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La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?

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Nathalie Carré de Malberg

III. La direction du Budget et les ministères « sociaux »

La réforme de l’Administration à travers les archives de l’Institut technique des administrations publiques

Antoine Weexsteen

Texte intégral

1Paradoxalement, nous commençons cette étude par un constat : l’Institut technique des administrations publiques n’a pas eu en apparence un rôle primordial dans la relation entre les ministères dépensiers et la direction du Budget. Il faut prendre l’activité de cet institut dans le sens large de la réforme administrative et de la modernisation de l’Administration pour trouver un terrain commun de réflexion entre l’ITAP et la direction du Budget. C’est donc indirectement que nous verrons comment l’ITAP a pu contribuer à modifier l’état d’esprit de la direction du Budget vis-à-vis des ministères « dépensiers ».

2On pourrait dire d’ailleurs que ce dernier vocable est à l’origine de l’ITAP, car qui dit réforme administrative dit obligatoirement réforme des méthodes. Pour faire valoir ce point de vue il faut une raison suffisamment puissante pour faire bouger l’Administration connue pour son inertie. Il n’y a pas en effet de motivation plus forte que celle de faire des économies pour réaliser des réformes.

3Puisque nous choisissons d’aborder notre sujet dans le cadre des économies de budget, il nous a paru important de ne pas nous limiter aux années cinquante. L’obsession des économies de budget et la mise en place d’organismes divers pour trouver une solution à ce problème prend une tournure nouvelle dans l’immédiat après-guerre et intervient largement dans la réflexion des années cinquante où l’on s’efforce de départager l’esprit budget et l’esprit « dépensiers ».

I. DU BOUILLONNEMENT À LA PRUDENCE

A. La création de l’ITAP

1. Les antécédents

4À l’origine de l’ITAP on trouve un homme Jean Milhaud, une association : la Cégos, et un groupe de fonctionnaires désireux de réformer leur administration.

a. Le tandem Joxe/Milhaud à l’origine de l’ITAP

  • 1  Puisqu’il eut à remplir plusieurs missions de réorganisation pour différents, ministères avant-gue (...)
  • 2  L’amitié entre les deux hommes remonte probablement à leur rencontre à l’École de haut enseignemen (...)
  • 3  Jean Milhaud, Chemins faisant. Paris, Éditions Hommes et Techniques, 1956, p. 191.
  • 4  Ibid.
  • 5  Dont une centrale d’échange du courrier interministériel, amélioration de la présentation des lois (...)

5Soucieux de mettre en pratique ses idées sur l’Administration, Jean Milhaud1 en 1944 rencontre Louis Joxe2 qui lui répond : « Justement j’y songe, et je veux m’atteler à deux choses, la direction de la Fonction publique d’une part, l’École d’administration d’autre part. Quant à ce que vous me dites à propos des méthodes, il y a certainement aussi quelque chose à faire et je vous en reparlerai3 ». Il s’agit certainement dans l’esprit de Jean Milhaud de mettre en place un organisme technique appliqué aux méthodes de l’Administration à l’image de ce qu’était la Cégos pour le secteur privé, et c’est semble-t-il le cas puisqu’il crée le 1er décembre 1944 le « Groupe d’étude des techniques administratives4 ». qui eut à son actif quelques réalisations5.

  • 6  Ibid.

6Mais Jean Milhaud n’est pas le seul à réfléchir à la manière de renouveler les méthodes de l’Administration puisque l’Ordonnance du 6 janvier 1945 officialise cette démarche en rendant à peu près sans objet le groupe de Louis Joxe6.

b. L’Ordonnance du 6 janvier 1945

7Elle offre un moyen terme entre la nécessité de faire des économies et le besoin de réformer les méthodes de travail de l’Administration. Une commission temporaire dans chaque ministère est chargée de réviser les créations et transformations d’emplois et ses travaux devaient durer six mois à partir du 7 janvier 1945. Tous les ministres durent faire des propositions de réductions d’effectifs dans les meilleurs délais au département des Finances en vue de la préparation du décret qui avaliserait ces réductions. Une autre commission permanente devait rechercher quelles étaient les solutions les plus propres à améliorer le rendement des administrations en établissant un rapport tous les six mois et en rendant un premier rapport avant la date du 1er avril 1945.

  • 7  AN 33AS 12, dossier 4, note dactylographiée : « Le président du Gouvernement provisoire de la Répu (...)

8Si l’on constate que c’est aux différents ministères qu’incombe la charge d’enquêter dans leurs services et que c’est au ministère des Finances que revient la charge de décider de la valeur des rapports reçus, on peut conclure à une primauté des Finances sur les autre ministères dès 1945. Cependant, le général de Gaulle fait pour l’instant la part des choses en tenant certes le cap des économies mais en ouvrant la réflexion à des acteurs qui ne soient pas seulement des grands commis et des fonctionnaires du ministère des Finances, et en posant précisément les limites de travail des commissions. Ainsi, les commissions temporaire créées pour réduire les effectifs sont tenues « ... à la simplification des services » et donc à des réformes de structure et non pas « ... à une comparaison purement arithmétique des effectifs, ...7 ».

  • 8  Ibid., p. 5.

9Quant à la commission permanente chargée « ... de rechercher les méthodes de travail les plus propres à assurer l’accroissement du rendement...8 », elle offre peut-être une concurrence à la mainmise des Finances sur les questions d’économies puisque les éléments essentiels qui la composent sont :

  • un représentant du secrétaire général du Gouvernement et des représentants des associations et syndicats de personnel ;

    • 9  AN 33AS 12, dossier 4, note dactylographiée : « Le président du Gouvernement provisoire de la Répu (...)

    des éléments jeunes dégagés de toute routine, qui pourront être choisis soit parmi les dirigeants des associations ou syndicats, soit parmi des personnes étrangères à l’Administration et particulièrement au courant des méthodes du commerce et de l’industrie privée9 ».

  • 10  Id.
  • 11  Aux PTT, à l’Économie nationale, Finances, Intérieur etc. Cf. Jean Milhaud, « Note sur le perfecti (...)
  • 12  J. Milhaud, Chemins faisant, op. cit., p. 193.

10L’ouverture au sang neuf est claire, comme celle à des techniques nouvelles et extérieures à l’Administration. Mais pour l’instant, aucune création d’organisme officiel n’est prévue et la commission n’a pas la possibilité de créer des futurs organisateurs puisque : « ... la règle doit être posée qu’aucune augmentation du chiffre global des effectifs de chaque administration ne saurait être envisagée10 ». De fait au bout d’un an, ces commissions disparaissent et leurs propositions restent lettres mortes alors que selon les ministères, un travail en profondeur avait pu être réalisé11. Jean Milhaud peut en effet témoigner qu’au moins aux PTT sa commission « ... accomplit une besogne sérieuse12. » On sait que dans la « clandestinité » des embryons de bureaux d’organisations et méthodes poursuivirent leurs recherches.

