l’article 14 protège les préposés des douanes et précise que si l’un d’entre eux, « domicilié ou non sur une commune y aura été pillé, maltraité ou homicidé, tous les habitants seront tenus de lui payer ou en, cas de mort, à sa veuve et enfants, des dommages-intérêts. »51

145Collin, dans sa circulaire de transmission du 11 octobre suivant, précise que son principal objet est « d’assurer et d’accélérer la punition de tous les délits concernant l’introduction de marchandises anglaises ». Il met l’accent sur « le principe que les moyens de faux ne sont admissibles qu’autant que, fusent-ils prouvés, ils détruiraient l’existence de la fraude ».52 Il faut atteindre les contrebandiers partout où ils sévissent. Une loi du 21 ventôse an XI décide le déplacement des manufactures et fabriques qui auraient favorisé la contrebande.53

146Mais il importe aussi de veiller sur le moral et l’intégrité des agents des douanes. C’est ainsi que Collin, dans sa circulaire du 13 prairial an XI sur la mise en jugement des contrebandiers, précise que cet arrêté s’attache à ce que « les préposés des douanes qui seraient convaincus d’avoir favorisé la contrebande devinssent justiciables des tribunaux spéciaux créés pour réprimer le banditisme et qu’ils fussent punis de la peine capitale ». Il invite les directeurs à mettre l’accent dans leurs instructions sur le fait que « toute infidélité, quel que soit le moyen employé, entraînerait la peine portée par la loi ».54

147Dans ses notes des 30 germinal an X et 30 prairial an XI, il recommande de veiller à ce que des préposés démissionnaires ou destitués par un inspecteur n’aillent pas se faire admettre dans d’autres directions en dissimulant leur ancien état. Il prescrit l’établissement et la publication de listes de ces individus afin de prévenir de telles manœuvres.55

148C’est vraisemblablement Collin qui est à l’origine de l’arrêté du 29 thermidor an XI, dont l’article 1^er indique que « le directeur général des douanes pourra désormais autoriser la mise en jugement des préposés qui lui sont subordonnés ».56 Il est ainsi à même de faire sanctionner rapidement les agents corrompus. Mais l’objectif principal de cette mesure est de protéger des dénonciations calomnieuses les agents objets de la vindicte des fraudeurs.

149Le 21 novembre 1806, il fait état d’un décret du 21 octobre qui spécifie que les employés destitués et non domiciliés précédemment dans leur lieu de service pourront être tenus de s’éloigner de deux myriamêtres (20 000 mètres) des côtes ou de la première ligne.57

150En revanche, il prend des mesures destinées à mieux rémunérer et récompenser les agents. C’est ainsi que les deux tiers du produit des saisies sont distribués aux douaniers saisissants. D’autre part, les plombs de douane sont vendus aux utilisateurs au profit des douaniers chargés des opérations de plombage. Des circulaires étendent ce bénéfice aux vérificateurs-liquidateurs et aux receveurs.

151Le 13 vendémiaire an XIII, des primes sont accordées aux préposés ayant procédé à l’arrestation de déserteurs. Collin reprend, en la circonstance, une disposition existant déjà sous l’Ancien Régime. Il en sera de même pour les arrestations des conscrits réfractaires puis des prisonniers évadés.58

152Collin fait preuve d’équité. Par circulaire du 28 ventôse an XIII, il indique qu’il a depuis longtemps la conviction que les directeurs et inspecteurs des départements maritimes sont moins bien traités que ceux des frontières de terre. En effet, le travail y est aussi intense mais les saisies sont plus rares. Il pense aussi qu’il est juste de récompenser l’activité des préposés qui défendent les côtes et qui préservent le pays des entreprises dangereuses de l’ennemi. Sur sa suggestion, le gouvernement a décidé d’accorder des gratifications aux agents de tous les grades qui, par des actions d’éclat, se signalent contre les fraudeurs. Ces récompenses sont attribuées par le chef du gouvernement sur l’avis du directeur général qui demande aux directeurs de lui faire les propositions nécessaires.59

153Tout comme Napoléon, Collin veut tout voir, tout savoir. Il se préoccupe de connaître dans le détail ce qui se passe sur l’ensemble des frontières. Il charge les administrateurs de rechercher les moyens de mieux appréhender les variations de la topographie des directions dont ils ont la charge. Ceux-ci, dans une circulaire du 30 prairial an XII, invitent les directeurs à faire établir par les inspecteurs, lors de leurs tournées, un état topographique des bureaux et des brigades de toute la division, comportant l’étendue des penthières, les distances entre les bureaux et postes, les points de jonction, les rivières navigables, la nature et les moyens de fraude, les points à surveiller, les communes dont les habitants sont connus comme fraudeurs, ainsi que toutes propositions et tous moyens pour lutter contre la fraude.60

154Le 24 messidor an XII, dans une circulaire aux directeurs, les administrateurs attirent leur attention sur le manque grave de liaisons entre les brigades en poste dans des penthières juxtaposées et soulignent, enfin, qu’aucune relation n’est entretenue entre les directions qui se touchent. Ils les invitent à rappeler leurs subordonnés à une stricte exécution des instructions en la matière et précisent : « Nous ne balancerions pas à provoquer, auprès du directeur général, des mesures susceptibles à les rappeler à leurs devoirs ».61

155Pendant plusieurs années, les frontières et donc les lignes de douanes vont connaître d’incessants et importants changements. Les douaniers français sont déjà sur le Rhin et en Hollande ainsi qu’à Genève. Il leur faudra aller à Milan, à Gênes et dans les Apennins, puis à Livourne et à Parme.

156Comme le dit Jean Clinquart : « En 1805 pour la cinquième fois une translation des lignes s’opère à partir des lignes piémontaises [...]. Les douanes françaises s’installent dans les murs des anciennes douanes génoises et parmesanes, cependant que les brigades garnissent les frontières nouvelles de l’Empire ».62

157Elles appliquent des décisions comme ce décret impérial du 15 messidor an XIII contenant « règlement des douanes pour les départements de Gênes, de Montenotte et des Apennins ». Il est spécifié en son titre I, article 2 que « les lignes des bureaux et brigades des douanes qui séparent l’ancien État de Gênes de la France et du duché de Parme, seront levées et transportées le long du Pô jusqu’à Verceil, et en descendant vers la mer jusqu’au delà de Sarzanne. Des bureaux seront également placés depuis la Moléta, près de Menton, jusqu’au delà de la Magra. »

158L’article 8 prévoit : « Une ligne de brigades sera établie sur les Alpes, depuis Nice jusqu’en Suisse, pour empêcher la contrebande du sel et du tabac et se renseigner sur les voies empruntées par les commerçants entre la France et l’Italie. »63

159Jean Clinquart poursuit : « On n’a plus en telles occasions à innover : tant d’opérations similaires ont déjà eu lieu que la conduite à tenir en pareil cas est toute tracée ».

Les effectifs

160Collin s’est attaché à préserver l’autonomie de la douane et s’est acharné à obtenir une augmentation substantielle des effectifs douaniers : ceux-ci avaient été dramatiquement réduits depuis 1791 et ont atteint environ 11 000 agents en 1800. L’effort est surtout concentré sur les frontières du Nord et de l’Est. L’instauration de la deuxième ligne, intervenue en 1803 et évoquée plus haut, oblige à un recrutement d’autant plus important. En 1806, la douane dispose de 22 803 agents, dont 30 directeurs, 73 inspecteurs et sous-inspecteurs, 2 238 préposés des bureaux et 20 462 préposés des brigades de tous grades.64

161En six ans, on a recruté plus de 11 000 agents, soit une augmentation d’environ 100 %.

162Mais le directeur général des douanes et son ministre veulent avoir les « coudées franches ». C’est le 28 ventôse an XII qu’un arrêté attribue au ministre des Finances l’exécution des lois relatives aux douanes, à la taxe d’entretien des routes, aux droits de navigation et de tonnage ainsi qu’aux octrois municipaux. Son article 1^er indique : « L’exécution des lois et arrêtés du gouvernement sur les douanes est exclusivement attribuée au ministre des Finances ; et le directeur général des douanes n’aura de travail qu’avec ce ministre. Le ministre de l’Intérieur soumettra néanmoins au gouvernement les vues d’amélioration que l’intérêt du commerce intérieur et extérieur lui paraîtront exiger ». Voici donc Collin affranchi de la tutelle du ministre de l’Intérieur qui avait à connaître les mouvements des subsistances et en particulier des grains. Il se voit également attribuer par l’article 2 les prérogatives du ministère de la Marine en matière de droits de navigation intérieure.65

La douane retrouve les droits sur les sels

163La perception sur les sels provenant des marais salants d’une taxe d’un décime par kilogramme a été confiée à la douane malgré son caractère purement fiscal. Les sels issus des salines et fabriques de l’intérieur seront du ressort des Droits réunis. C’est par un décret du 16 mars 1806 que Napoléon annonce le rétablissement de cet impôt, fort impopulaire.66

164La loi du 24 avril67 fut votée malgré la ferme opposition de Lucien Bonaparte. Napoléon avait dit : « Il faut orner les impôts pour qu’ils paraissent moins lourds ».68 Aussi cette loi proclame-t-elle le but de dégrever la contribution foncière et l’affectation exclusive de la taxe à l’entretien des routes et aux travaux des ponts et chaussées. L’exposé des motifs exprime la volonté impériale de ne laisser aucun doute sur l’intention de son auteur d’apaiser toute crainte en insistant sur la légèreté et l’uniformisation de la taxe, et insiste sur le fait qu’elle sera exclusivement perçue sur les lieux de fabrication et que son commerce sera libre.

165Collin demande par note du 7 avril 1806 qu’une comptabilité soit tenue sur les sels, entièrement distincte de celle des douanes.69

166Dès le 16 mars 1806 et dans l’attente de la parution du décret, il avait pris des mesures pour empêcher la spéculation en interdisant, sur ordre du gouvernement, l’introduction du sel dans l’intérieur sans acquittement d’un droit d’un décime par kilogramme.70 Le 27 mars, il avait transmis un décret ordonnant un inventaire des sels en tous lieux de la France et au-delà des Alpes.71

La crise céréalière

167Le problème des grains rebondit : la disette de 1801 et 1802 avait fait place à une relative abondance. Cependant, les mesures de surveillance, contrôlées à la fois par le ministre de l’Intérieur et celui des Finances, continuent. Le 25 prairial an XII, un décret permet l’exportation des grains pour l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et la Hollande, par des ports et des bureaux de terre, nommément désignés.72

168Les grains paieront à la sortie un droit d’un franc par cinq myriagrammes de blé. Le taux est de 0,50 franc pour les autres grains. Cette autorisation doit être rapportée dès que le blé aura atteint un prix plafond de 16 francs l’hectolitre dans le Nord et l’Ouest et de 20 francs dans le Midi. Elle restera en vigueur jusqu’au 15 juin 1810. Il s’agit là d’une mesure destinée à maintenir le prix du blé, donc du pain, à un coût raisonnable. Le 9 janvier 1807, Collin rappelle un arrêté du juillet 1806 qui gradue, jusqu’à la prohibition, le droit de sortie sur les grains.73

169Cette mesure sera rapportée le 15 juin 1810. L’Angleterre, tout au moins officiellement, en est écartée.

La lutte contre la fraude s’amplifie

170En 1806, l’étau contre l’Angleterre semble déjà serré au maximum. Aucun bateau ne peut accoster en France s’il contient des marchandises anglaises. Il en sera ainsi s’il a fait escale, même forcée, dans un port anglais. On n’admet même pas qu’il puisse être visité en mer. Les bâtiments neutres sont particulièrement surveillés. Ils doivent être munis de certificats d’origine visés par le consul de France ou une autre autorité française à l’étranger. Un double de ce certificat est acheminé directement, à destination du gouvernement français. Si ce certificat n’est pas fourni et si les marchandises présentées ne sont pas prohibées, le débarquement peut être autorisé, après examen des raisons de cette situation. Cependant, le navire doit emporter en retour des marchandises françaises d’une valeur au moins égale à celle de la cargaison débarquée.

171La contrebande maritime a été tellement réduite que Collin est amené à trouver un moyen de récompenser ses agents des départements maritimes qui, ne capturant plus guère de marchandises de contrebande, ont vu leurs parts de répartition du produit des amendes réduites à la portion congrue. En conséquence, une partie des effectifs douaniers participe à la défense des côtes.

172Sur terre, la contrebande par chiens, par porteurs individuels et, de plus en plus souvent, par troupes armées, est considérable. Des dépôts de marchandises de contrebande sont constitués à proximité des frontières terrestres. Napoléon réclame qu’on aille les déménager. Les douaniers prennent à terre les usages maritimes permettant d’opérer des prises sur les navires et cargaisons ennemis. Certaines opérations ont véritablement le caractère de « guerre de course ».

173Jean Clinquart fait état d’une opération lancée en terre étrangère par Jean-Baptiste Collin. Celui-ci montre, dans un rapport au ministre des Finances, la pugnacité de ses troupes et en profite pour mettre en évidence les qualités de son fils, Louis, inspecteur à Anvers.

174« Citoyen Ministre,

175« J’ai reçu cette nuit un courrier extraordinaire d’Anvers qui m’annonce que des ordres donnés par le Premier Consul pour l’enlèvement des marchandises anglaises déposées à Lommel et autres communes hollandaises qui bordent nos frontières ont eu un succès complet.

176« J’avais transmis au directeur d’Anvers des instructions précises sur les moyens que l’on devait employer, la composition des détachements tant en troupes de ligne qu’en cavalerie des douanes.

177« J’avais recommandé le plus grand secret et que l’on arrivât dans chaque commune à la pointe du jour. Mon fils aîné, inspecteur à la direction d’Anvers, n’a voulu confier qu’à lui la conduite de cette affaire, il s’est mis à la tête des détachements.

178« À Lommel, les habitants ont paru un moment faire résistance, mais la cavalerie des douanes a dissipé les rassemblements qui voulaient se former. Mon fils avait eu soin de placer un détachement devant l’église pour empêcher de sonner le tocsin et de s’emparer des clés. Enfin toutes les marchandises anglaises ont été mises sur 70 voitures et conduites à Anvers ».74

179Collin illustre ainsi l’un des aspects de la politique douanière des premières années de l’Empire : faire obstacle par tous les moyens à l’introduction de marchandises anglaises. Mais pour l’instant, seules les côtes et les frontières sous prédominance française sont justiciables de cette théorie.

180L’Angleterre ayant déclaré en état de blocus l’ensemble des côtes de l’Empire français, il reste à Napoléon à fermer tout le continent au commerce anglais : ce sera le Blocus continental.

181Mais il importait tout autant de favoriser la production nationale et Roger Dufraisse explique : « Toutes les mesures douanières prises avant le décret de Berlin eurent pour but de favoriser l’industrie française. C’est l’un des aspects économiques du Système continental, certainement antérieur au Blocus et tout à fait indépendant de la lutte contre l’Angleterre. Patiemment, Napoléon a renforcé la législation visant toute concurrence étrangère, ennemie, alliée ou neutre, sans faire de concession à quiconque, fût-ce à ceux dont il demandera le concours contre l’économie anglaise. »75

B. Le Blocus continental (1806-1812)

182Avec la victoire d’Iéna, le 14 octobre 1806, Napoléon I^er a réduit la Prusse à sa merci. Il est au faîte de sa destinée. Sur tout le continent, la France a étendu sa suprématie.

183En Europe, seule l’Angleterre, depuis la rupture de la paix d’Amiens, est en état de guerre, partout elle suscite des ennemis à Napoléon. Elle encourage leur résistance et leur assure des subsides importants. La « cavalerie de Saint-Georges » a été, en effet, un puissant mobilisateur des coalitions qui vont se succéder.

