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La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?

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Nathalie Carré de Malberg

V. La direction du Budget, les ministres et l’administration des Finances et des affaires économiques de 1949 à 1957 : le tournant Keynésien

Gilbert Devaux et la direction du Budget en 1956 : un état d’esprit commun ?

Philippe Masquelier

Texte intégral

Introduction

  • 1  On se référera sur ce sujet à l’article 374 du titre III du décret de 1862 et à « L’histoire de la (...)
  • 2  En 1891, Étienne Dubois de l’Estang souligne ce caractère de totalité intégrée propre à la Comptab (...)
  • 3  Ibid., p. 60.
  • 4  Ibid., p. 66 et 75.

1En 1862, le décret impérial du 31 mai récapitule les pratiques de finances publiques développées depuis la Restauration. Il dégage les grands axes du système financier de la France mis en place par le marquis d’Audiffret : comptabilité législative, comptabilité administrative et comptabilité judiciaire. Le Budget apparaît alors sur le plan de la structure administrative et de la réglementation financière comme un simple élément de l’ensemble régi par les règles de la Comptabilité publique et actionné par la direction de la comptabilité générale des Finances1. La Comptabilité publique en tant qu’administration et en tant que réglementation est originellement destinée à former un tout2. Mais ce bloc au fur et à mesure du temps se modifie, se métamorphose et se délite. En 1919, la direction générale de la Comptabilité publique est démembrée au profit de son bureau du Budget qui devient une direction à part entière. Les bureaux restant sont alors regroupés au sein d’une nouvelle direction de la Comptabilité publique à laquelle est attribuée, en 1923, la gestion directe de l’ensemble du réseau des comptables publics3. Ces deux administrations nouvelles demeurent l’une et l’autre les héritières du décret de 1862 et leur frontière commune reste assez mal définie4. Pourtant le rôle grandissant de l’État dans l’économie, d’abord pendant l’entre-deux-guerres, mais surtout depuis 1945, joint à la nécessité d’exercer un contrôle direct sur les ministères dépensiers donnent très rapidement à la direction du Budget le lustre que nous lui connaissons. Parallèlement, sur la même période, tout en rénovant ses structures, en actualisant ses procédés, en s’adaptant aux techniques comptables nouvelles, en intégrant la gestion d’un personnel nombreux, la direction de la Comptabilité publique demeure plutôt dans l’esprit des conceptions traditionnelles et surtout juridiques de l’ancien système financier de la France.

2En janvier 1957, Gilbert Devaux a déjà sur presque quinze années élaboré, promu et mené les réformes propre à la Comptabilité publique (de 1935 à 1939, puis de 1948 à 1956). Durant huit ans, de 1949 à 1956, il dirige cette administration. La carrière, la formation, l’action et la pensée de Gilbert Devaux sont profondément marquées par la Comptabilité publique. C’est notamment à partir de cette matière qu’il développe un état d’esprit spécifique, qu’il ravive un point de vue, à l’époque déjà peu fréquenté et largement occulté depuis, sur l’organisation des Finances publiques et qu’il engage, mais sans finalement aboutir, une réforme de fonds de son administration. Son ouvrage sur la Comptabilité publique témoigne de cet état d’esprit, exprime ce point de vue et justifie la réforme qu’il a tenté. On y trouvera la trace d’une certaine conception des finances publiques dominée par le souci de la règle et la volonté de cohérence doctrinale. Cette conception est représentative du rattachement traditionnel des finances publiques au droit. Elle est aussi symptomatique de l’attachement de son auteur à l’ancien système financier de la France. Mais elle propose surtout une synthèse actualisée de ce système en même temps qu’elle ouvre une perspective de rénovation de celui-ci.

3Il n’est pas certain qu’une telle conception soit compatible avec le développement de l’intervention de l’État dans l’économie auquel la direction du Budget est confrontée. Il n’est pas certain non plus que cette vision des finances publiques soit en phase avec la réalité de fonctionnement de la direction du Budget. Il n’est pas certain enfin que la pensée de Gilbert Devaux telle qu’elle s’est développée depuis 1935, coïncide avec l’état d’esprit de la Direction tel qu’il s’est forgé depuis 1919. En d’autres termes la culture dont Gilbert Devaux est porteur entre-t-elle en résonance avec celle de la Direction dont il prend la tête en 1957 ?

4Il ne nous appartient pas dans les lignes qui suivent d’apporter une réponse mais de souligner les raisons qui nous amènent à poser cette hypothèse et, par là à titre prospectif, d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches. Un tel questionnement n’est pas sans enjeu : Gilbert Devaux, en tant que directeur du Budget de 1957 à 1960 est l’auteur principal de la loi organique du 2 janvier 1959 et le premier artisan de sa mise en application. Plus généralement ce questionnement est, croyons-nous, l’occasion, sur le plan de l’histoire de l’administration des Finances, de mieux prendre conscience de la distance, sinon de la contradiction, entre une conception plutôt traditionnelle des finances publiques dominée par une optique régalienne de l’État-gendarme et une orientation nouvelle de l’État comme acteur déterminant de la vie économique de la Nation. Il est l’occasion de s’interroger sur l’existence dans les années 1950 d’un possible hiatus entre deux conceptions de l’intérêt général et du rôle de l’État. L’une serait le prolongement du rôle traditionnel, administratif du ministère des Finances dont l’horizon serait limité à l’État et l’Administration, l’autre la manifestation d’une orientation nouvelle des Finances publiques en direction de l’économie comprise dans les limites de la Nation.

5Présenter l’homme et sa formation jusqu’à sa prise de fonction au Budget, resituer la place de la direction de la Comptabilité publique après 1945, dégager, à partir de son ouvrage, les points majeurs de la pensée de Gilbert Devaux en 1956 et tenter de déceler le regard qu’il porte alors sur la direction du Budget en répertoriant les problématiques, les analyses ou les témoignages qui concernent au sens large cette administration : tel est notre projet.

I. GILBERT DEVAUX EN 1956 : PORTRAIT ESQUISSE

6Deux personnalités également ignorées du grand public ont particulièrement marqué la Comptabilité publique française. À presque un siècle de distance le marquis d’Audiffret et Gilbert Devaux ont pensé et repensé cette Administration. Ils en furent chacun à leur époque les théoriciens et les praticiens avertis. Leurs écrits à tous deux en témoignent. Tous deux passionnément réformateurs, centralisateurs, avides de clarté, soucieux par-dessus tout de l’intérêt général ont consacré leur vie à défendre une certaine conception du sens de l’Etat.

  • 5  Ce portrait est en réalité un autoportrait : il est esquissé pour l’essentiel à partir du plan dét (...)

7Réhabilité à son retour de Londres après avoir été indûment condamné pour détournement de fonds en 1940, nommé directeur de la Comptabilité publique en 1949 puis du Budget en 1957, inspecteur général des Finances, Gilbert Devaux a connu un destin singulier. Même s’il place sa carrière sous le signe de l’aventure5, rien ne le prédisposait à de tels avatars.

  • 6  On trouvera la trace de cette amitié dans l’ouvrage de Jean-Claude Allain Joseph Caillaux, l’oracl (...)

8Gilbert Devaux est né à Neuilly-sur-Seine. Son père, d’une famille d’instituteurs, est médecin psychiatre. Il dirige une clinique réputée où séjournent plusieurs personnalités du monde artistique et politique. Joseph Caillaux en 1919, lors de la dernière période de son procès en Haute-Cour, est de ses patients avant de devenir un ami intime6. La mère de Gilbert Devaux appartient à une famille aisée d’armateurs protestants de la Baltique. Il a trois ans lorsqu’elle disparaît. Fils unique, il grandit, selon ses propres termes « dans un certain luxe, mais aussi dans un certain isolement ». Évoquant son père, sa belle-mère et lui-même, il estime que « le meilleur de notre vie était « au-dehors » : « mon père sa clientèle, ma belle-mère sa famille et moi mon lycée ». Cette absence relative de foyer a, selon lui, « probablement développé ses facultés de concentration et de ténacité silencieuse ». Elle ne l’empêche pas d’acquérir dans de très bonnes conditions de confort la culture générale dont il a besoin. Musset, Hugo, Flaubert, Maupassant, Balzac, Tolstoï et d’une manière générale les auteurs du xixe siècle alimentent l’essentiel de ses lectures. Titulaire d’un baccalauréat latin-grec, latin-science et philosophie, Gilbert Devaux se sent une vocation pour la carrière médicale. Son père s’y oppose. Il s’efforce sans succès de l’orienter vers l’École des chartes. Un modus vivendi est trouvé. Gilbert Devaux, « afin de préserver l’avenir jusqu’à sa majorité », accepte de poursuivre pendant trois ans des études de culture générale. Une licence libre de littérature française et de psychosociologie en même temps qu’une licence en droit et deux diplômes d’études supérieures en droit administratif et en économie politique constituent un premier bagage.

9Nous voici en 1929 : Gilbert Devaux obtient alors un poste de stagiaire auprès de M. de Chalendar, inspecteur des Finances et attaché financier à Londres. Il est pendant dix-huit mois chargé de rédiger la « lettre de presse quotidienne » adressée au directeur du Mouvement général des fonds sur l’évolution de la conjoncture dans la « City » et plus généralement sur l’évolution économique mondiale vue de la « City ». Il assiste ainsi au développement de la crise des années trente. Jusqu’alors, l’inspection des Finances n’était connue de Gilbert Devaux que par l’intermédiaire du personnage quelque peu légendaire de Joseph Caillaux, lui-même originaire de ce corps. A son retour, poussé par Chalendar et Rueff, il envisage de présenter le concours de l’Inspection. Son père, finalement convaincu par Joseph Caillaux, accepte de lui donner son appui. Après une première tentative infructueuse, Gilbert Devaux réussit le concours en binôme avec Dominique Leca, vieux camarade de Lycée.

10Suivent deux années de « tournée » qui lui permettent de découvrir la province, « ses traditions saines, son équilibre profond – avec les rouages de l’administration locale – leur solidité, leur efficacité, leur extraordinaire « disponibilité ». Il souligne le côté paradoxal de cette expérience : « Nous pénétrons seuls dans des services d’une extraordinaire diversité (perceptions, droits indirects, douanes, domaines, PTT, manufacture de tabac, etc.) dont nous connaissons à peine le nom et la fonction. Nous consultons d’épais et mystérieux registres et après quelques jours – parfois quelques heures – nous devons, par écrit, informer le responsable, technicien éprouvé qui a l’âge de notre père, des erreurs qu’il a commises, des lacunes de sa gestion et des progrès qu’il peut accomplir. » Ces deux années de tournée sont également l’occasion, selon sa propre expression, de rôder son instrument de travail. Voici en quoi consiste ce rodage : « En abordant les problèmes économiques, financiers, administratifs d’un œil neuf, en dégageant clairement leur signification et leur aspect le plus simple, en faisant appel à notre imagination et à notre bon sens (...) nous avons plus de chance de parvenir à une solution qu’en invoquant l’expérience et les subtilités de la réglementation. » Fort de cette imagination et de ce bon sens, Gilbert Devaux se lance dans l’aventure, individuelle et collective.

  • 7  Ce moment de la carrière de Gilbert Devaux est également évoqué par Jean-Claude Allain, op. cit., (...)
  • 8  Note pour la direction de la Comptabilité publique du 19 juin 1935, signée par l’inspecteur généra (...)
  • 9  D’après Pierre Pépin, dans « Les décrets de 1953 sur la responsabilité des comptables publics », L (...)
  • 10  On lira sur ce point Jean-Claude Allain, op. cit., le chapitre XV (p. 396 à 465), intitulé « le me (...)

11Il amorce alors un parcours qui, jusqu’en 1939 alterne entre le monde politique et le monde administratif pur. En 1934 il est mis à disposition auprès de la commission des finances du Sénat, présidée par Joseph Caillaux7 ; c’est ce qu’il appelle son premier départ politique. En 1935, premier départ administratif : il entre à la direction de la Comptabilité publique à la demande de M. Bizot, inspecteur des Finances, qui en est le directeur. Il est recruté pour « une période qui ne devra pas dépasser trois mois8 » afin d’achever la réforme de la Comptabilité publique. Il restera quinze ans dans cette administration. Très vite Gilbert Devaux s’attache à la Comptabilité publique : il évoque à son propos « les racines au sein de la rue de Rivoli » et « La séduction de la grande mécanique » qu’il s’efforce constamment de perfectionner. Il est à l’origine des premiers tableaux de bord comptables qui permettent à l’administration des Finances de connaître régulièrement la situation financière de l’État. Il devient rapidement un excellent connaisseur de la technique comptable au sein du secteur public. Il participe à la mise en œuvre de l’un des nombreux décrets-lois du 30 octobre 1935, autorisant la réalisation par décrets de certaines réformes comptables. Ces réformes étaient destinées à simplifier les opérations des comptables publics, à permettre une présentation plus claire ou plus rapide des comptes du Trésor, à renforcer le contrôle comptable de l’administration des Finances et de la Cour des comptes9. C’est ce qu’il appelle « l’aventure technique de la réforme de la Comptabilité publique ». Il développe parallèlement un certain nombre de vues sur la rénovation de la haute administration sous le patronage de Joseph Caillaux10.

  • 11  On lira sur ce point l’ouvrage de Dominique Leca, La Rupture de 1940, ainsi que l’ouvrage de Jean- (...)

121936 : Gilbert Devaux se marie. Il subit alors « la grande tentation du bonheur : “Mariage, enfants, sous-directeur. Les paliers sont atteints” », écrit-il. Il note un peu plus loin : « La méfiance du climat trop aventureux de Paul Reynaud, Bouthillier, Leca. Le repli sur la Comptabilité publique. Est-ce la fin de l’aventure ? » En réalité il rejoint le cabinet de Paul Reynaud aux côtés de son ami Dominique Leca le 25 mars 1940. En tant que chef de cabinet adjoint du président du Conseil, il assiste à la plupart des réunions et participe aux décisions malgré lesquelles l’État progressivement se délite. Dominique Leca et lui-même tiennent une éphéméride qui relate jour après jour et dans les derniers moments, heures après heures, cette courte période où d’occasions manquées en malentendus, la France est défaite en un mois par l’armée allemande. Gilbert Devaux est au cœur de l’aventure qui, peu à peu sépare la France en « munichois » et « antimunichois ». Il est alors en charge avec Dominique Leca de sommes importantes dont ils remettent une petite fraction au général de Gaulle. Cette somme permet à celui-ci de financer les premiers pas de la France libre. De leur côté ils partent en Espagne le 17 juin avec le reste des fonds sous leur garde afin de préparer la voie du repli vers l’Afrique du Nord pour Paul Reynaud. Celui-ci ne peut les rejoindre. Gilbert Devaux et Dominique Leca se trouvent seuls, en Espagne, porteurs de valises contenant d’importants fonds publics alors que, à la suite de la démission de Paul Reynaud, se met en place en France une équipe nouvelle et hostile. Leur situation devient fausse. Très vite le nouveau pouvoir les révoque. Les voilà rayés des cadres de l’Inspection, traduits en justice pour désertion, privés de tous leurs titres, de tous leurs grades civils et militaires. Enfin les voilà victimes d’une campagne de presse : ils sont accusés de vol ou dans le moindre des cas, de concussion11. L’aventure prend un tour imprévu. Gilbert Devaux en souligne deux caractéristiques : « Notre isolement et la soudaineté de notre chute dans l’abîme ». Il ajoute : « En principe, ceux qui vivent une guerre ne restent pas seuls. Ils ont choisi leur camp ; ils ont beaucoup d’ennemis, mais aussi beaucoup d’amis. Nous n’avons pas bénéficié de cette chance assez commune. Dans la France coupée en deux de 1940, nous avons réussi ce tour de force de tomber exactement “entre deux chaises”. Nous ne sommes ni des “anti-munichois”, décidés à rejoindre coûte que coûte le camp de la liberté pour sauver l’honneur en participant à une ultime lutte désespérée, ni des “munichois” acceptant la défaite, prêts à collaborer avec le vainqueur. » Au terme d’une équipée en Espagne puis au Portugal, ils parviennent en Angleterre. L’équipe naissante du général de Gaulle récuse leur collaboration. Les autorités anglaises, prudentes et méfiantes, les placent en résidence surveillée à York.