2. La création de l’ITAP et les groupes

11À la suite de la disparition successive du groupe d’étude des techniques administratives puis des commissions des méthodes, Jean Milhaud part en mars 1946 faire une étude comparative en Angleterre sur l’Administration de ce pays et de la France, tout ceci cette fois pour le compte de la Cégos dont il est toujours directeur-fondateur.

12Ayant pris des contacts avec l’Administration, il propose à Louis Joxe de créer une mission de fonctionnaires français pour étudier les services « Organisation and Methods ». En mai une délégation de quinze fonctionnaires français part en Angleterre invitée par la Trésorerie (Treasury) britannique. C’est l’alliance de ces fonctionnaires qui sera à l’origine de l’ITAP.

13Sur le bateau qui les ramène en France, les quatorze fonctionnaires qui faisaient partie du voyage en Angleterre et Jean Milhaud partagent leurs impressions et veulent créer quelque chose d’analogue aux bureaux d’organisation et méthodes anglais. Malgré les rapports plaidant en faveur de la mise en place de bureaux d’O. et M. que chaque fonctionnaire fait à son ministre, la présidence du Conseil estime ne pas être mûre pour créer un tel organisme et suggère sa mise en place en dehors de l’Administration.

14Le 17 juin 1947 l’assemblée constitutive de l’ITAP a lieu soit un an après le voyage des quinze fonctionnaires en Angleterre.

15Très vite le nouvel institut fait flèche de tout bois aussi bien par l’intermédiaire de ses membres fonctionnaires que par l’entremise de Jean Milhaud qui lui donne une définition originale. Il s’agit en effet d’une association régie par la loi de 1901 qui relève donc du droit privé. Cette association se propose à la fois d’informer les fonctionnaires, les ministères, la commission administrative de l’Assemblée nationale, la direction de la Fonction publique. Enfin, l’ITAP se propose d’être un centre de formation et d’échanges d’expériences.

  • 13  AN 33AS 2, État des inscriptions au 16 décembre 1947. Au 30 juin 1948, l’ITAP totalise 105 membres (...)

16En six mois, le nouvel institut totalise honorablement 123 demandes d’inscriptions que ce soit au titre de membre actif, correspondant ou encore au titre de simple abonné à la documentation13.

17Les groupes de l’ITAP

  • 14  Sur la mise en place des groupes de l’ITAP Cf. AN 33AS 2, 1, PV conseil d’administration 1946-1953 (...)

18À ce début d’activité correspond la mise en place de groupes de réflexion et de travail qui donnent bien le ton des préoccupations de l’ITAP et qui montre une faculté d’organisation remarquable, preuve que cet institut était en gestation depuis au moins la Libération. Groupe A : Finances, Budget, Comptabilité, Prix de revient ; Groupe B : Problèmes de personnel ; Groupe C : Matériel, Outillage, Machines, Imprimés ; Groupe D : Organisation et Méthodes ; Groupe E : Relations entre l’Administration et le Public ; Groupe F : Documentation14. La plupart de ces sections sont créées au cours de l’année 1947 avec en premier la mise en place du groupe A, Finances qui doit beaucoup de son activité à la réflexion sur le prix de revient

19Cette question du prix de revient est pour nous importante. Elle est d’abord le fil conducteur de la carrière de Jean Milhaud, fonde la célébrité de la Cégos, sert de levier d’appui pour ouvrir le monde patronal ou l’Administration à des idées et des hommes nouveaux, et en ce qui nous concerne, crée un mouvement d’idées sur la modernisation de l’Administration. Ce désir de modernisation de l’ITAP ne rencontre pas immédiatement l’intérêt du ministère des Finances qu’on penserait pourtant être un de ceux le plus intéressé par les réformes.

B. Le ministère des Finances et l’ITAP : un intérêt limité

1. Une faible collaboration

20Au regard de l’activité de l’ITAP et de ses groupes, on ne peut que constater une participation assez faible du ministère des Finances, toutes directions confondues (puisque le plus souvent l’origine des participants n’est précisée que par ministère), aux travaux de cet institut. Ainsi en opérant quelques « sondages » de participation des différents ministères aux réunions soit des groupes soit du bureau de l’ITAP, on peut en donner un aperçu.

  • 15 Il fait partie de l’équipe fondatrice de l'ITAP. Auteur d’un rapport du groupe A (Finances) de l'IT (...)
  • 16 « Sondage » de participation de différents ministères opéré dans les archives de l'ITAP de sa créat (...)

21Le groupe « B » personnel, ne compte dans ses participants qu’un représentant régulier du ministère des Finances pour 1949, régularité qui ne surprend pas puisqu’il s’agit d’un « fidèle » de l’ITAP en la personne de J.-P. Martin15. Dès qu’il s’éclipse, les Finances ne sont plus représentés au moins jusqu’en 1952, puis épisodiquement jusqu’à la fin de la IVe République16.

22Le ministère des Finances et particulièrement la direction du Budget ayant un caractère fort de technique financière, cette absence de représentants dans un groupe de réflexion sur les services du personnel n’est pas étonnant.

  • 17 Il s’agit de MM. Vallée, David et Rémy. Cf. PV réunions ITAP AN 33AS 9.

23D’ailleurs, la participation du ministère des Finances dans d’autres groupes est plus importante : le groupe « Prix de revient » par exemple, susceptible de susciter un intérêt technique plus important, compte un « trio » de personnes des Finances dont l’assiduité aux réunions du groupe est attestée entre 1951 et 195417. De même, on constate une représentation des Finances comparable dans le groupe « G » de l’ITAP consacré aux marchés publics.

24Mis à part la participation d’inconditionnels de l’ITAP à ses travaux, on ne peut donc pas dire que le ministère des Finances et à fortiori la direction du Budget aient pris une part active aux efforts de cet institut dans la réforme de l’Administration. Pour les Finances, il s’agit ici de s’informer plus que de prendre part à son activité.

  • 18  En prenant pour exemple le projet d’Institut des hautes études administratives de l’organisation d (...)

25On peut se poser la question de savoir si les Finances ne voyaient pas d’un œil méfiant le bouillonnement d’idées qui ont vu le jour à la Libération. Et ce renouveau ne réclamait-il pas de véritables réformes de structures en particulier dans l’Administration alors que l’orthodoxie budgétaire réclamait des économies ?18 À la faible participation aux travaux de l’ITAP, on peut avancer des hypothèses telle que l’hésitation à donner un caractère trop officiel à des réunions communes avec une association extérieure à l’Administration.

