Jean-Noël Jeanneney

1François Caron pose pour finir, une question très importante : le plus ou moins grand degré de libéralisme dans cette politique de la direction du Budget. Peut-être êtes-vous là en légère discordance, sinon contradiction avec un certain nombre de propos que nous avons entendus antérieurement quant aux comportements du début de notre période.

Michel Margairaz

2Je soumets à la discussion le fait que la direction du Budget a été à la fois planificatrice et libérale et que le problème n’est pas de savoir si elle est l’une ou l’autre, mais jusqu’à quel point et selon quelle chronologie le dosage s’effectue entre les deux. Je vous cite simplement un extrait du rapport de Roger Goetze du 12 juillet 1951 où celui-ci appelle de ses vœux la poursuite du Plan Monnet et y salue l’initiative de Jean Monnet qui dit-il « a entraîné un véritable glissement des interventions économiques de l’État du domaine de la répartition vers celui des investissements et malgré son caractère inévitablement dirigiste – [c’est en 1951] – il a hâté l’abandon des divers contrôles de la production et de la consommation facilitant de ce fait le retour à un régime d’économie libérale ». Il y a là la vraie complexité de la pensée, un haut niveau d’investissement et la planification permettant aux intervenants privés d’avoir l’assurance, une certitude d’expansion. Il faut donc un certain niveau d’investissement mais parallèlement, et je l’ai signalé, il y a la volonté de désengagement financier direct de l’État et partout où il peut y avoir des ressources à la mesure des intervenants privés, des acteurs privés, la direction du Budget y est favorable. Il y a donc conscience des effets pervers, mais aussi volonté d’assurer un seuil critique d’intervention qui a des retombées budgétaires. On ne peut pas opposer l’un et l’autre, il faut la combinaison des deux.

Paul Schwall

3J’interviens sur le thème : « La direction du Budget et les entreprises » en tant qu’ancien chef du bureau des entreprises publiques à la direction du Budget puis directeur Financier d’une entreprise publique, puis contrôleur d’État. Le débat sur les relations direction du Budget et entreprises du secteur public dans les années 1950 ne saurait faire l’impasse sur les décrets de 1953 et 1955 relatifs au contrôle de l’État sur le secteur nationalisé.

4Il est intéressant d’en rappeler les circonstances historiques. L’année 1953 est le début d’une période qui est titrée dans les manuels d’histoire « La droite au pouvoir », Coty républicain indépendant à l’Elysée, Laniel républicain indépendant à Matignon, de juin 1953 à juin 1954, Edgar Faure aux Finances, une majorité droite et centre droit au Parlement. Plusieurs députés s’inquiètent des débordements du secteur nationalisé. Une nomenclature des établissements publics et des participations de l’État de plus de 30 % est exigée par le Parlement. C’est dans ce climat politique que sont nés les décrets de 1953 et 1955. Le premier concerne les tutelles du ministère des Finances et du ministère technique à savoir : contrôle des salaires, autorisation des participations, approbation des prévisions de recettes-dépenses ou EPRD. Le second concerne la codification des contrôles exercés par les contrôleurs d’État. Ajoutons le décret du 30 juin 1955 créant le FDES qui a complété le dispositif.

5On ne peut dissimuler les critiques dont a été l’objet le Contrôle d’État, au point d’en dispenser les nouvelles sociétés nationalisées en 1982, comme celle d’une calamité technocratique. Dans le rapport en 1988 du Haut Conseil du secteur public, on lit « Faute de doctrine, les interventions de l’État deviennent difficiles à expliciter et à légitimer ». Pourtant les trois axes de contrôle retenus par le décret de 1953, qu’il s’agisse des salaires, des participations, des prévisions, se retrouvent également dans tous les groupes privés.

6La Commission des salaires, qui a été créée, par le décret de 1953, s’est avérée utile, efficace. C’était un instrument de gouvernement indispensable pour une maîtrise et une harmonisation des rémunérations et des statuts au sein du groupe d’État.

7Les autorisations de participations, qui avaient été prévues d’abord comme devant être données par décret, sont maintenant accordées par arrêté avec des possibilités de délégation, donc avec souplesse. En 1953 la formule du décret avait été imposée par les ministres qui, sous la pression du Parlement, voulaient tout signer et tout voir. Ce n’est heureusement plus le cas. Quoi qu’il en soit le contrôle des participations des filiales existe dans tous les groupes.