184Grâce à la puissance de sa flotte, elle s’est assurée la maîtrise des mers et a enlevé plusieurs colonies à la France mais aussi à l’Espagne et à la Hollande. Sa suprématie est concrétisée à Trafalgar, le 28 octobre 1805.

185Du fait de son infériorité maritime. Napoléon renonce à son projet d’invasion de l’Angleterre. Il annonce à son frère Louis, roi de Hollande, son intention de « reconquérir les colonies par terre, et de vaincre la mer par terre ». Il lui faut obtenir la fermeture de tous les ports du continent. C’est ainsi que les embouchures de l’Ems, du Weser et de l’Elbe sont fermées aux bateaux en provenance d’Angleterre. Le 16 mai 1806, le gouvernement anglais déclare les ports de la Manche et de la mer du Nord en état de blocus, forçant les navires neutres à décharger dans les seuls ports anglais et à payer de lourdes taxes, s’ils doivent repartir sur le continent.

186Napoléon est outré par les mesures draconiennes prises par l’Angleterre. Il publie à Berlin, le 21 novembre 1806, un décret déclarant l’ensemble des Iles britanniques en état de blocus et interdisant tout commerce et toute correspondance avec ce pays.

187Dans le préambule, il considère « que l’Angleterre n’admet point le droit des gens suivi universellement par tous les peuples policés... Qu’elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux havres, et aux embouchures des rivières le droit de blocus... Que cet abus monstrueux du droit de blocus n’a d’autre but... que d’élever le commerce et l’industrie de l’Angleterre sur les ruines de l’industrie et du commerce du continent.

188« Que, tel étant le but évident de l’Angleterre, quiconque fait, sur le continent, le commerce des marchandises anglaises, favorise par là, ses desseins et s’en rend le complice...

189« Qu’il est de droit naturel d’opposer à l’ennemi les armes dont il se sert et de le combattre de la même manière qu’il combat, lorsqu’il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentiments libéraux, résultat de la civilisation parmi les hommes...

190« Que cette conduite de l’Angleterre, digne en tout des premiers âges de la barbarie, a profité à cette puissance au détriment de toutes les autres. »76

1. La politique douanière

191Le système de blocus instauré par Napoléon en réplique aux mesures anglaises a pour effet premier d’interdire toute relation commerciale et industrielle avec les îles Britanniques. Tout commerce, toute marchandise ou propriété appartenant à un sujet anglais sont déclarés de bonne prise. Tout Anglais se trouvant sur un point des territoires occupés par la France est fait prisonnier de guerre.

192Les ports français sont fermés aux bâtiments venant d’Angleterre ou des colonies anglaises. Ces dispositions sont étendues en même temps aux alliés de la France ainsi qu’aux pays occupés par nos armées, tels que la Prusse, l’Autriche et presque toute l’Allemagne. Elles font l’objet d’une notification aux rois d’Espagne, de Naples, de Hollande et d’Étrurie. Un décret du 2 décembre 1806 installe une nouvelle ligne de douane, entre la Hollande et la Baltique, avec un directeur à Hambourg, l’énergique Ebdel, deux inspecteurs à Cuxhaven et Travemünde et 300 « douanistes » dont la solde était à la charge de la population locale. « Ainsi, souligne Roger Dufraisse, en était-on à installer une administration française dans des pays indépendants ».77

193Le 15 décembre 1806, un décret ordonne l’envoi en France de toutes les marchandises saisies dans les ports hanséatiques.

194En France, le Blocus est d’abord favorablement accueilli dans les milieux économiques. « Le Blocus continental apparaît comme le moyen de relancer une économie secouée par la crise, née du krach des Négociants réunis où le Trésor s’était imprudemment engagé ; l’accueil fut donc favorable chez les manufacturiers et nullement hostile dans le négoce directement concerné pourtant. »78

195L’Angleterre craint fortement d’être atteinte dans son commerce et sa production industrielle. Du 2 au 7 septembre, elle punit le Danemark qui est sur le point d’adhérer au Blocus, en bombardant Copenhague pendant cinq jours, et en incendiant la flotte danoise sans aucune déclaration de guerre. En conséquence, le tsar rompt ses relations avec l’Angleterre. Tour à tour, l’Autriche comme le Danemark sont amenés à adhérer au Blocus.

196Le 13 octobre 1807, un décret pris à Fontainebleau considère comme anglais les produits manufacturés ou les denrées dont l’Angleterre a le monopole.

197Le gouvernement anglais riposte par des ordres du Conseil, en date du 11 novembre, obligeant tous les navires neutres à subir en pleine mer une visite de contrôle d’un vaisseau de guerre anglais ou à aborder un port anglais.

198Pour répondre à la décision anglaise, Napoléon prend à Milan, le 23 novembre 1807, un décret qui décide :

199« Article 1^er : Tous les bâtiments qui, après avoir touché en Angleterre par quelque motif que ce soit, entreront dans les ports de France, seront saisis et confisqués ainsi que les cargaisons ».

200Ce décret prévoit que les capitaines devront donner leur itinéraire et remettre tous documents de bord. Le chef des douanes interrogera séparément tous les matelots. En cas de fausse déclaration, le capitaine ne sera mis en liberté que contre paiement d’une amende de six mille francs pour lui-même et de cinq cents francs pour chacun des matelots arrêtés.

201L’article 4 de ce décret ordonne aux commissaires des relations commerciales qui délivrent des certificats d’origine, d’indiquer le lieu de production des marchandises visées et les pièces qui leur auront été présentées. Ils adresseront, pour comparaison avec l’original, un duplicata de leur certificat au directeur général des douanes.79

202La guerre économique redouble d’intensité sur terre comme sur mer. Le second décret de Milan du 17 décembre prévoit que tout bâtiment, de quelque nation qu’il soit et quel que soit son chargement, expédié des ports d’Angleterre ou des colonies anglaises ou des pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise. Il en est de même pour un bateau allant en Angleterre ou dans des colonies anglaises ou dans les pays occupés par les troupes de Grande-Bretagne.

203L’économie américaine est particulièrement atteinte par les mesures de blocus anglaises et françaises. L’opinion des Américains est révoltée par ces violations du droit des gens, qui placent leur production et leur commerce entre deux feux. Devant cette situation intenable, le président Jefferson prend le 22 décembre 1807 une décision interdisant tout trafic avec l’Europe, afin d’éviter que les navires américains ne soient capturés par la flotte anglaise ou saisis par les autorités douanières d’Europe continentale.

204Les relations entre les États-Unis et la France se détérioreront de plus en plus. Les dirigeants américains adoptent le 1^er décembre la loi d’embargo, suivie le 1^er mars 1809 par la loi de « non inter course ». Ils interdisent aux bâtiments américains de naviguer sur les mers d’Europe. Ils déclarent de bonne prise les bateaux français ou anglais accostant dans un port américain.

205Napoléon, considérant l’attitude hostile du gouvernement des États-Unis déterminé à couper toute relation commerciale avec la France et ses colonies, a décrété qu’à compter du 20 mai 1810, tous les bâtiments naviguant sous pavillon des États-Unis ou possédés, même en partie, par un citoyen américain, seront saisis.80

206Pour développer, ou simplement conserver, leur industrie et leur commerce, les négociants et affréteurs américains sont obligés de désobéir à leur gouvernement et de contourner ou forcer le blocus pour leurs approvisionnements. On peut affirmer que c’est le pavillon américain qui contribuera largement à déjouer la rigueur du blocus.

207Par la suite, revenant sur sa position particulièrement dure et voulant se concilier les dirigeants américains, Napoléon décide de ne pas leur faire subir les rigueurs de sa politique douanière. Leurs bateaux sont autorisés à décharger leurs produits dans les seuls ports français, disposition prise pour redonner à la France le rôle de redistribution des produits coloniaux perdu à cause du blocus. « Mais, s’il était facile à nos douaniers de distinguer les produits anglais de ceux de la jeune industrie américaine, comment auraient-ils pu discerner un grain de café du Brésil, d’un autre de la Jamaïque, un flocon de coton de la Nouvelle Orléans d’un autre des Barbades. »81

208Il faut à l’Empereur résoudre rapidement la difficulté d’autoriser le commerce avec les Américains, tout en maintenant la prohibition visant les produits des colonies anglaises. Il doit tenir compte également des pressions des manufacturiers et des commerçants français, coupés de leurs approvisionnements de matières premières. Il trouve un moyen terme en décidant que toutes les denrées coloniales seront « réputées de provenance anglaise » par un décret du 5 août 1810, signé au Trianon. Cette imposition particulièrement rigoureuse remplacera la prohibition générale. Furent donc surtaxés les sucres bruts, terré et tête, le thé, le cacao, le café, l’indigo, les poivres noirs et blancs, la cannelle, etc.

209L’Angleterre souffrira beaucoup du blocus. Ses lignes régulières avec les ports de la mer du Nord et de la Méditerranée qui, depuis longtemps avaient suppléé à la perte des liens économiques avec la France, se ferment. Mais grâce à la suprématie maritime de leur pays, les commerçants anglais et leurs vaisseaux trouvent d’autres chemins, plus longs, certes, mais plus sûrs. Leurs lettres de change et leurs marchandises souvent saisies par la douane, ils modifient leurs circuits commerciaux et se font, désormais, régler toujours au comptant.

210« Héligoland devint le "petit Londres", c’est-à-dire le grand entrepôt anglais aux portes de l’Europe du Nord ». Les Anglais y ont dépensé 500 000 francs en aménagements divers. Cent commerçants de Francfort y sont représentés. Des dépôts fonctionnent aussi à Jersey, en Sardaigne, en Sicile, à Malte et en Espagne. Gibraltar est une importante plaque tournante de ce commerce interlope. Les Grecs débarquent en Italie les produits prohibés, après avoir changé étiquettes et emballages. Depuis la Turquie, les marchandises sont acheminées par terre vers Trieste, Vienne ou Leipzig. D’autres circuits s’établissent entre Gôteborg, Leipzig et Hambourg. Sur le continent, les organisateurs trouvent de plus en plus de complices dans la population mais également auprès des plus hautes autorités administratives et militaires et jusque parmi les employés des douanes. La contrebande jouit d’une excellente organisation dans laquelle entrent les entrepreneurs, les chefs de bande, les porteurs, les guetteurs et même des espions. En amont, se trouvent les « assureurs », sociétés de commerce assurant les entrepreneurs contre l’action de la douane. Le taux varie entre 8 et 25 % suivant la pugnacité des douaniers. Les directeurs sont invités par Collin à se tenir informés des variations de ce moyen d’apprécier l’efficacité de leurs services.

Les lois douanières

211Napoléon prend une série de lois douanières pour garantir sa politique commerciale : la loi du 7 septembre 1807 régularise les décrets provisoires pris depuis mars 1806. On notera que l’exportation du houblon est autorisée vers la Hollande et l’Allemagne mais qu’elle cessera quand le prix de ce produit atteindra le plafond de 120 francs le quintal sur le marché des partenaires de la France.

212Ce sera l’avant-dernière d’une série de lois de régularisation soumises au Corps législatif entre 1803 et 1807. Napoléon, en effet, ne déposera aucun projet de loi douanière avant celle du 12 janvier 1810 qui légalisera quelques décrets provisoires. Après 1810, il n’y aura plus de loi régulatrice.

213Napoléon, se méfiant des « adaptations » à la réglementation faites par ses ministres et grands commis, prend le décret impérial du 26 novembre 1808 qui déclare :

214« Article 1^er : Aucun changement ne pourra être fait, même momentanément, au tarif de nos douanes, sans un décret de nous.

215« Les facultés accordées à notre ministre des finances et à notre directeur général des douanes sur cet objet sont rapportées.

216« Article 2 : Sous quelque prétexte que ce soit, aucun de nos Ministres ne pourra se permettre de faire, de son propre mouvement, aucun règlement de prohibition ou de législation de nos douanes. Toute mesure prise sans notre décret, est de fait, rapportée ; et notre directeur général des douanes fera exécuter strictement toutes les mesures de douanes prescrites par nos décrets et expédiées par notre ministre-secrétaire d’État. »82

217Les marchandises présentant des similitudes avec les marchandises anglaises sont prohibées par un décret du 10 mars 1809. Ainsi, le tissu connu dans le commerce sous la dénomination de tulle anglais, de gaze ou de tricot de Berlin, ne pourra plus entrer sur le territoire de l’Empire.83

2. La gestion de l’administration

218La tâche exclusive de la douane va être l’application sans faille du blocus. Collin de Sussy s’évertuera à satisfaire la volonté impériale. Il lui faudra assurer l’étanchéité des frontières démesurément agrandies et s’opposer à l’entrée des produits anglais qui empruntent des chemins sans cesse renouvelés.

La lutte contre la fraude

219Le 8 mars 1811, un décret a instauré de nouvelles dispositions pour prévenir ou réprimer l’introduction des marchandises prohibées.

220À l’article 1^er, il est précisé que « toute introduction de marchandises prohibées, de quelque manière qu’elle soit constatée, et même à défaut ou en cas de nullité du procès verbal, sera, indépendamment de la confiscation, punie des peines déterminées par les lois et règlements, et quand à l’amende, dans tous les cas, elle sera du triple de la valeur des objets saisis. »84

221Le législateur a voulu combattre les arguments trop souvent avancés devant les tribunaux, invoquant la nullité de la procédure douanière ou même l’absence totale de procès-verbal, ces errements étant dus à l’inexpérience des douaniers ou à l’impossibilité d’instrumenter dans certains cas.

222Il convient, une fois de plus, d’encourager le service dans sa lutte contre la fraude : si la répartition du produit des amendes est maintenue, il est prévu de mettre en réserve le troisième tiers pour être réparti entre les préposés qui auront saisi des marchandises pour lesquelles les amendes n’auraient pas été recouvrées. Il importe, en effet, de stimuler le zèle des douaniers dans leur combat contre des contrebandiers de plus en plus enhardis.

223Dès le 2 juillet 1807, Collin écrit à ses directeurs : « Le gouvernement entend encourager les préposés des douanes à redoubler de zèle et d’efforts pour assurer la répression de la fraude sur le sel, il a autorisé, après la demande que j’en avais faite, le prélèvement d’une remise de deux pour cent, dont la répartition se fera entre les préposés de tous grades qui auront utilement concouru à sa perception ». Il annonce aussi son intention d’écarter de ces gratifications les agents témoignant de négligence ou de peu de fermeté.85

224Le 13 janvier 1808, il invite les directeurs à écarter de cet avantage même « ceux qui n’ont rempli leurs obligations qu’autant qu’il était strictement nécessaire pour ne pas encourir de reproches ».86

225Par ailleurs, il exprime la volonté d’en faire bénéficier les préposés à la salaison des poissons qui, dans les ports de pêche, auront concouru, par leur zèle et leur exactitude, à prévenir les abus de franchise.

Anoblissement de Collin

226Le 16 avril 1808, Napoléon témoigne de sa confiance et de son affection envers Collin en lui conférant la qualité de conseiller d’État à vie et le titre de comte.

227Continuant à faire preuve de bienveillance et d’esprit de justice envers ceux de ses collaborateurs qu’il juge les plus méritants, le directeur général, qui signe désormais « comte de Sussy », décide le 25 avril 1808 de faire participer à la remise prélevée sur l’impôt du sel, les préposés qui se seraient fait remarquer par des actions de courage devant l’ennemi, ou par leur dévouement à secourir les hommes exposés à périr dans les flots, ou les bâtiments livrés à des dangers marins.