2. Les raisons de la méfiance

a. Faire des économies ou développer le prix de revient ?

  • 19  Jean Dayre, « Notes pour une politique de rationalisation », 16 Novembre 1945, p. 3. AN 33AS 12, d (...)

26C’est un des membres actifs de l’ITAP qui pose bien le problème dès 1945 : « Il y a deux manières d’aborder le problème des économies, l’une agit sur les méthodes, l’autre sur les crédits. Devant les difficultés techniques que comporte toute étude en profondeur, certains pensent qu’il suffirait d’agir sur les crédits, de donner pleins pouvoirs à un nouveau comité de la hache. Les administrations, amputées d’une partie de leurs crédits, se réorganiseraient d’elles-mêmes. Conception bien rudimentaire. C’est à peu près comme si l’on prétendait, dans l’industrie, faire baisser les prix de revient par la diminution des prix de vente19 ».

  • 20  Cf. en particulier la manière dont la revue Administrer, créée pour faire connaître les travaux de (...)

27Parmi les premiers travaux de l’ITAP on trouve ceux sur le prix de revient. À ce sujet, il est très possible que l’ITAP ayant été soutenue dans sa création par la Cégos ait subi une « déformation » consistant à examiner systématiquement la question du calcul des prix de revient dès qu’il s’agit d’améliorer le rendement. Il faut en effet souligner au sujet des relations ITAP/Cégos une triple influence : d’une part ces deux organismes ont le même fondateur (Jean Milhaud) ; la Cégos, d’autre part, a fondé sa réputation essentiellement sur le renouvellement des méthodes de calcul des prix de revient dans le sens d’une plus grande précision ; enfin l’IT AP à sa création est présentée comme la « filiale administration » de la Cégos et se voit logé dans les locaux de son aînée20.

28Mais, si la Cégos a fondé sa réputation sur le prix de revient, cette question ne fait pas l’unanimité à l’ITAP et en particulier au sein du groupe « A ».

b. L’opposition à la mise en place du prix de revient dans l’Administration

  • 21  AN 33AS 9, une des premières réunions (16 octobre 1947) du groupe « A » de l’ITAP, MM. Fautsch et (...)

29Dès les premières réunions du groupe, deux membres actifs tels que MM. Fautsch et Boucheron s’élèvent contre le fait de confondre prix de revient et comptabilité budgétaire21. On en vient donc au cours de la réunion du groupe « A » du 16 octobre 1947 à ne pas chercher à imposer des calculs de prix de revient qui seraient trop compliqués et trop longs pour l’Administration, mais on considère le calcul du prix de revient comme une direction de recherche et un instrument d’information permettant de mieux maîtriser les coûts dans les administrations.

  • 22  AN 33AS 9, PV réunion groupe « A » ITAP 8/12/49, p. 3.

30Mais, en 1949 lors d’une réunion du groupe « A » de l’ITAP. Fautsch remet en question l’utilité des prix de revient : il « ... insiste sur le caractère incertain des calculs de prix de revient, (...) » et « ... préfère mettre en avant une notion moins ambitieuse : celle du coût du service. (...) Il s’agit pour lui de bien mettre en relief ce que coûte dans chaque cas le souci de maintenir un service public22 ». Cette mise en place possible de l’évaluation du coût d’un service public est plus en relation avec l’impératif de faire des économies dans la mesure où on peut par exemple juger quel est le service ou le ministère le plus coûteux sans raisonner sur le prix de revient lui-même.

  • 23  M. Bourdin est rentré à la STCRP en 1922, AN 33AS 9.
  • 24  AN 33AS 9, « Exposé de M. Bourdin fait le 8 février 1951 pour le groupe d’études de l’Institut tec (...)
  • 25  Chef adjoint du service du Budget à la SNCF, AN 33AS 9.
  • 26  AN 33AS 9, PV réunion groupe « A » ITAP 8/12/49, p. 3.

31Dans son opposition à l’application stricte du prix de revient dans les administrations, Fautsch est rejoint en 1951 par M. Bourdin23 qui estime que le prix de revient administratif est applicable à des administrations ayant un caractère industriel telles celle des tabacs et celle des télécommunications24. D’autres avaient déjà montré en 1949 que s’il s’agissait pour l’IT AP de réfléchir sur le prix de revient d’entreprises publiques, le travail avait déjà été plus ou moins accompli : ainsi, M. Pemot25 « ... expose comment la SNCF a depuis longtemps le souci de déterminer un certain nombre de prix de revient. Il souligne le caractère aléatoire de ces calculs et l’arbitraire de la comptabilité des frais généraux26 ».

  • 27  Id., p. 3-4

32En somme les conclusions de l’ITAP sur le prix de revient ne pouvaient pas être plus mesurées que cette conclusion du groupe « A » en 1949 : prudence extrême sur la présentation du prix de revient d’un travail administratif ; imputations arbitraires inévitables et confusion entre les fins et les moyens, une même activité pouvant être considérée sous les deux angles ; « ... nécessité de développer les statistiques d’ensemble et de préciser la documentation avant d’envisager la présentation du budget sous une forme fonctionnelle27 ».

33En fait, on voit que l’ITAP après des tentatives de réflexions de fond sur la question du prix de revient n’arrive pas véritablement à lui donner une assise dans l’Administration, ce qui aurait supposé des réformes de fond trop audacieuses. Il faut maintenant pour l’ITAP se détacher de son héritage strictement « Prix de revient » pour s’adapter au dialogue avec l’Administration et peut-être justifier son action du côté politique.

  • 28  AN 33AS 9, « Exposé de M. Bourdin fait le 8 février 1951 pour le groupe d’études de l’Institut tec (...)

34Le prix de revient serait par exemple un moyen de contrôle du contribuable par l’intermédiaire des parlementaires sur les finances publiques : « L’usager et le contribuable, en payant la note, acquièrent en effet le droit de faire poser des questions par les parlementaires et le Gouvernement responsable a le droit de demander une étude sérieuse à des organismes qualifiés tel que l’ITAP28 ».

35Si l’ITAP devient qualifié ou pressenti pour examiner la répartition des dépenses, inévitablement il lui faut examiner les ministères « dépensiers ».