8Il ne reste donc en débat que l’approbation des prévisions annuelles et la présence de ces fameux contrôleurs d’État dans les entreprises publiques. On a eu l’occasion de parler des contrôleurs des dépenses engagées mais il faut aussi peut-être parler des contrôleurs d’État. Ce que je veux dire, c’est que depuis la loi sur la prévention des difficultés des entreprises, du 1^er mars 1984, puis celle sur les comptes consolidés, du 3 janvier 1985, et le développement généralisé dans tous les groupes, privés comme publics, d’un contrôle de gestion interne, il existe désormais des références pour recaler la tutelle de l’Etat sur ce qui est pratiqué dans tous les groupes.

9Ainsi, pour les prévisions de groupe, les comptes prévisionnels sont-ils adressés à la société mère avant le conseil d’administration de la filiale. À ce conseil assiste aussi généralement, pour les participations importantes, un représentant de l’entité dominante.

10Quant aux contrôleurs d’État, je dirai simplement qu’il suffit de noter que tous les groupes privés se dotent d’un système d’alerte avec informations régulières de la société mère et que les contrôleurs de gestion dans tous les groupes sont aussi gourmands d’informations que les contrôleurs d’État dans le secteur public.

11J’en viens à la conclusion. Quelles que soient les critiques portées contre la tutelle de l’État en oubliant trop souvent que c’est la contrepartie d’une assistance tutélaire et, s’agissant de l’État, celle-ci est très sécurisante pour les dirigeants, -je puis en témoigner – il est incontestable que les décrets de 1953 et 1955 méritent une mention spéciale dans l’histoire économique et financière des années 1950.

Jean-Noël Jeanneney

12Je pourrai d’ailleurs à partir d’une période ultérieure, celle des années 1980, témoigner que non seulement on s’accommode fort_fbien dans une entreprise publique, je parle de Radio-France, d’un contrôle d’État, mais qu’on en tire, à partir du dialogue qu’on peut avoir avec lui à condition de l’installer dans la bonne tonalité, d’incontestables profits.

François Caron

13Je n’ai pas fait l’analyse de ces différents décrets, j’ai simplement étudié leur application, et je vais tout à fait dans votre sens. Ce qui est clair, en tout cas dans le rapport sur Gaz de France, c’est qu’il y avait entre les gens qui géraient le Gaz de France et la direction du Budget, un accord absolument parfait. Ils étaient tout à fait d’accord sur les orientations pour lutter contre la tendance à utiliser les tarifs. Et ce qu’a montré M. Berthereau c’est que petit à petit les contrôleurs dans les Charbonnages – c’est ce que j’ai appelé la réaction – avaient fini par être de mieux en mieux écoutés, en particulier dans le domaine des investissements. Ils ont dit « faites attention » et il y a des observations techniques. Par conséquent, je vais tout à fait dans votre sens, cette tutelle a été faite dans un esprit qui n’est pas du tout un esprit de mise sous tutelle au sens négatif du terme mais de participation en quelque sorte à l’amélioration des résultats financiers de l’entreprise sur des bases cohérentes. Au fond, l’entreprise a tout intérêt à avoir des comptes équilibrés puisque ça lui donne l’indépendance.

Jean-Noël Jeanneney

14Comme toujours, la personnalité des protagonistes est aussi de grande importance.

Jacques Delmas

15Je reviens à la question : « La direction du Budget libérale ou planificatrice ? » et je réponds : elle ne peut être que les deux à la fois. « Libérale » pour alléger les charges du budget. « Planificatrice » pour éclairer et baliser l’avenir. Le Budget s’appuie sur le Plan. Le Plan : défini par Pierre Massé – 3^e titulaire du poste – comme un « réducteur d’incertitude ». Or qui, plus que le Budget, a besoin d’un « réducteur d’incertitude » ?

16La preuve. En 1951, dernière année du « Plan de Modernisation et d’Équipement » élaboré en 1946 par Jean Monnet et son équipe, il s’agit de savoir s’il y aura ou non relance de la planification. M. Margairaz a eu raison de citer à ce sujet le rapport Goetze de 1951 optant pour la relance. Mais il est normal de recueillir à ce sujet le sentiment de Monnet lui-même. Auteur de la note qui a lancé l’idée à l’origine, c’est moi qui suis chargé par le ministre (Edgar Faure) de cette mission. Jean Monnet me reçoit en présence de tout son état-major. Sa réponse ne sera donc pas improvisée, mais mûrement réfléchie. Or elle est entièrement négative. Des circonstances exceptionnelles ont justifié en 1945-1946 l’établissement d’un « Plan de Modernisation et d’Équipement ». Sa réussite même rend désormais sa disparition logique. Le « Plan » n’a nullement été conçu à l’origine comme une pièce permanente au service de l’économie nationale en régime de croisière.