228On y ajoutera les contrôleurs et lieutenants qui, n’ayant pas eu non plus de remises sur les sels, se seraient distingués dans le service des côtes.87

229Le 12 janvier 1811, il transmet un décret accordant une gratification de vingt-cinq francs pour chaque arrestation de réfractaire ou de déserteur.88 Le 19 décembre 1811, un décret accorde une prime de 20 centimes par kilogramme de tabac en feuilles et 30 centimes par kilogramme de tabac fabriqué à ceux des préposés des douanes qui saisiront du tabac.89 Il est attribué aussi une prime de 6 francs pour chaque contrebandier ou colporteur arrêté. Dans une deuxième circulaire du 17 janvier 1812, il insiste pour que les bénéficiaires reçoivent, sans délai, les primes et les gratifications.90

230Cette circulaire sera la dernière de Collin de Sussy en tant que directeur général des douanes. Il est en effet promu ministre du Commerce et remplacé par Ferrier, par décret du 22 janvier 1812.91

231C’est certainement à juste titre que le gouvernement et le directeur général se sont attachés à stimuler le zèle et le dévouement des agents des douanes de tous grades. Mieux payés, plus récompensés, ils doivent concourir de leur mieux à l’application de la politique douanière du gouvernement.

232Parallèlement, et dès le début de sa prise de fonction, Collin de Sussy a poursuivi sans relâche les agents négligents ou corrompus.

Napoléon fait surveiller l’ensemble de ses services

233Pour la douane, ont été créés des inspecteurs généraux qui reçoivent leurs ordres du directeur général, et de lui seul. Bien qu’aucun texte ne définisse leurs missions, il semble qu’ils ont surtout été chargés d’effectuer des contrôles de toute sorte.

234Dans les attributions des administrateurs, directeurs, inspecteurs, sous-inspecteurs, contrôleurs et lieutenants, figurent, en premier lieu, l’organisation et le contrôle de l’exécution du service.

235Napoléon a voulu un contrôle supplémentaire. Dans un décret du 23 fructidor an XIII, il avait déjà chargé les commissaires généraux de police de veiller à l’exécution des lois et règlements des douanes touchant la contrebande. Il les avait autorisés à faire saisir les marchandises prohibées et leur avait indiqué qu’ils exerceraient leurs fonctions sur les frontières de terre et de mer, dans la ligne des douanes.92

236En outre, le 25 mars 1811, Napoléon décrète que les directeurs généraux de la police étendront leur administration et leur surveillance sur tous les départements compris dans les gouvernements auprès desquels ils sont placés. Ils surveilleront particulièrement le service des douanes et les mouvements des ports. La surveillance de la police sur le service des douanes s’étendra, désormais, aux zones nouvellement soumises à l’autorité impériale.93

237Les services de police s’attacheront plus à dénoncer les turpitudes des douaniers, réelles, supposées, voire même inventées, qu’à les aider dans leur lutte contre la fraude.

238Voici donc la douane aidée par l’armée et la police dans la fermeture des frontières au commerce interlope. Cette fermeture paraît si bien assurée qu’elle aboutit dans certains secteurs à une asphyxie, totale ou presque.

Les licences

239Le système des licences sera le moyen officiel et réglementaire, destiné à obvier aux rigueurs du blocus. L’Angleterre pâtit énormément du blocus qui s’étend maintenant à la quasi totalité des côtes continentales. Mais en France et dans les autres pays sous domination française, les protestations des villes portuaires, des commerçants, des manufacturiers et des agriculteurs se font de plus en plus vives. Déjà à partir de 1806, les chefs militaires des pays conquis ont, à l’insu de l’Empereur, autorisé, « à titre exceptionnel » et moyennant « quelques douceurs », l’introduction de marchandises prohibées.

240L’Empereur est obligé de convenir de l’impossibilité matérielle de faire appliquer intégralement et rigoureusement son système. Il lui faut absolument laisser entrer les équipements pour la marine et les matières premières pour les industries étroitement dépendantes de l’étranger. Le coût des matières premières augmente au rythme de leur raréfaction et se répercute une fois de plus sur le prix de vente des produits finis. L’industrie nationale souffre de la rupture de certains approvisionnements ainsi que de plusieurs débouchés notamment pour les denrées coloniales. De nombreux ateliers sont contraints à la fermeture.

241Le blocus a pour effet de doubler et même tripler les prix des produits exotiques. De surcroît, et en même temps, les droits de douane augmentent à partir de juillet 1810.

242Jean Tulard affirme : « Ainsi devant l’échec d’un blocus qui n’enrichissait que les fraudeurs, Napoléon se fait-il lui-même contrebandier ; il établit un commerce direct avec l’Angleterre, alors qu’il l’interdit aux alliés, vassaux ou neutres... La France abondant en produits coloniaux et le reste du continent en étant privé, c’est le commerce français qui les distribuera en Europe. »94

243Déjà, l’Angleterre, contrairement à sa décision de bloquer les ports français, a envoyé dès 1809, des navires charger du blé français. Napoléon a accepté, au début de cette année, de déstocker les excédents en céréales et boissons diverses. Quand Fouché, en juillet 1809, assure l’intérim du ministère de l’Intérieur, il assouplit la rigidité du régime des licences pour stimuler une marine marchande moribonde. C’est le Nantais qui se réveille en lui.95

244De juin 1809 à février 1810, Napoléon autorise une procédure d’octroi de licences, dites « ancien système ». Elles sont destinées à autoriser l’exportation vers l’Angleterre de produits alimentaires tels que les grains, les sels, les fruits et légumes ainsi que les vins et alcools. Il doit y avoir rapatriement immédiat du paiement ou compensation par l’importation de fournitures pour la construction navale, de métaux et de divers produits, à l’exception des denrées coloniales et des articles manufacturés anglais. En février 1810, de nouvelles extensions sont apportées à la liste des produits susceptibles d’être importés et exportés. Les exportations doivent comporter 25 % d’articles manufacturés.

245L’Empereur prend un certain nombre de décrets sur ces dérogations, dont celui du 25 juillet 1810 qui dispose :

246« Article 1^er : À dater du 1^eraoût, aucun navire ne pourra sortir de nos ports à destination d’un port étranger, s’il n’est muni d’une licence signée de notre main.

247« Article 2 : Les bâtiments qui sortiront de nos ports à destination d’autres ports de la France, seront tenus de s’y rendre directement. Il leur sera délivré des acquits-à-caution dans les bureaux de nos douanes, et les soumissions qui auront été souscrites ne seront annulées, que lorsque lesdits acquits-à-caution auront été rapportés avec un certificat d’arrivée dans nos ports de France. »96

248Ces licences, valables six mois, comportent l’obligation d’exporter des marchandises françaises d’une valeur supérieure à la cargaison importée. Elles sont vendues à un prix de 600 à 800 francs et, par la suite, jusqu’à 6 000 francs.

249Les conditions, quant à l’espèce et à la valeur des marchandises, devront être scrupuleusement appliquées par le service des douanes. Il en est de même des ports de débarquement dont la localisation figure sur la licence. Chaque licence, signée de la main de l’Empereur, comporte les spécificités des cargaisons échangées. « Le Conseil des contentieux de la Douane est seul qualifié pour en apprécier la valeur ».97

250Par le seul jeu des licences, le commerce anglais avec la France a repris une grande importance, à telle enseigne qu’il est devenu l’un de ses premiers fournisseurs et acheteurs. Les licences feront rapidement l’objet d’un scandaleux trafic. Il enrichit les proches du pouvoir, qui s’entremettent pour l’obtention de ces autorisations, ainsi que les commerçants et les industriels qui en sont les bénéficiaires. Le gouvernement lui-même en tire avantage sur le plan fiscal grâce aux droits et taxes de douane. En définitive, ceux qui utilisent ce système violent la loi et la justice, sous la protection officielle du gouvernement.

Une justice impitoyable : les cours prévôtales

251Napoléon a voulu terroriser un peu plus les fraudeurs et leurs complices de toutes sortes et ainsi juguler une fraude sans cesse grandissante. Il prend, à Fontainebleau, le décret du 1^er octobre 1810 établissant des juridictions d’exception, ayant compétence exclusive sur les crimes et délits de contrebande. Il y est prescrit :

• « Article 1^er : Il sera établi jusqu’à la paix générale des cours prévôtales des douanes. [...]

• « Article 4 : Elles prononceront en dernier ressort.

• « Article 5 : Elles connaîtront, exclusivement à tous autres tribunaux, tant du crime de contrebande à main armée, que du crime d’entreprise de contrebande, contre les chefs de bandes, conducteurs ou directeurs de réunions de fraudeurs, contre les entrepreneurs de fraude ; elles connaîtront également des crimes et délits des employés des douanes dans leurs fonctions ».

252Des tribunaux ordinaires sont établis pour juger de toutes les autres affaires relatives à la fraude des droits de douane. Il n’est rien innové en matière de fraude à main armée pour laquelle la législation antérieure a déjà prévu la peine de mort. Les autres crimes de fraude seront punis de la marque des lettres V.D. (voleur, douane) appliquée au fer rouge et de dix ans de travaux forcés s’il s’agit de marchandises prohibées ou de quatre ans si ce sont des produits seulement soumis au tarif des droits de douane. Ces peines sont assorties de dommages-intérêts proportionnés aux bénéfices susceptibles d’être retirés de l’opération par les fraudeurs.

253Les simples porteurs pourront bénéficier, le cas échéant, des circonstances atténuantes. Les fraudeurs agissant pour leur compte personnel seront simplement punis de peines correctionnelles.98

254Il est certain, d’après Duverger,99 que Collin de Sussy concourut à la rédaction des articles du titre VI qui aura les effets les plus spectaculaires. Il traite de l’emploi des marchandises saisies : les marchandises simplement soumises aux droits seront vendues aux enchères. Par contre, si elles sont prohibées, les grands prévôts et les procureurs généraux en feront dresser inventaire et les feront détruire ou brûler publiquement. Collin s’inspire là d’une idée déjà dans l’air à cette époque.

255En cas de « brûlement », les sommes qui auraient dû revenir réglementairement aux saisissants seront prélevées, « comme fonds spécial, sur les produits ordinaires des douanes ».

256Léon Amé décrit la scène d’une de ces opérations : « Des quantités considérables de produits fabriqués furent brûlées sur divers points. On procédait à ces actes de destruction avec solennité.

257« Les autorités civiles et militaires prenaient place dans l’enceinte au milieu de laquelle s’élevait le bûcher ; la force armée formait la haie ; les douaniers brisaient les caisses, montraient les marchandises aux assistants, les jetaient ensuite dans les flammes. »

258Il a relevé dans Le Moniteur, où étaient publiées ces opérations, le brûlement à Dantzig de marchandises estimées à un million.100

259Voici ce qu’en dit Boucher de Perthes, vérificateur des douanes à Livourne en 1808 : « Le régime douanier dit blocus continental est rebuté par les Français eux-mêmes. Tout le monde reconnaît que cette prohibition universelle est impraticable, et je ne sais qui a pu la conseiller à l’Empereur. J’ai entendu sa propre sœur en faire la critique ; cependant elle a bien peur de son frère. Pour nous achever, on parle de faire ici un brûlis de marchandises anglaises, déjà ajourné deux ou trois fois sur la prière de la princesse qui craint une nouvelle émeute ; mais si l’Empereur insiste, il faudra bien en venir là. M. Louis de Sussy, directeur de la Toscane et qui, comme grand inquisiteur, sera chargé de faire les honneurs du sacrifice, fait d’avance la grimace. Néanmoins, comme il a aussi peur de son père que la princesse de son frère, il faudra, un jour ou l’autre, qu’il s’exécute, et chacun ira porter son fagot. Gare à nous ! Si les bûches manquent, nous pourrions bien en servir : l’église militante des douanes n’est pas ici en paradis ».

260Ces « brûlements » se faisaient en public, à la grande fureur des spectateurs qui auraient bien voulu voir distribuer des articles d’autant plus convoités que leurs prix étaient prohibitifs. Il convient cependant de préciser qu’il n’a jamais été détruit de produits alimentaires. Mais cette politique de « brûlement » a-t-elle eu les effets escomptés par Napoléon ? Duverger fait sienne l’opinion de M. Thiers en la matière :

261« Cette mesure a dû causer, comme le dit Thiers (L. XII, p. 192), une véritable terreur au commerce interlope, mais sans atteindre, comme le voulait l’Empereur, les manufacturiers anglais. Si ces manufacturiers avaient expédié sur vente leurs produits, sans doute ils eussent été atteints. Mais, jamais le commerce de contrebande ne s’est fait ainsi. La contrebande a des capitaux qui lui sont propres, et servent à acheter les produits à ceux qui les fabriquent. Ces achats étant subordonnés à la consommation, plus celle-ci est prompte, plus les producteurs reçoivent de commandes.

262« En accélérant cette consommation par ses brûlements, le gouvernement français rendait donc plutôt service qu’il ne nuisait aux fabricants anglais. Et comme, le brûlement ne pouvait s’exercer que sur les marchandises saisies, c’est-à-dire perdues, pour les entrepreneurs de contrebande, ceux-ci n’étaient atteints que dans le bénéfice qu’ils eussent fait en rachetant leurs marchandises à bas prix, au lieu d’aller en reprendre de nouvelles en Angleterre.

263« L’odieuse mesure de l’envoi aux galères des fauteurs de la contrebande, dont l’activité croissait effectivement en proportion des privations que le pouvoir impérial imposait au continent, aurait du porter un coup plus sensible au commerce interlope ; mais le brûlement, au contraire, augmentait les bénéfices de ceux qui réussissaient dans ce commerce, et profitait toujours à ceux qui l’approvisionnaient, aux manufacturiers anglais ».101

264Cette juridiction a-t-elle atteint les objectifs assignés : frapper vite et fort et atteindre surtout les « entrepreneurs » ? Il apparaît que la recommandation de célérité a été respectée. Par ailleurs, la fraude simple sur flagrant délit a été sanctionnée avec sévérité, les circonstances atténuantes ayant toutefois bénéficié aux simples porteurs. Cependant, il semble que ni les contrebandiers armés ni les entrepreneurs de fraude n’ont été condamnés avec la rigueur extrême de la loi. Pour ce qui concerne le personnel des douanes, il y a eu peu de mises en jugement mais les condamnations prononcées ont été très sévères.

265La rigueur de la loi douanière et celle des cours prévôtales des douanes s’étendaient aux directions nouvellement créées.

La douane suivait, accompagnait, et quelquefois précédait l’armée

266Boucher de Perthes, grossissant quelque peu le trait, nous l’explique à sa façon : « La terrible douane de l’Empereur, hérissée de baïonnettes, de sondes et de circulaires, marchait toujours à l’avant-garde de ses légions et marchait encore après, entourant d’un réseau de fer les villes, les provinces, les royaumes et jusqu’aux camps mêmes.

267« La grande armée douanière était alors de plus de quarante mille hommes, infanterie, cavalerie, artillerie, marine, ayant ses forts et ses canons. Aussi le grand monarque, pour se moquer des petits, répétait-il souvent que sa douane suffirait pour les détrôner. Et ce qu’il disait, il le faisait, et plus d’une moyenne principauté et même plus d’une vaste province, furent occupées sans autre forme, par un simple chef, qui, sa commission dans la poche, avec deux tambours et trois ou quatre cents préposés allait à la barbe du prince vivant et régnant, et de son invincible peuple, s’emparer de la terre ducale, qui était devenue par décision de son directeur, sa division légitime ; ledit douanier trouvant même l’altesse fort ridicule de disputer la place à un homme comme lui, qui se présentait au nom de sa majesté et de monsieur Collin de Sussy.

268« Ce qui semble aujourd’hui une plaisanterie, un conte fait à plaisir, était en ces temps bizarres, une chose simple, une vérité journalière, l’histoire en fait foi, et sur une ordonnance impériale, ou même sur une décision ministérielle, un commis renforcé, à deux cents lieues de la France, s’emparait d’un État, en dépit d’une population hostile, s’y installait militairement, s’y maintenait, y levait les impôts, y proclamait le tarif, le faisait exécuter, et traitait comme rebelle quiconque y mettait un obstacle. »102

269Rien ne se passe « normalement ». Dans nombre de cas, on ne sait pas où passe la frontière ; en bien des points il n’y a pas de signes de reconnaissance ; les habitants se font un plaisir de donner de faux renseignements ; les cartes sont sommaires et bien souvent erronées ; les villages et lieux-dits ont parfois le même nom.