II. LA CONFRONTATION AVEC LE MINISTÈRE DES FINANCES

A. Les ministères « dépensiers » : quelle définition ?

1. Vocabulaire

36Les gens de l’ITAP prennent d’emblée le mot « dépensiers » dans son sens péjoratif, ce qui montre qu’ils n’appartiennent pas à l’esprit Finances. On sait en effet que dans le jargon financier, les ministres autres que celui des Finances sont dits « dépensiers » parce que tout simplement ils n’alimentent pas le Budget. Sur le plan du vocabulaire plusieurs membres de l’ITAP préfèrent donc utiliser le mot « dépenseurs » au lieu de « dépensiers » :

  • 29  Hubert Davost, « Conception générale et nécessité du budget liaison avec les Comptes de la Nation  (...)

37« Vous savez tous, en effet, combien celle-ci [la réglementation en matière budgétaire] est lourde, vous qui appartenez à ces ministères que le langage usuel appelle ministères « dépensiers » et que je voudrais pour ma part voir nommer « dépenseurs » comme on disait à l’époque de la Restauration ; le mot « dépensier » a un sens péjoratif dans la langue française, et je regrette qu’on emploie traditionnellement cet adjectif qui pourrait être équivoque29 ».

  • 30  ITAP, Cycle de conférences « Finances, Budget, Comptabilité, Prix de revient », 15 octobre-1er nov (...)

38Plus diplomatiquement Jean Milhaud déclare : « Le but de l’ITAP était à la fois de rappeler les notions anciennes et d’expliquer les notions nouvelles. L’effet doit en être une meilleure compréhension de leurs sujétions et de leurs préoccupations respectives entre les services Finances et ceux des ministères que le langage actuel qualifie de « dépensier » et qu’il faudrait sans doute mieux, pour éviter une équivoque possible et fâcheuse, désigner à nouveau du terme qui a été employé jadis de « dépenseurs »30.

  • 31  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 (...)
  • 32  « Les sessions organisées en Mai-Juin 1955 », Cahiers de l’ITAP, n° 26, novembre 1955, p. 18.

39Ces mises au point faites, les intervenants de l’ITAP utilisent le mot « dépenseurs » définitivement : « Mais ce sont naturellement des fonctionnaires des Finances que ressentent le plus les services des ministères dépenseurs31. » ou parfois lui préfèrent des périphrases : « ... discussion du budget entre les administrations utilisatrices de crédits et la direction du Budget32 ».

2. Les administrations « dépensières » parce qu’irresponsables

  • 33  Jacques Hirsch, « Le problème de réforme de la comptabilité publique », 1951, ITAP doc. IT 89, p.  (...)
  • 34  Christofini, « Le problème des investissements dans le cadre du budget », ITAP, doc. IT 91, p. 4.

40Mais le vocabulaire a pourtant plus d’importance qu’il n’y paraît. Car avant d’être opposés aux « financiers » sur des questions techniques ou politiques, les « dépensiers » sont irresponsables parce qu’ils ne sont que le reflet d’une partie de l’âme humaine : « En France, étant donné l’esprit du public en général, et des administrations dépensières en particulier, la comptabilité publique vise avant tout à éviter le gaspillage des deniers publics et à permettre le recouvrement régulier des droits de l’État33 ». Ou bien s’agit-il à d’autres moments d’administrations, faibles psychologiquement : « Une attitude psychologique de l’Administration qui, (...) veut se prémunir en faisant ouvrir la première année du plan le plus possible de crédits (...). C’est une attitude psychologique qui, nous le verrons est malheureusement normale34 ».

B. L’ITAP et la direction du Budget : opposition ou collaboration ?

1. Du prix de revient au budget fonctionnel

41Nous avons vu que l’étude du prix de revient par l’ITAP dans l’Administration était un demi-échec puisqu’elle était critiquée par une partie du groupe qui en discutait.

  • 35  ITAP, doc. IT 93, p. 28.

42De même qu’on avait trouvé au sein de l’ITAP des opposants à la mise en place d’un prix de revient administratif, on retrouve un M. Fautsch ne partageant pas en totalité la fonctionnalisation du budget : « ... je fais certaines réserves sur la fonctionnalisation du budget parce qu’en définitive, fonctionnaliser un budget c’est grouper un certain nombre de chapitres, rassembler les crédits nécessaires au fonctionnement du service. Où commence un service, où finit-il ? Cela dépend du ministère, cela dépend du point de vue auquel on se place35 ». Ensuite, la fonctionnalisation du budget, rassemblant le plus possible les chapitres, est antinomique avec la mise au point d’une méthode de prix de revient dans les services publics qui nécessite le plus de précision possible.

a. L’ITAP ouvertement moderniste

43Une autre partie du groupe A de l’ITAP a bien vu que le prix de revient seul dans l’Administration était trop critiquable et devait être intégré dans une notion plus moderne et plus proche de l’Administration : le budget fonctionnel. Se sentant plus forte, cette partie « moderniste » de l’ITAP peut subir son opposition interne au prix de revient et confronter son point de vue avec cette fois la direction du Budget sur la mise en place du budget fonctionnel.

  • 36  AN 33AS 9, Groupe A, Avril A1949, p. 1.
  • 37  Article de G. Plescoff dans La Revue administrative, n° 18, décembre 1950, cité par Bourdin, AN 33 (...)

44« Notre budget actuel répond essentiellement à la prévision et à la limitation des moyens mis à la disposition des administrations pour accomplir leurs tâches. Au contraire, un budget de caractère fonctionnel serait établi en raison des fonctions de ces administrations, il fixerait leur but, leur mission36 ». Ainsi, « On espère par cette nouvelle technique budgétaire tirer des avantages du fait de la plus grande liberté d’action donnée aux administrations dépensières37 ».

45Pour ce faire, il y a une tendance au sein du groupe A à prendre exemple sur les États-Unis pour mettre en place un budget fonctionnel : « Quels seraient pour chaque ministère, les problèmes à résoudre pour élaborer suivant l’exemple des États-Unis, un budget fonctionnel ? »

46Nous précisons que la définition d’un tel budget par les réformateurs américains est la suivante :

  • 38  AN 33AS 9, convocation à la réunion du groupe « A » de l’ITAP prévue pour le 8/12/49, signé « Jean (...)

47« Un budget basé sur la fonction, les activités et les projets, qui concentre l’attention sur le caractère général et l’importance relative du travail à accomplir, ou sur le service à rendre plutôt que sur les biens à acquérir, tels que services de personnel, fournitures, équipements, etc. Le point essentiel en matière budgétaire est le travail ou le service accompli, et ce que ce travail ou ce service coûtera38. »

48On ne peut pas dire qu’il existe une réelle opposition de la direction du Budget à ce « modernisme » de l’ITAP. On aurait pu penser que la direction du Budget ne voit pas d’un bon œil la réflexion sur le prix de revient et le budget fonctionnel.