17Cela étant, je vous laisse imaginer l’amusement que je peux éprouver aujourd’hui devant certains écrits faisant de Jean Monnet le père fondateur d’une planification permanente. En réalité, Monnet était contre, je viens d’en témoigner. Le Budget, lui, était pour et il eut gain de cause. Il y eut un II^e Plan et quelques autres après.

François Caron

18Je n’ai pas opposé libéralisme et planification, j’ai simplement dit que dans la pensée de la direction du Budget il y avait une vision des mécanismes économiques qui était une vision franchement libérale. C’est le mécanisme des prix qui est constamment mis en avant et un mécanisme conçu comme un mécanisme de marché. Ce n’est pas la subvention. L’idée fondamentale est que les subventions sectorielles créent des distorsions dans le système économique et donc faussent en quelque sorte le fonctionnement des marchés. Et cela je crois que c’est bien une pensée libérale, indépendamment du problème de la planification. On peut faire des prévisions, etc.

19J’ai beaucoup travaillé sur le plan de 1948 de René Mayer et la suite, et je vous pose la question. Est-ce qu’il y a continuité entre cette pensée – René Mayer a supprimé aussi beaucoup de subventions, c’était le principe de la vérité des prix – entre le plan de 1948 et ce qui a été fait alors, et la doctrine de la direction du Budget dans le domaine que j’ai évoqué d’autre part ?

Jacques Delmas

20Nous sommes bien d’accord.

Robert Vaysset

21Lorsqu’à siégé la Commission Rueff-Pinay, à mon poste de chef du bureau des subventions économiques, j’ai été un interlocuteur très sollicité. Plusieurs fois par semaine j’allais exposer les modalités de chacune de ces subventions, ce qui se passerait si on la supprimait, et on allait même quelquefois jusqu’à me demander ce que je pensais. Donc il est bien certain qu’à cette époque la direction du Budget, à l’époque c’était M. Devaux le directeur, a été très associée aux réformes de la Commission Rueff-Pinay.

Robert Lescure

22Je voudrais évoquer le problème des subventions à l’Agriculture, et plus particulièrement le problème auquel la direction du Budget s’est trouvée confrontée à la fin des années 1950. Au début des années 1950, la direction du Budget connaissait essentiellement deux régimes de subventions à l’Agriculture : celui des céréales, pour lequel existait le monopole de commercialisation de l’Office Interprofessionnel ; et celui de la viticulture et de l’alcool, pour lequel existait le régime administratif des contributions indirectes et le régime du Service des Alcools qui était une direction du ministère des Finances. Mais à partir de la deuxième moitié des années 1950 se sont développées des quantités absolument phénoménales d’excédents, d’abord dans le secteur des betteraves, ensuite dans le secteur du lait, de la viande, des fruits et légumes. La direction du Budget se trouvait confrontée à la question de savoir comment maîtriser ces dépenses. On ne pouvait pas bien entendu s’opposer formellement au développement de ces dépenses, encore fallait-il essayer de les maîtriser. Et c’est ce qui a été fait au début des années 1960, un petit peu en dehors de notre période, mais la réflexion a commencé bien entendu à la fin des années 1950. Premièrement a été créé le Fonds d’Orientation et de Régularisation des Marchés Agricoles dans lequel la direction du Budget s’est efforcée d’obtenir une sorte de droit de cogestion sur les différentes interventions, cogestion avec le ministère de l’Agriculture. On ne s’opposait plus aux dépenses d’intervention, on essayait de mieux les maîtriser en participant à la décision.

23Deuxièmement sous l’impulsion de M. de la Genière qui était chef de service puis directeur du Budget, la direction du Budget a été impliquée largement dans la négociation de la politique agricole commune qui était discutée à Bruxelles et notamment du règlement de base appelé règlement financier, pour lequel M. de la Genière s’est battu avec l’appui du Bureau C4 qui lui fournissait bien entendu la matière pour discuter. Ensuite on a participé également au premier règlement d’organisation des marchés. Cela s’est développé au cours des premières années 1960, 1961, 1962, mais c’était déjà en germe dès la fin de la période des années 1950.

François Caron

24Vous soulignez une forte continuité entre les réflexions de la direction du Budget et les réformes qui ont été faites autour de l’année 1960, et je crois que c’est fondamental.