270C’est au douanier qu’il revient de dire les limites du rayon et d’expliquer les parties du territoire où les marchandises sont supposées en fraude et celles où elles ne le sont pas.

271Les services doivent suivre les directives prises en application de nombreux décrets impériaux dont voici les plus importants.

272Déjà, comme indiqué dans la première partie de ce chapitre, un arrêté des consuls du 17 septembre 1803 (30 fructidor) avait supprimé les bureaux alpins et établi une double ligne de douane sur les confins de la 27^e division militaire occupant le Piémont avec les Etats d’Italie.

273Un décret impérial du 21 octobre 1808 prévoit l’organisation des bureaux et brigades des douanes en Toscane et dans les États de Lucques et de Piombino. Il indique, notamment, que les lois et règlements relatifs à l’acte et aux droits de navigation seront exécutés à Livourne. Il instaure également un entrepôt dans cette localité.103

274Un autre décret contenant règlement pour l’organisation des départements de Hollande en date du 18 octobre 1810, prescrit en son article 142, que les « lois, décrets et règlements de l’Empire sur les importations et exportations recevront leur exécution dans les nouveaux départements ».

275Il est prévu qu’un maître des requêtes aura le titre de directeur principal des douanes et qu’il sera sous les ordres immédiats du directeur général.104

276Un troisième texte, pris le 8 novembre 1810, met en activité les lois françaises dans les départements des Bouches-du-Rhin, des Bouches-de-l’Escaut et dans l’arrondissement de Breda. Il reprend pour les douanes l’ensemble des lois et arrêtés en vigueur, notamment ceux qui prohibent l’introduction des marchandises anglaises, ceux prévoyant la vente des bâtiments sous pavillon des États-Unis et la création des tribunaux et cours prévôtales des douanes.105

277Le 18 décembre 1810, paraît un décret impérial instaurant une commission chargée des départements de l’Ems-Supérieur, des Bouches-du-Weser et des Bouches-de-l’Elbe. En son titre VI article 24, il prescrit que : « L’organisation actuelle des douanes sera maintenue, elles resteront sous les ordres de notre directeur général. Notre ministre des Finances nous proposera, avant le 15 mars prochain ; une organisation conforme à celle des douanes de notre Empire ».106

278Un décret du 26 décembre 1810, organisant la partie des pays nouvellement réunis comprise entre la Lippe, l’Ems et les frontières actuelles de Hollande, prévoit le maintien des impositions jusqu’à l’organisation définitive, prévue pour le 15 février suivant.107

279Ces dispositions ont été suivies du décret impérial du 6 janvier 1811, qui décrète qu’à compter du 1^er mars 1811, les lois et règlements seront exécutoires dans les sept nouveaux départements de la ci-devant Hollande.108 Napoléon organise ensuite, par un décret du 4 juillet 1811, les villes hanséatiques : Brème, Hambourg, Lubeck qui avaient été annexées en même temps que le Valais et formées en départements le 12 novembre 1810. Il décrète à l’article 176 de ce texte : « Les lois concernant les douanes seront publiées dans les trois départements, et l’organisation des directions, des brigades et des bureaux, y sera établie conformément à notre décret du 10 juin 1811. »109

280Le 13 octobre 1812, l’Empereur est à Moscou. Il institue une cour prévôtale à Trieste et deux tribunaux ordinaires à Fiume et à Layback, avec juridiction sur les frontières de L’Italie avec l’Autriche, sur celles de la Hongrie et sur les côtes maritimes des provinces illyriennes jusqu’à l’embouchure de Cattaro.110

281Plus tard, par le décret du 31 janvier 1813, il décidera que, jusqu’à l’organisation des cours prévôtales en Catalogne, les employés des douanes prévenus de crimes ou délits en matière de douane seront justiciables des conseils de guerre permanents de l’armée. Ce décret consacre l’annexion de la Catalogne et d’une partie de l’Aragon.111

282Au maximum de son étendue, la France se divise en 130 départements auxquels il faut ajouter les États d’Italie, d’Espagne et de Naples, le duché de Varsovie, la Confédération helvétique et la Confédération du Rhin.

283Les services des douanes doivent surveiller des frontières sans cesse en expansion et qui passent par le Niemen, Hambourg, Gibraltar, Messine, Zagreb et Liublana.

284Collin de Sussy est amené à adapter les effectifs et l’organisation du service en fonction de cette évolution

285Dans les toutes premières années du directorat de Collin, les effectifs des deux services, bureaux et brigades, n’ont guère évolué. Il a surtout mis l’accent, dès sa prise de fonctions, sur les responsabilités des différents échelons hiérarchiques dans le contrôle des marchandises, la perception des droits et taxes et la lutte contre la fraude.

286Mais la création de l’impôt sur les sels, avec l’implantation d’unités des douanes près des lieux d’extraction et l’expansion du territoire douanier, nécessite un accroissement des moyens de la douane, tant en matériel – immeubles entre autres – qu’en personnel. Collin de Sussy est surchargé de travail. Il y avait, à son arrivée, une cinquantaine de collaborateurs à la direction générale. Jean Clinquart estime que leur nombre est passé à plus d’une centaine, y compris les auditeurs du Conseil d’État, attachés à temps complet à la douane, notamment à son conseil du contentieux. Ceux-ci sont au nombre de onze en 1811, plus un maître des requêtes.

287Il faut rappeler que le directeur général veut tout savoir et s’est chargé personnellement des importantes questions des grains et du sel. Il s’attache à sélectionner ses collaborateurs qu’il gardera jusqu’à son départ de la douane. Il ne perd pas de vue, cependant, ses intérêts familiaux. La lettre qu’il adresse le 24 mai 1811 à l’Empereur témoigne de cette préoccupation :

288« À S.M. l’Empereur et Roi,

289« Sire,

290« La direction générale des Douanes telle qu’elle a été organisée par Votre Majesté a de grands intérêts à conserver et est beaucoup plus difficile à conduire qu’on ne paraît le croire.

291« Le directeur général doit en tenir dans sa main tous les fils, préparer et suivre tous les résultats ; mais s’il n’est pas secondé dans les détails de cette immense administration par des hommes à qui l’expérience ait donné une parfaite connaissance du mécanisme du service, il est impossible qu’il suffise à ses travaux ou qu’il ne succombe pas en peu de tems sous le poids.

292« Telle est, Sire, l’alternative dans laquelle je me trouve. Jusqu’à ce moment, j’ai été soutenu par un dévouement sans borne à Votre Majesté et qui ne finira qu’avec ma vie, mais je sens que bientôt mes forces ne répondront plus à tous les efforts de mon zèle. Je l’avais prévu dès l’année dernière en suppliant Votre Majesté de vouloir bien créer deux places d’administrateurs et les confier à mon fils, directeur des douanes de la Toscane, et à M. de Saint-Cricq, l’un de mes chefs de division. Mon fils après avoir servi Votre Majesté dans ses armées et dans la campagne d’Italie en qualité d’aide de camp d’un général de division, est entré dans les douanes. Il a organisé, celles de la Toscane et des États Romains. Il connaît parfaitement toutes les opérations des bureaux et des brigades et comme il est très laborieux, il me sera fort utile pour tous les détails du service.

293« M. de Saint-Cricq, neveu de l’amiral Mazzaredo, était le secrétaire général du département de Seine-et-Marne lorsque j’en étais préfet et il a désiré me suivre lors de ma nomination à la Direction générale, et comme j’ai voulu, pour les intérêts de Votre Majesté, suivre moi-même et sans intermédiaire tout ce qui est relatif à l’impôt du sel, j’ai chargé M. de Saint-Cricq de cette division ; il a pleinement répondu à ma confiance.

294« Votre Majesté n’a point accueilli ma demande sans doute parce qu’elle a pensé que j’étais déterminé par des affections particulières, mais aucunes considérations n’ont d’emprise sur moi toutes les fois qu’il est question des intérêts de Votre Majesté.

295« Je n’ai présenté cette demande et je ne la renouvelle aujourd’hui que parce que j’ai la conviction qu’il est nécessaire que je l’obtienne. Alors j’aurai l’espoir de pouvoir encore rester quelques années au service de Votre Majesté.

296« L’un des administrateurs, M. Dubois, qui a près de 80 ans, était depuis longtems à peu près nul. J’ai différé autant que je l’ai pu à demander sa retraite, mais depuis 6 semaines il est tombé en enfance.

297« Un autre administrateur, M. Magnien, a depuis 3 ans éprouvé plusieurs attaques de paralisie qui ont totalement affaibli ses organes. Il est dans ce moment pour la troisième fois aux eaux de Bourbonne.

298« J’ai longtems préféré être surchargé de travail plutôt que de proposer la retraite d’anciens serviteurs, mais les choses sont venues au point qu’il m’était impossible de ne pas mettre ma position sous les yeux de Votre Majesté.

299« Si ces deux administrateurs étaient admis à la pension et si votre Majesté daignait faire choix pour les remplacer, de mon fils et de M. de Saint-Cricq, la création de deux nouveaux administrateurs ne serait plus nécessaire.

300« Je suis avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté Impériale et Royale, le très humble, très dévoué et fidèle sujet.

301Comte de Sussy. »112

302Dubois décède quelques jours après cette requête et Louis Collin, baron de Sussy, est nommé administrateur par décret du 4 juin 1811.113 De Saint-Cricq, le fidèle collaborateur, est nommé le 9 septembre suivant en remplacement de Vivent Magnien, admis à faire valoir ses droits à la retraite.114

303C’est qu’il faut une bonne équipe d’administrateurs et de chefs de bureaux pour gérer cette immense troupe. Il convient de noter qu’il y avait 25 directions en 1800 puis 30 en 1806, 39 en 1812 et enfin 40 en 1813.

304Dans les directions créées dans les nouveaux départements, Collin propose la nomination de jeunes inspecteurs choisis pour leur dynamisme et leur aptitude à faire face à des situations difficiles. Ces responsables d’une administration à la position dominante sont mal acceptés par les autres chefs de services et en particulier par les chefs militaires.

305La douane impériale se veut indépendante de l’autorité locale et ne reconnaît que les ordres venant de la direction générale.115 Dès 1802, Collin avait fait mettre au clair les relations que les chefs locaux des douanes pourraient avoir avec les préfets et avait bien affirmé la volonté du gouvernement de garantir l’indépendance de la douane.

Effectifs, organisation et procédures

306De 22 803 en 1806 les effectifs passent à 24 263 en 1807, puis à 25 733 en 1808 pour arriver à 27 243 en 1809.116

307Faute d’avoir retrouvé des documents sur l’évolution des effectifs au cours des dernières années de l’Empire, il n’est pas possible de donner des chiffres précis. Il est cependant clair que le renforcement des lignes a été général sur les frontières terrestres. Jean Clinquart estime qu’une direction comprend en 1912, 900 agents soit environ 35 000 agents pour toute la douane. Les effectifs, qui avaient doublé de 1800 à 1806, auront triplé en un peu moins de dix ans.

308Dans les bureaux, le travail de dédouanement est de moins en moins important au fur et à mesure de l’application des mesures de blocus, tant anglaises que françaises.

309Aussi l’inflation des effectifs y sera moindre. Par ailleurs, l’administration trouvera facilement des volontaires prêts à s’expatrier pour aller occuper les postes d’encadrement dans les directions nouvellement créées. Les mutations à l’intérieur de l’ancienne France qui découlent de ces mouvements s’accélèrent au fil des ans.

310Les instructions de la direction générale continuent à mettre l’accent sur la mise des marchandises en zone sous-douane, le dépôt d’une déclaration récapitulative de la cargaison ou « déclaration de gros », les modalités du dédouanement par l’importateur, les opérations de vérification et en particulier l’importance de la pesée de certains produits.117

311Dans les brigades, on s’attache à recruter d’anciens militaires. En Belgique, dans le Piémont et sur le Rhin, ils sont recrutés sur place, d’autant plus qu’il s’agit maintenant de citoyens français. En Italie comme en Hollande et en Allemagne, la douane a, le plus souvent, recruté les fonctionnaires des douanes de ces pays et a complété avec d’anciens militaires autochtones ou français.

312Sur les frontières du Sud et de l’Ouest, les structures en place se maintiennent de façon satisfaisante et l’on peut dire que les côtes sont particulièrement bien gardées. Il en est de même sur le Rhin et en mer du Nord où les effectifs sont importants. S’y ajoute un fonctionnement de type militaire appliqué par un encadrement de qualité.

313La douane suit de près les troupes de conquête. Jean Clinquart précise : « On peut conjecturer que lorsque s’opèrent les premières translations de lignes – à l’occasion de la création de la Régie et de l’établissement des douanes aux frontières extérieures – l’administration en place eut spontanément recours à une vieille tactique de la Ferme générale qui consistait à réunir plusieurs brigades d’une capitainerie générale pour courir sus aux bandes en cas de franchissement. Cette fois, on réunit les brigades pour qu’elles se transportent en groupes disciplinés, sous la conduite de leurs chefs vers de nouvelles positions. La même opération se renouvelle, comme on sait, à de nombreuses reprises et on a évoqué l’entrée dans la ville de Foligno d’une troupe de douaniers formant six contrôles. Il existait donc, dès l’origine, dans la partie active, une propension à adopter en certaines circonstances un comportement de type militaire. »118

314Ces directions comportent trois inspecteurs disposant chacun de trois contrôles de brigades, chaque brigade étant forte d’une centaine d’hommes répartis sur les deux lignes et entre ces lignes.

315Voici au sujet du service des brigades, l’opinion de Boucher de Perthes sur la vie du douanier : « Ce sont des anciens militaires qui pour la plupart maniaient non moins bien la baïonnette que la sonde. [...]

316« La consommation des préposés des douanes était tout aussi grande que celle des autres troupes si elle ne l’était davantage, car placés partout aux avant-postes, il n’y avait pour ces malheureux ni paix ni trêve. Quand ils n’étaient pas en présence des armées ennemies, ils étaient en face de populations exaspérées par des lois près desquelles celles de Dracon étaient la douceur même.

317« Ces lois n’étaient guère plus tendres pour les agents chargés de leur exécution, que le moindre manquement rendait à la fois passibles des condamnations civiles et des peines militaires : on les révoquait administrativement, puis on les fusillait militairement. En horreur aux populations, jalousés par l’armée qui les croyait cousus d’or, assez mal payés d’ailleurs et chargés de toutes les corvées, il faut avouer que nous étions des financiers qui ne dormaient pas sur les roses, et qui souvent, manquaient de pain car nous étions toujours les derniers dans les distributions, nos repas ressemblaient assez peu à ceux de Lucullus et de nos prédécesseurs les fermiers généraux. »

318Evoquant les opérations de brûlement il poursuit : « Que de millions ainsi perdus sans profit pour la France ! Que de montagnes de mousselines, de piqués, de tulles, que de riches parures j’ai vues, aux yeux des populations désolées, s’anéantir dans les flammes ! Les femmes dissimulaient le moins leur indignation, et si on les eût laissé faire, arrachant les marchandises du bûcher, elles y eussent certainement jeté les brûleurs. Oui ! La fureur que ces exécutions leur causaient ne saurait se décrire. Elles la communiquaient à la foule et les soldats qui appuyaient les douaniers avaient grand-peine à les sauver de l’exaspération populaire. »119

319Jean Clinquart, après avoir cité notre illustre prédécesseur, conclut : « Il faut se garder cependant de l’erreur grave qui consisterait à oublier que les douaniers demeurèrent avant tout des douaniers appelés à déjouer les ruses de la contrebande. »120

Dynamisation du service

320Le blocus rend la contrebande de plus en plus agressive. Il faut prendre des mesures pour rappeler les agents à leurs devoirs et renforcer l’étanchéité des frontières.