13Ces vacances forcées sont l’occasion pour Gilbert Devaux d’approfondir sa connaissance de l’histoire, matière qu’il avait délibérément négligée par hostilité à cette École des chartes qu’on voulait lui imposer. La lecture de A study of history de Toynbee agit comme un révélateur. « Depuis, écrit-il, j’éprouve un vif intérêt pour les événements historiques, que je rattache instinctivement au cadre philosophique de Toynbee. » Après deux années de résidence forcée, Gilbert Devaux et Dominique Leca sont employés au programme français de la BBC. C’est ce dernier qui lit la traduction française de la déclaration du général Eisenhower le 6 juin 1944.

  • 12  Arrêté du 29 avril 1947, signé Schuman, rapportant les dispositions de l’acte dit « arrêté du 16 n (...)

141947 : Gilbert Devaux, rétabli dans son honneur et dans ses prérogatives, réintègre les cadres de l’Inspection des finances12. De retour en France « par goût de la revanche », il reprend place peu à peu au sein de l’état-major du ministère des Finances, ce qu’il appelle : « Mon entrée dans le club sur la pointe des pieds (1947). » Il renoue avec l’entourage de Paul Reynaud qui est dans les années cinquante président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. La Comptabilité publique, à nouveau, est le théâtre de l’aventure administrative interrompue. Il y est d’abord chef du service des recouvrements et de statistiques de l’aide américaine, puis il occupe à partir de 1949 le poste de directeur de la Comptabilité publique jusqu’en 1956. Il définit ainsi les possibilités de cette aventure administrative : « (La gestion des services) peut devenir une aventure lorsqu’elle aboutit à créer des mécanismes nouveaux et à les rôder. En raison des destructions de la guerre, je me trouvais en présence de possibilités considérables et leur mise en exploitation présentait un certain attrait comparable à la création d’une œuvre d’art – d’autant que, pour réaliser des réformes administratives, il faut agir presque seul (avec quelques techniciens seulement auxquels il faut demander plus qu’une collaboration, une véritable amitié). »

  • 13  Paul Vincent, document remis au CHEFF à l’occasion d’une série d’entretiens oraux en 1991.

15Parmi ses collaborateurs proches on citera Charles Dupuis, son chef de cabinet, trésorier-payeur-général, haut dignitaire du Grand Orient de France, radical-socialiste et ancien chef de cabinet de Raoul Aubaud, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur du premier ministère du Front populaire ; Henri Chanet, inspecteur des Finances chargé de mission pour le compte du directeur, polytechnicien inventif qui avait établi ses quartiers à Tours ; Jean-Marie Boscherel, technicien remarqué de la Comptabilité publique que Gilbert Devaux reprendra à ses côtés lors de son « pantouflage » et Paul Vincent, jeune et brillant inspecteur des Finances, énarque et ancien de l’ENFOM qu’il attire vers la direction de la Comptabilité publique et place à la tête du service des études. Celui-ci dans un court portrait décrit son patron allant « chaque soir vers le cabinet du ministre accomplir son devoir sacré de directeur », obstiné à conseiller, à proposer, « à faire la leçon même si on l’écoutait mal ». Paul Vincent poursuit : « ... ce qui grâce à lui, était vrai de technique et de réformes on reparlerait demain, mais comment ne pas prêter l’oreille à un Colbert si prévoyant et sage, à un Necker si passionné, à un homme du sérail qui en connaissait si bien les secrets, à un homme expérimenté si sûr de sa foi... Et comme on ne l’avait pas assez écouté, il recommençait le lendemain et il recommencerait encore ; devoir certes, mais aussi secrète volonté, mal satisfaite en son royaume de comptables, d’être partie présente au gouvernement de l’État ; parce que, pour ce grand commis, le pouvoir réel n’appartenait qu’aux “finances” et parce que les choses sérieuses du gouvernement de l’État ne pouvaient pas ne pas être, de droit, entre les mains de l’élite des directeurs de la rue de Rivoli, eux-mêmes issus du corps d’élite de l’Inspection des finances. Ah ! comme il aurait voulu être directeur du Budget pour être, cette fois, partie prenante ; il aurait fait le bien, il aurait défendu la règle, il aurait illustré la morale et mis partout de l’ordre », « cet homme n’avait pas de besoins, pas d’ambition, conclut Paul Vincent, sa passion était seulement d’être utile13. »

16L’œuvre de Gilbert Devaux à la direction de la Comptabilité publique est multiple : outre les décrets-lois de 1953 destinés à remplacer le décret de 1862, il réalise une réforme de la comptabilité des recettes particulières des finances, il fait aboutir la réintégration des « comptes spéciaux » dans la Comptabilité générale des opérations du Trésor (loi du 27 mai 1950), il modernise plusieurs statuts des personnels des services extérieurs du Trésor. Il veille à la qualité de l’École nationale des services du Trésor dont il suit de près les programmes. Il dispense enfin un cours à l’ENA sur la Comptabilité publique entre 1955 et 1960.

  • 14  Le Monde du 24 août 1977.

17Le 1er janvier 1957, Gilbert Devaux, alors âgé de cinquante et un ans, est nommé directeur du Budget ; il quitte l’administration centrale des Finances le 1er novembre 1960 pour prendre la présidence de la société d’assurance « L’Urbaine Incendie » et de la Compagnie nationale du Rhône. En 1977, Gilbert Devaux publie une série d’articles dans Le Monde intitulée « Bulletin de santé de l’Administration française ». On y trouvera notamment ce qui peut-être résume sa philosophie de la fonction publique : « Si vous acceptez la perspective d’une existence tyrannisée par votre profession, avec de dures périodes d’effort et de lutte, avec beaucoup d’espoir et beaucoup d’illusions, quelques réussites exaltantes et d’amères déceptions, choisissez le service de l’État. Vous serez mal payés, mal aimés de vos concitoyens, bourrelés de remords à l’égard de votre femme et de vos enfants. Mais votre satisfaction sera de pouvoir penser un jour que vous aurez vécu une vie “d’action”, une vie “d’aventure”, au sens anglais du mot – car la fonction publique est sans doute la dernière grande aventure de la civilisation occidentale14. »

18Retenons de la carrière de Gilbert Devaux qu’outre l’influence intellectuelle de Joseph Caillaux, il fut jusqu’à sa nomination comme directeur du Budget essentiellement marqué par la Comptabilité publique et qu’en particulier il ne vécut pas la mise en place d’une puissante direction du Budget par Yves Bouthillier sous Vichy. La place relative que tient la direction de la Comptabilité publique dans le système financier français et dans les esprits s’est modifiée durant l’Occupation. Elle n’est plus la même à la Libération.

II. LA PLACE DE LA DIRECTION DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE DEPUIS 1945

  • 15  Originellement dénommé « Comptabilité des dépenses engagées ».
  • 16  Philippe Masquelier, op. cit.

19L’histoire de la direction de la Comptabilité publique est d’un siècle plus ancienne que celle de la direction du Budget. Au terme d’une première étude engagée sur la période 1870-1940, l’on s’est aperçu déjà que la direction de la Comptabilité publique, à l’époque dénommée direction générale de la Comptabilité publique, joue un peu le rôle d’une mère gigogne au sein du ministère des Finances : en 1919 elle enfante la direction du Budget et le contrôle15 des dépenses engagées se développe en son sein jusqu’à cette date. L’on s’est aperçu aussi qu’elle est, jusqu’en 1919 également, une direction majeure du ministère des Finances et que son directeur y tient une place déterminante aux côtés notamment du ministre. L’on s’est aperçu enfin que dans l’entre-deux-guerres, elle conserve une place très réelle dans l’univers mental de l’époque et qu’elle conserve alors des relations privilégiées avec le Parlement, en particulier avec le Sénat16.

  • 17  C’est ce que laisse entendre celui-ci dans son ouvrage Le drame de Vichy-II-Finances sous la contr (...)

20Mais au-delà de 1945 l’historien se perd en conjectures, y a-t-il encore un fil conducteur de l’histoire de la Comptabilité publique ? La direction de la Comptabilité publique disparaît en 1941 pour se fondre avec la direction du Mouvement général des fonds et produire celle du Trésor. Elle semble alors sortir du champ des préoccupations du ministre des Finances de l’époque, Yves Bouthillier17 ; puis la voici qui réapparaît en 1943 sous le vocable de direction de la Comptabilité générale avant de redevenir en 1946, direction de la Comptabilité publique. Même si elle traverse cette période troublée avec le même personnel, la direction de la Comptabilité publique, l’état d’esprit dont elle est porteuse, le réseau qu’elle actionne sont alors jetés dans un environnement totalement différent de celui d’avant-guerre. Ce nouvel environnement lui est presque complètement étranger. C’est l’époque du développement de l’intervention de l’État dans l’économie qui imprègne les esprits et se justifie dans les faits par les nécessités de la reconstruction et plus généralement de la remise sur pied, à l’échelon national, de l’économie.

  • 18  On se référera sur ce point au carton B55187, fonds Comptabilité publique, SAEF.
  • 19  On trouve plusieurs traces de la difficulté que peut présenter la Comptabilité publique aux innova (...)

21Il y a plus curieux : elle n’est pas seulement étrangère à l’environnement général ; elle est étrangère aux réformes qui affectent alors la comptabilité18. Qu’il s’agisse du plan comptable ou de la mise sur pied de la Comptabilité nationale, la direction de la Comptabilité publique n’intervient pas ou du moins n’est pas à l’origine de ces innovations. Dès 1942 la direction des Contributions directes, en lien avec la profession des experts comptables qui simultanément s’organise, promeut l’idée d’un plan comptable général. À partir de 1948 la direction du Trésor recueille, abrite et développe le concept de Comptabilité nationale. Enfin, pour comble, la direction de la Comptabilité publique est perçue comme un obstacle en matière d’innovation comptable19, en particulier à la mise en place du plan comptable général. L’impression prévaut que la direction de la Comptabilité publique est tombée en dehors de l’histoire, qu’elle ne participe nullement de manière déterminante aux « trente glorieuses », bref que son évolution est presque sans rapport avec l’histoire de l’Etat, des Finances et de l’Économie depuis 1940. Pourtant, au cours de cette période, Gilbert Devaux fait aboutir sur le plan législatif une réforme qui fait l’objet des deux décrets-lois du 9 août et du 30 septembre 1953 portant sur l’un des principes fondamentaux de la Comptabilité publique : la responsabilité pécuniaire et personnelle du comptable. Les décrets d’application de cette réforme n’ont jamais été pris. Celle-ci est restée en suspend de 1953 à 1962. Les décrets-lois de 1953 furent finalement abrogés et remplacés par le décret du 29 décembre 1962 et l’article 60 de la loi du 23 février 1963. Lorsqu’ils paraissent, les décrets-lois de 1953 sont néanmoins la tentative la plus cohérente et la plus achevée d’une réforme du décret impérial du 31 mai 1862 plusieurs fois tentée, jamais accomplie. Gilbert Devaux dans son ouvrage montre l’état d’esprit dans lequel il a mené cette réforme et, implicitement, les effets qu’il en attend sur l’évolution administrative du ministère des Finances tout entier. Relisant La Comptabilité publique on s’apercevra que l’ambition de Gilbert Devaux dépasse le simple cadre de la direction de la Comptabilité publique pour affecter l’ensemble du système financier de la France. A ce titre elle entraîne une certaine conception de la direction du Budget. Redéployer son Administration sur le terrain doctrinal et réglementaire à partir des principes de la Comptabilité publique : tel est dans les années 1950 l’objectif qui sous-tend l’ouvrage de Gilbert Devaux.

III. DÉFENSE ET ILLUSTRATION DU POINT DE VUE « COMPTABILITÉ PUBLIQUE » SUR LE PAYSAGE DES FINANCES PUBLIQUES

  • 20  Gilbert Devaux, directeur du Budget au ministère des Finances, La Comptabilité publique, tome I, L (...)
  • 21  Dans sa préface, Gilbert Devaux écrit : « La Comptabilité publique est en effet tout autre chose q (...)
  • 22  Dans une réponse au questionnaire établi par Nathalie Carré de Malberg déjà cité, Gilbert Devaux é (...)
  • 23  Ceci n’est possible qu’à la condition de bien resituer le propos de l’ouvrage de Gilbert Devaux da (...)

22Il n’est pas exagéré de dire que la Comptabilité publique20 de Gilbert Devaux constitue une sorte de guide des problématiques et des pistes de recherches pour l’histoire administrative et financière récente. Cherchant à expliciter les principes de la Comptabilité publique, Gilbert Devaux envisage ceux-ci dans leurs répercussions les plus vastes21. Il est alors conduit à une introspection générale sur l’organisation du ministère des Finances et de l’Administration française rapportée au contexte économique et institutionnel des années cinquante. Le regard qu’il porte sur les finances publiques procède d’une conviction personnelle22. Il relève de la réflexion philosophique, de l’analyse historique et du témoignage. L’auteur, praticien de l’administration financière, prend le risque d’une interprétation de l’histoire qu’il appartient maintenant à l’historien de passer au crible. En même temps il lui permet d’appréhender une matière réputée ardue de l’intérieur et non pas simplement à partir de l’histoire générale. Il lui permet d’éviter les incompréhensions et les contresens23. Il lui permet aussi de jeter les bases d’une analyse fine de l’histoire de l’Administration. Il s’agit en réalité d’un ouvrage de science administrative inscrit dans une tranche d’histoire administrative.

  • 24  En 1990, Pierre Rosanvallon estimait qu’« il est peu de domaines dans lesquels le déséquilibre ent (...)
  • 25  Un tel exercice est fatalement subjectif et réducteur. Il n’a pas d’autre ambition que d’éveiller (...)

23La richesse même de l’ouvrage et l’absence relative de recherches historiques24 dans le domaine dont il traite rendent la tâche considérable. Nous nous contenterons dans les lignes qui suivent de présenter la pensée de l’auteur et de proposer des clés de lecture de l’ouvrage sans lesquelles les points de vue qu’il développe en 1956 sur la direction du Budget ne sont pas compréhensibles25.

24Trois éléments constituent le fondement de l’analyse de Gilbert Devaux : l’importance qu’il accorde au facteur psychologique (qu’il s’agisse de psychologie individuelle ou collective) comme ressort de l’action administrative, l’importance qu’il accorde à la centralisation administrative, l’importance qu’il accorde à la règle comme fondement de l’action administrative. À partir de ces trois éléments, Gilbert Devaux met en cause deux tendances qui commencent à se manifester au sein de l’Administration française : l’irruption des techniciens et des spécialistes et la pratique de la décision collective. Dans quelle mesure la direction du Budget entre-t-elle dans l’analyse globale de Gilbert Devaux sur l’organisation française des finances publiques vue depuis son poste de directeur de la Comptabilité publique en 1956 ? Dans quelle mesure fait-elle ou non l’objet de cette mise en cause ? Plus particulièrement la primauté qu’il accorde au droit et à la règle sont-ils compatibles avec le fonctionnement et l’action au jour le jour de la direction du Budget ? Faute de pouvoir y répondre définitivement tant que l’histoire de celle-ci n’est pas faite, conservons à l’esprit ces interrogations, tout en nous efforçant de présenter la pensée de Gilbert Devaux, d’expliquer sa genèse et d’en dégager les aspects principaux. L’origine de l’ouvrage est un cours dispensé à l’ENA par Gilbert Devaux entre 1955 et 1960. Mais La Comptabilité publique n’est pas une simple œuvre de pédagogie. Publié au moment où Gilbert Devaux quitte ses fonctions de directeur de la Comptabilité publique pour prendre la direction du Budget, son ouvrage apparaît aussi comme un testament.

25Enfin et surtout dans son intention comme dans son ton il relève de l’apologie, du diagnostic et de la démonstration.

A. L’Apologie

26Le souci d’apologie de Gilbert Devaux est triple : il concerne au premier chef la réforme qu’il a tenté de mettre en œuvre par les décrets-lois du 9 août et du 30 septembre 1953 qui constituent le postulat de son analyse. Il concerne plus largement le système Comptabilité publique au sein des finances publiques. Enfin par-delà ces deux premiers degrés d’apologie, Gilbert Devaux se livre à la défense de deux principes qu’il juge essentiels et qui déterminent toute sa conception des finances publiques : la centralisation du pouvoir gouvernemental et le respect de la règle qu’il n’hésite pas à justifier par l’histoire et la tradition et dont il estime qu’ils sont très largement battus en brèche.