Pascal Griset

25Ma question porte sur le rôle donc qu’aurait pu jouer la direction du Budget pour assister les ministères dépensiers. Pendant les années 1950, l’Administration des Télécommunications mène un gros effort de contrôle des prix par rapport à ses fournisseurs. Est-ce qu’il y avait de la part du ministère des Finances une assistance, une réflexion, pour normaliser cela ?

Guy Vidal

26Je fais appel à mes souvenirs parce que j’ai été titulaire, comme l’on dit au Bureau B2, du Budget annexe des PTT à la fin des années cinquante. Je vais d’abord, si vous permettez, répondre à M. Chadeau, qui s’interrogeait à travers votre étude, sur les raisons de la maigreur des investissements en matière de télécommunications.

27Il faut bien voir que le Budget annexe des Télécommunications était, si j’ose dire, coincé entre la direction du Trésor et la direction du Budget. La direction du Trésor essayait de limiter au maximum le recours à l’emprunt parce que les possibilités de financement n’étaient pas illimitées, et par suite le Budget annexe se trouvait renfermé dans une enveloppe globale. Dans cette enveloppe globale l’essentiel était les dépenses de personnel. La direction du Budget essayait de faire ce qu’elle pouvait pour limiter non pas les hausses générales de rémunérations des fonctionnaires, cela rentrait dans un autre débat ; mais pour limiter une technique très utilisée par le ministère des PTT qui était les transformations d’emplois. Comme on ne pouvait pas augmenter les fonctionnaires, c’est très simple on faisait glisser les gens d’un grade dans un autre, ce qui a entraîné une inflation salariale très importante. Ce qui restait de disponible allait aux investissements, un petit peu pour la Poste et un peu plus pour les Télécommunications. Autrement dit les investissements des Télécommunications n’ont jamais fait l’objet véritablement, pendant cette période, d’une réflexion programmée, c’était vraiment un solde résiduel.

28En outre dans l’esprit de beaucoup de gens, il faut bien voir que le téléphone c’était un « gadget pour parisiennes désœuvrées », ce n’était pas du tout un instrument économique. Il faut se replacer dans l’état d’esprit de l’époque ; on ne considérait pas que les investissements de télécommunications étaient un investissement majeur et indispensable au développement du pays. Donc, par conséquent, on faisait des investissements mais dans la mesure où on avait l’argent.

Jean-Noël Jeanneney

29Vous nous donnez deux types d’explication à ce retard du téléphone : une plutôt technique qui tient finalement à la nature de l’organisation administrative et une raison politico-psychologique.

Guy Vidal

30Je dirai que la raison politico-psychologique évitait d’avoir des remords.

Jean-Noël Jeanneney

31Mais que s’il y avait eu une volonté politique forte comme dans d’autres pays on aurait probablement bousculé les effets des structures spécifiques de l’Administration.

Guy Vidal

32Oui, mais je crois que les ministres des PTT étaient beaucoup plus préoccupés par le calme de l’ensemble des effectifs que par les investissements en matière de télécommunications.

Pascal Griset

33Sur le problème de rémunérations justement, est-ce que vous aviez conscience des difficultés pour les centres de recherche, je pense au CNET notamment, pour embaucher des ingénieurs de haut niveau en raison du blocage des rémunérations ?

Guy Vidal

34Tout à fait, mais le CNET bénéficiait, autant que je me souvienne, de systèmes tout à fait dérogatoires. Il avait droit à des contrats, peut-être Robert Lescure s’en souvient mieux que moi, mais le CNET avait un certain nombre de possibilités pour recruter des gens dans des conditions un petit peu hors normes.

35Pour revenir au problème de l’industrialisation, même si c’est un peu postérieur, il y a eu un rapport rédigé par le Sénateur Pellenc, qui est une comparaison des résultats obtenus en matière d’exploitation du téléphone entre le téléphone suédois et le téléphone français. Il prouvait à l’évidence que le téléphone français avait un retard considérable, mais c’est plus tard.

Hélène Eck

36En ce qui concerne la radio-télévision, ce que l’on peut observer conforte ce que vient de dire M. Vidal, c’est-à-dire qu’à partir du moment où l’analyse qui est faite d’un secteur l’est en termes de gadget, pour aller vite, il est évident que les budgets sont complètement sacrifiés. Ceci explique que ce sont les écisions prises par la direction du Budget entre 1947 et 1949-1950 qui ont permis à la France d’accumuler une quinzaine d’années de retard en matière de télévision.

