Le bureau des subventions économiques
p. 771-776
Texte intégral
1Je suis né en 1928 à Roanne (Loire) dans un milieu modeste (employés, agriculteurs), enraciné dans la province (Auvergne, Forez, Beaujolais).
2En 1945, après le baccalauréat (Latin-Grec et Philo-Lettres), intéressé par les questions institutionnelles en cette période de renaissance de la démocratie, j’entreprends des études de droit à Lyon et passe le concours de surnuméraire de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et du Timbre. Aucun membre de ma famille n’était fonctionnaire, mais cette Administration offrait alors des facilités financières aux étudiants qu’elle recrutait et venait d’ouvrir à Lyon un Centre de Formation. J’y entre donc un peu par hasard, presque en voisin.
3En 1948, nanti d’une licence en droit et nommé inspecteur-adjoint des Impôts, je fais mon service militaire en Allemagne, à l’issue duquel j’exerce, pendant quatre ans, les fonctions d’inspecteur-adjoint des Impôts dans différents bureaux d’enregistrement dans le département de la Loire, ainsi qu’à la direction départementale.
4Les perspectives de carrière à la direction générale des Impôts s’étant fortement détériorées du fait de nouvelles règles d’accès au grade d’inspecteur principal, je suis conduit, comme de nombreux collègues, à chercher à quitter cette administration en préparant le concours d’entrée à l’École nationale d’Administration.
5Admis à l’ENA en 1953, stagiaire au Maroc en 1954, je sors de l’École en 1956, avec la possibilité de choisir le ministère des Finances. J’aurais sans doute été bien accueilli à la direction générale des Impôts, mais, désireux de changer d’air, je choisis la direction du Budget, un peu arbitrairement, ou plus simplement parce que cette direction, avec celle du Trésor, était considérée comme la plus intéressante.
6Entré au Budget le 1er août 1956, je me présente aux différents sous-directeurs et marque mon intérêt pour la sous-direction chargée des personnels civils et militaires (PCM) dont les aspects juridiques me paraissent proches de ceux de mes activités passées. Il en est décidé autrement par les autorités de la maison et je suis affecté au bureau C4 « Subventions économiques ».
7C’est au bureau C4 que je travaille comme administrateur de 1956 à 1963. Envoyé en 1964, par mon directeur, au Cabinet du ministre des Finances (M. Giscard d’Estaing), j’assiste le responsable des affaires budgétaires et m’occupe en particulier des questions de fonction publique.
8Je reviens en avril 1965 à la direction du Budget, sous-direction PCM, et suis nommé chef du bureau F1 (Affaires générales et pensions) le 1er novembre 1965.
I. LES HOMMES ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL
9Le 1er août 1956, je suis très bien accueilli au bureau C4 par le chef de bureau, M. Casenave, qui m’installe dans une pièce où travaillent trois autres personnes (1 de C4 et 2 de C3). Il me faut une table-bureau, un fauteuil, un fauteuil « visiteur », une table de décharge et une lampe de bureau. Cette panoplie standard est commandée par M. Casenave au Service du Matériel. Tout arrive, sauf la lampe de bureau. M. Casenave s’étonne : il lui est répondu qu’il ne reste plus en stock que des « lampes de chef de bureau ». M. Casenave insiste, et c’est ainsi que j’ai le « privilège » de disposer, modeste administrateur, d’une lampe de chef de bureau !
10Cette anecdote montre que les conditions matérielles de travail sont loin d’être confortables, mais les rapports personnels sont excellents avec les autres membres du bureau.
11Le bureau C4 n’a pas d’attachés et ne comporte, outre son chef, que trois administrateurs (1 énarque, 2 « ancien recrutement »). Je suis ajouté à cette équipe comme quatrième administrateur. L’un des administrateurs « ancien recrutement », chargé entre autres, du secteur des produits végétaux, est mon « mentor ». Je lui succède quelques mois après, lorsqu’il quitte le bureau C4 pour le bureau C3. Mais dès les premières semaines, je participe à des réunions d’arbitrage à Matignon, accompagnant notamment un membre du Cabinet pour une affaire de subventions aux exportations de farines en Afrique occidentale.
12Les affaires du bureau « Subventions économiques » concernent trois grands secteurs : produits végétaux (céréales, vins, sucres, alcools), produits animaux (lait, viandes), produits industriels (charbons d’importation, interventions sociales européennes dans les secteurs du charbon et de l’acier, navigation sur le Rhin, construction navale). Personnellement, je suis chargé, au départ, des produits végétaux, plus tard des produits animaux et, par ailleurs, des questions charbonnières et connexes.