49Ainsi, la direction du Budget oppose une simple sagesse qu’exige sa fonction :

  • 39  Rossard, « La prévision en matière budgétaire », ITAP, doc. IT 95, p. 3.
  • 40  Rossard, op. cit.

50Le directeur du Budget doit simplement résister aux solutions de facilités : « ... c’est le devoir du directeur du Budget de résister aux solutions de facilité39 ». Et même peut-il voir sa position comme dynamique : « Le directeur du Budget doit alors – et il le fait – mais il n’est pas toujours suivi par le Gouvernement – opposer aux solutions de facilités caractéristiques d’une politique d’immobilisme, les éléments d’une politique de mouvement. Il préconise alors la réforme de certaines institutions, la réduction des charges d’assistance, le redressement financier de la Sécurité sociale ou de la SNCF, mais il ne s’agit pas pour lui de lancer des formules vagues et vides de sens, le directeur du Budget doit préconiser à la suite d’études précises, des mesures réalisables40. »

  • 41  Inspecteur des Finances, direction du Budget.

51Est-ce à dire que la direction du Budget reconnaît le travail de l’ITAP ? L’aide apportée en la personne de M. Delmas41 le confirme.

  • 42  Cahiers de l’IT AP, n° 9, Juillet 1951, p. 7, souligné dans le texte.

52« La direction du Budget, grâce à l’amabilité de M. Delmas, inspecteur des Finances, a bien voulu nous apporter non seulement des encouragements, mais aussi une aide très efficace. Nous lui sommes redevables de conseils éclairés dans le domaine de nos relations financières avec les divers services de l’État. Par ailleurs, la direction du Budget a bien voulu désigner un haut fonctionnaire pour nous aider à la mise sur pied d’un cycle de conférences d’information qui auront lieu en octobre prochain, sur les problèmes de technique budgétaire et comptable. Ainsi se trouvera confirmée une liaison que l’ITAP a toujours souhaité avec un service dont l’influence en matière d’économies et de réformes est essentielle42. »

53À cette époque, la direction du Budget va même jusqu’à favoriser l’ITAP : « M. Milhaud signale aux membres du Conseil dont les services auraient des difficultés à trouver des crédits pour l’inscription à ces cycles, qu’il s’est entretenu à ce sujet avec M. Delmas, à la direction du Budget.

  • 43  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration, 13 mars 1951.

54« M. Delmas, qui porte un vif intérêt aux activités de l’ITAP, a précisé qu’il pourrait intervenir dans des cas précis où des services rencontreraient des difficultés provenant en particulier du contrôle des dépenses engagées43. »

  • 44  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 23 mai 1950, p. 1.

55C’est enfin M. Delmas en tant que conseiller technique au Cabinet d’E. Faure (et en mission à la direction du Budget) qui reçoit une délégation de l’ITAP (composée en outre de MM. Gardellini et Milhaud) vers le mois de mai 1950. Il fait savoir « ... officieusement à la délégation qu’un projet de création d’un service central d’Organisation et Méthodes auprès de la direction du Budget avait été évoqué par le directeur du Budget au cours d’une réunion de la Commission44 ».

  • 45  AN 33 AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 1er avril 1952, p. 1.

56L’ITAP ne reste pas sourd à ce soutien de la direction du Budget et fait cause commune en 1952 avec elle contre le Parlement pour obtenir des crédits pour la mise en place d’un commissariat à la réforme administrative : « La commission des finances de l’Assemblée nationale ayant repoussé le projet de création d’un commissariat à la réforme, comme entraînant des créations d’emplois et des crédits de fonctionnement, la sous-commission de l’ITAP a estimé qu’il serait plus aisé de créer auprès de la direction du Budget, une mission composée d’une quinzaine de fonctionnaires détachés de leurs services et d’un secrétariat très restreint. Cette mission qui se scinderait en groupes spécialisés étudierait, en s’appuyant d’ailleurs sur les travaux du comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics et des diverses commissions des économies, les réformes réalisables dans les divers services publics45. »

  • 46  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 8 janvier 1952, p. 2.
  • 47  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 9 octobre 1952, p. 3.

57Devant ce refus, l’ITAP et la direction du Budget développent leur propre formation : « Par ailleurs, des contacts seront pris avec l’ensemble des administrations pour les engager à envoyer des participants au stage, et une démarche sera faite auprès de M. Delmas, à la direction du Budget, afin qu’il donne son appui à cette manifestation46. » Et puisque ce sont les politiques qui refusent cette fois les crédits, pourquoi ne pas envisager une alliance entre les techniciens comme le préconisent M. Junillon en 1952 ou M. Meary en 1951 : « M. Junillon fait remarquer que l’ITAP doit plus compter sur une action dans les administrations publiques et auprès de l’opinion publique que sur les milieux politiques pour faire aboutir ses travaux47. »

  • 48  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 13 février 1951, p. 3.

58« M. Meary pense, comme M. Pisani, qu’il vaut mieux prôner un outil qu’une réforme. Il considère qu’il serait dangereux de faire appel aux partis politiques48. »

59Tout semble montrer maintenant une franche collaboration entre l’IT AP et la direction du Budget.

C. 1956-1957 : les esprits s’ouvrent autour du décret-loi de 1956 mais une opposition subsiste

1. L’année 1956

  • 49  Maxime Brillaud, « La détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs d (...)

60C’est semble-t-il à partir de 1956 que la collaboration entre l’ITAP et la direction du Budget porte ses fruits. À tel point que la direction du Budget peut accepter d’intégrer l’idée de prix de revient dans l’Administration : « Si l’on veut bien admettre que la mission fondamentale de la direction du Budget n’est pas, comme on est parfois tenté de le croire d’empêcher les services de dépenser, mais bien de faire en sorte que soient utilisées au mieux les ressources disponibles dans la recherche du moindre coût et du rendement le meilleur, on conçoit aisément que la généralisation de ces techniques ne pouvait la laisser indifférente49. »

61L’incompréhension entre les ministères vient du fait que la direction du Budget a intérêt à voir se développer l’étude du prix de revient dans l’Administration : mais l’avantage à tirer pour lui n’est pas immédiatement réalisable alors que les administrations appliquant ces recherches en verront les résultats pratiques rapidement.

  • 50  Maxime Brillaud, op. cit., p. 4.