27« Ainsi que nous l’avons observé, l’équilibre de nos institutions – dont les règles de la Comptabilité publique sont un des éléments – repose sur deux idées fondamentales, affirmées au cours du xviiie siècle et progressivement développées au cours du xixe siècle : la centralisation du pouvoir gouvernemental et le respect de la règle. La centralisation gouvernementale est certainement la plus ancienne de ces deux idées puisqu’il faudrait la faire remonter à Louis XIV, Richelieu et même très au-delà. Elle est liée à la notion d’unité nationale et de prédominance d’un intérêt collectif sur tous les intérêts particuliers. Quant à la limitation du pouvoir exécutif par des lois et règlements (qui s’imposent à lui mais n’émanent pas entièrement de lui), elle a été le thème essentiel des philosophes du xviiie et a encore renforcé la centralisation. Fournissant un contrepoids logique à l’arbitraire administratif, elle a permis en effet la suppression des privilèges et des particularités locales.

28Il faut bien comprendre que ces deux idées fondamentales sont actuellement battues en brèche.

29La centralisation – dont un des principaux aspects est la concentration de tous les leviers financiers entre les mains d’un seul ministre – suppose que le Gouvernement est en mesure de prendre de Paris les décisions qui, pour l’ensemble du territoire, relèvent de ses attributions. Or, les attributions de l’État se sont étendues dans de telles proportions qu’il devient de plus en plus malaisé de tenir compte de toutes les contingences locales ou régionales. Obligé par ailleurs d’intervenir dans des secteurs très particuliers d’activité, l’État se heurte à des intérêts professionnels, qui le contraignent parfois à rétablir sous une forme nouvelle des privilèges qu’il a prétendu abolir. On assiste donc souvent à de puissantes manifestations “centrifuges” soit au profit d’intérêts locaux, soit au profit d’intérêts professionnels – chacun s’efforçant de conserver les avantages de la protection de l’État tout en secouant la tutelle.

30Le maintien d’un cadre réglementaire destiné à orienter et à limiter l’action gouvernementale, rencontre pour les mêmes motifs les mêmes obstacles que le maintien du principe de centralisation. Les objets de la réglementation sont trop nombreux, trop vastes et trop instables. Leur complexité ne convient guère à un droit écrit de caractère général. Leurs répercussions – locales ou professionnelles – sont trop immédiates et trop sensibles. La machine législative a donc été débordée. Obligée, en dépit des termes même de la Constitution, de déléguer périodiquement au pouvoir exécutif une partie de ses attributions, le Parlement a de ce fait profondément modifié le sens et la valeur de la “règle”. L’Administration s’est accoutumée, en effet, à préparer des décrets-lois et des décrets réglementaires, qui ne répondent plus à un souci d’organisation juridique permanente mais qui apportent une solution d’actualité à un problème gouvernemental. Ce sont en vérité des ordres qui peuvent être demain suivis de contrordres. Or c’est une singulière régression, qui amène les fonctionnaires à obéir de moins en moins à la règle et à attendre les ordres.

  • 26  Gilbert Devaux, op. cit., p. 189-191.

31Non seulement la conjoncture politique, sociale et économique du milieu du xxe siècle contrarie la mise en œuvre des deux idées maîtresses de notre droit public, mais elle favorise l’expansion d’une méthode administrative radicalement opposée : le recours aux experts. S’inspirant des traditions de notre culture classique, notre système administratif consacre la primauté de l’esprit de synthèse sur les connaissances techniques. On peut dire que dans notre échelle hiérarchique, plus un fonctionnaire appartient à un rang élevé et moins il doit être spécialisé. Le chef de service est avant tout un homme de bonne volonté, possédant une intelligence souple, chargé de fonctions multiples, et guidé par son bon sens. Mais cette conception est en opposition directe avec les doctrines technocratiques qui envahissent progressivement toutes les zones d’activité. Les experts se sont imposés d’abord dans le contrôle puis dans l’action. Il paraît de plus en plus normal de confier des décisions essentielles à des spécialistes ou à des collèges de spécialistes. Or le technicien est naturellement conduit à penser qu’il est mieux qualifié que personne pour apprécier dans chaque cas particulier la solution du problème qui lui a été posé. Il supporte mal l’exercice d’une tutelle, il admet moins facilement encore que ses connaissances professionnelles puissent être contredites par l’existence d’une règle écrite26. »

32À suivre Gilbert Devaux, la Comptabilité publique apparaît au cœur de cette contradiction entre une tradition forte qu’elle incarne et une évolution nouvelle qui lui est contraire. Dans quelle mesure la matière budgétaire et la direction qui en est chargée y échappent-elles ? Ce conflit d’identité entre deux cultures prend une telle ampleur dans la pensée de Gilbert Devaux que l’apologie tourne au diagnostic.

B. Le diagnostic

  • 27  Gilbert Devaux, op. cit., p. 241.

33Le vocabulaire médical est singulièrement présent tout au long de l’ouvrage de Gilbert Devaux. Ainsi lorsqu’il évoque le démembrement de l’État, il compare « cette maladie sociale à celle d’un être vivant » et la qualifie de « cancer ». Il poursuit la comparaison : « Dès qu’une petite cellule administrative a réussi à échapper aux forces qui ont pour objet de maintenir l’harmonie, elle prolifère avec une vigueur et une rapidité extraordinaires, provoquant une sorte de contagion dans tous les autres secteurs. » Mais au paragraphe suivant la métaphore devient la trame explicative des « diverses manifestations de l’éclatement des règles de la comptabilité publique » : « Lorsqu’une maladie contagieuse attaque un être vivant, c’est d’abord à l’intérieur des organes en voie de formation ou de croissance qu’elle s’installe. Elle pénètre ensuite dans les organes les plus faibles. Finalement, elle exerce sur ceux qui sont le plus solidement charpentés un effet progressif d’usure et de dislocation. Ces syndromes furent bien ceux de la maladie administrative de la libération. » S’agit-il là de simples métaphores ? En réalité au-delà du vocabulaire même, c’est à un véritable bilan de santé que se livre Gilbert Devaux. À travers toute la dimension historique de son propos, il reconstitue les antécédents de son administration avant de poser un diagnostic qu’il résume ainsi : « Depuis près de quarante ans, l’histoire administrative de la France répète le même “leitmotiv”. D’abord des troubles économiques et monétaires. Pour rétablir l’équilibre, l’Administration doit intervenir en adaptant ses rouages à de multiples opérations nouvelles ; à cet effet elle est obligée de monter un régime « technique » plus complexe que celui qui précédait les troubles. À chaque fois, la menace de dislocation interne est plus grave et le rétablissement de l’unité d’action gouvernementale moins clairement assuré27. » Ce constat est l’aboutissement d’une démonstration qui intègre de nombreux éléments d’histoire de l’Administration.

C. La démonstration

  • 28  Ibid., p. 1 et 2.
  • 29  Ibid., p. 22.
  • 30  Ibid., préface.

34D’emblée, Gilbert Devaux exprime sa volonté de convaincre. « Mon but modeste est de lever le voile, de sortir l’idole de sa niche et de la présenter telle qu’elle est. Le lecteur s’apercevra très vite que ce n’est pas une idole, que c’est en réalité un mécanisme un peu vieillot, encore très solide. Je voudrais en tout cas le convaincre que les rouages de ce mécanisme ne sont pas aussi complexes qu’ils peuvent le paraitre et qu’ils sont intimement liés au fonctionnement de notre société28. » De même, présentant les thèmes de son ouvrage, il écrit : « Le chapitre V montrera comment l’évolution moderne qui menace à la fois de provoquer un éclatement de l’État, et de substituer la prédominance de la technique à celle du droit se poursuit au prix de délicates adaptations29. » Enfin le projet de Gilbert Devaux, à défaut de convaincre, est de défendre une certaine conception du rôle de l’État dont il estime qu’« on peut l’accepter ou la combattre » mais qu’« on n’a pas le droit de l’ignorer30 ».

  • 31  Gilbert Devaux donne d’emblée la réponse : « À la vérité, l’examen de toutes nos institutions pour (...)
  • 32  Gilbert Devaux, op. cit., p. 21.

35Homme de conception, Gilbert Devaux recherche le cadre logique qui unit les règles et les traditions de la Comptabilité publique. Il s’en explique lorsqu’il s’interroge sur la présomption qu’il y aurait à « chercher a posteriori une harmonie qui n’a été consciemment exprimée par personne31 ». En définitive il dégage ce qu’il appelle le thème de la Comptabilité publique. Ce thème est ainsi proposé : « Les opérations financières publiques ne sont pas dominées par la notion de “profit”, mais par la notion de “service” ; par suite les recettes et les dépenses ne dépendent pas les unes des autres ; elles sont arrêtées a priori selon un plan d’ensemble établi collectivement par des assemblées ou par un conseil. La fonction essentielle de la Comptabilité publique est d’assurer l’exécution de ce plan d’éviter tout abus en substituant divers contrôles automatiques au contrôle par le rendement32. » C’est autour de ce thème majeur que Gilbert Devaux entend « broder ». La méthode choisie par celui-ci est une approche multiple de la Comptabilité publique. Il propose cinq biais pour appréhender ce sujet qu’il qualifie lui-même de « tellement vaste qu’il serait singulièrement malaisé d’en donner, en quelques centaines de pages, une description systématique ». Ces cinq approches sont juridique, administrative, technique, institutionnelle et enfin historique.

1. Le principe juridique

36Nous ne reprendrons pas ici la présentation d’ensemble que fait Gilbert Devaux de la distinction entre l’opportunité et la régularité et de la notion de responsabilité. En revanche nous évoquerons les deux phénomènes qui troublent selon l’auteur la saine mise en œuvre du principe juridique : « Les lacunes et les insuffisances du décret du 31 mai 1862 et des textes ultérieurs et la tendance à abandonner la hiérarchie militaire pour la décision collective. »

  • 33  Ibid., p. 35.

37Le premier phénomène relève du paradoxe : « La vérité est que les règles existent, qu’elles sont exécutées quotidiennement, mais que, dans le pays du Code Napoléon, ce droit n’est pas écrit. » Il ajoute : « Au demeurant lorsqu’il repose sur des textes, il faut aller découvrir ceux-ci dans un tel enchevêtrement qu’il est pratiquement impossible à une personne non initiée de ne pas s’y perdre. » Montrant par quel processus les ordres se sont substitués à la règle il résume ainsi la situation : « Depuis 1862, les règles de la Comptabilité publique ont été définies par une succession d’ordres ayant revêtu toutes les formes juridiques : lois, décrets-lois, décrets, arrêtés, circulaires. » Il poursuit : « Plusieurs règles essentielles résultent encore de la seule tradition. » et conclut : « Si l’on ajoute que la jurisprudence de la Cour des comptes est nécessairement limitée et assez mal résumée et que depuis longtemps la doctrine a perdu pied, il est aisé de comprendre pourquoi la Comptabilité publique a une réputation d’ésotérisme. » Pourtant il estime que : « Les inconvénients pratiques sont moindres qu’on pourrait le croire, grâce à l’existence d’un corps permanent et très homogène de comptables spécialisés. Par leur intermédiaire, une sorte de synthèse se transmet progressivement de génération en génération, mais c’est une situation étrange et qui ne saurait indéfiniment se prolonger33. » C’est ce constat qui le conduit à entamer sa réforme de 1953.

  • 34  Gilbert Devaux, op. cit., p. 47.

38Le deuxième phénomène relève de la contradiction. Il se présente comme un obstacle sérieux et nouveau à la mise en œuvre du principe juridique. Rappelant que la tradition administrative de type militaire propre à la France est tout à fait contraire à la notion anglo-saxonne de « décision collective », il estime qu’en France le développement depuis une trentaine d’années de ce qu’il appelle les experts, les contrôleurs et les tuteurs risque de conduire à une « véritable paralysie ». Rappelant la position active et exclusive de réalisateur du chef de service en France, il souligne la mentalité de purs contradicteurs des spécialistes. Pour cette raison il estime que « plus on les multiplie, plus on accroît les “frottements” sans rien ajouter à la puissance du moteur ». Il conclut : « Je pense qu’il serait dangereux d’abandonner dans notre pays la coutume selon laquelle un chef de service peut prendre des risques, n’est jamais obligé de suivre ses conseillers et est jugé d’après les résultats qu’il obtient34. »

2. Le principe administratif

39Pour Gilbert Devaux, le fondement du principe administratif de la Comptabilité publique, soit la séparation des ordonnateurs et des comptables, repose d’abord sur des considérations psychologiques. C’est ainsi qu’il souligne d’emblée que : « Dans toute société s’inspirant d’un certain idéal démocratique, la division du travail ne correspond pas seulement à l’idée d’une spécialisation technique ; elle correspond aussi à une préoccupation d’équilibre, entre diverses tendances et à un souci de contrôle réciproque. » Répondant aux détracteurs du système administratif de la Comptabilité publique, il affirme : « Le lien psychologique traditionnel entre la garde de la caisse et la surveillance de la régularité est en vérité une force considérable dont les autres nations modernes sont peut-être dépourvues mais que la France devrait être satisfaite de posséder. » Lorsqu’il évoque les régimes distincts de responsabilité des ordonnateurs et des comptables, il écrit : « Nous ne répéterons jamais assez que la distinction administrative entre les ordonnateurs et les comptables ne répond pas seulement à un souci mécanique d’organisation du contrôle mais au désir d’opposer deux psychologies. » L’ordonnateur doit réserver le meilleur de son activité « à un effort de décision et de sélection » ; l’esprit du comptable doit être dominé par le souci de la règle. Enfin Gilbert Devaux intitule la conclusion de ce chapitre sur le principe administratif : « L’aspect psychologique de notre organisation administrative. »« Pour conclure cette étude sur les principes administratifs de notre organisation financière, écrit-il enfin, insistons sur le fait que celle-ci s’est inspirée beaucoup moins de considérations techniques que de considérations psychologiques. Le point de départ est une hiérarchie militaire. L’évolution des 150 dernières années a tendu vers une collaboration par un équilibre de psychologies variées.

  • 35  Gilbert Devaux, op. cit., p. 103.

40Contrairement à ce qu’on pourrait penser, une Administration bien composée n’est pas en effet un corps homogène de fonctionnaires tous animés du même esprit. L’Etat obtient un bien meilleur résultat en spécialisant les tendances et en équilibrant les unes par les autres. La distinction classique des fonctionnaires d’“opportunité” et des fonctionnaires de “régularité” est sans doute celle qui répond le mieux à cet objet35. »

3. Le principe technique

  • 36  Il s’en explique en note après avoir rappelé que l’application de la technique comptable et les cr (...)
  • 37  Gilbert Devaux décrit ainsi le processus : « Lorsqu’une attaque vigoureuse est déclenchée en faveu (...)

41Gilbert Devaux, lorsqu’il décrit le principe technique de la non-affectation des recettes et des dépenses n’entend pas se situer sur le terrain de la technique comptable mais, une fois de plus sur celui du droit public36. Après avoir défini respectivement l’affectation comptable et l’affectation des fonds, après avoir distingué entre les affectations comptables orthodoxes et les affectations comptables exceptionnelles, après avoir décrit et analysé ces différentes sortes de comptes, après avoir témoigné sur le rôle de la direction de la Comptabilité publique en particulier par rapport à la direction du Budget ou à la direction du Trésor, Gilbert Devaux en vient à l’essentiel de son propos : montrer le principe de non-affectation des recettes et des dépenses comme l’un des moyens d’endiguer « l’assaut permanent des intérêts particuliers contre l’intérêt général et des féodalités contre le pouvoir central ». C’est ce que Gilbert Devaux définit comme « l’affectation comptable considérée comme un moyen de “défense en profondeur” contre l’affectation des fonds37 ».

  • 38  « Mais ce qui est tout à fait remarquable, écrit-il, c’est que la Caisse des dépôts et la Caisse a (...)
  • 39  Gilbert Devaux, op. cit., p. 144.