13L’activité varie selon les saisons en ce qui concerne les produits agricoles (période de fixation des prix de campagne, organisation des débouchés des récoltes excédentaires, etc.), mais aussi en fonction des phases de la procédure budgétaire (perspectives de début d’année, conférences budgétaires, réponses aux questions des Assemblées, débats parlementaires).
14Le bureau C4 s’occupe directement du chapitre « fourre-tout »« Subventions économiques » inscrit au budget des Charges communes, mais est également compétent, en liaison avec le bureau B2, pour d’autres dépenses inscrites au budget du ministère de l’Agriculture (matériel agricole, lutte contre les épizooties, services phytosanitaires, modernisation des méthodes de culture, etc.) ou au budget du ministère des Transports (construction navale). Il donne aussi avis au bureau C2 chargé des départements d’outre-mer (production de canne à sucre) ou au bureau C3 chargé des Charbonnages.
15Le bureau C4 n’intervient dans les conférences budgétaires que pour donner son avis sur des points particuliers. Les administrateurs responsables d’un secteur sont en rapport quotidien avec le chef de bureau qui coordonne leur activité, vise et éventuellement corrige leurs projets de lettres ou de notes, de manière plus espacée avec le sous-directeur, et très rarement avec le chef de service ou le directeur. C’est le directeur, le chef de service et le sous-directeur qui ont délégation de signature du ministre.
16Les relations du bureau C4 avec les autres bureaux ou sous-directions se concrétisent par la double procédure de la communication pour visa des projets de lettres et par l’envoi, pour information, d’une copie des lettres signées.
II. L’ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LES RESPONSABILITÉS DU BUREAU DES SUBVENTIONS ÉCONOMIQUES
17Le bureau C4 ne prend pas, à proprement parler, de décisions. C’est plutôt un état-major qui, pour les matières dont il s’occupe, informe sa hiérarchie et le ministre de l’évolution des situations économiques et prépare les décisions que le ministre des Finances sera appelé à prendre avec ses collègues, en particulier celui de l’Agriculture.
18L’action du bureau C4 est une action d’influence reposant sur une connaissance aussi bonne que possible des secteurs économiques de son ressort. Ce bureau a aussi un rôle important de représentation dans différentes instances administratives interministérielles ou organismes professionnels (Office des céréales, Institut des vins, Groupement de la betterave et de la canne, Caisse de compensation des prix des combustibles minéraux solides, Conseil d’administration du Service des Alcools, Commission d’attribution des aides à la construction navale, Centre du machinisme agricole, Comité de gestion pour l’aide aux victimes de calamités agricoles, etc.).
19Le bureau C4 est rarement l’initiateur d’une politique mais il peut s’efforcer d’infléchir les décisions, pour des motifs de rigueur budgétaire, développant un point de vue différent, par exemple, de celui de la direction des Prix (soucieuse de limiter la hausse des prix) ou de la direction des Relations économiques extérieures (soucieuse de combler le déficit de la balance commerciale).
20Pour remplir son rôle, le bureau C4 est en rapport fréquent avec d’autres directions ou services du ministère des Finances (direction des Prix, INSEE, Service des études économiques devenu direction de la Prévision, direction de la Comptabilité publique (certaines aides au sucre), direction des Relations économiques extérieures, contrôleurs financiers ou contrôleurs d’État des organismes cités plus haut, direction du Trésor (calamités agricoles, comptes spéciaux tels que celui des charbons sarrois), direction générale des Impôts (régime de la viticulture), avec d’autres ministères (essentiellement Agriculture), mais aussi Industrie (charbons), Marine marchande (construction navale), Travail (aides de la Haute Autorité de la CECA), Départements d’outre-mer (sucre de canne).
21Le bureau C4 se trouve à un carrefour où se croisent diverses politiques d’intervention économique. Il s’efforce de plaider pour un maximum de cohérence. Ainsi le bureau C4 fait valoir, à un moment donné, que la subvention au matériel agricole est versée dans un nombre limité de départements sans correspondance avec les niveaux de revenus des agriculteurs. Cette étude plaidera en faveur de la suppression ultérieure de cette subvention.
22Le bureau C4, pour les matières de son ressort, prépare les réponses aux questionnaires des Commissions des Finances des Assemblées (en particulier pour le chapitre « Subventions économiques » qui est peu ou pas détaillé dans le « bleu »), aux questions écrites et orales des parlementaires.