62Son intention n’est donc pas d’imposer mais de convaincre de l’intérêt des études sur le prix de revient les administrations à qui elle demande d’entreprendre ces études. Dans cette démarche de « conseil » à ces administrations, la direction du Budget donne toute latitude à chaque administration pour adapter la méthode des prix de revient : « ... au lieu de chercher à définir une méthode unique d’analyses ou de procédés similaires de calcul, le Budget s’est contenté de tracer un schéma susceptible de faire place à toutes les situations particulières dans le souci de conduire les services à se forger eux-mêmes leur propre instrument de recherches adapté à leur tâche et à leur structure50 ».

  • 51  Administrateur civil à la direction du Budget, auteur de : « La détermination des coûts et des pri (...)
  • 52  Maxime Brillaud, « La détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs d (...)

63Et on trouve en la personne de M. Brillaud51 un soutien pour l’application du prix de revient : « Il serait inexact de croire que l’analyse des coûts soit demeurée entièrement étrangère à l’Administration. Plusieurs expériences ont été menées dans divers services administratifs et souvent dans des conditions qui ne sont en rien inférieures à celles des meilleures entreprises privées. Les enseignements tirés de ces travaux et leur succès même conduisent naturellement à souhaiter leur généralisation52. »

64À ce satisfecit donné à l’ITAP (qui militait dès sa création en faveur du prix de revient) par la direction du Budget, l’institut de Jean Milhaud répond en reconnaissant la complémentarité qu’il y a entre les « dépensiers » et la direction du Budget : elle recouvre une sorte de partage des tâches que l’on peut respecter :

65« ... les fonctionnaires du ministère qui a la charge de faire rentrer l’argent mettent en général plus d’âpreté à essayer de l’empêcher de sortir trop vite que ceux qui voient davantage, et c’est tout naturel, les résultats que l’on peut obtenir avec l’argent bien employé, et qui souffrent de constater que la nécessité de ne pas dépenser trop empêche de faire tout ce qu’il serait désirable de faire.

  • 53  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 (...)

66C’est en somme la nécessité d’un spécialiste des économies à côté de services par nature dépenseurs qui justifie les contrôles que comportent tous les systèmes de finances publiques53 ».

67Nous avons vu que les positions n’étaient pas aussi tranchées qu’on avait pu le penser entre l’IT AP et la direction du Budget. Cette dernière admet les critiques, et va même jusqu’à favoriser l’IT AP et les méthodes de réforme qu’elle préconise. L’ITAP de son côté n’apparaît pas comme une entité qui ne vit que par la contestation de l’esprit « Finances » puisque en son sein se trouvent des éléments très prudents.

2. La critique subsiste

68Si l’ITAP étonne par sa faible revendication, la direction du Budget étonne par son ouverture aux réformes.

69Seulement il existe à l’ITAP une opposition plus fondamentale et pas seulement technique qui ne se satisfait pas des acquis sur le prix de revient ou le budget fonctionnel.

70Peut-être d’ailleurs s’agit-il du courant le plus modernisateur en la personne de H. Davost. Nous prenons en effet ce personnage comme tête de file de la critique au vu de ses responsabilités au sein de l’ITAP qui ne datent que de 1953. Cette apparition récente le laisse peut-être plus libre de ses propos étant donné qu’il n’a pas eu à collaborer dans le passé avec le ministère des Finances et en particulier avec la direction du Budget pour mettre en place une des premières cellules de l’ITAP sur les finances.

71Il semble partisan du contrôle à posteriori dans les finances et cite dans ce débat P. Mendès France : « Beaucoup d’esprits n’en croient pas moins que le progrès doit être recherché dans un renforcement ou dans une meilleure organisation des contrôles à posteriori permettant d’atténuer les contrôles préalables. »

72C’est ce qu’avait déclaré notamment, parlant des entreprises publiques et non pas des services directs de l’État (mais les problèmes sont largement les mêmes), M. Mendès France, qui disait dans sa première déclaration ministérielle le 3 juin 1953 : « La solution (du problème de l’amélioration de leur gestion) ne doit pas être cherchée du côté de l’accumulation des contrôles préventifs. C’est sur le résultat que les entreprises publiques doivent être jugées (applaudissements à gauche, à l’extrême droite, sur de nombreux bancs au centre et sur quelques bancs à droite).

  • 54  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 (...)

73« Une détermination plus exacte de leurs profits et de leurs pertes, une comptabilité de prix de revient plus poussée permettant de suivre une action, et d’en apprécier les effets, et, par là, un accroissement de la responsabilité et de l’initiative des dirigeants des cadres et des exécutants, telles sont les méthodes dont le nouveau Gouvernement s’inspirera. C’est-à-dire que ce n’est pas par le renforcement des contrôles à priori que l’on doit améliorer les gestions, mais par l’organisation d’une comptabilité qui doit faire apparaître les résultats de ces gestions ainsi que les prix de revient54. »

  • 55  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 (...)
  • 56  Ibid., p. 4.

74C’est le même Davost partisan de remettre en cause le pouvoir du ministère des Finances par le contrôle à posteriori, appelle le contrôle de la Cour des comptes et surtout celui du Parlement. Davost désire même y ajouter le contrôle de l’opinion publique qui devrait être en droit de juger les gestions des finances de la nation. D’où la nécessité de rendre cette comptabilité claire et compréhensible (au moyen de la comptabilité centralisatrice par exemple) : « Mais pour que ce jugement soit raisonné, il faut que les résultats de l’exécution des finances publiques apparaissent d’une manière qui ne soit pas trop impénétrable55. » D’ailleurs cette remarque vaut aussi bien pour ce qui est de la question du contrôle par le parlement pas forcément composé de spécialistes : « Cette nécessité est aussi réelle, (...) pour le contrôle du Parlement dont tous les membres ne sont pas forcément des spécialistes ; il faut que les comptes soient faciles à comprendre pour que leur reddition prenne tout son sens56 . »

  • 57  Ibid., p. 9.

75Désirant remettre en cause le pouvoir du ministère des Finances, Davost appelle de ses vœux une réforme du vote du budget par le Parlement : « Malgré la possibilité de limitations du temps de parole, nos méthodes semblent bien aboutir dans l’ensemble à des discussions beaucoup plus longues que celles de différents Parlements étrangers, comme le Parlement britannique ou le Congrès américain. (...) Tout ceci fait que l’intervention du Parlement ne se révèle pas comme un facteur aussi efficace de bonne gestion financière que l’avaient espéré les hommes qui ont créé le régime parlementaire en France sous la Restauration57. »

  • 58  Ibid., p. 25.