42Pour conclure ce chapitre, Gilbert Devaux énonce deux règles comme conséquence de la « non-affectation des fonds » : l’unité de trésorerie de chaque personne morale et la gestion de toutes les trésoreries par l’État. Jugeant que la première est la plus solide, il estime cependant que la seconde, en dépit d’exceptions majeures, telles que la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse autonome d’amortissement, a finalement été respectée de fait38. Il récapitule ainsi cette évolution : « On peut dire que depuis trente ans, tantôt par voie réglementaire, tantôt par simple persuasion, tout ce qui de près ou de loin touche au secteur public (Sécurité sociale, organismes subventionnés, coopératives, etc.) a vu sa trésorerie doucement aspirée par le Trésor. La véritable raison de cet état de choses (...), c’est qu’à l’heure actuelle le principe de la non-affectation des fonds publics n’est plus seulement une règle de la comptabilité publique mais un élément fondamental de notre système monétaire39. »

4. L’approche institutionnelle

  • 40  Ibid., p. 145-146.

43L’approche institutionnelle du Trésor selon Gilbert Devaux est dominée par les notions de centralisation et d’unité. Le fond de l’argumentation est historique et organisationnel. Au cœur de l’histoire et de l’organisation de l’administration des Finances se trouve la Comptabilité publique. Dès l’introduction à sa première partie, lorsqu’il évoque les rapports de la Comptabilité publique avec la société dont elle est un rouage Gilbert Devaux insiste sur la donnée historique : « Les principes de la Comptabilité publique ont pourtant exercé une influence profonde sur les structures même de la France. Ils ont abouti à la création d’une institution originale : le Trésor dont le rôle économique et monétaire ignoré du grand public est devenu un élément essentiel de l’évolution de notre pays. » S’appuyant sur la philosophie de l’histoire de Toynbee, c’est ce thème que développe Gilbert Devaux dans son approche institutionnelle : « Il y a un peu plus de cent ans, la Comptabilité publique s’est attaquée à ce qui paraissait alors son objet essentiel : le contrôle de la caisse. Quand elle s’est trouvée transportée presque miraculeusement au milieu d’un immense domaine : celui de “l’organisation administrative” des finances publiques. » Il conclut cette vision interprétative de l’histoire ainsi : « En vérité, la rue de Rivoli n’a rien fait d’autre qu’appliquer avec beaucoup de continuité les principes qui ont fait l’objet des trois précédents chapitres. Ce n’est guère que depuis une vingtaine d’années, qu’elle a commencé à s’apercevoir qu’elle avait donné naissance à un véritable “organisme”, qui ne repose sur aucun fondement juridique, auquel on s’est cependant accoutumé à donner le nom de “Trésor” et dont les répercussions financières sont encore très mal connues des experts – et pratiquement ignorées des commentateurs40. »

  • 41  Gilbert Devaux, op. cit., p. 164.

44Nous ne reprendrons pas ici, quel que soit leur intérêt, les développements de l’auteur sur le rôle monétaire du Trésor. Ce qu’il importe de relever c’est que le Trésor est conçu par Gilbert Devaux comme un tout géré conjointement par les quatre directeurs du Budget, du Trésor, des Finances extérieures et de la Comptabilité publique. Ce tout est organisé de façon concentrique : après avoir évoqué l’aspect de plus en plus bancaire du Trésor, il estime que : « Grâce à cet aspect bancaire, la direction du Trésor a été le donjon devant lequel a été repoussé au lendemain de la guerre l’assaut mené contre la rue de Rivoli. Au cours de cette époque – dont nous aurons à reparler – et sous prétexte de “commercialisation” un grand nombre de personnes morales – et même de services d’État – échappaient au contrôle de la direction de la Comptabilité publique (par la suppression de l’agent comptable) puis à la tutelle de la direction du Budget. Mais elles hésitaient toujours à rompre le lien qui les unissait à la direction du Trésor. Et s’apercevant, en définitive, qu’elles ne pouvaient se passer du crédit de l’État, elles étaient progressivement mais inéluctablement ramenées à leur point de départ41. »

  • 42  Ibid., p. 177.
  • 43  Ibid., p. 178.

45Cette vision concentrique du Trésor induit une conception spécifique de sa fonction économique : celle-ci est décrite comme un mouvement naturel, une sorte de loi de l’histoire et non pas comme le fruit d’une volonté idéologiquement et délibérément interventionniste ou dirigiste. « Le ministre des Finances qui réussit n’est pas celui qui “remplit les coffres de l’État” comme la tradition populaire l’imagine volontiers. C’est celui qui obtient une expansion progressive de la production avec une certaine stabilité des prix. Et c’est seulement s’il atteint cet objectif, qu’accessoirement la bonne machine du Trésor lui procure une alimentation régulière et automatique des caisses publiques. Nous sommes encore en présence d’une application de la loi de Toynbee. La solution du problème technique de l’équilibre de la trésorerie a entraîné l’administration des Finances vers le problème beaucoup plus vaste de l’équilibre économique de la Nation.42 » Gilbert Devaux, toutefois, n’ignore pas la question de la décision du ministre des Finances et de ses incidences sur l’économie ; il souligne simplement le caractère aléatoire des répercussions économiques de cette décision en estimant que les règles de l’économie demeurent soumises « à des contingences d’ordre psychologique43 ». L’idée de ce mouvement naturel est-il véritablement en phase avec les conceptions économiques de l’époque ?

  • 44  Ibid, p. 162.
  • 45  « Observons (...) qu’en confiant la majeure part des comptes publics à une administration unique, (...)
  • 46  Gilbert Devaux, op. cit., p. 182-183.

46Nous retrouvons la notion d’unité sur le plan du rôle administratif du Trésor. Notre auteur souligne d’abord que « le principal élément de puissance du Trésor est évidemment le nombre énorme de ses guichets et l’importance des moyens matériels dont il dispose » ; il estime ensuite que « la qualité dominante de ces services est leur souplesse » ; il ajoute : « Le comptable direct du Trésor présente cette particularité d’être “le droit commun” ; il est “disponible”. Il n’est pas spécialisé ou plus exactement, il peut exercer toutes les spécialités financières » ; « c’est une très grande force pour l’État, poursuit-il, que de disposer partout de cette réserve dévouée et disciplinée de techniciens financiers capables d’une adaptation extrêmement rapide. » Résumant la question, Gilbert Devaux écrit : « En réalité, la mission principale des services du Trésor consiste à diffuser dans la vie locale l’esprit de la rue de Rivoli, sous son aspect le plus général, avec tout ce qu’il comporte de bonne volonté, de sens pratique, d’expérience humaine et de défense passionnée d’un idéal collectif.44 » Notons enfin que ce souci d’unité se retrouve lorsqu’il évoque « le Trésor protecteur de la règle45 ». Gilbert Devaux achève ce chapitre sur le Trésor par une comparaison avec le système britannique qu’il conclut en affirmant le caractère irréversible de la centralisation en France : « La route de la centralisation ne peut d’ailleurs être parcourue dans les deux sens. Rompre l’unité du Trésor ne conduirait pas à un système financier à caractère fédéral comme le système anglais, mais à la multiplication de féodalités ayant perdu le sens d’un intérêt commun.46 » C’est fort de ce postulat que Gilbert Devaux envisage son approche historique de la Comptabilité publique.

5. L’approche historique

  • 47  Ibid., p. 184.

47Intitulée L’évolution moderne ou les brèches dans la muraille, cette dernière approche porte comme sous-titre : « Contradiction entre la théorie et la pratique – Rigueur des principes attestée par la règle des comptables de fait. Multiplicité des exceptions47. » C’est bien la contradiction qui, selon Gilbert Devaux, est au cœur de cette évolution. Celui-ci retrace l’histoire des finances publiques vues depuis la Comptabilité publique en deux temps, « Le mouvement centrifuge » et « La réaction centripète ». Le premier court de 1945 à 1947 : il tient d’abord de la démonstration : Gilbert Devaux est à peine réintégré dans les cadres de l’Inspection en 1947. Le second s’étend de 1947 à 1956 : il tient surtout du témoignage : Gilbert Devaux est revenu aux affaires au sein de la direction de la Comptabilité publique qu’il dirige depuis 1949. Si « Le mouvement centrifuge » relève de la démonstration un peu trop réthorique on ne peut pas écarter le fait que Gilbert Devaux, sans être au premier plan de l’action administrative, reste alors un témoin particulièrement averti des phénomènes de finances publiques. Cette description dynamique du « mouvement centrifuge », fortement charpentée, est illustrée d’exemples choisis sur l’interprétation desquels il sera loisible aux chercheurs en histoire administrative de s’interroger. Bien que le texte original soit extrêmement dense et sa lecture irremplaçable, essayons, brièvement, de retracer les étapes du raisonnement de Gilbert Devaux.

  • 48  Ibid., p. 184.
  • 49  Ibid., p. 186.
  • 50  Gilbert Devaux, op. cit., p. 188.
  • 51  Ibid., p. 191.

48Le point de départ est juridique et « la position de droit » clairement établie, d’entrée de jeu, par Gilbert Devaux : « Rien de ce qui est public ne doit être soustrait aux règles de la comptabilité publique48. » C’est donc au nom de ces règles que parle l’auteur qui cherche à expliquer et à dénoncer la multiplication des exceptions aux règles garanties par l’Administration qu’il dirige, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les « circonstances de la Libération49 » (au premier rang desquelles il met la réaction provoquée par Vichy contre le principe même de l’autorité) et « les éléments permanents de dislocation de l’État50 » (c’est-à-dire la mise en cause de la centralisation du pouvoir gouvernemental et du respect de la règle) sont les deux facteurs qui, conjugués, favorisent « les diverses manifestations de l’éclatement des règles de la Comptabilité publique51 ». Et voici qu’à travers ces « manifestations » nous assistons aux progrès d’une véritable gangrène de l’Administration et de l’État. La démonstration se développe en trois temps qui correspondent à trois sphères de l’activité publique en progressant de la périphérie jusqu’au noyau : « la tendance centrifuge dans les créations administratives de la Libération », « la tendance centrifuge dans les services anciens les moins résistants » et enfin « l’ébranlement des services les plus solidement charpentés ». Chaque étape de la démonstration est illustrée de deux ou trois exemples. Chaque exemple nous fait avancer un peu plus au cœur de cet « éclatement des règles de la Comptabilité publique » que Gilbert Devaux met en lumière.

  • 52  Ibid., p. 200.
  • 53  Ibid., p. 187, 188. Cette affirmation est à rapprocher des observations qui vont en sens contraire (...)

49C’est ainsi qu’en nous faisant pénétrer dans le premier cercle de sa démonstration, il prend successivement les exemples de la reconstruction, des entreprises publiques et des interventions économiques. Citons la conclusion qu’il tire de ces trois exemples : « Dans le premier cas (celui de la reconstruction) on a rejeté l’intervention des comptables, mais on a maintenu un réseau classique d’ordonnateurs soumis à une réglementation financière. On a délibérément fait sauter la moitié de la machine, mais on a conservé l’autre moitié et l’on estime de bonne foi que ce mécanisme allégé tournera plus vite et mieux. Dans le second cas (celui des entreprises publiques), on ne peut plus guère parler « d’ordonnateurs » ni de « réglementation », car rien n’est conservé de la machine traditionnelle, mais on a encore bonne conscience, car on croit pouvoir substituer à la machine administrative une autre machine beaucoup plus simple et qui jouit d’une excellente réputation : celle du patronat. Dans le troisième cas (celui des interventions économiques), il n’y a plus de doctrine ; l’État ne parvient plus à accomplir correctement sa tâche ; il en est réduit à accepter avec reconnaissance le concours de ceux qui s’offrent pour agir en son nom ; non seulement il n’y a plus de règles de droit public, mais on sort des cadres les plus élémentaires du droit privé52. » Voici comment, au terme d’une sorte de descente aux enfers, où l’Administration et l’État sont presque déclarés hors-la-loi, Gilbert Devaux nous fait toucher du doigt combien, paradoxalement, « cette époque qui fut celle du dirigisme et des nationalisations, a révéré les méthodes “privées” au point d’en faire une sorte d’idéal53 ».

  • 54  Gilbert Devaux, op. cit., p. 212.
  • 55  Ibid., p. 214.
  • 56  Ibid., p. 214.
  • 57  Ibid., p. 217.
  • 58  Idem.
  • 59  Ibid., p. 197.

50Mais la démonstration ne s’arrête pas là. Elle débouche sur le constat qu’une telle évolution conduit à « atténuer ou à faire disparaître la notion même de responsabilité financière dans les relations administratives54 ». De ce constat Gilbert Devaux tire trois enseignements. Le premier c’est que les réalisations techniques de la libération ont été exécutées en dépit de l’absence de règles financières et non pas grâce à l’absence de ces règles55. Le second c’est la création d’un « nouveau secteur pratiquement irresponsable56 » : le secteur parapublic, alimenté par des « parataxes » recouvrées par des « parapercepteurs » auprès de « paracontribuables », qui génère des « parafonctionnaires » et débouche sur la constitution d’un « para-Trésor ». Le troisième, intitulé « la démoralisation » est le point ultime et culminant de la démonstration. Gilbert Devaux reprend l’ensemble des présupposés de l’ouvrage : importance de la psychologie collective, caractère irréversible de la centralisation, nécessité des règles de la responsabilité financière. Il dénonce la spécialisation et le triomphe des techniciens ; il met en balance l’amour de la technique et le sens de l’État comme idéal commun. « On peut même se demander, écrit-il, si l’amour de la technique qui s’est développé à un rythme sans précédent au cours des années qui ont suivi la dernière guerre, et qui a été facilité par l’affaiblissement des règles, traditionnelles de coordination financière, ne l’a pas emporté sur le sens de l’État. Il n’est pas mauvais qu’un idéal se substitue à un autre, mais à condition que le nouveau soit plus élevé que l’ancien ; et il n’est pas certain qu’il en soit ainsi57. » Derrière ce qu’il appelle le sens de l’État et l’amour de la technique, c’est la notion même d’intérêt général qui est en cause et qui semble désormais prêter à confusion. Évoquant les années 1946-1947, Gilbert Devaux écrit : « Les personnels de certaines entreprises nationales n’hésitaient pas alors à affirmer que les revenus des capitaux dont ils assuraient la gestion ne devaient pas revenir à l’État mais à eux-mêmes. Avec de tels arguments on est parvenu très près de la dislocation finale58. » De même après avoir stigmatisé « la constitution à côté de l’État d’une puissante féodalité de techniciens » (les entreprises publiques), il estime qu’« aussi bien, certains “nationalisés” n’hésitèrent pas à contester toute allégeance à l’égard du pouvoir central, observant qu’ils n’appartenaient pas à l’Etat, mais “à la Nation”59 ».

51Cette dénonciation du mouvement centrifuge sous la forme d’une démonstration par l’histoire est balancée par une « réaction centripète » qui tient plutôt du témoignage de Gilbert Devaux, directeur de la Comptabilité publique, sur l’histoire de son administration au sein des finances publiques depuis 1947.

52Le retour à l’orthodoxie et le ralliement à des méthodes nouvelles sont les deux mouvements qui, selon Gilbert Devaux, entraînent une réaction centripète. Le retour à l’orthodoxie c’est le rétablissement de l’unité du Trésor et de la régularité dans les comptes de la trésorerie de l’État. Bien que jugé insuffisant, ce retour à l’orthodoxie est un motif de satisfaction pour notre auteur.

  • 60  Gilbert Devaux, op. cit., p. 233-234.

53En revanche, évoquant le recours à des méthodes non orthodoxes, Gilbert Devaux semble avoir une position un peu incertaine : ainsi s’interroge-t-il : « Que faut-il penser du recours à ces diverses procédures ? Certains fonctionnaires des Finances sont tentés de répondre qu’il convient de les tolérer comme des palliatifs lorsque le retour pur et simple à l’orthodoxie ne peut-être obtenu. Mais le problème mérite d’être examiné dans un esprit plus large. L’influence croissante de la technique est un fait contre lequel il serait absurde de vouloir résister. Une adaptation est souhaitable et ne saurait être obtenue sans un équilibre raisonnable entre les principes traditionnels des juristes et les idées modernes des techniciens. Les formules que nous venons de définir sont-elles, de nature à réaliser une telle synthèse ? » Ses réponses demeurent évasives. « Dans le secteur classique de notre réglementation », il estime que c’est « une question de mesure » ; dans le secteur public à caractère industriel et commercial il souligne que « si le contrôle de la gestion peut compléter utilement le contrôle juridictionnel, il ne peut jamais le remplacer ». Ce développement sur le recours par la rue de Rivoli à des méthodes non orthodoxes est clos par un jugement sévère, en forme de mise en garde : « J’avoue que je ne parviens pas à approuver la tendance consistant à confier des opérations financières de droit public à des “alliés du Trésor”. Le rôle du ministre des Finances est de défendre un mécanisme cohérent et complet. Or, il n’est pas normal que des opérations exécutées pour le compte de l’État échappent à la responsabilité d’un juge. Après avoir si longtemps combattu pour éviter l’éclatement de l’État au profit des féodalités techniques, syndicales, professionnelles ou locales, il serait singulier que la rue de Rivoli en vienne aujourd’hui à favoriser l’éclatement de l’État au profit d’une féodalité d’experts issus de son sein60. »

  • 61  Ibid., p. 241.