23Le bureau C4 participe à de nombreuses réunions au Cabinet du ministre avec les conseillers techniques ou chargés de missions. Un administrateur du bureau C4 peut être désigné comme commissaire du Gouvernement pour un débat budgétaire. Ce fut, par exemple, mon cas dans un débat où le secrétaire d’Etat au Budget fut interrogé sur la situation du marché des céréales à la suite du gel de l’hiver 1956 qui avait détruit la récolte de blé, entraîné la nécessité d’importations subventionnées pour la fabrication du pain et une récolte pléthorique d’orge, ensemencée au printemps en remplacement des blés détruits. Le secrétaire d’Etat se servit, pour répondre à ses interpellateurs, de la note que j’avais préparée sur le sujet, notamment sur les possibilités d’écoulement de l’orge pour l’alimentation du bétail.
24Les administrateurs de C4 côtoient, bien entendu, les professionnels patronaux et syndicaux dans différentes instances (commissions, conseils d’administration). Ils les écoutent. Ils leur font valoir le point de vue du Budget ou, plus largement, des Finances. Ils ne négocient pas avec eux, et demeurent sur le plan technique. La règle, aux Finances, est en effet que les prises de position politiques sont du ressort du ministre et de son cabinet : tout représentant d’un lobby prenant contact avec le Budget, est aiguillé vers le Cabinet du ministre.
III. TÉMOIGNAGES SUR LES ÉVÉNEMENTS ET LES PERSONNES QUI ONT PU CONTRIBUER À DONNER À LA DIRECTION UN RÔLE DÉTERMINANT DANS LES PRISES DE DÉCISION
25À mon niveau modeste d’administrateur, les changements intervenus dans les institutions en 1958 n’ont pas été très sensibles. Je note, cependant, que, de 1956 à 1960, j’ai connu six ministres des Finances (Ramadier, Félix Gaillard, Pflimlin, Edgar Faure, Pinay, Baumgartner) et trois secrétaires d’État au Budget (Filippi, J.R. Guyon, Giscard d’Estaing), ce qui signifiait généralement, lors de chaque changement, la nécessité de nouer des contacts avec de nouvelles équipes de conseillers du ministre, souvent fort compétents, mais parfois peu sensibles, au moins au départ, aux contraintes budgétaires. Je me souviens, à cet égard, des discussions difficiles, en 1957, au sujet de l’indexation des prix agricoles et du choix des paramètres à retenir pour cette indexation (prix de détail, prix des produits nécessaires à l’agriculture...).
26La stabilité ministérielle à partir de 1958 a facilité, par la suite, les rapports du bureau C4 avec des conseillers eux-mêmes stables et avec qui il a été possible d’établir des rapports plus confiants et plus coopératifs. En sens inverse, des conseillers très stables ont pu avoir tendance à court-circuiter le Budget, mais ce fut rare.
27Les politiques économiques suivies par les différents ministres ont eu, par ailleurs, des incidences sur le travail même du bureau C4. Je me souviens notamment de la politique suivie en 1956-1957 par M. Ramadier en vue de peser sur l’indice des prix en subventionnant ou en détaxant tels ou tels produits retenus pour le calcul de l’indice de l’INSEE, qui était moins perfectionné, à l’époque, que les indices actuels. En liaison avec l’INSEE, la DGI et la direction des Prix, j’étais devenu l’expert recherchant parmi les produits envisagés quels étaient les moins coûteux en millions de francs par dixième de point d’indice. Le vin de consommation de 9 0 « à la tireuse » ou la viande de porc étaient coûteux, la subvention au gaz de ville dans la seule région parisienne était, au contraire, un instrument merveilleusement économique, mais qui relevait d’une manipulation quasiment ubuesque !
28En 1958-1959, les travaux de la Commission Rueff chargée de trouver des économies et de supprimer des rigidités, allaient fournir au bureau C4 une occasion de faire des propositions d’économies. C’est M. Vaysset, alors chef du bureau C4, qui joua, dans cette affaire, un rôle important. Plusieurs propositions furent préparées par le bureau C4. En ce qui me concerne, je fus, notamment, heureusement surpris de voir figurer en tête des articles de la loi de finances mettant en œuvre les mesures Pinay-Rueff, une disposition supprimant les subventions aux plantations d’oliviers créées après le gel catastrophique de l’hiver 1956.
29Pour essayer d’apprécier de quelle manière la direction du Budget a pu imprimer sa marque au cours de la période 1956-1959, je suis amené à effectuer un bref survol rétrospectif sur l’ensemble de mon expérience dans cette direction.
30Mon activité à la direction du Budget peut être divisée en trois périodes :
- 1956-1963 : problèmes économiques essentiellement dans le domaine de l’Agriculture ;
- 1964-1976 : problèmes de fonction publique ;
- 1976-1983 : problèmes de régulation des dépenses publiques au niveau des contrôles financiers (Intérieur, Equipement-Logement).