76Et finalement, Davost ne fait-il pas le constat de l’impossibilité de la réforme l’Administration qui oscille entre un Parlement incompétent et un ministère des Finances technocratique ? « Le problème au fond est de savoir d’une part s’il est possible de prévoir d’avance, et d’autre part quelle est la valeur comparée du Parlement et des techniciens. C’est l’éternelle question de la technocratie, c’est-à-dire de savoir qui, des représentants élus de la nation ou des fonctionnaires, est le plus apte à bien diriger les affaires du pays58. »

  • 59  H. Davost, « Aspects comptables du Budget », p. 17.

77À ce ministère des Finances « technocratique », il ne veut rien céder surtout lorsque le décret organique du 19 juin 1956 lui donne un pouvoir important. Ainsi on retrouve en 1957 Davost opposé au principe de l’unité budgétaire intégrale qui ne donnerait pas assez de détails sur le budget et rajouterait encore au pouvoir des Finances : « L’unité budgétaire me paraît quant à moi une mauvaise formule ; elle ne fait pas bien comprendre le détail du mécanisme ; la manière actuelle de subdiviser le budget donne mieux l’idée des éléments qui jouent à l’intérieur de ce grand ensemble59. »

78Dans l’état actuel de nos recherches, la consultation des archives de l’Institut technique des administrations publiques a permis de montrer que cet institut était peu impliqué dans la relation entre la direction du Budget et les ministères « dépensiers ». Tout au plus peut-on parler d’une contribution technique. En ce sens, il faut admettre que l’ITAP a eu un rôle dynamique et a apporté sa pierre à l’œuvre de modernisation de l’Administration. Si à ses débuts cet institut a pu inquiéter par sa vision trop simpliste de la mise en place du prix de revient dans l’Administration, pure adaptation de ce que son fondateur avait expérimenté dans le secteur privé, sa réflexion a été ensuite reconnue et adaptée à l’Administration.

79Pour la direction du Budget, c’est un bon moyen pour renforcer sa tutelle et évaluer ce qui est rentable et ce qui ne l’est pas dans le but bien sûr de faire des économies de budget.

80Pour les ministères « dépensiers », le prix de revient au sein du Budget fonctionnel peut être aussi un bon moyen de décentraliser les responsabilités et évaluer soi-même la valeur de ses propres services.

81Les antagonistes sont renvoyés dos à dos : c’est ici un bon exemple de l’esprit du fondateur de cet institut.

Annexes

ANNEXE

DAVOST Hubert : Inspecteur général des Finances, Mb. Cons. Adm. ITAP à partir 23/06/5360. Chargé de mission au cabinet du secrétaire d’État au Budget, 12 juillet 1948 ; conseiller technique au cabinet du secrétaire d’État aux Finances et aux Affaires économiques, 4 août 194861 ; directeur d’études du Cycle d’études sur les finances publiques (Budget-Comptabilité) organisé par l’ITAP du 12 Novembre au 20 Décembre 195762. Codirecteur avec Mounier du cycle de conférences de l’ITAP sur « Finances, Budget, Comptabilité, prix de revient » (16 au 26 oct. 1956.)63. Trésorier de l’ITAP en date du 6 juillet 196264. Secrétaire général de l’ITAP (en même temps que Mlle Claudette Lavorel) pour l’exercice 196865, 1969 (Id.)66, 1970 (Id.)67 Auteur de : « La comptabilité nationale » conférence prononcée dans le cadre de l’ITAP le 26 octobre 195668. Préside le groupe de travail créé à l’ITAP sur la Réforme administrative69. Membre du Cabinet d’Edouard Bonnefous, selon J. Dayre, Davost « ... s’intéresse vivement à l’envoi aux États-Unis d’une mission sur la Réforme administrative70 ».

Notes

1  Puisqu’il eut à remplir plusieurs missions de réorganisation pour différents, ministères avant-guerre.

2  L’amitié entre les deux hommes remonte probablement à leur rencontre à l’École de haut enseignement commercial pour jeunes filles dirigée par l’épouse de Jean Milhaud, Louli Sanua, et où L. Joxe dormait des cours.

3  Jean Milhaud, Chemins faisant. Paris, Éditions Hommes et Techniques, 1956, p. 191.

4  Ibid.

5  Dont une centrale d’échange du courrier interministériel, amélioration de la présentation des lois au Journal Officiel, enquête sur la mécanisation ou le téléphone, etc. Cf. J. Milhaud, Chemins faisant, op. cit. p. 192.

6  Ibid.

7  AN 33AS 12, dossier 4, note dactylographiée : « Le président du Gouvernement provisoire de la République française, à Messieurs les Ministres. », 31 janvier 1945, signé « de Gaulle », p. 4.

8  Ibid., p. 5.

9  AN 33AS 12, dossier 4, note dactylographiée : « Le président du Gouvernement provisoire de la République française, à Messieurs les Ministres. », 31 janvier 1945, signé « de Gaulle », p. 5.

10  Id.

11  Aux PTT, à l’Économie nationale, Finances, Intérieur etc. Cf. Jean Milhaud, « Note sur le perfectionnement des méthodes de travail dans les administrations françaises », Congrès international des sciences administratives, Berne, juillet 1947, ITAP, doc. IT 21, p. 4.

12  J. Milhaud, Chemins faisant, op. cit., p. 193.

13  AN 33AS 2, État des inscriptions au 16 décembre 1947. Au 30 juin 1948, l’ITAP totalise 105 membres actifs et 18 membres correspondants, AN 33AS 3, 1, AG 30 juin 1948, rapport moral du secrétaire général Jean Milhaud, p. 3.

14  Sur la mise en place des groupes de l’ITAP Cf. AN 33AS 2, 1, PV conseil d’administration 1946-1953, compte rendu conseil d’administration 16 décembre 1947 et 12 octobre 1949.

15 Il fait partie de l’équipe fondatrice de l'ITAP. Auteur d’un rapport du groupe A (Finances) de l'ITAP sur « la centralisation des services d’approvisionnement dans les ministères » dans l’exercice 1947-1948. Administrateur civil au ministère des Finances, Enquêteur auprès du comité central d’enquêtes sur le coût et le rendement des services publics, administrateur et trésorier de l'ITAP. Président-rapporteur du groupe A « Finances, Budget, Comptabilité » de l'ITAP 1948. Responsable du groupe A de l'IT AP dès sa première réunion le 16 octobre 1947. Présent à la réunion du groupe B « Personnel» de l'ITAP du 13 juin 1949, représente le ministère des Finances. Fait un exposé sur « Le problème des approvisionnements » lors des journées d’Études de l'ITAP consacrées à : « Administrations publiques et industrie privée. Méthodes comparées et relations » 30 Juin au 3 Juillet 1948.

16 « Sondage » de participation de différents ministères opéré dans les archives de l'ITAP de sa création (1947) à 1958. Cf. PV de réunion des différents groupes de l'ITAP AN 33AS 7 à 12.