54Ne sommes-nous pas là au cœur de la contradiction qui, selon l’auteur, menace alors l’administration des Finances ? Contradiction entre la règle et son application, contradiction entre la tradition de hiérarchie militaire et les pratiques nouvelles de décision collective, contradiction entre les généralistes et les spécialistes, contradiction entre l’extension du secteur public et le recours par l’État à des méthodes de gestion privées, contradiction enfin entre le sens de l’État et la poussée des techniciens au sein de l’Administration. En réalité on se demandera si la direction du Budget a été le moyen « de fortune » pour pallier ces contradictions ou si elle s’est révélée le lieu institutionnel de leur résolution. N’est-ce pas pour combler ces lacunes fondamentales dans la structure politique, sociale et économique du pays61 qu’en définitive la direction du Budget a de fait développé son action ?

55Alors qu’elle procède du même système financier que l’administration de la Comptabilité publique, la direction du Budget, située plus en amont du contrôle de la dépense, est plutôt absente de ce tour d’horizon des finances publiques vues depuis le poste de directeur de la Comptabilité publique.

IV. LA DIRECTION DU BUDGET ET LE CONTRÔLE DES DÉPENSES ENGAGÉES VUS PAR GILBERT DEVAUX, DIRECTEUR DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE

56Comment le Budget en tant que pratique technique, en tant qu’organe du système financier et en tant qu’acteur du ministère des Finances est-il perçu par Gilbert Devaux depuis le point de vue qu’il développe ? Le primat de la règle accordé par Gilbert Devaux au système financier français permet-il d’appréhender la réalité de l’action de la direction du Budget ? Envisagée sous l’aspect juridique de la règle, la position de la direction du Budget n’est pas clairement lisible. Tout au plus apparaît-elle comme le signe possible d’une double contradiction : contradiction avec la règle, contradiction avec l’institution « Comptabilité publique ». Mais il est surtout singulier de constater que c’est son absence qui est révélatrice de l’idée que s’en fait Gilbert Devaux.

A. La position de faiblesse de la direction et du directeur du Budget par rapport à la règle

57Dans le cadre de ce qu’il appelle « l’évolution moderne ou les brèches dans la muraille », Gilbert Devaux prend le budget de l’État comme premier exemple de ce qu’il appelle « l’ébranlement des services les plus solidement charpentés ». Il écrit : « Avec le budget de l’État, nous nous situons par hypothèses au centre de la forteresse réglementaire. On ne peut certes pas dire que celle-ci fut enlevée, mais elle subit de terribles assauts. » La constante de son propos est de montrer la position de relatif retrait où se trouvent la direction du Budget et son directeur par rapport à la règle.

  • 62  Gilbert Devaux, op. cit., p. 224.

58« L’orientation générale vers l’orthodoxie est donc un fait incontestable. La « règle financière » est très loin cependant d’avoir retrouvé la place qu’elle occupait autrefois dans la fonction publique. Il arrive trop souvent qu’elle soit ignorée, calomniée, ou simplement tolérée comme un mal inévitable. Son caractère impératif est trop facilement discuté. La direction du Budget n’a pas pu faire disparaitre la détestable habitude des tolérances en matière de crédits budgétaires, ou de « surnombre » d’emplois administratifs. Elle n’a pas réussi non plus à faire rendre au sein de toutes les personnes morales publiques le souci d’un équilibre indépendant de l’aide de l’État. À Paris comme en province, les représentants du département des Finances ont parfois le sentiment pénible de soutenir « à bout de bras » un édifice qui s’écroulerait, s’ils laissaient apparaitre la moindre faiblesse. Pour humaniser ce climat et obtenir une discipline librement consentie l’administration des Finances a parfois poussé très loin l’esprit de transaction. Plutôt que de confirmer des obligations auxquelles les autres services étaient manifestement opposés, elle a préféré prendre l’initiative d’assouplir la règle. Presque toutes les révisions réglementaires qui ont été entreprises ont eu pour objet à la fois de confirmer l’existence d’un certain cadre juridique et d’en atténuer la rigueur. En 1951, par une définition très ample des chapitres budgétaires – dont le nombre a été ainsi sensiblement réduit – la direction du Budget a rendu aux ordonnateurs de l’État une très grande liberté62. »

  • 63  Ibid., p. 227.

59« Nous avons déjà rencontré maintes applications de la méthode des marchandages de faveurs. La direction du Trésor – avons-nous dit – a rétabli le principe de la non-affectation des fonds en fermant délibérément les yeux sur la liberté de gestion – parfois illégale – de certains de ses correspondants. Elle a rétabli le principe de la régularité des opérations de trésorerie en instituant – par la réforme des comptes spéciaux – un régime séduisant de « découverts » dont nul n’avait bénéficié jusqu’alors. La direction du Budget a attiré vers elles une partie de la clientèle du Trésor en offrant de multiples affectations comptables (sous forme de fonds de concours, de crédits de reports et de chapitres ouverts pour mémoire) ; depuis 1954, elle a même créé un titre VIII du budget de l’État où sont inscrites (en recettes et en dépenses) les opérations d’anciens comptes d’affectation spéciale dont tous les avantages ont été confirmés (comptabilité distincte, crédits ouverts par arrêtés d’après le montant des recettes et reportés en fin d’année). Dans d’autres cas, elle a réussi à la fois à éviter de dangereuses affectations de recettes fiscales et à maintenir – ou à rétablir – le principe de l’universalité budgétaire en acceptant que les dotations des chapitres soient versées en bloc à un compte spécial (reconstruction), à des collectivités locales (constructions scolaires) ou à des Caisses de sécurité sociale (fonds vieillesse).63 » Cette situation est le reflet de l’analyse que fait Gilbert Devaux de la situation délicate où se trouve selon lui le directeur du Budget.

  • 64  Gilbert Devaux, op. cit., p. 208. On pourra se poser la question : « Ce dilemme était-il vécu comm (...)

60« Le directeur du Budget était en présence de singuliers dilemmes. Toute concession de sa part était interprétée comme une faiblesse et l’amenait à de nouvelles concessions. Toute tentative de résistance lui faisait perdre des clients administratifs qui s’exilaient parmi les comptes de trésorerie puis s’évadaient dans le secteur parapublic. Même l’invocation magique de l’équilibre, qui avait donné tant de pouvoirs à ses prédécesseurs, se retournait contre lui. Tout le monde lui demandait en effet de réaliser l’apparence d’un équilibre auquel aucun expert ne croyait plus. Pour obtenir en conséquence que le chiffre des prévisions et de recettes soit égal au chiffre des prévisions de dépenses, fallait-il rompre l’unité budgétaire ? Ou encore fausser toutes les évaluations ? Imposer à l’aveuglette des restrictions de crédits, en sachant qu’elles ne pourraient pas être respectées ? S’il suivait une politique de camouflage, il enlevait toute valeur à la notion fondamentale de plan prévisionnel. Et s’il ne la suivait pas, s’il faisait apparaitre la différence réelle – et inévitable – entre les dépenses et les recettes, il risquait d’affoler l’opinion publique et de précipiter la crise monétaire. Devait-il à tout le moins prendre l’initiative des mesures d’assouplissement réglementaire qu’il jugeait néfastes, ou attendre qu’on lui impose des abandons peut-être encore beaucoup plus néfastes ? Contraint de battre en retraite, devait-il le faire officiellement, en proposant des textes qu’il serait bien malaisé de rapporter plus tard ? Devait-il plutôt choisir de gagner du temps et de sauver la face en donnant l’ordre d’accepter des irrégularités-mais alors avec la certitude de décourager les fonctionnaires de contrôle et d’amoindrir le prestige de la loi ? La sagesse pour lui consista à louvoyer entre tous ces récifs, sans éviter les meurtrissures, en s’efforçant seulement de ne jamais s’engager à fond. Dans l’ensemble, il pouvait encore dire que la réglementation était maintenue et son application assurée. Dans le détail ce n’était plus toujours vrai64 ».

B. Les relations direction du Budget – direction de la Comptabilite publique

1. La collaboration CP-Budget en matière réglementaire : le décret de 1862, un héritage commun pour deux directions

61Les années cinquante sont marquées par une volonté de nouvelle codification réglementaire des finances publiques : décrets-lois de 1953, décret de 1956, ordonnance de 1959 mais aussi de nombreux autres textes de moindre envergure que cite Gilbert Devaux tout au long de son ouvrage. Cette codification semble l’œuvre parallèle de la direction du Budget et de la direction de la Comptabilité publique.

  • 65  Gilbert Devaux, op. cil., p. 35.

62« Depuis 1862, les règles de la Comptabilité publique ont été définies par une succession d’ordres ayant revêtu toutes les formes juridiques : lois, décrets-lois, décrets, arrêtés, circulaires. Certains ont un intérêt particulier et nous serons amenés à les étudier, mais plusieurs règles essentielles résultent encore de la seule tradition. Si l’on ajoute que la jurisprudence de la Cour des comptes est nécessairement limitée et assez mal résumée et que depuis longtemps la doctrine a complètement perdu pied, il est aisé de comprendre pourquoi la Comptabilité publique a une réputation d’ésotérisme. Les inconvénients pratiques sont moindres qu’on pourrait le croire, grâce à l’existence d’un corps permanent et très homogène de comptables spécialisés. Par leur intermédiaire, une sorte de synthèse se transmet progressivement de génération en génération, mais c’est une situation étrange et qui ne saurait indéfiniment se prolonger. On a songé à mettre à jour le décret de 1862. Tous les efforts accomplis à ce sujet pendant la période d’entre-deux-guerres ont échoué. À mon avis, cet échec s’explique surtout par le fait que les fonctionnaires dont l’intervention personnelle était indispensable, notamment le directeur du Budget et le directeur de la Comptabilité publique, n’ont pas pu consacrer assez de temps à cette tâche. Mais il provient aussi du respect excessif dont les experts ont témoigné à l’égard du vieux décret de 1862. Ils n’ont jamais voulu admettre que celui-ci était fondé sur des conceptions périmées65. »

  • 66  Ibid., p. 37.

63C’est à partir de ce constat que Gilbert Devaux envisage la réforme de 1953 dont l’ambition « est de faire surtout une présentation de règles communes, applicables à l’ensemble du secteur public ». Après avoir rappelé les difficultés de l’entreprise et son aboutissement sur le plan doctrinal, il conclut : « La preuve est faite qu’on peut réaliser des progrès énormes, dans le sens de la concision et de la clarté ». Il ajoute immédiatement : « Un second texte est intervenu depuis : le décret-loi organique du 19 juin 1956. Son objet est à la fois plus important et plus limité. Il traite de la forme générale des comptes de l’État et des relations des ordonnateurs de l’État avec le Parlement. Il devrait être repris dans la codification d’ensemble66. » On se demandera à quelle codification l’auteur fait allusion.

  • 67  Ibid., p. 39.

64Il serait intéressant de connaître le détail des travaux qui ont conduit à ces deux amorces de codification et de voir dans quelle mesure les deux directions ont coopéré. Outre le texte de 1956 qui a servi de base à celui de 1959, il est possible que les décrets-lois de 1953 l’aient également inspiré. Une autre question est de comprendre pourquoi l’un a pu aboutir et l’autre non. Sur ce point Gilbert Devaux fournit une explication qui pose le problème de l’autorité relative des deux directions. Après avoir évoqué « l’incertitude de notre position dans les territoires d’outre-mer », comme l’un des obstacles à l’application de sa réforme de 1953, Gilbert Devaux décrit en second lieu une difficulté d’ordre structurelle : « La guerre des contreseings ». Après avoir longuement disséquer le mécanisme, en particulier psychologique, des rapports de forces qui conduit à ce que « toute une zone de réglementation passe du domaine du ministre des Finances au domaine de la multiplicité des contreseings », Gilbert Devaux conclut : « Cette guerre des contreseings, qui s’est poursuivie avec des fortunes diverses depuis le début du siècle, a atteint à certaines époques une telle acuité qu’on peut lui attribuer certains empiètements étranges de la loi dans le domaine règlementaire, empiètements qui sont – hélas – une des causes d’obscurité de la Comptabilité publique. Plutôt que de prendre un simple décret ou même un arrêté qui eût exigé le contreseing de plusieurs de leurs collègues, certains ministres des Finances ont été amenés à penser que le moyen le plus expédient pour mettre un terme aux discussions administratives consistait à insérer la disposition règlementaire contestée dans le projet de budget (que le ministre des Finances prépare seul), ou encore, à faire déposer un amendement par un parlementaire67. » Ce constat consacre l’impuissance relative où se trouve dans les années cinquante la direction de la Comptabilité publique à imposer par elle-même aux autres administrations la réglementation dont elle est le dépositaire de principe.

2. Relations institutionnelles direction de la CP-direction du Budget

  • 68  Gilbert Devaux, op. cit., p. 110.

65Les relations institutionnelles entre la direction de la Comptabilité publique et celle du Budget sont commandées par l’organisation des comptes dont la direction de la Comptabilité publique assure la cohérence. Dans le cadre de son chapitre sur le principe technique de la non-affectation des recettes et des dépenses, à propos de ce qu’il appelle les affectations comptables orthodoxes, Gilbert Devaux précise le rôle de la direction de la Comptabilité publique en matière non plus de réglementation mais de comptes, en particulier par rapport à la direction du Budget. « Les budgets et les comptes permanents de résultats constituent les cadres, les affectations comptables élémentaires, de la Comptabilité publique. Toutes les autres affectations (orthodoxes ou exceptionnelles) sont faites à des comptes que l’on appelle “comptes de trésorerie” s’il s’agit de l’État et comptes “hors budget” s’il s’agit des collectivités ou des établissements publics. À cette distinction de technique comptable correspond une importante distinction administrative. Les comptes des budgets et les comptes de résultat sont le domaine de la direction du Budget. Tous les autres comptes (les comptes de trésorerie de l’État et les comptes hors budgets des collectivités et établissements publics) sont le domaine de la direction du Trésor. La direction de la Comptabilité publique établit la liaison. Elle suit l’exécution, monte les mécanismes, s’assure que tout est régulier et donne son avis dès que se présente une difficulté68. »

  • 69  Ibid.y p. 113.

66« Nous reparlerons ultérieurement des comptes d’exécution. De longues années d’un travail patient ont permis d’en faire des rouages bien au point. Mais ils ont été dans le passé non seulement une source chronique d’obscurités, mais aussi l’origine de graves abus. Traditionnellement ouverts à la seule initiative du directeur de la Comptabilité publique, pudiquement ignorés du directeur du Budget et du directeur du Trésor, les comptes d’exécution étaient le refuge d’opérations irrégulières qui s’accumulaient en solde pendant de longues années en attendant une très tardive régularisation. Aujourd’hui la thèse fortement affirmée de la direction de la Comptabilité publique est qu’une dépense dont l’imputation définitive n’a pas été légalement prévue et autorisée par la direction du Budget ou la direction du Trésor ne peut jamais être provisoirement inscrite à un compte d’exécution.69 » N’a-t-on pas le sentiment d’une relative solitude d’action de la direction de la Comptabilité publique ?

3. Les relations entre la direction du Budget et les comptables du Trésor

  • 70  Gilbert Devaux, op. cit., p. 162-163.