321Le 7 avril 1807, Collin rappelle aux directeurs que l’arrêté du 29 thermidor an XI lui a conféré la possibilité d’autoriser la mise en jugement des préposés, cela d’une part, pour mettre rapidement à la disposition de la justice les douaniers auteurs ou complices de délits ou de crimes mais aussi, pour empêcher des arrestations illégitimes de préposés dénoncés calomnieusement. Il indique qu’il a obtenu que, désormais, cette décision soit décentralisée pour être du ressort des inspecteurs.

322Il leur appartiendra donc, toutes les fois qu’un préposé aura succombé à la corruption ou qu’il aura tué ou blessé grièvement quelqu’un, sauf les cas où l’usage des armes s’avérera justifié, d’obtenir du préfet un ordre d’emprisonnement provisoire.121

323Le 21 avril 1807, les administrateurs s’adressent aux directeurs après avoir remarqué : « Les contrôleurs des brigades apportent une extrême indifférence à l’entretien de liaisons entre les postes situés en bordure des penthières de directions voisines ». Ils poursuivent : « Nous les rendons responsables des nouvelles négligences qui nous seraient dénoncées à cet égard ».122

324Le 16 juin 1809, Collin de Sussy réclame aux directeurs des départements terrestres un état de la topographie des lignes, tel qu’il l’a obtenu naguère, à sa grande satisfaction, pour les directions maritimes.123

325Il demande que ces états soient rédigés en employant une mesure de longueur commune et qu’ils comportent tous les détails topographiques, démographiques, commerciaux et statistiques, nécessaires à l’application de la réglementation sur la police du rayon et celle sur la circulation des sels.

326Le 1^er mai 1810, il réclame un état hebdomadaire complet de tous les mouvements de navires arrivant de l’étranger ou y partant. Il demande d’y joindre la collecte des nouvelles politiques et commerciales arrivées par ce canal. Ces différentes données devront également comporter les prix des grains, vins et eaux de vie, sur les marchés étrangers. Elles entreront dans les rapports fournis au gouvernement.124

327Le 6 mai 1811, Collin de Sussy rappelle aux chefs des brigades et surtout aux contrôleurs, les vérifications qu’ils doivent faire, de jour comme de nuit, et l’obligation de constituer des détachements, composés d’agents de plusieurs brigades, pour attaquer les bandes armées de contrebandiers. Ils doivent lui rendre compte s’ils se sont mis à la tête de ces détachements.125

328Grâce à la création des juridictions spéciales, la douane peut désormais poursuivre par toutes voies de droit. C’est en vertu de ces nouvelles dispositions que, le 22 mai, Collin de Sussy prescrit de saisir sur les « passeurs » tous les papiers et autres objets susceptibles de faire découvrir les organisateurs, propriétaires, complices et assureurs des opérations frauduleuses qu’ils ont découvertes. Ces documents seront transmis aux procureurs généraux des tribunaux spécialisés.126

329Voici que le 22 juin, Napoléon prend un décret portant création d’un ministère des Manufactures. « Il aura dans son département les manufactures, les fabriques, le commerce, les subsistances, les douanes, le conseil des prises. Il correspondra avec nos consuls, chez les puissances étrangères pour les affaires de commerce ».127

330Ce décret n’a été rendu public et exécuté que le 16 janvier 1812 et c’est Collin de Sussy qui sera le premier titulaire de ce nouveau département.128

Le Blocus pèse de plus en plus lourdement sur l’Europe. La contrebande fait rage

331C’est en Hollande qu’on désire surtout la paix. Le commerce, importante composante de l’économie de ce pays, souffre particulièrement du Blocus continental. Le roi Louis ne cesse de se plaindre auprès de son frère : « Laissez crier les marchands ; pensez-vous que ceux de Bordeaux ne crient pas ? » lui a répliqué l’Empereur.129

332À la fin de 1810, le blocus s’étend à l’Espagne, Naples, l’Étrurie et Hambourg. Par ailleurs, Brème et Lubeck y consentiront. Depuis 1807, les villes hanséatiques, le duché d’Oldenburg, le Portugal, les Etats pontificaux, une partie de la Suède, les Provinces illyriennes sont passés sous la domination française.130

333L’Empereur compte bien imposer à l’Europe cette fermeture des côtes qui doit lui permettre « de vaincre la mer par la terre » et amener l’Angleterre à accepter la paix. Mais les dispositions de plus en plus sévères et violentes prises dans les pays conquis, l’arrivée du tarif des douanes en même temps que le sabre du conquérant, les impôts supplémentaires que l’Empereur prélève sur les populations annexées, dressent les peuples et les gouvernements contre la France.

334Les souverains, même les frères de Napoléon, s’emploient à tourner des lois et des mesures sans cesse plus coercitives. Il en est de même des opérateurs du commerce et des manufacturiers, contraints de s’adresser aux organisations de contrebande.

335La mise en vigueur des décrets de Trianon et Saint-Cloud, les 5 août et 12 septembre 1810, s’accompagne d’une vaste opération douanière sur les entrepôts de marchandises frauduleuses en France mais aussi à l’étranger. Les douaniers se hasardent parfois jusqu’à quatre journées de leurs lignes. Des dépôts situés à Berne, Zurich, Francfort, Stuttgart, Munich, Dresde, Leipzig, Brème, Hambourg, Lubeck, Stettin, Kastrin et Dantzig sont saisis et rapportés en France. Les recettes de douane se monteront à 150 millions, valeur des saisies non comprise.131

336Tout au long du blocus, les chefs civils et militaires désignés par Napoléon pour diriger ces pays tolèrent ou encouragent le commerce interlope. Ils acceptent que soit soustraite des « brûlements » une partie importante des marchandises saisies. Ils accordent eux-mêmes des licences d’export-import. Ces actes de « compréhension » rencontrent l’esprit de « reconnaissance » des intéressés. C’est l’occasion de la création ou de l’augmentation d’immenses richesses pour ces chefs peu scrupuleux.

337Les certificats d’origine sont souvent délivrés à tort par les autorités compétentes. Ces errements frauduleux ont largement contribué au manque d’efficacité du blocus.

338En octobre 1810, six cents navires marchands anglais sont en Baltique et font route vers la Russie. Napoléon demande au Tsar de les saisir, ainsi que leur cargaison. Ce serait en effet un formidable coup contre l’Angleterre. Mais le Tsar, peu enclin à appliquer le blocus, pratique « la langue de bois » en assurant que la glace interdira le déchargement de cette immense flotte dans les ports de la Baltique. Près de la moitié de ces bâtiments est coulée par la tempête ou saisie par la Suède.

339À l’époque, l’industrie britannique fortement mécanisée produisait à des coûts tels que les produits anglais étaient très attendus par les commerçants continentaux, malgré les frais supplémentaires dus à l’emprunt de voies détournées et à la rémunération des contrebandiers. Non seulement ils étaient parfois de qualité supérieure mais le plus souvent meilleur marché. De plus, jouait en leur faveur un phénomène de mode qui voulait que l’on brave la prohibition en s’habillant « anglais ».

340L’agriculture anglaise pouvait, avec force privations, faire subsister la population. Marcel Dunan cite un auteur anglais, J.H. Rose, écrivant dans une revue historique anglaise : « Il est probable qu’à aucune autre époque de notre développement industriel nous n’aurions survécu à l’application du système continental de Napoléon. »132

341Les pays « alliés » souffraient encore plus que l’Angleterre. « Mais la plus grave tare du système continental, écrit Georges Lacour-Gayet, était qu’une partie de l’Europe se trouvait prise entre la ligne de blocus côtier et la ligne douanière française. Ces pays ne pouvaient rien exporter sur la France, ils ne pouvaient plus recevoir de marchandises de l’extérieur, ni exporter vers l’étranger. Leur commerce officiel ne pouvait que décliner. »133 Il ne leur restait plus que les circuits parallèles.

342Il revenait à la douane de se battre contre une contrebande croissante sur les côtes des pays annexés et sur les frontières de terre. Nous avons vu, ci-dessus, son organisation et ses moyens. Nous l’avons vu suivre la troupe et appliquer les ordres, y compris ceux concernant les « brûlements ». Au jour le jour, et le plus souvent au milieu d’une population hostile, les douaniers se sont évertués à garder la ligne de douane et à faire obstacle à l’agressivité de bandes souvent armées et qui grandissaient en nombre pour atteindre une centaine de membres. Les exemples de tels affrontements sont nombreux.

343Si la lutte contre la contrebande n’avait pas les résultats qu’il avait escomptés, Napoléon, en revanche, comme le dit Roger Dufraisse « pouvait être satisfait du haut niveau atteint par les revenus des douanes. Entre 1810 et 1811, ils progressèrent de 54 %, atteignant leur chiffre le plus élevé de toute la période [...]. Le souverain surveillait de près les recettes du Trésor ; on s’en aperçoit par le soin qu’il apporte à faire payer les sommes provenant des douanes hanséatiques. » Et Roger Dufraisse conclut : « Malgré son échec, malgré ses outrances, le blocus a contribué au renforcement du potentiel économique britannique et a posé, en Europe continentale, les bases d’une industrialisation moderne "à l’anglaise". Il a donc contribué à façonner le visage de l’Europe du XIX^e siècle. »134

II. FRANÇOIS FERRIER (16 JANVIER 1812-3 AVRIL 1814)

a. Le reflux (1812-avril 1814)

344François Ferrier est nommé à la direction générale des Douanes par un décret du 22 janvier 1812. Il a alors trente-huit ans.135 Duverger affirme « qu’à l’époque, il a passé pour constant que ce fut Napoléon qui choisit M. François Ferrier alors directeur à Rome. »136

345Collin de Sussy avait proposé trois candidats : Ferrier en premier et deux autres directeurs. L’Empereur a vraisemblablement apprécié le livre de Ferrier, paru en 1804 : Du gouvernement dans ses rapports avec le commerce, qualifié, à l’époque, de traité d’économie politique. Ce livre réfute celui d’Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, référence des économistes rangés par Bonaparte au nombre des idéologues. Ses théories ont pu avoir la faveur de l’Empereur.

346Le 25 février 1812, Ferrier transmet un arrêté pris par son ministre, Collin de Sussy, le 23 du même mois. Il y est confirmé que les directeurs doivent correspondre avec l’administrateur chef de leur division pour les détails du service et directement avec le directeur général pour les affaires concernant le blocus, les licences, les prises, les produits extraordinaires, les grains, et, en général les circuits commerciaux. Il précise que les lettres aux administrateurs doivent être envoyées ouvertes et passer par lui avant qu’il en fasse la répartition.

347Il poursuit ainsi : « Son Excellence le Ministre du Commerce m’a fait l’éloge de votre dévouement et de votre zèle. Il m’est doux de penser que les justes regrets que son éloignement de l’Administration vous donne, ne vous empêcheront pas d’en surveiller les intérêts avec la même sollicitude ».

348L’arrêté, après avoir énuméré les affaires traitées par le directeur général seul, précise que les administrateurs correspondent avec leur division pour les autres détails du service. Ils en rendent compte, le cas échéant, au directeur général.

349L’article 6 innove en prescrivant que les administrateurs émettent leurs opinions sur les nominations du ressort du chef de l’administration.

350L’article 7 innove aussi en autorisant les administrateurs à signer individuellement les lettres de leur division. Mais ils en remettront un extrait sommaire au directeur général. Cette décision ne concerne pas le contentieux qui reste assujetti à la signature collégiale.

351L’article 11 charge M. de Saint-Cricq de l’impôt du sel.137

352Les directions des côtes méditerranéennes et de l’Océan, de Toulon à Perpignan et de Bayonne à Lorient ainsi que celle de Saint-Gaudens, sont confiées à M. Chaslon. M. Delapierre s’occupera des côtes de Brest à Dunkerque et de la circonscription de Besançon. À Louis Collin de Sussy, le fils, les côtes de Marseille à Nice et toutes les directions en Italie, ainsi que celles de Verceil et Genève. Enfin, M. de Saint-Cricq dirigera les services d’Anvers à Strasbourg, soit la Belgique, la Hollande et les départements allemands.138

353Comme le remarque M. Duverger, cet arrêté modifie dans sa forme, l’arrêté consulaire du 10 septembre 1801. Il officialise une pratique en faisant intervenir les administrateurs dans les nominations prononcées par le directeur général.139

354Comme Collin de Sussy a deux administrateurs sur quatre à sa dévotion – son fils Louis et de Saint-Cricq – il ne fait pas de doute que son successeur, dirigé d’en haut et surveillé de l’intérieur de l’administration centrale, devrait voir son autorité d’autant réduite.

355Il faudra à Ferrier affirmer celle-ci et il y arrivera par sa connaissance parfaite du service et grâce à son adresse dans le maniement des hommes. Tout d’abord, il va organiser l’administration centrale. C’est le secrétaire général qui enregistre tout le courrier et le directeur général voit d’abord lui-même celui destiné aux administrateurs. Le secrétariat général traite des instructions générales, des prohibitions, des relations avec l’outre-mer, de la législation, de la navigation, des retraites et des changements de taux de droits. Avec les affaires que se réserve le directeur général, il ne reste plus aux administrateurs que le contentieux et la gestion du personnel ainsi que les questions que le chef de l’administration ne croit pas devoir traiter lui-même.

356Côté personnel, une note du 24 avril 1812 va mettre un terme au patronage exercé par les directeurs en matière de nomination. Il demande aux directeurs de faire établir des signalements individuels pour tous leurs collaborateurs à la place des états préexistants qui ne donnaient guère de renseignements personnels.140

357Ces feuilles porteront sur la manière de servir, l’éducation, l’opinion des autorités locales, la vie privée, l’aptitude au commandement, les propositions circonstanciées d’avancement, etc. Ferrier exige l’impartialité la plus rigoureuse et promet la confidentialité car il termine ainsi : « Les signalements sont pour moi seul. Ainsi vous n’auriez aucune raison, même apparente, d’y déguiser votre opinion ».

358Duverger précise : « Il faut avoir assisté à l’apparition de la circulaire du 24 avril 1812 pour se rendre compte de l’effet qu’elle produisit, surtout parmi ceux qui, n’ayant pas d’appui à Paris, et c’était le plus grand nombre, avaient subi jusque-là, le pouvoir omnipotent des directeurs.

359« Sans s’engager vis-à-vis des employés dans la promesse d’une répartition équitable de l’avancement dont la réalisation reste toujours douteuse, M. Ferrier fonde le moyen d’assurer cette équité par la formation, dans son bureau, de dossiers individuels renfermant, pour chaque employé, l’appréciation indépendante – puisque donnée directement – de chacun des chefs sous lesquels il sert, et plus tard celle des chefs sous lesquels il aura successivement servi.

360« Mesure capitale qui a prévenu, depuis, bien des injustices, mais dont alors toute la portée ne fut pas comprise. »141

361Dès le 20 mars, Ferrier dénonce dans une circulaire aux directeurs les inexactitudes très graves commises dans la rédaction des rapports des préposés. Certains dissimulent des faits à la charge de complices, d’autres n’arrêtent pas ou laissent s’évader les principaux agents de la contrebande. Il remarque que ce sont ceux qui ont le plus de moyens financiers qui échappent à l’arrestation. Les préposés qui leur laissent cette possibilité sont présumés avoir cédé à la corruption.