17 Il s’agit de MM. Vallée, David et Rémy. Cf. PV réunions ITAP AN 33AS 9.

18  En prenant pour exemple le projet d’Institut des hautes études administratives de l’organisation des fonctionnaires résistants (OFR), on peut mesurer le fossé qui séparait ses promoteurs du reste de l’administration. Ainsi M. Guy Thuillier note qu’« On voulait transformer totalement l’esprit de la haute administration [...], on croyait sincèrement pouvoir rompre avec le monde ancien, on jouait avec des rêveries. ». Cf. Guy Thuillier, « Aux origines de l’ENA : l’Institut des hautes études administratives de l’organisation des fonctionnaires résistants (1945) », La Revue Administrative, n° 265, janvier-février 1992, p. 120.

19  Jean Dayre, « Notes pour une politique de rationalisation », 16 Novembre 1945, p. 3. AN 33AS 12, dossier 4.

20  Cf. en particulier la manière dont la revue Administrer, créée pour faire connaître les travaux de l’ITAP et surtout ceux du groupe « Préfectures » de cet institut, présente l’IT AP comme une « filiale pour les administrations de la CEGOS, Administrer, revue trimestrielle des préfectures, AN 33AS 69.

21  AN 33AS 9, une des premières réunions (16 octobre 1947) du groupe « A » de l’ITAP, MM. Fautsch et Boucheron représentent les PTT.

22  AN 33AS 9, PV réunion groupe « A » ITAP 8/12/49, p. 3.

23  M. Bourdin est rentré à la STCRP en 1922, AN 33AS 9.

24  AN 33AS 9, « Exposé de M. Bourdin fait le 8 février 1951 pour le groupe d’études de l’Institut technique des administrations publiques présidé par M. Wurmser, inspecteur général », p. 1.

25  Chef adjoint du service du Budget à la SNCF, AN 33AS 9.

26  AN 33AS 9, PV réunion groupe « A » ITAP 8/12/49, p. 3.

27  Id., p. 3-4

28  AN 33AS 9, « Exposé de M. Bourdin fait le 8 février 1951 pour le groupe d’études de l’Institut technique de administrations publiques présidé par M. Wurmser, inspecteur général », p. 3-4.

29  Hubert Davost, « Conception générale et nécessité du budget liaison avec les Comptes de la Nation », conférence du 12 novembre 1957 prononcée dans le cadre de l’ITAP, cycle « Finances publiques », 1957, ITAP, 1957, p. 4.

30  ITAP, Cycle de conférences « Finances, Budget, Comptabilité, Prix de revient », 15 octobre-1er novembre 1956, avant-propos de Jean Milhaud.

31  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 décembre 1957 dans le cadre de l’ITAP, p. 3.

32  « Les sessions organisées en Mai-Juin 1955 », Cahiers de l’ITAP, n° 26, novembre 1955, p. 18.

33  Jacques Hirsch, « Le problème de réforme de la comptabilité publique », 1951, ITAP doc. IT 89, p. 9.

34  Christofini, « Le problème des investissements dans le cadre du budget », ITAP, doc. IT 91, p. 4.

35  ITAP, doc. IT 93, p. 28.

36  AN 33AS 9, Groupe A, Avril A1949, p. 1.

37  Article de G. Plescoff dans La Revue administrative, n° 18, décembre 1950, cité par Bourdin, AN 33AS 9, « Exposé de M. Bourdin fait le 8 février 1951 pour le groupe d’études de l’Institut technique des administrations publiques présidé par M. Wurmser, inspecteur général », p. 12.

38  AN 33AS 9, convocation à la réunion du groupe « A » de l’ITAP prévue pour le 8/12/49, signé « Jean Meary Chef du Groupe A », 26 novembre 1949.

39  Rossard, « La prévision en matière budgétaire », ITAP, doc. IT 95, p. 3.

40  Rossard, op. cit.

41  Inspecteur des Finances, direction du Budget.

42  Cahiers de l’IT AP, n° 9, Juillet 1951, p. 7, souligné dans le texte.

43  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration, 13 mars 1951.

44  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 23 mai 1950, p. 1.

45  AN 33 AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 1er avril 1952, p. 1.

46  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 8 janvier 1952, p. 2.

47  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 9 octobre 1952, p. 3.

48  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP, 13 février 1951, p. 3.

49  Maxime Brillaud, « La détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs dans le cadre du budget général », conférence du 25 octobre, ITAP Cycle, « Finances, Budget, compta... », 15 octobre-1er novembre 1956, p. 2

50  Maxime Brillaud, op. cit., p. 4.

51  Administrateur civil à la direction du Budget, auteur de : « La détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs dans le cadre du budget général » conférence du 25 octobre 1956.

52  Maxime Brillaud, « La détermination des coûts et des prix de revient des services administratifs dans le cadre du budget général », conférence du 25 octobre, ITAP Cycle, « Finances, Budget, compta... », 15 octobre-1er novembre 1956, p. 3.

53  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 décembre 1957 dans le cadre de l’ITAP, p. 1.

54  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 décembre 1957 dans le cadre de l’ITAP, p. 2.

55  H. Davost, « Contrôles, centralisations comptables, loi de règlement », conférence prononcée le 13 décembre 1957 dans le cadre de l’ITAP, p. 3.

56  Ibid., p. 4.

57  Ibid., p. 9.

58  Ibid., p. 25.

59  H. Davost, « Aspects comptables du Budget », p. 17.

60  AN 33AS 2, 1, PV cons. adm. ITAP 23/06/53.

61  Annuaire général économique et financier, Paris, Imprimerie nationale, 1968, p. 771.

62  ITAP, Cycles d’études sur les finances publiques, 12 novembre-20 décembre 1957, Paris, ITAP, 1957.

63  Revue Administrative, n° 53, septembre-octobre 1956, p. 561.

64  Extrait des délibérations du conseil d’administration de l’ITAP, AN 33AS 1, Dossier modification statuts, demande de reconnaissance d’utilité publique.

65  Cahiers de l’ITAP, n° Spécial 14-15, 1968, p. 13.

66  Cahiers de l’ITAP, n° 17, 1969, p. 27.

67  Cahiers de l’ITAP, n° 20, 1970.

68  ITAP, Cycle de conférences « Finances, Budget, Comptabilité, Prix de revient » 15 octobre-1er novembre 1956.

69  AN 33AS 2, 2, PV réunion cons. adm. ITAP 16 novembre 1954.

70  AN 33AS 2, 1, PV réunion conseil d’administration ITAP 30 avril 1953, p. 2.

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