67« Soulignons le rôle de liaison du Trésor entre le centre qui prépare la réglementation des dépenses publiques (la direction du Budget) et les organes qui ont mission d’appliquer cette réglementation (les ordonnateurs locaux). La route officielle qui unit ces deux points extrêmes traverse avec beaucoup de méandres et en rencontrant de nombreux obstacles les administrations centrales des autres départements ministériels. Mais il existe un raccourci commode qui passe par la direction de la Comptabilité publique et le Trésor ; il est fréquemment parcouru dans les deux sens. Le Trésor est donc un admirable organe d’information. De fâcheuses expériences ont démontré qu’il est impossible de contrôler un service lorsqu’on ne connaît pas sa comptabilité ; en revanche, rien n’échappe à celui qui tient lui-même les comptes d’un service. Par l’intermédiaire de la direction de la Comptabilité publique, les comptables du trésor ont de multiples occasions de renseigner la direction du Budget, de signaler des abus, d’appeler son attention sur des lacunes ou des difficultés d’application. Par le jeu d’un mouvement inverse, le Trésor est un organe de diffusion et d’interprétation. » Soulignant l’intérêt de ce rôle de transmission, Gilbert Devaux conclut : « Et l’adaptation à un système financier en état de constante évolution s’opère très simplement avec beaucoup de continuité.70 » On se demandera s’il s’agit là d’une vision conforme à la réalité des relations entre le réseau comptable et la direction du Budget. On se demandera en particulier si ce « raccourci commode » est en 1957 véritablement parcouru et « parcouru dans les deux sens ». Notons en tout cas que le seul exemple que donne Gilbert Devaux des relations entre comptables et Budget montre les consignes de la direction du Budget en contradiction avec les textes réglementaires applicables par les comptables.

  • 71  Ibid., p. 209-210.

68Gilbert Devaux montre comment avec l’aval de la direction du Budget, les comptables peuvent être amenés à entrer en contradiction avec les textes eux-mêmes : « L’écart entre les chiffres du plan prévisionnel et ceux de son exécution croissait d’année en année, surtout si l’on prenait en considération la masse imposante de dépenses dissimulées à titre définitif ou provisoire dans les comptes de trésorerie. Des opérations de plus en plus nombreuses et de plus en plus variées n’étaient inscrites au budget de l’État que sous la forme de subventions ; exécutées sous la responsabilité de collectivités, d’établissements publics ou d’organismes privés, elles bénéficiaient ainsi d’une atténuation de contrôle. Enfin la tolérance devenait une sorte de procédure administrative, comme s’il était possible, avec l’accord du ministre des Finances, de déroger à un acte règlementaire ou de dépasser une limite prévue par la loi. Après consultation du directeur du Budget, les comptables étaient invités par le directeur de la Comptabilité publique à faire exceptionnellement le contraire de ce que le texte prévoyait. Aussi bien s’abstenait-on de mettre en cause leur responsabilité pécuniaire, sauf en cas de déficit de caisse. Le directeur du Budget devait même se résigner à tolérer des dépassements de crédits ou d’effectifs ; comme ces dépassements n’étaient connus que des contrôleurs financiers, il lui suffisait de donner des instructions à ses propres subordonnés ; c’était ce qu’on était convenu d’appeler les visas de dépassement et les recrutements de surnombres.71 » C’est ainsi que les comptables publics risquent d’être court-circuités. Cette allusion au contrôle financier pose en réalité la question des relations entre le réseau des comptables et le corps des contrôleurs financiers. L’existence de ceux-ci fait l’objet d’une attaque en règle de la part de Gilbert Devaux.

4. Faut-il parler de contrôle ou de comptabilité des dépenses engagées ?

  • 72  Gilbert Devaux, op. cit., p. 42.

69La première mise en cause du contrôle des dépenses engagées, dénommé à partir de 1956 « contrôle financier », a lieu à propos de ce que Gilbert Devaux appelle : l’« intervention de trois catégories de spécialistes : les experts, les tuteurs, les contrôleurs ». « Après les experts et les tuteurs, écrit-il, viennent les contrôleurs spécialisés. Depuis une trentaine d’années, en effet, le contrôle préventif traditionnel exercé par les comptables sur la régularité ne paraît plus suffisant. Autrefois, le seul contrôle préventif exercé sur les ordonnateurs par d’autres fonctionnaires que les comptables était le contrôle des préfets sur certains actes des collectivités. Il résultait déjà, de cette dualité de contrôle, une rivalité très ancienne qui conduisait à des conceptions bizarres, telles que la distinction entre la régularité de forme et la régularité de fond. Mais le xxe siècle a été le triomphe des spécialistes du contrôle. On a commencé par observer, avec beaucoup de bon sens qu’on ne parviendrait jamais à surveiller les opérations des ordonnateurs si le contrôleur se contentait d’intervenir “autour de la caisse” comme l’avait prévu le décret de 1862. De toute évidence, il fallait remonter au-delà. Mais au lieu de confier cette tâche nouvelle aux comptables (ce qui aurait été très simple, mais d’une portée limitée, car un comptable peut malaisément apprécier toutes les conséquences d’un contrat conclu par un technicien), on a préféré la formule plus complexe d’un contrôleur d’un nouveau genre, ce qui a présenté en même temps l’avantage de donner au directeur du Budget de l’époque le commandement d’un service extérieur, dont il était jusque là dépourvu et de lui permettre de suivre lui-même de près les opérations des autres départements ministériels. Après ce précédent classique des “contrôleurs des dépenses engagés”, on a créé dans le même esprit des “contrôleurs d’Etat”, des “commissaires du Gouvernement” et même des organismes complexes de contrôle préventif, composés de membres du Conseil d’État, de l’Inspection des finances et de la Cour des comptes72. »

  • 73  Gilbert Devaux, op. cit., p. 46.

70Gilbert Devaux tire alors les « conséquences de cette évolution administrative sur les notions de régularité et d’opportunité », pour ensuite prendre des « exemples empruntés à la réglementation des marchés des constructions immobilières et des statuts de personnel ». Il en conclut que le chef de service est devenu beaucoup moins un maître d’œuvre qu’un négociateur harassé. Résumant la situation de celui-ci après 1948, il estime que : « (La réglementation des statuts de personnel) pousse jusqu’à ses conséquences extrêmes, la doctrine du travail administratif collectif dominé par les spécialistes. Dès qu’une modification, si minime soit-elle, est envisagée au statut d’un corps de fonctionnaires, le directeur théoriquement responsable doit obtenir d’abord l’accord d’un comité technique paritaire, placé auprès de lui ; puis celui d’un comité paritaire central de son ministère, puis celui du directeur du Budget, enfin celui du Conseil d’État. Il peut passer outre à l’avis de son propre comité technique mais au-delà de cet échelon, il perd l’initiative et la décision dépend uniquement de la politique conjointe des trois organismes qui jouent le rôle d’expert (la direction du Personnel, la direction de la Fonction publique et la direction du Budget)73. » Nous retrouvons plus loin une nouvelle pointe en direction du contrôle des dépenses engagées dont l’auteur fait une source d’inspiration pour les spécialistes : « Les partisans des spécialistes (qui se manifestent périodiquement depuis la création des contrôleurs des dépenses engagées) ont failli l’emporter complètement en 1936. Le projet de réforme, qui a été très vigoureusement défendu à l’époque par de très hautes personnalités de la Cour des comptes et du Gouvernement, a été repoussé de justesse par une intervention de M. Joseph Caillaux, qui a jeté dans la balance tout le poids de la commission sénatoriale des finances pour briser l’assaut mené en fait contre la direction de la Comptabilité publique. »

71Enfin lorsqu’il évoque « le risque de lésion des fournisseurs » et les « mécanismes régulateurs : le contrôle des dépenses engagées, les intérêts moratoires, les indemnités pour dommage », Gilbert Devaux met en lumière ce qu’il appelle une dualité de doctrine entre la direction du Budget et la direction de la Comptabilité publique. Adoptant un instant le point de vue des fournisseurs, Gilbert Devaux développe celui-ci pour conclure : « Nous (les fournisseurs) ne connaissons, en effet que les règles du Code civil et du Code de commerce et, très souvent, nous n’avons aucun moyen de suivre la procédure administrative. En particulier, n’est-il pas inique de suspendre le paiement parce que la comptabilité des crédits budgétaires fait apparaitre un dépassement ? » Soulignant la logique de la thèse des fournisseurs de l’Administration, Gilbert Devaux estime que celle-ci est enfermée dans un véritable dilemme : « Ce sont les lacunes du système judiciaire qui permettent d’exercer le contrôle administratif et, si l’on complétait l’organisation judiciaire, on ouvrirait de sérieuses brèches dans le contrôle. » Gilbert Devaux poursuit sa démonstration quelques lignes plus loin : « En réalité l’anomalie de la procédure actuelle tient au fait que l’intervention du comptable prévue pour un contrôle a priori, s’exerce a posteriori lorsque la créance est née par application des clauses d’un contrat. La seule solution satisfaisante consisterait donc à vérifier la régularité de l’engagement et la disponibilité des crédits avant la signature du contrat – ce qui permettrait accessoirement d’attester aussi la compétence des signataires. C’est ce qu’on a appelé – par une terminologie assez obscure – le contrôle des dépenses engagées. »

  • 74  Sur ce point Gilbert Devaux ajoute en note : « On s’est demandé à plusieurs reprises s’il ne convi (...)

72Il poursuit : « Ce problème est devenu chaque jour plus urgent car, en raison de la complexité des opérations, des délais de plus en plus longs s’écoulent entre la signature d’un contrat de paiement de la dépense correspondante ; de telle sorte qu’il devient de plus en plus malaisé de dire aux fournisseurs qui ont accompli des débours importants pour réaliser ce qu’on leur demandait : “Nous sommes désolés mais nous ne pouvons pas payer car nous nous apercevons aujourd’hui que votre contrat n’était pas régulier.” Malheureusement, c’est un domaine où la rue de Rivoli n’a pas toujours su présenter un front commun. La direction de la Comptabilité publique suggère que l’examen de la régularité des contrats et de la disponibilité des crédits (qui doit, en toute hypothèse, être fait par le comptable au moment du paiement) soit réalisé par un premier visa du comptable au moment de l’engagement. Il n’y aurait aucun travail supplémentaire, simplement un circuit plus long, évitant par la suite les refus de paiements les plus délicats. Lorsque la facture serait présentée on ne pourrait plus discuter que la qualité du service accompli et la capacité du créancier. La direction du Budget, observant que la technique des contrats se présente dans des conditions très différentes dans les divers ministères, et soucieuse d’avoir une autorité directe sur des fonctionnaires qui la représentent auprès des techniciens, préfère des contrôleurs spécialisés. Cette dualité de doctrines et l’opposition chronique des autres ministères à toute nouvelle intervention des Finances ont conduit à une organisation administrative qui comporte de graves lacunes. Des contrôleurs spécialisés (dénommés “contrôleurs des dépenses engagées” puis “contrôleurs financiers”) ont été créés pour les dépenses de l’État auprès des ministres et pour les dépenses des fédérations d’outre-mer auprès des hauts commissaires. Sous les ordres du directeur du Budget, ils vérifient seuls la disponibilité des crédits et la régularité des engagements dès que ceux-ci sont contractés. Ils vérifient ensuite la régularité des ordonnancements concurremment avec le comptable (...). Ce système n’est guère satisfaisant pour l’esprit. Certains engagements et certains ordonnancements se trouvent contrôlés deux fois.74 » De ces quelques extraits il ressort que la répartition des compétences entre les deux directions ne répond pas aux vœux de Gilbert Devaux. Le lieu de cette contestation est en particulier le contrôle (ou la comptabilité ?) des dépenses engagées. Mais au-delà des enjeux éventuels de pouvoir on trouvera à la source de cette contestation une divergence d’ordre doctrinal sur la nature du budget.

5. Le budget est-il un acte ou un compte ?

  • 75  Gilbert Devaux, op. cit., note 1, p. 40.

73Ainsi sera-t-on peut-être surpris de constater que le budget est essentiellement décrit sous son aspect de technique comptable. Celui-ci est mentionné dans le cadre du troisième grand principe de la Comptabilité publique : la règle de non-affectation des recettes et des dépenses. Le budget est dominé selon Gilbert Devaux par la notion de compte : ainsi écrit-il en note : « Le décret du 31 mai 1862 définit le Budget comme “l’acte par lequel sont prévues les recettes et les dépenses annuelles de l’État” art. 5. A mon avis, poursuit-il, cette définition est mauvaise car je n’aperçois pas comment on peut parler du “déficit d’un acte” ou de “l’équilibre d’un acte J’estime que le budget est le compte annuel des recettes et des dépenses d’une personne morale publique (compte prévisionnel puis compte d’exécution). » Il ajoute : « Ce problème de définition du Budget n’a pas été tranché par le décret-loi organique du 19 juin 1956 dont l’article 1er dit simplement que : “Le budget de l’État prévoit et autorise, en la forme législative, les charges et les ressources de l’État75.” » Certes il ne s’agit là que d’une partie de la pratique budgétaire, celle qui se rapporte aux problèmes de techniques comptables que Gilbert Devaux développe dans son chapitre III intitulé « Le principe technique de la non-affectation des recettes et des dépenses ». Mais on remarquera d’une part que la description de ces pratiques budgétaires comptables est subordonnée à la défense d’un principe de la Comptabilité publique : la non-affectation des recettes et des dépenses ; d’autre part que l’auteur envisage le budget plus comme un compte que comme un acte. Mais c’est surtout par son absence que l’on peut juger de l’idée que se fait Gilbert Devaux de la place de la direction du Budget.

C. La direction du Budget vue par Gilbert Devaux : un témoignage par l’absence ?

  • 76  Ibid., p. 147.
  • 77  Ibid, p. 21.
  • 78  Après avoir souligné la tendance des fonctionnaires à développer leur action en fonction des techn (...)

74Certes il définit le rôle du directeur du Budget : « Le directeur du Budget suit la préparation et l’exécution du plan financier des clients administratifs. Son but est d’obtenir que tous ménagent leurs ressources. Il exerce en vérité – en liaison avec tous les départements techniques – une sorte de tutelle financière aussi bien sur l’État que sur les collectivités et établissements publics (même sur ceux qui ne déposent qu’une partie de leurs fonds au Trésor)76. » Cependant cette définition n’accorde à la direction du Budget aucune part de décision ou d’initiative. Ainsi le Budget n’a et ne doit avoir semble-t-il, selon Gilbert Devaux, qu’un rôle de suivi, au mieux de tutelle. C’est ce qui explique l’absence relative de la direction du Budget de l’horizon décrit par Gilbert Devaux. Ainsi lorsqu’il évoque ce qu’il appelle le thème de la Comptabilité publique, il ne fait aucune mention du rôle de la direction du Budget dans l’établissement de ce qu’il appelle le plan d’ensemble établi collectivement par des assemblées ou par un conseil : « Les opérations financières publiques ne sont pas dominées par la notion de profit, mais par la notion de service ; par suite, elles sont arrêtées a priori selon un plan d’ensemble établi collectivement par des assemblées ou par un conseil. La fonction essentielle de la Comptabilité publique est d’assurer l’exécution de ce plan et d’éviter tout abus en substituant divers contrôles automatiques au contrôle par le rendement.77 » De même lorsqu’il évoque « les trois sérieux contrepoids » qui permettent de balancer « cette poussée des techniciens » dont il estime qu’elle « aurait depuis très longtemps fait sauter notre régime78 », la direction du Budget curieusement ne figure pas. En revanche il cite « la concentration du pouvoir financier entre des milliers de comptables répartis dans toute la France et qui risquent d’être personnellement ruinés s’ils ne disent pas chaque fois qu’il faut le dire : « Vous n’appliquez plus les règles du jeu. Nous n’exécutons plus vos ordres. »

75À bien suivre Gilbert Devaux en 1956 la direction du Budget ne saurait échapper au système financier historiquement dominé par la Comptabilité publique dont elle procède généalogiquement. Au-delà du souci apologétique de l’auteur, au-delà de la part inévitable de rivalités de services, de corps et de personnes inhérents au fonctionnement même de l’Administration, Gilbert Devaux propose un point de vue cohérent adossé à une longue tradition (qui reste à explorer) et fondé sur le triple primat de la règle, de la centralisation et des mentalités. De ce point de vue la direction du Budget apparaît comme une sorte de palliatif aux dysfonctionnements provisoires d’un système financier qui doit rester dominé par la règle. Faut-il partager cette vue des choses ou bien considérer que la direction du Budget a été et est encore le moyen de surmonter et de renvoyer définitivement dans le passé les contradictions relevées par l’auteur ? Osera-t-on dire que la direction du Budget et les administrateurs qui la compose se sont dans les faits pour partie substitués à la règle ?

Conclusion

  • 79  Il y a sur cet aspect originel de « contrôle » propre à la Comptabilité publique des ambiguïtés de (...)