31Dans le domaine de l’Agriculture, les changements intervenus, entre 1956 et 1963, dans l’activité de la direction du Budget, et particulièrement pour le bureau C4, ont tenu essentiellement à l’évolution de l’agriculture elle-même (augmentation considérable de la production et des excédents très coûteux à éliminer (distillation par exemple) ou à exporter, bouleversement des structures et du nombre des exploitations sous l’effet du développement de la productivité des cultures et de la mécanisation) et à la création d’une politique d’organisation des marchés des produits, tant au niveau intérieur (création du Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles FORMA) qu’au niveau européen (préparation puis début de mise en œuvre d’une politique agricole commune dans le cadre du Traité de Rome de 1957).
32La stabilité ministérielle à partir de 1958 a donné, par ailleurs, à la politique agricole du Gouvernement une continuité remarquable, en lien avec une profession assez bien organisée.
33Dans ce cadre nouveau, à la fois économique, financier, institutionnel, l’activité du bureau C4 était devenue plus complexe, plus difficile, plus insérée dans les structures de décision, ce qui impliquait à la fois l’impossibilité d’un rôle solitaire de « couperet », mais, en revanche, un rôle d’influence assez fort (FORMA, négociations de Bruxelles).
34S’agissant du domaine de la fonction publique, je crois que dans les années cinquante, le rôle de la direction du Budget restait très traditionnel, avec prédominance des discussions bilatérales entre le PCM et les ministères dépensiers. C’est du moins ce qui ressort des archives relatives à cette période que j’ai eu à consulter pour mon travail dans cette sous-direction entre 1965 et 1976.
35Ce n’est qu’à partir des années 1960 que les discussions ont pris, en la matière, un caractère de plus en plus interministériel, du fait du rôle accru des confédérations syndicales, de la montée en puissance de la direction de la Fonction publique et de la continuité de l’action gouvernementale.
36Dans ce contexte nouveau, la direction du Budget (et plus particulièrement le PCM) a perdu une partie de sa latitude d’action en matière indiciaire et statutaire, mais conservé un pouvoir plus grand dans le domaine indemnitaire.
37En ce qui concerne, enfin, le problème général de la procédure budgétaire, je suis arrivé au Budget au moment où l’ordonnance de 1956 venait d’entrer en vigueur. Les moyens que ce texte apportait à la direction du Budget étaient pour moi une donnée déjà vivante et je ne suis pas en mesure d’apprécier le changement par rapport à la période antérieure.
38Il en va de même pour l’ordonnance de 1959, à la préparation de laquelle je n’ai pas participé, et qui m’est apparue, à l’époque, comme un perfectionnement du texte précédent. Elle donnait plus de pouvoir à la direction du Budget pour faire écarter les propositions de dépenses nouvelles des parlementaires et rationalisait, dans l’ensemble, la procédure budgétaire : préparation, vote, exécution du budget (répartitions, transferts, virements, reports, etc.).
39Ce qui a été plus sensible, pour moi, surtout par la suite en tant que contrôleur financier, dans les années 1976-1983, c’est la mise en œuvre de la procédure de régulation des dépenses budgétaires qui s’est traduite par une forte emprise de la direction du Budget sur les ministères dépensiers.
40Ce système de régulation me paraît marquer le summum du pouvoir de la direction du Budget, pouvoir peut-être excessif et qui me semble devoir être réexaminé, dans le contexte du développement envisagé de la déconcentration, tant il est vrai que la combinaison régulation-déconcentration, à coup sûr difficile, ne doit pas conduire à un système dont la complexité trop grande nuirait à l’efficacité.
Auteur
Administrateur civil au bureau des subventions économiques de 1956 à 1964, fut par la suite chargé de mission (questions budgétaires) de 1964 à 1965 au Cabinet du ministre des Finances, chef du bureau F1 (problèmes généraux de la fonction publique, rémunérations et pensions) de 1965 à 1967, chef du bureau F2 (statuts et classements indiciaires des fonctionnaires civils) de 1967 à 1971, sous-directeur de la 2e sous-direction (personnels civils et militaires : PCM) de 1971 à 1976, contrôleur financier près le ministère de l’Intérieur (1976-1978), puis près les ministères de l’Équipement et du Logement, des Transports et de l’Environnement (1978-1983) et conseiller-maître à la Cour des comptes à la 5e chambre (organismes de Sécurité sociale, entreprises publiques : sidérurgie et Renault) de 1983 à 1991.
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