362Il annonce des mesures de rigueur si des infractions à la loi et aux ordres sont commises à l’avenir par les douaniers.142 Lui aussi sait manier « la carotte et le bâton ». Il prévient, le 28 août 1812, que la prime pour l’arrestation des déserteurs et réfractaires, portée à 25 francs depuis le 12 janvier 1811, ne sera payée que si l’on respecte scrupuleusement les règles établies.143

363Le 14 octobre, il annonce que la prime pour l’arrestation de prisonniers de guerre évadés est portée également de 12 à 25 francs.144

364Plus tard, le 17 octobre 1813, il rappelle aux directeurs ses circulaires sur les dossiers du personnel des 24 avril (résumée ci-dessus), 25 mai et 20 novembre 1812. Il sermonne ceux des directeurs qui ne lui ont pas transmis les signalements moraux réclamés. Il met en valeur l’utilisation qu’il a déjà pu faire de certains de ceux qui lui avaient été transmis sur des agents, objets de demandes « indiscrètes ». Il a pu opposer l’opinion de plusieurs employés supérieurs « votant unanimement contre ce sujet peu digne d’être recommandé. »145

365Cette indication peut être rapprochée d’une anecdote racontée par A. Bonvarlet, qui explique que le duc d’Otrante avait signalé le directeur des douanes à Saint-Malo comme animé de sentiments royalistes ne permettant pas de le maintenir en place. M. Ferrier répondit que si les traditions familiales pouvaient laisser présumer un attachement de cet employé supérieur à la dynastie déchue, ce n’en était pas moins un homme loyal et qu’il s’en portait garant.

366Le ministre de la Police ayant insisté, le directeur général après avoir répété ses premières opinions, termina ainsi : « Vous pouvez au surplus [...] en référer à l’Empereur [...] mais il sera bon de lui faire connaître que, s’il adoptait votre opinion, il aurait à pourvoir au remplacement de M.X et au mien. »

367Fouché se le tint pour dit et le félicita à leur rencontre suivante.

368Ferrier avait du caractère, il en montra en mettant obstacle aux empiétements que les cours prévôtales voulaient commettre sur l’autorité administrative.146

369Il a aussi voulu moraliser la gestion de la « Masse des Brigades », dont il avait constaté la mauvaise administration en plusieurs endroits. Cette institution régissant l’armement et l’équipement des préposés, était alimentée par un prélèvement sur leur traitement. Ferrier édicte le 20 mai 1813 un règlement dont les bases sont encore en vigueur aujourd’hui.

370Entre autres innovations, il subordonne les comptes de la masse à l’examen d’un conseil d’administration où les préposés seront représentés par leurs chefs immédiats. Cette disposition leur permettant de ne plus mettre en doute la défense de leurs intérêts.

371Il indique qu’il chargera « les inspecteurs généraux de prendre, dans leurs tournées, des renseignements précis sur le degré de soin que ces divers chefs apporteront aux détails de la masse ».147 C’est une des rares circulaires où l’on peut retrouver trace des attributions des inspecteurs généraux.

372Éclairé sur les abus de la réfaction des droits par l’expertise des marchandises avariées, il pose, le 29 juin 1813, l’obligation de faire procéder à une vente publique que, depuis, ses successeurs ont fait sanctionner par la loi.148

373Ferrier est un homme de dossiers, il accentue sa main mise sur les services centraux. Après avoir littéralement créé les dossiers individuels du personnel, il s’attache à une meilleure information des services extérieurs. Il a d’autres idées.

B. Les lignes de douane culbutées par la guerre

374Au cours des années 1812 et 1813, les États du Grand Empire et même les régions annexées commencent à sentir que la France, naguère maîtresse de l’Europe, voit sa fortune basculer. La campagne de Russie marque les esprits aussi bien en France qu’à l’extérieur de ses frontières naturelles. D’où une certaine effervescence dans bien des milieux et en particulier les sphères économiques en contact permanent avec la douane.

375La Prusse s’allie à la Russie et entre en guerre. Des émeutes éclatent dans le nord de l’Allemagne. Les douaniers sont obligés de faire le coup de feu, certains commencent par se réfugier en Hollande où la situation se dégrade vite. Les habitants de ce pays qui, rappelons-le, a toujours eu le commerce comme activité principale, ont été particulièrement brimés par le blocus et détestent ses représentants, les douaniers. Ils s’en prennent aux bureaux de douane et malmènent quelque peu les préposés qui s’y trouvent.

376La quasi militarisation de la douane, et la discipline que cette caractéristique implique, évitent une démoralisation et une débandade générale.

377Ferrier donne ses instructions pour que le recul des lignes se fasse en bon ordre. C’est ainsi qu’il s’adresse aux directeurs de la ligne du Rhin, le 17 novembre 1813. Il rappelle tout d’abord les diverses instructions précisant que le concours dû à l’autorité militaire ne peut s’exercer que s’il coïncide avec l’exercice de leurs fonctions : perception des droits et répression de la contrebande.

378Il exclut tout déplacement d’hommes ou de postes et à plus forte raison de lignes. Il poursuit ainsi : « La première ligne pouvant être momentanément forcée par les partisans, et les passages rester ainsi ouverts à la contrebande, il convient de rétablir immédiatement les lignes intermédiaires et la seconde ligne puisque, seules à l’abri de ces coups de mains, elles forment l’unique rempart qui puisse nous préserver de la fraude.

379« Si l’ennemi traverse le Rhin, et qu’il réussisse à s’établir sur la rive droite, cette invasion sera probablement suivie du siège de quelque place forte. Alors votre devoir sera de reculer immédiatement les lignes, de manière à ce qu’il existe toujours une barrière double entre le territoire envahi et celui dont nous resterions les maîtres.

380« Ainsi, la seconde ligne actuelle deviendrait la première et, à trois ou quatre lieues en arrière, vous en établiriez une deuxième.

381« En cas de retrait de ligne, vous vous concerterez pour les points de jonction avec vos collègues de droite et de gauche.

382« Vous suivrez, quoiqu’il arrive, le mouvement de vos brigades, et vous vous établirez au centre, afin d’être constamment à portée d’en diriger et d’en surveiller le service. »

383« Ces instructions sont précises. Elles s’appliquent à tous les cas. Vous voudrez bien en faire la règle de votre conduite. »149

384Pendant ces batailles, tous les observateurs sont unanimes à dire que la bravoure et le dévouement des douaniers ont été remarquables.

385Des brigades participent à la défense de places fortes comme Besançon, Belfort, Metz, Givet, Mézières, Rocroy, Thionville, Huningue, Montmédy, Strasbourg, Landau, Mayence. Sous les ordres de Davout une légion de douaniers défend glorieusement Hambourg. D’autres brigades se replient honorablement à travers les armées ennemies.

386De combien de pertes cette participation aux opérations militaires fut-elle le prix ? Il n’existe plus de statistiques précises mais il est très probable qu’elles furent lourdes.

387Ferrier a dépêché à Anvers l’inspecteur général Dumas Saint-Marcel, ancien général de brigade, pour faire appliquer le principe des lignes roulantes mais, pressé par les événements, celui-ci rassemble les agents qui restent des directions de Hollande et de Belgique et se retrouve enfermé dans la place de Maubeuge.

388Le 27 novembre, Ferrier rappelle tout d’abord « le courage que les employés des douanes ont déployé en combattant l’ennemi sur plusieurs points ». Il insiste, ensuite, sur l’importance attachée à la conservation des lignes et affirme : « Elles doivent rester intactes, sauf à les replier en bon ordre vers l’intérieur, selon l’empire des circonstances ».150

389Mais l’ennemi gagne du terrain. Sur une part importante des frontières, les lignes de douane sont enfoncées. Les douaniers peuvent difficilement rester isolés dans de petits postes. On essaye les lignes roulantes qui avaient si bien fonctionné lors des conquêtes. Elles sont maintenant destinées à reculer en bon ordre. Mais il y a de grosses différences de situation selon les endroits.

390Les directeurs et même les chefs locaux s’adaptent aux événements qu’ils vivent et aux pressions des chefs militaires qui voudraient utiliser tous ces « bons soldats ». En Italie comme en Hollande et en Allemagne, les brigades des douanes forment, avec les agents qui n’ont pas abandonné leurs postes, des unités mises à la disposition de l’armée. Des brigades douanières font le coup de feu sur le Rhin et à Dordrecht. Un bataillon de huit cents hommes se met à la disposition de Carra Saint Cyr, entre Arnheim et Wesel.

391Boucher de Perthes, cité par Jean Clinquart, évalue à 6 000 le nombre des agents des douanes « embataillonnés » en 1813-1814. Rappelons qu’en 1813, les douaniers étaient environ 35 500 et qu’à de nombreuses reprises le gouvernement, considérant la lutte contre la fraude comme primordiale, avait interdit leur participation aux opérations militaires.

III. PIERRE DE SAINT-CRICQ

A. La première Restauration (avril 1814-mars 1815)

392Le 11 avril 1814, est signée la convention réglant le sort de Napoléon qui garde son titre impérial et reçoit l’île d’Elbe.

1. La politique douanière

393Il est nécessaire, pour les nouveaux maîtres de la France, de revoir les règlements et tarifs consécutifs au blocus : Monsieur, le frère du roi, affirme avoir constaté que si les droits étaient maintenus sur certaines denrées coloniales, le commerce ne pourrait les vendre et qu’il en serait de même pour les droits sur le coton qui nuisent au développement de l’industrie nationale. Il réduit ces droits dans des proportions importantes par ordre en date du 23 avril 1814.151

394Une loi du 17 décembre suivant, procède à une première révision du tarif et à l’instauration du régime du transit pour les marchandises étrangères. Elle détermine des dispositions pénales en matière de douane, elle réduit le droit sur le sel de 4 à 3 décimes par kilogramme.

395Elle prévoit, enfin, que des ordonnances pourront provisoirement, et en cas d’urgence, établir des prohibitions et modifier les taux des droits d’entrée ou de sortie. Ceci sous réserve de ratification par le Parlement sous forme de loi.152

396Le gouvernement prend en la matière la même position que l’« Usurpateur ».

397La circulaire d’accompagnement précise que le droit sur les produits coloniaux relativement modéré lorsqu’ils sont importés des îles françaises va en s’élevant pour ceux qui viennent de l’étranger sur des bateaux français, et encore plus lorsqu’ils sont transportés par des navires étrangers. Cette disposition nécessite une attention particulière pour déterminer l’origine des produits et la nationalité des bateaux les transportant.

398Les droits sur les produits finis sont modulés en fonction des intérêts de l’industrie. À la sortie, les tarifs sont modérés, les métaux précieux ne sont plus soumis à restriction d’exportation et les droits qui les frappaient sont abolis.153

2. La gestion de l’administration

399Déjà le 4 avril, les administrateurs s’adressent aux directeurs et leur demandent de donner des ordres pour que les perceptions de toute nature continuent de s’opérer. Ils poursuivent ainsi : « M. le Directeur Général est absent ; mais son absence n’étant que momentanée, rien ne sera changé dans l’ordre de votre correspondance ». Ils devront continuer de s’adresser à lui pour les questions qui lui sont personnellement réservées.

400« Signé : Chaslon, Lapierre, Collin de Sussy, de Saint Cricq ».154

401Le même jour, le commissaire du gouvernement chargé des finances – nouvelle appellation du ministre – enjoint tous les employés supérieurs de reprendre leurs fonctions. En cas de refus, ils seront remplacés. Les directeurs et administrateurs sont chargés de dresser la liste des employés qui refuseraient de continuer leur service.

Premières mesures de réorganisation

402C’est qu’il faut, maintenant, réorganiser la douane revenue à l’intérieur de la France. Le 19 avril 1814, Saint-Cricq, qui signe « l’Administrateur chargé provisoirement du service des douanes », transmet un ordre de Monsieur, en date du 17, suspendant le système continental.

403Les navires pourront circuler librement et les marchandises seront admises après acquittement des droits. L’exportation sera également libérée de toute entrave. Le cabotage cessera d’être assujetti à la formalité de l’acquit à caution. Le transit sera aménagé.155

404Le gouvernement s’empresse de réduire les droits sur les denrées coloniales par un décret en date du 23 avril 1814. C’est ainsi que le café passe de 400 à 60 francs le quintal métrique, le sucre brut de 300 à 40 francs, le cacao à 1 franc le kilo, la cochenille à 3 francs, le bois de teinture à 30 francs le quintal, le poivre à 80 francs le quintal.156

405Le 24 avril, Saint-Cricq, montrant sa préférence pour la monarchie, transmet cet ordre et s’exprime ainsi : « Le commerce. Monsieur, accablé de droits, de formalités, d’exceptions était menacé d’une ruine totale. L’immense quantité de marchandises importées par voies de licence reste depuis plusieurs mois sans débit dans nos entrepôts et même sans cours sur nos places où elles rencontrent une concurrence étrangère favorisée par les circonstances.

406« Les droits les plus élevés des décrets des 5 août et 12 septembre 1810 sont remplacés par des droits calculés sur le besoin urgent du moment. Toutes les marchandises reprises par le décret n’acquitteront que les droits modérés qu’il règle, sans décime additionnel ».

407Il rappelle que tous les autres droits et toutes les prohibitions doivent être maintenus.157

408Le 26 avril, un ordre de Monsieur supprime les cours prévôtales, libère tous les détenus condamnés par ces cours et décide que les affaires de douane en instance seront portées devant les juges compétents avant le 18 octobre 1810. Il est expliqué que le texte instituant les cours étant un simple décret, il n’est point besoin de faire intervenir la puissance législative pour les supprimer.158

409Désormais, Saint-Cricq s’adresse seul au service. Il transmet, le 7 mai, l’ordre du 26 avril qui précise les nouvelles modalités de saisine des tribunaux et les textes à appliquer.159

410Le 17 mai, le roi prend une ordonnance qui supprime les directions générales des Douanes et des Droits réunis et les rassemble dans les seules mains du directeur général des contributions indirectes, Bérenger. Celui-ci, dans sa transmission aux directeurs des douanes, leur prescrit d’adresser toute correspondance à Saint-Cricq, chargé provisoirement de la signature portant sur les questions du domaine réservé au directeur général des douanes. Il précise que les deux administrations réunies sous son autorité demeureront distinctes et séparées.160

411Les administrateurs restent en place et ont assuré le nouveau chef de l’administration du dévouement à leurs devoirs et du zèle caractérisant les directeurs provinciaux des douanes.

412Le 6 décembre 1814, une ordonnance précise qu’un directeur particulier régira la douane sous l’autorité du directeur général des contributions indirectes. Son traitement sera de trente-cinq mille francs. Saint-Cricq est nommé à cette fonction.

413Il est remplacé au poste d’administrateur par Brack, directeur à Valenciennes, qui rejoint Chaslon, Delapierre et Collin de Sussy fils, confirmés à leur poste.161

414Un arrêté d’application, pris le 7 décembre par le ministre des Finances, consacre la subordination de la douane au directeur général des contributions indirectes. Il laisse au chef de la douane le soin des affaires dont son prédécesseur s’occupait personnellement. Il intronise officiellement le conseil d’administration et répartit les autres questions administratives entre les quatre administrateurs qui n’ont plus de compétence géographique.

415Il décide de la suppression des inspecteurs généraux des douanes et prévoit leur intégration dans des postes de directeurs, de receveurs principaux ou leur mise à la retraite pour ceux qui en exprimeraient le désir.162

416Dans sa première circulaire, ès qualités, Saint-Cricq indique ses intentions : anéantir ou du moins réduire la contrebande, assurer à l’administration toute la considération qu’elle doit mériter ; décider l’avancement de ceux qui en sont dignes. Cette fois-ci, pas de menaces, tout au moins pour l’instant.163

Restructuration des lignes de douanes

417Une ordonnance royale en date du 27 juin 1814 décide de l’installation définitive des lignes de douane sur les frontières fixées par le traité du 30 mai 1814.

418Des lignes provisoires avaient été fixées par la convention conclue le 23 avril avec les puissances alliées. La translation aurait semblé facile si des dépôts considérables de marchandises prohibées ou sujettes à des droits n’avaient été constitués, l’intention des dépositaires étant de les avoir en deçà des nouvelles frontières pour, ensuite, les introduire sur le territoire national, sans obstacle et sans déclaration de douane.