76Gilbert Devaux est l’héritier spirituel d’une filiation intellectuelle fortement marquée par Joseph Caillaux. Mais il est surtout, avant qu’il ne prenne la tête de la direction du Budget, le représentant d’une conception des finances publiques essentiellement juridique dominée par la notion de compte et à travers celle-ci, par la notion de contrôle79. À ce titre il incarne jusqu’en 1957 un point de vue sur les finances publiques qui ne cadre pas avec les conceptions dominantes des années cinquante. Il nous rappelle en particulier qu’il existe une conception « Comptabilité publique » de l’administration des Finances qui ne coïncide pas forcément avec la culture de la direction du Budget telle qu’elle s’est développée depuis 1919.

  • 80  Par la formulation de ces trois hypothèses nous n’entendons pas présumer de l’action effective de (...)

77À partir de ce point de vue « Comptabilité publique » que développe une dernière fois Gilbert Devaux avant qu’il ne s’estompe peu à peu, laissons-nous aller à trois hypothèses sur les conceptions de l’auteur afin de contribuer à éclairer son action à la direction du Budget80 :

    • 81  Cette expression est à manier avec prudence comme le souligne Richard F. Kuisel : « ... le dirigis (...)

    s’il reconnaît de fait l’extension du rôle de l’État dans l’économie, il nous parait a priori réticent à l’idée d’une économie « dirigée81 ».

    • 82  Peut-être trouvera-t-on des traces confirmatives de cette volonté dans les travaux préparatoires o (...)

    il ne conçoit pas, en 1956, la direction du Budget comme une administration pleinement autonome mais plutôt comme le levier à partir duquel il serait possible de rendre sa cohérence à la galaxie « Comptabilité publique » qui sous-tendait l’ancien système financier de la France82.

    • 83  Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie, histoire d’une conversion : 1932-1952, Paris (...)
    • 84  Sur ces différentes « figures » de l’État, on se référera à Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 15, 1 (...)

    en tant que représentant d’une culture des finances publiques d’abord rattachée au droit public, il vit la conversion de l’État, des Finances et de l’économie analysée par Michel Margairaz83 comme une contradiction : contradiction entre une tradition administrative française fondée sur la centralisation gouvernementale joint au respect de la règle et l’irruption de la décision collective d’origine anglo-saxonne, contradiction entre les généralistes de terrain que sont les comptables publics et la multiplication des techniciens, des spécialistes et des contrôleurs, contradiction entre la nécessité pour l’administration des Finances de combattre toutes les formes de féodalités et le risque pour cette administration de se constituer elle-même en féodalité, contradiction enfin entre une optique régalienne de « l’État-gendarme » propre à la Comptabilité publique et le développement du concept de « l’État-Providence » et de « l’État régulateur de l’économie84 » auquel n’échappe pas la direction du Budget.

  • 85  À bien des égards la Comptabilité publique apparaît comme le point sensible où cette conversion de (...)

78C’est notamment à partir de l’histoire de cette conversion qui sous la plume de Gilbert Devaux devient l’histoire d’une contradiction85 qu’il nous appartient de penser et de resituer l’évolution de la direction du Budget, en particulier dans les années cinquante.

  • 86  Déceler la présence de cette doctrine et l’exprimer reste problématique pour le chercheur : elle t (...)

79Plus généralement, La Comptabilité publique de Gilbert Devaux est une pièce supplémentaire et non négligeable à verser au dossier de l’histoire de l’intervention de l’État dans l’économie en France. Quelle que soit leur valeur en 1957, les conceptions de Gilbert Devaux ont le mérite d’inviter le chercheur à un véritable renversement de perspective. Il nous découvre l’impact déstabilisant des années de reconstruction sur la structure et la doctrine traditionnelles du ministère des Finances86. Il ne se situe pas d’abord sur le terrain des chiffres, des coûts, du rendement, de la comptabilité, de la technique ou de la théorie économique ; il envisage par priorité le système financier français sous l’angle de l’histoire, de la philosophie, de la psychologie, du droit, et de l’organisation générale. En réalité l’horizon ultime que propose Gilbert Devaux à son ouvrage sur la Comptabilité publique n’est ni juridique, ni administratif, ni financier, ni économique, ni institutionnel ; l’horizon ultime que nous propose Gilbert Devaux c’est l’influence croissante de la technique comme élément déterminant de l’évolution administrative rapportée à la psychologie individuelle ou collective qui anime les fonctionnaires, les corps de fonctionnaires et les administrations elles-mêmes.

80Mais au-delà de cette problématique peut-être majeure de l’évolution administrative, l’ouvrage de Gilbert Devaux est doublement riche pour le chercheur.

  • 87  On se référera sur ces différents points à l’article de Florence Descamps : « Les archives orales (...)
  • 88  Il y a chez Gilbert Devaux une vision de l’histoire largement influencée par Toynbee qu’il convien (...)

81Tout d’abord il s’agit d’une source ; et d’une source qui curieusement se rapproche de la source orale. Comme la source orale elle permet de déceler de nouvelles hypothèses de recherche, comme la source orale elle est révélatrice d’un état d’esprit individuel et collectif, comme la source orale elle appelle une critique fine du contenu comme de la forme du témoignage et du contexte où s’enracine celui-ci87 : il faut se livrer à une exégèse en profondeur de l’ouvrage, démêler ce qui ressort de la doctrine et du vécu, de la démonstration et du témoignage, approfondir la biographie de l’auteur et bien comprendre la réforme qu’il envisageait. La tâche n’est pas aisée et relève même du paradoxe, puisqu’il s’agit d’estimer la valeur d’un texte qui interprète l’histoire88 et s’appuie sur une réforme qui n’a finalement jamais été appliquée.

82En second lieu La Comptabilité publique agit sur le chercheur comme un triple révélateur :

    • 89  Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 12. Celui-ci souligne : « Pour comprendre les choses, il faut d’u (...)

    il l’invite à rompre avec « le présupposé d’une histoire simple et évidente » qui selon Pierre Rosanvallon « gouverne trop notre approche du phénomène étatique89 ».

    • 90  Pierre Rosanvallon dénonce sur ce point « la préférence donnée à l’histoire des idées » dans le do (...)
    • 91  Pierre Rosanvallon met en cause cette approche globale : « L’État est trop souvent appréhendé comm (...)

    il lui soumet de fait le problème méthodologique de l’ajustement entre l’histoire de l’Administration vue et interprétée de l’intérieur par un praticien et une approche jusqu’à présent restée trop générale90, encore largement conditionnée par une vision globale91 de l’histoire de l’État.

    • 92  « Tout se passe en effet comme si l’on considérait que l’État n’avait pas véritablement d’histoire (...)
    • 93  Après avoir énoncé quatre figures de l’État (Le Léviathan démocratique, l’instituteur du social, l (...)

    il l’engage à repenser92 les conditions d’émergence, de développement ou de disparition des figures successives de l’État93.

  • 94  « Penser historiquement l’État est (..) un préalable à toute réflexion solide sur son avenir. Le v (...)
  • 95  Guy Thuillier le soulignait déjà en 1991 : « On n’a jamais fait l’effort nécessaire pour confronte (...)

83En définitive l’ouvrage de Gilbert Devaux est un appel implicite à « penser historiquement l’État94 » et l’Administration selon le vœu exprimé par Pierre Rosanvallon. Il se présente comme une « leçon de chose publique » à l’époque destinée aux élèves de l’ENA et maintenant livrée comme document à la sagacité des historiens. Une relecture de La Comptabilité publique serait peut-être l’occasion pour les chercheurs d’alimenter leurs réflexions sur la méthode95 en histoire administrative récente et l’état des problématiques dans ce domaine ?

Notes

1  On se référera sur ce sujet à l’article 374 du titre III du décret de 1862 et à « L’histoire de la Comptabilité publique de 1870 à 1940 : de l’administration des choses au gouvernement des hommes », Philippe Masquelier, actes du colloque La Comptabilité publique, continuité et modernité, CHEFF, Paris, 1995, p. 41 à 77.

2  En 1891, Étienne Dubois de l’Estang souligne ce caractère de totalité intégrée propre à la Comptabilité publique : « La Comptabilité publique ne détermine pas seulement la manière dont les opérations doivent être retracées ; elle régit jusqu’à ces opérations elles-mêmes, en indiquant le mode suivant lequel elles doivent s’exécuter. Elle embrasse ainsi l’ensemble des règles qui s’appliquent à la gestion des biens mis en commun par les citoyens, c’est-à-dire des biens appartenant à l’État, aux départements ou provinces, aux communes et aux établissements placés sous le contrôle de l’Administration générale. » De même à propos de la Comptabilité de l’État, il précise : « L’obligation où il (l’État) est de rendre aux représentants du pays un compte fidèle de sa gestion marque le caractère propre de la Comptabilité publique, en même temps qu’elle désigne son but, domine son organisation et détermine ses procèdes. » Art « Comptabilité publique » in Nouveau dictionnaire d’économie politique publié sous la direction de Léon Say et Joseph Chailley, T1, Paris, 1891, p. 488.

3  Ibid., p. 60.

4  Ibid., p. 66 et 75.

5  Ce portrait est en réalité un autoportrait : il est esquissé pour l’essentiel à partir du plan détaillé confié par Gilbert Devaux à Nathalie Carré de Malberg de ses mémoires intitulées L’aventure est-elle une règle de vie ? et d’une réponse qu’il adresse en 1981 à un questionnaire de Nathalie Carré de Malberg dans le cadre de travaux sur l’Inspection des finances dans les années trente.

6  On trouvera la trace de cette amitié dans l’ouvrage de Jean-Claude Allain Joseph Caillaux, l’oracle, 1914-1944, Paris, 1981, p. 154.

7  Ce moment de la carrière de Gilbert Devaux est également évoqué par Jean-Claude Allain, op. cit., p. 378.

8  Note pour la direction de la Comptabilité publique du 19 juin 1935, signée par l’inspecteur général des Finances, chef du service, RE169/93, carton 7, EPI 213, Inspection générale des finances.

9  D’après Pierre Pépin, dans « Les décrets de 1953 sur la responsabilité des comptables publics », La Comptabilité publique, continuité et modernité, CHEFF, Paris, 1995, p. 79.

10  On lira sur ce point Jean-Claude Allain, op. cit., le chapitre XV (p. 396 à 465), intitulé « le message de Joseph Caillaux ».

11  On lira sur ce point l’ouvrage de Dominique Leca, La Rupture de 1940, ainsi que l’ouvrage de Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, 1939-1945, qui écrit à leur sujet : « Arrivés non sans difficultés au Portugal, ils apprirent que leurs nominations étaient annulées. C’était là une manœuvre de Bouthillier qui les fit accuser de malversations. Naturellement ces deux hommes irréprochables finiront par être disculpés de l’odieuse accusation. »

12  Arrêté du 29 avril 1947, signé Schuman, rapportant les dispositions de l’acte dit « arrêté du 16 novembre 1940 », RE 169/93, carton 7, EPI 213, Inspection générale des finances.

13  Paul Vincent, document remis au CHEFF à l’occasion d’une série d’entretiens oraux en 1991.

14  Le Monde du 24 août 1977.

15  Originellement dénommé « Comptabilité des dépenses engagées ».

16  Philippe Masquelier, op. cit.

17  C’est ce que laisse entendre celui-ci dans son ouvrage Le drame de Vichy-II-Finances sous la contrainte, Paris, 1951, p. 256. Il emploie curieusement la formule de « département de la Comptabilité nationale ».

18  On se référera sur ce point au carton B55187, fonds Comptabilité publique, SAEF.

19  On trouve plusieurs traces de la difficulté que peut présenter la Comptabilité publique aux innovations comptables, en particulier dans les premières épreuves corrigées du rapport visant à rendre compte de l’activité de la Commission de normalisation des comptabilités : « La place grandissante qu’occupent les finances publiques dans la vie économique de la nation ne permet plus d’écarter le budget et la trésorerie de l’État ainsi que des collectivités publiques, de toute centralisation comptable dont les données doivent permettre de suivre et d’interpréter la production et les échanges. Or les règles de la comptabilité publique, en dépit des progrès substantiels réalisés depuis une dizaine d’années, relèvent encore d’une conception exclusivement administrative de l’État et ne permettent pas de tirer aisément des documents officiels les éléments statistiques nécessaires à l’information économique. L’établissement d’une comptabilité économique nationale implique donc, de toute évidence, une réforme profonde de la comptabilité publique que la Commission a été logiquement conduite à souhaiter mais dont elle ne se dissimule pas les obstacles. Modifier des règles séculaires dont certaines sont étroitement liées au droit administratif constituera déjà une tâche fort lourde mais des difficultés encore plus grandes s’élèveront au moment d’appliquer un système dont la mise en vigueur exigera, pour être satisfaisante, une nouvelle formation des comptables publics ». SAEF, carton B55191. Il y aurait des recherches à mener sur les liens ou l’absence de liens entre la Comptabilité publique et l’émergence de nouveaux outils de comptabilité après 1945.

20  Gilbert Devaux, directeur du Budget au ministère des Finances, La Comptabilité publique, tome I, Les Principes, Paris, PUF, 1957, 247 p. L’origine de l’ouvrage est un cours dispensé par Gilbert Devaux à l’ENA entre 1955 et 1960. Seul le premier tome sur les principes est paru. La seconde partie, Les modalités d’application, restée à l’état de cours, n’a pas été publiée.

21  Dans sa préface, Gilbert Devaux écrit : « La Comptabilité publique est en effet tout autre chose qu’un assemblage de règles et de techniques comptables. C’est à la vérité un sujet tellement vaste qu’il serait singulièrement malaisé d’en donner, en quelques centaines de pages une description systématique. »

22  Dans une réponse au questionnaire établi par Nathalie Carré de Malberg déjà cité, Gilbert Devaux écrit : « A l’ENA, sept années de suite j’ai exposé les principes auxquels je crois et je les ai résumés dans un livre que les étudiants se transmettront comme une bible. » Il semble en réalité que le cours ait été professé sur six ans, de 1955 à 1960.

23  Ceci n’est possible qu’à la condition de bien resituer le propos de l’ouvrage de Gilbert Devaux dans son contexte et par rapport aux intentions de l’auteur.

24  En 1990, Pierre Rosanvallon estimait qu’« il est peu de domaines dans lesquels le déséquilibre entre la masse des prises de position et la minceur des travaux érudits soit aussi frappant. L’histoire de l’Administration, surtout pour la période postérieure à 1789, reste ainsi un continent à explorer ». L’État en France de 1789 à nos jours, seuil, 1990, p. 9. Ce constat est aujourd’hui à nuancer. L’on citera en particulier les travaux engagés par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, entre 1988 et 1994 à l’initiative de Florence Descamps. L’ensemble de ces travaux et ceux qui ont été menés depuis contribuent à une approche plus fine des phénomènes administratifs remis en perspective dans le temps.

25  Un tel exercice est fatalement subjectif et réducteur. Il n’a pas d’autre ambition que d’éveiller la curiosité du lecteur et de susciter de nouvelles hypothèses de recherche. Etant donnée la singularité de conceptions de Gilbert Devaux dans les années cinquante, de longues citations nous ont paru nécessaires afin de bien montrer le cadre logique où s’inscrit la pensée de l’auteur. C’est aussi une occasion de laisser « parler » le document.

26  Gilbert Devaux, op. cit., p. 189-191.

27  Gilbert Devaux, op. cit., p. 241.

28  Ibid., p. 1 et 2.

29  Ibid., p. 22.

30  Ibid., préface.

31  Gilbert Devaux donne d’emblée la réponse : « À la vérité, l’examen de toutes nos institutions pourrait conduire au même doute. Ceux qui les étudient sont tentés d’y voir l’effet d’un thème patiemment défendu, progressivement développé. Ceux qui ont contribué à cette création collective ont le sentiment d’avoir réagi diversement selon les circonstances et s’étonnent d’apprendre qu’on attribue leurs actes à des théories. Personnellement, ‘je pense que ce sont les premiers qui ont raison et que le thème existe, bien qu’il soit souvent formulé beaucoup moins clairement par ceux qui ont plus tard le privilège d’une vision schématique et rétrospective. » Ibid., p. 21.

32  Gilbert Devaux, op. cit., p. 21.

33  Ibid., p. 35.

34  Gilbert Devaux, op. cit., p. 47.

35  Gilbert Devaux, op. cit., p. 103.

36  Il s’en explique en note après avoir rappelé que l’application de la technique comptable et les critères adoptés en la matière « seront décrits dans la seconde partie de cet ouvrage consacré aux “modalités d’application”. », mais qu’« en revanche le problème des “affectations” met en jeu un principe de droit public et mérite une étude plus approfondie ».