37Je note en revanche que, au moment où le ministère de la Défense intervient dans le processus de négociation parce que les entreprises intéressées aux recherches électroniques sont menacées plus ou moins de faillite, – c’était notamment le cas de l’entreprise la Radio-Industrie – à ce moment-là, restriction gouvernementale ou non de la direction du Budget, on accorde les investissements nécessaires. C’est dire que effectivement, le problème du choix se pose bien en termes politiques puisque c’est sur l’intervention du ministère de la Défense qu’on va débloquer un certain nombre de choses, parce qu’il s’agit de venir au secours d’industries dont l’armement a besoin. Il s’agit donc véritablement d’une décision proprement politique.

Un intervenant

38Ce n’est pas à la direction du Budget d’aller au-delà de l’impulsion politique. Je veux dire que lorsqu’il y a un problème qui se pose entre la mission qui est celle de la direction du Budget et un impératif politique, c’est au politique à faire ce qu’il faut pour que la direction du Budget (applique la décision). Comme disait Monsieur tout à l’heure, le ministre a toujours raison.

Hélène Eck

39En 1949 la direction du Budget ce n’était pas M. Goetze, c’était Didier Gregh. Nous parlions ce matin de la qualité des interlocuteurs, de leur combativité or la direction du Budget avait en face d’elle non pas seulement le directeur de la Radio, qui était Wladimir Porché, qui n’était pas sans être combatif, mais surtout François Mitterrand qui était quand même quelqu’un déjà d’assez pugnace. Or, malgré les demandes réitérées de François Mitterrand, c’est la direction du Budget qui a eu gain de cause. Je ne sais pas pourquoi mais je veux dire que la volonté politique était là. Alors pourquoi est-ce que le président du Conseil n’a pas tranché ? C’est une question dont malheureusement je n’ai pas la réponse, j’aurais bien aimé d’ailleurs l’avoir. Mais il est de fait que la volonté politique y était et l’insistance politique également.

Pierre Cortesse

40On n’a pas répondu à la question qui a été posée sur planification et économie libérale. Il est évident que si on considère la planification comme un système de régulation de l’économie centralisée, elle est difficilement compatible avec un système de marchés qui suppose une régulation décentralisée : c’est assez simple. Mais ce n’est pas cet aspect théorique qui me préoccupe, c’est le problème suivant : les orateurs précédents ont parlé assez fréquemment du problème des prix mais d’une manière allusive. À la question que je me pose, je n’ai pas de réponse, j’étais pourtant un acteur à cette époque. Je ne m’occupais pas des secteurs économiques, je m’en suis occupé après et j’ai une réponse pour la période postérieure à 1960 mais pas pour celle des années 1950. Il me semble qu’à cette époque l’Administration ne dispose pas d’un instrument d’analyse qui permettrait au pouvoir politique de choisir entre le système qu’il a retenu, un système de planifications dans lequel tous les marchés sont contraints : le marché des capitaux est contraint par le rationnement du crédit, le marché du travail par la législation et le marché des biens et services par la réglementation des prix, et un système dans lequel il y aurait une liberté des prix et éventuellement du crédit. Rappelons que les Allemands ont fait un choix totalement différent du nôtre ; nous ne disposons pas en France à cette époque de l’outil technique, qui permettrait soit au SEEF, soit à une autre direction de dire : voilà ce qui se passerait si on libérait complètement les prix. Donc le Gouvernement jusqu’en 1967, où les prix ont failli être libérés mais il y a eu 68 ensuite, ne va pas oser libérer les prix, parce qu’on lui dit si vous libérez les prix, vous allez avoir une inflation considérable.

41La question que je me pose est la suivante : comment était effectué cet arbitrage entre subventions, prix et crédits dans les années 1950 ? À l’intérieur du ministère qui avait ces trois directions entre les mains (Budget, Trésor, Prix) ? Sur quelles bases s’effectuait cet arbitrage ? Je me tourne vers les historiens, je crois que c’est vraiment un problème fondamental.

François Caron

42La lecture des documents montre que c’est vraiment une politique de l’indice. On prend l’indice des 213 articles. M. Lescure dit dans son témoignage : « Ma mission avant 1958 était de dire au Gouvernement, si vous faites une subvention de tant à tel produit ça permettra de réduire de tant... ».

43Il y avait deux catégories de prix dans l’ensemble du marché, ceux qui avaient une influence sur le 213 et ceux qui n’avaient pas d’influence sur le 213. Alors on subventionnait ceux qui avaient de l’influence sur le 213. C’est une extravagance économique et je crois que la direction du Budget avait une parfaite conscience que c’était une extravagance économique. C’étaient les politiques qui étaient responsables à mon avis.