419Aussi l’ordonnance prévoit-elle de laisser les lignes provisoires en place, pendant une période de quinze jours pour permettre la régularisation de ces dépôts frauduleux. Un délai de six jours est laissé aux dépositaires pour en déclarer réglementairement le contenu ; les préposés des douanes seront ensuite habilités à rechercher les dépôts délictueux et, comme dans les cas ordinaires de contravention aux lois de douane, saisir les marchandises non déclarées.

420Dans sa circulaire de transmission, Saint-Cricq rappelle : « L’établissement d’une nouvelle ligne devient de notoriété publique par les préparatifs qu’il exige, et par la publication et l’affiche des arrêtés des autorités supérieures du département, qui doivent concourir à l’introduction du régime des douanes, sur les nouvelles frontières.

421« Vous remplirez le vœu de la loi, en profitant des mêmes arrêtés pour faire connaître l’emplacement des bureaux au public, surtout dans le lieu de leur établissement, et les quatre communes les plus voisines sur la route de chaque bureau. Si ces formalités n’ont pas été remplies à l’égard des bureaux existans, je vous recommande d’y satisfaire dans la forme indiquée par la loi, à mesure que l’établissement sera complet pour une partie de ligne, et qu’il pourra faire l’objet d’un arrêté de MM. les préfets de département ».164

422Déjà le 15 juin, il avait donné aux directeurs de la ligne nord, les instructions rendues nécessaires par le rétablissement de la police du rayon applicable aux nouvelles frontières. Les préposés doivent agir avec tact pour l’enregistrement des marchandises prohibées ou fortement taxées qui se trouveront à l’intérieur du rayon. Les directeurs devront demander aux préfets de publier le texte des règlements sur la police du rayon en même temps qu’ils prendront l’arrêté préfectoral fixant la ligne de douane.165

423Le 20 décembre, les dispositions relatives au transit des denrées coloniales étrangères et des marchandises étrangères non prohibées et non manufacturées sont énoncées. Une liste nominative en est dressée, ainsi que celle des bureaux et des ports ouverts à cette procédure.

424Suit un long commentaire sur les dispositions pénales de la loi. Il demande aux directeurs de donner toutes instructions pour que les receveurs soient en mesure « d’exposer les véritables principes (de cette loi) et d’empêcher ainsi, que les tribunaux ne s’en écartent ».166

425Le 21 décembre une loi fixe les droits d’importation sur les fontes, fers et aciers.167

426Revenant également en matière de grains sur la politique impériale, le roi estimant que les réserves en grains sont abondantes, et se réservant la possibilité d’en suspendre l’exportation, décide par ordonnance du 26 juillet 1814 que « l’exportation des grains, farines et légumes, est provisoirement permise par les ports et frontières du royaume. »168

427Le 2 décembre, c’est une loi qui rend définitive cette autorisation en y ajoutant la perception d’un droit de balance. Il précise que l’exportation sera suspendue dès lors que le prix du blé aura atteint un prix plafond variable suivant les régions frontalières.

428Cette loi est commentée par le directeur général des contributions indirectes dans une circulaire du 6 janvier 1815. Il fait remarquer que seuls certains points de passage doivent être utilisés pour ces exportations. Il rappelle que le droit de balance n’est dû que sur les grains, farines et légumes à l’exclusion des autres substances reprises nominativement au tarif qui doivent continuer à acquitter le droit qui leur est propre.169

L’impôt sur le sel : recette budgétaire importante mais encore impopulaire

429Le 3 octobre 1814, de Saint-Cricq note que la contrebande de sel devient de plus en plus importante, et ne donne lieu qu’à des saisies dont le produit est sans commune mesure avec les efforts déployés par les douaniers et les dangers courus par eux. Il décide, avec l’accord du ministre, de l’octroi d’une prime correspondant, pour chaque saisie, aux circonstances de l’affaire.170

430La loi du 17 décembre, citée ci-dessus, réduit à trois décimes le droit sur le sel. Cette question a provoqué de nombreuses interventions à la Chambre des députés. Certains voulaient son abolition pure et simple. D’autres tenaient à réduire sensiblement cet impôt qui avait été porté de deux à quatre décimes par kilogramme, le 11 novembre 1813.

431Le baron Louis de Sussy, l’administrateur en charge de la question du sel, avait proposé une réduction d’un décime. Les débats ont été très vifs et « tous les arguments possibles furent avancés par de nombreux partisans d’une plus forte réduction de l’impôt pour parvenir à leur but.

432« Le directeur général des contributions indirectes dut monter à la tribune pour soutenir le projet gouvernemental qui fut finalement adopté. »171

Lutte contre la fraude

433La contrebande est encore très active pendant le premier semestre de 1814. Elle sévit dans tous les domaines, malgré la diminution très sensible des différents droits d’entrée. Le gouvernement se plaint de l’inertie des brigades et constate que le taux de l’assurance est tombé à 10 %, ce qui conforte les informations obtenues par ailleurs.

434Il veut que cet état de choses cesse promptement. Le 7 juin 1814, Saint-Cricq ordonne aux directeurs de stimuler le zèle de leurs inspecteurs, contrôleurs et lieutenants d’ordre. Ils devront les prévenir que « la moindre négligence les exposerait aux prompts effets du mécontentement de l’Administration ». Il leur demande un rapport tous les dix jours sur les résultats obtenus et les mesures prises en la matière.172

435Dans une note du 10 novembre, il relève que trop de préposés laissent un jour la frontière ouverte pour tendre ensuite des embuscades, permettant des saisies génératrices de répartitions. Il condamne cette attitude qui les fait sacrifier leurs devoirs à leur intérêt personnel. La ligne doit sans cesse être défendue de toutes parts. C’est ce principe que les directeurs doivent rappeler à leurs subordonnés et les directeurs doivent obtenir un résultat prompt et satisfaisant.173

436Ferrier, maintenant directeur à Dunkerque, s’attache à lutter contre l’emploi frauduleux de documents couvrant la circulation des marchandises sous douane. Dans une note aux services d’exécution en date du 24 novembre, il prescrit de porter une attention soutenue aux passavants demandés pour transporter de l’intérieur du rayon vers la frontière, des marchandises sensibles. Sans cette précaution, les transports risqueraient d’être fictifs et les passavants inemployés pourraient servir à l’introduction de marchandises de fraude.174

437Les tenants du protectionnisme, nombreux tant au Parlement que dans les milieux économiques, reprochent à la douane son manque d’efficacité. Saint-Cricq s’en fait l’écho dans une note du 29 novembre 1814 où, après s’en être pris aux chefs locaux dans sa circulaire du 10, il affiche sa détermination de sévir contre les préposés qui n’apporteraient pas toute l’activité et le zèle nécessaires.

438Il faut découvrir « les préposés infidèles et les préposés négligents, ceux-ci seront renvoyés, et les autres livrés aux tribunaux, lorsque la prévarication sera prouvée. »175

Lutte contre la fraude et concours apporté par l’armée

439Le concours des militaires est apporté à la douane dans la lutte contre les contrebandiers. Saint-Cricq transmet aux directeurs, le 20 octobre, une lettre du ministre de la Guerre qui, « ayant reçu divers avis relativement aux tentatives de contrebande », a prescrit aux généraux commandant les divisions situées aux frontières, de faire seconder, dans la lutte contre la fraude, les préposés des douanes par la force armée.176

440Le ministre de la Guerre, dans une lettre aux commandants des divisions militaires, va plus loin en indiquant : « Il est essentiel de porter sur ce service et la manière dont il se fait, une surveillance très active et concertée, tant avec les chefs de cette administration qu’avec les autorités civiles... Il vous sera facile de connaître, s’il y a de la négligence dans l’emploi des moyens de répression ; et de m’instruire des fautes ou des abus... »177

441Cette initiative mettait les généraux en position de force pour intervenir dans la mission de surveillance de la frontière dont ils avaient été écartés sous l’Empire.

442Saint-Cricq, dont le premier objectif avait été de remettre de l’ordre dans les services totalement désorganisés par la guerre, attend le moment d’être plus à même d’utiliser pleinement ses effectifs. Ceux-ci sont en effet très suffisants après le retour des douanes extérieures. Il faut tout d’abord procéder à leur mise en place et leur redonner le sens du devoir, un peu perdu à la suite des événements.

443C’est ce qui arrive début 1815, et il transmet aux directeurs une note établie après concertation entre les ministres des Finances et de la Guerre. Les dispositions arrêtées doivent « surtout conserver aux chefs des douanes l’initiative et l’indépendance sans lesquelles leur responsabilité deviendrait illusoire. »

444Elles prescrivent que les commandants des divisions militaires devront se concerter avec les directeurs des douanes sur la nécessité de maintenir, de retirer ou de déplacer les détachements actuellement établis sur les frontières en service de surveillance de la fraude.

445Les nouveaux détachements n’interviendront que sur la demande des directeurs des douanes et les officiers devront s’entendre avec les inspecteurs et les contrôleurs pour le meilleur emploi de ces détachements. Ils devront « prévenir par une discipline sévère, les effets de la collusion qui pourrait naître entre les soldats et les contrebandiers. »

446Dans sa circulaire il poursuit : « Vous savez le danger du séjour des troupes à l’extrême frontière [...]. Les soldats participent à des introductions frauduleuses [...]. » Il rassure les directeurs inquiets de l’adjonction des troupes aux brigades des douanes, et leur dit que les dispositions arrêtées doivent leur permettre de réclamer cette aide chaque fois que nécessaire. »178

447C’est dans cette intention que, dans sa circulaire du 29 novembre 1814, Saint-Cricq avait rappelé que les inspecteurs et sous-inspecteurs devaient, par une surveillance accrue, donner une impulsion déterminante dans la recherche de la fraude et acquérir la certitude que chacun a bien rempli son devoir.179

448Cependant, il reste des dépôts frauduleux entre les lignes, c’est pourquoi, le 24 février 1815, une ordonnance prescrit la réexportation de ces dépôts, dans un délai de deux mois, à défaut d’acquitter les droits en vigueur.180 La rigueur de la réglementation, en matière de séjour de marchandises dans le rayon douanier, sera appliquée après ce deuxième délai dû à la bienveillance royale.

Les « smogleurs »

449On ne peut parler de contrebande sans évoquer les « smogleurs ». Il s’agit d’un courant de fraude assuré sur la Manche par de petites embarcations montées par des marins anglais. Il se fait généralement au détriment de l’Angleterre et existe depuis le XVIII^e siècle. Il a été encouragé par les autorités françaises jusqu’à ce que la Convention y mette fin.

450Depuis 1800, Bonaparte a prescrit que « soit favorisé le commerce des smogleurs qui nous est particulièrement avantageux tant par l’importation des laines et matières premières que par l’extraction qu’ils effectuent de nos thés, vins, eau de vie etc. »

451Collin prend une série de décisions en date des 4 nivôse an X, 9 pluviôse an X, 12 ventôse an X, 29 vendémiaire an XI, 10 frimaire an XI.181 Elles vont faciliter, mais aussi réglementer, la vie des smogleurs qui relâchent dans tous les ports de la Manche et en particulier à Gravelines et Dunkerque. Les smogleurs rapporteront de l’or pour régler leurs achats et ramèneront des prisonniers évadés des prisons anglaises, lesquels sont généralement des membres d’équipages de bâtiments français capturés.

452Ce qui est encore prohibé en Angleterre est embarqué par les smogleurs. Dans une note du 20 mai 1811, Collin de Sussy indique au directeur de Dunkerque les aménagements à la réglementation en leur faveur, en ce qui concerne l’eau de vie de genièvre.182

453Le port de Gravelines leur est consacré. Il est placé sous le commandement d’un officier de marine français. Des entrepôts pour les marchandises tant à l’arrivée, qu’au départ de France s’y sont constitués. Des logements ont été aménagés pour les marins anglais dont les voyages ne peuvent se faire qu’à certaines heures, du fait de la nuit, des marées et des patrouilles anglaises.

454Il y a aussi des tavernes à proximité et enfin un bureau de douane appliquant des mesures spécifiques à ce trafic et qui ont été déjà évoquées pour la période précédente.

455Par un décret en date du 26 novembre 1811, les smogleurs pourront charger, dans les ports qui leur sont autorisés, des vins fins de Bordeaux, de Champagne, de Bourgogne, sans être assujettis aux dispositions relatives au Blocus continental. Ils acquitteront un droit unique de sortie de 10 centimes par bouteille.183

456Sous la Restauration, le commerce des smogleurs, qui était restreint à l’enceinte du port de Gravelines, a été rendu libre par un décret du 17 avril 1814, transmis par circulaire du 19. Par contre, ces navigateurs un peu spéciaux ne sont plus dispensés de droits et doivent en particulier la totalité des droits de navigation.184

457Une circulaire du 2 juillet 1814 tend à réprimer les importations frauduleuses de genièvre en provenance de Hollande et réserve le transport de cet alcool, très prisé des Anglais, aux bateaux de cent tonneaux au moins. Elle préconise la confiscation de tous navires d’un moindre tonnage se trouvant dans l’étendue de quatre lieues des côtes. Enfin elle exige que la réexportation de ces eaux de vie par les smogleurs se fasse sur des bateaux de cent tonneaux et au-dessus. Elle demande leur avis aux directeurs au sujet de ces nouvelles dispositions sur le smogglage.185

458Dans une lettre du 8 août et après avoir pris en considération l’avis des directeurs intéressés, Saint-Cricq ramène à 50 tonneaux la limite pour les bateaux apportant le genièvre et supprime toute restriction de tonnage pour les smogleurs. Il affirme cependant qu’il convient d’exercer sur leurs mouvements une surveillance constante.186

Une nouvelle réforme de la douane

459Une nouvelle réforme a été engagée suite à l’ordonnance royale du 6 décembre et à l’arrêté du ministre des Finances du 7 du même mois. Le chef de l’administration qui signait « L’Administrateur chargé provisoirement du service des Douanes », devient « Le Directeur de l’Administration des Douanes ».

460Il reste sous l’autorité du directeur général des contributions indirectes.

461L’arrêté maintient que le conseil d’administration délibérera sur le contentieux. Les administrateurs donneront leur avis sur le personnel et l’avancement des employés. Ils sont chargés individuellement des questions du ressort de leur division.

• 1^re division Chaslon : personnel ;

• 2^e division Delapierre : comptabilité ;

• 3^e division Collin de Sussy : contentieux ;

• 4^e division Brack : le sel.

462Le secrétariat général aura en charge la législation, la navigation, les prohibitions et les expéditions de grains et d’armes. Il s’occupera du contrôle de la librairie, des certificats d’origine et de la balance des importations et des exportations.

463Dans une circulaire du 18 janvier 1815, Saint-Cricq rappelle que l’arrêté ministériel énumère explicitement les parties du service qui sont confiées aux administrateurs, et que lui-même traitera son domaine réservé – approximativement le même qu’auparavant – et toutes les parties qui n’auraient pas été spécialement attribuées à l’un des administrateurs.187

464Par cette circulaire, Saint-Cricq officialise une prise en mains de la direction de l’administration. Il ne fait pas de doute qu’il a inspiré les articles de ce décret ministériel.

465La tutelle du directeur des contributions indirectes doit, certes, lui paraître pesante, mais il a une large autonomie et entame, avant et après cette ordonnance, une série de réformes et d’aménagements. Il lui faut mener à bien la réorganisation des directions nouvellement réinstallées et lutter contre la démoralisation du service, notamment dans les brigades. Il évoque dans sa correspondance avec les directeurs, des absences irrégulières, des retards dans les prises de fonctions, des demandes intempestives d’avancement ou de mutation et exige qu’il y soit porté remède. Il doit en particulier, réglementer l’assistance mutuelle avec les contributions indirectes.

466Un gros problème se présente rapidement. Il s’agit de réemployer les préposés et les cadres des douanes extérieures. La plupart des douaniers recrutés sur place sont restés dans leur pays d’origine. Certains ont déserté dès les premiers combats, mais il faut recaser les autres et cela s’avère difficile pour les inspecteurs et les directeurs qui ne peuvent retrouver des postes équivalents.