37  Gilbert Devaux décrit ainsi le processus : « Lorsqu’une attaque vigoureuse est déclenchée en faveur d’une affectation, l’administration des Finances offre d’abord une procédure particulière à l’intérieure du Budget, puis un compte spécial alimenté par une subvention budgétaire. Obligée de reculer encore, elle abandonnera au profit du compte spécial quelques recouvrements fiscaux. Peut-être même devra-t-elle consentir à la création d’un établissement public. Il en résultera des jeux complexes d’écritures, des réunions de comités et même des privilèges qu’elle devra tolérer temporairement. Mais ce qu’elle n’acceptera jamais, ce qu’elle fera toujours mine de ne pas comprendre, c’est ce qu’en réalité demande celui qui parle d’autonomie : c’est l’affectation des fonds. » Ibid., p. 138.

38  « Mais ce qui est tout à fait remarquable, écrit-il, c’est que la Caisse des dépôts et la Caisse autonome d’amortissement versent au Trésor la totalité de leurs liquidités (...) et que les placements de valeurs à la Caisse des dépots sont effectués en étroite liaison avec le Trésor dont elle est devenue le très fidèle associé. On est donc parvenu au résultat inverse de celui qu’on avait voulu atteindre puisque l’existence de la Caisse des dépôts a sensiblement accru en définitive la puissance d’action financière du Trésor ». De même il constate « avec quelle ponctualité des créations “parapubliques” de la période d’après-guerre (Électricité de France, Houillères, Assurances nationalisées, etc.) qui n’ont aucun lien de droit avec le Trésor et peuvent placer leurs fonds comme il leur plaît, apportent aujourd’hui tous leurs fonds en dépôt au Trésor ». Ibid., p. 143.

39  Gilbert Devaux, op. cit., p. 144.

40  Ibid., p. 145-146.

41  Gilbert Devaux, op. cit., p. 164.

42  Ibid., p. 177.

43  Ibid., p. 178.

44  Ibid, p. 162.

45  « Observons (...) qu’en confiant la majeure part des comptes publics à une administration unique, dont tous les membres solidaires ne dépendent que du ministre des Finances et peuvent se considérer comme des représentants d’une véritable « institution », on a sensiblement accru l’efficacité de ce contrôle. Celui qui est exercé par les réseaux de comptables rattachés est évidemment moins sûr. Pour le renforcer et établir une unité d’action administrative, la rue de Rivoli provoque des vérifications sur place des comptables rattachés par les trésoriers-payeurs généraux et leurs représentants (receveurs des Finances, inspecteurs du Trésor). Même des services parapublics sont soumis aux vérifications des trésoriers-payeurs généraux. » Idem.

46  Gilbert Devaux, op. cit., p. 182-183.

47  Ibid., p. 184.

48  Ibid., p. 184.

49  Ibid., p. 186.

50  Gilbert Devaux, op. cit., p. 188.

51  Ibid., p. 191.

52  Ibid., p. 200.

53  Ibid., p. 187, 188. Cette affirmation est à rapprocher des observations qui vont en sens contraire, relevées par Michel Margairaz : « Dans une note d’octobre 1947 pour Jules Moch, Gaston Cusin s’est déjà inquiété : "L’esprit même de ce contrôle n’a jamais été compris par le ministère des Finances qui continue à rechercher les observations a priori suivant des procédés budgétaires, alors que les entreprises nationalisées doivent être gérées comme des entreprises commerciales.” Dans la même perspective, antidirigiste, il ajoute pour le CEI, un an plus tard : “On doit, à tout prix, éviter de stériliser les entreprises nationalisées par l’application de règles de comptabilité publique et rechercher, au contraire, leur rentabilité, que la comptabilité commerciale permet seule d’apprécier. Ce sont donc les méthodes qui prévalent dans les entreprises privées qui doivent être appliquées.” Discours bien proche de celui de René Mayer, pourtant vivement attaqué dans des notes confidentielles. » Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie, histoire d’une conversion : 1932-1952, Paris, CHEFF, 1991, p. 1083.

54  Gilbert Devaux, op. cit., p. 212.

55  Ibid., p. 214.

56  Ibid., p. 214.

57  Ibid., p. 217.

58  Idem.

59  Ibid., p. 197.

60  Gilbert Devaux, op. cit., p. 233-234.

61  Ibid., p. 241.

62  Gilbert Devaux, op. cit., p. 224.

63  Ibid., p. 227.

64  Gilbert Devaux, op. cit., p. 208. On pourra se poser la question : « Ce dilemme était-il vécu comme tel par le directeur du Budget de l’époque ? celui-ci avait-il le même souci de la règle ? ».

65  Gilbert Devaux, op. cil., p. 35.

66  Ibid., p. 37.

67  Ibid., p. 39.

68  Gilbert Devaux, op. cit., p. 110.

69  Ibid.y p. 113.

70  Gilbert Devaux, op. cit., p. 162-163.

71  Ibid., p. 209-210.

72  Gilbert Devaux, op. cit., p. 42.

73  Gilbert Devaux, op. cit., p. 46.

74  Sur ce point Gilbert Devaux ajoute en note : « On s’est demandé à plusieurs reprises s’il ne conviendrait pas de supprimer le contrôle du comptable lorsque l’engagement et le paiement ont été visés par le contrôleur. Après enquête, l’Inspection générale des finances n’a pas été de cet avis car les comptables disposant de services plus nombreux et d’une indépendance plus grande peuvent faire porter leur examen sur des points qui échapperaient aux contrôleurs spécialisés. » Note 1, p. 100. Gilbert Devaux ajoute quelques lignes plus bas dans le corps du texte : « Plus récemment, on a constaté de telles lacunes dans la comptabilité des dépenses sur programmes s’exécutant en plusieurs années qu’à l’initiative même de la direction du Budget le ministre des Finances a monté pour ces dépenses une procédure dite de “recensement” aboutissant à faire tenir par les comptables du Trésor un embryon de comptabilité des engagements. » Ibid., p. 101.

75  Gilbert Devaux, op. cit., note 1, p. 40.

76  Ibid., p. 147.

77  Ibid, p. 21.

78  Après avoir souligné la tendance des fonctionnaires à développer leur action en fonction des techniques nouvelles, Gilbert Devaux écrit : « Cette poussée des techniciens, formidablement accrue par les progrès même des techniques et par l’intervention de la puissance publique dans tous les domaines de l’économie, aurait depuis très longtemps fait sauter notre régime si un siècle et demi d’expérience démocratique n’avait institué trois sérieux contrepoids » et de citer la présence à la tête des grandes administrations de ministres « qui ne sont et qui n’ont pas le temps de devenir des fonctionnaires », l’existence de « grandes institutions indépendantes telles que le Conseil d’État et la Cour des comptes » et enfin la concentration du pouvoir financier entre des milliers de comptables ». Gilbert Devaux, op. cit., p. 16-17.

79  Il y a sur cet aspect originel de « contrôle » propre à la Comptabilité publique des ambiguïtés de vocabulaire à lever sur la notion de compte appliquée aux secteurs public et parapublic et sur son évolution. Une telle mise au point contribuerait notamment a éclairer l’histoire de la Comptabilité publique mais aussi celle du Budget et du contrôle des dépenses engagées.

80  Par la formulation de ces trois hypothèses nous n’entendons pas présumer de l’action effective de Gilbert Devaux à la direction du Budget de 1957 à 1960 dont l’histoire reste à écrire.

81  Cette expression est à manier avec prudence comme le souligne Richard F. Kuisel : « ... le dirigisme évoque une direction vigoureuse et centralisée, exercée d’en haut par l’Etat ; il évoque aussi, quoique faiblement, une certaine coercition liée à la règlementation.. Management, au contraire, est un terme neutre qui suggère seulement une direction compétente, ou, en d’autres termes, l’utilisation optimale des ressources par des agents économiques soit privés, soit publics (...). Management comporte aussi le sens d’une compréhension mutuelle, d’un échange réciproque, d’une coopération entre ceux qui donnent les directives et ceux qui les reçoivent ; à cet égard, il rappelle ce que Jean Monnet entendait par l’expression d’“économie concertée’’ ». Richard F. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France, modernisation et dirigisme au XXe siècle, NRF Gallimard, Paris, 1984 avant-propos de l’auteur, p. 21. Gilbert Devaux semble plutôt fidèle aux conceptions « d’économie ordonnée » développées par Joseph Caillaux dans l’entre-deux-guerres, cf. Jean-Claude Allain, op. cit., p. 413 à 438. Économie dirigée, économie concertée, économie ordonnée : au-delà des nuances de vocabulaire nous sommes renvoyés à des cultures, à des mentalités, à des philosophies divergentes qui dépassent les simples enjeux de pouvoir et les seules querelles de personnes.

82  Peut-être trouvera-t-on des traces confirmatives de cette volonté dans les travaux préparatoires ou dans les exposés des motifs des différentes réformes auxquelles il a participé. C’est un aspect qu il faut prendre en compte pour de futures recherches.

83  Michel Margairaz, L’État, les finances et l’économie, histoire d’une conversion : 1932-1952, Paris, CHEFF, 1991, 2 vol., 1456 p.

84  Sur ces différentes « figures » de l’État, on se référera à Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 15, 16.

85  À bien des égards la Comptabilité publique apparaît comme le point sensible où cette conversion devient une contradiction. Nous en avions émis l’hypothèse dans « L’histoire de la Comptabilité publique de 1870 à 1940... », op. cit., p. 67-68. « Originellement conçue comme un mécanisme juridique par le marquis d’Audiffret, la Comptabilité publique pouvait-elle, dans les années trente, s’enraciner sur le terrain de “l’économique” ? Au reste, les gouvernants de l’époque étaient sans doute, consciemment ou non, encore fortement conditionnés par les liens anciens et presque exclusifs des finances publiques avec le droit public. Observons enfin que rien n’est plus contraire à l’idée de relance de l’économie par la dépense publique qu’une Comptabilité publique dont tout l’objet serait d’y mettre un frein. »
Gilbert Devaux confirme ce sentiment de contradiction lorsqu’il écrit : « Ainsi par une de ces contradictions dont l’histoire a donné d’autres exemples, cette époque qui fut celle du dirigisme et des nationalisations, a révéré les méthodes privées, au point d’en faire une sorte d’idéal. Pendant que des fonctionnaires s’efforçaient consciencieusement d’oublier toute l’expérience de leur carrière pour devenir des “chefs d’entreprise”, l’État confiait à des industriels ou à des commerçants (unis le plus souvent sous forme de sociétés professionnelles) les plus importants secteurs de la vie nationale. Il leur demandait d’agir en son nom pour organiser l’alimentation, le ravitaillement, la reconstruction. Il remettait entre leurs mains des fonds publics, des produits d’impôts, des produits d’emprunt. Il leur recommandait seulement de ne pas se laisser gagner par les traditions de la bureaucratie étatique et de suivre leurs “méthodes privées” », op. cit., p. 187, 188.
Les documents que nous avons relevés dans le fonds Comptabilité publique du SAEF au sujet de la mise en place du plan comptable fournissent des indices supplémentaires de cette contradiction (cf. supra note 20, p. 9).

86  Déceler la présence de cette doctrine et l’exprimer reste problématique pour le chercheur : elle tient largement du non-dit. Devenue inconsciente, implicite, trop évidente pour être encore intelligible, elle demeure difficile à identifier et à appréhender. Ce n’est pas, aux yeux du chercheur, le moindre intérêt de l’ouvrage de Gilbert Devaux que de contribuer à expliciter cette doctrine muette, de s’en faire l’ultime porte-parole en même temps que, déjà, l’historien ; ce qu’il appelle lui-même « chercher a posteriori une harmonie qui n’a été consciemment exprimée par personne » (cf. supra, p. 14).

87  On se référera sur ces différents points à l’article de Florence Descamps : « Les archives orales du Comité pour l’Histoire économique et financière ou la fabrication d’une source », Études et Documents III, 1991, Paris, p. 529 et 530 ainsi qu’à l’article publié par celle-ci en commun avec Nathalie Carré de Malberg : « L’historien devant le témoignage provoqué, le cas des anciens hauts fonctionnaires des Finances », Recherches contemporaines n° 1, 1993, Université de Paris X Nanterre, p. 73 à 108.

88  Il y a chez Gilbert Devaux une vision de l’histoire largement influencée par Toynbee qu’il conviendrait d’étudier.

89  Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 12. Celui-ci souligne : « Pour comprendre les choses, il faut d’une certaine manière les compliquer. » La Comptabilité publique de Gilbert Devaux est une occasion possible de prendre la mesure de cette complexité de l’histoire administrative à laquelle n’échappe pas l’histoire de la direction du Budget.

90  Pierre Rosanvallon dénonce sur ce point « la préférence donnée à l’histoire des idées » dans le domaine de « l’histoire de l’État et de l’Administration », op. cit., p. 10.

91  Pierre Rosanvallon met en cause cette approche globale : « L’État est trop souvent appréhendé comme un bloc dont on ne parle qu’au singulier, comme s’il était une structure unifiée, une « chose » cohérente. L’approche statistique par la dépense publique, qui est la plus facile à opérer, conduit inévitablement à le comprendre dans ces termes. Si elle a le mérite d’être relativement « neutre » et de ne pas partir d’un à-priori théorique sur la nature de l’État, elle a l’inconvénient d’être fortement réductrice. La question de l’État devient de fait ramenée à celle de son poids : on dira qu’il a triplé ou quadruplé comme si cela suffisait à qualifier ses transformations. », op. cit., p. 11. Même s’il cherche à faire partager son point de vue par le lecteur, Gilbert Devaux a le mérite, très précieux pour la recherche et pour le chercheur en histoire administrative, de proposer une approche déglobalisée de l’Administration. Gilbert Devaux ne décrit pas celle-ci comme une « structure unifiée » mais comme « un équilibre de psychologies variées ». (La Comptabilité publique, p. 103). En ce sens il nous paraît rejoindre spontanément « l’impératif de déglobalisation » énoncé par Pierre Rosanvallon. Sur le plan de la méthode il serait intéressant de tenter un parallèle entre les quatre impératifs énoncés par Pierre Rosanvallon (déglobalisation, hiérarchisation, articulation, totalisation, op. cit., p. 11 à 15) et l’approche historique de l’Administration que Gilbert Devaux, quarante ans auparavant, propose naturellement.

92  « Tout se passe en effet comme si l’on considérait que l’État n’avait pas véritablement d’histoire, son développement n’étant que la pure reproduction, sans cesse agrandie, d’une figure d’origine. » Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 10. L’évolution de la Comptabilité publique sur le long terme et l’analyse qu’en propose Gilbert Devaux en 1956 en prenant lui aussi pour postulat la permanence d’une certaine figure de l’État illustrent a contrario cette discontinuité dans l’histoire des figures de l’État et de l’Administration.

93  Après avoir énoncé quatre figures de l’État (Le Léviathan démocratique, l’instituteur du social, la providence et le régulateur de l’économie), Pierre Rosanvallon précise : « Faire l’histoire de l’État consiste à étudier les conditions d’émergence et de développement de ces différentes figures. Chaque forme étatique particulière pouvant être analysée comme une modalité propre de superposition et d’articulation de celles-ci. », cf. op. cit., p. 15 et 16.

94  « Penser historiquement l’État est (..) un préalable à toute réflexion solide sur son avenir. Le volontarisme politique et les bonnes intentions resteront perpétuellement condamnés à l’échec tant qu’ils continueront à méconnaître l’État réel. », Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 16.

95  Guy Thuillier le soulignait déjà en 1991 : « On n’a jamais fait l’effort nécessaire pour confronter les méthodes, éclaircir les difficultés théoriques » (en histoire administrative), Guy Thuillier, dans « Pour une prospective de l’histoire administrative contemporaine », Mouvement social, octobre 1991, p. 77. En 1997, François Monnier appelait de ses vœux une journée d’études sur la méthodologie pour examiner notamment les conflits de méthodes (histoire administrative et histoire économique ou sociale), François Monnier, « Conclusions générales », Actes du colloque, L’administration des finances sous l’Ancien Régime, Paris, CHEFF, 1997, p. 389.

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