467On estime à 25 000, dont 22 000 agents des brigades, le nombre d’agents en fonction à la fin de 1814. Il serait resté encore environ 2 000 douaniers de tout grade à reclasser. La douane impériale si puissante par le nombre de ses agents, la détermination de ses chefs locaux et la protection de l’Empereur, n’est plus que l’ombre d’elle-même.

468Les derniers mois de la première Restauration voient Saint-Cricq traiter des journaux de travail des inspecteurs et des contrôleurs. Il dresse avec minutie l’ensemble de leurs obligations dans des circulaires des 2 et 3 février 1815.188 Le 20 février, il transmet une ordonnance royale sur les franchises du port de Marseille que ses services ont largement inspirée.189 Le 4 mars, il publie le nouveau règlement de la masse des douanes au vu de l’expérience acquise et en tenant compte de l’évolution des effectifs douaniers au cours de ces trois dernières années.190 Le règlement établi par Ferrier en 1813 et réaménagé méticuleusement par les services de Saint-Cricq verra ses principales dispositions en vigueur jusqu’en 1997.

469Il réforme, en plus de celle de la masse, deux circulaires importantes de Ferrier, les dossiers individuels de signalement ainsi que le règlement sur le recrutement, l’équipement des préposés et leur armement.191

Une réorganisation sans épuration

470Comme le dit Jean Tulard dans son ouvrage sur Les épurations administratives en France aux XIX^e et XX^e siècles : « L’idée d’une épuration était contraire au souci d’apaisement du nouveau gouvernement. [...] Une immense aspiration à la paix intérieure et extérieure met en sourdine haines et jalousie. Il n’y avait pas sur le plan administratif changement brutal de régime mais serait-on presque tenté de dire, passation de pouvoir. »192

471Ferrier se fait nommer à la direction de Dunkerque à laquelle vont ses préférences. Collin de Sussy fils, ainsi que les autres administrateurs, conservent leur poste. Il n’y eut pas, non plus, d’épuration parmi les cadres et les employés, dont, pourtant le plus grand nombre avait la nostalgie de la position prééminente de la douane impériale. Il a fallu leur faire violence pour qu’ils adoptent la cocarde blanche.

472Saint-Cricq s’est attaché à regrouper ses douaniers sur les nouvelles frontières et a profité du retour des « douaniers extérieurs » pour garnir au mieux les bureaux et brigades. Il n’a pu éviter de renvoyer dans leur pays, et généralement sans droit à pension, les douaniers nés en pays étranger. Il n’a pas pu éviter une diminution des traitements et n’a pas pu remplacer les primes créées par l’Empereur. Les préposés ont perdu, entre autres, une part importante des répartitions en suite de saisies, du fait de la diminution des affaires contentieuses.

473Tout comme Collin et Ferrier, Saint-Cricq s’est évertué, mais en vain, à juguler la contrebande et la corruption. C’est là leur plus gros échec mais pouvaient-ils faire mieux, compte tenu des circonstances ?

B. Les Cent-Jours (mars-juillet 1815)

Le retour de François Ferrier (25 mars-7 juillet 1815)

474Voici Napoléon de retour de l’île d’Elbe. Il fait son entrée aux Tuileries le 20 mars 1815 et Louis XVIII reprend le chemin de l’exil. Dès le 24 mars, un décret impérial nomme le comte de Sussy comme premier président de la Cour des comptes. Le 25, la direction générale des Douanes est séparée, par décret, de celle des Contributions indirectes. L’article 3 de ce texte dispose : « Le sieur Ferrier est nommé directeur général des douanes ; le sieur Saint Cricq, actuellement directeur particulier, reprendra ses fonctions d’administrateur ».193

475Napoléon n’a pas tenu à rétablir le ministère du Commerce, supprimé lors de la première Restauration mais il nomme son fidèle Collin de Sussy à un poste prestigieux. Ferrier et Saint-Cricq retrouvent leurs places.

476Le 27, François Ferrier annonce au service la séparation des deux régies financières et son rappel à la direction générale. Il poursuit en disant que : « Le chef du gouvernement n’a point oublié de quel dévouement les préposés aux douanes ont fait preuve envers l’État et il a voulu leur en témoigner sa satisfaction, en replaçant à leur tête un chef qu’il avait lui-même tiré de leurs rangs. »

477Il poursuit : « J’ai remercié MM. les Administrateurs, et spécialement celui d’entre eux qui a dirigé le service, des améliorations qu’il y a faites. Je ratifie et confirme tout ce qu’il a prescrit. »194

478La passation de pouvoirs se fait donc dans une atmosphère quasi chaleureuse.

479François Ferrier se met tout de suite au travail. Il a dû réfléchir à Dunkerque aux problèmes posés par les circulaires. Ce même 27 mars, il indique que l’expérience montre les défauts de leur transcription manuscrite : lenteur dans les travaux de reproduction, manque de lisibilité de certaines copies, altérations du texte qui les rendent parfois totalement inintelligibles au terme de leur course. Il décide donc qu’elles seront toutes imprimées, et qu’elles seront retransmises par les directeurs à tous les échelons hiérarchiques, jusqu’aux chefs de poste. Leur distribution est fonctionnelle et les titulaires les remettront à leurs successeurs en cas de mutation. Les abonnements individuels sont possibles.195

480Cette réforme, qui soulage tous les services douaniers de la tâche fastidieuse de copie, sera la plus importante du second passage de François Ferrier à la tête de la douane. La politique douanière et donc les lois, les ordonnances et les décrets de la Restauration restent en vigueur.

481Ferrier, dans une circulaire du 17 avril, rappelle que, désormais, le régime des prohibitions est dégagé de toute distinction en matière d’origine. Il prescrit, plutôt que la saisie, la réexportation des marchandises prohibées, lorsqu’il sera avéré que le déclarant ignorait le contenu des colis transportés et en a demandé l’ouverture en présence du service.196

482Il y eut seulement quelques mesures de prohibition dictées par les circonstances. C’est ainsi qu’un décret du 28 mars prohibe l’exportation des armes à feu.197 Par ailleurs, et dans la même préoccupation de défense nationale, les aciers, fers, houilles, meules à canon, cuivre et bois de noyer destinés aux manufactures d’armes ne seront passibles d’aucun droit d’entrée.198

483Le commerce des grains va connaître bien des vicissitudes : il avait été libéré par le gouvernement de la Restauration, sous réserve du maintien du prix du blé au-dessous d’un prix plafond variable suivant les régions frontalières. Cette éventualité arrive vite et, le 23 avril, Saint-Cricq annonce que l’exportation de toute espèce de grains doit être suspendue sur les frontières du Nord et de l’Est. Il précise que ce retour à la prohibition entraîne les formalités habituelles et le rétablissement du contrôle de la circulation dans le rayon.

484Le 11 mai cette interdiction s’étend aux frontières avec l’Espagne. Cette dernière interdiction vise aussi les bestiaux de toute nature.199

485Le 31 mai la sortie des grains est suspendue de Bayonne à Dunkerque.200

La douane est amenée à entrer dans la guerre une nouvelle fois

486Ferrier s’était rendu compte, en 1813, des difficultés d’application du système des lignes roulantes en cas de retraite précipitée. À nouveau, il affirme que les préposés ne doivent pas être détournés de leur rôle de surveillance pour être affectés dans des unités militaires. Mais il faut aussi prévoir les aléas de la guerre. Or les alliés s’y préparent et la France concentre ses troupes aux frontières.

487Il s’exprime ainsi dans une circulaire aux directeurs régionaux du 11 mai : « Les préposés aux douanes sont, par la nature de leurs fonctions, Monsieur, et par les points où ils exercent, placés de manière à concourir très efficacement à la défense du pays. Mais cette assistance à laquelle ils sont tenus, et qu’ils ont toujours prêtée avec un zèle et un dévouement que le gouvernement a souvent remarqués et récompensés, ne doit jamais être telle qu’elle les détourne entièrement de la garde des frontières ou des côtes. Il est sensible, en effet, que la moindre solution de continuité dans la ligne faciliterait des versements de sels, de denrées coloniales, ou de marchandises prohibées, et qu’il en résulterait, pour l’industrie nationale et pour le Trésor, des pertes qui se compteraient par millions, ce qui serait bien loin de compenser l’avantage d’avoir sous les drapeaux quelques centaines d’hommes de plus.

488« Aussi l’intention, souvent exprimée, du chef du Gouvernement, a-t-elle toujours été que les préposés ne fussent, sous aucun prétexte, détournés de leurs fonctions ; qu’en tems de guerre ils conservassent leurs lignes jusqu’au dernier moment et que, dans les circonstances véritablement urgentes où leur concours pourrait être militairement utile, on ne les employât que par détachemens pris sur tous les postes, afin de n’en dégarnir complètement aucun. Telle est encore aujourd’hui la volonté du Gouvernement. Aussi, M. le maréchal prince d’Eckmülh, auquel son Excellence le ministre des Finances avait écrit, le 29 avril, pour le fixer sur les inconvéniens qu’il y aurait à enrégimenter les préposés aux douanes de la frontière du Nord, lui a-t-il marqué, le 6 de ce mois, qu’il venait "d’écrire aux lieutenants généraux, commandant les 16^e, 2^e et 3^e divisions militaires, pour que tous les préposés de ces divisions fussent maintenus dans leurs fonctions, ou pour qu’on les y rétablit, s’ils en avaient été distraits".

489« Vous devrez faire de cet ordre, Monsieur, la règle de votre conduite, relativement aux dispositions qui auraient pour objet d’enlever à leurs fonctions les préposés qu’on n’en pourrait distraire sans désorganiser le service des douanes. Néanmoins je verrais avec un extrême mécontentement que vous vous en prévalussiez pour refuser d’obtempérer à des réquisitions qui pourraient se concilier avec le maintien de vos lignes ; votre responsabilité serait même alors gravement compromise, surtout si les circonstances étaient urgentes. Pénétrez-vous donc bien de l’esprit de cette lettre qui renferme, en substance, toutes les instructions dont vous pouvez avoir besoin, et n’en multipliez pas les demandes, qui sont souvent intempestives et presque toujours sans objet, à cause de l’impossibilité de recevoir les réponses à tems.

490« Au surplus, la question changerait de face, et vos devoirs cesseraient d’être les mêmes, s’il y avait invasion de l’ennemi par l’un des points confiés à votre surveillance. Ceci s’applique particulièrement aux directeurs des frontières. L’ennemi s’y présentant en force, et parvenant à les franchir, hypothèse qui ne se réalisera probablement pas, toute ligne de douanes devenant alors impossible à maintenir ou à rétablir, le devoir des préposés serait de déférer aux ordres des généraux qui pourraient les réunir, les enrégimenter et les employer militairement, soit en ligne, soit dans les places fortes. Les préposés étant mariés pour la plupart ou couverts de blessures, résultat des campagnes antérieures qu’ils ont faites, l’expérience a prouvé que cette dernière destination était celle qui convenait le mieux à eux et à la chose. Elle a prouvé également qu’il y avait tout à gagner à leur laisser leurs chefs naturels. Vous devriez donc vous rapprocher de MM. les officiers généraux, et leur faire des représentations dans ce sens, s’ils paraissaient disposés à suivre des règles différentes.

491« Il n’est rien changé à ce qui a été prescrit récemment à quelques directeurs des côtes de l’Océan et de la Manche, qui devront continuer de laisser à la disposition de l’autorité militaire environ la moitié des préposés qu’ils commandent. Ce service n’est, au reste, que très provisoire. Les préposés seront éloignés le moins possible de leur résidence, et tant qu’ils resteront en détachement, ils jouiront des vivres de campagne et peut-être d’une indemnité. L’intention de son Excellence le prince d’Eckmülh est du moins de la solliciter. »201

492De son côté, Davout avait donné aux différents corps d’armées situés aux frontières des instructions pour utiliser en cas d’invasion inopinée du territoire français, les brigades de gendarmerie et de douanes. Ces brigades iraient renforcer les places que les chefs militaires leur désigneraient.

493Après avoir affirmé que ces brigades sont composées d’anciens militaires et qu’il y règne le meilleur esprit il poursuit : « Ce sera un très bon renfort pour la garnison et d’autant plus utile que toutes les brigades connaissant parfaitement la localité pourront rendre de très grands services dans les sorties que la garnison serait dans le cas de faire. »

494Davout paraît très soucieux d’obtenir ce renfort car il démontre dans une note interne l’intérêt à ce que cette affaire soit menée avec soin et, concernant les douaniers, il affirme : « Ce sera un moyen d’avoir dans les places des hommes précieux pour leur bravoure personnelle, et leur connaissance du service militaire et des localités ».202

495Si, comme prévu, les douaniers ne suivirent pas l’armée lorsqu’elle entra en Belgique, dès après Waterloo, le plan évoqué ci-dessus fut appliqué. Les places résistèrent de juin à septembre 1815 et ne mirent bas les armes qu’après la signature de l’armistice. A Givet, à Belfort et à Longwy, les brigades des douanes eurent l’occasion de se signaler par leur ardeur au combat et leur dévouement.

496La douane avait, à nouveau, subi le choc de l’invasion et voyait ses lignes enfoncées et ses bureaux désertés.

Conclusion

497Quinze ans se sont écoulés depuis la création du grade et de la fonction de directeur général, depuis aussi que Collin de Sussy, ainsi que Ferrier puis Saint-Cricq, et de nouveau Ferrier ont présidé aux destinées de l’administration. Ils n’ont pas beaucoup changé l’organisation de la douane telle que l’avait instaurée la Révolution en 1791 et 1794. Organisation calquée en grande partie sur celle de la Ferme générale.

498Sur ce plan, Jean Clinquart affirme : « La seule réforme essentielle (mais elle l’est effectivement) aura été la création de la fonction de directeur général ».203

499Les douaniers, à tous les échelons, ont vécu pleinement les événements militaires et ont suivi et souvent accompagné les troupes dans leurs conquêtes et, plus tard, dans leurs replis successifs. Quand la situation l’a imposé et tout en tâchant de garder un minimum de cohésion aux lignes de douane, ils ont su apporter leur concours à la défense de l’Empire et ont fait preuve d’une détermination et d’un courage unanimement reconnus.

500La douane, particulièrement appréciée par Napoléon Bonaparte et dotée de moyens juridiques particulièrement importants, s’est montrée le plus souvent à la hauteur de sa mission. Mais son impossibilité d’arrêter la contrebande est quand même patente.

501Les douaniers n’ont pas été sans reproche et n’ont pas toujours su résister à la corruption très vivace dans le milieu où ils évoluaient. « Si ce temps favorisa certaines turpitudes, il fut surtout, aux niveaux les plus élevés de l’Administration le temps du labeur et de la rigueur dans la gestion et, à des niveaux plus modestes, celui de la discipline et du dévouement ».204

502Ils ont évolué dans une situation réglementaire et tarifaire en constante mutation, au contact d’une population généralement hostile et confrontés à une mobilité des lignes de douane génératrice de difficultés constantes. Ils ont été aux toutes premières lignes d’une guerre économique toujours difficile et jamais gagnée.

503Souvenirs des luttes obscures et toujours rudes contre les contrebandiers, environnement hostile engendré par l’application de mesures particulièrement contraignantes pour une large partie de la population, adaptation à des lignes frontalières souvent fluctuantes, participation à la défense de la patrie, fierté d’appartenir à une « armée » jouissant de la confiance et de la faveur de l’Empereur, appartenance à des structures éprouvées, entraînement à une discipline toute militaire : tous ces facteurs ont amené la naissance d’un esprit de corps et engendré des traditions très fortes qui marquent encore les douaniers d’aujourd’hui.

504Et ce n’est point là, chose négligeable !